BLONDEL Yvonne ( ? - 1971) 1) Le témoin : Yvonne

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BLONDEL Yvonne ( ? - 1971) 1) Le témoin : Yvonne
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BLONDEL Yvonne ( ? - 1971)
1) Le témoin :
Yvonne Blondel est française, et s'installe en Roumanie en 1907. Elle est la fille de Camille
Blondel, l'ambassadeur de France en Roumanie. Sa mère dirige la propagande française pour
pousser la Roumanie à entrer en guerre du côté des alliés. Elle épouse en 1909 Jean Camarasescu,
qui appartient à la haute société bucarestoise et est préfet de Silistra. Après la guerre, en 1918, elle
rejoint avec ses parents la France et travaille pour la Croix-Rouge française. Elle divorce et remarie
en 1922 avec Jean Postelicu, avec qui elle aura un fils et repart la même année s’installer en
Roumanie où son mari obtient cinq hectares de terrain pour service rendu pendant la guerre. Ils
finiront par acheter une petite maison près de Bucarest. Yvonne meurt en 1971.
2) Le témoignage :
Journal de Guerre 1916-1917, front sud de la Roumanie est publié chez l'Hamarttan en 2001. Cela
grâce au concours du Conseil Général de la Réunion de l'Université de la Réunion. Le manuscrit est
confié à Nobert Dodille par Mme Nicole Georgescu qui est la petite nièce d'Yvonne. Il établie le
texte en supprimant quelques passages ne lui semblant pas avoir d'intérêt direct avec le récit qui
signale par des points de suspension et le présente dans une première partie de l'ouvrage.
Yvonne a recopié son journal après les événements, certainement lors de son second mariage, ce qui
expliquerait le peu d'allusions à son premier mari qu'elle nomme simplement « le préfet ». Mais
avant cette copie elle écrit son journal au jour le jour : p59 : « je suis contente de les noter de suite,
pour ne pas croire plus tard que ma mémoire exagère ou divague ». Son écriture est parfaitement
lisible et régulière, seules les soixante dernières pages ont été recopiées par Mme Georgescu. Elle
soigne son écriture, s'attachant à de nombreuses descriptions des paysages et des événements qu'elle
voit et vit, tout en réfléchissant dessus. Elle accompagne également son journal par ses propres
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photographies de l'époque.
Son journal s'arrête subitement en 1917, au moment des révolutions russes. Il est possible qu'elle ait
détruit les dernières pages de son journal après 1945, à cause de propos anticommunistes qu'il
aurait pu contenir, comme de nombreuses autres correspondances et journaux intimes Roumains
compromettants de l'époque.
3) L’analyse :
Ce journal d'Yvonne Blondel est très riche et aborde énormément de sujets. En effet, bien qu'à
l'arrière elle sera témoin de nombreux événements et sera au contact de beaucoup d'individus, bien
différents. En commente tout cela en nous donnant son avis.
C'est une femme forte, avec un caractère bien trempé, ayant énormément d'empathie pour les
soldats et civils mêlés à la guerre.
L'entrée en guerre :
Bien qu'elle soir pour l'entrée en guerre, elle trouve l'élan patriotique relativement hypocrite après la
déclaration de la mobilisation générale, surtout pour les familles restées à l'arrière : p30 « tout ce
concert, au lieu de faire monter notre patriotisme à l'extrême, n'arrivait qu'à nous amener les nerfs à
fleur de peau et les larmes sous les paupières! » p30 : « ma pensée allait retrouver d'autres créatures
femmes, mères, amantes, qui, dans tous les coins du pays, devaient avoir le même état d'âme que
moi, dans cette heure décisive »
L'information/ liens sociaux:
Yvonne est bien souvent informée dans les premiers des nouvelles grâce à ses connaissances chez
les élites avec qui elle discute longuement et le côtoiement des soldats au front et dans les hôpitaux.
Elle déplore le manque d'informations dans les médias, alors que l'arrière est inquiète et
demandeuse : p35 « le manque de journaux qui se fait terriblement sentir vous rend assoiffé de
nouvelles » p76 « je suis consternée de voir laisser les gens dans cette ignorance et dans leur
parfaite insouciance. »
Elle reste toujours près du front pour s'occuper des blessés et en discutant avec apprend ce qu'il se
passe à l'avant p72 « j'ai appris par un témoin oculaire le martyr d'un lieutenant » p104 « nous
avions apporté le courrier de chacun » p103 « après notre arrivée les officiers se rassemblèrent
autour de nous, espérant pour avoir des nouvelles de l'intérieur, tandis que nous venions chercher
celles de l'avant ».
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Grâce à ses parents à Bucarest elle obtient par courrier et téléphone des nouvelles de la capitale.
Quand sur la fin de son journal, après l'occupation de Bucarest, elle va à Jassy elle rencontre même
la reine de Roumanie qui la convoque au Palais afin de lui donner une place pour soigner les
blessés. Elle lui dit p250 « you are a good girl, Yvonne »
Point de vue sur les peuples :
Yvonne se sent à la fois appartenir à la France à laquelle elle tient beaucoup : p28 « ma chère
France », mais également roumaine : p29 « je me sens l'âme si profondément roumaine ». Elle
considère les peuples latin supérieurs aux germaniques et slaves : p60 « voilà bien notre race latine
avec son fond d'humanité admirable ».
Les roumains sont pour elle braves et pleins d'honneur : p61 « il faut se confondre d'admiration
devant la résistance du paysan roumain »
Par contre elle n'éprouve que mépris et haine envers les Allemands : p121 : « j'avais toujours eu une
grande répulsion pour les Boches depuis ma plus tendre enfance » p104 : « il faudrait empaler
chaque Boche sur son casque ». Elle dénigre encore plus les Bulgares : p40 « tout gâchés par la
traîné des uniformes Bulgares, comme par la bave d'une chenille ! ». Le Bulgare a pour réputation
d'être sans foi ni loi, et l'armée roumaine les craint particulièrement : p39 « une race trop cruelle
pour que l'on puisse faire confiance à sa chevalerie vis-à-vis de l'ennemi tombé ».
Son idée des Russes évolue au cours de la guerre : p32 « on les attend avec impatience et
curiosité », p36 « une piètre impression », p101« les Russes qui ne font pas grand chose […] les
chefs boivent […] quittent les tranchées quand l'envie leur en prend, cherchant à violer les femmes
et pillent ». La méfiance règne vis à vis d'eux, et la peur de la trahison : p195 « au fond les russes
aiment les Bulgares » p260 « leur refus de marcher pour défendre Bucarest. Cela, les Roumains ne
le leur pardonneront pas ».
Point de vue sur la politique :
Yvonne et ses parents étaient pour l'entrée en guerre de la Roumanie p32 : « que de sa forme de
croissant, notre chère Roumanie redevienne un petit pain rond ». Pourtant si elle admire les soldats
de base, ce n'est pas le cas pour les chefs, ou les élites politiques. P75 « je suis moins en admiration
devant les chefs, à part quelques belles exceptions » p44 « que fait cet endormi d'état-major à
Bucarest ? On est vraiment révoltés de son aveugle entêtement » « sa criminelle inertie » p48 « de
leurs rivalités personnelles et leurs ambitions que des grandes nécessités de l'heure » p58 « les
premiers enfuis ont été le rondouillard commandant des gendarmes, les chefs de la police et de la
sûreté, enfin une grosse partie des grosses légumes ».
Pourtant, au fil des jours elle prend conscience de la réalité de la guerre et son point de vu dessus
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change : p110 : « je me demandais si cet affreux carnage apporterait un nouveau bonheur au pays et
à la communauté, si vraiment la Roumanie serait plus prospère avec les enfants de toutes les
provinces reconquises […] si ces grands sacrifices seraient compensés plus tard […] il faut croire
aveuglément […] car sans cela, ce serait trop horrible ».
Yvonne et l'arrière :
Depuis Silistra elle suit le front en fonctions des défaites, en ouvrant des hôpitaux dans les
nouvelles villes où elle est envoyée. Elle est ainsi spectatrice des civils à l'arrière, proche du front.
P54 « je suis désolée de voir quels fléaux la guerre fait aussi tomber sur les non-combattants » p92
« tout cette humanité talonnée par l'effroi, courait vers la gare dans l'espoir d'y trouver un train
sauveur » p145 « ces boulangers […] font également bien leur devoir dans leur manière de faire la
guerre […] ils fournissent […] plus de cent cinquante mille pains par jour ».
Pourtant, elle déplore souvent la mentalité à l'arrière : p75 « que de potins, que d'histoires, que de
petitesse ! » p123 « petites et tristes natures, à qui serait salutaire une visite au front ».
Yvonne et la guerre :
Depuis le début de la guerre en Roumanie elle fait tout son possible pour se rendre utile, et voit
l'arrière comme un deuxième front. Elle soigne les blessés dans des hôpitaux qu'elle ouvre elle
même, et prend cela très à cœur, comme sa mère à Bucarest dans un hôpital français : p79 : « son
bataillon de dames et demoiselles » et prend beaucoup d'initiatives pour aider aux mieux les blessés,
et apporte ce qu'elle peut à ceux du front (ravitaillement, tabac, courrier..) en y allant elle même.
P106 : « il y avait tant à faire, qu'il ne pouvait être question de déserter » p74 « il me serait
absolument impossible de reprendre mon collier dorée pour l'instant et de rester inactive dans ma
propre demeure » p131 : elle soigne des Bulgares : « je devais écouter mon devoir et panser ces
êtres humains sans distinction de race ou de religion ».
Elle a été décorée pour sa bravoure et ses efforts fournis à Medgidia : p189 « le général épingla sur
ma pèlerine de Croix-Rouge la médaille d'argent de Saint-Georges […] tous les officiers présents
me congratulèrent ».
Yvonne face aux violences et à la mort :
Au plus près du front et des blessés, elle est témoin des violences de la guerre, voit la panique
continuelle des familles sous les bombardements, et des destructions.
p41 « je n'ai rien d'un Néron et ce feu me brûle le cœur » p71 « on a beau m'expliquer que c'était
cela la guerre, cette affreuse conception n'entre pas dans ma cervelle et je voudrais pour rien au
monde l'y faire entrer ! » p110 « bouleversée d'une affreuse colère contre ces tueries » p185
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« spectacle d'un cruauté bien grande ». p135 « on a dû faire une fosse commune pour tous ces
braves. J'ai été toute retournée par cet acte de traiter ces pauvres combattants comme de
quelconques inconnus ».
Son sens du devoir l'aide à tenir si proche du front, ainsi que le soutien de la religion, qui vaut aussi
pour les soldats. P71 « je continue à croire que mes chaudes prières ont répandu leur petite
influence » p125 « les pauvres blessés nous réclamaient un prêtre et les mourants le secours de la
religion ». P185 : elle dépose son propre médaillon de la Vierge Marie à un soldat ayant succombé
qu'elle ne connaissait pas : « sur le cœur du héros […] pensant ainsi qu'il serait moins solitaire ».
Malgré sa confession chrétienne catholique, elle a un rapport apaisé à la religion. P71 « espérant
que, sinon mon Dieu, au moins leur Mahomet saura protéger leurs nids fragiles et vulnérables et
leur innombrable smala ».
Elle souligne également la fraternité des soldats entre eux, du fait de la situation de guerre : p148 :
« Roumains, Russes, Serbes sont unis dans la douleur […] est-ce que la vraie confraternité des
hommes ne pourrait se faire que dans la souffrance ? ».
Elle évoque aussi l'importance des familles pour ces soldats blessés ou au front, leur permettant de
tenir : p220 : « je me rends compte combien les instincts familiaux sont développés chez eux ».
Elle est également contre l'idée de contourner l'obligation de remplir les devoirs de guerre par des
méthodes telles qu'être fait prisonnier ou l'auto mutilation : p95 : « nous refusions absolument à
envisager cette perspective, tant l'idée d'être fait prisonniers nous rebroussait le poil ! »
4. Chronologie des événements évoqués dans le journal d'Yvonne Blondel :
-25 août : début du journal d'Yvonne Blondel
-27 août : la Roumanie déclare la guerre à l'Austro-Hongrie
-28 août : l'Allemagne déclare la guerre à la Roumanie
-1er septembre : la Bulgarie déclare la guerre à la Roumanie
-2-6 septembre : sanglante bataille de Turtucaia remportée par les Bulgares
-9 septembre : les Roumains évacuent Silistra
-25 septembre : bombardement de Bucarest
-16 octobre : arrivée de la mission française du Général Berthelot
-22 octobre : chute de Constantza
-3 décembre : le gouvernement quitte Bucarest et va s'installer à Iasi (Jassy)
-6 décembre : occupation de Bucarest
1917 :
-4 janvier : Braila est occupé
-27 janvier : trahison du colonel Sturza
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-1 février : les Allemands entament la guerre sous-marine
-4 février : les États-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec l'Allemagne
-8 mars : premières émeutes à Pétrograd
-14 mars : dernière page du journal d'Yvonne Blondel
-15 mars : abdication de Nicolas II
Charlotte CASADO (Université Paul-Valéry Montpellier III)