à l`affut des abus sexuels dans le cadre sportif

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à l`affut des abus sexuels dans le cadre sportif
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À L’AFFUT DES
ABUS SEXUELS
DANS LE CADRE
SPORTIF
PAR GUILLAUME THÉROUX
Après un passage en tant qu’agent de communications
à Tennis Québec en 2010 et 2011, Guillaume est devenu
journaliste à TVA Sports.
Ce printemps, l’affaire Bertrand Charest a
ébranlé le monde du sport au Québec.
de voyages à l’extérieur. Les coachs sont les
tuteurs, la deuxième famille des athlètes.
En date du mois de juin, cet ancien entraîneur
de ski était sous le joug de 57 accusations
d’agression sexuelle à l’endroit de 12 victimes
de l’équipe canadienne junior de ski alpin
féminin pour des incidents survenus dans les
années 19901 .
Dans le cadre d’une vaste enquête dirigée
par Martine Hébert de l’Université du Québec
à Montréal (UQÀM) et financée par les
Instituts de recherche en santé du Canada
(ISRC), l’Université Laval a publié récemment
les résultats d’une étude menée auprès de
6 450 adolescents de 14 à 17 ans dans 34
écoles secondaires québécoises. Sylvie Parent,
co-auteure de l’étude et professeure du
département d’éducation physique de la Faculté
des sciences de l’éducation à l’Université Laval,
révèle que 5,3 % des adolescents ayant subi
une agression sexuelle ont été victimes de leurs
entraîneurs2 .
Charest est derrière les barreaux à l’heure
actuelle, détenu depuis le mois de mars, et est
en attente d’un procès.
Les victimes présumées étaient âgées entre
12 et 18 ans au moment des événements et
auraient subi les sévices de la part de Charest
à Mont-Tremblant et lors de compétitions à
l’étranger. La nouvelle a de quoi faire réfléchir,
voire inquiéter ces parents qui font confiance
à d’autres adultes en remettant entre leurs
mains une partie de l’éducation de leurs jeunes
pendant de longues périodes.
C’est particulièrement vrai pour les parents
d’athlètes d’élite. Ces garçons et filles
pratiquant du sport de haut niveau peuvent
passer jusqu’à une trentaine d’heures dans le
giron de leurs entraîneurs dans le cadre d’une
semaine « régulière ». Ces mêmes entraîneurs
deviennent évidemment responsables des
adolescents sur une base permanente lors
À ne pas négliger
Voici de quoi comprendre la portée de cette
statistique. Sachons qu’environ « 10,2 % des
adolescents rapportent avoir subi une forme
d’agression sexuelle au cours de leur vie »,
soulignent Mme Parent et ses collègues de
l’Université Laval, Francine Lavoie et Marie-Ève
Thibodeau, ainsi que Mme Hébert et Martin
Blais, de l’UQÀM. Donc, dans un cas sur 20, un
jeune est victime d’abus de la part d’un individu
censément digne de confiance. On croit l’enfant
en situation d’encadrement sportif propice à un
développement personnel sain et adéquat.
« Ça semble être un résultat similaire à d’autres
études du genre mais, à mon avis, ça demeure
beaucoup, estime Mme Parent, contactée par
Tennis-mag. En considérant que les jeunes
évoluent dans divers contextes comme la
famille, le sport, la musique ou d’autres
loisirs, je trouve que 5,3 % est un chiffre assez
important pour qu’on s’y attarde et qu’on
essaie de mieux comprendre le problème. »
Des cas notoires
Auparavant, seuls des cas médiatisés
impliquant des personnalités sportives
d’envergure permettaient au grand public
de prendre conscience du risque associé à la
relation entre entraîneurs et jeunes athlètes.
Le cas de l’ex-vedette de la Ligue nationale
de hockey (LNH) Theoren Fleury vient
immédiatement en tête. Fleury est l’une des
six victimes de l’ancien entraîneur de hockey
junior Graham James, auteur de crimes sexuels
perpétrés dans les années 1980 et 1990 dans
l’Ouest canadien.
En 2012, Tennis Québec a mis en place une politique de prévention
et de contrôle de la violence et du harcèlement psychologique.
Cette dernière a pour but d'établir des moyens pour prévenir et bannir la violence et le harcèlement psychologique ainsi que pour
gérer efficacement tous les incidents, y compris les actes sexuels pouvant survenir et les faire cesser. Elle s’applique à tous les
membres, employés, bénévoles, dirigeants et administrateurs de Tennis Québec.
Pour les détails : www.tennis.qc.ca/politique-de-prévention
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Photo : La Presse Canadienne/Mike Sturk
Il aura fallu des années, voire des décennies,
avant de connaître toute la vérité au sujet
de James. Ce dernier avait été condamné à
trois ans et demi de prison en 1997 quand
un premier ancien joueur de la LNH, Sheldon
Kennedy, l’avait accusé. Fleury n’a pris la parole
qu’en 2009 dans son autobiographie et, depuis
2012, d’autres victimes ont fait surface pour
dénoncer l’agresseur.
Selon Fleury lui-même, il existe une corrélation
directe entre les agressions de James et sa vie
mouvementée, marquée par la dépendance aux
drogues et à l’alcool. L’ex-athlète, aujourd’hui
libéré de ses démons intérieurs et porte-parole
contre les abus sexuels envers les enfants,
affirme être devenu « un lunatique alcoolique
enragé » à cause de l’agression de James.
Au tennis, l’ancienne joueuse d’élite française
Isabelle Demongeot dit elle aussi avoir subi
de graves séquelles reliées à des agressions
commises par Régis de Camaret, son entraîneur
dès le tournant des années 1980. Demongeot
avait alors 13 ans. Elle a déposé une plainte en
2005, à 39 ans. De Camaret a été condamné
à huit ans de prison en 2012 ; une peine
prolongée à 10 ans en février 2014.
L’ex-entraîneur Graham James, en 1989, avec l’ancien joueur de la LNH, Sheldon Kennedy.
Photo : Jean-Loup Gautreau/AFP/Getty Images
Photo : Jeff Pachoud/AFP/Getty Images
Ce qui peut être fait
L’ancienne joueuse française Isabelle
Demongeot, à Roland-Garros le 25 mai 1992.
L’ancien entraîneur de tennis Régis de
Camaret, à la sortie du palais de justice
de Lyon (France) le 15 novembre 2012,
lors de son procès pour les viols de
deux anciennes pensionnaires mineures
de son club de St-Tropez.
Juste avant cette condamnation, De Camaret
était en appel de la décision de la cour et
Demongeot, ancienne 20e joueuse mondiale
du circuit de la WTA, a alors clamé aux médias
que cet homme lui « a tout enlevé », l’a « vidée
et enfermée »; conséquences d’horreurs
qu’ont vécues comme elle une dizaine d’autres
mineures jusqu’en 1989.
Ces histoires frappent l’imaginaire. S’il ne faut
pas vivre dans la peur que les enfants soient en
danger perpétuel dès qu’ils quittent la maison
pour des voyages, le risque demeure réel.
Est-on impuissant face au spectre de l’abus sexuel à l’endroit de nos enfants?
Mme Parent propose des pistes de solution visant les organisations sportives pour
minimiser les risques de crimes d’entraîneurs à l’endroit d’enfant et d’adolescents.
« Je crois que c’est important que les organisations sportives prennent plus de mesures
pour protéger les enfants et les jeunes qui ont à faire ces voyages. Ça peut passer par
la mise en place de règles, à savoir si les entraîneurs peuvent coucher dans la même
chambre que les jeunes, s’il y a d’autres adultes accompagnateurs, si les antécédents
criminels des entraîneurs ont été vérifiés, etc. »
« Les organisations sportives doivent se responsabiliser, comme c’est fait dans les
écoles lorsqu’il y a des sorties de groupe. Souvent, il y a un accompagnateur ou un
minimum de personnes présentes. Des vérifications sont faites. Ça devrait être le
même principe pour le sport. »
Pour ce qui est des parents, ils ont au final deux responsabilités majeures,
indépendantes du cadre sportif et qui sont valides en toute situation dès que subsistent
doutes, soupçons ou même preuves qu’un crime a bel et bien été commis : il faut être
à l’écoute et informer les autorités concernées.
« C’est très rare que des jeunes inventent des histoires, explique Mme Parent. S’ils
dénoncent quelque chose, il faut les écouter. Poser beaucoup de questions et faire
sa propre enquête, ce n’est pas nécessairement la bonne chose à faire, parce que ça
peut nuire à une enquête subséquente. Ce qui est important, lorsqu’on a un doute, des
interrogations ou encore lorsque quelqu’un nous dit quelque chose, c’est de réagir et
d’aller voir les autorités, tout de suite. »
« En tant qu’adulte, si je suis témoin de quelque chose ou qu’un enfant se confie à moi,
j’ai l’obligation légale d’aller le dire à la DPJ (Direction de la protection de la jeunesse,
NDLR). Je dois dénoncer, c’est dans la loi. Si j’entends des rumeurs ou soupçonne des
choses, je suis mieux d’aller m’informer auprès de la police et de la DPJ à propos de
ce que j’ai vu et de ce que je devrais faire. »
« Le but est de penser le plus possible à protéger l’enfant en cas de doute et de
maximiser sa sécurité », conclut Mme Parent.
1
2
« Une accusation de plus contre l’ex-entraîneur de ski Bertrand Charest », LaPresse.ca, [En ligne], http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/proces/201505/22/01-4871783-une-accusation-de-plus-contre-lex-entraineur-de-ski-bertrand-charest.php (Page consultée le 22 juin 2015 »
Samuel AUGER, « Les entraîneurs sportifs responsables de 5 % des agressions sexuelles envers les adolescents du Québec », Université Laval, [En ligne],
http://www.relationsmedias.ulaval.ca/comm/2015/mai/les-entraineurs-sportifs-responsables-des-agressions-3461.html (Page consultée le 22 juin 2015)
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