La Genèse de l`Apocalypse (digital)
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La Genèse de l`Apocalypse (digital)
ANTOINE BONNET Les éphémérides de l’Aslethaak De l’Oubli à la Légende Tome I La Genèse de l’Apocalypse ISBN : 978-2-9544871-6-8 © Éditions EX SOMNIIS Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays. L’auteur est seul propriétaire des droits et responsable du contenu de ce livre. <: Pref`x :> Dans un royaume grandissant où l’Humanité est en pleine quête des étoiles, une paix précaire et tacite s’installe peu à peu dans le monde belliqueux des hommes. Le plus éminent des hominiens a appris de ses erreurs et a même parfois tenté de les réparer, son regard plongé dans l’espoir que représentait la ruée vers les étoiles débutée en -500 du calendrier trinitaire. Ainsi les éonefs, ces immenses arches spatiales dont le but était d’amener la vie sur des cailloux inhabitables, commencèrent à sillonner la galaxie en quête de planètes à coloniser. Les premiers pas de l’Homme dans l’espace extérieur furent prometteurs mais un fait tragique se produisit en cette trouble année de -355, bouleversant ainsi tous les plans de l’Humanité et brisant par la même occasion l’espoir du peuple terrien dont les yeux étaient toujours rivés vers les étoiles. Ainsi tandis que les premiers éonefs étaient en plein travail d’habilitation des futures colonies le Profitis Aeterna, le plus illustre de tous, fut perdu de vue par l’Humanité. Il disparut purement et simplement dans les abysses de l’espace. Malgré l’improbabilité qu’un vaisseau aussi immense puisse disparaitre d’un seul coup, le fait était là : la fierté de la flotte coloniale était perdue. Aussitôt de nombreuses expéditions furent montées pour partir à la recherche de l’inestimable éonef, mais aucune ne retrouvera la trace du Profitis Aeterna absorbé par l’encre des abysses. Finalement obligée à accepter cette fatalité l’Humanité résignée, tout en espérant intérieurement qu’un jour le Profitis Aeterna resurgisse des ténèbres, se concentra à nouveau sur son but premier et la colonisation continua. L’Humanité semblait être hantée par une mauvaise étoile puisqu’une cinquantaine d’années plus tard un autre évènement, cette fois-ci beaucoup plus grave, plongea littéralement le monde des hommes dans l’obscurité. La Genèse de l’Apocalypse C’est ainsi en -301 que survint ce qui eut à l’époque l’effet d’un véritable big bang, dont les échos résonnent encore de nos jours jusqu’aux frontières inconnues du vide cosmique. Ainsi arriva le Tumultus, évènement aussi inexpliqué que destructeur, qui fut à l’époque décrit comme « une onde de choc invisible et indivisible venant des tréfonds de l’univers ». Un souffle imperceptible traversa toute la galaxie de long en large dans une architecture qui ressemblait à une étrange impulsion électromagnétique, endommageant sur sa route quasiment tout ce qui utilisait de l’énergie. De cette manière des légions entières se retrouvèrent aveugles et se perdirent dans le froid galactique. La force invisible ayant aussi déplacé de nombreux corps céleste et flottes en mouvement, les cartes galactiques furent faussées et rapidement inutilisables. Plongés ainsi dans l’obscurité, le berceau de l’Humanité, les colonies et la flotte spatiale se retrouvèrent fatalement coupés les uns des autres et beaucoup durent se débrouiller seuls pendant une longue période teintée d’incertitude. C’est alors en plein chaos cosmique que le Profitis Aeterna, tandis que tout le monde l’avait oublié, retrouva le chemin de la Terre par une chance inouïe pendant que la planète mère essayait toujours de reprendre contact avec ses colonies et sa flotte. C’est donc en -273, que les repenteurs appelèrent plus tard Zéro Absolu, que le plus grand des éonefs jamais construits retourna sur la planète qui l’avait enfantée. Accueilli comme un signe des astres par certains, l’évènement créa par la même occasion un engouement pour une nouvelle croyance qui se répandait alors déjà sur Terre et qui deviendra plus tard le brillantisme De plus le Profitis Aeterna, qui avait sillonné l’espace pendant presque un siècle, fut une véritable mine d’information qui aida les hommes à reconstruire la cartographie céleste faussée. De l’antre du Profitis Aeterna sortit alors un étrange personnage, que certains appelèrent aussitôt « le messie » et qui sera plus tard connu sous le nom de Prophète Hélianthique. 6 La Genèse de l’Apocalypse En effet lors du périple du Profitis Aeterna ce personnage avait rédigé une longue collection d’écrits mystiques qui, selon ses propres dires, lui aurait été chuchotée à l’oreille par les astres. Aussitôt ses écrits furent croisés avec ceux déjà rédigés par les premiers prophètes brillantiques, ce qui formera plus tard le corpus du Luximore : le livre fondateur du brillantisme. Tandis que les cartes célestes étaient en pleine refonte débuta la construction de ce qui sera plus tard appelé le siège de Lumière. Ayant pour but de guider les vaisseaux égarés vers la Terre tel un phare, cet édifice pouvant émettre à une distance inégalée dans l’univers fut considéré comme un espoir fou au moment de sa création. Commandité par la famille Vand Geeschtwarter, qui avait la mainmise sur la plus grosse partie de la technologie et de l’innovation de l’Humanité, la construction du siège de Lumière se termina en -225. Cinq ans plus tard les cartes célestes furent de nouveau à jour et ce fut le début des vingt flamboyantes, où les colonies les flottes perdues et la Terre vinrent peu à peu à reprendre contact entre elles. À la fin des vingt flamboyantes, en -200, le Luximore fut achevé après un travail de titan, donnant ainsi au brillantisme son livre sacré. Malheureusement un an plus tard, en -199, éclata la crise des colonies. En effet ces dernières, habituées à se débrouiller seules pendant presque trois quarts de siècle, avaient pris gout à leur liberté d’action et demandèrent l’indépendance. Ce fut ainsi avec cet évènement que débuta la crise des colonies, qui dura une soixantaine d’années pendant laquelle des guerres fratricides virent s’opposer la Terre et ces dernières. C’est pendant cette même crise qu’une branche du brillantisme, le brillantisme repenteur, naquit à l’ombre d’un des pires moments de l’Humanité. Les adeptes de ce mouvement étaient alors persuadés que le Tumultus était une punition céleste, envoyée sur les hommes pour s’être peu à peu détournés de la lumière divine. 7 La Genèse de l’Apocalypse Ils croyaient être habités d’une mission dont le but était de faire converger tous les hommes sous la même bannière et de ne plus jamais détourner l’Humanité de la route de la lumière. En -134 la crise des colonies se termina avec amertume. Ces dernières devinrent pour la plupart libres, même si une partie resta sous l’égide de la Terre. Un sentiment de gâchis, de tristesse et de colère emplit alors le cœur des hommes et c’est dans ce climat propice que le brillantisme repenteur attira de plus en plus d’adeptes. Ces derniers voulaient reprendre les colonies et exercer un contrôle total sur la Terre, pour soumettre les hommes au brillantisme repenteur et les guider ainsi vers la lumière. Pendant les années qui suivirent la famille Vand Geeschtwarter, qui perpétuait depuis déjà plusieurs siècles un culte secret nommé le machinisme, s’intéressa de près aux partisans du brillantisme repenteur. En effet cette famille dont le berceau se trouvait sur la planète Mars, qui lui appartenait d’ailleurs exclusivement, avait lourdement investi dans les colonies et voulait à tout prix en reprendre le contrôle. Étant donné que ladite crise venait de s’achever sur un fiasco pour tout le monde, personne ne voulait repartir en guerre. Personne sauf une entité : les partisans maintenant extrêmement nombreux du brillantisme repenteur. La famille et sa garde personnelle, la Valraven Guard, étaient alors divisées en deux partis. Le premier pensait que c’était une bonne idée de s’allier à ces adeptes qui se disaient prêts à se battre pour reprendre ce que la famille avait perdu, tandis que l’autre parti pensait que c’était de la folie de s’allier avec une « secte belliqueuse », selon les propres dires de ses défendeurs. C’est pour cette raison qu’ils décidèrent de tenir un conseil sur Mars pour en discuter et c’est en -124 que tous les membres de la famille, proche ou lointaine, se rassemblent sur la planète rouge pour une réflexion sur le sujet. Alors que les débats faisaient rage et qu’aucun accord ne parvenait à être trouvé, une action mit feu aux poudres 8 La Genèse de l’Apocalypse et déclencha ce que l’histoire nommera plus tard le schisme des larmes rouges. Ainsi, dans des circonstances opaques, un partisan brillantique repenteur déguisé en valraven guard s’infiltra dans un des bases de la famille sur Mars pendant que les discussions enflammées étaient à leur paroxysme. Ce dernier se fit attraper alors qu’il essayait de s’emparer d’un nombre important de données jalousement gardées par la famille. Il fut ensuite amené devant l’assemblée, où les membres de la famille opposés à l’alliance avec les partisans du brillantisme repenteur l’exécutèrent sans sommation. Le coup de feu résonnait encore dans l’amphithéâtre que de nombreuses dents grinçaient déjà dans les deux camps. Alors que la tension montait d’un cran, soudainement, un des membres de la famille propartisans sortit son arme de poing et la pointa sur celui qui venait de tuer le partisan infiltré. Ulrich Vand Geeschtwarter venait de mettre en joue son propre frère, Alaric, dans la stupéfaction générale. Dans une situation plus qu’explosive et emplie d’incompréhension, tout le monde sortit son arme et prit parti pour l’un ou l’autre ; même ceux qui étaient jusque-là neutres ou indécis. C’est alors que résonna le premier et fatidique coup de feu, qui brisa le lourd silence ambiant et scinda par la même occasion en deux l’histoire de la famille, avant que ne s’ensuive un véritable bain de sang chaotique qui forgea le schisme des larmes rouges. Les propartisans prirent peu à peu le dessus et leurs adversaires protégés par leurs guards furent forcés de se replier. Montant tous à bord de leurs vaisseaux dans un chaos le plus total, ils s’enfuirent du système solaire sans regarder en arrière. Les propartisans, pour la plupart traumatisés par ce qui venait de se produire mais tout de même jusqu’au-boutistes, firent ensuite le ménage sur la planète. Alors que l’humanité ne savait toujours pas ce qu’il venait de se passer sur Mars, un pacte avec le diable fut signé : les partisans aideraient leurs alliés de la famille à reprendre les colonies, 9 La Genèse de l’Apocalypse en échange de quoi cette dernière s’engageait à les armer, les entrainer et leur léguer certaines de leurs possessions. Enrôlant toujours plus de partisans dans leurs rangs, les repenteurs s’entrainèrent ensuite pendant près de cinq ans sur Mars, qui fut leur demeure lors cette courte page d’histoire. Lorsqu’ils furent finalement prêts, en -119, les repenteurs furent discrètement envoyés par leurs alliés sur une petite colonie perdue au fin fond de la galaxie : Anulatem. Écrasant la résistance ennemie surprise et ne comprenant pas pourquoi on l’attaquait, les repenteurs prirent la planète en six jours et six nuits de combats. Leurs commanditaires furent satisfaits du résultat et leur léguèrent la planète en guise de récompense pour que les partisans puissent s’y installer. Tandis que la Terre et les colonies n’étaient toujours pas au courant de la situation, l’autre pan de la famille se renomma les enfants des larmes rouges et réunifia de force une partie de son ancien royaume colonial afin de se préparer pour la guerre. Pendant ce temps et cinq ans durant, les repenteurs devinrent plus forts et structurèrent peu à peu leur organisation et plus particulièrement sa branche armée. C’est aussi à ce moment-là que les partisans du brillantisme repenteur se radicalisèrent jusqu’au point de non-retour, se faisant désormais simplement appeler repenteurs. L’Église repentrice naquit au même moment, coupant volontairement avec les racines brillantiques du mouvement. Par exemple, selon les canons repenteurs nouvellement créé, ceux qui refusaient de vivre dans la lumière ne méritaient d’exister que dans les ténèbres. Les membres de la famille toujours alliés aux repenteurs mirent rapidement en place un plan d’action pour la première grande campagne visant à reprendre leurs colonies perdues, et en confièrent une nouvelle fois l’exécution aux repenteurs. C’est ainsi qu’en -114 commença la première croisade repentrice, qui dura seize ans. 10 La Genèse de l’Apocalypse Guidés par les croisés, des membres du bas clergé combattant, la désormais officielle milice repentrice enchaina victoire sur victoire. À chaque assaut, leurs alliés de la famille couvraient leurs arrières en détruisant les vaisseaux en fuite et en brouillant les communications des planètes attaquées. Au même moment d’autres membres de la famille alliés aux repenteurs commencèrent une longue opération depuis Mars, qui parasita les communications entrantes et sortantes de la Terre pendant plusieurs décennies sans que personne ne s’en rende compte. Le point culminant de l’opération fut la destruction du siège de Lumière par les membres de la famille alliés aux repenteurs en 113 à l’aide d’une arme météorologique d’une puissance insoupçonnable. Cet évènement rendit une nouvelle fois aveugle la Terre et les colonies replongèrent à nouveau dans la spirale infernale. Un peu plus de dix ans après la destruction du siège de Lumière les membres de la famille alliés aux repenteurs entamèrent une longue réforme qui dura trois ans et qui changea à jamais le visage de l’entité. Voulant ainsi effacer le souvenir du schisme avec les autres membres de leur fratrie déchirée, les dogmes leur apparence et tout un tas d’autres choses furent changés dans le culte qu’était celui du machinisme. Ainsi était née l’Église machiniste. C’est pendant ce temps sur une Terre en proie à des luttes intestines que des rumeurs commencèrent à se répandre au sujet des repenteurs et que, sous contrôle lointain d’agents repenteurs postés sur Mars, un groupuscule d’individus endoctrinés fut formé sous le nom de code R.E.P:E.N.T.A.N.C.E. Ses membres à l’esprit faible et au destin téléguidé obéissaient au doigt et à l’œil. Ainsi ils commencèrent peu à peu, à travers différentes actions, à alimenter la situation de tension régnant sur Terre. Ces dernières furent menées contre toutes les autorités et plus particulièrement 11 La Genèse de l’Apocalypse celle du clergé brillantique, envers lequel les repenteurs vouaient autant d’amertume que de mépris. Pour contrer ce groupuscule secret les plus hautes autorités créèrent avec l’appui de l’Église brillantique un autre groupuscule secret pour contrer le premier, qui porta lui le nom de code P.E.R:F.I.D.E.S. S’ensuivit une campagne d’attentats et d’assassinat sous faux drapeau de la part des deux groupuscules, qui s’accusaient à chaque fois l’un l’autre. Ces événements continuèrent ainsi pendant presque dix ans et firent élever les deux entités au grade d’intérêts internationaux, avant de culminer à un évènement qui fera basculer à tout jamais le destin de la Terre dans les flammes du Styx. Mais avant cela la deuxième croisade repentrice débuta, en -86, l’amertume des colonies envers la Terre et le parasitage des communications par les alliés des repenteurs étant alors à son paroxysme. Quelques années plus tard, en -81, un évènement mit ainsi le feu aux poudres sur Terre ; les repenteurs étant quant à eux toujours occupés par leur croisade commencée cinq ans plus tôt. Ainsi l’Archiluminarque Bethsaïde, le membre le plus haut du clergé brillantique à l’époque, fut sauvagement assassiné lors d’une étrange visite à la cathédrale Notre Dame de Paris. La garde suisse brillantique, prise de court, abattit l’homme avant qu’il ne puisse être interrogé. Tandis que l’incompréhension et la surprise se répandaient dans les esprits tels une trainée d’étoiles filantes, l’acte ne fut étrangement pas revendiqué, ni par R.E.P:E.N.T.A.N.C.E. ni pas P.E.R:F.I.D.E.S. ; par personne. Malgré tout un indice fut trouvé sur le meurtrier, sous la forme d’un passeport de l’Empire du Pacifique, une jeune nation englobant un nombre conséquent d’iles artificielles et qui se trouvait au cœur du triangle entre Hawaï, les iles Galápagos et les iles Samoa. 12 La Genèse de l’Apocalypse L’affaire fuita et fut rapidement relayée par les médias dominants, créant précipitamment un mécontentement populaire envers ledit État. Malgré le fait que l’entité concernée ait assuré ne rien avoir avec cet assassinat, le clergé brillantique et un nombre conséquent de pays demandèrent justice. Un conflit mondial couvait et, par un jeu d’alliance, la plupart des puissances militaires se retrouvent entrainées de force dans l’engrenage infernal. L’Empire du Pacifique essaya alors de trouver un soutien auprès de ses alliés en se cachant derrière les ailes de ces derniers. Cette action, véritable aveu de l’implication de l’Empire du Pacifique pour certains, ne fit qu’empirer la situation et poussa un peu plus le monde vers le chemin désormais inévitable de la guerre. C’est ainsi que se déclencha en -79 la guerre du crépuscule, dont l’attaque d’une ile appelée Archipearl fut l’élément déclencheur. Trois ans plus tard, en -76, alors que la guerre du crépuscule déchirait le berceau de l’Humanité, les croisés repenteurs terminèrent finalement leur course sur Terre auréolée de leurs victoires récentes. Prenant les défenses terriennes par surprises, les armées de la Terre entière étant alors embourbées dans une guerre sans fin, la résistance ne fut pas très forte et les repenteurs prirent rapidement la planète. Dans le chaos total un nombre tout de même important de spationefs arrivèrent à s’échapper de la Terre et à quitter le système solaire, ce qui fut le cas d’une partie des élites diverses et du clergé brillantique qui formera plus tard l’alliance brillantique. Le peuple terrien, n’ayant selon les repenteurs pas suivi le chemin de la lumière car ayant refusé l’abdication face à la force repentrice, fut ensuite en grande partie réduit en esclavage tandis que les vainqueurs installaient peu à peu leur paradigme sur Terre. Ainsi quelques années plus tard la Terre fut « repentie » et les repenteurs écrasèrent petit à petit les poches de résistances 13 La Genèse de l’Apocalypse jusqu’à ce qu’elles disparaissent presque toutes de la surface de la planète. Toujours alliés à l’Église machiniste les repenteurs engagèrent en -69 la troisième croisade repentrice, qui ne bénéficia pas cette fois-ci de l’effet de surprise des précédentes. Tombant système après système sur des planètes ne se soumettant pas à la repentance, les croisés rencontrèrent des adversaires coriaces et bien équipés, parfois alliés à la toute jeune alliance brillantique ou aux enfants des larmes rouges. La machine repentrice réussit finalement à avancer lentement mais surement en laissant un lourd tribut derrière elle, en partie grâce au regain d’évolution technologique et militaire alors amorcée par l’Église machiniste. Renvoyées une par une dans les ténèbres, les légions s’opposant aux repenteurs furent toutes obligées de se replier en dehors de l’espace galactique repenteur. La croisade se termina finalement en -42, les repenteurs ayant rempli leur pacte avec l’Église machiniste en leur redonnant le pouvoir suprême sur la quasi-totalité de leur ancien royaume colonial. L’Église machiniste, après de mûres réflexions, décida la même année d’intégrer, ou plutôt de fusionner, avec la machine repentrice. Dans les dernières décennies rapprochant l’histoire de l’an zéro du calendrier trinitaire, les repenteurs lancèrent une dernière et longue vague de pacification forcée dans l’espace galactique qui leur appartenait et en renforcèrent les frontières. Aussi appelé la croisade Requiem cette action débuta en -39 et se termina presque quarante ans plus tard. Alors que la croisade Requiem battait son plein, des hauts membres de l’Église repentrice décidèrent qu’il était temps de remplacer le calendrier géorgien par un calendrier repenteur. Ainsi en -2 se tint sur Anulatem un grand concile qui dura presque deux ans. À la fin de ce dernier, le clergé s’était mis d’accord 14 La Genèse de l’Apocalypse sur le calendrier qui allait désormais être utilisé par les repenteurs : le calendrier trinitaire était né. Il sera officialisé quelques mois plus tard et l’an un dudit calendrier débuta en janvier de l’année suivante, lors d’immenses fêtes qui durèrent plusieurs mois et qui furent le commencement d’une nouvelle ère pour la race humaine. Treize ans après l’an zéro de ce nouveau calendrier, notre récit débute : l’univers de l’Homme est saigné, calciné, déchiré et dans une profonde tourmente. C’est dans les cendres de ce climat apocalyptique qu’éclot la genèse de notre histoire, lorsqu’une étoile filante perce les abysses pour embraser la voute céleste… 15 La Genèse de l’Apocalypse 16 La Genèse de l’Apocalypse Prelogis : - Wake Up and Smell the Thrash / [9 Cruciamentum an 13 ; Terre] S décapita un des bandits avec son katana dans un cri de guerre tonitruant puis tira dans la tête d’un autre ennemi à l’aide de son pistolet radius. Alors que l’homme au visage fumant hurlait comme un dément, un autre adversaire le chargea avec une grosse machette de boucher. Esquivant facilement son attaque S lui coupa une de ses mains avant de lui tirer rapidement deux fois dans le torse, son moignon giclant dans tous les sens. Il enfonça ensuite sa lame dans le poitrail du bandit derrière lui, le transperçant de part en part tandis que le sang de ce dernier giclait sur son T-shirt. Un autre homme essaya de le mettre en joue avec son canon radius, mais S lui envoya son katana dans la gorge avant qu’il ne puisse appuyer sur la gâchette. Il alla finalement arracher l’arme de son corps dans une énième giclure de sang, se servant de son pied comme appui. Devant lui, au milieu de membres coupés, un homme plutôt vieux lâcha son couteau et implora sa pitié, les deux mains vers le ciel sans nuage de la Côte d’Azur. Quelques instants plus tard, sa tête emplie d’un éternel rictus d’effroi dévala la pente en roulant, laissant derrière elle un sillon rouge cardinal. S se calma et respira une grande bouffée d’air, qui mélangeait la douce odeur de son premier combat journalier et celle cuivrée du sang à l’air libre. Après avoir essuyé son katana sur la veste en cuir d’un des bandits, il avait machinalement fouillé les cadavres. Sur les corps de ses défunts ennemis il trouva ainsi des vivres, des armes rudimentaires, des bibelots sans importance, une paire de jumelles et des batteries-chargeurs d’armes radius, économiques car la lumière suffisait à les rechargeait. 17 La Genèse de l’Apocalypse Ne pouvant voyager qu’avec le strict nécessaire, il ne ramassa que les vivres et les jumelles. Un jour parmi tant d’autres, pensa l’homme au visage moucheté de sang alors qu’une légère brise faisait virevolter sa chevelure. Il reprit ensuite sa route, quelques taches de sang supplémentaires parsemant son jean troué et son T-shirt sur lequel était écrite la phrase suivante : « Stronger Than All ». Alors qu’il taillait son chemin sous le ciel azuréen du sud de la France, S serra l’amulette serpentine qu’il portait autour du cou. Le talisman à dominante verte prenait la forme d’un serpent à la coiffe ailée. Entre les deux extrémités des ailes s’étirait une bande beige sur laquelle était gravée une inscription en petites lettres bleues enlacées : Slayol das meli, Slayol d`s bal`s. D`l asinor Ste din nos Seori, d`s aeori Ste din nos axeos. Il n’avait aucune idée de ce que cela signifiait mais l’inscription semblait avoir traversé le temps, à en voir la couche d’usure qui recouvrait le tout. S avait un passé tourmenté et fragmenté, mais il savait que cette amulette avait un rapport avec ce dernier. Dans un petit étui en bois, accroché à sa cartouchière, était rangé un feuillet qui sentait le cierge et qui avait été légèrement bruni par le temps et les éléments. Surement son seul moyen de trouver une réponse, entre autres à son étrange état amnésique, ce dernier était nommé le jalon de l’éveil. Manuscrit dans une belle écriture à l’encre bleue il indiquait qu’il devait se rendre à la cathédrale Notre Dame de Paris et que sa boussole, le trajecteur subconstenciel, lui indiquerait le chemin. L’étrange objet tenait dans le creux d’une main et avait un aspect rudimentaire. S gardait l’artefact toujours accroché à son poignet gauche à la manière d’une montre. Une énigmatique phrase gravée à l’arrière de ce dernier démontrait que ce n’était pas qu’une simple boussole : « l’aiguille perce à travers le sibyllin destin, du dessein d’Erebus au venin d’Andromalius »… 18 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 1 : The Protectors / Crap Trap / [9 Cruciamentum an 13 ; Terre] Krag le carmin n’avait qu’un but ultime : trouver et protéger l’insongeable. Il savait que la boussole que portait ce dernier avait un traceur. Le carmin, comme tous les autres protecteurs, avait un trajecteur PO. Initiales de parallax overcomer, cet instrument servait essentiellement à retrouver l’insongeable mais était aussi utilisé pour tracer d’autres protecteurs. Ils étaient des guerriers d’élite, entrainés à tous types de combats dans le but de défendre jusqu'à leur mort et quel qu’en soit le cout celui qu’ils devaient retrouver. Les lourdes cuirasses de trinitium qu’ils portaient leur donnaient une stature imposante qui était un atout psychologique lors des combats. Chaque protecteur avait son surnom et Krag tenait le sien du fait que son armure, à la base de couleur rouge et dont les contours étaient noirs, était perpétuellement écarlate et bien souvent dégoulinante de sang. Krag était en effet la voix de la sagesse, mais aussi la sentence de la destruction. Il ne laissait que bouillie sanglante derrière lui, sa rage bouillonnante s’occupant de ses adversaires d’une manière aussi brutale que définitive. Ses armes à distance prenaient la forme de deux canons radius redspray, une variante des canons radius normaux tirant à une cadence plus rapide. Un marteau à deux mains en trinitium qu’il s’aimantait dans le dos, la poigne du Concasseur, jouait quant à lui le rôle d’arme de corps à corps. Lors de leur création, les protecteurs étaient quarante-sept. 19 La Genèse de l’Apocalypse Désormais dispersés et affaiblis, ils continuaient tout de même leur combat dans l’honneur, envers et contre tous. Krag le carmin arriva d’une démarche nonchalante dans une petite forêt étrangement luxuriante. Sur son trajecteur PO clignotait un point que Krag venait de remarquer : c’était celui de l’insongeable ! Enfin ! se dit intérieurement le guerrier qui avait du mal à y croire. Il mit ainsi le cap vers celui qu’il avait juré de protéger à tout prix, et après quelques minutes au milieu d’une nature envahissante le protecteur arriva dans une clairière parsemée de fougères, un de ses canons radius prêts à faire feu. Une silhouette y était accroupie, dos au protecteur. Six cadavres, dont un sans tête, étaient étendus autour de cette dernière. Krag la reconnut aussitôt comme étant celle d’un protecteur tandis que lui-même se rapprochait de la scène macabre. Le guerrier était en train de questionner un homme presque vidé de tout son sang. « … Quand l’as-tu vu ? — Il y a une heure, répondit l’homme, il a tué plusieurs des nôtres. — Dis-moi où il est parti ! demanda le protecteur de dos qui n’eut qu’un silence pesant comme réponse. Dis-le-moi et je mettrai fin à tes souffrances ! ajouta-t-il finalement. — Par-là, montra l’homme en tendant légèrement le bras, vers la ville de Cannes toute proche. — Merci », dit le protecteur. Il sortit alors un blazing eagle d’un de ses holsters. Cette arme de poing aussi rare que flamboyante était reconnaissable par les ailes gravées en relief sur les flancs de cette dernière. Elle utilisait des balles infernales, des projectiles incendiaires contenant en son sein un bâtonnet de phosphore flamboyant. Le guerrier tira ainsi une balle enflammée dans la tête de l’homme, mettant fin à ses souffrances. Krag le carmin, voyant le cadavre troué par un trait de feu, se souvint de son vieil ami avec nostalgie. 20 La Genèse de l’Apocalypse « Zabyss ? Zabyss le flamboyant ? — Krag ! lâcha l’autre protecteur en se retournant, Mon vieil ami ! Les deux hommes à l’imposante stature se saluèrent dans une accolade amicale. — Comme ça me fait plaisir de te revoir vieux frère ! — Le plaisir est partagé ! Le feu est toujours ton meilleur ami à ce que je vois. — Tu sais tout comme moi que les bonnes habitudes ne changent pas ! » Les deux amis rirent un bon coup puis reprirent la conversation. « Pourquoi tu l’interrogeais ? T’as plus ton trajecteur ? — Non, on me l’a pris. J’étais avec Anthos l’élucubrateur, notre 32ème frère, quand une bande de plus d’une soixantaine de repenteurs nous est tombé dessus. On a fait ce qu’on a pu, mais ils étaient trop nombreux. On était coincé dans une putain d’embuscade. On a finalement décidé de tenter une percée en partant chacun dans deux sens opposés. J’ai réussi à les semer, mais au moment où je me croyais hors de danger planqué sur un toit, je me suis pris un projectile empoisonné. Quand je me suis réveillé j’avais plus mon trajecteur mais on m’avait laissé la vie sauve, et je sais d’ailleurs toujours pas pourquoi. Du coup quand je suis revenu sur les lieux du combat j’ai pas pu repérer notre frère. J’ai attendu pendant plusieurs heures mais j’ai finalement dû me résigner et repartir tout seul. Je sais toujours pas ce qui est arrivé à l’élucubrateur, mais j’espère qu’il s’en est sorti. — Ça s’est passé il y a combien de temps ? — C’était hier. — Hum d’accord. Eh bien faut croire que le destin existe, je viens à l’instant de tomber sur le signal de l’insongeable ! — Sérieux ? — Oui mon frère ! Enfin ! — Putain j’ai du mal à y croire, depuis tout ce temps ! Les journées entières que j’ai passées à jouer au chat et à la souris avec les repenteurs sont enfin récompensées ! 21 La Genèse de l’Apocalypse — Ouais à qui le dis-tu ! En tout cas faut se bouger, chaque seconde compte ! Faut le trouver avant les repenteurs ! — Ouais ! Allons-y ! Partons sur les traces de notre destin ! » Ils s’élancèrent ainsi vers leur but, se dirigeant vers la ville toute proche à grandes enjambées… S marchait dans la rue d’Antibes complètement déserte, une brise lui caressant mollement le dos. Son regard se porta alors sur une enseigne, à moitié tombée, sur laquelle était écrit « Snac ». La Snac, la Société nationale des apprentis de la connaissance, fut autrefois une chaine de pseudos « temples de la connaissance » dont raffolaient énormément les classes parasitaires et dédaigneuses de l’ancien monde. Ce « temple de la connaissance » ci était désormais au même niveau que les bâtiments l’entourant, à savoir en ruines et renvoyé dans l’oubli par une grosse couche de poussière. Après quelques secondes de réflexion, S décida d’y rentrer pour y passer la nuit. En effet il était déjà huit heures et la lumière commençait à faiblir. Le premier étage avait été entièrement pillé, il ne restait plus que des caisses et des étagères vides. S remarqua les traces d’un combat récent parsemant l’intérieur du bâtiment. En effet, des cadavres de bandits étaient étendus entre les rayons, entourés de flaques de sang frais qui n’avait pas encore totalement coagulé. S décida de monter au deuxième, pour vérifier si son mauvais pressentiment était fondé ou non. Il prit les escaliers sur le qui-vive, son pistolet radius à la main. Quelques traces noires sur les murs montraient qu’il y avait eu un combat à cet étage aussi. Une dizaine de cadavres étaient entassés devant l’ascenseur, les trainées de sang prouvant une nouvelle fois qu’ils étaient morts dans un passé proche. S s’approchait ainsi curieusement du charnier lorsqu’une crosse rencontra violemment son crâne chevelu… 22 La Genèse de l’Apocalypse « Emmenez-le au reflet d’Azur ! ordonna le sergent Azilor après avoir détaché et jeté par terre l’étrange boussole du bras du sujet 33 pour pouvoir plus facilement le menotter. Bon bougez-vous le cul on se tire d’ici ! » conclut-il. Azilor était un sergent repenteur, actuellement rattaché au 45ème bataillon de la 33ème Légion, actuellement en poste sur le littoral méditerranéen. « Sergent ! Sergent ! lâcha un repenteur parti en éclaireur et qui venait de débouler dans le champ de vision du sergent. Un sicaire vient de m’informer que deux usurpateurs approchent de notre position et vont passer juste devant ce bâtiment. — Un sicaire ? Des usurpateurs ? s’exclama doublement Azilor. Mais putain qu’est-ce que fait un de ces putains d’assassins ici d’abord ? — Apparemment il les piste depuis un certain temps mon sergent. Il dit qu’avec votre aide, il a plus de chance de les avoir. » C’est à ce moment précis qu’une silhouette semblable à une ombre tomba d’un coup sec devant Azilor. C’était un sicaire, un membre du Fasicarius, une des nombreuses branches du rouleau compresseur repenteur. Elle comportait en son sein un cortège de soldats aux compétences meurtrières. Le Fasicarius était considéré comme le bras vengeur de la justice luminante. En d’autres termes il était une organisation spécialisée dans l’assassinat, sous toutes ses formes. L’organisme était structuré par cénacles, chacun doté d’un vaisseau en guise de quartier général. De ce fait, les vaisseaux du Fasicarius portaient les noms des cénacles qu’ils servaient. Un cénacle avait un effectif très variable pouvant aller de cent sicaires à presque mille, même si un nombre à quatre chiffres était rarement atteint. Les cénacles amenaient la notion de secret à son paroxysme, et la défense de ce dernier était une partie inhérente du fonctionnement même du Fasicarius. 23 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi, rares étaient les repenteurs pouvant avoir l’occasion de monter à bord d’un vaisseau du Fasicarius. Chacun des cénacles comportait différentes parties hiérarchisées. Du plus bas au plus haut de l’échelle ces dernières étaient : le vestibule, le palier, l’antichambre et le sénat. Ce dernier, qui comportait en son sein les assassins les plus doués et les plus sages, était chargé d’analyser les requêtes que leur envoyaient les autres corps de la machine repentrice. Les membres de ce conseil jugeaient en effet si la cible était assez importante et dangereuse pour que l’aide sollicité soit accordé. Si la requête était acceptée, on mettait en place un dossier pour savoir quand, où, et comment le Fasicarius allait frapper. C’est de cette manière qu’on déterminait le type d’assassin qui allait être sollicité. En effet les sicaires étaient séparés en différentes classes selon leurs spécialités. Celui qu’Azilor avait face à lui en ce moment même était de classe umbramus et faisait partie du vestibule du Concilium Amphitheatrum, le cénacle le plus présent dans cette partie de l’espace repenti. Ce type d’assassin était équipé d’un pistolet à aiguillons, une arme assez répandue chez les sicaires et pouvant tirer différents types de projectiles empoisonnés, ici de la locustine. Le membre du Fasicarius était aussi équipé de grenades lux et d’un naprik, une lame courte, extrêmement effilée et recourbée. C’était l’arme que tout sicaire se devait de porter sur lui, même s’il ne s’en servait pas forcément. Elle était en effet un des symboles le plus importants du Fasicarius. Le naprik représentait ce qu’étaient les sicaires chez les repenteurs : des redresseurs de torts. Selon ces derniers quand la justice luminante avait du mal à s’imposer sur le destin humain, le naprik était là pour l’établir. Le sicaire de classe umbramus salua donc d’un hochement de tête le sergent Azilor, sans ajouter un seul mot. Le sergent comprit ce qu’il avait à faire et se mit rapidement à l’œuvre en scindant son escouade en trois groupes distincts. 24 La Genèse de l’Apocalypse Les deux premiers comportaient un peu moins d’une vingtaine d’hommes en tout, tandis que le troisième prenait premièrement la forme d’un indispensable coordinateur, un soldat portant un paquetage radio. Au côté du coordinateur se tenait un soldat armé d’un harvarder, un modèle de lance-flammes classique chez les repenteurs. Venait finalement Bâtard, qui était toujours là pour épauler Azilor. Ce dernier avait d’abord servi de simple troufion au sergent, mais les deux repenteurs étaient rapidement devenus d’inséparables amis. Il avait été appelé comme ça car Azilor l’avait trouvé laissé pour mort au milieu d’un charnier. Le sergent l’avait aidé et pris sous son aile. Traumatisé à cause du choc, il n’aurait pas fait long feu tout seul. Bâtard avait par la suite sauvé plusieurs fois la vie d’Azilor et ils devinrent indissociables l’un de l’autre avec le temps. Bâtard était équipé d’un canon radius redspray ainsi que de deux onéreuses grenades MR, de son nom complet metal ripper. Ce type de grenade était, comme son nom l’indiquait, parfait pour percer le blindage d’un véhicule ou souffler un retranchement. Le sicaire de classe umbramus alla se terrer dans le bâtiment poussiéreux de la Snac tandis qu’Azilor positionnait rapidement ses forces. Lui et ses soldats en position, le cœur d’Azilor fut alors parcouru d’un vague d’appréhension. En effet, si les légendes n’avaient pas été trop exagératives, les usurpateurs étaient de coriaces guerriers ; terriblement coriaces. Les repenteurs en place n’avaient plus qu’à attendre que les usurpateurs passent devant eux et que le piège se referme… « Ça y est on y est ! Il est là, dans ce bâtiment, expliqua Krag le carmin. — Alors allons-y ! Ne perdons pas de temps ! » Zabyss le flamboyant et Krag le carmin entrèrent donc dans la Snac de leur pas lourd et rapide… 25 La Genèse de l’Apocalypse « Ils arrivent. Je répète ils arrivent, chuchota le coordinateur. — Laisser les entrer, ordonna Azilor. Je sais pas pourquoi ils rentrent ici mais tant mieux. On va les prendre en sandwich », conclut le sergent… À peine avait-il dépassé le seuil de la porte que Krag eut un mauvais pressentiment. Il ne se trompait jamais, et là ça puait l’embuscade. Il fit signe à Zabyss de ne pas faire un bruit. Ce dernier acquiesça, sortit ses deux blazing eagles et aiguisa ses sens en vue d’un combat proche. Ils prirent l’escalier avec précaution, couvrant tous les angles. Il n’y avait aucun signe des supposés ennemis. Au bout d’une vingtaine de pas dans les rayons poussiéreux, des armes sortirent des recoins une dizaine de mètres devant eux. Krag et Zabyss firent alors simultanément une roulade de chaque côté des tirs. « J’en dénombre une vingtaine, dit Krag. Prends-les à droite, moi à gauche. — Bien reçu ! cria Zabyss au milieu des tirs qui fusaient déjà dans leur direction et faisaient monter la température ambiante. » Les protecteurs répondirent un instant plus tard, tandis qu’une odeur insupportable de cramé monta aux narines des deux groupes de tireurs. Les protecteurs délivraient un feu croisé, se couvrant mutuellement. Les repenteurs avaient une puissance de feu considérable, empêchant les protecteurs de viser correctement. Krag fit signe à Zabyss de préparer des grenades BB, plus communément nommé double B. De son nom complet bone breaker, c’était la grenade à fragmentation classique des forces armées repentrices. Krag jeta donc deux grenades le plus fort qu’il pût, sans prendre le risque de viser. Le flamboyant en jeta deux lui aussi, avant de charger au milieu de la fumée dans un cri de guerre destiné à l’homme pour lequel les protecteurs se battaient tous. 26 La Genèse de l’Apocalypse Krag sortit de derrière son rayon et lâcha un tir de couverture sur les deux positions ennemies avec un nombre égal de canons radius redspray. Alors qu’il chargeait ses ennemis retranchés Zabyss fit grogner Écorchegloire, une fine tronçonneuse se maniant comme une épée, au milieu du bruit ambiant. Il arriva au couvert de droite, où trois soldats ennemis étaient déjà déchiquetés. Il commença alors le massacre, coupant en deux plusieurs repenteurs à chaque mouvement, ces derniers apeurés et surpris ne pouvant rien faire. Krag sortit à son tour son marteau et attaqua l’autre position ennemie. Ici les repenteurs ne dénombraient presque aucun mort mais tous essayaient frénétiquement de retirer les bouts de métal en fusion ayant traversé leurs tenues pour se ficher dans leur chair. Un cri de terreur accompagna le premier coup de la poigne du Concasseur, écrasant un repenteur comme un vulgaire insecte et faisant gicler du sang sur le heaume du protecteur. Le deuxième se prit un coup retentissant dans l’épaule, ce qui l’envoya sur la tronçonneuse de Zabyss dans un bruit de craquement d’os. Les huit survivants commencèrent alors à partir en courant vers les escaliers, terrifiés. Pendant que Krag rangeait soigneusement son arme dans son dos, Zabyss sortit ses deux blazing eagles et commença à tirer dans la direction des fuyards. Il tua quatre des huit soldats en fuite avant qu’ils ne soient hors de vue derrière les escaliers en colimaçon. « Va chercher l’insongeable, dit Zabyss. Je m’occupe des fuyards. — Ok », répondit une voix décidée à travers un heaume dégoulinant de sang. Pendant que Zabyss descendait avec précaution, Krag se dirigea vers la terrasse. Il arriva jusqu’au signal et ramassa, étonné, ce qu’il comprit comme étant la boussole de l’insongeable, posée simplement à même le sol… 27 La Genèse de l’Apocalypse Le sicaire de classe umbramus sortit de sa cachette et arma son pistolet à aiguillons tandis que la proie tombait dans son piège. Il appuya finalement sur la gâchette, lui plantant l’aiguille dans le cou. Le sicaire s’approcha ensuite discrètement pour l’achever de sa terrible lame… « Zabyss ! » cria Krag, on est tombé dans un piège ! Il était pas là, y avait que sa boussole. Le silence fut sa seule réponse. « Zabyss, t’es où ? » s’inquiéta le protecteur. Après plusieurs secondes sans réponse, Krag sortit un de ses canons redspray de son étui et se prépara au pire. Il arriva en courant au niveau de l’escalier. Quand il descendit la première marche, une aiguille ricocha sur le haut de son épaulière. Il sauta immédiatement sur la droite, tirant à l’aveuglette pendant que deux autres aiguilles ricochaient sur son casque. Le carmin toucha d’un coup de chance une silhouette à moitié dans l’ombre. Cette dernière, qu’il reconnut comme étant celle d’un sicaire, tituba en criant et essaya de dégoupiller une grenade. Krag lui administra tout ce qu’il pouvait en radius tandis que l’assassin hurlait de toutes ses forces, sa fine tenue en tissu thermoréplétif fusionnant avec sa peau. Quand il enleva son doigt de la gâchette, le sicaire ne ressemblait plus à rien, le tissu de sa tenue ayant fondu sur sa chair. Krag se dirigea en courant vers Zabyss, étendu immobile en bas des escaliers. « Merde ! lâcha-t-il en enlevant l’aiguille qui avait traversé le tissu thermoréplétif au niveau du cou de Zabyss. De la locustine ! ajouta-t-il en observant de plus près l’aiguille. On va attendre ici que les effets s’atténuent. » Krag alla fouiller ce qui restait du sicaire et prit ses deux grenades lux, dont une étant coincée dans la main fondue de ce dernier. Les grenades lux étaient des grenades flash classiques, sur lesquelles était peint l’œil du créateur. Il tira ensuite Zabyss vers le fond, le cachant comme il pouvait entre deux rayons vides… 28 La Genèse de l’Apocalypse Les quatre repenteurs arrivèrent au deuxième étage du bâtiment par les escaliers. « Où sont les autres ? demanda leur supérieur au visage rougeoyant de fureur. — Tous morts ! répondit un des quatre. — Bordel de merde ! Bande d’incapables ! Si vous aviez bien fait votre boulot ces salauds seraient venus à nous ! Bon, ajouta Azilor sur un ton plus calme. Restez ici, on va attendre qu’ils sortent. — À vos ordres sergent ! » lâcha un des fuyards content de ne pas être renvoyé au charbon… Zabyss commençait à pouvoir bouger les paupières et ses doigts de pied, ce qui était un bon début. Pendant ce temps Krag était assis sur un carton qui s’était aplati sous son poids, du sang dégoulinant de son armure. « Bordel, comment on va faire pour savoir où il est maintenant ? On n’a même pas de survivant à « questionner » ! Si j’avais su, j’y serais allé moins fort avec la poigne du Concasseur. » Cette dernière réplique fit sourire Zabyss, qui commençait à pouvoir bouger ses lèvres mais pas sa langue engourdie… Azilor faisait les cent pas, trouvant l’attente insupportable. « Bordel, pourquoi ça se passe pas comme prévu ! — Ils sont peut-être en train de panser leurs blessures, supposa Bâtard. — Enfin quelqu’un d’intelligent. Merci Bâtard. Vous quatre, dit-il en désignant les survivants de l’embuscade, Allez les buter ! Tout de suite ! Et soyez efficace cette fois ! — Mais… objecta un des quatre hommes dont le bras était en charpie. Azilor lui logea une balle dans la tête en guise d’unique réponse. — Exécution ! lâcha le sergent, à la fois furieux et stressé. » Les trois pauvres soldats partirent en courant vers leur objectif. « Les autres préparez-vous ! » ajouta sèchement Azilor… 29 La Genèse de l’Apocalypse Zabyss faisait péniblement bouger son corps tout fourmillant, lorsque Krag reprit la parole. « Y a du mouvement dehors, prépare-toi si tu peux ! » Zabyss, qui avait l’impression d’avoir troqué ses mains contre des moignons, sortit péniblement un de ses blazing eagle de son holster. Trois repenteurs arrivèrent en hurlant dans le hall de la Snac en tirant dans tous les sens, la folie et la peur dans les yeux. Zabyss rata sa cible à cause des contractions incontrôlables de ses muscles et fit exploser une voiture abandonnée garée devant la Snac. Krag troua littéralement les trois premiers repenteurs de radius avant de tirer dans les jambes du quatrième, ce qui eut pour effet de quasiment sectionner sa jambe gauche. Le repenteur dont la vie et la jambe ne tenait plus qu’à un fil s’écroula, hurlant à s’en arracher les poumons. « Où est l’insongeable ? demanda-t-il d’une voix lente et autoritaire alors que l’homme lâchait un hurlement de douleur. — Quoi ? lui répondit en premier lieu le soldat au visage déformé par la douleur. — L’homme qui portait la boussole à son poignet ! Où il est ? ajouta le protecteur en secouant le repenteur presque mort. — Euh… Au… reflet ! répondit avec douleur et révulsion le soldat dont la bouche dégoulinait de sang. — Merci », remercia Krag dont le calme contrastait avec les cris de douleur du repenteur. Le carmin le fit taire en lui écrasant la face avec sa lourde botte renforcée, faisant gicler du sang aux alentours. Krag se dirigea ensuite vers Zabyss, dont les muscles avaient cessé de se contracter. « Comment ça va ? — Mieux ! Je me sens moins impuissant maintenant. On va au reflet du coup si j’ai bien compris ? — Ouais, lui répondit simplement le carmin. — Tu sais où c’est ? — Oui ne t’inquiète pas pour ça. 30 La Genèse de l’Apocalypse — Je suis avec toi mon frère », lâcha Zabyss avant de se relever et d’emboiter le pas du carmin… « Ils sortent ! » cria le coordinateur. Les soldats entourant Azilor tirèrent alors immédiatement une salve vers l’autre bout de la rue… Quand Zabyss fut touché par un inoffensif radius au niveau de l’épaule, il sauta immédiatement derrière le reste de la voiture qu’il avait fait exploser un instant plus tôt, suivi de près par des radius et une venimeuse langue de feu. Quand la salve cessa, les deux protecteurs sortirent de leur couvert entouré de flammes pour délivrer à leur tour une salve tonitruante d’animosité… « Bordel de merde ! Butez-moi ces connards ! Et appelez des renforts ! » cria Azilor à couvert pendant que les tirs adverses arrosaient leur position. Ces douces paroles furent les dernières qu’entendirent le soldat armé du harvarder. En effet une balle de blazing eagle vint traverser de part en part le petit réservoir en forme de bonbonne alors que le repenteur allait se mettre à couvert, le faisant exploser et transformant le soldat en torche humaine. L’action noya le coordinateur adjacent dans un torrent de feu et de métal, détruisant par la même occasion sa radio. Un mélange organique et brulant gicla sur les deux repenteurs survivants postés plusieurs fenêtres sur la gauche. « Et merde, je crois qu’il reste plus que nous. On va devoir se replier. Jette une grenade dans l’escalier pour en condamner l’accès. Je vais essayer de trouver une sortie par le toit » Bâtard s’exécuta, et une seconde plus tard l’explosion résonna dans la rue et emplit leur position d’un nuage de poussière… 31 La Genèse de l’Apocalypse Une explosion retentit alors dans l’immeuble où était logé l’ennemi, envoyant de nombreux débris dans la rue. Un bruit d’effondrement ne tarda pas à se faire entendre, créant un grand nuage de fumée autour de l’immeuble « C’est quoi ce bordel ? — Je sais pas, on dirait qu’ils condamnent l’accès. Ils doivent plus être assez pour oser un combat frontal, lâcha le carmin d’un ton cynique. — Ouais il doit en rester qu’une poignée. C’est vraiment des sacs à merde ces repenteurs. — Par contre, je ne sais pas du tout par où ils vont partir. Mieux vaut s’en occuper au plus vite, j’ai pas envie de me faire tirer dans l’cul ! — T’as raison. Le problème c’est que je sais pas par où on pourrait passer. — Suis moi on va pas s’emmerder, on a qu’à monter dans l’escalier du bâtiment d’à côté, et rentrer dans l’immeuble par le haut. — Je te suis », acquiesça le flamboyant sur les pas du 25ème protecteur… Azilor et Bâtard montaient les escaliers en courant, laissant leurs empreintes dans la poussière. « Pourquoi y ont pas d’ascenseur bordel ! Ils connaissent pas la technologie ou quoi ? — Trop cher ! ricana Azilor. De toute façon y a pas d’électricité ici. — On a intérêt à se bouger si on veut pas mourir. Ces deux-là sont des coriaces ! — J’avoue qu’on s’est attaqué à un trop gros morceau cette foisci. Quand je vais raconter ça au balafré, il va pas me croire tout de suite. — C’est sûr, répondit Bâtard en ouvrant la porte qui menait au toit. On sort par où ? — Là-bas, répondit Azilor en désignant la porte la plus proche, c’est le plus près. » 32 La Genèse de l’Apocalypse Ils avaient fait quelques pas sur le toit quand une autre porte, quelques dizaines de mètres sur leur gauche, sortit de ses gonds avec fracas. Les deux repenteurs sortirent leurs armes par réflexes. Une silhouette se dessina alors dans l’encadrement, aussi étonné que les deux soldats. Elle essaya de dégainer un de ses deux canons radius redspray mais les repenteurs furent plus rapides, délivrant une salve soutenue de radius et de balles de basaltic eagle qui força la silhouette à disparaitre derrière la porte. « Vas-y, je te couvre. — Ok », acquiesça Azilor. Une dizaine de mètres séparait leurs positions d’une autre porte qui menait à des escaliers. Pendant qu’Azilor sprintait comme un effréné, la silhouette en cuirasse de trinitium essaya en vain de toucher les repenteurs tandis que le canon radius redspray de Bâtard renvoyait le guerrier se terrer dans l’ombre. « Vas-y je te couvre ! » lâcha Azilor arrivé à destination. Bâtard mit aussitôt son canon radius redspray en bandoulière et commença à sprinter aussi vite qu’il pouvait, entouré par les radius et les balles des deux ennemis en train de se tirer dessus. Une autre silhouette sortit à son tour de l’ombre en positionnant devant elle une porte comme si c’était un bouclier. La première silhouette rougeoyante sortit de l’encadrement de la porte et se cacha derrière son homologue. Alors qu’Azilor rechargeait son arme l’imposante silhouette tira avec ses deux canons radius redspray en direction du repenteur en train de courir, délivrant une véritable pluie de radius. La plupart des tirs frôlèrent le soldat, mais quelques-uns transpercèrent légèrement le tissu thermoréplétif de l’uniforme de Bâtard. Le choc le propulsa dans les airs et le fit arriver violemment sur Azilor. Le soldat atterrit brutalement dans les escaliers la tête la première. Son ami de toujours se releva et le tira rapidement vers le bas des marches. Arrivant à se relever, Bâtard, à moitié assommé, dégoupilla et lança sa dernière grenade en direction de la sortie menant sur le toit. 33 La Genèse de l’Apocalypse La grenade rebondit sur plusieurs marches et l’explosion les envoya tous deux s’écraser contre le mur le plus proche… Krag accéléra vers la position de leurs ennemis tandis que Zabyss jetait en contrebas le bout de porte comme si c’était un vulgaire bout de carton. C’est alors qu’une terrible explosion retentit, suivie d’un petit bruit d’effondrement. « Putain ! Cria Krag, ils en ont combien des grenades ? — Encore ? Ça commence à me souler cette histoire, on n’est pas censés aller chercher l’insongeable ? — Oui, t’as raison, et de toute façon s’ils se barricadent c’est qu’ils croient qu’on va les poursuivre. Si on part, ils ne vont pas nous chercher. Allons-y avant qu’il soit trop tard. » Sur ces mots les protecteurs abandonnèrent leur actuelle besogne pour accourir vers le reflet d’Azur… 34 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 2 : Retaliation / Confrontation / Infiltration / [9 Cruciamentum an 13 ; Terre] S se réveilla, avec un mal de crâne digne de la pire des méningites. Il avait l’impression que chaque seconde un géant lui donnait un coup de massue sur la tête. Il avait les bras et les pieds attachés à une chaise en métal, coincé qu’il était dans une position inconfortable. S s’énerva contre la chose ou la personne qui avait déjoué sa vigilance, sans savoir de quoi il pouvait bien s’agir. La nuit venait de tomber, d’après ce qu’il voyait à travers la baie vitrée devant lui. Une silhouette noire apparue entre lui et la vitre. Elle alluma la lumière, dévoilant son affreux visage balafré. L’homme, de taille moyenne et doté d’une musculature développée, avait des cicatrices plein le visage. Son crâne était rasé et une barbe de trois jours cachait une ou deux petites blessures de guerre. Dévoilant sa dentition d’assassin, il entama la discussion. « Alors comme ça c’est toi le sujet 33 ! J’aurai cru qu’on aurait plus de mal à t’attraper, faut croire que le complexe 15 t’as un peu surestimé. Tu pensais vraiment arriver à la cathédrale Notre Dame sans encombre ! se moqua-t-il en agitant devant les yeux de l’homme le tube en bois contenant le jalon de l’éveil. Des mecs du complexe 15 te veulent et je vais te livrer sur un plateau d’argent, ajouta le repenteur alors que S bougeait son cou de gauche à droite, sentant que son amulette était encore en place. — Le complexe 15 ? C’est quoi le rapport avec moi ? demanda l’intéressé qui ne comprenait pas. — Comment ça c’est quoi le rapport avec moi ? Tu ne sais pas pourquoi on t’en veut ? s’indigna le repenteur. — Euh non, répondit sincèrement S avec l’impression d’avoir raté quelque chose. — Tant mieux ! » ricana l’homme. 35 La Genèse de l’Apocalypse À ce moment-là un soldat arriva en courant et ouvrit la porte. « Mandataire ! Les dépravés nous attaquent ! — Quoi ? bordel mais qu’est-ce qu’ils nous veulent ces cons-là ! jura l’homme. Combien sont-ils ? — Je dirais environ une centaine, Mandataire. — Par où peuvent-ils rentrer ? — Toutes les entrées sont condamnées à part l’entrée principale et l’entrée douze. — Ok. Mettez quatre escouades aux étages, les illuminés devant l’entrée principale, deux escouades à l’entrée douze et deux en bas des escaliers principaux. Préparez mon escouade de commandement ! conclut-il en jetant le tube en bois contenant le jalon de l’éveil dans un coin de la pièce. — À vos ordres Mandataire. » Les deux hommes partirent ainsi au pas de course, laissant S perplexe. Il avait déjà eu affaire aux dépravés auparavant. Malgré leurs différences physiques frappantes, ils étaient comparables aux humains sur quasiment tous les points. Les dépravés formaient des tribus régies par des règles strictes, s’efforçant de se battre loyalement dans un univers où tout était permis. Ils étaient en général neutres et défendaient simplement leur territoire, mais les repenteurs qu’ils combattaient farouchement étaient une des exceptions. Le fait était que ces derniers exterminaient tout ce qu’ils trouvaient contre nature. Il paraissait donc logique qu’avec le temps les dépravés devinrent rapidement des ennemis des repenteurs, et vice versa. Finalement un soldat resté seul dans la pièce s’approcha promptement de S et lui assena un violent coup de crosse, envoyant directement l’homme dans l’abime… Gralug faisait tourner sa bague noueuse autour de son doigt. Il se demandait s’il avait fait le bon choix d’emmener presque tous les membres de sa tribu au combat, malgré leur envie insatiable d’en découdre avec les repenteurs. 36 La Genèse de l’Apocalypse Il était l’Hégémon des dépravés sévissant dans une zone à l’intérieur de Cannes et aux alentours. Ce sanctuaire envahi par la nature était nommé par les dépravés l’enfer Verdoyant. Les repenteurs l’avaient humilié en réduisant en poussière une partie sacrée de son territoire et en brulant vif nombre de ses frères et sœurs. Ils étaient ensuite partis comme si de rien n’était, ne laissant comme toujours que terre brulée derrière eux. Il se devait de faire payer cet affront aux repenteurs de la région en lavant son honneur et celui de sa tribu dans le sang de ses ennemis. Il avait pendant le temps qui suivit rassemblé ses troupes survivantes et dispersées pour la contre-attaque. D’après les informations des veilleurs, il savait qu’il n’y avait que deux entrées accessibles. Il attaquerait par l’entrée principale pour un problème d’espace. Lui et un groupe de ses plus fidèles guerriers prenaient position à couvert pendant que le reste de sa tribu se préparait à attaquer. Il était en premier lieu entouré du brameur de l’enfer Verdoyant. Ce dernier était le plus puissant guerrier de la tribu et était à la fois le musicien et le champion de cette dernière. Il était armé de l’icône bigarrée, une longue lance dont le bout tranchant était entouré par des plumes de différentes couleurs. Elles entouraient la partie en métal de l’arme, où elles se reflétaient dans une myriade de vifs reflets. Il avait aussi revêtu la coiffe cornue, comme il était d’usage en temps de guerre. Ce voile de couleur bleu nuit en tissu était troué au niveau de la bouche et des yeux. Une corne servant de cor de bataille était accrochée de chaque côté de sa tête. Un mélange bricolé de caoutchouc, de morceau de tuba de bois et de masque à gaz reliait les deux cors directement à sa bouche. Trois garançons et un soigneur se tenaient eux aussi aux côtés de leur Hégémon. 37 La Genèse de l’Apocalypse Les garançons étaient les gardes du corps du chef de la tribu. Leurs visages et leurs corps presque nus étaient peints en rouge pour détourner du chef de tribu l’attention des ennemis. Malgré leur mépris des armes à feu, ces trois guerriers s’étaient armés de fusils mitrailleurs pour pouvoir mieux défendre Gralug en cas de besoin. Le souffle bestial du brameur lança finalement l’attaque, et alors que la plupart des dépravés se ruaient vers l’ennemi, quatre snipers prirent place à côté de l’Hégémon… À peine les escouades étaient-elles en place qu’un cor sonna, suivi de la charge du reflet d’Azur par la masse grouillante. « À toutes les unités, cria le Mandataire par le biais de son coordinateur. Feu ! » Une myriade de rayons rouges soutenus par quelques grenades illumina aussitôt la façade du reflet. Les dépravés ripostèrent, mais de façon plus hétéroclite et dispersée, ces derniers tombant par dizaines, tandis que seulement quelques repenteurs étaient touchés. Une vingtaine de secondes plus tard, les dépravés arrivèrent en haut des marches de l’escalier principal et furent accueillis par une terrifiante escouade d’illuminés. Les illuminés avaient été autrefois des hommes au service direct de l’Église repentrice, pour la plupart des moines. Le point commun de tous les illuminés résidait dans le fait qu’ils avaient tous eu une vision dans un songe à un moment de leur vie. Ainsi lors d’un court instant une vision omnisciente et véritable de l’univers avait empli leur esprit, permettant à leur conscience d’effleurer l’absolu. Cette surcharge de connaissance et d’énergie pure, si elle ne les tuait pas sur le coup, les rendait pour la plupart fous. Restant ainsi en état de choc mental pour le restant de leur vie, ils ne pourraient plus s’exprimer de quelque manière qu’il soit. Parallèlement, ils gardaient un point de vue assez omniscient du monde. Ils intégraient alors les illuminés, où ils pouvaient continuer à servir l’Église repentrice d’une autre manière. 38 La Genèse de l’Apocalypse Leurs yeux et langues étaient arrachés, pour qu’ils gardent pour eux ce qu’ils avaient vu l’espace d’un instant éternel. Des globes oculaires factices et laiteux étaient fichés là où se trouvaient auparavant leurs yeux, ce qui créait souvent un sentiment de malaise chez l’ennemi. Ils combattaient tous avec une carnificatrix, une imposante tronçonneuse qui ressemblait et se maniait de la même manière qu’une lame à deux mains. Le bourdonnement de cette arme que les illuminés maniaient à la perfection était bien souvent la note de tête d’un combat au corps à corps qui préludait de peu une note de cœur plus cuivrée. Ils portaient un pagne peint de l’œil rouge comme seule armure, prouvant ainsi qu’ils n’avaient pas besoin d’artifice pour vaincre l’ennemi. De grosses plaques de suprastrum étaient posées sur leurs tronçonneuses, permettant de renvoyer la plupart des radius les visant grâce à leur ouïe inouïe et à la propriété réfléchissante de ce métal. C’est ainsi ce qu’ils firent lorsque les dépravés furent face à eux, juste avant que le carnage ne commence. Les illuminés moissonnaient les dépravés d’amples coups qui tuaient plusieurs ennemis à la fois tandis que ces derniers les assaillaient de toute part. Les deux belligérants se livraient un combat acharné, l’un porté par la foi divine et l’autre par le désir de vengeance. Malgré cela, la dizaine d’illuminés dominaient le combat. À ce moment de la bataille seul un illuminé était tombé alors que plus d’une dizaine de dépravés gisait déjà sur un sol ensanglanté… Pendant que le combat faisait rage un des snipers repéra un gradé ennemi. « Hégémon, j’ai votre homologue en joue. — Ok. Vous trois, prenez chacun un ennemi autour de lui ! »… Le balafré, de son vrai nom Blizna, était un Mandataire de la milice repentrice. 39 La Genèse de l’Apocalypse Normalement doté de plusieurs centaines de soldats son bataillon avait pris un sacré coup lors d’une bataille quelques jours plus tôt, quand de retour vers leur garnison à l’aéroport CA II ils avaient été pris en embuscade par une coalition de bandits et autres malfrats. Déjà émoussé par les semaines passées, son bataillon s’était sorti de la bataille avec à peine plus de cent soldats vivants. Le balafré avait ensuite eu pour ordre de tenir une tête de pont au reflet d’Azur pour au moins dix jours, pour renforcer la côte contre les pirates et servir d’avant-poste d’observation. Ses hommes l’appelaient tous par son surnom, ce que le balafré préférait. Il commandait le 45ème bataillon de la 33ème Légion et avait pour ordre de tenir sa position à tout prix, et contre tout ennemi. Suivi de près par son escouade de commandement, il se dépêcha d’aller rejoindre ses hommes en plein combat contre les dépravés. Sa suite était composée en premier lieu d’un alfier, porteur de l’étendard de bataillon, et de deux marcheurs solaires. Ces soldats lourdement armés étaient protégés par une cuirasse de trinitium. Ces armures donnaient à leurs porteurs une résistance à toute épreuve couplée à une allure de géant. Le trinitium était composé d’un mélange entre deux éléments parmi les plus durables, résistants et denses, auxquels s’ajoutait un troisième élément servant à faire le lien entre le tout. La forme du triangle était assez représentée sur leurs armures, comme par exemple au niveau de la forme des jambières et des coudières. En dessous de leur cuirasse les marcheurs solaires portaient une tenue en tissu thermoréplétif sombre qui leur donnait une protection supplémentaire contre les armes radius. Dans certains endroits stratégiques comme le dos ou le dessous des épaulières, des aimants ronds étaient cramponnés à la surface de la cuirasse. Puissants, ils permettaient d’y aimanter, par exemple, des chargeurs ou un paquetage en métal que certains des marcheurs solaires utilisaient pour transporter du matériel encombrant. 40 La Genèse de l’Apocalypse Les marcheurs étaient le fer de lance de l’Oculus, qui détachait quelques fois des éléments pour venir en aide à d’autres forces repentrices. Un saculator et un coordinateur complétaient finalement le groupe qui entourait le balafré. Les saculators, dont le nom venait de la contraction entre sacer et speculator, étaient tout comme les illuminés des unités sous les ordres de l’Église repentrice. Leur différence avec ces derniers était simple. En effet les saculators avaient survécu à leur vision sans devenir fous, ce qui leur permettait de mieux utiliser leur don d’omniscience. Les saculators se servaient par exemple de leurs dons pour prévoir les attaques ennemies visant leurs protégés. Ils servaient ainsi surtout de boucliers humains aux gradés, mais ceux qui survivaient assez longtemps pour affiner leur art pouvaient prévoir des choses plus grandes et casser les barrières du temps lors de leurs visions divinatoires. Tout à coup, alors que toute l’escouade marchait d’un pas de course, le jeune saculator s’arrêta. Il se concentra l’espace d’une demie seconde et une balle de gros calibre vint traverser la vitre pour terminer sa course dans la tête de l’homme aveugle qui venait d’effectuer un plongeon vers le Mandataire. Toute l’escouade se jeta par terre, hors champ de la vitre, tandis que trois soldats postés non loin tombaient sans vie sur un sol aspergé de sang. « À toutes les unités, cria le coordinateur dans son micro par réflexe. Il y a des snipers ! Je répète, il y a des snipers ! Ne restez pas près des fenêtres ! » Tandis que le Mandataire se relevait loin des vitres à la fois fou de rage de la vile attaque qu’il venait de subir et content d’avoir été sauvé par son fidèle saculator, les soldats mitraillant la foule d’en haut rentrèrent rapidement à l’intérieur du bâtiment. Les têtes explosées ci et là eurent pour effet de faire pencher la balance en faveur des dépravés, ces derniers n’étant plus assaillis sur tous les fronts… 41 La Genèse de l’Apocalypse « Merde ! Je l’ai raté ! jura le sniper pendant que le reste de l’unité faisait du tir aux pigeons. — Comment ça ? cria Gralug. — Aucune idée, pourtant j’avais le viseur sur lui. — Bon c’est pas grave. Restez sur le qui-vive et tirez sur la moindre tête qui dépasse, je vais aller mener notre tribu à la victoire ! » Les tireurs acquiescèrent et l’Hégémon partit au combat entouré de sa suite… « Ils vont me le payer ! cria le balafré. Ils vont comprendre leur douleur ! » Son escouade de commandement et le reste des quatre autres escouades commencèrent à descendre pour prêter main-forte à celles en contrebas, tout en prenant soin de rester hors de vue des snipers… Gralug venait de rejoindre sa tribu dans la tornade de rage et de sang dont l’œil se trouvait en haut des marches du reflet d’Azur. Le dispositif de la coiffe cornue amplifiait le souffle du brameur, signalant aux dépravés que leur Hégémon était à leurs côtés. Ses guerriers étaient toujours enlisés dans un combat contre les illuminés. Il ne restait déjà plus qu’une soixantaine de dépravés, tandis que deux illuminés tenaient encore debout. Un des deux rampait, ses deux jambes en charpies, tandis que l’autre n’avait toujours pas l’ombre d’une blessure. Le premier se prit soudainement une balle dans la tête tandis que Gralug jetait sa hache sur le deuxième, de dos, qui se retourna trop tard pour dévier l’arme du guerrier. Cette dernière se planta dans la clavicule gauche de l’homme et lui arracha un cri muet. Gralug tira vite une balle de son colt haterson dans la tête de l’homme aveugle alors que l’illuminé essayait d’enlever la hache de son corps. Gralug poussa un cri de victoire en reprenant son arme sur le corps de son ennemi et 42 La Genèse de l’Apocalypse s’élança dans l’escalier en contrebas, suivi de près par sa tribu désormais galvanisée. Deux pauvres escouades essayèrent vainement de réorganiser leurs rangs avant de se faire sauvagement charger. Gralug décapita le premier ennemi sur sa route tandis que ses gardes du corps aux visages rouges donnaient de brutaux coups de crosse dans le tas… « C’est quoi tout ce bordel ?! jura Krag. — On dirait une bataille. — T’as raison. Regarde devant toi, à deux cents mètres ! — Des snipers, hocha Krag. Profitons qu’ils ne nous aient pas remarqués pour frapper les premiers. » Ainsi, les deux protecteurs s’élancèrent le plus discrètement qu’ils purent vers la position des tireurs… Tandis que tous les dépravés se bousculaient en bas de l’escalier pour massacrer les soldats de la milice, un cri de guerre retentit. La horde n’eut pas complètement le temps de se retourner pour faire face aux repenteurs arrivés en renfort et ces derniers criblèrent la horde de tirs. Les dépravés essayèrent désespérément de charger les soldats ennemis, mais les tirs étaient trop nombreux et les clouaient sur place… « Exterminez-les ! » cria le balafré tandis que le soldat à sa gauche s’écroulait, un javelot en travers du torse. Les dépravés désespérés jetèrent tout ce qu’ils avaient comme projectiles, tout en avançant vers leurs ennemis jurés. L’alfier fut projeté en arrière, planté par une hache à deux mains. Le soldat qui essaya de le rattraper et un soldat adjacent furent tous deux déchiquetés par une grenade, et ce fut le Mandataire lui-même qui reprit finalement l’étendard de son bataillon. « Chargez ! » ordonna le balafré. L’ordre fut exécuté et les repenteurs chargèrent dans la masse, les marcheurs solaires en première ligne. 43 La Genèse de l’Apocalypse Entourés des deux massifs marcheurs, le balafré et ses hommes ouvrirent une brèche dans la force ennemie. Soutenus par les tirs assourdissants du clairon pourpre de leur Mandataire montrant l’exemple, les repenteurs se battaient sauvagement et ne lâchaient rien. Les deux dieux de la guerre qu’étaient les marcheurs solaires repeignirent rapidement leurs armures avec le sang de leurs ennemis. Ainsi pendant que l’un se servait d’un dépravé comme bouclier humain et tirait au-dessus de son épaule, l’autre avait ramassé une hache et dirigeait ses moulinets mortels sur les dépravés qu’il méprisait du plus profond de son être… Le sniper le plus proche des protecteurs se prit une balle flamboyante dans la tête tandis que les canons radius redspray de Krag noyaient le reste des tireurs dans une pluie rouge, les tuant tous en quelques secondes. « Bon boulot, félicita Krag le carmin. — Merci répondit Zabyss. C’est pas que je suis peureux, mais on va se faire plomber si on rentre par devant. — T’inquiète pas, je connais bien cet endroit. Y a une autre entrée par la gauche. — Dans ce cas je te suis. » Ainsi, ils se dirigèrent au pas de course à la rescousse de l’insongeable qu’ils avaient fait serment de protéger jusqu’à leur dernière goutte de sang… Gralug bousculait ses frères et sœurs pour arriver au front lorsqu’un dépravé se fit couper en deux devant lui, révélant ainsi un des deux marcheurs solaires dont l’armure orangée imitant la surface du soleil était dégoulinante de viscères. Le chef et ses garançons l’entourant tirèrent instinctivement sur l’ennemi en armure, ce qui attira l’attention de ce dernier vers eux. Alors qu’il se dirigeait vers Gralug d’un par presque lent, le brameur sortit de nulle part et intercepta le marcheur solaire. Il planta son icône dans le cou du guerrier. 44 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier arracha l’arme dans un geyser de sang et la lança en direction du brameur, qui l’esquiva. Le garançon derrière lui n’eut pas autant de chance et se fit littéralement traversé par l’arme qui finit sa course dans un repenteur à genoux en arrière-plan. Déconcentré par les cris du porteur d’icône bourdonnant dans ses oreilles le marcheur solaire devint fou de rage et tira dans tous les sens avec son prisme solaire. Un dard de feu frôla l’épaule de l’Hégémon et il tituba de douleur. Tandis qu’on s’efforçait de tirer Gralug hors du combat, un dépravé coupé en deux voltigea de droite à gauche et révéla l’autre marcheur solaire. Ce dernier envoyait des coups de fustis, l’arme contondante des marcheurs, dans tous les sens en pleine folie meurtrière. Le guerrier arriva en courant vers son frère, bousculant les combattants alentour tandis qu’une grenade explosait non loin de lui, faisant voler du shrapnel dans toutes les directions. Le guerrier qui tirait en arrière Gralug mit en joue le marcheur solaire et lui logea une balle chanceuse à l’arrière de la cuisse, à la jointure de son armure. Du sang coulait abondamment de sa blessure et, complètement fou, le marcheur solaire aux lentilles bleu nuit jeta son arme sur un dépravé proche. Empalé par le fustis du membre de l’Oculus, le guerrier s’écroula sans vie devant son Hégémon impuissant. Le marcheur solaire sauta ensuite dans le tas pour récupérer son arme de corps à corps qui ressemblait à un gourdin d’acier, ses poings coupants rencontrant les dépravés qui essayaient de protéger leur chef. Il écrasait des crânes, cassait des jambes, lacérait des torses tandis que les dépravés l’encerclaient peu à peu ; l’épuisant à coup de crosses et autres armes de corps à corps. L’Hégémon allongé essayait quant à lui de mettre en place un point de ralliement au milieu de ce chaos… 45 La Genèse de l’Apocalypse Blizna avait vu un des puissants guerriers de l’Oculus périr sous ses yeux et avait alors reculé, laissant ses soldats mener le combat. Il ne lui restait qu’une vingtaine d’hommes sous ses ordres, contre une trentaine pour l’ennemi. Il donna l’étendard à un de ses soldats et fit signe à son coordinateur de le suivre. « Viens soldat, cette bataille est perdue pour nous. Nous allons activer la balise de détresse et faire notre baroud d’honneur, on n’a plus le temps d’appeler des renforts. » L’intéressé acquiesça et ils s’esquivèrent au milieu du chaos ambiant, laissant les derniers repenteurs couvrir leur retraite… Le soigneur arriva enfin au niveau de Gralug, suivi par le brameur. Il sortit une crème qu’il appliqua rapidement sur la plaie du chef avant de la recouvrir d’un pansement mal découpé. « Ne t’inquiète pas Gralug, ça va faire diminuer la douleur et ça va reconstruire les tissus plus vite. — Merci Agiex, acquiesça Gralug avec douleur tandis qu’il sentait avec soulagement sa blessure se refroidir. » Non loin de là le dernier marcheur solaire mourrait enfin, son armure maculée de sang et à genoux sur un tas de cadavres. Malgré tout le sang qu’il avait perdu à cause de sa blessure critique, il avait fallu qu’on lui plante une dizaine de javelots et de haches dans les jointures de son armure pour qu’il daigne mourir. Il s’écroula vers l’avant comme un poids mort, sans vie, démoralisant au plus haut point les derniers repenteurs se tenant encore debout au milieu du charnier. Il ne devait en rester plus d’une dizaine et ils essayèrent aussitôt de fuir, vite rattrapés par les tirs et les armes de lancer. Quand le dernier repenteur, deux javelots au travers du torse, tomba d’en haut des escaliers pour glisser en contrebas de ce dernier ; Gralug mit toutes ses forces dans ses jambes pour se relever. Il hurla un cri de victoire suivi par les vingt-cinq survivants de sa tribu et le son du brameur. Un des dépravés donna un grand coup de hache dans l’étendard ennemi, ce qui le coupa en deux et le fit tomber par terre. 46 La Genèse de l’Apocalypse Son dernier garançon se rapprocha aussitôt, ayant enfin retrouvé celui qu’il avait perdu de vue pendant la bataille… Krag et Zabyss arrivèrent à l’entrée douze par la gauche. Le carmin fit signe au flamboyant de ne pas faire de bruit alors qu’il longeait silencieusement le mur. Ils s’arrêtèrent à un mètre de l’entrée. Krag se rappela du sicaire, sortit les deux grenades lux qu’il avait récupéré et en donna une à Zabyss. « À trois », chuchota Krag. Zabyss hocha la tête et se prépara à dégoupiller le petit objet. Il fit le décompte avec ses doigts puis ils lancèrent tous les deux leurs grenades avec une seconde d’intervalle. Elles rebondirent dans le coin du mur pour aveugler les deux escouades de repenteurs derrière les sacs de sable. « Pour la vérité ! » lança Zabyss. S’ensuivit une pluie de radius entrecoupée de quelques balles enflammées. Les deux protecteurs sortirent ensuite leurs armes de corps à corps tandis que la dizaine de survivants retrouvaient peu à peu une vue normale. Krag fit un grand geste de son marteau à deux mains, envoyant deux repenteurs sur le mur. Zabyss empala quant à lui un ennemi, avant de subitement activer Écorchegloire, arrachant un cri de douleur mêlé de surprise à son adversaire. Un bruit de craquement d’os illustra le fait que Zabyss extrayait son arme par le bas, tronçonnant par la même occasion les parties de son ennemi. Un repenteur sur son côté essaya de lui mettre un coup de crosse mais fut aussitôt arrêté par la tronçonneuse de Zabyss dans un jet d’étincelles. Le protecteur enchaina avec un coup de pied en direction du torse du repenteur, ce qui le poussa par terre et lui fit lâcher son arme. Le protecteur l’acheva finalement d’une décapitation alors que le soldat essayait de se relever. À sa gauche, Krag lui aussi achevait un repenteur à terre, lâchant son marteau tête vers le bas sur son ennemi blessé. Alors que Zabyss tronçonnait un autre repenteur, les cinq derniers soldats prirent leurs jambes à leurs cous et sprintèrent en direction de l’ascenseur. Avant qu’ils aient complètement disparu 47 La Genèse de l’Apocalypse derrière les portes de ce dernier Zabyss réussit à en transpercer un d’une balle de blazing eagle, le tuant sur le coup. Les deux protecteurs partirent ensuite à la poursuite des repenteurs en prenant les escaliers… Le balafré sortit la balise de détresse d’un bureau, l’activa hâtivement et la cacha au-dessus du faux plafond. À la périphérie de sa vue, il vit les dépravés se rapprocher de sa salle de commandement. Un premier tir fit exploser la lampe de chevet du bureau tandis qu’il courait se mettre à couvert. « On est dans la merde Mandataire ! cria le coordinateur alors que les tirs fusaient déjà dans tous les sens. — Je sais mon gars ! » répondit le balafré, tandis qu’il cherchait une solution pour se sortir de ce merdier. C’est alors que son regard s’arrêta sur une console marquée de la livrée de l’Église machiniste. Elle était innocemment posée dans un coin de la pièce, sur une étagère de métal. « Tir de couverture ! cria le balafré derrière le couvert de fortune qui commençait à fondre. — Mais… balbutia le soldat. — J’ai dit tir de couverture ! » hurla cette fois Blizna. Il n’en fallut pas plus pour que le coordinateur s’exécute. Les dépravés, pris au dépourvu, ne réagirent pas tout de suite. Le balafré eut le temps d’atteindre sa destination et d’appuyer sur un des boutons de la console tandis que la riposte des dépravés envers le coordinateur se déclenchait. Le repenteur se prit trois balles, dont une au niveau du poumon gauche, et lâcha son arme. Il retomba derrière son couvert, le corps comme désarticulé. À ce moment-là deux tourelles automatiques se mirent à cracher du feu depuis l’obscurité d’une salle juste derrière les dépravés. Ces derniers, complètement désorientés, eurent le temps de perdre cinq des leurs avant de pouvoir riposter. Le balafré profita de cette deuxième diversion pour revenir derrière le couvert qui ressemblait maintenant à une petite colline en plastique fondu. Il rencontra alors le regard du coordinateur en train de cracher ses poumons. 48 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier lui renvoya un sourire dévoilant ses dents rougies par le sang. « Merci fiston », lâcha-t-il simplement au soldat mourant. Il essaya de décrocher le canon radius du coordinateur de la mini colline en train de fondre et dut forcer sur ses muscles pour récupérer l’arme, arrachant par la même occasion un bout de matière fondue. « Bordel ! » lâcha-t-il en enlevant la matière collée au canon radius. L’explosion de la première tourelle le fit revenir à la réalité et il se remit en position de tir, un pied sur la mini colline en matière fondue. Il visa et tua un énième dépravé alors qu’un autre des ennemis se retournait vers le balafré. Ce dernier fut accueilli par un rayon rouge, cette fois en pleine tête. Quand la deuxième tourelle explosa, un grand moment de silence emplit alors le reflet d’Azur. Blizna essaya de se mettre à couvert, mais remarqua alors que la semelle de sa rangers avait « fusionnée » avec la masse qui lui servait de couvert. « Putain quel con ! » marmonna-t-il tandis que les dépravés survivants se retournaient dans un silence pesant. Leur chef fit signe de ne pas tirer, tandis que le balafré délaçait ses rangers à une vitesse qu’il n’avait jamais atteinte auparavant. Le chef ennemi le mit alors en joue avec son colt haterson. Juste avant que ce dernier ne tire le balafré sauta en arrière, laissant une de ses rangers ancrée dans la mini colline en plastique fondu. La balle du colt traversa alors le faux plafond et se ficha dans la balise de détresse, dans un bruit à la fois aigu et étouffé… À ce moment-là, les deux protecteurs arrivèrent sans faire de bruit en haut de l’escalier, ce dernier étant adjacent à l’ascenseur. Les deux de front, ils froncèrent tous les deux les sourcils d’étonnement. Devant eux se dressait une espèce de rocher noir en plastique fondu surmonté d’une rangers. Derrière ce décor pittoresque se trouvait un repenteur dans une petite flaque de sang et un autre, tout au fond de la salle, en train de se relever. Ce dernier leur renvoya leur regard étonné, 49 La Genèse de l’Apocalypse puis la porte de l’ascenseur s’ouvrit. Krag fit signe à Zabyss de faire profil bas et ils reculèrent dans l’ombre des escaliers. Quelques tirs furent échangés entre l’ascenseur et l’extérieur de la salle. Tandis que les protecteurs ne pouvaient pas voir les protagonistes, une grenade fut lancée de l’ascenseur, suivi de près par une explosion et des cris de douleur. Krag remarqua alors que repenteur à qui il manquait une rangers venait de disparaitre dans l’explosion… Gralug fit signe aux cinq guerriers survivants d’investir les lieux, ce dernier restant en retrait avec son champion, son dernier garançon et son soigneur, tout en essayant de repérer sans succès ses tireurs à travers la baie vitrée. Les guerriers ne firent pas attention au repenteur dans la flaque de sang qu’ils crurent mort et ne repérèrent pas non plus les protecteurs. Un des cinq dépravés alla voir dans l’ascenseur et n’y trouva aucun survivant… Caché sur le côté de l’ascenseur le balafré sortit de sa cachette et empala le dépravé par derrière avec sa bayonnette. Il arracha la lame du torse de son ennemi et, le tenant de son bras droit pas le col, sortit un pistolet de l’holster de son ennemi. Il cala le pistolet du dépravé et son clairon pourpre sous les aisselles de son bouclier inhumain, tandis que ses ennemis le mettaient en joue. Le temps s’arrêta et les balles partirent ensuite des deux armes. La première balle toucha son ennemi le plus proche à deux reprises pendant que les canons radius faisaient de la charpie de son bouclier spongieux. Les deux balles suivantes allèrent se ficher dans le torse du dépravé d’à côté. Après cette action le balafré jeta son bouclier inhumain spongieux manchot et sans jambes sur le côté. Il fut alors touché à six reprises dans le torse avant d’avoir pu se mettre à l’abri. Il tomba sur le coccyx et hurla de rage et de douleur, tirant toutes les balles qu’il pût avant de mourir fondu et troué de part en part. 50 La Genèse de l’Apocalypse Les deux premières balles post mortem n’atteignirent personne, mais la dernière… … Atterrit dans l’œil, et quelques fractions de seconde plus tard dans le cerveau du soigneur de la tribu de l’enfer Verdoyant. « Noooooooon ! » cria le chef des dépravés voyant son soigneur tomber violemment en arrière, une partie de sa tête explosée de l’intérieur. Les trois dépravés survivants se rapprochèrent à pas de course de leur chef. « Je te vengerais Agiex ! Je te vengerais ! » hurla Gralug, ses yeux en pleurs dirigés vers le repenteur réduit en bouillie… « C’est le moment, chuchota Krag à Zabyss, qui hocha la tête. — Tu peux te venger dès maintenant ! » provoqua Zabyss en direction des dépravés tout en sortant ses deux blazing eagles de leurs holsters respectifs. Les guerriers dépravés adjacents s’étaient à peine retournés qu’ils se firent calmer par les deux canons radius redspray de Krag. Le dernier garançon de l’Hégémon se prit une balle de blazing eagle dans la tête avant de pouvoir appuyer sur la gâchette. Le brameur souffla alors une longue et étrange note, sonnant d’un son animal le baroud d’honneur de ces fiers guerriers. Lui et son Hégémon chargèrent ensuite les protecteurs après avoir jeté leurs armes de tir par terre. Les deux guerriers en armures prirent eux aussi leurs armes de corps à corps, respectant le courage de leurs adversaires. La singulière hache du chef ennemi rencontra ainsi la tronçonneuse de Zabyss dans une explosion d’étincelles, tandis que Krag essayait de donner un coup de marteau à son ennemi. Ce dernier s’abaissa pour esquiver, mais le marteau de Krag frôla une des cornes de son adversaire et en arracha une partie. Le dépravé devint fou de rage et souffla de toutes ses forces, projetant des débris de la corne sur le heaume du carmin. Il lâcha ensuite l’arme qu’il avait dans la main et sauta sur Krag avec une dague dans chaque main. 51 La Genèse de l’Apocalypse Krag réussit à tenir chaque bras de son adversaire avec un des siens, tandis que le chef ennemi et Zabyss paraient chacun les coups de l’autre. Krag avait de plus en plus de mal à tenir, son adversaire ayant la force du désespoir de son côté. Le protecteur lui mit un coup de tête, puis un deuxième, puis un troisième. Le dépravé lâcha un peu sa prise. Il n’en fallut pas plus pour Krag qui, après un quatrième coup de tête juste pour être sûr, se débarrassa de son ennemi d’un coup de poing dans lequel il mit toute sa force. Le dépravé sonné tomba ainsi violemment par terre. Krag ramassa en vitesse son marteau tandis que le guerrier à la bouche déchirée essayait de retrouver ses esprits et son équilibre. « Pour l’insongeable ! » gueula Krag en donnant un coup transversal surpuissant en plein dans le torse de son ennemi. La puissance du choc lui fit faire un demi-cercle avec la poigne du Concasseur, le sang giclant sur son armure. Le dépravé traversa ensuite la baie vitrée et tomba dans l’escalier de l’entrée en contrebas. Krag accourut alors vers son frère aux mains avec l’autre adversaire. Zabyss était mal en point. En effet, le chef ennemi avait pris le dessus et allait enchainer Zabyss, ce dernier étant complètement sonné. Krag n’ayant plus le temps de réfléchir, jeta sur le chef ennemi la première chose qui lui tomba sous la main, à savoir son marteau. Il tira en cloche, palliant ainsi le poids de son arme pas tout à fait prévue pour jouer au bowling. Le marteau toucha le chef dépravé au niveau du torse et le propulsa contre le mur dans un craquement d’os. Krag accourut ensuite pour aider son ami titubant à se relever. « Ça va ? demanda-t-il. — Ouais. Il m’a mis un de ces coups, j’ai jamais vu ça putain. J’ai cru que ma tête allait exploser répondit Zabyss en se tenant le casque au niveau de la tempe, du sang coulant par sa grille de respiration. — En tout cas c’était des coriaces. Pour une fois qu’on tombe sur des ennemis courageux. » 52 La Genèse de l’Apocalypse Il ramassa la poigne du Concasseur et mis la hache du chef dépravé dans la main de ce dernier. « T’as raison, dit Zabyss. Ces dépravés méritent plus cet endroit que ces maudits repenteurs ! » Il ramassa l’icône bigarrée du dépravé que le carmin avait envoyé en contrebas. « Où est passé le tien ? — En bas, il est tombé dans l’escalier devant l’entrée. — J’irai lui remettre ce qui lui appartient. — J’allais le faire, on leur doit bien ça. — J’avoue. Bon, maintenant, on doit trouver l’insongeable au milieu de tout ce bordel. — Merde c’est pas une si petite base, et au milieu de ce charnier ! On doit trouver des survivants repenteurs si on veut trouver l’insongeable, mais ça va être tendu avec tout ce bordel ! — Ouais, ça c’est le moins qu’on puisse dire. Attend, interpella-til en se rappelant du repenteur dans la flaque de sang, j’ai peutêtre une piste ! » Il accourut alors vers l’intéressé à moitié évanoui au milieu de son propre sang et, dans le feu de l’action, ne remarqua pas qu’un point venait d’apparaitre sur son trajecteur PO. « Où est l’insongeable ? L’homme que vous avez amené ici tout à l’heure ? » Le repenteur chuchota quelque chose de quasi inaudible et Krag mit son oreille à côté de sa bouche. « … B 256 dit-il avec lenteur. — Merci. » Zabyss sortit son blazing eagle pour achever les souffrances de son ennemi, mais ce dernier s’évanouit aussitôt. Le protecteur remit alors son arme dans son holster. « Il a dit quoi avant de mourir ? — B 256. Ça doit être une salle. — On a plus qu’à trouver un plan de cet endroit immense si on veut pas chercher pendant des jours. » Ils partirent ainsi à la recherche de cette fameuse salle, qu’ils mirent presque toute la nuit à trouver… 53 La Genèse de l’Apocalypse 54 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 3 : Unchained Truth / Back To Reality / [10 Cruciamentum an 13 ; Terre] Deux hommes en imposantes armures entrèrent avec fracas dans la salle aux murs plus qu’épais où était retenu S, réveillant en sursaut ce dernier. Leurs armures ressemblaient à celles que portaient certains soldats d’élite chez les repenteurs, mais leur livrée lui était inconnue. Elles étaient rouge écarlate, tandis que le contour de leurs épaulières, de leurs coudières et de leurs genouillères était noir. Ces dernières parties aux formes triangulaires étaient parcourues par de petits chiffres peints en blanc. Le guerrier couvert de sang arborait le chiffre vingt-cinq tandis que l’autre arborait le trente-quatre. Celui dont l’armure était recouverte de sang portait un heaume massif. De petits rivets plats formaient une couronne de trinitium qui cerclait la tête du guerrier. L’autre guerrier en armure avait, quant à lui, des flammes noires peintes sur sa cuirasse. Ces dernières remontaient de ses pieds jusqu'à ses genouillères tandis que des formes semblables s’étiraient aussi des orifices lui permettant de voir. Sa grille de respiration était de forme ronde et son heaume effilé, asymétrique et irrégulier faisait quant à lui penser à un visage brulé. Sur leurs épaulières, leurs coudières et leurs genouillères, étaient peintes des gueules de serpents ouvrant la bouche. De chacune de ces dernières sortaient une longue langue en forme de S. Le serpent était vert, tandis que sa langue et ses crocs étaient noirs. Au centre de leur torse, était gravée en bas-relief une étrange icône. 55 La Genèse de l’Apocalypse En effet, un serpent qui semblait être un cobra et ayant une tête de chaque côté de son corps s’enroulait sur le torse des deux hommes. Lui aussi de couleur verte, son enroulement créait une boucle qui formait un cercle. Ce dernier était vert, une ligne verticale noire le transformant en œil de reptile. Le corps de l’animal s’élevait ensuite de chaque côté de la boucle, les têtes se relevant en position d’intimidation, formant ainsi un double S presque parfait. Au-dessus des deux têtes de serpent, l’armure des deux guerriers formait une encolure. Sur cette dernière était écrite une phrase de couleur blanche, différente pour chacun des deux guerriers. Le guerrier portant le chiffre vingt-cinq avait une phrase en français écrite sur la sienne. Elle était la suivante : « si la sagesse ne te mène pas à la victoire, le courroux t’y mènera ». L’encolure de l’autre guerrier était aussi parcourue par une phrase, cette fois en anglais : « the flame is the child of lightning ». S essaya de bouger sans grand succès et fut surpris quand l’homme portant l’armure recouverte de sang le libéra de ses liens. Les deux imposantes silhouettes aux lentilles vertes s’agenouillèrent alors devant lui. Comprenant qu’ils ne lui voulaient aucun mal, il les questionna. « Qui êtes-vous ? — Comment ça qui sommes-nous ? demanda le numéro trentequatre tandis que lui et l’autre guerrier se relevaient avec incompréhension. — Rappelle-toi Zabyss. Il nous a dit qu’il serait peut-être amnésique au début, répondit l’autre. — Tu as raison, j’avais oublié. » Celui couvert de sang se tourna alors vers S. « Nous faisons partie des quarante-sept protecteurs vivant pour te protéger. Je suis Krag le carmin et mon frère ici présent est Zabyss le flamboyant. Tu es l’insongeable, tu dois accomplir 56 La Genèse de l’Apocalypse le Donavix et nous sommes là pour te protéger jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Tu dois surement avoir un indice ou quelque chose de ce genre sur toi, non ? — Mais c’est quoi le Donavix ? Et pourquoi moi ? Je sais même pas qui je suis, déglutit S perdu. — Justement. Tu ne te souviens pas de tout mais crois-moi tu le sauras bien assez tôt, expliqua un des deux guerriers. Tu dois nous faire confiance, même si je me doute bien que ça doit pas être facile pour toi. Le Donavix est l’Œuvre, ce que tu dois accomplir pour rétablir l’ordre dans l’univers. Le destin t’a choisi, ou plutôt tu as choisi ton destin, car tu es l’insongeable. Tu es celui dont l’âme ne peut pas être domptée et inspectée par les repenteurs ou n’importe quelle autre force, on ne peut pas sonder tes songes. Ils ne peuvent pas entrer dans ton esprit pour faire simple, termina le guerrier tandis que S restait bouche bée par ce qu’il venait d’entendre. — Mais je ne comprends pas, comment connaissez-vous mon visage ? C’est impossible ! — Ça serait trop long à t’expliquer maintenant. De plus, plus on reste ici plus on a de chance que les repenteurs nous tombent dessus. Désolé de te presser mais as-tu un quelconque indice sur toi ? — Euh oui je crois, répondit S qui commençait à comprendre. J’ai un feuillet dont je ne connais pas la provenance qui m’explique que je dois aller à la cathédrale Notre Dame de Paris, que c’est là-bas que tout a commencé. — D’accord c’est un bon début. Sais-tu au moins ce qui a amené la Terre à ce point de non-retour ? » demanda Zabyss en ramassant le sac de l’insongeable dans un coin sombre de la pièce. S allait répondre que non, mais une série indescriptible d’images et autres sensations traversa son esprit déjà chamboulé. Un flot immense d’informations atteignit ainsi son être, lui donnant en partie la réponse à la question qu’on venait de lui poser. « Euh, je crois », répondit-il alors qu’un semblant d’acouphène lui vrillait les tympans. 57 La Genèse de l’Apocalypse Zabyss acquiesça et le guerrier massif lui tendit son sac, un feastpack noir laissé par les repenteurs dans un coin de la pièce, sur lequel le balafré avait jeté le tube en bois contenant le jalon de l’éveil. « Bon ben c’est déjà ça, lâcha Krag avant de rendre à S son trajecteur subconstenciel. — Merci, répondit ce dernier. Vous pouvez m’expliquer ce qui s’est passé ? Je me rappelle juste avoir été assommé dans la Snac et de m’être réveillé ici. — En fait, les repenteurs t-on amenés ici et on a laissés ta boussole à l’intérieur je sais pas pourquoi. Cette dernière avait un traceur. Je sais pas si c’était voulu ou non, mais ils nous ont piégé et attiré dans la Snac. On s’en est sorti de justesse et puis on est venu ici. La bataille entre les repenteurs et les dépravés nous a permis de nous faufiler plus facilement jusqu’ici tout en tuant les derniers survivants de la bataille. — D’accord, mais pourquoi les repenteurs me voudraient du mal ? Et comment m’ont-ils trouvé ? demanda S. — Peut-être qu’ils connaissent en partie ton but, même si je sais pas comment c’est possible. Ils ont failli me tuer il y a environ un jour et ont pris mon trajecteur PO en me laissant pour mort, expliqua Zabyss. — Bon, on devrait y aller, pressa Krag. — Par où on part du coup ? questionna l’insongeable. — On va y aller en hélicoptère de l’aéroport le plus proche, je sais à peu près vers où il est. On a plus qu’à trouver un véhicule pour y aller, il doit y en avoir derrière le reflet avec un peu de chance. — Bonne idée. En route », conclut Zabyss. S remit sa lame au fourreau et reprit son pistolet radius. Ils passèrent par l’entrée principale, permettant à S de constater le carnage qui avait eu lieu ici. Les murs étaient repeints avec du sang et autre matières organiques, tandis que des cadavres de repenteurs et de dépravés jonchaient le sol dans un charnier fumant et puant. Quand ils descendirent les escaliers pour sortir, Zabyss posa verticalement une arme apparemment dépravée entre les mains 58 La Genèse de l’Apocalypse d’un corps allongé sur le côté. Avant que S ne lui demande pourquoi il faisait ça, deux silhouettes apparurent au loin au détour d’une rue. En partie éclairée par la lumière de l’aube, leur démarche rappelait les deux imposants guerriers qui suivaient l’insongeable depuis quelques minutes à peine. S fit signe à ses deux protecteurs, qui regardèrent aussitôt dans la direction indiquée. Alors qu’ils se rapprochaient et que la livrée des protecteurs était maintenant bien visible, Zabyss et Krag reconnurent leurs frères et baissèrent leurs armes. L’un avait le côté gauche peint tout en noir et le droit tout en rouge tandis que l’armure de son homologue comportait le schéma inverse. L’un était gaucher et l’autre droitier, leurs énormes armes portées vers l’extérieur dans une parfaite symétrie. Ainsi, ils étaient armés de canons Totengraber, des armes qui existaient en seulement deux exemplaires. Massives, ces dernières tiraient au coup par coup des balles de gros calibre capables de traverser certains murs. Le canon de l’arme, épais et parsemé de petits trous d’où s’échappait le son lors du tir, était d’un diamètre étrangement large comparé au reste de l’arme. Le son était amplifié et à chaque fois que le tireur appuyait sur la gâchette cela créait un bruit assourdissant souvent synonyme de terreur chez l’ennemi. Le heaume identique des deux guerriers était à la fois massif et effilé, un nez agressif étant fiché au centre de ce dernier. S remarqua qu’ils avaient étonnamment tous les deux le chiffre vingt-deux peint sur leurs épaulières. Sur leurs encolures, deux phrases se complétaient de manière énigmatique. Écrites en français elles étaient les suivantes : « une pièce a deux faces, mais une seule tranche. Un temple a deux colonnes, qui se suivent quand il flanche ». Ils arrivèrent promptement au niveau de l’insongeable et des deux autres protecteurs tout en scrutant les toits alentour. 59 La Genèse de l’Apocalypse « Salut à vous Zabyss et Krag ! Ça faisait longtemps ! s’exclama le premier des deux. — Oui, ça fait plaisir de vous revoir ! répondit Krag qui venait de se rendre compte qu’il n’avait pas fait attention à leur signal sur son trajecteur. — Ne serait-ce pas, enchaina le deuxième avec un léger temps d’arrêt, l’insongeable ? — Oui c’est lui », répondit Zabyss en s’écartant, dévoilant S jusqu’alors caché par les imposants protecteurs. Les deux nouveaux arrivants s’agenouillèrent immédiatement devant S, une nouvelle fois embarrassé. « Relevez-vous, leur demanda-t-il du ton le plus amical qu’il pouvait. — Nous sommes à votre service insongeable, de la vie à la mort nos armes sont vôtre. Nous serons les colonnes qui vous aideront à supporter le poids qui pèse sur vos épaules, » annoncèrent les deux protecteurs à l’unisson. S hocha de la tête, pas encore habitué à un tel honneur et une telle préoccupation, lui qui était de par sa nature si solitaire. « Nous nous présentons, nous sommes Jakin et Boaz. Nous sommes les jumeaux stoïques, les 22èmes protecteurs. Nous combattons toujours ensemble ce n’est donc pas la peine d’essayer de nous discerner, considérer juste le fait que nous ne formons qu’une seule et même personne. — Maintenant présentés à vous, entama l’autre, peut-être pourrait-on connaitre votre objectif actuel insongeable ? ajouta l’autre. — Tout d’abord, tutoyez-moi et appelez-moi par mon nom », avança-t-il. Les protecteurs lui répondirent d’un hochement d’approbation puis il entamait sa seconde phrase. « Je dois me rendre à Notre Dame de Paris, qui est l’endroit où tout a commencé si je suis ce qui est écrit dans mon seul et unique indice, le jalon de l’éveil. » Zabyss profita alors du blanc pour prendre la parole. 60 La Genèse de l’Apocalypse « Nous allions nous rendre à un aéroport tout proche juste avant votre arrivée, nous cherchions un moyen de transport. — Nous vous suivons », répondirent les jumeaux à l’unisson en direction des deux autres protecteurs et de l’insongeable. Ils trouvèrent ainsi rapidement deux rollersmokers de couleur cyan et rouge sagement rangés dans l’arrière-cour, entourés de trois soldats à la gorge tranchée. Le rollersmoker était le véhicule légèrement blindé le plus répandu chez les repenteurs. De forme assez compacte, sa soif de carburant se manifestait par le bruit tapageur et la légère fumée noire que le véhicule laissait derrière lui. La version H 1 disposait de deux places à l’avant tandis qu’un tireur pouvait se poster à la tourelle remplaçant la banquette arrière. L’arrière creux du véhicule permettait d’emporter avec lui un nombre conséquent de choses en tout genre, ce qui donnait une plutôt bonne endurance à ce dernier sur les moyennes et longues distances. « Bon, Zabyss à la tourelle et S en passager. 22, vous prenez celui de derrière et vous passez devant. Allons-y, plein gaz ! » Les intéressés acquiescèrent et le convoi partit à vive allure en direction de l’aéroport tandis que l’aube n’allait pas tarder à pointer son nez… Bâtard se réveilla en toussant et cracha du sang. Il essaya de se relever mais un cri de douleur sortit de sa bouche quand il sentit son dos le tirailler de façon insoutenable, lui rappelant la tournure des évènements qui l’avait amené dans cette position. Azilor s’éveilla à son tour, réveillé par le cri de douleur de son fidèle ami. Le sergent avait une grosse bosse au niveau du crâne. « Ça va ? demanda Bâtard tandis que le sergent ramassait son casque. — J’ai super mal au crâne mais ça va, j’ai connu pire. Et toi ? — J’ai trop mal au dos, c’est horrible. Je me suis pris des tirs de redspray, ça me brule trop. 61 La Genèse de l’Apocalypse — Je vais te trouver quelque chose », rassura le sergent repenteur. Il revint rapidement auprès de son ami avec une pilule d’adiodine, une drogue antidouleur typiquement utilisée lors des brulures au radius. « Tiens, dit Azilor en mettant la petite pilule noire dans la bouche de Bâtard. La dose devrait te soulager un peu. — Merci », gémit le repenteur blessé après avoir avalé la pilule avec le peu de salive qu’il avait pu trouver dans sa bouche empoussiérée. Tout à coup le bruit reconnaissable parmi mille des rollersmokers résonna dans la ville fantôme. Azilor se précipita à la fenêtre, juste à temps pour les voir. Ils passèrent à une telle vitesse qu’Azilor eût à peine le temps de les distinguer avant qu’ils ne prennent la première rue vers la gauche. « C’était qui ? demanda Bâtard. — Je sais pas j’ai même pas eu le temps de leur faire signe, ils allaient beaucoup trop vite. — Je me demande bien ce qui pouvait les presser à ce point. — Viens, on rentre au reflet d’Azur, notre coordinateur est mort et on a un rapport à faire. » Bâtard se leva avec un peu de mal en s’appuyant sur son canon radius redspray tandis qu’Azilor vérifiait si son basaltic eagle était toujours bien en place dans son holster. « Tu l’as eu comment déjà cette arme ? demanda Bâtard à Azilor pendant qu’ils descendaient lentement les deux étages par l’escalier. — C’était un peu avant que je te trouve, je venais à peine d’être promu sergent. On devait attaquer un repaire de bandits dans le coin avec le balafré et cinq autres sergents. Apparemment ils nous attendaient et il y avait un tireur embusqué sur un toit. Je l’ai vu grâce au reflet de sa lunette dans le soleil et j’ai aussitôt poussé le balafré à couvert avec moi, lui sauvant ainsi la vie. Le tireur a vite été neutralisé et le reste de l’opération a été un succès. Pour me remercier, le balafré m’a offert cette superbe arme et depuis elle m’a bien servi ! 62 La Genèse de l’Apocalypse — Ouais tu m’étonnes, ces balles pourraient transpercer dix tributaires alignés ! » lâcha Bâtard avant que les deux soldats ne déboulent dans la rue. Lorsqu’ils sortirent finalement du bâtiment, Azilor reconnut aussitôt le bruit singulier de la marche forcée d’une troupe de soldats. Bâtard l’avait senti aussi et s’était tout de suite préparé au combat malgré sa blessure. Ils regardèrent d’un côté et ne virent personne à l’horizon. De l’autre par contre ils pouvaient observer une troupe de repenteurs avançant dans leur direction, mis en relief par le soleil se levant derrière eux. Azilor fut rassuré et baissa son arme, suivi de près par Bâtard. Ainsi quatre escouades arrivèrent rapidement à leur niveau, leurs deux sergents en tête. « Bonjour, nous sommes les nageurs oxygersiens Jidilius et Xarios. 2ème section abyssale de la 33ème Légion. Sous les ordres directs du 4ème Prince Belliciste de la Légion, Bazor. — Sergent repenteur Azilor et repenteur Bâtard. 45ème bataillon de la 33ème Légion, sous le commandement du Mandataire Blizna. Que faites-vous si loin de votre juridiction mon sergent ? ajouta le repenteur en direction du plus vieux de ses homologues. — Nous rentrions de mission de soutien plus loin sur la côte quand nous avons capté, pendant un court instant, le message d’une balise de détresse provenant du reflet d’Azur. Nous nous y rendons, c’est sur notre chemin. Et vous pourquoi n’y êtes-vous pas déjà ? questionna le nageur oxygersien Xarios avec une pointe de suspicion. — Pour faire court, nous tendions une embuscade à des usurpateurs et ils nous ont surpassés. — Combien étaient-ils ? — Deux, répondit Azilor. À votre place je ne ricanerais pas, ajouta-t-il face au sourire en coin du gradé. Ce sont des guerriers aussi puissants que les marcheurs voire même plus », ajouta le sergent. Cette dernière remarque fit taire Xarios et fit monter dans la même lancée des murmures d’appréhension parmi les nageurs. 63 La Genèse de l’Apocalypse « Ils nous ont crus pour mort et ont continué leur chemin vers le reflet d’Azur. — Nous avons reçu le message de détresse en provenance du même lieu. Espérons que cela n’a aucun rapport avec les usurpateurs, avança sagement le nageur oxygersien Jidilius resté jusqu’ici stoïque. Joignez-vous à nous, nous y sommes bientôt. » Les deux repenteurs aux uniformes sales acquiescèrent et emboitèrent le pas des nageurs la boule au ventre. Azilor se demanda en premier lieu ce qui pouvait avoir poussé le balafré à activer une balise de détresse, avant de se poser une autre question : pourquoi il n’avait pas senti le message de détresse ? Préférant ne pas penser au pire, Azilor préféra dévier son esprit sur les nageurs de combat. Ainsi ces derniers portaient des combinaisons-uniformes en drakonicine, un étrange tissu élastique, au lieu des uniformes cyans et rouges de leurs confrères de la 33ème Légion. Ils étaient tous coiffés de casques sous-marins complets qui étaient remontés sur leurs fronts, remplaçant les classiques casques des repenteurs. On ne pouvait reconnaitre l’appartenance des nageurs de combat qu’aux informations sur leurs épaules En effet, toutes les unités de repenteurs portaient de petites épaulettes qui faisaient penser à des écus. Ces dernières servaient principalement à l’héraldique des différentes Légions. Celle de gauche était surmontée d’une croix repentrice, la croix classique de la milice repentrice, ou autre selon le corps concerné. En son centre se trouvant l’œil rouge ou œil du créateur. Il représentait l’omniscience de la lumière en un œil empli de cercles concentriques correspondant, entre autres, aux différentes parties de l’œil humain. Un trait horizontal et un autre vertical partaient de l’extérieur de l’œil jusqu’au cercle de l’iris. L’épaulette de droite servait quant à elle à reconnaitre l’appartenance du soldat. 64 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi l’insigne du bataillon ou l’équivalent était apposé sur l’écu de l’épaule droite, tandis qu’en dessous était écrit le numéro de la Légion en chiffres romains. La milice repentrice était en effet regroupée par Légions, fortes d’en général plusieurs dizaines de milliers de soldats en ne comptant pas les forces spéciales et les auxiliaires. Elles étaient chacune dirigées par un Seigneur de l’Apocalypse, dont les ordres émanaient directement du chef suprême de la milice repentrice, à savoir le Monarque du Cataclysme. Chaque Légion était divisée en dix parties, chacune dirigée par un Prince Belliciste. Un Prince Belliciste commandait ce qu’on appelait dans le jargon une armada. Une armada était composée d’en moyenne une dizaine de bataillons repenteurs forts de plusieurs centaines d’hommes chacun. À ces bataillons s’ajoutaient quelques rares bataillons dits « spéciaux », comme des bataillons de jumpers ou autres troupes spécialisées. Ainsi les bataillons dits « classiques » étaient dirigés par un Mandataire. Les nageurs de combat faisaient quant à eux partie des bataillons dits « spéciaux ». Ils étaient un type d’unité très utile dans la région, utilisés principalement pour contrer les pirates qui disputaient la mer Méditerranée aux repenteurs. Une technologie leur permettait de filtrer directement l’air par ce qui s’apparentait à un bout de tuyau coupé court et rempli d’un étrange mécanisme ressemblant à un assemblage de petites turbines. Il y en avait un à chaque emplacement autrefois destiné à enclencher le tuyau relié aux bouteilles d’oxygène des systèmes d’antan. Leurs canons radius WP étaient peints dans le même ton sombre que leurs combinaisons-uniformes. Ils étaient étanches et adaptés pour ne pas perdre un seul pourcent de puissance sous l’eau, ce qui augmentait indirectement la portée et la précision de ces armes en combat sur terre. 65 La Genèse de l’Apocalypse Ces canons étaient aussi équipés d’un système qui permettait de tirer au harpon, à raison d’un tir par arme. Un des soldats portait quant à lui un TTH 2 à la place de son arme. Diminutif de torpedo tornado of hell, ce lanceur était utilisable avec autant d’efficacité sous l’eau que sur terre et pouvait tirer plusieurs sortes de projectiles. Sur les bottes des nageurs, on pouvait distinguer ce qui semblait être de petits bouts de palmes rentrés, surement dépliables au moment opportun. Une unité d’élite à la pointe de la technologie, conclut Azilor. Se sentant tout d’un coup moins seuls, les deux rescapés suivirent le cortège au pas de course à hauteur des sergents, volant à la rescousse du reflet d’Azur… Le petit convoi avançait à fière allure vers l’aéroport dans une bruyante course. Si l’aéroport dont Krag connaissait vaguement l’emplacement était aux mains des repenteurs, ils allaient devoir passer de force. Ils ne tardèrent pas à arriver vers l’entrée d’une manière fracassante, faisant face à deux repenteurs en train de discuter en plein milieu du passage. Le bruit assourdissant des deux rollersmokers ne tarda pas à attirer l’attention des deux hommes qui mirent rapidement en joue le véhicule de tête. La mitrailleuse de 22 se mit en marche avant qu’il ne puisse tirer le moindre coup et le premier soldat se fit noyer sous les balles, tandis que son compagnon sautait sur le côté dans une esquive désespérée. Il se fit violemment faucher les jambes et glissa sur le pare-chocs avant de retomber sur le bitume craquelé par le temps… Il rampa, ses jambes lui faisant affreusement mal. Son collègue était mort, mais il avait toujours sa radio sur lui. Il l’emprunta donc à son défunt coéquipier avec un haut-le-cœur, puis l’activa. 66 La Genèse de l’Apocalypse « On est attaqué », cracha-t-il. Deux rollersmokers de notre Légion viennent d’entrer dans l’aéroport. Il ferma ensuite presque aussitôt les yeux, entendant à peine la confirmation du repenteur dans la radio… « Cherchez un hélico ! beugla Krag. Faut se barrer d’ici vite fait ça grouille d’enfoirés ! — Bien reçu ! » confirmèrent les jumeaux stoïques à l’unisson. Le rollersmoker de tête piquait déjà à travers les pistes lorsqu’une sirène tonitruante retentit dans tout le site. « On est repéré, tenez-vous prêt ! » ajouta Krag. Moins de trente secondes après cet avertissement deux rollersmokers du même type que les leurs apparurent au loin sur la gauche, suivi par d’autres véhicules moins massifs. Les deux tireurs et leurs homologues protecteurs échangèrent un déluge de balles hasardeuses, aucun ne parvenant à toucher l’autre. Les repenteurs se rapprochaient rapidement d’eux et les salves se firent vite plus précises. Quelques-unes vinrent se ficher dans la vitre à côté de S qui tenait fermement son pistolet radius. Krag lui fit aussitôt signe de s’abaisser. 22 à la mitrailleuse arrêta de tirer un court instant et se concentra pour mieux viser sa cible tandis que Zabyss mitraillait comme un forcené son adversaire. Un des jumeaux se mit à tirer de courtes rafales alors que les véhicules tanguaient de droite à gauche. Il réussit à toucher son adversaire le plus proche à plusieurs reprises au niveau du torse. Le choc fit tomber le repenteur inerte en arrière, ses pieds toujours dans le véhicule. Le conducteur, pris de peur en voyant les pieds du repenteur bouger dans tous les sens à l’intérieur de la cabine, commença à rouler en zigzag, faisant bouger le défunt repenteur comme un pantin morbide dans tous les sens. Ce fut juste à ce moment-là qu’une balle chanceuse ricocha sur le toit du rollersmoker conduit par Krag et faillit atterrir dans la tête du flamboyant, ce qui énerva le protecteur au plus haut point. Il cria de rage et sortit un de ses blazing eagle de son holster. Il visa une courte seconde tandis qu’un déluge d’acier ricochait 67 La Genèse de l’Apocalypse sur la mitrailleuse qu’il tenait de son autre main. Il tira plusieurs balles bien placées en direction du deuxième véhicule. La première vint se ficher en plein dans la tête de celui qui avait osé tester la rage flamboyante incarnée, avant qu’une deuxième et une troisième touchent la grille avant du véhicule. Quand Zabyss rangea son arme, un rollersmoker en feu surmonté d’une tourelle tenue par un mort à la tête apparentée à une torche leur fonçait toujours dessus dans une détermination suicidaire, l’autre rollersmoker ayant quant à lui abandonné la course. Zabyss reprit la tourelle et appuya sur la gâchette, visant le rollersmoker suicidaire qui gagnait du terrain à chaque seconde. Le jumeau à la mitrailleuse, comprenant l’enjeu, se joignirent à lui. Ce fut ainsi une explosion soudaine qui arrêta le rollersmoker au milieu de la piste. Les véhicules suivants, deux petits et rapides transports de troupes skitniks 45, sortirent des flammes dans un flot infini d’ennemis. « Quand y en a plus, y en a encore ! s’exclama Zabyss avec une joie brulante de destruction alors que des repenteurs transportées tiraient au-dessus des cabines des véhicules au canon radius. — On y est presque tenez bon ! » beugla Krag sur la fréquence pendant que les mitrailleurs essayaient de faire taire les tirs vicieux des repenteurs. Ils s’approchaient en effet d’un repentor M 33, un gros hélicoptère que la milice repentrice utilisait en grande quantité. Cet hélicoptère disposait de deux sulfateuses wracksmiths, chacune étant postée sur un flanc de l’engin, et pouvait transporter une vingtaine de soldats en armes. Il pouvait être conduit par un seul hélicopte mais une autre personne pouvait prendre place à côté de lui pour servir de coopte. La réflexion de Krag fut coupée par un radius perdu qui atterrit sur l’hélicoptère et fit roussir la livrée de la 33ème Légion. Plus qu’une centaine de mètres calcula-t-il, accélérant et se mettant à la hauteur du rollersmoker des jumeaux. L’explosion d’un des transports tira à Zabyss un cri de défi en direction du véhicule suivant. 68 La Genèse de l’Apocalypse Les tireurs de ce dernier se cachèrent instinctivement, deux mitrailleuses étant maintenant dirigées vers eux. Le repenteur en place passager tenta de tirer par la fenêtre mais sa tête rencontra plusieurs balles de mitrailleuses dans un filet de sang porté par le vent. Les protecteurs et S étaient enfin arrivés à l’hélico et s’arrêtèrent dans un dérapage fumant. « Les jumeaux ! beugla Krag. Descendez et couvrez-nous pendant qu’on démarre l’engin ! » Un bruit d’enclenchement de chargeur lui donna confirmation et les jumeaux descendirent en vitesse, leurs canons Totengraber en bandoulière. Ils se mirent à couvert derrière le rollersmoker, chacun d’un côté, tandis que les deux autres protecteurs et l’insongeable couraient vers l’hélico. Alors que les balles ricochaient sur le repentor, le transport ennemi s’était arrêté à une trentaine de mètres. La dizaine de soldats chargeaient à toute allure quand les jumeaux appuyèrent sur les gâchettes de leurs canons Totengraber au même instant. Le vent porta aux repenteurs le bruit assourdissant des armes redoutables et redoutées. Les soldats se firent rapidement déchiqueter par les tirs précis et coordonnés de 22, une demi-douzaine de véhicules venant en renfort en arrière-plan tandis que la fumée noire s’échappant des premiers véhicules brouillait leur vision. Quand les armes assourdissantes cessèrent de tonner, signalant que le dernier repenteur était tombé, les autres compagnons étaient en place dans le M 33. Krag essayait de faire démarrer le repentor. « Tu sais comment conduire ce truc ? questionna S un brin perplexe tandis que 22 montaient dans l’hélico. — On nous a appris à conduire pas mal de choses, répondit Krag. Mais j’ai jamais conduit celui-là ! » avoua-t-il finalement. 69 La Genèse de l’Apocalypse Les véhicules ennemis se rapprochaient à vive allure, dévoilant des silhouettes de rollersmokers ressemblant à ceux qu’ils avaient volés il y a moins d’une demi-heure. Le regard de S se tourna vers ces derniers. Il comprenait maintenant en partie pourquoi les repenteurs étaient si redoutés. En effet leurs rollersmokers étaient certes criblés d’impacts et de traces de radius mais aucun signe de faiblesse n’en émanait, ce qui impressionnait presque S. Le bruit des hélices arracha finalement à l’insongeable un soupir de soulagement. L’hélico décolla au moment où il se trouva à portée des mitrailleurs repenteurs, ce qui ne tarda pas à attirer une pluie de projectiles dans leur direction. L’hélicoptère des compagnons se tourna ensuite vers ses ennemis dans une lenteur allégorique. Zabyss avait pris la place de mitrailleur sur un des côtés de l’appareil et commença à délivrer une réponse de taille en direction des véhicules qui les mitraillaient. Le bruit fulgurant de l’arme eut tout de suite un effet psychologique sur leurs ennemis. Le déluge d’acier eut rapidement fait de détruire plusieurs rollersmokers, qui paraissaient tout d’un coup moins solides aux yeux de S. Tandis que Krag faisait tourner le repentor pour repartir vers le nord, Zabyss endommageait le plus possible les engins dotés d’hélices au sol pour handicaper leurs poursuivants. « Pas la peine de s’éterniser ici, ajouta Krag comme pour confirmer son action. Il vaut mieux partir avant qu’ils prennent eux aussi un hélicoptère. » Krag était un guerrier sanguinaire, mais aussi la voix de la sagesse lors des combats. C’était pour cette raison que tous les autres protecteurs présents l’écoutaient sans rien redire et lui laissaient l’honneur de les mener au combat. Les jumeaux avaient finalement fermé les deux écoutilles, craignant des ricochets alors que les mitrailleurs des rollersmokers leur tiraient toujours dessus. 70 La Genèse de l’Apocalypse Au milieu des bruits de ricochets de balle l’insongeable entendit un son presque imperceptible, qu’il ne décoda par sur le coup. Cela ressemblait à une balle traversant du métal avant d’être arrêtée par quelque chose de plus mou. Il essaya de se concentrer sur le bruit, mais les ricochets par centaines le dissuadèrent assez vite. L’hélicoptère se dirigeait donc vers le nord, en direction des lointaines montagnes enneigées de l’arrière-pays… 71 La Genèse de l’Apocalypse 72 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 4 : - Architecture of Aggression / - Symphony of Destruction / Scars / [10 Cruciamentum an 13 ; Terre] Zagor avait été interpellé par tout ce bruit de rollersmokers et avait dépêché sa troupe de veilleurs dans sa direction. Les veilleurs avaient une fonction très importante dans les tribus des dépravés. En effet ils étaient en quelque sorte les anges gardiens de leur fratrie, devant patrouiller et guetter jour et nuit au nom de la sécurité de leurs frères et sœurs. Ils étaient presque tout le temps en activité et leur manière de vivre demandait des sacrifices qui leur empêchaient la plupart du temps de s’enraciner avec une acanthe, acte qui correspondait au mariage chez les dépravés. C’était donc pour cette raison qu’ils n’avaient pas participé à l’assaut avec leurs congénères, les tribus sans veilleurs se retrouvant rapidement dans une situation critique. Ils s’étaient ainsi silencieusement occupés de la dizaine de repenteurs patrouillant aux alentours du reflet avant l’assaut, permettant à leur chef d’utiliser l’effet de surprise en leur faveur. Ils étaient ensuite allés se poster à des kilomètres de l’épicentre de la bataille, patrouillant pour empêcher tout renfort de rejoindre les repenteurs lors de la bataille. Zagor s’était assoupi après une nuit entière à faire la sentinelle, mais maintenant qu’il était totalement réveillé il avait un mauvais pressentiment. Personne n’avait été envoyé pour les informer de leur défaite ou de leur victoire, et vu le silence régnant dans la zone la bataille était finie. « Zagor ! appela Kwor, son meilleur ami et veilleur hors pair. Quatre escouades de repenteurs se dirigent vers le reflet d’Azur. » Zagor s’approcha aussitôt de la fenêtre la plus proche. « C’est des saloperies de nageurs », remarqua-t-il pour lui-même. Les éclaireurs dépravés avaient des problèmes avec eux depuis qu’il y en avait quelques unités dans la région. En effet les éclaireurs avaient du mal à nager dans les eaux sans se faire 73 La Genèse de l’Apocalypse repérer par ces unités de patrouilles sous-marines qui les chassaient comme des animaux. D’après ce qu’on lui avait rapporté ils étaient des soldats féroces, bien entrainés et bien équipés. « Ils sont trop nombreux et trop forts pour qu’on les attaque de face, remarqua Zagor. On va devoir leur tendre des pièges. » Alors que le grand veilleur échafaudait une stratégie avec ses frères, la moitié de la troupe ennemie rentra dans le reflet d’Azur sur lequel les rayons du soleil venaient se réfracter. L’autre partie des repenteurs aux combinaisons sombres commença à chercher des survivants dans le bourbier entourant les marches dont le veilleur n’avait qu’une vision lointaine… « C’est quoi ce bordel ?! s’indigna Krag. On est déjà bientôt à court de carburant ! — Comment ça se fait ? demanda Zabyss en essayant de parler au-dessus du bruit des hélices. — On a peut-être percé le réservoir avec une balle, avança S. J’ai entendu un bruit d’impact étrange quand on a décollé. J’ai pas fait le lien mais c’est peut-être ça. — C’est possible, remarque Krag. Dans ce cas on doit atterrir au plus vite ! C’est vraiment la poisse », ajouta-t-il pour lui-même. Ainsi quelques minutes plus tard ils se posèrent à un endroit approximativement identifié au sud de Mougins, fait appuyé par la carte de l’hélicoptère. Ils avaient atterri dans le grand jardin d’une villa ou la végétation avait repris ses droits. Les compagnons descendirent en vitesse de l’hélicoptère emprunté aux repenteurs. « Prenez tout ce qui peut nous être utile, dit Krag. Laissez tout le superflu, on doit voyager léger. » Ils trouvèrent assez des rations pour une bonne semaine de survie ainsi que des chargeurs, des grenades et des munitions en tout genre. Ils tombèrent aussi sur quelques pains de PX 4. C’était une des nombreuses variantes du plastix, une famille d’explosifs parmi les plus répandues. 74 La Genèse de l’Apocalypse Le carmin trouva aussi une rare balise de brouillage. N’ayant pas le temps de se poser de questions il l’activa aussitôt et la lâcha dans un buisson non loin de l’entrée. Chacun plus lourd de plusieurs kilos, les compagnons abandonnèrent finalement l’hélico. « Posez-vous dans la maison, j’en aurais juste pour cinq minutes. Sur cette carte il y a toutes les bases des repenteurs recensées. Si je cherche bien j’en trouverais peut-être une avec des hélicoptères et qui est pas trop défendue, expliqua le carmin. On ne va pas aller à pied à Paris sans un minimum d’informations, ça serait limite du suicide. — Ça c’est sûr, avoua Zabyss. Espérons juste qu’ils ne savent pas déjà où on est en ce moment. » Le reste des compagnons rentra donc dans la maison, tandis que Krag restait à l’intérieur de l’hélicoptère pour chercher des infos sur la carte de ce dernier. L’intérieur de la villa était vide de tout meuble et de toute vie. Une étrange coiffe semblait avoir été abandonnée dans la pièce centrale. L’insongeable la ramassa et l’observa attentivement. Cerclé par une couronne de cuivre, un haut bonnet blanc surmontait cette dernière. Il retombait en arrière, cachant une partie de ladite couronne. Des plumes et d’autres étranges décorations étaient coincées entre la couronne et le tissu, entourant ainsi la coiffe. S effleura une plume de couleur rouge et un nom lui vint aussitôt aux lèvres, suivi d’une suite d’images fractionnées… L’Ozgurler, contraction d’Özgürlük Yeniçeriler, fut une armée céleste apatride en activité juste après la fin de la crise des colonies et peu avant que le chaos ne s’empare du berceau de l’Humanité. Créée par une coalition de plusieurs colonies ayant obtenu leur indépendance à la fin de la crise les concernant, l’Ozgurler fut mis en place pour libérer les planètes n’ayant pas encore obtenu leur liberté. 75 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi ils libérèrent rapidement et glorieusement deux premières planètes, Bodronos et Deminarion. La troisième planète qu’ils essayèrent de libérer était Axanarion, une petite planète presque constamment plongée dans l’obscurité à cause de ses nombreux et massifs satellites. L’Ozgurler s’allia ainsi au Voïvode Écarlate pour reprendre la planète. Ce dernier était le commandant de la deux fois maudite, l’organisation de résistance qui formait un État clandestin au cœur de la planète alors toujours contrôlée d’une main de fer par la Valraven Guard. Ainsi, les janissaires de l’Ozgurler attaquèrent la planète avec leur flotte forte de plusieurs milliers d’hommes aguerris. Les défenses planétaires de la Valraven Guard furent vite submergées, les janissaires investissant rapidement les positions de la Guard partout sur Axanarion. Ainsi jusque-là tout se passait pour le mieux pour les janissaires soutenus par les résistants de la deux fois maudite. Mais arriva la bataille de Banartignak, qui inversa littéralement le rapport de force entre la Guard et les janissaires. Banartignak fut autrefois un petit village de pas plus de mille âmes, que ladite bataille réduit à l’état de cendres et où la Valraven Guard stoppa net l’avancée des janissaires. En effet, laissant les janissaires avancer sans grands soucis tactiques dans leur euphorie de victoires successives, les guards en profitèrent pour encercler les soldats de l’Ozgurler sans que ces derniers ne s’en rendent compte. Ainsi lorsque la Valraven Guard en infériorité numérique prit son envol des quatre points cardinaux pour tomber sur les janissaires, il était déjà trop tard pour les guerriers de l’Ozgurler. Les janissaires furent ainsi massacrés dans un chaos sans nom, tandis que les fuyards couraient dans tous les sens sans savoir où aller. De plus ce jour-là de nombreux hauts gradés janissaires moururent, ce qui accentua la panique secouant déjà les rangs de l’Ozgurler. 76 La Genèse de l’Apocalypse Sous le tonnerre de la bataille les janissaires arrivèrent finalement à se rallier autour de leurs chefs, avant de s’enfoncer vers leur seule voie de repli vers l’ouest : le bourbier de l’Enfer. Souvenir de la rébellion étouffée de la deux fois maudite, ce passage était un endroit que personne n’osait plus fréquenter. En l’empruntant, les janissaires marchèrent littéralement sur un tapis de cadavres enfouis dans la boue. Le bourbier de l’Enfer était aussi le royaume d’innombrables monstres. Ainsi des meutes d’akials, ces bêtes faisant penser à d’énormes chiens, parcouraient de long en large ce no man’s land à la recherche de chair fraiche. Les vers de charnier étaient aussi de la partie, écumant la terre molle de la région à la recherche de nourriture. Mais le pire cauchemar des janissaires fut rapidement connu sous le nom de « siffleur ». Ces petits oiseaux typiques de la région s’embourbaient dans la boue le jour et sortaient en masse grouillante la nuit pour manger tout ce qui s’apparentait à de la nourriture. Leur nom venait du fait que leur piaillement strident et caractéristique désorientait leurs proies. En effet lorsqu’ils attaquaient la nuit, ce bruit émis par ces centaines d’oiseaux faisait tourner la tête de leur proie d’une horrible manière en lui faisant perdre tous repères. Ils craignaient de façon extrême la lumière et la plus petite lueur pouvait griller leurs petits yeux et par extension leur cerveau. Les guerriers allumèrent ainsi rapidement des fusées de détresse et autres artifice lumineux dans le but de contrer leurs féroces et nouveaux ennemis. Les siffleurs furent un temps tenus à distance mais lorsque les janissaires virent enfin la fin du bourbier de l’Enfer, ce fut le massacre. Seule la moitié des artifices lumineux marchait encore et le bilan humain fut terrible. En à peine quelques jours, plusieurs milliers de janissaires moururent rien qu’à cause des siffleurs. 77 La Genèse de l’Apocalypse Sortant enfin de la folie du bourbier, les guerriers amoindris en force et amaigris sortirent de l’Enfer et arrivèrent dans l’hémisphère sud où se trouvaient les zones les moins peuplées de la planète. Après avoir tenu un conseil, les hauts gradés des janissaires encore en vie décidèrent de quitter la planète et d’aller secrètement demander de l’aide à certaines de leurs connaissances sur la Terre. Acceptant avec amertume de délaisser la planète qu’ils avaient promis d’aider, les janissaires entamèrent une longue marche vers l’extrême sud de la petite planète. Ils s’extradèrent ainsi dans leurs vaisseaux sans se faire tirailler par les batteries de la Valraven Guard quasiment toutes détruites à cet endroit de la planète, laissant derrière eux un nombre incalculable d’hommes et de femmes qui allaient être maintenant livrés à euxmêmes et à leurs geôliers. La flotte de l’Ozgurler repartit ainsi avec une boule au cœur vers la Terre, leur destin désormais incertain… S sortit de ses pensées tandis que ses oreilles sifflaient, comme à chaque fois qu’un de ces étranges flashs venait parcourir son esprit avant de repartir dans le néant. Les jumeaux gardaient l’entrée non loin, sur le palier de la villa. Zabyss inspectait rapidement ses armes de poing tandis que Krag cherchait toujours frénétiquement des infos sur la carte tactile de l’hélico. « Vous ne vous asseyez pas ? demanda S. — Non, répondit Zabyss avec un sourire. Nous sommes trop lourds. On casserait n’importe quelle chaise en quelques secondes. J’avoue que moi au début j’ai eu un peu de mal à m’y faire mais bon, la protection de notre armure vaut bien ça ! — Oui c’est sûr, dit S d’un air amusé. Je reviens dans cinq minutes », ajouta l’insongeable. Zabyss lui fit un signe de la tête et S partit se perdre dans la villa à la recherche de la salle de bain. Cette dernière était assez grande, 78 La Genèse de l’Apocalypse avec un grand miroir mural. S se regarda dans ce dernier, chose qu’il ne se souvenait plus avoir fait depuis une éternité. Il put alors contempler son reflet charnel. Il ressemblait à un homme juste majeur dont le visage fin et les yeux verts semblaient être figés dans le temps. Ses cheveux longs, qui oscillaient entre le brun et le châtain, tombaient le long de ses joues naturellement creuses sur lesquelles avait commencé à pousser une barbe. Son regard aux multiples facettes semblait hostile au premier abord mais amplifié par son visage fin, son regard sondeur et plutôt perçant semblait se mélanger avec un côté rêveur, presque hagard. Assez grand, il était habillé selon un style dépareillé qui le faisait ressembler à un antique thrasher. Son âge était incertain, mais l’éternelle lueur dans son regard ne correspondait pas avec la jeunesse que dégageait son pâle visage rougi par le soleil. Son seul jean avait été lacéré à plusieurs endroits, laissant ainsi visibles plusieurs cicatrices. Ses baskets collaient bien à son style et s’étaient imbibées de terre et de sang avec le temps. Une cartouchière éclaboussée de sang faisait quant à elle le tour de sa taille, accroché au côté gauche de son jean. Il enleva son Tshirt Pantera parsemé de quelques traces de combat et d’auréoles de sang. Son torse était jonché de petites blessures ayant difficilement cicatrisé. Au niveau du cœur il avait une petite cicatrice, juste en dessous de son amulette, là où une lame avait apparemment transpercé ce dernier. L’os avait en effet gardé la trace d’une petite fente de la largeur d’une lame très courte à cet endroit précis. Apparemment car S ne se souvenait de rien, et c’était la même scène de trou noir à chaque fois qu’il essayait de s’en souvenir. La sensation était comparable à quelqu’un se réveillant avec la gueule de bois, ne se rappelant absolument de rien et essayant tout de même de se souvenir de la soirée passée. Il chassa cette pensée et posa son T-shirt dans le lavabo tandis qu’il en prenait un autre, le premier qui lui tomba sous la main. 79 La Genèse de l’Apocalypse Il avait quatre T-shirts, et chacun avait sa propre histoire. Il avait pris le plus ancien, qui représentait l’album « Peace Sells… But Who's Buying ? » de Megadeth. S remarqua que le dessin était presque représentatif de la Terre des hommes dans son état actuel. Il le portait quand il s’était réveillé dans une rue du vieux Nice, laissé pour mort un mois d’Amaranthi… Lorsqu’il avait ouvert les yeux, il n’avait presque plus de forces et sa cicatrice au cœur lui faisait extrêmement mal. C’était comme si on lui avait siphonné tout son sang, sauf qu’il n’y avait aucun signe de blessure sur son corps à part d’étranges et fines cicatrices. Il y voyait trouble et avait cherché à tâtons autour de lui pour finalement tomber sur le manche de son, depuis fidèle, katana. Il y avait une tempête à ce moment-là, et les rues désertes étaient le théâtre d’une averse salée qui s’abattait sur sa peau nue. Il était ainsi resté accroupi plusieurs heures, appuyé sur le manche de son arme sa lame vers le bas. Il était perdu. Sa mémoire, sa force était atrophiée et il était dans l’incompréhension totale du monde qui l’entourait. Il ne sentait quasiment pas les milliers de gouttes que le vent envoyait sur son visage. Ses sens revinrent tous petit à petit sauf sa vue, qui se fit désirer plus longtemps. Il s’était peu à peu perdu dans son propre esprit, essayant de percer le mystère et l’obscurité qui l’entourait en cherchant la solution à l’intérieur de lui-même. Le chant des oiseaux l’avait finalement sorti de sa torpeur, comme s’il s’était réveillé un beau matin de printemps. Son esprit s’était ensuite affuté, se concentrant sur les sons comme un aveugle voulant jauger ce qui l’entoure. C’est alors qu’il avait entendu deux hommes s’approcher en parlant, visiblement de lui. Il était resté immobile plusieurs secondes, tout en essayant de se concentrer sur leur position. 80 La Genèse de l’Apocalypse Après avoir reconnu le bruit d’un couteau qui frottait contre le cuir, le premier homme avait demandé quelque chose à S. Il n’avait rien compris, arrivant à peine à rester appuyé son katana. L’homme s’était avancé et avait débité les mêmes mots, plus fort cette fois-ci. Dans une fulgurance qui avait alors surpris S autant que l’homme il avait sauté sur ce dernier et enfoncé son katana au niveau de son cœur, ce qui avait réveillé sa propre douleur par la même occasion. Il était tombé à la renverse avec le corps de l’homme, exténué, tandis que son comparse à la fois apeuré et surpris détalait en vitesse. N’ayant pas le temps de réfléchir il avait rampé jusqu’au bâtiment abandonné le plus proche sa lame à la main, tandis que les bruits de pas de l’homme s’éloignaient pour se fondre peu à peu à la tempête qui frappait la côte à ce moment-là. Il n’avait pas réussi à comprendre comment il avait atterri là mais il avait préféré remettre ses questions à plus tard pour se concentrer sur autre chose, à savoir sa vue. Il avait ainsi commencé à dormir le jour et vivre la nuit, évitant de cette manière une trop grande souffrance pour ses yeux. Progressivement pour ne pas les abimer définitivement, il avait dû réhabituer ses prunelles à la lumière. C’est ainsi que S les avait acclimatés grâce aux dormeuses de cæruléum, des champignons lumineux qui se trouvaient dans l’immeuble où il s’était terré des jours durant. La lumière l’avait ensuite peu à peu réhabité de l’intérieur… Son attention revint à sa blessure. À ses yeux, cette fente au niveau de son cœur représentait le trou noir qui séparait son passé et son présent. Comme à chaque fois que son passé la hantait il redevenait mélancolique, de choses dont il avait oublié l’existence. Il ouvrit la fenêtre donnant au sud et laissa entrer le vent dans ses narines. Ce dernier était fort et envoyait les cheveux de l’insongeable fouetter son propre visage. Tellement perdu dans ses pensées, 81 La Genèse de l’Apocalypse il ne discerna pas tout de suite le bruit lointain de rotors qui se rapprochait à vive allure. Mais tandis qu’il rangeait son T-shirt, le son répétitif fouettant l’air fit un déclic dans l’esprit de S. Ce dernier mit de suite son T-shirt Megadeth et partir en courant vers les protecteurs. Krag l’accueillit avec un léger mélange d’étonnement et de satisfaction. « Quelle synchronisation ! Je viens de trouver une base pas très loin et pas très bien gardée. Elle est au-dessus de Grasse. C’est apparemment une base d’entrainement d’où partent des soldats en missions de survie plus haut dans les montagnes. Elle est gardée par un petit contingent de repenteurs, conclut le protecteur tandis que S reprenait le peu de souffle qu’il avait perdu. — Un hélico arrive par le sud, lâcha-t-il. Je l’ai entendu grâce au vent qui venait dans notre direction, ajouta S tandis que Krag et Zabyss ouvraient la bouche pour demander des précisions. — Merde ! jura Zabyss. On va être discret avec l’hélico planté dans la villa, ils vont le voir à tous les coups. — Quel merdier ! lâcha à son tour Krag. Bon, enchaina-t-il, les jumeaux allez-vous replier avec l’insongeable dans la pièce la mieux défendable de la villa et attendez qu’on piège l’hélico. » Les jumeaux acquiescèrent et partirent au pas de course se mettre en position dans la villa, suivis de près par l’insongeable. Pendant ce temps Zabyss et Krag collèrent les quelques pains de PX 4 qu’ils avaient trouvés dans l’hélico puis rejoignirent le reste du groupe déjà en position à l’intérieur. Entre-temps les jumeaux et S avaient trouvés une espèce de grande salle de projection d’une quarantaine de places à l’intérieur de la villa. Quatre piliers formaient un carré vu de haut, deux planté vers l’entrée tandis que les deux autres se tenaient vers l’arrière de la sombre salle. À droite du pilier, tout au fond de la salle, se trouvait un petit bar rempli de quelques bouteilles poussiéreuses. Les 22èmes protecteurs s’étaient postés chacun derrière un des deux poteaux 82 La Genèse de l’Apocalypse du fond. Krag alla se mettre à couvert derrière le pilier du côté du bar, autrement dit à gauche de la salle si on regardait du fond vers l’entrée. Le carmin donna finalement le détonateur à Zabyss, tandis que le bruit des hélices se rapprochait. « Attends bien qu’ils soient le plus possible près de l’hélico ça sera ça de moins à tuer, conseilla Krag. On bute le reste et on se casse ! — Oui ne t’inquiète pas pour ça, je vais me faire plaisir ! » S se positionna derrière le bar, dos au mur où se trouvait la toile de projection en lambeaux. Alors que tout le monde vérifiait son équipement, Zabyss était parti se cacher derrière une fenêtre cassée dont la vue donnait sur leur hélico. Il remarqua alors en serrant les dents qu’il n’y avait pas un mais deux hélicoptères qui s’approchaient. Cela allait être plus dur que prévu, pensa-t-il. Les hélicoptères firent un passage, puis deux, puis trois ; avant de finalement s’approcher du jardin de la villa. Zabyss observa calmement les repenteurs être déposés dans le jardin et s’approcher instinctivement de l’hélicoptère abandonné. Le flamboyant se retint de sortir de sa cachette et de tous les exterminer un par un. Il serra fort le détonateur et attendit le moment propice pour envoyer le feu d’artifice… Le piège était vieux comme le monde. Ainsi ce serait l’embuscade qui allait être la technique mise en place par les veilleurs pour avoir leurs adversaires d’aujourd’hui. Le plus rapide de la bande, Yarg, allait avoir la lourde tâche d’attirer les ennemis dans une petite ruelle près du bâtiment des veilleurs où ils seraient pris en embuscade. Ce dernier s’approcha donc furtivement de l’escouade jusqu’à être à la lisière du champ de bataille de la veille. Les repenteurs éparpillés cherchaient alors des survivants au milieu des cadavres. Yarg banda son arc et tira rapidement une flèche précise dans la gorge du repenteur le plus proche. Ce dernier s’écroula sur le sol dans un gargouillis de surprise. 83 La Genèse de l’Apocalypse Le veilleur sprinta aussitôt dans la direction opposée pour attirer les repenteurs dans le piège. Les soldats se retournèrent à temps pour observer leur congénère en train de mourir, les yeux écarquillés de douleur… « Poursuivez-le ! cria le nageur oxygersien Xarios en direction de la silhouette qui s’échappait furtivement tandis que lui-même avait déjà commencé à tirer. — Mais chef, si c’est un… commença un des nageurs. — Contesterais-tu mes ordres ? coupa le sergent avec un air inquisiteur tandis que les autres repenteurs poursuivaient déjà le veilleur. — Non, répondit le soldat en avalant sa salive. — Alors suis-moi ! » ordonna le sergent qui commença déjà à courir. Quand Jidilius saura qui aura tué le dernier dépravé dans cette région, Xarios pourrait enfin lui faire fermer sa bouche. Il en souriait déjà, alors que les rayons frôlaient le veilleur qui courait drôlement vite pour un vulgaire sauvage. Ils arrivèrent rapidement dans une petite ruelle dans laquelle ils perdirent de vue la silhouette qui venait de prendre un virage à gauche. L’escouade de Xarios partit à sur les traces du dépravé et, malgré le risque encouru, s’engouffra sous l’ombre de la ville fantôme… Les veilleurs laissèrent leur chef tirer en premier par respect. Zagor décocha ainsi une flèche en direction du repenteur de tête qui souriait d’un air satisfait. Son sourire se transforma en rictus de douleur quand cette dernière se planta dans son dos, transperçant sa combinaison-uniforme et le propulsant contre le sol. Énervé de ne pas avoir touché son cou, Zagor encocha vite une seconde flèche tandis que six autres projectiles se fichaient plus ou moins profondément dans la chair des repenteurs autour du soldat de tête. Avec une vitesse ahurissante, les soldats se mirent 84 La Genèse de l’Apocalypse à couvert dans les angles morts des ruelles perpendiculaires en trainant leur chef. Ils furent si rapides que Zagor et ses frères ne purent tirer qu’une autre volée de flèches, sans très grand effet, avant que leurs ennemis soient hors de vue. Les repenteurs étaient pris au piège et ils n’avaient de surcroit pas de radio, inconvénient de cette unité sous-marine. Tandis que ses guerriers regardaient audessus des fenêtres du deuxième étage Zagor sourit en regardant autour de lui. Aucun de ses veilleurs n’était tombé. L’architecture de l’agression se mettait en place… « Que faisons-nous chef ? demanda le repenteur au nageur oxygersien Xarios tandis que ce dernier reprenait ses esprits de la soudaine rencontre entre son front et le sol. — Euh… » balbutia-t-il. Sa douleur dans le dos, là où la flèche avait transpercé sa chair sous son uniforme, réveilla son esprit. Il arracha violemment le projectile et prit la parole. « On va rentrer dans les bâtiments et tous les exterminer ! Tous avec moi ! Waaagh ! » cria-t-il tandis qu’il sortait de son couvert pour rentrer dans le bâtiment de gauche… Un cri de guerre soudain mit en alerte Zagor. « Tirez ! » cria-t-il tandis que les repenteurs s’engouffraient dans le bâtiment d’en face. Quatre repenteurs furent alors cloués contre la porte et le mur. « Kwor ! dit Zagor en direction du bâtiment d’en face. Monte, on te couvre. — Ok ! » tonna ce dernier de l’autre côté de la rue. Les dépravés étaient déjà en train de courir dans les escaliers tandis que les premiers repenteurs déboulaient au deuxième étage, reçu par des flèches venant de l’autre côté de la rue. Le repenteur de tête se fit transpercer de flèches et ses confrères se jetèrent à couvert. 85 La Genèse de l’Apocalypse Ils ripostèrent et empêchèrent les dépravés de tirer, noyant le bâtiment d’en face dans un déluge de tirs. Zagor fit signe d’arrêter les tirs et regarda du coin de l’œil le bâtiment d’en face. Les repenteurs ne s’attardèrent pas et montèrent l’escalier en sprint. L’impétueux Seurg, posté à côté de Zagor, sortit de derrière son couvert fumant le premier et tira une flèche fulgurante qui atterrit directement dans la nuque du dernier repenteur. « Montons ! » ordonna Zagor en tapotant l’épaule de Seurg au passage… Ayant repris son souffle, Yarg accéléra la cadence et prit le même chemin que les repenteurs tout en sortant son couteau de chasse de son étui, prêt à prendre les repenteurs par-derrière… Les veilleurs s’étaient repliés au quatrième étage et attendaient patiemment les repenteurs. Kwor était caché dans l’encadrement d’une porte. Il laissa passer le sergent et attrapa brutalement le deuxième repenteur de dos par le col. Dans un cri de guerre il trancha la gorge du soldat et le projeta vers l’avant. Une moitié de seconde plus tard quatre veilleurs sortirent de leurs cachettes toutes proches. Celui de tête, Kychrak l’astucieux, prépara un croque-mensonge. Il envoya ensuite l’objet ressemblant à un énorme piège à loups en plein dans le visage du repenteur de tête. Le soldat eut à peine le temps de crier que le piège se referma sur son visage dans une effusion de sang et une bouillie de cervelle. Deux flèches traversèrent la même cible tandis qu’une troisième se planta dans le bras d’un deuxième repenteur, lui faisant tirer son petit missile au hasard. Ce dernier atteignit le fond de la salle d’où venait de tirer Larok l’infortuné. Le souffle de l’explosion envoya le veilleur traverser la vitre cassée de l’immeuble. Le dépravé atterrit sur l’immeuble d’en face en explosant la fenêtre fragilisée du deuxième étage. 86 La Genèse de l’Apocalypse Il glissa tout en essayant de se rattraper au rebord jonché de bouts de verre qui lui entaillait les mains. Kwor vit un veilleur d’en face courir descendre les escaliers pour l’aider, mais avant de savoir si son ami allait être sauvé ou pas, un repenteur se mit en travers de son champ de vision. Kwor hurla à nouveau et lança son couteau de chasse dans la gorge de son adversaire. Ce dernier tomba à genoux, stoppé net. Kwor tenta de crier par défi mais n’y arriva pas : aucun son ne sortait de sa bouche. Il baissa ses yeux vers son ventre et remarqua qu’un harpon y était profondément planté. Il lança un regard fou de rage à son adversaire, qui lui répondit par son sourire sanglant avant de tomber sur le côté dans un râle de douleur mélangé à un ricanement noyé. Kwor lutta quelques secondes en vain, puis voyant de plus en plus noir, s’abandonna à cette obscurité reposante et tomba doucement sur le côté en boule comme un enfant. Pendant ce temps, les repenteurs empêchaient les veilleurs de sortir de leurs cachettes, les arrosant de rayons. Les veilleurs en face les regardaient, impuissants, en angle mort avec leurs adversaires. Mais celui que tout le monde avait oublié dans l’action arriva au moment opportun. Ainsi Yarg apparut silencieusement derrière les repenteurs, le cadavre mort dans l’escalier en guise de bouclier humain. Il prit le canon WP du repenteur mort et commença à tirer, l’arme callée sous l’aisselle de son bouclier humain. Il tua en premier lieu un soldat au sol qui essayait d’enlever une flèche de son bras. Les quatre autres repenteurs, dans une initiative encore une fois étonnante, accoururent vers une pièce adjacente. Kychrak lança aussitôt une francisque dans le crâne du repenteur de tête, avant que le reste des soldats ne puisse se mettre à couvert. 87 La Genèse de l’Apocalypse Kychrak fit un signe de tête à Hislachar l’ombre pour profiter de l’occasion. Ce dernier se rapprocha furtivement de la pièce en longeant le mur et rentra avec une vitesse déconcertante dans cette dernière. Prenant appui sur le mur il sauta sur le repenteur le plus proche avant qu’aucun d’entre eux n’ait le temps de réagir. Il transperça le cœur de ce dernier à l’aide de sa fine lame tandis que Yarg faisait irruption pour faire diversion. Hislachar lança son arc taillé en pointe vers le cœur d’un autre repenteur, tandis que de son côté Yarg réduisait en bouillie le dernier adversaire lui faisant face… Une grosse explosion fit trembler la terre. Zabyss avait appuyé au bon moment, une bonne dizaine de repenteurs ayant été aussitôt réduits en bouillie par l’explosion. Avant que les autres repenteurs aient le temps de réagir le protecteur sortit de son couvert et tira une balle de blazing eagle dans la tête d’un sergent dans sa ligne de mire puis courut vers l’arrière de la villa poursuivi par les tirs. Il se perdit dans les multiples pièces avant d’arriver dans celle presque complètement plongée dans l’obscurité où étaient cachés les autres protecteurs et l’insongeable qui attendaient en silence l’arrivée des repenteurs. « On en a une dizaine de moins à tuer, rapporta Zabyss. Mais y a plus de troupes que prévu. — Ok bien joué Zabyss, rejoins-nous à couvert. On fait comme on a dit. On les massacre tous rapidement et son se barre d’ici en piquant un de leurs véhicules », ajouta le carmin. Le flamboyant se cacha derrière le dernier couvert non occupé et attendit que leurs ennemis tombent dans le piège, un de ses blazing eagle dans une main et sa tronçonneuse désactivée dans l’autre. Des bruits de pas de dizaines de repenteurs résonnaient dans toute la villa. Ils fouillent les pièces une à une, comprit alors l’insongeable abrité derrière le bar. 88 La Genèse de l’Apocalypse Le suspense s’éternisa un moment, jusqu’à ce qu’un groupe de quatre repenteurs arrive dans la salle. Ils avaient leurs canons en mode passif, mais les protecteurs avaient la vision nocturne activée. Ces derniers regardaient tous Krag, qui avait la main serrée. Il laissa les quatre repenteurs passer la première rangée de poteaux. Juste avant qu’un des repenteurs n’informe que la zone était vide Krag ouvrit sa main comme si elle venait d’exploser de l’intérieur. Les quatre protecteurs sortirent alors de leurs couverts dans une symphonie parfaite. Ils tuèrent chacun un repenteur dans une précision mortelle, avant même que leurs pauvres hommes aient le temps de lâcher un cri de surprise. Les pas se dirigèrent aussitôt vers la provenance des tirs, suivi de cris et d’ordres donnés à la va-vite par les gradés repenteurs présents dans la villa. S sortit son arme de poing et resta derrière son couvert comme on le lui avait dit. Une véritable horde de repenteurs déferla alors dans la pièce. Ces derniers furent vite fauchés par les tirs combinés des armes puissantes et de haute cadence des protecteurs. Les repenteurs se replièrent tous rapidement dans les salles adjacentes en suivant un ordre direct, laissant presque une dizaine de cadavres sur les premières marches. Tandis que Zabyss vérifiait autour de lui s’il y avait des blessés parmi les compagnons, ce qui n’était pas le cas, Zabyss entendit un bruit de convoi assez bruyant. Les compagnons n’eurent même pas le temps de souffler qu’une volée de grenades flash arriva des angles morts dans la pièce. Les protecteurs, vétérans de nombreux combats, commençaient à connaitre cette tactique et réagirent de la bonne manière. Les jumeaux jetèrent à leur tour deux grenades lux tandis que Zabyss et Krag tiraient sans regarder vers l’entrée de la pièce où les compagnons étaient retranchés. Les tirs fusèrent dans tous les sens, sans grand succès pour les repenteurs. Les lentilles des protecteurs diminuaient grandement les effets des grenades lux et ces derniers ne furent pas inquiétés. 89 La Genèse de l’Apocalypse Zabyss se décala le premier pour tirer et put ainsi voir que les grenades flash avaient répandu le chaos dans la zone de combat. Un soldat en haut des marches était en train de tirer sur un repenteur à terre, tandis que d’autres étaient morts ou blessés, étendus dans tous les sens au milieu des sièges poussiéreux. Une dizaine de repenteurs étaient en plein milieu de la salle. Les quatre protecteurs foncèrent sur eux dans un unique cri de guerre, tandis que les autres repenteurs arrivaient par l’entrée de la porte pour se mêler au combat en bousculant au passage les soldats terrifiés. Krag fit voler trois repenteurs dans l’obscurité avec son marteau, tandis que Zabyss en tronçonnait un autre et explosait la tête d’un autre soldat essayant de le contourner. Les jumeaux stoïques donnèrent en même temps deux violents coups de crosse de leurs massives armes, réduisant côtes et crânes en bouillie. Malgré cela, les protecteurs furent vite dépassés par le nombre et se replièrent contre les murs et les recoins où ils étaient moins enclins à se faire encercler… L’insongeable tenta un regard par-dessus son couvert. C’était un moment assez bizarre à observer. Il entendait des cris, des tirs, des bruits d’os et d’organes réduits en bouillie ; mais il n’arrivait pas à savoir d’où ça venait. Il voyait des silhouettes bouger et quelques fois voler dans tous les sens, éclairés sporadiquement par des tirs en tout genre. S sortit son pistolet radius et essaya de mettre en joue un repenteur mais sa vision était trop mauvaise. Il vit Krag envoyer valser deux adversaires, éclairé par des tirs de canon radius touchant vainement son armure. Le sang gicla alors sur le visage de S dans un axe transversal. Au milieu de tout ce chaos, son ouïe essaya de détacher les sons les uns des autres et il remarqua que des bruits de pas lourds approchaient. Il essaya de viser, des silhouettes passant devant sa ligne de mire. 90 La Genèse de l’Apocalypse Tandis qu’il entendait Zabyss tronçonner un repenteur en ricanant au milieu des soldats se faisant massacrer, une nouvelle vague de repenteurs déboula dans la salle. Ces derniers étaient encore éclairés par la lumière extérieure ce qui permit à l’insongeable de les viser. Il tira rapidement du fond de son couvert et en tua deux avant que ces derniers ripostent en tirant à leur tour au-dessus de l’escarmouche qui prenait place au centre de la pièce. S se mit automatiquement à couvert, un radius passant très près de son oreille. Il sortit son katana de son fourreau et sentit une odeur de brulé. Il leva la tête et remarqua que la toile de projection avait pris feu, surement à cause d’un tir perdu. S fit vite glisser les quelques bouteilles encore derrière le comptoir avec sa main pour éviter toute complication. Il s’allongea alors contre le dos et attendit son heure, les flammes se reflétant dans ses yeux… Zabyss pouvait maintenant mieux voir qui il tuait et sourit à l’intérieur de son heaume. Il désactiva sa vision nocturne, le feu l’ayant rendue inutile. Le flamboyant s’était replié contre un mur en tuant tout ce qui s’approchait de trop près. Il décapita un repenteur un peu trop téméraire et tira dans la tête de ce dernier en plein vol. La tête en feu à moitié explosée tomba sur un cadavre et l’embrasa quelques secondes plus tard, éclairant un peu plus le champ de bataille. L’esprit pyromane du protecteur eut immédiatement un déclic. Il s’avança rapidement vers le milieu de la pièce, là où il y avait le plus de cadavres, tronçonnant un sergent apeuré sur sa route. Zabyss s’arrêta entre les deux rangées de sièges et tira sur les cadavres autour de lui en tournant sur lui-même. Le flamboyant fut ainsi rapidement entouré par des flammes d’un bon mètre. « Venez défier la rage brulante ! » hurla Zabyss d’une voix à peine étouffée par le crépitement des flammes. 91 La Genèse de l’Apocalypse Il versa alors un de ses étranges récipients d’huile sur Écorchegloire et la passa dans les flammes. Les repenteurs survivants, environs un tiers, se retournèrent et foncèrent par instinct sur Zabyss qui était en train de bruler les corps de leurs camarades par sa présence. Ce mouvement dévoila les jumeaux stoïques au milieu de la rangée inférieure de sièges. Ces derniers étaient entourés de cadavres et recouverts de viscères, à peine essoufflés. Ils ne tirèrent pas sur les repenteurs rompant le combat, se contentant d’achever les nombreux estropiés qui gémissaient au milieu des flammes en train de se propager dans toute la salle. Zabyss se tourna alors vers la position de Krag, dans le coin en haut à gauche de la salle. Tandis que les repenteurs libéraient son champ de vision, il aperçut un terrible tas de cadavres d’une demi-douzaine de repenteurs. La rage du flamboyant atteint son paroxysme lorsque la supposition que son frère soit tombé traversa l’esprit de Zabyss. Non ce n’est pas possible ! Krag ne peut pas mourir aussi facilement, se dit-il à lui-même comme pour se rassurer. « Ce n’est pas possible ! » gueula-t-il en coupant en deux le premier repenteur sur sa route dans une effusion de sang et de flammes. Il hurla, encore et encore, tournoyant dans toutes les directions en entamant une mortelle et bourdonnante valse. Il découpait, tuait, décapitait, éviscérait tous les repenteurs qui passaient près de lui. Ces derniers se jetaient sur lui comme si c’était la meilleure des fins possibles pour eux. Certains essayaient en vain de toucher le protecteur fou de rage tandis que les flammes semblaient lui servir de bouclier. Il était Zabyss le flamboyant et personne ne pouvait l’arrêter ! Il était la justice par le feu, la némésis forgée dans la rage ! Après avoir projeté un énième soldat dans les flammes de la vengeance, le protecteur remarqua que S et les jumeaux s’étaient repliés derrière le bar. 92 La Genèse de l’Apocalypse Ces derniers étaient prêts à tirer sur le moindre repenteur que Zabyss ne pourrait toucher. Mais la rage brulante sondait tout et on ne pouvait pas se soustraire à la flamme dans ses moments de colère. Le feu ne laissait personne indifférent et les seules solutions plausibles étaient l’affrontement ou la fuite, même si le second choix n’était que temporaire. Le protecteur remarqua que de lourds bruits de pas s’ajoutaient peu à peu à ceux des repenteurs tandis qu’il faisait toujours danser sa tronçonneuse parcourue de flammes. Il projeta le dernier soldat par terre avec la crosse de son blazing eagle et l’écrasa de sa botte dans les cendres de sa rage, lui faisant gouter l’amère saveur de la vengeance. Un écho de cris de guerre se fit alors entendre de l’extérieur, suivis de près par des tirs venant de ses compagnons et d’une flopée de repenteurs qui venaient de rejoindre Zabyss à la porte de l’enfer. Mais le flamboyant ne voyait rien. Sa rage, et par extension le feu de cette dernière, s’étaient répandue dans la pièce en brouillait toute sa vision. Le feu de maintenant deux mètres de haut avait pris dans quasiment toute la salle en se propageant sur les sièges et les cadavres désormais nombreux. Le seul passage restant pour les renforts était désormais l’espace le long des murs. Les repenteurs s’y engouffrèrent et furent vite accueillis par un tir croisé des jumeaux, tandis que l’insongeable dansait en arrièreplan avec des silhouettes floues dont les flammes faisaient onduler les formes. Zabyss sortit du feu dans une démarche presque théâtrale et sema la terreur chez les renforts repenteurs, ignorant jusqu’alors l’existence d’un protecteur dissimulé dans les flammes. Il s’approcha des ennemies en haut des marches qui essayaient de tirer vers les jumeaux et l’insongeable. Il était sorti des cendres, mais son armure était toujours parcourue par les flammes. 93 La Genèse de l’Apocalypse Le protecteur avait en effet comme rituel de répandre de l’huile sur toute son armure, qui séchait ensuite et collait à cette dernière. Cela faisait un certain temps que personne n’avait déclenché une si grande étincelle de rage au fond du cœur de Zabyss. Le protecteur attendit une seconde, laissant les repenteurs terrifiés lui tirer dessus sans effet. Il sauta ensuite dans la masse, écrasant plusieurs repenteurs sous son poids. Il se releva rapidement, tandis que la plupart des repenteurs étaient sonnés ou bien en train de bruler à même le sol. Le chant de sa tronçonneuse bourdonnante de rage remplaça alors le crépitement de sa rage flamboyante. Il tuait plusieurs hommes à chaque moulinet mortel, les flammes achevant ceux qu’une amputation n’avait pas tué. Il entendait les jumeaux et S tirer sur les repenteurs encore bloqués à couvert derrière les piliers. Les flammes s’éteignaient peu à peu, la rage de la destruction n’ayant plus rien à consommer tandis que Zabyss commençait à fatiguer à force de mouliner sans résistance. Un sergent repenteur donna finalement l’ordre soudain de se replier. Le gradé accourut en haut des escaliers et disparut en courant, rapidement suivi par les soldats effrayés et démoralisés restants. Un cri de peur en partie couvert par des bruits de tirs émana alors des repenteurs hors de vue. Une tête rebondit dans la pièce, suivie de près par un déferlement de repenteurs terrifiés dans la salle qui s’enfumait peu à peu. Les ombres à moitié avalées par la fumée semblaient poursuivies par le démon lui-même. Les jumeaux, l’insongeable et Zabyss se contentèrent de tuer les quelques fuyards qui passaient à portée d’eux. Le flamboyant, presque triste que son feu de joie soit quasiment éteint, se rapprocha lentement de S et des jumeaux. C’est alors qu’une marche de pas lourds et synchronisés, que le protecteur reconnut aussitôt, fit s’arrêter Zabyss sur place. Il serra alors ses dents si fort à travers son casque qu’il les sentit s’écraser les unes contre les autres. 94 La Genèse de l’Apocalypse Il n’y avait que deux types de guerriers portant la cuirasse de trinitium dans cet univers. Il y avait les protecteurs ; et leurs pires ennemis. Étant donné qu’il n’y avait pas de protecteurs à des kilomètres à la ronde, il ne restait qu’une possibilité. Rien que de penser que les pires ennemis des protecteurs étaient là, tout près, fit frissonner Zabyss. Pas de peur, le flamboyant les avait déjà combattus. C’était plutôt la rage et la rancœur qui faisaient frissonner Zabyss. Pour n’en citer qu’un, les ennemis jurés des protecteurs avaient tué Denikan le juste. Le 37ème protecteur était tombé sous les yeux de Zabyss lors du Rixcariote, au rempart Néantique. Cela faisait deux ans. Cela faisait deux ans que les guerriers de l’Oculus avaient souillé le rempart Néantique de leur présence à l’aide du Judas. Un dégout profond ressurgit du plus profond de son âme et Zabyss prépara à nouveau la plus profonde de ses armes : sa juste rage. Il rangea sa tronçonneuse qui avait bien tailladée aujourd’hui et prépara ses deux blazing eagles. Il jeta un regard rapide aux jumeaux et S avant de se tourner. Les 22èmes protecteurs avaient eux aussi compris. Leur frère flamboyant pouvait deviner leur envie d’en découdre, même à travers leur masque de stoïcisme éternel. Seul S ne comprit pas ce qui se tramait. Son visage moucheté de sang fronça les sourcils quand Zabyss sortit ses deux armes de poing à travers la fumée dans laquelle on ne voyait maintenant pas à plus de trois mètres, distance entre l’insongeable et Zabyss. Une grande silhouette en cuirasse de trinitium apparut alors à la lisière de l’enfer cendreux, montrant son dos à la lumière qui rendait la fumée encore plus impénétrable. Zabyss garda ses doigts près de la gâchette de ses armes de poing mais ne tira pas tout de suite. Cinq silhouettes apparurent de part et d’autre de la première. Une voix rauque et caverneuse résonna alors lentement dans le casque de la silhouette immobile au centre de la pièce. 95 La Genèse de l’Apocalypse « Usurpateur ! Te renvoyer dans le cimetière des héros de l’histoire sera un honneur pour moi ! » L’intéressé masqua sa rage et enchaina avec une pointe d’humour sec, le seul de mise dans ce genre de situations. « Je vois que j’ai des admirateurs parmi vos rangs d’enfants en cuirasse orange. À qui ai-je le déshonneur ? — Je suis Tiradarkan l’empaleur, paladin solaire de la 4ème marche céleste », se présenta le guerrier avant le laisser un moment de suspense. Le grade de paladin était le grade au-dessus de marcheur et en dessous de diadoque chez les marcheurs, la distinction de diadoque étant le stade à partir duquel les marcheurs pouvaient prétendre au cercle supérieur. « Je suis le dernier adversaire que tu affronteras usurpateur, répondit-il sur un ton neutre tout en sortant doucement une longue épée de son fourreau. — Je ne juge que quand j’ai gouté, rétorqua Zabyss amusé envers le paladin solaire lui faisant face. Tes parents repenteurs t-on jamais appris ça entre deux prières ? — Mes seuls parents sont l’Abysse et la Lumière. Tu ne feras que retarder l’inévitable, usurpateur ! Toi et les tiens ne méritent pas de porter la sainte cuirasse de trinitium. Pour cette hérésie vous allez tous mourir aujourd’hui et le vent du chaos vous emportera loin de cette réalité, qui appartient à l’Oculus ! — Essaye donc ! défia Zabyss. — Occupez-vous des autres, ordonna l’empaleur. Laissez-moi celui-là, ajouta-t-il presque pour lui-même. Kolkan te salue », termina-t-il en saluant le protecteur avec son épée à deux mains à la manière des chevaliers d’antan, collant presque sa lame à son front de trinitium. Il chargea ensuite le flamboyant dans une étonnante rapidité qui semblait impossible pour un guerrier dans une armure si massive. L’empaleur fut sur Zabyss en un battement de cœur et ce dernier eut à peine le temps de s’abaisser pour esquiver le premier coup du marcheur. 96 La Genèse de l’Apocalypse La lame propulsée avec une force terrible ne put être redirigée au dernier moment et alla se ficher dans un pilier tout proche. Zabyss, toujours abaissé, tira le plus de balles qu’il pût pendant que Tiradarkan essayait d’enlever sa lame plantée de quasiment vingt centimètres dans le pilier. Les cuirasses de trinitium étaient très dures à transpercer, même pour ses blazing eagles, et Zabyss le savait. Sur toutes les balles qu’il pût tirer à bout portant, seulement quelques-unes traversèrent le plastron de son ennemi. Ainsi plusieurs projectiles brulants s’enfoncèrent de quelques centimètres dans le torse du paladin solaire en traversant la couche de tissu thermoréplétif situé sous la cuirasse du guerrier. Le paladin cria de douleur, le phosphore lui brulant la chair. Il enleva son épée du pilier, des fumerolles s’échappant de son armure. Il grogna à travers son heaume et donna un grand coup transversal que Zabyss esquiva en reculant, se rapprochant dangereusement des lignes de tirs proches. Tiradarkan continua de mouliner en direction de son ennemi, le flamboyant reculant pas à pas vers les autres protecteurs terrés dans l’oppressante fumée. Zabyss était trop concentré à esquiver les coups de son ennemi pour avoir le temps de tirer avec ses armes. Entouré par les tirs et presque dos au bar, il ne lui restait qu’une option. Zabyss sortit Écorchegloire en un éclair et para un coup puissant dans une gerbe d’étincelles tandis que ses deux blazing eagles tombaient lâchement au sol. « Intéressant, lâcha l’empaleur tandis que leurs armes toujours en étreinte se repoussaient l’une l’autre avec une force égale. — Je ne dirais pas ça à ta place », grogna le 34ème protecteur. Avant que l’empaleur ne puisse répondre, Zabyss activa sa tronçonneuse. Le crissement horrible des petites dents de l’arme fit grincer les dents des deux guerriers. Zabyss y était habitué, mais ce n’était pas le cas de l’empaleur. Le paladin solaire sentit un fourmillement remonter le long de ses bras et retira immédiatement son épée de l’étreinte d’Écorchegloire. 97 La Genèse de l’Apocalypse Le flamboyant saisit l’occasion et enchaina de rapides coups en direction du torse de son ennemi, d’où s’échappaient toujours des fumeroles. Ce dernier les para tous et essaya de contre-attaquer, manœuvre que Zabyss avait déjà prévu. Ce dernier fit un petit pas sur le côté, esquivant une botte de bas en haut aussi vicieuse que fulgurante. Il contra à son tour d’un grand coup horizontal tout en faisant un pas en avant. Tiradarkan se tourna et essaya de parer mais ce fut trop tard pour le paladin solaire. Les dents de l’arme entaillèrent profondément l’armure jusqu’à la chair au niveau de l’avant-bras de son adversaire. Ce dernier hurla aussitôt de rage et de douleur. Zabyss enchaina avec un coup visant à décapiter son adversaire, mais ce dernier n’avait pas encore dit son dernier mot. Il attrapa le poignet de son adversaire avec le sien dégoulinant de sang. Il le lui tordit doucement tandis que Zabyss essayait de résister à la force surhumaine de son adversaire. Ils grognèrent tous les deux tels des animaux en cage. Le protecteur lâcha son arme et se pencha peu à peu vers la droite, suivant le mouvement de son poignet. Il laissa penser à son adversaire qu’il prenait le dessus et mit un gros coup de tête à ce dernier. Tiradarkan recula en titubant. Zabyss ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits et le roua de coups de poing coupants au niveau de la tête. Le guerrier commençait à faiblir et Zabyss lui mit un gros coup de pied au niveau du torse, ce qui eut pour effet d’arracher un grognement de douleur à Tiradarkan qui sentait les balles brulantes s’enfoncer un peu plus dans sa chair. Tandis que le protecteur cherchait de l’œil son arme il remarqua que les quatre marcheurs solaires avaient arrêté de tirer. Hors de vue des jumeaux et de S, ces derniers avaient mis en joue Zabyss avec leurs prismes solaires. Zabyss était dans une impasse. En effet, s’il tuait leur chef, il se ferait noyer dans une pluie de rayons de feu en moins d’une seconde. Il avait besoin de diversion et son regard croisa par chance celui d’un des deux jumeaux. 98 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier comprit immédiatement la situation de Zabyss, qui fut ensuite rapidement perçue par la seconde moitié des 22èmes. Un instant plus tard les jumeaux stoïques grimpaient au-dessus de leur couvert et venaient au secours de Zabyss… « Venez tâter ma rage ! » gueula S, suivant les jumeaux dans leur charge malgré la dangerosité de l’action. Il lança son pistolet radius en direction de Zabyss tandis que les autres protecteurs fonçaient au corps à corps sur les marcheurs solaires. Les jumeaux propulsèrent chacun un adversaire au sol dans un choc de titans. Zabyss glissa sur le sol brulé pour éviter les rafales des deux autres marcheurs tandis que S se servait d’un des piliers comme couvert. Il resta quelques secondes dos à son seul point de repère dans ce chaos, essayant de jauger la situation. Trois silhouettes sortirent alors de la brume, tout près. Les trois repenteurs prirent à part l’insongeable à la manière de trois voyous tombant sur quelqu’un de faible pour le passer à tabac. L’insongeable put entrevoir leur sourire pendant qu’ils se préparaient à l’empaler de leurs bayonnettes. Mais S n’était pas un faible. Il esquiva le premier repenteur et le décapita, faisant gicler un peu plus de sang sur son visage alors emplit d’un rictus carnassier. Les autres soldats n’avaient pas eu comme S le réflexe de fermer les yeux. Ainsi aveuglés par le sang l’insongeable les tua rapidement et sans grande difficulté. Un autre repenteur apparut alors à la limite de son champ de vision. S fit un pas sur le côté et planta son adversaire dans le bas du ventre. Ce dernier était tellement surpris que son expression fut figée l’espace d’un instant. Les lèvres de son adversaire formèrent peu à peu un sourire tandis que S enfonçait encore un peu plus son arme dans le corps du repenteur. 99 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable eut un froncement de sourcils étonné lorsqu’il entendit un bruit bien trop familier pour passer inaperçu. Il baissa son regard et tandis que le temps semblait s’arrêter, il se rappela tout d’un coup pourquoi il était l’homme le plus malchanceux au monde. Son katana s’était planté dans l’anneau d’une grenade et le repenteur venait de la tirer vers le bas, dégoupillant ainsi l’engin explosif. S lâcha aussitôt son emprise et coupa net la main qui essayait de le retenir. Il savait que c’était trop tard pour courir et sauta donc de toutes ses forces en direction du bar tout proche. Le moment parut durer une éternité, jusqu’à ce que la grenade explose soudainement à quelques mètres de S en plein vol. Le souffle le projeta contre le mur noirci, puis l’insongeable retomba derrière le bar comme un pantin désarticulé… Zabyss s’approcha de l’ennemi qu’il avait assommé. Il colla le pistolet radius de S à la grille de respiration du marcheur solaire et appuya sur la détente à plusieurs reprises. Un bruit de crâne réduit en bouillie confirma au protecteur que c’était la fin de la marche pour le guerrier de l’Oculus, de la fumée s’échappant lentement de la bouche de l’homme en cuirasse de trinitium. Il remercia intérieurement l’insongeable pour avoir pensé à lui donner une arme avant qu’ils soient tous séparés dans l’anarchie du combat. Le flamboyant chercha Tiradarkan au milieu du brouillard de guerre, mais l’empaleur semblait avoir disparu. Une petite trainée dans les cendres interpella de suite le protecteur, qui comprit que son ennemi avait dû ramper. Zabyss suivit la trace sur le sol pendant plusieurs mètres avec précaution. Cette dernière l’amena vers des silhouettes, ou plutôt des ombres, qui dansaient avec la mort au cœur des cendres. En effet les jumeaux étaient engagés dans un corps à corps sans fin avec deux ennemis, un troisième convulsant déjà par terre. Zabyss fit vite le rapprochement avec le Totengraber posé à côté 100 La Genèse de l’Apocalypse du guerrier dont la tête tremblait dans tous les sens. Le combat se déroulait sans armes, à la manière d’une baston de rue. Un crochet particulièrement puissant en direction d’un des membres des jumeaux sortit Zabyss de sa torpeur post-combustion. Il s’apprêta à sauter sur un des adversaires des jumeaux pour les aider, lorsque le reflet d’une lame brilla dans l’obscurité. « Attention ! » cria Zabyss lorsqu’il vit la lame de son ennemi disparu sortir de la fumée. Le membre de 22 le plus proche était trop occupé à mettre des coups de tête à son ennemi qu’il avait empoigné et ne fit pas attention à l’avertissement de son frère d’armes. « Nooooooooon ! » hurla le flamboyant impuissant. La longue lame s’immisça alors au travers de l’espèce de fine ceinture en trinitium d’un des jumeaux stoïques, avant de traverser celle du marcheur en combat rapproché avec le protecteur. Une seconde s’écoula, comme si le temps s’était arrêté. Personne ne bougeait tandis que les deux guerriers étaient pris en sandwich par la lame de l’empaleur. L’autre jumeau se précipita soudainement vers son frère en brisant le silence, après avoir jeté son adversaire sur le côté comme si son poids se résumait à celui de son âme. L’empaleur retira sa lame, laissant les deux guerriers tomber sur le côté dans une étrange étreinte, chacun ayant la tête sur l’épaule de l’autre. Le deuxième jumeau accourut vers l’empaleur, tandis que son frère tombait mollement dans les cendres en remuant ces dernières. Le protecteur alla finalement se ficher de lui-même sur l’épée du paladin solaire. L’empaleur essaya d’enlever son épée de l’étreinte mortelle du protecteur, mais le jumeau mit ses deux mains sur la lame et se rapprocha de Tiradarkan en s’empalant encore plus profondément sur Kolkan. De ses gants ensanglantés, il prit par surprise Tiradarkan en arrachant de son holster le basaltic eagle du paladin. 101 La Genèse de l’Apocalypse Il tira ensuite plusieurs balles dans le torse de son adversaire, ces dernières se logeant presque dans les organes de son adversaire. Tiradarkan lâcha un cri de rage et balaya l’arme d’un revers de la main. Il poussa avec son pied le dernier membre sans vie des 22èmes protecteurs. Ce dernier glissa le long de la lame et tomba non loin du protecteur qui venait de quitter le royaume terrestre, sa tête tombant sur le côté d’une manière à se tourner doucement vers celle de son frère jumeau. La fumée commençait à se dissiper et permettait à présent de voir le premier mètre en partant du sol. Tiradarkan toisait maintenant Zabyss, plusieurs cadavres en cuirasse de trinitium les séparant. « Voici ce qui est arrivé à tes camarades, articula-t-il avec difficulté en montrant de son épée les cadavres à ses pieds tandis que sa main libre était posée sur son torse sanguinolent. — Tu les as attaqués par derrière comme un lâche, tu n’as pas d’honneur ! Tu vas mourir chien ! — La fin justifie les moyens quand il s’agit des usurpateurs ! J’en aurais emporté deux dans ma tombe, peut-être trois, c’est ce qui compte ! ajouta le mourant. — Cela m’étonnerait, parodie de guerrier ! — Ah oui ? Et avec quoi vas-tu me tuer ? Range ton jouet, tu feras plus de dégâts avec tes poings. » Zabyss le laissa à peine finir sa phrase et tira frénétiquement à plusieurs reprises en direction de la tête de son ennemi. Il le toucha deux fois avant que l’empaleur ne le charge. Blessé et fou de rage, il ne fut pas dur à esquiver. Zabyss lui mit un coup de poing vicieux dans le torse, enfonçant encore plus les balles dans le corps de Tiradarkan. L’empaleur hurla alors de douleur et moulina de grands coups de lame dans tous les sens. Zabyss ne put esquiver l’enchainement de coups horizontaux et recula. Il n’eut pas le temps de réagir quand son dos le plaqua contre un pilier. L’empaleur changea son coup au dernier moment et essaya de planter la lame dans le torse du flamboyant. Ce dernier esquiva le coup juste à temps et son petit mouvement 102 La Genèse de l’Apocalypse sur le côté eut pour effet de diriger la lame vers sa grosse épaulière, ce qui le cloua sans douleur sur le pilier. En effet la lame n’avait traversé que l’extrémité haute de la pièce d’armure. Tiradarkan lâcha sa lame, la laissant plantée dans le pilier, avant de reculer d’un pas. « Je crois que tu es pris au piège, usurpateur ! » remarqua-t-il d’un air victorieux. Un marteau surdimensionné projeta alors l’empaleur sur le côté, arrachant son épaulière dans une choc fracassant. Krag, dont l’armure n’avait jamais autant dégouliné de sang, tira d’un grand coup sur l’épée plantée, débloquant ainsi Zabyss du pilier. « Merci mon frère », lâcha Zabyss à Krag tandis que ce dernier découvrait les jumeaux stoïques étendus dans les cendres, et par la même occasion les deux marcheurs solaires survivants leur faisant face. — Vous allez payer bandes d’enculés ! » beugla Krag tandis que Zabyss pesait Kolkan, la lame de l’empaleur. Les ennemis se chargèrent ensuite dans une détestation mutuelle et totale, dans le dernier carré de la bataille… S avait mal au crâne, ce dernier n’étant pas fait pour taper dans des murs à grande vitesse. Il tâtonnait autour de lui sur le sol jonché de verre, à la recherche d’une arme. C’est à ce moment-là qu’un repenteur lui tomba dessus en passant par-dessus le bar. S lui mit un coup de tête, tandis que son ennemi sortait un couteau tout en essayant d’étrangler l’insongeable avec son autre main. Ce dernier usa de ses deux mains pour repousser l’avant-bras de son adversaire, qui résista et continuait à maintenir son emprise sur son cou. Se sentant faiblir, S repoussa de toutes ses forces le repenteur avec son pied, le faisant tomber en arrière en lâchant son arme blanche. L’insongeable chercha frénétiquement le couteau tout en gardant à l’œil son adversaire qui se relevait au milieu des bris de verre. 103 La Genèse de l’Apocalypse Sa main se referma finalement sur un objet et l’insongeable l’écrasa aussitôt sur le crâne de son ennemi surpris. S regarda son adversaire, le visage bousillé par de multiples bouts de verre et éclaboussé d’un liquide foncé. Le soldat tomba en arrière tandis que l’insongeable observait avec un sourire en coin l’arme improvisée qui venait de lui sauver la vie. C’était une bouteille classique de Jackal’s Denial, du whisky que l’insongeable avait l’habitude de boire quand il ne passait pas son temps à combattre pour sa survie. S tenait encore dans ses mains une partie de la bouteille. Il restait encore un peu de whisky dans cette dernière et il but ce qui restait en faisant bien attention de tenir la bouteille à l’envers. Il déposa ensuite le cadavre de la bouteille par terre, d’un respect qui faisait un contraste avec la violence avec laquelle elle avait explosé sur la tête du défunt repenteur, étendu qu’il était sur un tapis de verre et de cendres. Il se hâta de ramasser le couteau de son ennemi qui avait glissé dans un recoin. Il prit son katana non loin et en enleva la goupille qui était coincée dans sa lame. Il regarda ensuite au-dessus du bar. Des silhouettes bougeaient dans le fond, mais un repenteur arriva devant S avant qu’il ne puisse les identifier. Il sursauta de surprise et, d’un réflexe fulgurant, lança le couteau fraichement acquis directement dans la gorge de l’homme. Le repenteur eut un petit râle et glissa sur le comptoir, se tenant le cou. L’insongeable enjamba son couvert et arracha brutalement le couteau du cou du soldat dans un fin geyser de sang. Il s’approcha ensuite des silhouettes au loin, un peu plus de sang sur son visage et ses habits… Zabyss sauta sur son ennemi et lui donna un grand coup circulaire à l’aide de la lame de l’empaleur, que le marcheur solaire para avec son fustis. Zabyss recula d’un pas et fit semblant de vouloir empaler son adversaire. Ce dernier bougea sur le côté juste au moment où 104 La Genèse de l’Apocalypse Zabyss changeait la trajectoire de son arme et l’arme du protecteur taillada le torse de son adversaire. L’épée traversa l’armure, révélant la chair du guerrier. Le marcheur solaire cria de douleur et, dans un mouvement étonnant de rapidité, prit en main son prisme solaire et appuya sur la gâchette de ce dernier. Zabyss mit aussitôt un coup d’épée en direction de son ennemi avant qu’il ne puisse le viser, lui coupant la main d’un seul mouvement. Le protecteur empala finalement le guerrier qui venait de le maudire. Le guerrier de l’Oculus tomba à genoux, lâchant son arme sur le sol cendreux. « Tu n’es pas le dernier, juste le premier ! » hurla le protecteur. Sur ces paroles, le flamboyant enleva la lame du corps de son ennemi et le décapita sèchement. La tête du défunt partit vers la droite tandis que le corps tombait de l’autre côté. À peine à quelques mètres de là, Krag enchainait son adversaire dans un final aussi brutal que spectaculaire. Un violent coup de marteau en direction du torse coupa net la respiration du marcheur solaire, le désarmant par la même occasion. Krag fit ensuite quelque chose que Zabyss n’avait encore jamais vu. Le carmin garda un doigt dans l’anneau au bout de son marteau tandis qu’il poussait avec son avant-bras placé en dessous du manche de toutes ses forces vers le haut. Une espèce d’uppercut atomique au marteau frappa le guerrier penché vers l’avant, au niveau du torse. Ce dernier tomba à genoux, son armure horriblement écrabouillée. Krag se servit de la force qu’il avait mise dans son coup et donna vite un autre coup d’avant-bras, cette fois-ci dans l’autre sens. La poigne du Concasseur frôla le sol en soulevant des cendres, puis passa au-dessus de la tête de Krag pour finalement s’écraser dans celle de son adversaire. Krag le carmin reprit son marteau et se tourna vers Zabyss, aspergé d’un bon litre de sang frais. 105 La Genèse de l’Apocalypse « Impressionnant ! dit le flamboyant. — Merci, c’est une de mes exécutions préférées. Je l’ai appelée le double uppercut sanglant ! — Ça porte bien son nom ! — Oui, dit le carmin avec amusement. —Au fait où est l’insongeable ? » La soudaine vague d’appréhension des deux protecteurs fut vite calmée : une tête venait de voltiger entre le carmin et Zabyss avant de se perdre dans les ténèbres. « Je suis là ! s’exclama S en sortant de la fumée, deux armes blanches à la main. — Ouf ! Désolé de pas t’avoir aidé plus que ça, mais on s’est tous perdus de vue dans ce merdier, avança Krag soulagé. — T’inquiète pas je me suis bien débrouillé, même si j’ai failli y passer ! — Tu es blessé ? demanda Zabyss en regardant le visage ensanglanté de l’insongeable. — Non, c’est pas mon sang ! Alors on a réussi, on les a battus ! — Oui, acquiesça Zabyss, mais à quel prix ? » ajouta-t-il en baissant son regard vers les corps sans vie de 22, entourés de leurs congénères en armure orangée tachetées de sang. S se tourna vers les jumeaux au milieu des cendres. Il eut un regard étonné puis accourut à genoux vers les guerriers morts. Il les regarda l’un après l’autre quelques secondes avant que des larmes ne lui montent aux yeux, sous le regard pesant des protecteurs cachant leurs émotions derrière leurs heaumes. S regarda par terre et essaya de comprendre pourquoi on l’avait choisi lui. Les protecteurs lui mirent chacun une main sur l’épaule pour le réconforter et l’insongeable sentit le poids de la responsabilité l’écraser. Il se releva en ravalant ses larmes de tristesse et laissa les mains des protecteurs s’enlever de ses épaules, leur toucher laissant place à une froideur ne pouvant présager qu’une chose. « Ils seront vengés ! promit-il. 106 La Genèse de l’Apocalypse — Nous partageons ton point de vue en tout point, répondit Krag. — Pour chaque protecteur tombé, je tuerais des milliers de repenteurs », ajouta Zabyss. Un bruit de rollersmoker en train de démarrer s’incrusta alors soudainement dans ce silence de communion vengeresse. Le carmin prit aussitôt la parole, avant le moindre mouvement des deux autres compagnons. « Non ! Nous avons assez donné aux repenteurs aujourd’hui, nous devons nous occuper de nos morts. S, reste auprès de nos frères et n’oublie pas qu’ils sont morts pour toi. » Alors que ce dernier acquiesçait avec une pointe de culpabilité, la fumée montait peu à peu au niveau du plafond et les protecteurs commençaient à fouiller la salle à la recherche de survivants. L’insongeable pouvait enfin observer le champ de bataille qui s’étendait autour de lui. Au centre de la salle, il tourna sur lui-même. Tout n’était que sang et noirceur, le feu n’avait rien épargné. Le sol les murs et le plafond, tout était noirci. Une odeur de grillé commençait à attaquer les narines de S, pourtant habitué à l’odeur de la chair brulée. Outre quelques marcheurs solaires et 22, des dizaines et des dizaines de cadavres de repenteurs jonchaient le sol, éparpillés un peu partout. Un fourreau vide sur un des cadavres en armure orangée attira l’attention de l’insongeable. S s’approcha et l’emprunta à son défunt propriétaire. Il attacha les deux lanières de cuir à son biceps, sous son T-shirt. Il mit alors le couteau qu’il avait subtilisé à un repenteur dans le fourreau. La lame un peu trop large rentrait de façon à ne pas tomber. S contracta son muscle et desserra un peu les lanières pour se laisser un peu de marge et il essaya de sortir la lame de son fourreau. Parfait, pensa-t-il la lame entre les mains. Il remit ensuite la fine lame dans son fourreau, ce dernier dépassant à peine de son large T-shirt. 107 La Genèse de l’Apocalypse Tandis que les protecteurs revenaient vers lui, S les admira une fois de plus. Krag, qui n’avait jamais autant mérité son sobriquet, rayonnait de puissance. Ses canons radius redspray et son marteau retrouvés, du sang poisseux dégoulinait de son armure et celui collé à ses pieds transformait ses pas en un étrange bruit de succion. Zabyss avait quant à lui remis ses deux blazing eagles et sa tronçonneuse au niveau de sa ceinture, tandis que Kolkan était aimantée dans le dos du flamboyant. Son armure était encore fumante et ses pas aussi secs que les corps brulés qu’il écrasait. Il tenait le pistolet radius de S dans sa main gauche, une autre arme de poing encore dans son étui dans l’autre. « Merci de m’avoir passé ton arme. Sans elle, je pense que je serais mort », remercia Zabyss tandis qu’il rendait le pistolet radius à son détenteur. Ce dernier le remit aussitôt dans son holster, sur sa cuisse droite. « De rien. Un combattant sans arme est un combattant mort. » S fronça alors les sourcils quand Zabyss lui tendit l’autre arme dans son étui. « C’est un basaltic eagle. Il tire des balles hitzkopf, qui sont chemisées et faites pour traverser de faibles blindages ou des murs. Il appartenait au chef des marcheurs solaires qui a tué les jumeaux. Tu mérites cette arme autant que nous, ajouta-t-il en tendant cette dernière et une poignée de chargeurs à l’insongeable. — Merci, dit sincèrement S en prenant le basaltic eagle et en accrochant le holster à sa cuisse gauche. — Allons-y, pressa Krag. Nous devons partir. Nous avons assez perdu de frères et de temps ici », ajouta-t-il calmement. L’insongeable et Zabyss acquiescèrent. Les deux protecteurs ramassèrent les armes de 22 et les mirent en bandoulière dans leurs dos. Zabyss et Krag attrapèrent ensuite chacun un de leurs défunts frères, comme une mère prenant dans ses bras son enfant pour le bercer avec délicatesse. 108 La Genèse de l’Apocalypse S fermant la marche, ils sortirent finalement de cette salle maudite poursuivis par des volutes de fumée qui semblaient leur coller à la peau. Les trois hommes ayant survécu au carnage comprirent en même temps pourquoi ils s’attendaient à combattre plus de repenteurs. Des dizaines de cadavres de soldats étaient étendus par terre dans des positions rimant avec une grande confusion. Les trous dans les murs mirent la puce à l’oreille aux trois compagnons. Les repenteurs en fuite avaient dû rencontrer les prismes solaires des marcheurs leur sonnant de retourner se battre. La puissance de feu phénoménale d’une escouade entièrement équipée de cette arme avait ainsi exterminé un grand nombre de ces pauvres repenteurs avant qu’ils ne puissent réagir. Quelle bande de sous-merdes, pensa intérieurement S en imaginant la cruauté des marcheurs. Tandis que les protecteurs l’attendaient dehors, il alla rapidement chercher ses affaires en suivant des traces de sang. Un repenteur était allongé dans le coin de la salle de bain, les jambes fondues. De petites poches en plastique marquées du mot « adiodine » étaient répandues autour du soldat mourant. Il était jeune, il devait à peine avoir vingt ans. Le repenteur regarda alors S d’un air suppliant. Ce dernier comprit tout de suite et dégaina son katana. Il le planta d’un coup sec, achevant ses souffrances alors que de la fumée s’élevait toujours de ses jambes carbonisées. L’insongeable se tourna ensuite vers le miroir en rangeant son arme. Son regard était toujours rêveur mais paraissait en même temps plus fatigué, presque exténué. Il cracha dans ses mains et s’aida de sa salive pour enlever en partie le sang qui était collé à sa figure. Son sac sur le dos, il se revint vers les protecteurs. Ils étaient sur le palier de la maison, portant toujours leurs défunts frères dans leurs bras. Une carcasse de repentor M 33 entourée de cadavres gisait au milieu du jardin. Des skitniks 45 et autres rollersmokers étaient garés devant l’entrée de la villa. 109 La Genèse de l’Apocalypse « On peut y aller, avança S lorsqu’il arriva à hauteur des protecteurs. — D’accord, répondit Krag. Nous allons nous occuper de nos morts et attendre le temps que la nuit tombe. Ensuite, on passera à l’action. » Sur ces mots, et sans un de plus, les trois compagnons avancèrent vers les véhicules. Zabyss et Krag allongèrent délicatement les cadavres de leurs frères à l’arrière d’un skitnik 45. Zabyss remonta la petite rampe du véhicule et monta à l’avant. L’insongeable et Krag montèrent dans un rollersmoker adjacent. Le carmin prit le volant et l’insongeable laissa tomber sa tête contre la vitre, essayant de se remettre de ce combat éprouvant. Les compagnons partirent ainsi en direction du nord, Krag les guidant vers un endroit hors du temps… Les escouades de nageurs, le sergent Azilor et Bâtard avaient découvert le carnage. Il y avait des cadavres partout. L’odeur de la mort et de la pourriture était omniprésente. Les dépravés ! comprit le sergent en reconnaissant les cadavres qui ne portaient pas la livrée de la 33ème Légion. En fouillant le bâtiment Azilor trouva le corps méconnaissable du balafré entouré des derniers cadavres de la bataille. Il était presque totalement fondu et seule une partie de son visage singulier et son éclat d’aérolithe, dog tag unique que chaque repenteur portait autour du cou, avait permis à Azilor de l’identifier. Azilor resta plusieurs minutes aux côtés de son mentor, pleurant silencieusement dans un mélange de tristesse et de rage. Il se jura de venger le balafré mais garda cela pour plus tard : les repenteurs avaient du pain sur la planche. Jidilius avait attentivement écouté le récit résumé d’un soldat mourant non loin, avant que ce dernier ne rende l’âme dans ses bras. La balise cachée dans le faux plafond avait été endommagée par une balle mais Azilor n’arrivait pas à vérifier si elle fonctionnait ou pas. 110 La Genèse de l’Apocalypse Ils devaient demander de l’aide de toute urgence : quelques dizaines d’hommes ne pouvaient tenir à eux seuls une position stratégique telle que le reflet d’Azur. « Venez sergent Azilor », pressa alors le nageur oxygersien Jidilius qui se trouvait auprès de Bâtard. Azilor resta muet quelques secondes, puis posa délicatement le balafré au sol. « Je vous suis », répondit-il enfin en ravalant ses larmes. Tandis que le nageur oxygersien Jidilius expliquait rapidement la situation à Azilor, ce dernier emboitait le pas à l’escouade du premier. « Il doit y avoir un centre de communication au dernier étage non ? — Oui il y en a un, répondit Azilor. — Ok. Comme il ne semble y avoir eu aucun survivant dans les deux camps, les dépravés n’ont surement pas eu le temps de le détruire. On va y aller pour demander des renforts au plus vite. » Quelques instants plus tard les repenteurs traversaient le couloir jonché de cadavres touchés à la tête, avant de rentrer dans la pièce où se trouvaient tous les systèmes de communication. La petite salle était remplie de machines et autres cartes tactiques mises en place à la hâte, tandis qu’un générateur utilisant du carburant gardait le tout fonctionnel. Azilor s’approcha et passa son alliance repentrice devant un étrange détecteur à côté de la carte holographique, ce qui déclencha aussitôt un compte à rebours d’une heure. En effet chaque gradé de la machine de guerre repentrice portait une alliance expiatrice à l’annulaire de la main gauche. En plus de symboliser leur lien éternel avec ladite machine de guerre, elle indiquait l’emplacement du porteur sur les cartes holographiques des bases repentrices. Les bagues possédaient ainsi un micro panneau starabsorber, ce qui leurs permettaient d’avoir une durée d’émission presque illimitée. La forme de l’alliance dépendait de beaucoup de choses, comme son grade ou l’organisation à laquelle le porteur était rattaché. 111 La Genèse de l’Apocalypse Les alliances expiatrices avaient tout de même toutes un point commun fondamental : plus haut était le grade du porteur et plus son alliance émettait loin. Ainsi quand une base lançait un appel de détresse toutes les bagues dans la région recevaient un signal, prenant la forme de vibrations codées en morse repenteur et qui agitaient la bague des gradés à portée. Ces dernières indiquaient les coordonnées de la position demandant de l’aide. Azilor crut alors comprendre quelque chose. Il n’avait pas dû sentir le message de détresse que la balise avait émise car lui et Bâtard devaient être assommés à ce moment-là. Les repenteurs en déduisirent ensuite que la balle qui avait traversé la balise l’avait endommagé de manière irréversible, ce qui expliquait pourquoi Azilor n’avait pas senti de vibrations dans son doigt pendant leur retour au bercail. Tandis que plusieurs repenteurs s’affairaient à s’installer aux commandes des ordinateurs sous les ordres de Jidilius, Azilor et Bâtard se rapprochèrent de la carte tactique sous forme d’hologramme au centre de la pièce. Autour du reflet peu de points clignotaient sur la carte, le balafré et ses soldats s’étant postés dans une zone quasiment désertée par la milice repentrice. À l’extrémité de la représentation holographique de la zone se trouvaient deux petits points, représentant chacun un gradé. Chaque point était entouré par deux suites de chiffres, l’une en chiffres arabes l’autre en chiffres romains. Les chiffres arabes étaient en fait la matricule du porteur, tandis que le chiffre romain était une information sur le porteur. Azilor les avait appris par cœur et il en déduit que ces deux points étaient des sergents evocatis. Le nageur oxygersien Jidilius ordonna alors à ses autres soldats d’aller guetter l’arrivée du nageur oxygersien Xarios qui se faisait attendre et dont l’alliance était à quelques centaines de mètres du reflet d’Azur. 112 La Genèse de l’Apocalypse « Venez », ajouta Jidilius en direction de Bâtard et Azilor tandis que les nageurs s’affairaient à leurs tâches respectives. Ainsi ils sortirent tous les trois de la pièce, allant se placer devant la grande baie vitrée brisée surplombant les marches. « Ça reste entre nous mais j’ai un mauvais pressentiment par rapport à Xarios. Il aurait dû être rentré depuis longtemps. Son envie de gloire l’aveugle à tel point qu’il pourrait se jeter dans la gueule du loup juste pour essayer de gagner un défi. Et j’ai bien peur que cela ne soit le cas. — Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? demanda l’autre sergent tandis que Bâtard scrutait l’horizon à la recherche d’observateurs ou de snipers. — Je connais bien les dépravés à force de me battre contre eux. Les veilleurs, un organe vital dans la société des dépravés, sont les derniers à aller au combat si leur clan décide d’attaquer quelque chose. Ce sont les meilleurs tireurs à l’arc de leurs tribus, et je n’ai vu aucun arc assez long dans ce charnier pour qu’il soit celui d’un veilleur. Donc, il reste encore des ennemis non loin d’ici. Ce sont des pros du piège autant pour leurs ennemis que pour leurs proies, même si pour eux la différence entre les deux semble infime. À mon avis cet assoiffé de gloire de Xarios a dû tomber en plein dans le panneau et est peut-être déjà mort à l’heure qu’il est. Il faut que ça reste entre nous car mes soldats vont vouloir se venger, et sans vouloir vous vexer ce n’est pas avec deux repenteurs de plus qu’on va faire la différence. Surtout qu’on ne sait même pas combien ils sont, conclut le sergent. — Oui je comprends, acquiesça Azilor. Vous pouvez compter sur mon soutien et mon silence. » Jidilius se tourna alors vers Bâtard, qui ne suivait qu’à moitié la conversation. « Ne vous inquiétez pas. Bâtard et moi sommes toujours du même avis, répondit Azilor à la place de l’intéressé. — Oui. Vous pouvez compter sur moi aussi, ajouta Bâtard en se retournant vers les deux sergents. — Merci de votre soutien messieurs, lâcha Jidilius satisfait. 113 La Genèse de l’Apocalypse — Et dire que les usurpateurs et le sujet 33 étaient là il y a si peu longtemps. Ça aurait pu faire une sacrée brochette ! lâcha Azilor en changeant de sujet. Si seulement ces dépravés n’avaient pas attaqué tout de suite, on aurait pu connaitre la gloire. Je déteste de plus en plus ces primitifs ! cracha Azilor. — Les usurpateurs vous êtes sûr ? demanda le sergent calmement étonné. J’aurai de nombreuses questions à vous poser à ce sujet, mais d’abord allons voir si on peut nous envoyer des renforts pour fortifier notre position. » Ainsi les trois hommes quittèrent les fenêtres pour revenir auprès des nageurs de Jidilius… Depuis plusieurs longs kilomètres, les trois compagnons roulaient dans des routes en zigzag le long de la montagne. L’insongeable regarda sur le côté droit. Il y avait plusieurs centaines de mètres de vide en contrebas et on pouvait discerner une forêt de conifères. Malgré l’improbabilité de la chose, S se rappelait de cet endroit. L’odeur de la nature en cette région lui était familière sans qu’il ne sache pourquoi. Le vent passant par la fenêtre lui amena l’air doux et pur des hauteurs. Krag prit tout à coup à gauche, s’enfonçant dans un chemin de terre qui allait tout droit dans la forêt. Le carmin s’arrêta rapidement, imité de près par Zabyss. « Je venais ici quand j’étais gosse, commença le protecteur avec une pointe de mélancolie. Je connais un endroit paisible où nos frères pourront se reposer pour l’éternité. — On te suit », répondit Zabyss. Les deux guerriers se mirent à porter chacun un de leurs frères et s’engouffrèrent dans un sentier au cœur des bois, tandis que l’insongeable restait entre ses deux imposants protecteurs. Leur marche était sereine, presque lente. S redécouvrit alors la nature, celle qu’il avait oubliée à force de se battre dans l’enfer urbain. 114 La Genèse de l’Apocalypse La verdure s’étendait à perte de vue, faisant presque oublier le monde à l’extérieur. Un grondement se fit entendre dans le ciel et les chants des oiseaux s’arrêtèrent aussitôt, laissant rapidement place à une pluie battante. La pluie tomba en premier sur le visage de S, le trempant rapidement de la tête aux pieds. L’insongeable aimait le sentiment de la pluie sur sa peau. Ce sentiment froid le faisait se sentir vivant. Il baissa alors son regard vers la bague qu’il portait au majeur de sa main gauche. Auparavant noircie de crasse, la pluie l’avait rendue presque brillante. Il l’enleva de ses doigts et l’examina. Trois formes y étaient sculptées de manière stylisée pour former une suite de lettres : SBS. S tourna ensuite la bague SBS et remarqua que quelque chose d’autre que ces trois lettres y était gravé. En effet ce qui ressemblait au chiffre quarante-sept à moitié effacé était visible à l’intérieur de la bague. Cette bague était à son doigt quand il s’était réveillé dans Nice, mais il n’avait aucune idée de sa provenance. L’insongeable la remit rapidement à son index, son manque lui donnant la désagréable impression de ne pas avoir de doigt. « Nous sommes presque arrivés », informa Krag au cœur du martèlement de la pluie. Ils continuèrent quelques dizaines de mètres, après quoi Krag sortit du sentier vers la droite. Ils continuèrent alors encore cent mètres et arrivèrent dans une petite clairière au milieu des arbres. « Voici votre havre de paix », présenta Krag aux jumeaux défunts. La petite clairière était jonchée de petites fleurs de couleur rouge dont S ne connaissait pas le nom. Le sol avait l’air bizarrement sec. Les deux protecteurs allongèrent les jumeaux stoïques au milieu des fleurs, leurs canons Totengraber à leurs côtés. Krag s’agenouilla devant ses défunts frères, suivi de S. Zabyss sortit une fiole remplie d’un liquide inconnu et versa ce dernier en 115 La Genèse de l’Apocalypse formant un « S » sur le sol, le haut entourant la tête d’un des jumeaux tandis que la base de la boucle entourait les jambes de l’autre. Le flamboyant prit dans ses mains les deux trajecteurs PO de 22. Il en garda un pour lui, pour remplacer le sien qui avait disparu, et enterra rapidement l’autre une dizaine de centimètres sous terre aux pieds de ses défunts frères. Zabyss prit ensuite délicatement les étranges pendentifs que les jumeaux avaient autour du cou et qui avaient la même utilité que les plaques d’identifications militaires. Les deux pendentifs étaient en fait des cœurs de lys. Ces derniers représentaient une fleur de lys dorée, dont l’arrièreplan était occupé par un cœur bleu qui épousait les formes de ladite fleur. Quand on les ouvrait les informations inscrites y étaient écrites en relief et en or, le tout sur fond bleu. Zabyss s’approcha de S et lui tendit les cœurs de lys des jumeaux. « Ils sont morts pour toi, garde leurs cœurs de lys en souvenir de leur mort héroïque. — Merci », répondit l’insongeable qui essayait de cacher son émotion. Zabyss s’assit à droite de S tandis que ce dernier observait rapidement les pendentifs. À l’intérieur y étaient gravées les informations des défunts protecteurs, en dessous desquels était inscrite la phrase suivante : « une pièce a deux faces, mais une seule tranche. Un temple a deux colonnes, qui se suivent quand il flanche ». L’insongeable passa ensuite les cœurs de lys des 22èmes protecteurs autour de son cou. Krag prit alors la parole, juste après que le flamboyant ait rattaché sa petite fiole à sa cuisse. « La symphonie de la destruction a parfois un gout amer, et parfois même on regrette presque le mal tristement nécessaire qu’elle engendre. Mais c’est dans ces moments-là qu’on se rappelle pourquoi on se bat et pourquoi il faut continuer, ne serait-ce que pour les morts qui ne doivent pas l’être en vain. 116 La Genèse de l’Apocalypse Le monde pleure la mort de deux âmes sœurs qui sont tombées dans l’honneur. » Krag s’arrêta, suivi étrangement par la pluie, et ce fut au tour de Zabyss de prendre la parole. « L’amour est aussi destructeur que la colère. Dans le cas présent, l’amour de l’un m’amène à la répulsion de l’autre. Vous servirez par-delà la mort mes frères, car la vie n’est qu’une partie de l’existence. Vous êtes nés dans les cendres de ce monde, vous partirez dans les flammes de cette tombe. La boucle est bouclée, ces flammes funéraires sont aux honoraires de l’enfer. » Zabyss tira ensuite une balle de blazing eagle dans le combustible qu’il venait de répandre sur le sol, tel un juge tapant de son marteau pour rendre la sentence finale. Le coup résonna dans toute la forêt et le son créa un écho en rencontrant les montagnes, tandis qu’un « S » de feu se dessinait au milieu du tapis de fleurs rouge. La forme serpentine enlaça ensuite rapidement les défunts protecteurs dans une étreinte brulante. L’insongeable n’était pas très doué pour ce genre de moments et essaya de parler avec son cœur. « Les méandres de la destinée sont insondables. Peut-être qu’ils auraient dû tomber, peut-être que non, nous ne le saurons probablement jamais. Mais ils sont morts pour me protéger et je leur suis infiniment reconnaissant et redevable. Quand ma quête sera finie, je veillerai personnellement à ce que le souvenir des jumeaux stoïques et de tous les autres protecteurs tombés pour me défendre persiste à jamais. » S essaya de rajouter autre chose, mais il n’y arriva pas. Les protecteurs lui mirent chacun une puissante main sur l’épaule en signe de soutien et de compréhension. L’insongeable lança alors un petit regard sur le côté. De l’eau perlait du casque du carmin dont l’armure restait obstinément couverte de sang. On aurait dit qu’il pleurait. 117 La Genèse de l’Apocalypse Ils restèrent ainsi plusieurs heures, muets et pensifs au milieu de la clairière sporadiquement éclairée par de timides rayons de soleil… Ils s’étaient réunis autour du cadavre de Kwor. Zagor avait pleuré plusieurs minutes, et le second degré qu’avait pris Larok en narrant son coup de malchance du jour n’y avait rien changé. Le grand veilleur demanda ensuite à Lergoragor, le petit nouveau de la troupe, de le suivre pour le rituel de l’adieu. Zagor l’avait trouvé errant dans la forêt urbaine qu’était devenu le nord de Cannes lorsqu’il était en train de chasser. Lergoragor venait alors de tuer un jeune tigre gris, un animal typique de cet endroit. Ces bêtes rares et féroces se camouflaient parfaitement dans les environnements urbains et sautaient sur leurs proies des hauteurs des bâtiments. Celui-ci avait sauté sur Lergoragor dans un bon féroce tandis que Zagor sortait d’une ruelle perpendiculaire. Lergoragor l’avait esquivé au dernier moment et l’avait tué en un coup d’un coup de dague bien placé. Zagor avait été époustouflé et avait proposé à Lergoragor de rejoindre sa tribu. Ce dernier, plutôt solitaire, avait fini par accepter, un peu intimidé par Zagor. En quelques semaines sa progression fut très rapide, mais les dépravés furent attaqués par les repenteurs avant que Lergoragor n’ait pu finir son apprentissage. Il allait apprendre à s’occuper de ses amis défunts, pour qu’ils s’en aillent en paix. Tandis que les autres veilleurs s’étaient rassemblés sur le toit d’un bâtiment surplombant le reflet d’Azur, Zagor et Lergoragor traversaient la luxuriante forêt urbaine vers le nord de Cannes. Ils marchaient donc depuis plusieurs minutes dans un secteur plutôt calme. Lergoragor portant le veilleur défunt dans ses bras, ils arrivèrent à la lisière approximative entre la partie sud et la partie nord de Cannes. « Viens, suis moi », dit Zagor à son disciple sans se retourner. 118 La Genèse de l’Apocalypse Ils entrèrent alors dans une grande structure sur leur gauche. C’était un grand hangar désaffecté qui avait apparemment été transformé en lieu de réunion pour les dépravés. Des plantes grimpantes et touffues en avaient envahi tout l’espace, du sol au plafond. Les deux dépravés se dirigèrent vers le fond du hangar. À cet endroit un espace était dégagé. Un grand arbre y était planté, trouant le plafond et faisant entrer quelques traits de lumière. Lergoragor comprit alors que les plantes grimpantes étaient en fait les racines de cet immense arbre. Ils se rapprochèrent du grand arbre et Lergoragor put observer des travées sur sa droite. Le dépravé distingua les corps de dépravés qui étaient posés sur les différents étages des racks autour de lui. Des racines enlaçaient tendrement leurs corps. L’apprenti fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu’il avait sous les yeux. « Ce sont nos anciens frères et sœurs. Nous les rendons à la nature pour la remercier de nous avoir donné la vie. La force de nos corps défunts nourrit les plantes et accélère leur prolifération. — Et pourquoi faites-vous ça ? demanda Lergoragor avec curiosité. — Tout d’abord pour le côté symbolique. Cela montre que la boucle est bouclée, et que même dans la mort nos frères et sœurs restent utiles. Ensuite car c’est grâce à l’arbre que tu vois là que nous sommes encore en vie. Nous l’appelons le Grand Père. À la genèse de l’existence des dépravés nous étions pourchassés, tués et brulés. Un jour des repenteurs sont arrivés dans un hôpital abandonné non loin où un grand nombre de dépravés s’étaient réfugiés et ont massacrés tous ces êtres innocents. D’habitude, ils les brulaient, mais là il y avait trop de cadavres en putréfaction. Ils ont donc scellé tous les points de passage du bâtiment pour le faire sauter. Mais ils n’avaient pas eu le temps de détruire tout le bâtiment, trop occupé à d’autres affaires plus importantes dans la région. Peu à peu, les plantes de l’hôpital ont pris de plus en plus de place puis sont rentrées en contact avec les cadavres des 119 La Genèse de l’Apocalypse premiers dépravés morts. L’ancien hôpital devint vite une jungle urbaine, les corps servant de terreau fertile. Les plantes accomplirent alors un miracle. En rentrant en contact avec un dépravé que les repenteurs avaient cru mort, elles ramenèrent ce denier à la vie, son corps fusionnant avec les plantes. Peu à peu, tandis que la région était abandonnée par le gros des troupes repentrices, les plantes continuèrent à gagner en puissance. Elles puisèrent dans le corps riche et vivant du dépravé. Les plantes formèrent un arbre autour de l’être et allèrent ranimer trois autres cadavres, les seuls qui avaient encore assez de force dans leur corps pour pouvoir être ranimés. Leurs nouveaux corps noueux faits de grosses racines, ils se prosternèrent devant la Grande Mère. C’était le nom que le destin avait soufflé aux oreilles des trois disciples. La bouche ordonna à ses trois disciples de répandre sa parole, celle de la nature, en réunissant tous les dépravés sous le même drapeau. Ils s’exécutèrent, totalement reconnaissants envers cette Grande Mère qui venait de leur donner une seconde chance. Ils restèrent donc tous les trois dans la région pendant plusieurs semaines, rassemblant les dépravés et les amenant à l’hôpital rencontrer la Grande Mère. Au début les dépravés étaient plutôt réticents et, ayant honte d’eux, ils restèrent pour la plupart cachés dans leur coin et à la merci de tous. Mais un événement inattendu vint changer la donne. En effet, les repenteurs avaient gagné beaucoup de puissance pendant leur absence sur la côte. Lorsqu’une grosse armada arriva dans la région avec ses machines d’acier, les dépravés furent le premier problème dont les soldats s’occupèrent. Un gros groupe de soldats arriva ainsi devant l’hôpital armé d’étranges lanceflammes, mené par les anciens soldats de la région. Ils brulèrent tout, y compris l’arbre et de nombreux des nôtres. Les survivants, dont faisaient partie les trois guerriers noueux, partirent se cacher dans les montagnes. Un des noueux se transforma à son tour en arbre. On le renomma le Sauveur. Pendant presque un an tous les dépravés chassés par les repenteurs de la côte rejoignirent cet endroit secret. Les nôtres ont plus tard réinvesti la région cannoise pour reprendre le territoire de la Grande Mère. 120 La Genèse de l’Apocalypse Beaucoup de dépravés moururent ce jour ; mais les repenteurs furent finalement massacrés et les quelques survivants se replièrent au reflet d’Azur non loin d’ici, qu’ils transformèrent alors en base. Les dépravés de l’époque auraient pu les poursuivre, mais la mort de nombreux des leurs et la découverte de la Grande Mère brulée avait vite refroidi leurs envies. Les blessures devaient être pansées. L’avant-dernier des guerriers noueux se sacrifia et se transforma en arbre, le Grand Père que tu peux admirer ici. La croissance de l’arbre fut rapide, se nourrissant des nombreux cadavres de la bataille précédente. Depuis ce jour, les repenteurs évitent ce coin de Cannes. — Et qu’est devenu le dernier ? demanda Lergoragor. — Il, le Messie comme nous l’appelions à son départ, a transmis cette histoire et s’en est allé au nord en direction des montagnes. Il devait partir rallier les dépravés des autres régions mais personne ne l’a revu depuis. Peut-être est-il mort, peut-être s’est-il enraciné loin d’ici, on ne le saura surement jamais. Je pense que s’il avait réussi il nous aurait envoyé un messager ou un signe, mais peut-être qu’il ne le peut pas. C’est très rare, mais il arrive que de temps en temps de nouveaux guerriers noueux naissent des cadavres enracinés. Ces guerriers sont très résistants et très forts au combat. On les appelle les sentinelles de l’orée, car elles protègent nos sanctuaires au cœur de cette mer de poussière et de débris. — Mais pourquoi il n’y en a pas ici ? demanda Lergoragor en regardant autour de lui, tandis qu’il était à quelques mètres de l’arbre. — Elles sont là, mais elles sont cachées. Elles se camouflent dans la verdoyante nature qui nous entoure et ne sortent de leur cachette que quand le danger est présent. — Je vois, lâcha Lergoragor qui scrutait le moindre coin d’ombre à la recherche de ces énigmatiques gardiens. — Maintenant que tu as appris le pourquoi, tu vas apprendre le comment. » Ainsi de longues heures durant, Zagor appris à Lergoragor le rituel de l’adieu. 121 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier consistait en une série de gestes et d’actions imagées représentant les différents moments de la vie du défunt tels que la naissance, la découverte, la fureur, la passion, le déclin et la mort. Le disciple suivit le grand veilleur avec attention, réfléchissant en même temps à la signification sous-jacente du rituel… Les flammes avaient brulé presque toutes les fleurs rouges de la clairière, avant de s’arrêter à la lisière de cette dernière. Le vent soufflait maintenant beaucoup plus fort que quelque temps auparavant, balayant des volutes de fumée et glissant sur les armures intactes des jumeaux stoïques. Cela faisait plusieurs heures qu’ils contemplaient tous les trois les protecteurs tombés, en se disant que ce serait surement la dernière fois avant longtemps. Des nuages noirs cachaient maintenant le soleil de l’après-midi. « Et maintenant ? demanda Zabyss, coupant ses compagnons dans leur réflexion. — Le poste repenteur est quelques kilomètres plus loin. Si on y va par la route, on va se faire rapidement repérer et éliminer. Nous allons passer par la forêt à pied. On va ensuite attendre la nuit et on va infiltrer leur base », répondit Krag après un petit temps d’attente. Zabyss acquiesça, tandis que l’insongeable sortait de sa torpeur pensive les yeux brillants. Il ne se sentait pas à égalité avec ses deux protecteurs. Eux au moins pouvaient cacher leurs sentiments derrière leurs heaumes, pensa l’insongeable. S souffla rapidement cette pensée hors de son crâne, ne doutant pas une seconde que les protecteurs étaient eux aussi attristés par la mort de leurs compagnons. Zabyss se releva, doucement, comme si les jumeaux allaient lui en vouloir s’il partait avec trop d’empressement. Krag se releva quelques instants plus tard, son impressionnante silhouette projetant une ombre sur ses frères défunts. S attendit encore quelques secondes, s’imprégnant une dernière fois de l’endroit. 122 La Genèse de l’Apocalypse Il se leva enfin, puis tourna le dos aux jumeaux. Les deux protecteurs l’attendaient, côte à côte. « Ne t’inquiète pas, commença Zabyss. On les vengera cette nuit. — Merci, je compte bien y participer ! — Suivez-moi », pressa Krag en changeant de discussion. Je connais un sentier qui peut nous faire arriver sur les hauteurs de la base. Nous attendrons là-bas que le soleil se couche, et nous frapperons… 123 La Genèse de l’Apocalypse 124 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 5 : The Rotten Apple / Wouded and Lost / The Thunder of Revenge / [10 Cruciamentum an 13 ; Terre] Bâtard s’était allongé sur le ventre, après avoir appliqué un baume spécial contre les brulures au radius. Non loin de là, les deux sergents cherchaient toujours des possibilités de renforts. Après avoir reçu des réponses négatives, ou pas de réponses du tout, de petites bases et autres avant-postes alentour les sergents avaient contacté les 4ème et 7ème Princes Bellicistes de la 33ème Légion. Ils savaient qu’ils étaient les seuls à pouvoir leur venir en aide. Le supérieur des deux sergents, Bazor, était positionné avec le gros de son armada vers Marseille. Delenios, le 7ème Prince Belliciste, était quant à lui posté à Nice. Ils avaient contacté le premier pour prévenir que les escouades des nageurs de combat n’allaient pas rentrer de sitôt. Le nageur oxygersien Jidilius savait très bien que Bazor n’enverrait pas de renforts, il était déjà trop occupé à mater la révolte qui sévissait dans sa juridiction. Ils avaient ainsi tenté leur chance avec Delenios, utilisant la carte de l’urgence pour quémander de l’aide au Prince Belliciste. Et ils avaient bien fait. En effet le Prince Belliciste était reconnaissant de la mission que l’escouade du nageur oxygersien Jidilius et que d’autres nageurs de combat avaient accomplis il y a peu. Ainsi les soldats spécialisés dans le combats en mer avaient mis fin à la présence des pirates dans la région. Dans une grande opération les groupes de soldats avaient attaqué de nuit de nombreux bateaux pirates en même temps, tuant silencieusement tous les marins à bord et éliminant chirurgicalement les capitaines des vaisseaux visés. C’est sans doute pour cela que le Prince Belliciste Delenios avait répondu avec enthousiasme qu’il allait envoyer en renfort dix escouades de conscrits le plus vite qu’il pouvait. 125 La Genèse de l’Apocalypse Les conscrits étaient de nouvelles recrues dont l’entrainement était presque terminé. Selon la procédure ils intégreraient ainsi le 45ème bataillon et finiraient leur entrainement dans ce dernier. Cette idée n’était pas pour déplaire à Azilor et Bâtard qui étaient les deux derniers survivants de ce bataillon, leur bataillon. Deux escouades d’evocatis devaient normalement rallier le secteur. Ces derniers se trouvaient à moins de quinze kilomètres quand on leur avait envoyé le message de détresse. Les evocatis étaient les vétérans de la milice repentrice. Chaque bataillon était doté d’un parazonium, une compagnie d’evocatis, selon une règle de proportionnalité très stricte. Mieux armés et équipés que les forces régulières, ils forçaient le respect de leurs congénères plus novices dans l’art de la guerre. Leur expérience et leur arsenal étaient toujours un plus lors des nombreuses batailles qu’engageait la milice repentrice. Azilor et les autres repenteurs n’avaient maintenant plus qu’à attendre les renforts. Les quelques repenteurs qui ne surveillaient pas l’horizon jouaient au repenticide, un jeu de cartes auquel les repenteurs jouaient quasiment à chaque fois qu’ils avaient du temps libre. Ce dernier se jouait avec un jeu de cartes que les miliciens avaient créé exprès pour ce jeu et qui était très ressemblant à un jeu de cartes traditionnel. Ils étaient une dizaine à y jouer, le reste des nageurs de combat surveillant l’horizon d’un œil concentré, attendant toujours le retour de Xarios et ses hommes. Les deux sergents discutaient eux de leurs différentes expériences de guerre dans la salle où se reposait Bâtard, l’ombre des nuages rendant le charnier des marches encore plus macabre… Zagor et Lergoragor venaient de rejoindre les autres veilleurs sur le toit du bâtiment où s’était déroulé le combat contre les nageurs de combat. Il pleuvait de plus en plus fort. 126 La Genèse de l’Apocalypse « Kwor est en paix, commença le grand veilleur. — Que fait-on maintenant ? demanda Seurg après un léger silence. — Nous avons besoin de plus de soutien pour attaquer le reflet d’Azur et voir ce que sont devenus nos frères et sœurs. » Le grand veilleur marqua une pause. Chacun se doutait que le reste de la tribu n’avait pas survécu mais cela paraissait tellement improbable que les veilleurs n’arrivaient pas à faire face à la fatalité. Zagor reprit finalement la parole. « Seurg et Larok, vous irez demander de l’aide auprès de l’Hégémon du val Masqué. Yarg, toi va voir si les frères Syndrakona peuvent nous donner un coup de main. Hislachar, balance-leur la tête du sergent mort. Ça leur montrera que les dépravés de l’enfer Verdoyant ne sont pas tous tombés. » L’ombre sourit sous sa capuche. Zagor savait ce que ses veilleurs aimaient, et surtout les domaines dans lesquelles ils excellaient. « Et vous deux, finit Zagor en désignant Lergoragor et Kychrak, vous allez me suivre. On va voir si le maitre des bêtes peut nous aider. » Ils partirent ensuite chacun de leur côté, Kychrak n’oubliant pas de retirer le croque-mensonge de la tête du sergent avant de couper cette dernière et de la donner à son frère Hislachar. Ils étaient tous partis au pas de course, excepté le groupe où se trouvait Zagor. Atnias, le maitre des bêtes de leur tribu, n’était pas loin. Il se trouvait dans un bâtiment près du hangar du Grand Père. Zagor était sceptique. Lergoragor avait tué une de ses bêtes, et il allait sans aucun doute s’en rendre compte. Sa réaction serait surement imprévisible mais le grand veilleur ne préférait pas y réfléchir… Les sergents evocatis Morduk et Torkus avaient vraiment l’impression d’être oubliés de tous. Nhakinvat, leur Mandataire, avait ainsi envoyé deux sergents de son parazonium dans la touricière de Biliax. Ces derniers avaient 127 La Genèse de l’Apocalypse amené avec eux des troufions pour une mission d’entrainement censée être leur baptême du feu. C’était une mission simple : ils devaient rentrer dans un des immeubles à moitié détruits de la touricière et exterminer toutes les personnes se trouvant à l’intérieur. Cette zone pullulait de bandits armés faisant du commerce de suke, une étrange drogue de synthèse qui rendait accro le peu de réfugiés se terrant encore dans la région. Depuis qu’ils étaient partis de leur base les deux sergents n’avaient connu que des emmerdes. Une des escouades de bleus s’était premièrement fait exterminer lors de la traversée du nord de Cannes. En effet, un de ces boulets avait eu la stupide curiosité de regarder un de ces tigres gris plutôt que de traverser en regardant droit devant lui comme tout le monde. Torkus avait directement sonné l’ordre de repli vers la sortie de l’enfer Verdoyant. L’escouade du boulet fut rapidement exterminée par les tigres, qui n’eurent même pas peur de commencer à manger devant les autres escouades. Arrivé devant la tour avec leur lot de troufions totalement apeurés, Torkus sut que c’était perdu d’avance pour eux. Malgré le fait qu’ils aient attaqué la tour par surprise, les bandits étaient bien armés et savaient décidément bien se battre dans leur royaume. De plus les repenteurs se faisaient contourner toutes les cinq minutes, le bâtiment étant un vrai gruyère. Les troufions s’étaient ainsi vite transformés en cadavres et les evocatis furent rapidement encerclés. Seules leur expérience ainsi que leurs grenades double B et chiller purent les sauver d’une mort quasi certaine. Les grenades chiller explosaient en envoyant un mélange liquide tout autour de la zone d’impact lorsqu’elles explosaient. Moins d’un quart de seconde plus tard la détonation envoyait une forte décharge électrique qui parcourait alors ledit liquide, électrocutant de cette manière les cibles « marquées » par ce dernier. 128 La Genèse de l’Apocalypse Les evocatis avaient donc réussi à se replier vers le haut du bâtiment et étaient descendus en rappel du dernier étage à l’aide de grappins, un des bandits ayant même eu le temps de couper la corde d’un des soldats, qui s’était alors écrasé par terre. Sur la vingtaine d’evocatis, trois des soldats de Morduk et quatre evocatis de Torkus étaient morts. Un bilan lourd pour des vétérans censés faire une mission de routine. Ils pansaient leurs blessures dans un grand hangar délabré quand ils avaient reçu le message de détresse. Morduk, le plus bourrin des deux, se demandait comment il allait faire pour s’empêcher de démembrer le sergent qui avait soidisant entrainé ces manchots casqués. Morduk était un géant. Il faisait plus de deux mètres de haut et était doté d’une musculature très développée. Comme tous les evocatis, il portait une version améliorée de la tenue des soldats normaux qui ne permettait elle qu’à stopper quelques radius avant de surchauffer et de laisser passer les tirs. Les tenues habituelles des repenteurs étaient en effet fait d’un tissu pouvant absorber une certaine chaleur dans un temps imparti, avant de surchauffer et de laisser le radius ou autre projectile du même genre transpercer le tissu. Étant donné que l’armement radius faisant partie de la plus grosse partie de l’armement utilisé par les repenteurs et leurs ennemis, les soldats n’avaient en général pas ou peu de protection face aux autres types de menaces. La tenue des evocatis, à bandes blanches et noires pour la 14ème Légion, était en quelque sorte une amélioration de la tenue habituelle des repenteurs. Déjà plus massive et plus lourde, elle comportait une couche de tissu thermoréplétif plus épaisse et donc plus efficace. De petites plaques d’eluzirium étaient ensuite disposées au-dessus de leur tenue, aux points stratégiques à la manière des torses d’acier que portaient les guerriers de la Rome d’antan. 129 La Genèse de l’Apocalypse À la place de casques ne protégeant pas toute la tête, ils étaient coiffés de heaumes intégraux qui étaient encastrés dans le col de leurs tenues. Ces derniers étaient massifs et suivaient le même jeu de couleur que le reste de la tenue. Morduk, comme tous les autres sergents evocatis, avait une petite variante de couleur pour différencier son grade aux yeux des autres soldats. Ainsi au lieu d’avoir un heaume blanc et noir pour les evocatis non gradés de la 14ème Légion, Morduk et Torkus avaient un casque tout blanc. La plupart des evocatis maniaient des canons radius redspray ou des canons radius à canon long. Ces derniers, plus précis et légèrement plus puissant que les canons radius classiques, avaient tout de même une cadence plus lente. Ils disposaient d’un petit viseur avec un léger zoom ce qui en faisait une arme taillée pour le combat à semi-longue distance. Certains vétérans qui préféraient la force pure se tournaient vers des armes comme le fusil à pompe W 654. Mais les sergents evocatis avaient encore un peu plus de choix dans leur arsenal. Morduk avait opté pour un vitrifieur, une arme radius expérimentale qui tirait des rayons jaunes à faible cadence. L’arme utilisait des particules de sables dans un étrange procédé, ce qui avait pour effet de modifier les propriétés du radius et de vitrifier ce que ce dernier touchait. Torkus, son ami de longue date, préférait quant à lui manier un massif canon radius trekant, une variante du canon radius de base. L’arme tirait trois rayons en un seul tir, possédant ainsi une seule gâchette mais trois canons qui formaient un triangle pointe vers le haut. Imposante et ayant besoin de beaucoup d’énergie l’arme demandait une certaine dextérité et une certaine habitude avant d’être correctement maniée. 130 La Genèse de l’Apocalypse Torkus aimait le combat mais était moins rentre-dedans que son confrère Morduk, préférant plutôt rester en soutien que vitrifier tout le monde au corps à corps. Une quinzaine d’imposants evocatis avançaient ainsi d’un pas décidé vers le reflet d’Azur, se rapprochant de ce dernier par le nord de Cannes… Yarg arriva le premier à sa destination. Les frères Syndrakona résidaient dans un ancien hôtel miteux non loin du hangar du Grand Père. Les frères faisaient autrefois partie d’un syndicat, avant que les repenteurs détruisent leur business et exterminent presque tous les membres de leur grande famille. Ils détestaient autant les repenteurs que les dépravés, voire même plus. Quand les dépravés s’étaient rebellés et avaient commencé une guérilla contre les repenteurs, les frères disposaient alors d’un gros armement de guerre. Ils firent un pacte lié d’amitié avec les dépravés, échangeant leur protection contre des armes. Même si Yarg n’aimait pas trop les canons il savait que sans l’aide de leurs cousins plus humains, les dépravés se seraient fait exterminer très rapidement. Dans leur vieil hôtel abandonné les frères faisaient aussi de l’espadassine, de l’alcool dont l’ingrédient principal était la spadassine, une petite fleur orangée qui pullulait dans l’enfer Verdoyant. Ils l’offraient aux dépravés et autres rares personnes venant dans leur antre pour business. Les repenteurs ne connaissaient pas l’existence des frères Syndrakona, car ces derniers savaient rester à la fois présents et discrets. Yarg avait franchi le seuil de la porte déjà grande ouverte, ils devaient déjà savoir qu’il était là. Le veilleur arriva rapidement devant l’ascenseur hors service. Les frères se trouvant au dixième étage. 131 La Genèse de l’Apocalypse Yarg décida de se servir des escaliers comme entrainement pour ses jambes engourdies et les grimpa quatre par quatre. Le dépravé se demanda comment il allait leur annoncer la terrible nouvelle qui ne laissait maintenant plus aucun doute. Un petit son précéda l’ouverture de la porte. Deux bikers des dons of brutality l’attendaient l’arme à la main. « C’est bon, dit le premier en abaissant son arme. Bienvenu Yarg ! — Merci », répondit le veilleur en lançant un petit sourire amical aux deux bikers avant de les dépasser. Tryner était le plus ancien. Il connaissant tout le monde et avait une mémoire infaillible. En effet, Yarg était venu voir les frères pour la dernière fois il y avait plus d’un mois ; ce qui signifiait une éternité dans ce monde où la mort se terrait à chaque coin de rue. Les dons of brutality avaient été de gros vendeurs et acheteurs auprès de la famille dont faisaient partie les frères avant que les repenteurs viennent fouiner dans leur business. Depuis ce temps les deux entités étaient devenues plus proches, se protégeant l’une l’autre de leurs nombreux adversaires. Ainsi, les dons of brutality avaient laissés une poignée des leurs auprès des frères. Leur but consistait à protéger ces derniers et veiller à ce que la marchandise qu’ils récupéraient pour eux était toujours au gout des bikers. Le plus jeune des frères, Yuriy, suivait les dons of brutality dans tous leurs déplacements pour garder un œil sur les marchandises bonnes pour les frères tout en satisfaisant ses désirs de découverte et de combat. Yarg poussa la grande porte qui menait à la salle où se concertaient toujours les frères et leurs associés. Ils étaient là, les trois frères et Amadius. Ce dernier était un demiser, un représentant des intérêts des dons of brutality auprès de leurs associés, en l’occurrence les frères. Comme tous les autres dons présents dans l’hôtel, il faisait partie du chapitre Tonnerre mécanique. 132 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier était le chapitre qui faisait des affaires avec les frères depuis des temps immémoriaux, et la confiance mutuelle qu’ils se vouaient l’un l’autre était presque aveugle. De droit à gauche se trouvaient ainsi Dimitri, Nikolaï, Amadius et Vikenti. Ces derniers se retournèrent dans un même mouvement pour faire face à leur interlocuteur quand le dépravé passa le pas de la porte. Le premier, l’ainé des frères, était en train de fumer un cigare. Il feuilletait ses feuilles de stocks éparpillés près de son D&D M5 d’un air impassible. Les deaf & destruction étaient une grande famille de revolvers de gros calibre dont les truands étaient friands, leur procuration sur le marché noir étant assez simple. Un peu derrière, Nikolaï était en train de se préparer un russe blanc. Plus vieux que Yuriy de deux ans, il était toujours en train de tester de nouveaux mélanges et recettes pour ses convives dont il aimait toujours s’occuper. Amadius faisait quant à lui un peu tache dans cet environnement feutré et mafieux. Il regardait par la fenêtre quand Yarg était entré. Il scrutait toujours l’horizon alentour à travers la lunette de son fusil de sniper belayasmert, posé à l’encadrement de la fenêtre ouverte. Vikenti, plus vieux que Nikolaï de quatre ans, était tapi dans un recoin de la pièce et seul son AD 665 était visible. De nom complet antequam daemon 665, cette arme était un fusil d’assaut assez facile d’accès et terriblement efficace. L’arme à feu, de par son cout et son histoire, était beaucoup utilisé par les ennemis des repenteurs. Une tradition voulait que chaque porteur de cette arme peigne une tête de démon tout autour de la bouche de l’arme, enveloppant ainsi le projectile d’une malédiction lorsque le coup était tiré. « Yarg ! avança Dimitri de sa voix posée. 133 La Genèse de l’Apocalypse — Tu veux du russe blanc ? demanda Nikolaï, toujours accueillant. — Non merci, répondit Yarg. Un peu d’eau me suffira. » Pendant qu’on lui servait à boire, Yarg réfléchissait à comment il allait leur annoncer la nouvelle. Il but finalement quelques rasades et Dimitri insista. « Allez, dis-nous tout. Tu n’es quand même pas venu pour boire un verre d’eau et repartir ? questionna Dimitri. — Non, j’ai une terrible nouvelle à vous annoncer. La bataille qui a eu lieu la nuit d’hier, nous l’avons perdue ! » Tout le monde arrêta aussitôt son activité et se tourna vers le dépravé au centre de la pièce. « Tout le monde est mort dans les deux camps, on n’a vu aucun signe d’activité depuis la bataille : personne n’a survécu. Des escouades ennemies sont en train de se regrouper au reflet. — Tu veux dire que ces chiens ont tué tous les dépravés de votre tribu ? Même notre vieil ami Gralug ? — Oui, répondit Yarg en se tournant vers Nikolaï. Il ne reste plus que nous, les veilleurs. » Vikenti se leva, révélant alors sa tête de psychopathe. « Il faut aller les tuer sur le champ ! Ils ne doivent pas savourer leur victoire une seconde de plus ! — Calme-toi Vikenti, dit l’ainé avec un signe de la main. Nous t’écoutons Yarg. — Des escouades ont pris place dans le reflet. Nous avons tué une partie des soldats et perdu un des nôtres. On pourrait aisément les attaquer, mais si des renforts ennemis arrivaient à ce moment nous ne ferions pas long feu. Nous avons besoin d’armes, de troupes et de temps si nous voulons faire payer les repenteurs sans perdre encore des frères. Je suis ici pour les armes. Ne vous inquiétez pas, personne ne sera en reste, continua Yarg en se tournant vers Amadius. Quand nous aurons repris la base, tout le monde pourra se servir, y compris les dons of brutality ! — Dans ce cas c’est bon pour nous, répondit Amadius au nom des siens. 134 La Genèse de l’Apocalypse — Je crois que ça l’est pour nous aussi, ajouta Dimitri soutenu par les hochements de tête de ses frères. — Merci beaucoup de votre soutien messieurs ! — Mais de rien, répondit l’ainé. Maintenant rapproche toi et explique-nous précisément ce dont tu as besoin. » Le groupe de cinq personnages commença donc à préparer sa vengeance, remettant à plus tard le moment du deuil… Bâtard s’était endormi pendant que les deux sergents parlaient encore de leurs expériences respectives au sein de la milice repentrice. Le parcours de Jidilius impressionna le sergent Azilor, surtout quand le nageur oxygersien mentionna la campagne tombale et la bataille des eaux troubles. Au milieu de cette après-midi grise, Azilor imaginait les soldats se battant dans les eaux noires et agitées de Medernatis, basculant dans les obscurités sans fond et les fonds sans postérité. Quand Azilor avait commencé à parler de l’embuscade qu’avait subie le Prince Belliciste Iskandar le grand, Jidilius avait été tout d’un coup plus attentif. Ces stupides soldats se battant encore pour leur « nation » avaient tenté de mettre un terme à la marche de l’armada vers le centre de Marseille. Sans le génie tactique d’Iskandar le grand, ils seraient tous rapidement morts. Azilor lui raconta comment ils les avaient pris dans leur propre piège. La bataille avait finalement penché pour une victoire côté repenteur, non sans de lourdes pertes au sein des deux forces belligérantes. Jidilius lui expliqua ensuite qu’un de ses meilleurs amis avait fait partie de l’armada ayant combattu auprès d’Iskandar lors de ce jour sanglant et qu’il n’avait jamais eu de nouvelles depuis. Avant qu’Azilor ne puisse lui répondre, un objet volant non identifié traversa la vitre et atterrit à leurs pieds. Des tirs d’armes radius se firent aussitôt entendre au loin tandis que les deux sergents observaient avec dégout la tête décapitée et méconnaissable sur le sol. « Merde, c’est Xarios. Il m’aura emmerdé jusqu’à la fin celui-là. 135 La Genèse de l’Apocalypse — Il faut que j’aille vomir », s’esquiva Azilor une main devant la bouche. Tandis qu’Azilor partait vers les toilettes, Jidilius courait vers les sentinelles en poste « C’était quoi ce raffut ? demanda le sergent à ses soldats. — Je sais pas, quelqu’un ou quelque chose. Il a disparu trop rapidement. Je n’ai pas l’impression qu’on l’ait touché, commença le premier. — Oui, il se déplaçait dans les ombres des bâtiments trop rapidement pour qu’on puisse le toucher ! ajouta de deuxième. — C’était quoi le bruit de fenêtre brisée ? Il vous a blessé ? — Non ne vous inquiétez pas, je vous expliquerai plus tard. » Il repartit ensuite voir si son homologue allait bien, croisant sur la route ses soldats sur le qui-vive. Ces derniers avaient mis du temps à réagir, trop concentrés sur leur partie de repenticide. Il les dépassa rapidement, se rapprochant d’Azilor. Ce dernier était en train de vomir sa ration du jour dans un lavabo crasseux. Jidilius fut alors attiré par une chose brillante à même le sol, à quelques mètres de son homologue. Il alluma rapidement son canon radius en mode passif, éclairant le sol d’une faible lueur rouge. Les doigts du repenteur se rapprochèrent de l’objet. Il avait la forme d’une pièce, mais était plus grand et plus épais. De couleur argentée, ses deux faces étaient énigmatiques. Sur la première était gravé ce qui s’apparentait à une tête de démon cornu, des flammes sortant de ses yeux. Sur la deuxième face quant à elle, on pouvait distinguer un cœur en forme de pomme transpercé par une lance. Ce qui semblait être du barbelé était finalement gravé sur la tranche. Jidilius rangea l’objet précautionneusement dans sa poche en attendant que l’estomac d’Azilor se calme… S et les protecteurs s’étaient arrêtés en haut d’une falaise pour manger un peu avant d’attaquer l’avant-poste repenteur en contrebas. 136 La Genèse de l’Apocalypse Ces derniers avaient alors enlevé leurs casques pour les nettoyer et l’insongeable avait enfin pu connaitre leurs vrais visages. De celui de Krag émanait en premier lieu de la puissance brute. En effet son visage était massif, comme taillé dans le marbre. Les muscles de son cou, tendus et larges, soutenaient une tête chauve et burinée. Son épaisse mâchoire rappelait l’arme favorite du carmin, la poigne du Concasseur. Un regard profond et sage émanait des deux yeux verts du protecteur, fait accentué par des sourcils autoritaires. Pour finir un nez cassé était fiché au centre du visage du carmin. Celui de Zabyss faisait quant à lui moins penser à une gueule cassée. Ainsi ses yeux noirs brillaient d’une lueur permanente, telle une rancœur n’attendant qu’une étincelle pour s’enflammer et se transformer en némésis. Son visage bronzé, presque noir de brulures, reflétait bien le lien qu’entretenait le protecteur avec le feu. Ses sourcils presque inexistants étaient assez éloignés de ses cheveux blonds mi-longs, ces derniers tirés en arrière. Son visage était plein, un nez aquilin en guise de point de repère. Les protecteurs dévorant leurs rations, l’insongeable sortit ses jumelles et observa l’avant-poste de plus près, qui était en effet assez petit. Il se résumait en une tour de contrôle, des baraquements, un petit bunker taillé dans le flanc de la montagne et un emplacement réservé aux hélicoptères. L’insongeable attarda ses jumelles sur les deux petits hélicoptères présents sur la piste. Des soldats se préparaient apparemment à en prendre un. À en voir le matériel qu’ils prenaient avec eux ils semblaient être une équipe médicale, leurs lourds paquetages n’ayant en effet pas l’air d’être de l’armement. « Fais voir ? » demanda Krag. S tendit alors au carmin sa paire de jumelles récupérée il y a peu et sortit de son sac de quoi manger et un peu d’eau, 137 La Genèse de l’Apocalypse sa faim lui faisant gargouiller le ventre. Pendant que l’insongeable graillait et que le flamboyant s’amusait à faire bruler des feuilles avec un briquet, Krag étala une nouvelle fois ses connaissances. « Ces hélicoptères sont des colibris HB 305. Les repenteurs s’en servent pour les missions d’exfiltration de V.I.P. nécessitant le plus de discrétion possible. Ils s’en servent aussi pour les missions de reconnaissance et de sauvetage dans les zones dangereuses. Ce sera parfait pour nous, ajouta Krag. On passera tranquillement les lignes des repenteurs sans se faire remarquer. — Comment sais-tu tout ça ? demanda l’insongeable la bouche à moitié pleine. — Quand on a été entrainé, on a tous reçu un entrainement spécial supplémentaire. Moi j’ai choisi l’arsenal des repenteurs, Zabyss le combat par le feu et autres réaction qui font tout exploser. — Ça, ça m’étonne pas ! lâcha S alors qu’un des hélicoptères s’envolait vers le nord. — On attend encore un peu et puis on frappe ! » Zabyss et S acquiescèrent. C’est ainsi, sous ce ciel gris et cette atmosphère humide, que les trois silhouettes prirent le vent en haut d’une falaise, attendant patiemment leur heure… Les trois veilleurs arrivèrent à leur destination. Elle prenait la forme d’un bâtiment verdoyant, dont l’entrée était cachée aux yeux non-initiés. Seuls quelques dépravés la connaissaient, ce qui était le cas de Zagor. Il longea le mur tapissé de plantes grimpantes qui lui faisait face, cherchant quelque chose du bout de ses doigts. Entre deux racines, son majeur toucha alors un petit bout de métal, qu’il poussa délicatement vers le haut en le faisant coulisser. Tandis qu’il reculait vers les deux autres veilleurs, une porte s’ouvrit du bas vers le haut. Zagor fit signe aux deux autres veilleurs de le suivre dans la petite entrée. 138 La Genèse de l’Apocalypse Kychrak l’astucieux ferma la marche puis la porte en remettant la cale en métal rouillé en place. Zagor les guida au milieu de toutes ces plantes. Ils montèrent de longs escaliers puis arrivèrent au dernier étage. « Ne les regardez surtout pas dans les yeux », ordonna Zagor en parlant des tigres gris qui commençaient à les observer des recoins de la grande pièce que constituait le dernier étage. Ils marchèrent vers le fond de la salle, leurs pas étouffés par l’étrange lichen qui en tapissait le sol. Ils arrivèrent rapidement devant un trône de verdoyance où un dépravé y était stoïquement assis. Il semblait comme enraciné dans sa position. Lergoragor n’arrivait pas à distinguer là où finissait la chair du dépravé et là où commençaient les racines du trône. Seul son visage sombre et cadavérique était bien distinguable et on pouvait deviner ses vieilles dents jaunies à travers sa peau. Son visage ridé indiquait son grand âge et sa fatigue, tandis que ses yeux rouges pétillaient d’une clairvoyance qui semblait malveillante. Il portait une couronne d’épines tandis qu’un vieux bâton à la forme étrange, le bâton gris, se tenait au creux de sa main gauche. « Pourquoi êtes-vous ici ? demanda une voix caverneuse qui résonna comme dans un tronc vide. — Nous avons besoin d’aide, démarra Zagor. Depuis leur dernière bataille, nos frères et sœurs n’ont plus montré aucun signe de vie et j’ai bien peur qu’ils aient tous péri. Nous avons besoin de votre aide si nous voulons venger nos morts et les ramener auprès du Grand Père, sage maitre des bêtes. — Oui je l’ai senti et cette nouvelle me chagrine au plus haut point, avança d’un ton calme et lourd Atnias. Mais comment pourrais-je vous être utile ? — Les bêtes pourraient nous aider ! répondit le grand veilleur. — J’en ai déjà perdu assez ! Les tigres gris sont des gardiens, pas de la chair à canon sans valeur ! rétorqua le maitre des bêtes d’un ton tout à coup moins rassurant. 139 La Genèse de l’Apocalypse — Mais ils ont tué Gralug et quasiment toute notre tribu ! Sauf votre respect, les nôtres seraient morts pour rien si nous ne finissons pas ce qu’ils ont commencé. Et nous avons besoin de votre soutien maintenant plus que jamais », argumenta Zagor. Atnias serra les dents et eut un soupir de réflexion. Il lança finalement un regard noir à Zagor, comme s’il lui avait demandé de choisir entre deux possibilités aussi déchirantes l’une que l’autre. « D’accord, mais à deux conditions. La première, explique bien à tout le monde qu’il ne faut pas regarder les tigres gris dans les yeux. Je ne veux pas qu’ils tuent ou meurent de la faute d’une stupide erreur de connaissance. » Le grand veilleur acquiesça aussitôt. « Bien, Le maitre des bêtes posa alors ses yeux perçants sur Lergoragor. Toi, tu as tué une de mes bêtes. Je sais que tu ne savais pas pour le regard mortel mais tu me dois maintenant une faveur. Accepte-la et je vous aiderais. — Je vous écoute », lâcha Lergoragor. Un tigre gris s’approcha alors du trône du maitre des bêtes et Lergoragor prit grand soin à ne pas le regarder dans les yeux. « Ce tigre, ou plutôt cette, est la mère du tigre gris que tu as tué. La deuxième condition est que tu devras la prendre avec toi. Si elle meurt, tu pourras te considérer toi aussi comme mort. — C’est d’accord acquiesça Lergoragor en effleurant du regard le tigre gris qui s’approchait de lui. — Merci beaucoup, remercia Zagor en hochant respectueusement et lentement la tête. Nous viendrons vous voir avant que la bataille commence. — Préparez bien votre plan, lâcha Atnias à la manière d’une mise en garde. Je ne veux pas une autre hécatombe de dépravés en si peu de temps ! Notre tribu doit survivre ! — Oui ne vous inquiétez pas pour ça maitre des bêtes », rassura le grand veilleur. Ils partirent ensuite vers l’autre direction, Lergoragor essayant d’observer le tigre gris sans le regarder dans les yeux. 140 La Genèse de l’Apocalypse La bête avait ainsi un pelage gris strié de bandes noires faisant penser à des traces de griffures. Le tigre gris était en train de renifler les trois dépravés pour s’imprégner de leur odeur. « Ça nous fait déjà un allié de poids, avança Kychrak. — Oui, je te l’accorde », avoua Zagor. Suivis par les autres tigres gris cachés dans les recoins du bâtiment, ils prirent le même chemin qu’à l’allée. Dehors, il faisait encore plus sombre et orageux qu’à leur arrivée. Les veilleurs reprirent ensuite leur route vers le point de ralliement, marchant dans Cannes tandis qu’un orage colérique se mettait en place… Les evocatis arrivèrent enfin au reflet sous un orage déjà grondant. Un éclair zébra le ciel et illumina la façade du reflet, mettant en valeur de sombres silhouettes. Les vétérans montaient les marches quand deux nageurs de combat arrivèrent à leur rencontre. « Bonsoir, les salua le premier. Vous venez pour le signal de détresse ? — Oui, répondit Morduk en saluant d’un hochement de tête les deux nageurs de combat. — Suivez-nous, nous allons vous amenez au sergent Jidilius »… Jidilius venait d’expliquer à ses soldats que le nageur oxygersien Xarios s’était fait tuer. Il avait eu peine à leur expliquer qu’ils seraient vengés, lui et ses soldats, mais qu’ils allaient devoir être patients. Le nageur oxygersien avait ajouté que s’ils se jetaient dans la gueule du loup, seule une mort rapide et inutile les attendait. Ses soldats avaient finalement approuvé la démarche de leur sergent malgré une certaine frustration palpable. Azilor avait ensuite expliqué à son homologue pourquoi il avait été ainsi pris de violentes nausées. 141 La Genèse de l’Apocalypse Un de ses meilleurs amis de l’époque, Daminax, était mort devant lui dans un accident lors des premiers mois de service du repenteur et sa tête avait été défigurée de la même manière que celle de Xarios. Le sergent avait été traumatisé à vie par cette terrible expérience, et le souvenir remonté à la surface lui avait donné autant la nausée que des centaines de cadavres en putréfaction sous ses yeux. Avant qu’Azilor finisse son récit, un des nageurs de combat arriva en courant vers les deux sergents. Encore une mauvaise nouvelle, pensa alors Jidilius. « Sergents, des renforts sont là ! — Déjà ? s’étonna le sergent des nageurs de combat. — Ça doit être les evocatis », supposa Azilor. Les deux sergents se levèrent en vitesse et partirent à la rencontre des premiers renforts… Le temps s’était rapidement gâté. Tandis que Zabyss s’enduisait à nouveau de son étrange d’huile, Krag s’était levé, comme pour humer le vent. La tête de son marteau au sol et ses mains sur sa hampe, le carmin était immobile au milieu de ce violent orage tel une statue de pierre à l’épreuve des éléments. Les yeux de l’insongeable se posèrent ensuite sur le katana qu’il était en train d’aiguiser. La garde de l’arme imitait la peau d’un serpent et finissait par la tête de l’animal aux yeux verts. La coiffe de ce dernier, un cobra royal, avait été stylisée pour faire penser à des ailes à la forme étrange. L’insongeable regarda ensuite son amulette et nota que les deux serpents se ressemblaient. Zabyss et Krag se relevèrent, impatients et le cœur battant la chamade. Un terrible grondement résonna alors dans les montagnes, comme pour déclarer le début des hostilités. 142 La Genèse de l’Apocalypse « On y va, suivez-moi ! » lâcha Krag d’une voix aussi forte que l’orage les observant. Les trois hommes partirent aussitôt au pas de course, descendant la falaise par un petit sentier. Une myriade de petits éclairs transpercèrent simultanément les cieux, éclairant la région l’espace d’un instant. La pluie se manifesta soudainement, martelant les armures des protecteurs et mouillant les vêtements de l’insongeable. Pendant leur descente un éclair mit le feu à un arbre, avant d’être rapidement éteint par la pluie battante. N’ayez crainte, pensa Zabyss, l’oriflamme de la rage ne se souffle pas aussi facilement qu’une simple flamme… Le sergent Nhajir était préoccupé. Non pas par l’orage, même si ce dernier était plus violent qu’à l’accoutumée. Non, c’était plutôt son instinct qui l’inquiétait. Il n’avait en effet qu’une vingtaine de soldats sous ses ordres, pour la plupart des troufions. Si l’avant-poste était attaqué, il y avait peu de chance qu’ils en réchappent. Essayant de penser à autre chose, il décida de finir la rédaction de son document en profitant du temps libre qu’il avait devant lui… Il faisait presque nuit et pourtant la zone était illuminée. D’une part par les éclairs, d’une autre part par le feu. La forêt avait manifestement été incendiée par la main de l’homme, le feu progressant sans relâche malgré la forte pluie. Seurg et Larok ne savaient pas grand-chose du val Masqué et de sa tribu, autarcique et isolationniste à outrance. Ce dernier était déjà venu quérir de l’aide auprès de leur Hégémon par le passé et avait failli se prendre une flèche dans le poitrail, à peine avait-il passé la lisière du territoire du val Masqué. En effet les guerriers du val ne voulaient entendre parler de personne, y compris de leurs propres cousins des autres tribus. Le val Masqué se nommait ainsi car l’entrée de cette petite forêt était cachée aux yeux non avertis. 143 La Genèse de l’Apocalypse Un bruit encore plus assourdissant que l’orage se rapprocha alors à toute vitesse des deux dépravés à la frontière de la zone. Un gros engin cyan et rouge surmonté d’un rouleau compresseur plein de lames sortit des arbres tels un taureau en pleine charge. Les deux veilleurs s’écartèrent à temps. Seurg s’accrocha à une poignée sur le côté du véhicule et grimpa jusqu’à la cabine perchée à trois mètres de haut. Le repenteur en train de conduire fut si surpris de l’abordage de son engin qu’il n’eût pas le temps de crier avant de se faire éjecter de son véhicule. Larok acheva rapidement le repenteur qui venait de s’écraser par terre tandis que Seurg essayait de comprendre le fonctionnement de l’engin. Le véhicule, un déforesteur DES, et l’énorme scie circulaire de ce dernier bougeaient dans tous les sens comme possédés par un esprit frappeur. Quand Seurg arriva enfin à stabiliser l’engin, il fit signe à son ami de monter. Les deux dépravés s’enfoncèrent ensuite plus profond dans la forêt, tout en essayant d’éviter le plus d’arbres sur leur route… Les compagnons étaient arrivés assez près de la base pour constater qu’elle était presque vide. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire. S allait tuer les quelques repenteurs dans l’espèce de tour de contrôle en premier, avant de faire signe aux protecteurs que la voie était libre. Krag allait quant à lui silencieusement s’occuper des baraquements pendant que Zabyss contournerait l’avant-poste pour arriver dans l’angle mort du petit bunker. Il pourra ainsi neutraliser bruyamment et rapidement les derniers repenteurs restants. Aucune sentinelle en vue, l’insongeable s’élança vers son objectif et arriva par le côté le moins éclairé de la petite base. Il entrouvrit sans aucun bruit la porte de la petite tour. Personne en vue, vérifia-t-il. S commença ensuite à monter doucement les escaliers en colimaçon de la tour en faisant le moins de bruit possible. 144 La Genèse de l’Apocalypse Il sortit sa lame fraichement acquise et arriva rapidement à la deuxième porte, qu’il entrouvrit sans un bruit, derrière laquelle deux repenteurs essayaient de déchiffrer une transmission grésillante. « … Nous avons été touchés par la foudre ! Je répète, nous avons été touchés par la foudre ! On va s’écraser ! » Un horrible grésillement s’ensuivit et coupa la transmission pendant que l’insongeable arrivait derrière le premier repenteur assis. Une main sur sa bouche, S lui trancha violement l’aorte d’une main experte. Le sang gicla alors sur l’autre repenteur de dos. Le soldat surpris se retourna, une main sur son pistolet radius. S prit l’initiative et lui projeta sa petite lame au niveau du cœur. L’insongeable reprit sèchement son couteau tandis qu’une douleur lui rappelait de mauvais souvenirs. Il essuya ensuite ce dernier, une main au niveau de son cœur. S attendit quelques secondes que la douleur passe avant de ranger sa lame. Il s’approcha de la vitre panoramique et fit bouger son katana dans la direction approximative des protecteurs, donnant ainsi le signe de départ pour la deuxième partie du plan… « C’est bon ! annonça Krag en voyant le katana de S à travers les jumelles de ce dernier. — Ok. À dans cinq minutes ! » salua Zabyss. Le carmin lui répondit promptement et le flamboyant alla se fondre dans l’obscurité. Krag s’approcha de la première des trois baraques, ses armes rangées. Il regarda son bras gauche et put voir la lune se refléter sur le bout tranchant de son avant-bras. En effet ce dernier se finissait en une forme de triangle qui dépassait légèrement de ses doigts quand il avait le poing fermé. Comme la plupart des protecteurs, il en avait aiguisé les extrémités spécialement pour les missions comme celles-là ou la discrétion était préférable à son marteau. 145 La Genèse de l’Apocalypse Le carmin ouvrit silencieusement la porte. Cinq repenteurs étaient avachis sur une table au centre de la pièce. À en regarder tous les cadavres de bouteilles, le protecteur compris que c’était surement le résultat d’une partie de bibitus sancti, une variante du repenticide plus alcoolisée. Krag brisa rapidement la nuque d’un des soldats ivres, avant de couper méthodiquement la gorge des quatre autres dans de silencieuses giclures de sang et autres râles. Le carmin vérifia ensuite chaque lit et n’eut à couper qu’une autre gorge, celle d’un conscrit innocent tranquillement en train de dormir. Le carmin passa ensuite à la deuxième baraque. Ici, tout le monde dormait et le protecteur brisa les cervicales de sept repenteurs le plus silencieusement qu’il pût, avant de s’engouffrer dans la dernière baraque et de s’atteler à tuer un autre groupe de soldats ronflant… Le flamboyant arriva au bunker. Deux meurtrières surmontées d’autant de grosses mitrailleuses scrutaient l’extérieur à la manière de deux yeux inquisiteurs. Zabyss regarda du coin de l’œil. Il n’y avait qu’un soldat en poste et ce dernier était à moitié en train de dormir, ses mains crispées sur son arme. Le protecteur s’approcha de lui silencieusement, avant de lui tirer une balle de blazing eagle en pleine tête. Le visage du rêvasseur éclata ainsi comme une pomme pourrie dans une détonation bruyante et enflammée. Le flamboyant s’engouffra ensuite dans le petit bunker, tuant rapidement deux autres repenteurs avec son arme de poing. Une lourde porte était entrouverte juste devant lui. Le protecteur la poussa d’un coup de pied, entrant avec fracas dans un petit bureau aménagé. Un rayon frôla aussitôt le heaume du protecteur, avant que le tireur ne se cache derrière son bureau. 146 La Genèse de l’Apocalypse Zabyss se mit alors à tirer sans discontinuer tout en continuant d’avancer vers son ennemi. L’homme s’était à peine levé pour riposter qu’une balle l’atteint au niveau du ventre, transperçant de part en part le repenteur. Le flamboyant ressortit rapidement du bunker, deux silhouettes l’attendant auprès du seul colibri que les repenteurs avaient laissé aux compagnons. « Personne en vue, personne en vie ! lâcha Krag satisfait. — Ok on peut y aller, on a fait du bon boulot ici. Ils ne vont pas nous retrouver de sitôt ! » Ainsi les compagnons montèrent rapidement dans le petit hélico, les deux protecteurs à l’avant et l’insongeable à l’arrière. Ce dernier observa le fond du colibri, qui n’était illuminé que par de petites lumières rouges. Les compagnons s’envolèrent ensuite rapidement, l’avant-poste laissant vite place à des reliefs plus escarpés. Ces derniers étaient le dernier rempart avant un large et venteux plateau calcaire, dont le nom venait d’un ancien village aujourd’hui réduit à l’état de ruines. Le plateau de Caussols, comme il se nommait, était devenu un terrain d’entrainement de survie en terrain hostile pour les troufions repenteurs depuis que la Terre était « repentie ». « Alors, commença Zabyss. Tu as tué combien de repenteurs pendant le combat de ce matin ? Voir qui a fait le plus gros score. » S narra alors avec habileté son combat y compris l’épisode de la bouteille de Jackal’s et de la grenade vicieuse, ce qui fit alors rire les deux protecteurs malgré le fait que l’action ait failli les faire échouer dans leur mission. Les compagnons arrivèrent rapidement au-dessus du premier observatoire de la zone. Cela faisait longtemps que les repenteurs ne se servaient plus de ces structures pour observer les étoiles, ayant développé de bien meilleurs outils depuis. Ces points stratégiques panoramiques servaient désormais à contrôler le flux aérien. 147 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable regarda alors en contrebas et remarqua une myriade de canons antiaériens placée tout autour de l’observatoire. Les compagnons les dépassèrent rapidement, ce qui soulagea l’insongeable. « On dirait que notre subterfuge a marché », lâcha Krag satisfait. Ils survolaient maintenant le plateau de Caussols en lui-même. Ce dernier était constitué d’étendues arides clairsemées de petits bois et de rochers calcaires. La région abritait une faune hostile, parfaite pour l’entrainement des repenteurs en terrain dangereux. L’insongeable avait l’impression de connaitre cet endroit, même s’il n’arrivait pas à surmonter son amnésie sur ce point. Un peu plus loin une épaisse fumée noire se faisait remarquer au milieu de cet orage assourdissant. Cela devait être l’hélicoptère dont il avait entendu parler dans la tour de contrôle quelque temps plus tôt, pensa alors l’insongeable. Des éclairs firent miroiter les alentours et une myriade de petites silhouettes bougeant autour du lieu du crash comme si c’était une fourmilière fut visible l’espace d’un instant. S se rapprocha de l’écran de contrôle pour avoir une meilleure vision. De la vue panoramique avant on pouvait deviner une forêt au loin, sombre et épaisse. Elle se trouvait juste au pied de la falaise dominée par un autre observatoire. Leur seconde épreuve approchait… Le nageur oxygersien Jidilius avait rapidement expliqué la situation aux sergents evocatis. Pendant qu’Azilor faisait visiter le reflet au sergent Morduk pour planifier les défenses de la base, le sergent des nageurs de combat avait pris à part l’autre gradé evocati. « Vous avez besoin d’un renseignement ? demanda charitablement le vétéran. 148 La Genèse de l’Apocalypse — Oui, j’ai trouvé quelque chose dans le reflet qui m’a eu l’air suspect. Je vous demande votre avis car je ne connais pas cet objet, peut-être votre expérience pourra-t-elle faire la différence. — Allez-y, montrez », répondit le sergent Torkus sans plus de curiosité. Jidilius sortit de sa poche l’étrange objet qu’il avait trouvé peu de temps auparavant et le tendit à l’autre sergent. Ce dernier le prit, le rapprocha de son visage et regarda attentivement ses deux faces. Il serra tout d’un coup son poing libre et Jidilius sentit ses traits se crisper de colère au travers de son casque. « Que se passe-t-il ? demanda le nageur oxygersien Jidilius. — Ceci, dit-il en montrant l’insigne qu’il avait dans la main, est l’insigne des traitres. — Des traitres ? — Oui, des perfides. Ces vermines qui essaient de nous infiltrer et de nous pourrir de l’intérieur. Il faut les détruire à tout prix. Ramenez tous les repenteurs ici, nous allons voir s’il reste des traitres parmi vos troupes ! — Je vous jure que… — Tout de suite ! Croyez-moi, on ne sait jamais où le mal se terre avec ces salopards. » Le nageur oxygersien Jidilius partit donc chercher ses soldats, le cœur plein de doutes et de questions… Seurg et Larok commençaient à comprendre la situation. En effet, les repenteurs détruisaient et brulaient la forêt pour faire sortir les dépravés de leurs cachettes et ainsi les exterminer plus facilement. Ils arrivèrent près de la colonne de véhicules de déforestation par la droite. À la place de l’énorme scie circulaire qu’avaient la plupart des véhicules, certains étaient dotés d’une grosse benne pleine à craquer de soldats. 149 La Genèse de l’Apocalypse Des radius fusaient dans tous les sens, les soldats tentant d’abattre des cibles qui semblaient invisibles. Des projectiles sifflaient ci et là, répondant sporadiquement aux repenteurs. Le véhicule des dépravés se rapprocha alors dangereusement d’une des machines de destruction repentrice. Le conducteur du déforesteur fut tout de même étonné mais n’eut pas le temps de réagir, le rouleau broyeur du véhicule des dépravés s’enfonçant dans le flanc de sa bruyante machine. Des dizaines de soldats tournèrent aussitôt leurs armes sur l’épaisse vitre du véhicule. Seurg recula avec difficulté, les lames étant coincées dans les énormes pneus du véhicule repenteur. Ce dernier tenta alors une manœuvre de fuite et Seurg s’élança le plus vite qu’il pût à la poursuite de la machine aux roues en partie déchiquetées. « Continue à le poursuivre ! » lâcha Larok en sautant du véhicule. Ce dernier atterrit sans dégât, son saut en partie amorti par un buisson ayant résisté aux flammes des repenteurs. Il sprinta vers le véhicule ennemi et rattrapa rapidement ce dernier. Larok grimpa finalement dans la cabine du véhicule et un premier corps tomba par terre, puis un deuxième. Seurg comprit la bonne idée de son frère malchanceux lorsque ce dernier broya le premier repenteur sous son véhicule. Après quelques mouvements aléatoires de la machine devant lui, la benne du véhicule s’abaissa vers l’arrière de quatre-vingt-dix degrés, faisait brusquement tomber une flopée de repenteurs surpris vers le sol boueux et cendreux. Les soldats n’eurent alors pas le temps d’éviter le rouleau broyeur de quatre mètres de large du déforesteur où se trouvait Seurg. Le veilleur les observa se faire déchiqueter à travers la vitre ruisselante d’eau avec un certain plaisir. Lorsqu’il eut entendu le dernier hurlement, il rapprocha son véhicule de celui de Larok, alors en train d’essayer les différentes manettes de l’engin. « Bonne idée ! félicita Seurg en haussant la voix pour que son frère puisse l’entendre entre deux coups de tonnerre. — Merci ! » cria Larok en guise réponse. Vas-y je te suis ! 150 La Genèse de l’Apocalypse Les deux gros véhicules s’élancèrent donc à la poursuite de la demi-douzaine d’autres véhicules similaires, suivant le sentier de troncs explosés qui menait au cœur de la forêt… Les repenteurs s’étaient regroupés autour d’une grande table en bois, la seule où pouvaient siéger plusieurs dizaines de personnes. Après avoir vérifié si d’autres soldats étaient en possession d’une médaille similaire ou identique à celle retrouvée par le nageur oxygersien, ce qui n’était pas le cas, Torkus commença sa petite mise à niveau sur les perfides. « Ceci est l’insigne de la pomme pourrie. Si un jour vous voyez quelqu’un qui porte ça sur lui, que ce soit un parfait inconnu ou votre meilleur ami sachez que c’est un traitre avant tout ! dit-il en faisant passer l’icône entre les soldats. Vous devrez en informer votre supérieur immédiatement, sans en parler à quiconque d’autre ! Si vous voyez quelqu’un avec cette pièce, c’est un traitre ne l’oubliez jamais ! répéta l’evocati. Si vous remarquez qu’un de vos supérieurs est lui aussi un traitre, débrouillez-vous pour quémander l’aide d’un inquisiteur. Ces cafards doivent être exterminés le plus vite possible pour limiter la casse ! Bon voilà, ça c’est fait, vous êtes maintenant prévenus ! » L’insigne avait fait le tour de la table et était revenu à Torkus. Morduk eut un petit grognement d’approbation et prit la parole. « Ceci dit, je propose un repenticide histoire de nouer les liens ! Et en plus cela vous entrainera à débusquer les perfides, ajouta-til avec un sourire. Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-il en direction des sergents Azilor et Jidilius. Les dépravés vont pas attaquer maintenant, ils se sont pris une trop grosse branlée. » Des hochements de tête approuvèrent l’idée du sergent Morduk. Ce dernier sortit alors son paquet de cartes personnel après l’approbation des deux sergents déjà en poste au reflet avant l’arrivée des evocatis. Le vétéran commença ensuite à mélanger les cartes… 151 La Genèse de l’Apocalypse Le soldat Bern, que tout le monde surnommait Bern la loque, remonta sa braguette. J’aurais pas dû boire autant de bières au bibitus sancti, pensa-t-il pour la millième fois dans sa vie. Il était allé pisser dans les bois pour que son supérieur ne le voie pas saoul. Le soldat n’avait même pas pu partir avec les autres sur le plateau, Il était trop simplet qu’ils disaient ! Bern essaya tant bien que mal de marcher jusqu’à son baraquement, tandis qu’il semblait revivre la même chose une fois de trop. Le soldat ouvrit la porte d’une des baraques et découvrit l’horreur. En effet, ses compagnons de jeu étaient avachis sur la table, entourés d’énormes flaques de sang. Bern ferma la porte, apeuré. Il recula alors vers la lisière des bois à quelques dizaines de mètres et se rapprocha du bunker du sergent Nhajir le plus discrètement possible. Il regarda la piste et remarqua que tous les hélicoptères avaient disparu. Il rentra ensuite dans le bunker. Un premier soldat était mort, sa tête réduit en bouillie. La loque sortit son canon radius et essaya d’avancer tant bien que mal en se tenant aux murs avec une de ses mains. Un peu plus loin deux autres repenteurs étaient étalés par terre, de grosses traces cramoisies au milieu du torse. Il arriva dans la dernière salle du bunker et trouva le cadavre du sergent Nhajir, derrière son propre bureau. Bern accourut vers la radio, à quelques pas du cadavre du sergent. « Observatoire céleste C I ? prononça avec difficulté le soldat dont la langue était engourdie. — Ici observatoire céleste C I quel est votre problème ? répondit une voix grésillante à travers la radio. — Ici l’avant-poste CA 33. Nous avons été attaqués ! Les attaquants ont volé un de nos hélicoptères. » Bern regarda rapidement le tableau qui était accroché au mur. 152 La Genèse de l’Apocalypse « Sa matricule est le 22-578-39-80, reprit-il. Faites passer le message. — Bien reçu avant-poste CA 33, 22-578-39-80. Avez-vous une description du ou des individus ? — Non désolé, tout s’est passé très vite, je n’ai rien eu le temps de voir. Je suis le dernier survivant, envoyer des renforts au plus vite, cet avant-poste est à la merci de tous ! — Requête bien reçue. Nous vous envoyons des renforts. Observatoire céleste C I terminé. » Bern la loque se posa quelques minutes, le temps de reprendre ses esprits. Il se leva et regarda le sergent par terre. Il ne ressemblait plus à rien. Bern détourna le regard et se dirigea vers la sortie de la pièce. Entre les deux repenteurs propulsés par terre d’une force incroyable un document à moitié brulé tourbillonnait mollement. Le troufion s’abaissa et l’attrapa. Il ne le lit pas pour ne pas empirer son mal de crâne mais le garda tout de même avec lui. La loque ferma ensuite la porte du bureau du sergent et alla s’asseoir un peu plus loin. Bern s’endormit ensuite sans presque s’en rendre compte, l’esprit engourdi par le lointain vent glacial qui sévissait à l’extérieur… Le petit hélicoptère se rapprochait du deuxième observatoire. L’orage grondait de plus belle, des éclairs traversant l’air autour d’eux. S regardait par la fenêtre quand un bruit assourdissant se rapprocha rapidement d’eux au travers de l’intempérie. Il crut en premier lieu au grondement de l’orage mais ce n’était pas ça, c’était plus régulier. Une violente secousse propulsa tout à coup l’insongeable contre la vitre, ce dernier se cognant violemment la tête contre l’intérieur de l’hélicoptère. « C’est quoi ce bordel ? demanda-t-il en se relevant. — Les canons antiaériens des repenteurs nous tirent dessus ! Je sais pas comment, mais on s’est fait repérer ! cria le carmin tandis 153 La Genèse de l’Apocalypse qu’il essayait de maintenir le cap de l’appareil. Ces putains de ptakhunters X ont la réputation de pas faire dans la dentelle ! — Putain S t’aurais pas dû parler de ta malchance tout à l’heure ! ajouta Zabyss. — J’avoue que la prochaine fois je dis plus rien ! » s’exclama à son tour l’insongeable en essayant de couvrir de sa voix tout ce vacarme explosif. L’hélicoptère se rapprochait maintenant de la forêt, en contrebas de la falaise d’où on les canardait. Des munitions explosives éclataient tout autour d’eux, gondolant la tôle et faisant tanguer l’hélicoptère. Un tir troua soudainement le véhicule à l’arrière. Tandis que l’insongeable s’accrochait au bras de Zabyss, les trois hommes perdaient inévitablement de l’altitude. « Merde ! Merde ! Merde ! » s’écria Krag pris de court. Les compagnons se rapprochaient maintenant du sol à une vitesse effrénée. Un éclair les dépassa et frappa un arbre en contrebas tandis que leur hélicoptère n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres du sol. Krag releva le manche au dernier moment, minimisant la casse. Le colibri accrocha quelques arbres de la dense forêt et se posa sur le sol boueux, glissant sur plusieurs mètres dans un bruit crissant. Les portes bloquées dans la boue, les compagnons sortirent par le trou à l’arrière du colibri. Ils pouvaient déjà entendre les sirènes qui résonnaient au loin. Ils n’avaient que peu de temps devant eux. « Avec moi ! On doit aller au plus profond de la forêt si on veut pas se faire canarder par les hélicos, expliqua le carmin en essayant de parler au-dessus de l’orage. — Et après ? demanda S, On va pas faire face à toute une base ! — T’inquiète pas, Krag sait ce qu’il fait. — Oui, t’inquiète pas, quand ils croiront qu’on sera toujours dans la forêt, on sortira de ce bois. Ça sera à ce moment qu’il faudra être rapide et efficace. Bon, allons-y ! » 154 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons s’enfoncèrent ainsi dans la forêt dense dont les arbres semblaient avoir des mains griffues en guise de branches… Pour la première fois de sa vie, le sergent Kaldilius avait peur. En effet, il était perdu au milieu de nulle part avec ses deux escouades de conscrits et le colibri qui devait venir rapatrier les blessés s’était écrasé non loin. C’était bientôt l’heure des akials, pensa-t-il avec appréhension. Ses hommes étaient frigorifiés et apeurés. Kaldilius repensa alors à ces boulets qui n’avaient rien trouvé de mieux que d’essayer d’escalader un gros pan rocheux avec toute cette pluie, un était mort et un autre s’était blessé. Ils n’avaient eu que ce qu’ils méritaient : bêtise est mère de danger. Le sergent trouvait simplement injuste le fait que ces pauvres soldats dans le colibri payent leur stupidité. C’est quand même étonnant, se dit intérieurement le sergent. Les hélicoptères sont normalement faits pour encaisser la foudre. Un cri soudain lui glaça le sang. C’était celui des akials qui lançaient leur aboiement en direction de la lune. Les bêtes arrivaient pour l’heure du repas. Les troufions étaient un peu moins de vingt, et tous avaient peur. On leur avait parlé des sorties nocturnes des akials dans cette région, que tous les repenteurs redoutaient. Les akials sortaient la nuit car ils pouvaient traquer plus facilement leurs proies, ayant presque une aussi bonne vision la nuit que le jour. Malgré les opérations de régulation de la race, les repenteurs préféraient rester à leur base quand le soleil se couchait sur le plateau. « Formation en cercle ! Autour de moi ! » ordonna le sergent Kaldilius à ses soldats apeurés. Ces derniers se regroupèrent aussitôt en cercle, le mode passif de leurs armes éclairant les alentours de façon frénétique et étrangement tamisée. 155 La Genèse de l’Apocalypse Les repenteurs étaient dans une position peu enviable, entourés qu’ils étaient par plusieurs petits promontoires rocheux d’où de l’eau ruisselait. « Ne pliez pas ! rappela le sergent tandis que les rochers entourant les repenteurs ne leur laissaient qu’une très petite profondeur de champ. Si nous nous battons bien ils repartiront rapidement la queue entre les jambes ! » Après avoir donné un peu d’espoir à ses troupes Kaldilius sortit son killer T, un pistolet tirant trois balles par coup et dont chaque canon disposait d’un chargeur distinct. Il enleva la sécurité et se prépara à accueillir l’ennemi comme il se devait. Un éclair plus tard d’étranges silhouettes firent leur apparition de tous les côtés, faisant alors tirer les troufions dans tous les sens. Trop nerveux, les repenteurs n’arrivaient pas à être précis. « Laissez votre peur pour plus tard et contentez-vous de viser ! » beugla Kaldilius au milieu du grondement de la tempête. Les tirs se firent rapidement moins rapides et plus concentrés Le sergent tira dans la tête d’un akial au loin tandis que ces derniers tournaient dans tous les sens sur les hauteurs : ils étaient en train de les tester. Tout à coup les animaux sautèrent tous de la falaise dans un même élan, créant un mouvement de panique parmi les troufions. « N’oubliez pas ce que je vous ai dit soldats ! » Les akials s’approchaient inexorablement, comme une meute sans fin de loups affamés. Kaldilius appuyait comme un forcené sur sa gâchette, les akials étant assez proches pour ne presque pas avoir besoin de viser. Il eut le temps d’en tuer trois avant qu’un des animaux ne lui saute dessus. Kaldilius poussa aussitôt sur ses jambes, renvoyant l’akial en arrière avant de tracer un triangle de balles dans le corps de l’animal. Un cri de douleur lui gicla alors sur le visage quand il se retourna. Kaldilius tira deux fois dans l’akial qui venait d’arracher la carotide d’un des troufions tout en essuyant son visage où la pluie et le sang se mélangeaient. 156 La Genèse de l’Apocalypse Le sergent sortit son couteau dans un court instant de répit et se rapprocha du reste de ses troupes. Il planta un akial tranquillement en train de manger un soldat fraichement tué, puis tira sur une autre bête essayant de le prendre par derrière. Il aida un soldat à se relever tandis qu’en arrière-plan un fuyard se faisait couper la jambe et trainer au sol sur plusieurs mètres. Les repenteurs se rapprochèrent d’un groupe de cinq repenteurs en plein corps à corps avec des akials. L’un de soldats se fit démembrer avant que ses camarades puissent faire le moindre geste. Un autre homme haletant planta un akial de sa bayonnette avant qu’un autre animal ne lui saute dessus par derrière. Le soldat auprès du sergent tira, faisant mouche et tuant l’akial d’un radius en pleine figure. Deux autres repenteurs se firent alors plaquer au sol et dévorer par un groupe de six akials. Un repenteur non loin parvint à se dépêtrer des griffes des bêtes et s’élança vers Kaldilius à grands coup de bayonnette. « Regroupez-vous ! » ordonna le sergent au milieu des cris et des grognements. Quelques soldats essayèrent de s’extirper du combat, rapidement arrêtés par de violents coups de griffes et de crocs. Kaldilius entendit soudain un cri de surprise venant de derrière lui. Un akial plus gros que les autres venait de sauter sur un soldat adjacent. Ce dernier essaya de le tuer, mais l’akial balaya son arme d’un simple coup de patte. Tandis que l’autre soldat qui le suivait tirait quasiment sans effet sur son épaisse peau recouverte de pelage sombre, Kaldilius courut pour sauver son conscrit. Il sauta sur le gros akial son couteau à la main, tandis que l’animal plantait ses dents dans la gorge du pauvre repenteur. Il enroula ses jambes autour de la bête, sa main libre accrochée à son épais pelage. Dans un rodéo avec le féroce animal le sergent 157 La Genèse de l’Apocalypse planta ainsi une première fois l’akial, son couteau transperçant une peau beaucoup plus dur qu’à l’accoutumée. La bête grogna de douleur et de rage puis commença à bouger dans tous les sens. Le sergent repenteur le planta une seconde fois, dans le cou. Le gros akial commença à faiblir et Kaldilius en profita. Il le planta à trois reprises dans la tête. L’akial resta encore quelques secondes debout, puis s’écroula soudainement par terre, sans vie. Kaldilius délogea son couteau du corps de l’animal et regarda autour de lui. Les akials reculaient, lâchant des bruits apeurés tandis que le sergent jetait par terre les longs poils que sa main avait subtilisés à la crinière de la grosse bête. Tout à coup, la meute s’enfuit comme un seul homme. Poursuivies par des traits rouges illuminant la nuit tourmentée, les silhouettes disparurent rapidement derrière les promontoires entourant la position des conscrits. Les repenteurs survivants s’étaient regroupés autour de leur sergent. « Bravo chef, vous nous avez sauvé la vie ! lâcha un de ses soldats galvanisés par son sergent. — Merci, lâcha-t-il en s’asseyant par terre sur le sol qui commençait à dégorger d’eau. Mais vous vous êtes sauvés vous-mêmes. — Vous savez pourquoi ils sont partis aussi vite sergent ? demanda un deuxième soldat blessé au bras. — Je… ah mais oui ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?! Ça devait être leur chef de meute ! En le tuant, nous leur avons fait peur en prouvant que nous étions plus forts qu’eux. » Une série d’éclairs illumina alors la cuvette où venait d’avoir lieu le combat. Ils avaient emmené de nombreux repenteurs morts ou blessés avec eux, y compris ceux du crash. Il restait plusieurs cadavres de soldats et d’akials morts, certains étalés de tout leur long sur de gros rochers. « Venez, ordonna le sergent. Allons attendre notre extraction en haut. Cet endroit se remplit comme une piscine ! » 158 La Genèse de l’Apocalypse Ils montèrent ainsi rapidement mais surement les rochers glissants, grimpant leurs armes en bandoulière et les corps de leurs camarades sur les épaules. Le sergent alluma un feu de détresse vert et le lâcha dans l’herbe. La radio, malgré sa résistance aux intempéries, avait eu un étrange dysfonctionnement. Les repenteurs n’avaient plus qu’à attendre qu’on envoie un hélicoptère pour les exfiltrer. Le sergent, lui aussi éprouvé, essaya de trouver les mots pour réconforter ses hommes. « Après cela, vous pouvez être sûr que vous deviendrez des repenteurs ! Vous l’avez bien mérité, croyez-moi. » Des sourires timides dégoulinants de pluie lui répondirent. Ils viennent de regarder la mort en face, pensa Kaldilius. Ils n’ont plus qu’à accepter sa fatidique et éternelle victoire… Ils s’étaient enfoncés profondément dans la forêt, au plus près des combats. Au loin les gros véhicules roulaient à vitesse d’homme, entourant une petite armada de repenteurs marchant vers leurs ennemis, invisibles et indivisibles. Des flèches fusaient depuis l’ombre des arbres, en direction des langues de feu qui dansaient au cœur de la nuit. Les repenteurs de tête portaient d’étranges et austères espèces de masques à gaz qui leur donnaient un air encore plus menaçant. Larok reconnut un harvarder dans les mains d’un de ces soldats. Les repenteurs s’étaient servis de ce type d’armes de pour incendier la Grande Mère à distance. Un dépravé sans tête tomba alors d’un arbre au loin, touché par un tir d’exécuteur. L’exécuteur était un des meilleurs, si ce n’était le meilleur, fusil sniper des repenteurs. Les deux dépravés accélèrent vers la position approximative du sniper, un déforesteur de transport un peu différent des autres. 159 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi la cabine de ce dernier était plus grosse, et à la place de la benne des déforesteurs TRP était disposée une esplanade d’où tiraient deux mortiers MM VII. C’était un déforesteur SOU. Surement leur QG mobile, en déduit l’infortuné. Il regarda vers son ami Seurg et ce dernier comprit tout de suite : ils devaient couper la tête. Trois déforesteurs étaient disposés de chaque côté de la troupe des repenteurs, le QG mobile fermant bruyamment la marche au centre. Les deux véhicules contrôlés par les dépravés foncèrent sur le QG mobile pendant que les mortiers lâchaient des obus incendiaires au loin. Un sicaire de classe executor, dont les dépravés ignoraient la position, comprit vite la supercherie. Une balle atteint la vitre du véhicule de Larok dans un choc violent, transperçant cette dernière et passant à un cheveu de la tête du dépravé. Avant même que le déforesteur ennemi ne commence sa manœuvre d’esquive une silhouette sauta du gros véhicule tout droit vers le sol parcouru de flammes, juste avant que l’impact combiné des machines de Larok et de Seurg ne secoue le troisième déforesteur. La terre trembla et un grincement déchira l’air. Des soldats tombèrent de l’esplanade où se trouvaient les mortiers pour atterrir directement dans les rouleaux broyeurs des veilleurs. Tandis que les broyeurs pliaient la tôle dans un bruit assourdissant, des silhouettes sortirent de la grosse cabine l’arme à la main. Larok reconnut une escouade de commandement, très hétéroclite. Une silhouette montra les dépravés du doigt tandis qu’un gradé repenteur donnait des ordres à son coordinateur. Une dizaine d’épaisses ombres s’activèrent autour de ce dernier. Une myriade de radius heurta quelques instants plus tard la vitre déjà bien amochée du véhicule de Larok, commençant à faire rougir cette dernière. 160 La Genèse de l’Apocalypse Des evocatis et des marcheurs solaires s’approchaient ainsi à grands pas des déforesteurs en train de broyer le métal de la machine où se trouvait le gradé repenteur. Larok recula aussitôt son véhicule du QG mobile, tandis que deux autres déforesteurs se rapprochaient du combat bruyamment. Seurg essaya de reculer à son tour, mais une de ses lames broyeuses s’était bloquée dans le métal déformé du véhicule ennemi. « Merde ! jura-t-il tandis qu’il entendait l’arme d’un des marcheurs solaires se mettre en branle. — Je vais faire diversion ! » hurla son ami à travers le tonnerre à la fois naturel et mécanique, juste avant que les balles de gros calibre et autres projectiles ne fassent de la charpie de la vitre du déforesteur. Seurg s’agenouilla dans la cabine, aspergé de verre. Il prit son arc et donna un violent coup de pied dans la porte de la cabine pour l’ouvrir. Dans le même mouvement, il accrocha son arme au crochet fermant la porte. Il se propulsa ainsi en arrière, poursuivi par une myriade de couleurs et de sons. Le veilleur atterrit juste derrière la cabine sans son arc. L’infortuné glissait à l’arrière du véhicule lorsque, sorties de nulle part, des guerrières à l’allure impératrice se retrouvèrent tout autour de lui. Un petit moment de suspense permit à Seurg de les observer et de comprendre qu’il avait déjà entendu parler de ces créatures de mauvais augure. Ces guerrières étaient des sœurs, de l’ordre des blafardes. Des membres de sa tribu lui avaient déjà parlé de ces féroces guerrières. Elles portaient une tenue de cuir de haute qualité et d’un blanc immaculé sur lesquels était ajoutée une épaisse couche de tissu thermoréplétif. Un gros œil du créateur était peint sur leur torse. En effet, ces guerrières redoutables au corps à corps étaient sous les ordres de l’Église repentrice. 161 La Genèse de l’Apocalypse Elles maniaient chacune deux longues lames, aussi droites que la froide détermination pouvant filtrer de leurs yeux enfichés dans des visages aussi blanchâtres que leurs armures. Tout le long de leurs bras pendaient de petites bandes de cuir de différentes couleurs. Leur visage totalement repeint en blanc était la seule partie du corps qui était visible chez ces guerrières. Seurg tourna en rond et les observa avec inquiétude. Elles avaient toutes les mêmes yeux blancs laiteux synonymes de mort, tellement blancs que Seurg ne savait pas si elles le regardaient dans les yeux ou pas. Seule une fine ligne de maquillage rouge entourait leurs globes oculaires, mettant en valeur un vide inquiétant. Une silhouette plus haute que les autres passa entre deux de ses semblables. Elle était coiffée d’une sorte de chignon à la manière de ses congénères, ses cheveux noirs dépassant un peu sur le côté de son visage aussi fin que froid. Seurg reconnut que cela devait être leur chef, d’une part au respect que les autres guerrières lui vouaient, et d’autre part car son armure était légèrement différente que celle de ses sœurs. En effet, des petits cercles de même échelle et de même épaisseur que celui qu’elle avait autour des yeux formaient une écriture que l’impétueux n’arrivait pas à déchiffrer et qui s’enroulait sur son armure. Un fin trait rouge autour de la bouche de la guerrière se mit alors à bouger. « Tu vas mourir, mutant ! Ton corps va regretter d’avoir refusé la repentance, chuchota comme un serpent la guerrière à travers le tonnerre de la bataille. — On meurt tous un jour reste à savoir par la main de qui et quand », répondit l’impétueux dans une tentative futile de gagner du temps. Il sortit lentement sa dague effilée tandis que l’orage redoublait d’intensité en arrière-plan. Les deux ennemis s’apprêtaient à en découdre lorsqu’une flèche dépassa Seurg et alla se planter quelque part dans la cabine du déforesteur. 162 La Genèse de l’Apocalypse Un gros bruit retentit ensuite et la scie circulaire du déforesteur fit un brusque mouvement de droite à gauche. Seurg ainsi que la plupart des guerrières de blanc immaculé se mirent aussitôt à plat ventre mais une des combattantes n’eut pas cette chance et s’abaissa trop tard. Sa tête coupée tomba en contrebas dans les herbes hautes à moitié brulées. Seurg profita de cette très courte diversion pour glisser entre deux guerrières et atterrir sur un tapis de fleurs cramoisies et aplaties. Des cris stridents de rage lui percèrent alors presque les tympans. Le dépravé se releva rapidement et commença à courir, complètement désorienté par les cris des guerrières. Il se retourna et vit qu’elles sautaient du véhicule pour le tuer. Il sortit un petit croque-mensonge que Kychrak lui avait donné et le laissa tomber derrière lui, tandis que les soldats sur le QG mobile se précipitaient sur le promontoire du véhicule pour le mettre en joue. Seurg lâcha un juron lorsqu’un obus explosa derrière lui et le fit tomber face contre terre. Il glissa sur le côté, sonné, et esquiva les tirs hasardeux des repenteurs qui l’avaient perdu de vue dans l’action. Une des guerrières l’avait repérée et se dirigeait vers lui en criant. Seurg était complètement désorienté et commençait à y voir flou. Il la voyait presque en double, un bruit assourdissant emplissant ses oreilles. Il ferma les yeux pour y voir plus clair. Quand il les rouvrit elle n’était plus là, mais le son dans ses oreilles s’amplifiait. Il comprit ce qui s’était passé lorsque la guerrière se releva, son armure pleine de boue. Son piège avait marché, par chance. Elle hurla en sa direction ; sans que le veilleur ne puisse savoir si c’était de la douleur, de la rage ou bien un savant mélange des deux. Un rouleau broyeur mit fin à ses cris promptement, l’écrasant avant de coincer son corps dans ses lames. Son cadavre ne fit qu’un tour, après quoi le véhicule continua sa route vers les combats plus loin. 163 La Genèse de l’Apocalypse Tandis que deux autres déforesteurs passaient devant lui il s’allongea dans la boue froide, essayant de se remettre de l’obus qui l’avait presque rendu sourd. Il ferma les yeux et se laissa bercer par le lointain grondement du tonnerre et le rythme régulier de la pluie sur sa peau… Larok essayait de semer le chaos dans les rangs ennemis pour faire diversion. Ainsi il était maintenant poursuivi par deux déforesteurs remplis à craquer de repenteurs. Les machines se rapprochaient des premières lignes repentrices. Quatre déforesteurs escortaient toujours l’armada à pied. Ils s’étaient enfoncés dans une partie plus dense de la forêt et leurs lignes étaient désorganisées. Cette partie du val Masqué était plus luxuriante et donnait du fil à retorde aux harvarders. Des silhouettes sombres se faufilaient entre les hautes herbes et les cris des repenteurs se faisant déchiqueter lui glaçaient le sang jusqu’ici. Ils venaient de dépasser le QG mobile, à peine libéré de l’étreinte du déforesteur de Seurg. Le veilleur s’abaissa un instant plus tard, lorsque des tirs d’armes lourdes venant du QG mobile atteignirent son véhicule. Un tir jaune rafla sa tête et alla toucher le plafond de la cabine. L’infortuné fut étonné quand il vit le plafond se transformer en verre sous ses yeux. Il eut juste le temps de se mettre en boule qu’une roquette frappa le côté gauche de la cabine. Le veilleur fut propulsé comme un boulet de canon sur le côté, ouvrant de force la porte et tombant sur le sol brulé à peine refroidi par la pluie. Le premier déforesteur ne fit même pas attention à lui et continua à poursuivre le véhicule en perte de vitesse. Le conducteur du deuxième déforesteur, quant à lui, le remarqua et s’arrêta devant lui. Il abaissa sa rampe, lâchant un flot de soldats hors de son champ de vision. 164 La Genèse de l’Apocalypse Le veilleur sortit son arc et encocha une flèche les phares du déforesteur dans la figure. Il tira rapidement une puissante flèche dans chacun des phares, rendant la zone tout à coup plus sombre. Il avait été habitué à chasser dans la nuit et l’infortuné pouvait parfaitement distinguer les soldats arriver en rangs serrés sur les côtés du véhicule stoppé. Les repenteurs activèrent leurs canons en mode passif mais ne virent pas Larok, ce dernier était trop enfoncé dans l’obscurité pour être visible. Il encocha deux flèches d’un coup et planta les deux soldats de tête sur le côté gauche. Il avança lentement, tandis que les soldats tiraient déjà dans tous les sens. Il en planta un autre, puis encore un autre. Un éclair proche mit soudainement en valeur l’infortuné dans un bruit fracassant. Les repenteurs le mirent en joue immédiatement, tirant sans prendre le temps de viser. Un bruit vint s’additionner aux radius lorsqu’un hélicoptère repenteur passa tout près alors que Larok sautait dans un trou d’obus pour esquiver les tirs. Le repentor M 33 frôla le sol entre le veilleur et les tirs en trainant une corde dans la boue. Un dépravé à mi-chemin de la cabine de l’hélicoptère s’accrochait désespérément à cette dernière. Larok sauta aussitôt sur l’occasion et s’agrippa au dernier mètre de la corde avec une de ses mains, l’autre tenant encore son arc. L’hélicoptère continua sa course folle en faisant décoller les deux dépravés poursuivis par les tirs. Un radius frôla la main de Larok et ce dernier lâcha sa prise, de douleur et de surprise. Il tomba à la renverse et enroula, dans un réflexe fulgurant, ses deux pieds autour du bout de la corde. La tête en bas, les flèches du dépravé commencèrent à tomber vers le sol boueux et cendreux. Une silhouette se dessina hors de l’hélicoptère alors que Larok sortait une des dernières flèches de son carquois. 165 La Genèse de l’Apocalypse Il visa rapidement tandis que le soldat ratait son tir et frôlait la corde sur laquelle s’accrochait désespérément le dépravé. Il tira ensuite d’un coup sec, plantant la flèche dans l’œil de l’ennemi. Le repenteur tomba par-dessus Larok tandis que l’hélicoptère piquait une nouvelle fois vers le sol. Le dépravé accroché au-dessus de Larok se retourna et lui lança un sourire de remerciement boueux. Il lui tendit la main alors que l’infortuné rangeait rapidement son arc dans son dos. Il lui agrippa la main, les tirs fusant dans leur direction d’en dessous d’eux. L’hélicoptère dévia d’un coup sec lorsqu’un tir de lance-grenade toucha sa cabine. La corde se retrouva alors à l’horizontale l’espace d’un instant. Surpris, la main du malchanceux lâcha celle de son sauveur avant de disparaitre dans le brouillard de guerre… Seurg fut réveillé par une charmante apparition, en totale distorsion avec la rage sanglante environnante. Malgré sa peau d’un vert étrange, elle restait mystérieuse et naturellement belle. « Viens ! lâcha l’apparition d’une jolie et insouciante voix tout en relevant promptement et puissamment Seurg. — Merci », répondit le veilleur encore assourdi en recevant de la main de la dépravée son arc perdu peu de temps auparavant. Il regarda autour de lui : tout n’était plus que terre calcinée et boue noirâtre. « Pourquoi es-tu ici ? » demanda-t-elle en regardant autour d’eux. Au loin, les repenteurs s’étaient enfoncés encore plus profondément dans le val Masqué. « Moi et mon ami que j’ai perdu de vue voulions vous demander de l’aide pour vaincre les repenteurs postés au reflet d’Azur. Nous venons de l’enfer Verdoyant. — Et vous avez tué tous ces ennemis juste pour pouvoir nous parler ? s’étonna la dépravée en haussant un sourcil. C’est très courageux de votre part. Mais comme tu peux le voir nous sommes attaqués et notre forêt tant aimée risque de bruler avec 166 La Genèse de l’Apocalypse nous si nous ne faisons rien. Aide-nous à vaincre l’ennemi et tu auras ton aide je te le promets ! Je suis la fille de l’Hégémon du val Masqué. — D’accord, acquiesça l’impétueux. Mais peut-être as-tu un nom ? — Je m’appelle Silith, expliqua simplement la dépravée. — Moi c’est Seurg. — Allons sauver ma tribu Seurg, suis-moi ! » Le veilleur lui emboita le pas dans l’étendue désolée et ils coururent au secours des survivants du val Masqué, encouragés par les éclairs toujours omniprésents dans le ciel déchiré… Le groupe s’était enfoncé dans le profond bois rocailleux. Il était obscur et inquiétant. Ses arbres crochus et dépourvus de feuilles se nouaient entre eux tel un immense rempart de ronces. Les protecteurs étaient obligés de briser des branches à l’aide de leurs mains gantées pour se frayer un passage dans ce labyrinthe de gris et de marron. Ils avaient fait une bonne cinquantaine de mètres quand ils entendirent les premiers ordres des repenteurs au loin, ce qui les poussa à accélérer le pas en se rapprochant des lointaines profondeurs du bois. Le martèlement des bruits de pas ne tarda pas à se faire entendre, apportant avec lui une rumeur guerrière. « Merde ! jura silencieusement Zabyss. Ils sont rapides les cons ! — J’ai une idée, lâcha S tandis que le roulement de tambour du tonnerre les pressait. — On t’écoute. Perds pas ton temps, dit le carmin en train de donner un coup de pied à une pauvre branche. — Laissez-moi juste quelques secondes, faites-moi confiance ! » Les protecteurs s’arrêtèrent et S sortit son pistolet radius. Il ramassa un petit caillou et le coinça au niveau de la gâchette de l’arme. Ainsi le pistolet tirait régulièrement en direction des repenteurs sans l’aide de personne grâce au caillou qui avait pile la bonne taille pour appuyer sur la gâchette. 167 La Genèse de l’Apocalypse « Bien joué fallait y penser. Maintenant sortons de cette foutue forêt. » Ainsi les compagnons accélérèrent le pas et en oublièrent presque le calvaire qui les attendait plus loin… Le sergent Azilor avait fait gagner son camp après plusieurs heures de repenticide acharné où les vétérans n’avaient pas arrêté de l’induire en erreur. Il était indéniable que les evocatis avaient de l’expérience dans ce jeu presque autant que dans la guerre. Tout le monde était crevé et les evocatis proposèrent gentiment de monter la garde. Les nageurs de combat allèrent donc se coucher, sauf le nageur oxygersien Jidilius qui resta avec les vétérans pour discuter tactique. Azilor passa à l’infirmerie improvisée pour voir comment allait son ami blessé et trouva Bâtard étendu sur le sol, entouré de plusieurs bières vides. Le sergent eut un petit sourire en coin et décida de laisser son ami de toujours dormir tranquillement. Il n’eut pas le temps de sortir de la pièce que déjà un bruit assourdissant résonnait dans la nuit silencieuse. Azilor accourut alors vers les evocatis et Jidilius. « Que se passe-t-il ? demanda Azilor. — C’est sans doute les renforts de Nice, annonça le sergent Morduk. Jidilius, allez réveiller vos hommes. — J’y cours. » Ainsi le grondement mécanique se rapprocha et le sergent des nageurs de combat alla réveiller ses soldats qui n’étaient pas en poste… Les veilleurs étaient presque au complet. Seul Larok, Yarg et Seurg manquaient à l’appel. Zagor était fier des veilleurs présents, ils avaient tous rempli leur mission. Ils attendaient ainsi leurs compagnons lorsqu’un bruit motorisé était venu s’ajouter à celui de l’orage. 168 La Genèse de l’Apocalypse Les quatre veilleurs et le tigre gris se rapprochèrent rapidement du bord du toit, le bruit se faisant de plus en plus présent. En contrebas, passant par une rue parallèle à la rue d’Antibes, une armada de véhicules roulait à toute allure. « Merde, lâcha Kychrak dans sa longue barbe tressée. — Treize véhicules. Une centaine soldats, remarqua Hislachar qui arrivait toujours à décompter les forces ennemies avec une rapidité déconcertante. — Merci de l’information, dit le grand veilleur. Nos frères vont devoir se dépêcher sinon on va devoir se battre à un contre dix ! » Zagor restait tout de même secrètement inquiet. Il ne voulait pas que le sacrifice de Gralug et de presque toute la tribu ne se reproduise, mais si les veilleurs ne faisaient rien la défaite était assurée. De plus si les repenteurs fortifiaient cet endroit et le transformaient en tête de pont, l’extinction des dépravés dans cette région ne serait qu’une question de temps. Et comme Zagor ignorait si le Messie était arrivé à sa destination, il ne savait pas quoi penser… Les trois compagnons sortirent du bois par le nord, débouchant sur une route en zigzag longeant la falaise vers l’observatoire repenteur. Un skitnik 45 était arrêté au milieu de la route. Un repenteur seul mangeait sa portion assis à l’arrière du véhicule. Il cracha sa bouchée de surprise quand un éclair mit en valeur les trois silhouettes des compagnons, absents de sa vision une seconde plus tôt. Zabyss tira une balle de blazing eagle dans le poitrail du soldat, pendant que le bruit de l’orage se répercutait sur les montagnes environnantes. Les trois silhouettes accoururent vers le véhicule. « Ce soldat va nous servir pour rentrer dans la base, annonça le flamboyant. — Comment ? demanda l’insongeable. 169 La Genèse de l’Apocalypse — Tu vas voir. Moi aussi je connais des trucs », amorça le protecteur tandis qu’ils étaient presque au niveau du skitnik… Seurg et Silith étaient arrivés à trois cents mètres des lignes repentrices par l’ouest lorsque que cette dernière s’arrêta brusquement. Un tas de cadavres de dépravés de sa tribu avaient été entassés sur un monticule en proie aux flammes. Des larmes se mirent alors à couler le long de ses fines joues et elle tomba à genoux. L’impétueux ne sut pas trop quoi dire. Il lui mit simplement une main sur l’épaule, essayant de stopper son hémorragie de tristesse. Silith agrippa sa main à celle du veilleur dans un toucher humide. « Merci, arriva-t-elle à prononcer. — De rien. — Viens, je suis sûr qu’il reste des survivants ! » lâcha-t-elle dans un soudain regain d’espoir. Elle sécha ses larmes et partit brusquement vers ce qui restait du val Masqué, suivi de près par Seurg qui commençait à s’inquiéter pour son ami malchanceux… Lorsque les renforts de Nice arrivèrent à bon port, ils furent accueillis d’une façon bien austère. Éclairé sporadiquement par de lugubres éclairs, le reflet faisait presque penser à un manoir de film d’horreur. Une myriade de silhouettes immobiles, l’arme à l’épaule et la tenue dégoulinante de pluie, trônaient en haut des marches. Leur emplacement en hauteur donnait l’impression qu’ils étaient les maitres du charnier, les survivants d’une longue et éprouvante bataille. Une dizaine de véhicules s’arrêta ainsi sur un même front à quelques mètres des marches. Le sergent Morduk reconnut des skitniks 45, des rollersmokers et un skitnik 64, cousin plus protégé et plus spacieux du premier. Un soldat prenait d’ailleurs l’eau sur la tourelle du véhicule. 170 La Genèse de l’Apocalypse Un repenteur sortit du rollersmoker juste en face des marches, suivi par un autre soldat sortant de l’autre côté du véhicule. Le sergent Azilor, qui avait l’œil, reconnut aussitôt le grade de ce dernier. C’était un dieutenant repenteur. Azilor fut surpris qu’un si haut gradé vienne jusqu’ici seulement pour amener des troupes. Delenios devait vraiment être reconnaissant, un dieutenant repenteur étant un grade juste en dessous de Mandataire dans la hiérarchie des repenteurs. Lui et un soldat portant un paquetage radio montèrent les marches avec lenteur, tandis que tout le monde retenait son souffle. Il arriva au niveau des quatre sergents. Son visage était sombre et parcheminé, une de ses joues en partie brulée. Son coordinateur restant une marche en arrière, il s’avança vers les quatre sergents. Ces derniers et les repenteurs derrière eux se mirent aussitôt au grade à vous. « Repos. Je suis le dieutenant repenteur Meldiz. Sous les ordres de Vaxalax, Mandataire du 23ème bataillon de la 33ème Légion. Je viens de la part du 7ème Prince Belliciste de la 33ème Légion, Delenios. Il vous amène un contingent de cent soldats ayant presque fini leur entrainement. Il ne leur manque plus qu’un baptême du feu pour être de vrais repenteurs. Nous vous léguons aussi une escouade de repenteurs dirigée par le sergent Karlak. J’ai enfin trouvé bon de vous amener un peu de matériel de défense, suivez-moi. » Les quatre sergents s’exécutèrent et descendirent les marches encore luisantes de sang coagulé. Le sergent Azilor put distinguer les nombreuses armes que portait le dieutenant. Sur son côté gauche pendait une interfectrix, une spatha stylisée portée par certains gradés. Sur son autre flanc on pouvait distinguer un holy eagle. 171 La Genèse de l’Apocalypse Des traits pyrophoriques étaient quant à eux pliés en deux autour de la ceinture du dieutenant. Ces armes de lancer aussi rares que meurtrières étaient construites sur le même principe que le pilum, sauf qu’en se cassant le projectile déclenchait une explosion. Azilor se rappela du ravage qu’avait fait cette arme destructrice contre les véhicules ennemis lors de la bataille du dernier carré. Les petites charges explosives de ces javelots pouvaient déchirer la tôle comme la chair sans grande différence. Azilor savait qu’ils étaient fabriqués en faible nombre et rares étaient ceux pouvant prétendre en utiliser. Les repenteurs arrivèrent devant le skitnik 64. Deux conscrits, visibles à la fine ligne blanche verticale qui parcourait leur casque, ouvrirent l’arrière du véhicule et firent abaisser sa rampe. Tandis que la sentinelle postée sur la tourelle scrutait les environs, les quatre sergents furent émerveillés comme des enfants un jour d’anniversaire par ce qu’ils avaient sous les yeux. Ce qu’il y avait dans ce camion était en effet une pure merveille, militairement parlant. Il y avait ainsi deux mitrailleuses MAG 333, parfaites pour tenir des positions derrière des sacs de sable. Des caisses de munitions en tout genre étaient aussi présentes mais le plus important était le plus voyant. Un kopfbrecher, une merveille technologique, était recroquevillé au fond du skitnik 64. Le sergent Torkus en avait déjà vu dans les armées les mieux équipées des repenteurs. Les kopfbrechers portaient bien leurs noms. En effet, crées par l’Église machiniste, ces espèces d’automates avaient été conçus pour écraser tout sur leur passage. Ils se recroquevillaient sur eux-mêmes pour le transport, mais lors des combats ces machines de mort faites d’aciers et parcourues d’or culminaient à plus de deux mètres. Leur armure très épaisse en eluzirium donnait une impression de résistance à toute épreuve, 172 La Genèse de l’Apocalypse ce qui en faisait une très bonne arme psychologique. Sa tête peinte en rouge indiquait sa fonction : la destruction pure et simple de l’adversité. Torkus reconnut le modèle, le XXII. Ses deux bras se terminaient par des canons radius sirkel, tandis que ses yeux tiraient à faible cadence le même genre de projectiles ardents. « Merci mille fois dieutenant Meldiz, commença Torkus. Vous nous avez apporté de quoi tenir tête à n’importe quel ennemi. — De rien sergent. » Le dieutenant repenteur fit un signe au soldat qui l’accompagnait et ce dernier lâcha quelques ordres aux troupes. Des hommes accoururent aussitôt pour descendre le matériel. Le coordinateur donna un gros livre au sergent Torkus tandis qu’on descendait tout le matériel du transport. « C’est le mode d’emploi du kopfbrecher, lui expliqua le dieutenant. Gardok, fais descendre les troupes ! » ordonna-t-il au repenteur au paquetage radio. Tous les renforts sortirent ainsi de leurs véhicules dans une synchronisation déconcertante. Le dieutenant repenteur et son coordinateur se rapprochèrent à vive allure de leur rollersmokers. Le gradé monta en place passager et glissa un mot à Torkus avant de partir. « Vengez-le balafré pour moi sergent ! C’était un bon repenteur. » L’intéressé n’eut pas le temps de répondre que l’armada de véhicules s’était mise en branle. En moins d’une minute ils avaient disparu, laissant derrière eux un sillage de boue et de bleusaille. Les quatre sergents les regardèrent et pensèrent tous la même chose : qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire d’eux ? Mis à part une escouade, tous les autres n’étaient que des recrues, apeurées par les nombreux cadavres qui les entouraient. Torkus se retourna alors vers les escouades toujours immobiles en haut des marches. Leur voilà au moins un exemple, pensa le vétéran derrière son casque. 173 La Genèse de l’Apocalypse Se retournant à nouveau, il essaya de couvrir au plus la mousson environnante. « Garde à vous ! » hurla-t-il aux nouveaux arrivants. Et les conscrits se firent tout d’un coup plus droits… Les compagnons avaient suivi le stratagème de Zabyss. L’insongeable s’était habillé rapidement avec la tenue du repenteur et inversement. Les protecteurs s’étaient cachés comme il pouvait à l’arrière, sous des bâches de mitrailleuses où ils avaient aussi caché le cadavre du soldat mort. Ils arrivèrent ainsi à l’entrée de la base, quatre mitrailleuses et un sergent en guise de bienvenue. L’insongeable resta calme et s’arrêta à distance respectable. Le sergent s’avança et après un rapide coup d’œil en direction du véhicule, le repenteur s’approcha du conducteur. « Matricule ? demanda-t-il. — 26-213-6854-4970 », annonça S en priant pour ne pas s’être trompé tandis qu’il se tenait le ventre avec une de ses mains. Le sergent regarda un registre et hocha rapidement de la tête. « Bien, vous êtes blessée ? demanda-t-il alors que le sergent faisait signe à ses hommes d’ouvrir la grille. — Légèrement oui, répondit l’homme grimé en repenteur. C’est le sujet 33 qui a été porté disparu du complexe 15 sergent, répondit S en cachant le trou dans la tenue du soldat où la balle de Zabyss était passée un court instant plus tôt. On a eu un échange de tirs et on s’est mutuellement blessés, expliqua ironiquement S. — Le sujet 33 vous dites ? lâcha le sergent. Il me semblait qu’il allait être plus dur à avoir, selon les directives envoyées par le complexe 15. Mais comment l’avez-vous eu ? — J’attendais dans un véhicule en amont et j’ai donc pu le blesser lorsqu’il est sorti du bois mon sergent. Je dois aller à l’infirmerie à cause de ma blessure, mais les autres escouades ne vont surement pas tarder à le ramener. — Je vois, dit le sergent. Si ce que vous dites est vrai je vous paierai un coup tout à l’heure. Ouvrez les portes ! » 174 La Genèse de l’Apocalypse Quelques secondes plus tard les portes s’ouvrirent lentement et l’insongeable expira doucement. C’était le moment crucial. Il se mordit un bout de peau morte, son regard caché sous la visière de son casque où ses cheveux avaient eu du mal à tous rentrer. S’ils étaient repérés maintenant, ils seraient tous morts avant d’avoir pu tirer le moindre coup. Ils eurent finalement de la chance et rentrèrent incognito dans la base. Quand ils passèrent la porte S ne put s’empêcher de lâcher un juron de soulagement, tout en faisant bien attention de rester à une distance respectable des repenteurs qui pouvaient toujours découvrir le pot aux roses. L’insongeable devait maintenant trouver un hélicoptère dans un endroit discret, pour qu’ils puissent partir avant d’être repérés. Il se balada lentement pendant plusieurs longues minutes, faisant semblant de connaitre son itinéraire. Le véhicule s’arrêta finalement dans un petit hangar, loin du vaet-vient des repenteurs. L’insongeable descendit et fit signe aux protecteurs que la voie était libre. « Tu as bien choisi ton cheval, félicita Krag tandis que les protecteurs descendaient du véhicule. Celui-ci est un vrai bijou ! Bon je vous attends dans l’hélico, et bougez-vous ! — Ok, répondit l’insongeable. — Monte, ordonna Zabyss. Je vais les ralentir. » S s’exécuta et ramassa son feastpack, avant de porter le cadavre du repenteur encore emballé vers l’hélico en tirant sur ses muscles. Ce dernier ressemblait à un colibri, mais en plus furtif. Zabyss s’agenouilla et déterra un gros câble, puis activa rapidement sa tronçonneuse avant de sectionner ce dernier dans un grésillement. Il accourut ensuite dans l’hélico et ferma les portes derrière lui. « Bienvenu dans le blackout M 45, commença Krag alors que les pales de l’hélico commençaient à tourner dans un bruit presque 175 La Genèse de l’Apocalypse inaudible. Il porte bien son nom, c’est un hélicoptère tout ce qui a de plus furtif. Quasi impossible à détecter sur un radar il dispose d’un armement DP, pour deum pulsum. — Cool, dit Zabyss. Du coup on ne va pas de faire descendre comme des pigeons comme la dernière fois. Merci S. — Y a pas de quoi, j’ai pris celui qui me paraissait le mieux. » Tandis qu’ils commençaient à prendre de la hauteur, S se déshabilla en vitesse et remit ses propres habits, rendant au défunt repenteur sa tenue en tissu thermoréplétif. « Merci repenteur Vanus, lâcha-t-il en lisant l’étrange plaque d’identification du soldat. Mais ça fait quand du bien de plus être son propre ennemi ! — Tu m’étonnes. — On commence à s’éloigner de la base, annonça Krag. S’ils peuvent tirer c’est maintenant ! » Chacun retint alors son souffle, les compagnons ayant l’impression d’avoir tous les regards braqués sur eux… « … Le sujet 33 a été capturé dans la forêt, on l’a ramené à la base ! crachota la radio. — Quoi ? s’exclama le coordinateur quand il entendit le message dans sa radio. — Sergent on a un problème, un gros problème ! » L’intéressé cassa quelques branches et s’approcha… « C’est bon ! lâcha Krag, on est hors de portée. — Bien joué », dit le flamboyant. Krag voulut répondre à son tour, mais une sirène assourdissante se joignit alors au bruit du tonnerre pour lui couper la parole. « Je crois qu’ils nous ont repérés, annonça S. — Vous inquiétez pas, cet hélico est rapide et on a déjà pas mal d’avance. » S regardait le hublot pendant qu’il remettait en place sa cartouchière et son fourreau. 176 La Genèse de l’Apocalypse L’expression « donner un coup de pied dans la fourmilière » correspondait bien à l’action que venaient d’accomplir les compagnons. L’insongeable pouvait ainsi distinguer des dizaines de dizaines de repenteurs bouger dans tous les sens, chacun allant à un endroit précis dans un anarchie apparente. Il préféra se détourner de cette vision et sa vue retomba sur le cadavre à moitié rhabillé « Je vais me planquer dans les nuages. On sera presque impossible à repérer », lâcha Krag toujours rassurant quant il fallait. Ils se rapprochèrent ainsi de ces nuages noirs tellement épais qu’ils donnaient l’impression d’être solides. Les compagnons s’enfoncèrent ensuite dans les profondeurs obscures de la tempête, s’apprêtant à ne plus revoir la lumière pour un certain temps… Ils étaient arrivés trop tard. Le camp était calciné, rien n’avait subsisté. Ils étaient cachés à presque cent mètres mais Seurg pouvait sentir d’ici l’odeur des corps brulés lui monter aux narines. Il sentit Silith faiblir et essaya de la réconforter du mieux qu’il pût. « Il doit surement y avoir des survivants, certains ont dû s’échapper ! — Non, chuchota-t-elle d’une voix désespérée. Personne ne survit à une telle dévastation. » Elle allait tomber en sanglots quand un petit soupir se fit entendre, juste derrière eux. Les deux dépravés sursautèrent et se retournèrent vers le fond du cratère d’obus dans lequel ils se trouvaient. Ainsi au plus profond de ce dernier, caché par les cendres et la boue, un corps à moitié enseveli gémissait. Silith enleva les cendres autour du visage grimaçant et ne put cette fois-ci retenir son flot de larmes. « Père ! Non ! 177 La Genèse de l’Apocalypse — Ma chérie ne t’en fait pas pour moi, je pars en paix. Les autres membres de la tribu sont allés se réfugier au vieux motel, ils t’attendent. Promets-moi de les amener en lieux sûrs. — Je te le promets père », arriva-t-elle à lâcher entre deux sanglots. Valnog, l’Hégémon du val Masqué, enleva alors lentement la bague faite de racines de son doigt et la remit dans la paume de sa fille. « Que les arbres te protègent », lâcha finalement Valnog. Silith sentit alors le pouls de son père faiblir, puis disparaitre. « Non, je t’aime ! Ne pars pas maintenant, j’ai besoin de toi. Non, ne pars pas ! » Elle resta là, stoïquement, son visage en pleurs. Seurg se sentait totalement impuissant. La boue et l’eau faisaient disparaitre de plus en plus le corps de Valnog, embourbant les deux dépravés vivants avec lui. Silith sécha une nouvelle fois ses larmes puis mit la bague de son père, la bague noueuse, à son doigt. La dépravée se sentit tout d’un coup plus forte. « Allons finir ce pour quoi mon père est mort ! » lança-t-elle en se relevant. Seurg acquiesça et ils grimpèrent hors du trou d’obus boueux, sortant de la terrible attraction de la mort… Le sergent Vanrol comprit à quel point ils s’étaient fait rouler dans la boue quand lui et ses hommes arrivèrent à un caillou particulièrement vorace, les sirènes de l’observatoire céleste C II se répercutant déjà sur le plateau en arrière-plan. « C’est quoi cette connerie ? jura-t-il. Eh ben on s’est bien fait avoir les gars ! » Il ramassa l’arme et prit la parole d’un ton las. « Rentrons au bercail, y a plus rien à foutre dans cette maudite forêt »… 178 La Genèse de l’Apocalypse Ils pouvaient entendre les hélicoptères des repenteurs voler derrière eux. Ces derniers ne les avaient pas trouvés dans ce brouillard noir strié d’éclairs. « Ça devrait être bon, espéra Krag. On est déjà à plusieurs kilomètres de la base. Ils vont pas nous suivre jusqu’au bout du monde. — C’est là que tu te trompes mon ami, répondit Zabyss. Les repenteurs nous suivraient jusque dans l’espace avec leurs foutus repentors s’ils le pouvaient. Ils sont aussi débiles que bornés. Et en partant de cette région, qui sait ce qui nous attend. D’autres repenteurs, ou peut-être pire. — Je ne vois pas ce qui peut être pire que tous les mauvais côtés de l’Homme réunis en une seule entité, répondit le carmin. — En tout cas merci de m’aider, je suis un peu paumé pour l’instant. Je sais vraiment pas ce que je dois faire au milieu de ce merdier moi, ajouta à son tour l’insongeable. — De rien, répondit sincèrement le flamboyant au nom des quarante-sept. C’est notre rôle. — Mais, pourquoi êtes-vous si peu à m’avoir trouvé ? demanda S perplexe. — C’est une longue histoire, commença Krag. Quand on est partis à ta recherche, de nombreux membres de la Serpentine étaient déjà perdus. Des accrochages avec les repenteurs nous ont faire perdre beaucoup de personnes y compris des protecteurs avant même que le Duc, notre grand chef, nous lance à ta recherche. Nous sommes tous éparpillés et nos instruments ne permettent pas de te tracer à une très longue distance. Moi et Krag par exemple, nous avons eu la chance d’être au bon endroit au bon moment mais ce n’est pas le cas de tous les protecteurs. Nos informations n’étant pas très précises, nous avons dû quadriller une zone extrêmement grande avec moins d’une centaine d’hommes et tout ça sans aucune coordination ou croisement des infos. » Krag s’arrêta de parler et Zabyss prit à son tour la parole, laissant le carmin se concentrer sur sa conduite. 179 La Genèse de l’Apocalypse « Le problème est qu’on doit faire très attention aux repenteurs, faut dire qu’on passe pas trop inaperçu. Des fois on met des jours entiers pour faire une petite distance. On est obligé de passer par les chemins les plus longs et dangereux pour ne pas être repéré. C’est surement pour ça qu’on a croisé si peu de nos frères et sœurs pour l’instant. Il faut aussi se dire que beaucoup doivent déjà être passé de l’autre côté de la porte », conclut le protecteur sur un ton pessimiste… Seurg et Silith arrivèrent en courant vers le vieux motel dont avait parlé Valnog avant d’expirer. C’était un petit bâtiment discret à la lisière de la forêt. Il était presque en ruine et complètement oublié, ce qui en faisait une planque parfaite. Une escouade de repenteurs arriva soudainement à pied par le côté droit de la route : ils les avaient repérés. Les soldats étaient différents des repenteurs classiques : ils portaient d’étranges masques, une couche très épaisse de tissu thermoréplétif recouvrait leurs uniformes et ils étaient armés d’harvarders. Leur supérieur sortit deux armes de poing à la vue des dépravés, la première étant un pistolet radius et l’autre un holy eagle, arme de poing de couleur dorée assez rare n’était donnée qu’aux plus pieux des repenteurs. Elle s’utilisait avec des balles mordorées, des projectiles dont les têtes étaient creuses et remplie d’un mélange liquide faisant penser à de l’or : le coulis des sept. Ainsi outre sa rareté et sa beauté, cette arme était meurtrière en plusieurs points. En effet, quand elle pénétrait dans la chair la balle du holy eagle se brisait, libérant le liquide chauffé par le tir. Outre la douleur atroce qui en découlait, le coulis empêchait la cicatrisation de la blessure. C’est en remarquant la grosse flamme que toute cette escouade arborait que Seurg se rappela de ce que lui avaient raconté les anciens au sujet de la Grande Mère et de ses meurtriers. 180 La Genèse de l’Apocalypse Ils avaient expliqué que la flamme repentrice, une flamme représentant un arc-en-ciel allant du bleu au rouge, était portée par les soldats qui se nommaient les cautérisateurs. Seurg sentit une rage ancestrale monter en lui, mais il n’eut pas le temps de frapper le premier : un hélicoptère venait de surgir de nulle part. Silith et Seurg furent étonnés quand l’hélicoptère passa à quelques mètres des cautérisateurs. Ces derniers comprirent vite ce qui en découlait et, après un rapide ordre de leur supérieur, ils attaquèrent l’engin volant. Tandis que les hélices de ce dernier faisaient de la charpie des premiers repenteurs sur sa route, les autres soldats stoïques et indifférents commencèrent à faire chauffer dangereusement le véhicule. Seurg hallucina quand il vit un gros bout de l’hélicoptère tomber, à moitié fondu. Le veilleur profita de la diversion et commença à bander son arc en direction de la demi-douzaine de repenteurs tirant sur l’hélicoptère mis à mal par la flamme repentrice. Tandis que Silith bandait à son tour son arc la première flèche de l’impétueux se fichait dans le cou d’un des cautérisateurs. Le gradé eu à peine le temps de se retourner qu’il esquiva d’un cheveu la deuxième flèche, celle de Silith. Il tira de ses deux armes tandis que la deuxième flèche de Seurg s’apprêtait à tracer au travers de la pluie. Le dépravé et le cautérisateur essayèrent de s’esquiver l’un l’autre tandis que Silith tendait à nouveau son arc. Ainsi le soldat se prit la flèche de Seurg dans le bras, tandis qu’une balle d’holy eagle se fichait dans la jambe du veilleur. Les deux ennemis hurlèrent de douleur presque en même temps. Silith était à moitié sourde à cause des nombreux tirs mais elle entendit Seurg comme s’il criait dans sa tête. Elle eut une grosse vague de frisson et se dépêcha d’armer une autre flèche alors que l’hélicoptère en feu disparaissait au loin, ne laissant que des corps en charpie et une trainée de flammes derrière lui. 181 La Genèse de l’Apocalypse Silith tira alors un autre projectile vers le soldat qui essayait d’enlever la flèche de son bras. Ce dernier transperça l’homme au niveau du flanc et s’enfonça jusqu’à l’empennage. Le repenteur s’empressa alors de sortir un cristal binaire de sa ceinture, tandis que l’orage grondait tout autour d’eux. « Je mourrais pur ! » arriva-t-il à hurler en activant le cristal juste au-dessus de sa tête. Survint alors une terrible et singulière explosion qui noya le repenteur dans un nuage à la fois glaçant et brulant. C’était un spectacle insolite, comme si des flammes étaient portées par un nuage de glace. L’étrange brume se dissipa ensuite peu à peu, dévoilant un homme figé comme une statue. Son corps était dans en état singulier, à la fois carbonisé et congelé. Silith regarda le spectacle avec stupéfaction et se rapprocha de Seurg. La chair de sa jambe avait l’air de bruler de l’intérieur, tandis que le rictus de son visage confirmait qu’il souffrait le martyre. Il commença à convulser et tousser violemment. Il allait mourir si personne ne le soignait rapidement… Zirivus s’était presque fait tuer lors du combat et ses ennemis l’avaient laissé pour mort dans un tas de cendres et de cadavres. Dès qu’il en avait eu l’occasion, il s’était enfui en véhicule pour prévenir ses frères. En effet les dispositifs radios intégrés dans les heaumes des marcheurs solaires n’avaient ici pas assez de portée pour capter la base la plus proche, et le guerrier de l’Oculus le savait. Il avait perdu énormément de sang et avait du mal à contrôler son véhicule. Le marcheur solaire se maudit lui-même de ne pas être mort lors du combat contre les usurpateurs En effet il allait devoir expliquer sa défaite à la main rouge. La main rouge, pensa-t-il en se tenant la tête. 182 La Genèse de l’Apocalypse Il était l’Héliaste de la 4ème marche céleste, ces armadas de guerriers comportant un à plusieurs milliers d’hommes. En effet les guerriers de l’Oculus, appelés de manière générale les marcheurs, étaient organisés en marches célestes, toutes indépendantes les unes des autres. Une marche céleste était divisée en quatre cercles. Le quatrième cercle, le cercle cythéréen, était le premier que connaissaient les marcheurs fraichement rentrés dans les ordres. Il était régi par le Novaliaste et était le point de repère de l’Oculus. Il était le phare sans lequel les marcheurs étaient aveugles. Ensuite venait le troisième cercle, le cercle solaire, qui était en général le plus peuplé de la marche. Guidé par l’Héliaste le cercle solaire personnifiait le souvenir transcendant l’obscurité, la valeur réconfortante du passé à laquelle on pouvait s’accrocher pour avancer. Le deuxième cercle, le cercle stellaire, représentait la Voie lactée. Dirigé par le Lactiaste le cercle stellaire représentait l’avenir et la lumière à atteindre, l’objectif qui allait rapprocher l’Oculus de la connaissance absolue. Enfin le premier cercle, le cercle quasarien, personnifiait la connaissance éblouissant tout l’univers de par sa sagesse. Gouverné par le Quasariaste ; le premier cercle était l’apothéose de la compréhension, créant un pont entre l’âme et l’enveloppe charnelle tout en bâtissant l’osmose. Au cœur du Quasar se trouvait un grand vide, qui engloutissait toute la lumière autour de lui. La pupille du néant absorbait tout ce qui passait à sa portée, s’approvisionnant de toutes les vérités trop clairvoyantes que l’Humanité aurait du mal à assimiler ou à assumer. Au cœur de ce vide voyageaient les marcheurs du néant. Portant ce lourd fardeau et dirigée par l’Iris du néant en personne, une unique marche céleste devait veiller à ce que l’équilibre entre obscurité et lumière soit respecté. Un terrible mal de crâne le submergea et chassa ses pensées de son esprit. 183 La Genèse de l’Apocalypse La vue de son œil droit flanchait assez régulièrement, alors qu’il roulait à tombeau ouvert sur une route où la moindre erreur de conduite pouvait être fatale. Il s’approcha d’un des nombreux avant-postes plantés sur un axe contrôlé par les repenteurs, se demandant si cela serait pour lui un salut ou un sursis… Silith était arrivée dans le motel avec fracas. Il y avait ici une cinquantaine de survivants, et au moins la moitié étaient blessés. Elle avait amené rapidement Seurg au soigneur du val Masqué, Opidas. « Comment va-t-il ? — Il est très mal en point, il lui faut le soin des racines. Malheureusement notre chère forêt n’est plus que cendres, lui répondit une voix triste et chuchotante. — Silith, intervint Onex, le grand veilleur du val Masqué. Pourquoi mets-tu en péril notre survie à tous au profit d’un étranger ? » Cette remarque fit aussitôt monter des voix d’approbation au sein des dépravés esseulés et apeurés. « Lui et son ami sont arrivés pendant le combat. Ils m’ont aidé et ont tué nombre de ces soldats fous. Ils venaient de l’enfer Verdoyant et voulaient demander notre aide. L’un est porté disparu et l’autre est ici, mourant. Ils méritent tous les deux autant de respect que tous les guerriers morts pour notre tribu. — Je comprends mais qu’allons-nous faire ? Valnog n’aurait jamais été pour aider les autres clans. C’est trop dangereux pour les nôtres. Or, nous ne pouvons décider sans lui et il se trouve qu’il est absent. » Silith enleva la bague noueuse de son doigt. Elle la montra à tout le monde en élevant un peu son bras et fut rapidement prise de sanglots. « Mon père est mort sous mes yeux dans le bourbier qu’est devenue notre chère forêt, larmoya la dépravée. 184 La Genèse de l’Apocalypse Il m’a fait promettre de nous conduire hors du chemin de la faucheuse, et c’est ce que je ferais. Nous irons voir nos cousins. — Non, je refuse, notre vie est ici. La terre brule de douleur, nous n’allons pas abandonner ce qu’il reste de notre vie dans ce monde. Pars si tu veux, mais moi je reste ici pour faire payer le plus lourd tribut possible à ces chiens de repenteurs. Ensuite je mourrai, dans l’honneur et sûr d’avoir servi à quelque chose. » Certains guerriers se rapprochèrent d’Onex, leurs armes rudimentaires à la main. « Tu ne comprends pas Onex. Si nous allons vers nos frères, ils nous accueilleront les bras ouverts et nous pourrons préparer notre revanche. Si nous restons ici, nous mourrons tous dans l’indifférence. Je t’en prie, suis moi et je te promets qu’un jour nous reprendrons nos terres. Mais pas maintenant, l’ennemi est trop puissant cette fois il faut l’avouer. » Le grand veilleur considéra l’offre de longues secondes, tandis que le grondement du tonnerre se faisait de plus en plus fracassant. « C’est d’accord, mais avec regret. Si nous ne nous vengeons pas assez vite à mon gout, j’irai chercher moi-même l’ennemi. — Ne t’inquiète pas, nous nous vengerons bien assez tôt ! Maintenant prenez tous vos affaires et partons avant que les repenteurs rappliquent ! » Ils s’exécutèrent tous avec rapidité alors qu’on mettait l’impétueux sur un brancard de fortune. Silith regarda son visage endormi et ravagé par la douleur. Elle ne put s’empêcher de prendre sa main par compassion. Les étrangers n’étaient pas si mauvais après tout, pensa alors la dépravée du val Masqué… Zirivus venait d’arriver à l’avant-poste. Deux mitrailleuses le visaient à travers des sacs de sable. Un sergent fit ouvrit la grosse porte grillagée en travers de la route aussitôt qu’il reconnut le marcheur solaire. 185 La Genèse de l’Apocalypse « Que faites-vous donc seul sur cette dangereuse route marcheur solaire ? demanda le sergent avec tout le respect qu’il se devait de montrer envers un membre de l’Oculus. — Mon escouade a été exterminée. Je suis blessé, puis-je utiliser votre système de communication ? demanda à son tour le marcheur solaire qui n’avait que faire des considérations du repenteur. — Oui bien sûr allez-y, faites comme chez vous. » Le soldat en cuirasse de trinitium entra alors dans le petit bâtiment d’un pas lourd, sous les regards étonnés et apeurés des repenteurs… Tandis que les dépravés se dépêchaient de quitter la zone remplie de repenteurs, Silith pensa à son frère et profita qu’Onex soit à côté de lui pour lui faire part de son inquiétude. « Onex, où est Zyxor ? Je m’inquiète pour lui. — Tu connais ton frère, il aime les actions héroïques. Il a réussi à voler un hélicoptère et a fait diversion pendant qu’on s’enfuyait. Après je ne l’ai plus revu. Mais sache que c’est grâce à lui que nous ne sommes pas tous morts. » Silith comprit alors quelque chose et une énième vague de tristesse l’envahit. « Qu’y a-t-il ma sœur ? demanda Onex. — Juste avant de rentrer, un hélicoptère nous a aidés. Il s’est fait presque détruire par les repenteurs et leurs armes crachant des flammes, lâcha-t-elle attristée. J’ai peur qu’il soit mort ! » Comme pour appuyer ses dires, un hélicoptère en feu suivi par un deuxième repentor volant à basse altitude surgit au loin… L’hélicoptère de Zyxor ne répondait plus. Le feu avait tout déréglé, il perdait de l’altitude. Celui qui le poursuivait savait qu’il allait s’écraser et préférait le suivre comme un charognard, attendant que sa proie ne meure d’elle-même. Il essaya de redresser le manche de l’hélicoptère tandis que les flammes commençaient à lui lécher les jambes. 186 La Genèse de l’Apocalypse Malgré une dernière manœuvre, le nez de l’appareil se planta profondément dans un sol tapissé de cendres. Le choc lui fit traverser la cabine sans vitre tandis que l’hélicoptère s’enfonçait quelques mètres de plus dans le sol mou. Il se releva, le visage plein de boue et sous le choc. L’hélicoptère se mit sur le côté et l’aveugla à l’aide du gros projecteur accroché à la mitrailleuse du repentor. Cette fois-ci, il ne pouvait rien faire pour empêcher sa mort. Il planta son javelot devant lui et resta droit, attendant la faucheuse en souriant. La wracksmith du repentor se mit alors en route au milieu de l’orage et au cœur de l’étendue dévastée. L’instant parut long, trop pour un être qui attendait son heure. Juste avant de mourir Zyxor vu toute sa vie défiler en moins d’une seconde, un battement de cœur avant que les gouttes d’acier ne s’abattent sur lui. Une pointe de regret envahit soudainement son esprit. Les balles le traversèrent ensuite, suivies de près par la lumière. Il fut mort avant de pouvoir souffrir. Son corps en charpie tomba ensuite en morceaux sur le côté, seule sa main restant accrochée à son javelot… Silith et tous les dépravés furent témoins de la scène avec impuissance. La fille de Valnog hurla à travers les éclairs. « Noooooon ! » Elle voulut courir vers son frère, mais Onex et Tyrius le veilleur la retinrent. L’hélicoptère passa au-dessus du véhicule crashé, sans savoir que le réservoir troué de ce dernier coulait à même le sol et était en train de s’étaler sur les cendres. Quand ces dernières mirent feu aux poudres, l’hélicoptère se trouvait juste au-dessus de l’épave. L’explosion le toucha et l’envoya sur le côté avec violence. Il se retrouva en angle droit avec le sol et ses hélices fouettèrent la terre brulée. 187 La Genèse de l’Apocalypse Elles s’arrachèrent du corps de l’hélicoptère et ce dernier tomba de sa hauteur dans les cendres et la boue, à une dizaine de mètres de la première épave. Un repenteur à moitié brulé sortit en courant du repentor. Le deuxième hélicoptère explosa à son tour, réduisant à néant toute trace de vie dans les environs. Les dépravés un peu apaisés reprirent vite leur route avant que les repenteurs ne rappliquent, Silith trop secouée par ce qui venait d’arriver pour pouvoir réagir. Elle regarda une dernière fois la scène, un éclair striant le ciel, avant de se retourner. Ils ne laissèrent ainsi derrière eux qu’un javelot planté au milieu des flammes et des cendres… Ils avaient dû les semer car S n’entendait plus les hélices des engins ennemis et les nuages n’étaient plus balayés par les projecteurs. Les deux protecteurs étaient à l’avant, concentrés et à l’affut. L’insongeable détourna son regard du hublot et alla s’allonger à l’arrière de l’hélicoptère. Dans une ambiance presque noire, il repensa à tout ce qui lui était arrivé depuis si peu de temps. Il commença à s’endormir sans s’en rendre compte et s’enfonça dans un sommeil sans rêves… 188 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 6 : Dishonor and Crows / Blackout Down / Hope Wake Up Under the Dawn / [11 Cruciamentum an 13 ; Terre] Tiradarkan reprit ses esprits, réveillé par la lumière du jour et par une douleur terrassante. Il pouvait sentir l’odeur de la mort à travers son heaume fracassé et essaya de se relever. Son corps entier fut aussitôt déchiré par la douleur et il retomba mollement dans les cendres dans un soupir d’impuissance, avant d’activer machinalement sa balise mortuaire. Il abandonna l’idée de survivre et se réconforta en pensant à tout ce qu’il avait accompli pendant son long service dans le troisième cercle. Il commença à rêver du bon vieux temps en faisant glisser son éclat d’aérolithe entre ses doigts, lâchant son dernier soupir en espérant que ses actes aient servi au mieux les marcheurs et l’équilibre du Quasar… L’insongeable se réveilla à l’aube dans l’hélicoptère, toujours en mouvement à haute altitude. « L’aube d’un nouveau jour ! » lança Krag enthousiaste quand il entendit S se réveiller Ce dernier regarda par le hublot de gauche. Ils étaient entourés par un environnement de haute altitude. Des montagnes cerclaient l’horizon et des étendues vertes s’étalaient à perte de vue. Aucune ville n’était en vue et seules quelques lointaines taches grisâtres entachaient le tableau. L’insongeable regarda à sa droite et vit le soleil à peine levé éclairer la région d’une faible lumière. Il ne devait pas être plus de six heures du matin. 189 La Genèse de l’Apocalypse Il s’approcha alors de l’avant, où Krag était toujours en train de diriger l’hélico tandis que l’autre protecteur se baladait sur la carte tactique du blackout, et regarda en contrebas. Surplombant les environs, un château entouré d’une route en forme de U se tenait six cents mètres devant eux. Entouré de quelques maisons et autres remparts, cet endroit semblait hors du temps. Les murs étaient faits en vieille pierre qui semblaient avoir des siècles. Seule la plus haute des tours couvertes de plantes grimpantes ne parut pas à sa place aux yeux de l’insongeable. S aimait les forteresses d’antan et leurs airs imprenables, nichés dans des endroits facilement défendables. Un flot de châteaux de tous âges et de toutes formes se déversa alors dans l’esprit de l’insongeable, faisant remonter à la surface une partie de ses souvenirs oubliés avant de faire place à un perpétuel sentiment de frustration et de doute. « Salut S, lâcha Zabyss tandis que ce dernier regardait par la fenêtre. — Salut, répondit l’homme coupé de son flot de souvenirs. — Nous allons surement nous poser, lâcha Krag. Nous manquons de carburant et mieux vaut s’arrêter ici que tomber en rade en forêt et devoir atterrir à l’arrache dans les arbres. — C’est bon, lâcha Zabyss. Y a aucun danger. Cet endroit est à peine cartographié par les repenteurs. — Ok c’est noté. » Krag fit le tour du château autour duquel serpentait la route en U et décida d’atterrir dans un petit champ en friche derrière les fortifications, où les hélices firent voler des centaines de tiges de blé. Les moteurs coupés, les deux protecteurs sortirent en premier d’un pas lourd. Le secteur était désert. « C’est bon S, tu peux venir. » Ce dernier descendit du véhicule, son sac à dos à la main. Un petit vent frais digne des grands airs lui fit aussitôt du bien aux poumons. 190 La Genèse de l’Apocalypse « Allons voir si ce bel endroit est habité », proposa le carmin. Ils traversèrent donc plusieurs champs au son des oiseaux et arrivèrent sur une petite route menant au château. De vieilles maisons en pierre entouraient ce dernier. Krag ouvrait la marche, Zabyss protégeant les arrières de l’insongeable. Ils marchaient lentement dans une ruelle en pierre et chaque pas que les protecteurs faisaient avec leurs lourdes bottes résonnait lourdement. Les trois compagnons inspectèrent les maisons une par une et ne trouvèrent rien d’autre qu’un peu de poussière. En reprenant leur route, Zabyss fit part de son inquiétude. « Ça pue l’embuscade tout ça ! On peut se faire tuer de n’ importe où, ajouta-t-il en montrant du menton les remparts les surplombants. — Oui je sais, allons donc voir si le château est aussi vide qu’il en a l’air. » Ils arrivèrent dans une petite cour où, contre un mur, trônait un cadran. S regarda l’ombre de l’aiguille : elle était entre le VI et le VII. En dessous était gravé une phrase en vieux français : « Je ne te marquerai que l’œuvre des beaux jours ». Ils avancèrent ensuite vers une autre zone plus grande en passant par un chemin tapissé de racines. Un lourd portail en bois austère et étrangement en bon état était grand ouvert et donnait sur la cour du château. Arrivés au milieu de cette dernière, ils regardèrent aux alentours. Des racines serpentaient sur tous les murs, bouchant même certaines meurtrières. Les compagnons avancèrent vers la porte en bois du château, faisant craquer les racines courant sur le sol. Une fenêtre aux volets rongés par la vermine se ferma alors brusquement audessus d’eux dans un son fracassant. Les deux protecteurs sortirent aussitôt leurs armes et des silhouettes se mirent à bouger dans tous les sens sur la muraille. 191 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable entouré des protecteurs sortit son katana et agrippa fermement ses deux mains dessus. « Nous ne sommes pas seuls », lâcha Zabyss d’un seul souffle… Silith et le reste de son clan marchaient le plus rapidement qu’ils pouvaient malgré les blessés. Ils devaient faire vite avant que les repenteurs ne quadrillent le secteur et ne les exécutent tous. Certains perdaient déjà le groupe de vue. Silith, toujours auprès du brancard porté par deux forts dépravés, s’activa à trouver une solution. « Que ceux qui sont forts prennent les blessés sur leurs dos, nous devons nous dépêcher ! » Les guerriers encore en bon état prirent donc sur leurs dos les blessés en plus de leur barda. Silith admirait leur courage, mais elle craignait de ne pas être à la hauteur. Elle essaya de ne pas trop penser à tout ce qui lui arrivait pour se concentrer sur le présent. Son clan avait été déraciné, et elle se devait de leur trouver un nouveau foyer. Silith se rappelait à peine de la fois où elle et son père étaient allés voir Gralug. Elle était toute petite à l’époque. Son père et l’autre chef de clan s’étaient fortement disputés : Valnog voulait faire profil bas pour mettre fin au massacre des dépravés tandis que Gralug voulait combattre les repenteurs coute que coute jusqu’à la mort. L’Hégémone n’était alors qu’un enfant et elle avait eu très peur ce jour-là. Elle se rappela que le soigneur de Gralug l’avait apaisé en lui racontant une histoire. Silith ne se rappelait pas de la fin, mais elle se souvenait en revanche que l’histoire parlait d’espoir et de patience. Espoir et patience, répéta-t-elle dans sa tête. Étant donné qu’ils allaient mettre du temps pour arriver à Cannes, Silith s’aida de la patience pour marcher et de l’espoir pour ne pas flancher… 192 La Genèse de l’Apocalypse Les trois compagnons étaient maintenant encerclés de cibles bien visibles qui les scrutaient depuis les murailles. « Des dépravés, remarqua Zabyss. Mais que font-ils ici ? — Je sais pas mais ne tirez pas », avança Krag. Les ombres sur les remparts lançaient des cris de défi aux trois compagnons pris au piège dans la cour. Ils étaient différents des dépravés que S avait déjà rencontrés. Ils avaient tous de longs arcs de deux mètres et étaient couverts de racines, comme s’ils en étaient vêtus. Un bruit stoppa alors les cris des dépravés. La porte du château s’était ouverte avec fracas, le bruit résonant dans la cour comme pour faire taire tout le monde. Surpris, les trois compagnons se retournèrent dans un seul et même mouvement. Trois silhouettes toisaient les protecteurs et l’insongeable de leurs regards noirs et profonds. Celle du milieu était le chef de la tribu, comprit l’insongeable. Il devait dépasser les deux mètres et un arc à peine plus petit que sa taille était enroulé autour de son torse. Comme ses congénères il semblait être vêtu de racines, mais ces dernières étaient plus foncées. Son visage, seul endroit non recouvert de son corps, était d’une teinte sombre. Il portait une longue barbe tressée qui tombait sur son torse. Ses yeux d’un vert radioactif rappelaient le lien entre les dépravés et la nature et une capuche de racine relevée vers l’arrière laissait son crâne chauve à l’air libre. Il leva la main et un cor de guerre se fit entendre d’en haut des remparts. Les deux grands guerriers autour de lui baissèrent leurs arcs vers le sol, restant prêts à bondir au moindre faux mouvement d’un des compagnons. C’était les seuls à porter leur capuche relevée comme leur chef, remarqua S. Ils étaient chauves et leur peau sombre avait été repeinte en rouge, contrastant avec le ton plutôt vert des autres dépravés. 193 La Genèse de l’Apocalypse Une petite barbe avait commencé à pousser sur leur menton, comme s’ils essayaient de ressembler au géant à côté d’eux. Les ombres restèrent cachées derrière les créneaux tandis que leur chef prenait la parole. « Qui êtes-vous ? demanda une voix forte qui semblait être portée par le vent. — Nous sommes de simples voyageurs. Nous ne vous voulons pas de mal, nous sommes comme vous des ennemis des repenteurs, commença le carmin avec le plus de diplomatie possible. » — Et qu’est-ce qui me le prouve ? Vous portez bien leurs armes ! » Krag s’avança alors d’un pas, posa à terre ses canons redspray et jeta aux pieds du chef dépravé sa poigne du Concasseur. « Pour le prouver, je mets ma vie entre vos mains», répondit simplement le carmin sous le regard stoïque de l’assemblée. Quelques secondes s’écoulèrent en silence puis un des gardes du corps du barbu lui chuchota à l’oreille. « Le songe ! — Oui tu as raison », lui répondit silencieusement le dépravé en tournant la tête sur le côté. Le leader barbu expira bruyamment l’air de ses poumons et reprit la parole. « Reprenez vos armes ! Je ne sais pas qui vous êtes mais je vous prête ma confiance, pour l’instant. Nous comptons attaquer une troupe de repenteurs. Aidez-nous à tuer ces cracheurs de haine et je vous accorderai ma confiance définitivement ! Krag se tourna vers S et Zabyss, surpris par la confiance soudaine que leur accordait le dépravé, et acquiescèrent tous les deux. « Ça sera avec plaisir ! répondit le carmin. — Bien, siffla le dépravé d’un ton satisfait. Mais une chose m’intrigue : pourquoi avoir atterri ici en particulier avec votre engin de mort ? demanda le dépravé en fixant Krag du regard. — Nous n’avions plus de carburant, tout simplement. 194 La Genèse de l’Apocalypse — Hum, d’accord. Explication plausible, ajouta-t-il après un temps de réflexion. Les repenteurs que nous allons attaquer transportent souvent ce genre de choses », informa le dépravé. — C’est noté », lui répondit le carmin. Les choses rentraient dans l’ordre, pensa S tandis qu’une bourrasque matinale passait dans la cour. L’insongeable ne connaissait pas très bien les dépravés mais il savait que ces fiers guerriers n’avaient qu’une parole. Ils devraient donc être à l’abri de tout coup fourré venant d’eux. « Entrez », les invita le dépravé d’un ton presque envoutant. Les compagnons passèrent le pas de la porte sous le regard étonné des ombres qui les avaient mis en joue un instant plus tôt. Ils s’enfoncèrent ainsi dans le petit château dont les murs avaient traversé les âges. Ces derniers étaient couverts de plantes grimpantes qui donnaient l’étrange impression d’être au cœur d’un arbre. S perdit peu à peu son esprit dans ces fresques de racines, fertiles à l’imagination abstraite… Bâtard se réveilla, son bigoudi dans la main et l’air perdu. Une douleur dans son dos se réveilla aussitôt lorsqu’il tenta de se relever. Il lâcha un juron et grogna en essayant de se rappeler comment il était arrivé ici. Le boucan que les soldats avaient fait en jouant au repenticide l’avait réveillé la nuit passée. Il avait donc décidé de les accompagner dans son coin et à sa manière en buvant à la mort des hommes morts au reflet, seul prétexte qu’il avait alors trouvé pour boire. Il avait déniché une réserve de bière dans un placard proche de son lit et l’avait fini rapidement. Vu où il s’était endormi, il avait surement essayé d’aller se soulager avant de sombrer. « Merde ! » lâcha-t-il alors que son esprit refaisait surface. Il se releva et ramassa une bière encore fermée. C’était une GOSIG, diminution de : « guts of steel, iron grip ». 195 La Genèse de l’Apocalypse À un peu plus de dix degrés cette bière était un classique chez les repenteurs. Selon certains soldats son nom viendrait du fait qu’elle était aussi amère que le fer et attaquait durement les boyaux avec ses grosses bulles. Bâtard essaya d’enlever le verrou de la serrure, mais l’alcool encore dans son sang lui donnait l’impression d’essayer d’ouvrir la porte avec des mains carrées. Il donna finalement un coup de rangers dans cette dernière et son regard hagard croisa celui d’une bleusaille surprise. Le soldat fut si choqué qu’il ne bougea pas. En effet Bâtard se tenait devant lui en caleçon, une bière dans une main et son treillis dans l’autre. Le regard instable de Bâtard flancha et il prit la parole d’un ton presque comique. « Qu’est-ce qui a ? demanda-t-il d’une voix fracassée. T’a jamais vu un mec qui a la gueule de bois ? — Euh si. Mais pas autant, lâcha l’homme hésitant. — Ben c’était pas un vrai bonhomme alors ! » Sur ces mots et sans un de plus, Bâtard quitta la pièce avec la démarche d’un crabe ayant bu de travers… Larok se réveilla dans un craquement. Son arc s’était cassé lors de la chute et deux morceaux de bois pendaient de chaque côté de la corde. Pour une fois il avait eu de la chance, enfin, relativement. En regardant autour de lui il comprit ce qu’il s’était passé. Lors de sa chute il était en effet tombé dans un creux entre le broyeur du déforesteur et la paroi de ce dernier. Par une chance encore plus grande il n’avait pas été repéré par les repenteurs. Il avait aussi perdu son couteau lors de la chute et se sentit tout d’un coup terriblement en danger de mort. À part une grosse bosse sur le crâne et des coupures superficielles il n’avait aucune blessure grave. Il escalada tant bien que mal le rouleau en prenant bien soin d’éviter les lames dont était parsemé ce dernier. 196 La Genèse de l’Apocalypse Il était presque sorti quand des bruits de pas se firent entendre. Larok essaya de se tenir au rouleau sans glisser. Deux hommes s’approchaient du véhicule en discutant. Ils parlaient de la bataille de la nuit dernière où apparemment beaucoup de repenteurs étaient morts. L’infortuné les laissa passer et attendit un peu. Il descendit enfin de ce maudit véhicule et regarda autour de lui. Il se trouvait dans un grand hangar où filtraient de fins traits de lumière. Larok avança vers un rollersmoker et se glissa en dessous de ce dernier. Allongé il pouvait distinguer que le hangar était disposé en deux parties remplies de véhicules et d’une allée centrale. Larok se tordit le cou pour mieux voir et remarqua une grande porte coulissante au fond du long hangar. Deux gardes surveillaient ce point de passage. Il allait devoir trouver un moyen de l’ouvrir sans trop se faire remarquer. Il se releva et regarda discrètement vers l’autre côté. Un petit escalier métallique menait à une cabine qui surplombait le hangar. Un soldat aux airs paranoïaques guettait les alentours depuis le haut des marches. Il allait devoir trouver un moyen de l’atteindre sans attirer son attention. Ainsi il se terra dans l’ombre et attendit qu’une proie tombe dans son piège… En attendant leur extraction, le sergent Kaldilius et ses soldats survivants avaient regroupé les corps des repenteurs qui n’avaient pas été emmenés par les akials dans leurs antres. Le bruit réconfortant des pales d’hélicoptères s’était enfin fait entendre vers huit heures du matin. Ces derniers atterrirent en soufflant les rares buissons autour d’eux. Le premier était un transporteur classique, tandis que les deux autres étaient des cornix, un type d’hélicoptère que Kaldilius connaissait trop bien. 197 La Genèse de l’Apocalypse Au lieu d’une livrée qui correspondait à une Légion, celle du cornix était de couleur noire et striée de longes et pures bandes blanches. L’avant du véhicule faisait penser au bec d’un oiseau avec son étrange forme. Cette impression était accentuée par les sortes d’ailes de chaque côté de l’hélicoptère, sur lesquelles étaient posées les hélices. En dessous de ces ailes étaient accrochés de sobres cercueils que le sergent savait vides. La clef de la grande voute était peinte au-dessus de la cabine, comme pour rappeler à tous que la mort était partout et qu’elle était la fin de toute chose. Le cornix était souvent signe de mauvais présage chez les repenteurs, et son apparition était toujours entourée de superstitions. Un adage populaire prenant la forme de : « crows on the way, low will be the day » représentait bien cette croyance. L’arrière de l’hélicoptère, où se trouvait la rampe, faisait penser à un corbillard à tel point qu’on aurait dit qu’un de ces derniers était enchâssé dans le cornix. Ce maudit hélicoptère était celui des corbeaux, des membres bien connus de l’Obitus. Suivant le cortège repenteur dans son sillage tel une ombre sinistre, l’Obitus était une partie indispensable des forces armées repentrices. Il comportait en son sein plusieurs parties d’un chainon qui amenait un défunt à la paix d’esprit. Sous l’égide de l’Obitus, le rôle des corbeaux lors des batailles était très important. En effet, c’était eux qui étaient chargés de rapatrier et de recenser les corps des repenteurs pendant ou après une bataille. Ils étaient la plupart du temps appelés par un rituel bien précis que tout repenteur se devait de connaitre, et la première rencontre entre un soldat et les corbeaux était souvent douloureuse. 198 La Genèse de l’Apocalypse C’est pour cette raison que le sergent Kaldilius avait une boule au ventre à chaque fois qu’il voyait un cornix : cela lui rappelait tous les amis qu’il avait perdus dans la sueur du combat. Deux hommes sortirent du repentor et accoururent à la rencontre du sergent. « Désolé pour l’attente. On a eu pas mal de problèmes techniques cette nuit ! s’excusa le pilote. Montez. Je me suis permis de prévenir les corbeaux, je savais qu’il y allait avoir de la casse. » Le sergent acquiesça sans un mot et se rapprocha de l’hélicoptère suivi par ce qui restait de ses soldats. Il se tourna une dernière fois avant de fermer la porte coulissante. Des silhouettes toutes de noir vêtu étaient sorties d’un des cornix et se rapprochaient doucement des corps tels des ombres glissant sur le sol. Ils avaient déplié des brancards de velours noir, entourés d’une couverture imitant à la perfection des ailes de corbeau repliées sur elles-mêmes. Kaldilius était assez près pour distinguer les masques que portaient les corbeaux en dessous de leurs capuches. Un bec et des yeux blancs laiteux étaient les seules choses qu’on pouvait distinguer sous l’ombre des capuches tombantes portées par ces derniers. Les ombres commencèrent à ouvrir les ailes des brancards, poser les corps dessus et les refermer, couvrant ainsi la totalité des corps des défunts. Tandis que le sergent fermait la porte et qu’une légère brise faisait vaciller les ombres ; Kaldilius avait l’impression de quitter un enfer pour s’enfoncer plus profondément dans un autre… Le soldat défraichi venait de sortir du bunker et avait été aveuglé par la lumière extérieure. Des repenteurs étaient en train de faire un état des lieux tandis qu’une étrange escouade venait de descendre d’un hélicoptère. Bern le regarda de plus près et ce qu’il reconnut lui glaça le sang. L’hélicoptère était un whitecrosser R 21, un hélicoptère uniquement réservé à l’Inquisition. 199 La Genèse de l’Apocalypse En effet, sur sa coque blanche étaient fièrement peintes d’austères croix inquisitrices, des croix dont les branches faisaient penser à des lames. Chacune des lames était divisée en deux parties. Ainsi chaque côté de chaque épée était peint d’une certaine couleur, pour un total de huit teintes différentes. Les couleurs étaient les suivants : le noir, le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, le violet et le blanc. Une grosse pupille rouge était présente au centre de la croix et représentait le regard omniscient de l’Inquisition. L’escouade qui était descendue de l’hélicoptère immaculé était typique de l’Inquisition. Un percontator et un de ces étranges saculators presque nus se tenaient au premier plan, suivis de près par un cautérisateur armé d’un harvarder, d’une sœur blafarde et de deux imposants marcheurs auréolés. En provenance de différents cercles quasariens, les marcheurs auréolés étaient choisis pour leur piété extrême. Ils rejoignaient alors les rangs des marches auréolés de l’Oculus, qui déléguait sporadiquement des marcheurs auréolés auprès de différents corps de la machinerie repentrice. L’Inquisition était une grosse part de marché pour les marcheurs auréolés, qui investissaient massivement dans une collaboration qui réjouissait les deux entités. Les armures de trinitium de ces derniers étaient peintes en or et leurs deux lentilles au niveau des yeux étaient rouges. Sur leur torse, l’œil flamboyant de leurs cousins était ici remplacé par l’œil crucigère. Ces soldats hors pair étaient entre autres armés d’inquisitrices, d’énormes arbalètes à répétition en forme de croix faisant plus d’un mètre cinquante de large. Elles étaient meurtrières dans de bonnes mains, tirant des carreaux ressemblant à des pieux à une puissance et une distance phénoménale. Enfin, bien au centre de tout ce monde, se trouvait l’inquisiteur. Il était grand et fin, son visage creux lui donnant un air presque cadavérique. Son crâne était chauve et parcouru par de profondes cicatrices. 200 La Genèse de l’Apocalypse Il portait deux lentilles de contact d’un noir profond, représentant par ce fait son appartenance à sa branche. En effet les inquisiteurs étaient divisés en huit branches, chaque branche ayant sa couleur et sa gemme. Ainsi le noir correspondait à l’onyx, le rouge à la cornaline, l’orange à la spessartine, le jaune à la citrine, le vert à la tsavorite, le bleu à la chrysocolle, le violet à la sugilite et le blanc au jade. Les inquisiteurs portaient en général une tenue qui leur était propre tout en respectant certains codes vestimentaires. Ainsi, ils portaient en premier lieu une armure composite qui mélangeait du tissu thermoréplétif et de l’eluzirium, de nombreux bibelots en tout genre pendouillant à leur tenue la plupart du temps. La chose que tout inquisiteur portait et qui permettait de reconnaitre la branche de ce dernier était sa cape. Ressemblant à une chape, cette dernière était de la couleur qui correspondait à la branche du porteur. La croix inquisitrice était brodée sur cette dernière, de manière à ce que l’inquisiteur puisse être reconnu comme tel à une certaine distance. Le fermoir de la cape était un bijou sur lequel était montée la gemme correspondant à la branche du membre de l’Inquisition, et celle de l’inquisiteur faisant face à Bern était en onyx. Du cou au coin de l’œil de ce dernier étaient tatoués de petites croix dont le sens échappait au repenteur. L’homme avait un regard paranoïaque et calculateur, son nez aquilin le faisant ressembler à un charognard à l’affut. À sa ceinture pendait une épée repentrice. Cette épée était enduite d’eau bénite, sa garde et la forme de sa lame faisant penser à une croix. Sur son autre flanc un holy eagle attendait patiemment dans son étui. Pour se protéger du toucher des hérétiques et de leurs péchés il portait des gants noirs, comme tout le reste des inquisiteurs. L’homme posa alors ses deux yeux noirs sur le repenteur. 201 La Genèse de l’Apocalypse Bern se sentit aussitôt transi jusqu’aux os, comme si l’homme s’immisçait au plus profond de son âme. L’escouade s’approcha rapidement, l’inquisiteur faisant virevolter son lourd manteau au gré du vent. « Qui êtes-vous ? demanda l’inquisiteur. — Je suis le repenteur Bern. Matricule 06-123-4456-4527, répondit machinalement la loque. Je faisais partie de repenteurs en charge de la protection de cet avant-poste. — C’est un objectif raté, observa cyniquement l’homme. Je suis l’inquisiteur onyxien Galderk du carrousel de Modos », se présenta l’homme. Les carrousels étaient l’équivalent des ordres chez les inquisiteurs. Ils étaient indépendants les uns des autres et agissaient selon leurs propres coutumes et leurs propres procédures. « Pourquoi n’êtes-vous pas mort avec les autres ? demanda l’inquisiteur d’un air sombre. — Eh bien autant être franc dès le début inquisiteur. Il n’y a pas souvent d’ennemis par ici vous savez et hier nous avons passé le temps comme nous pouvions avec un peu d’alcool, avoua Bern. Je sais pas comment mais je me suis réveillé derrière la base et tout le monde était mort. J’ai émis une alerte car on venait de nous subtiliser un hélicoptère ; et vous êtes ensuite venus. — Boire pendant son service est une faute grave soldat ! De plus l’alcool fait dévier du chemin de la lumière ! lâcha l’inquisiteur dans une rage noire mais contrôlée. — Oui je sais, répondit Bern au ton inquisiteur de l’homme. Quand je suis arrivé dans la base j’ai trouvé ceci par terre inquisiteur. Ça pourra peut-être vous servir », proposa Bern en essayant de contourner le sujet. L’inquisiteur lui arracha le document des mains et commença à le lire. Il marmonna quelque chose et essaya de cacher un sentiment d’étonnement qui se mua rapidement en dégout. Il lança ensuite un regard de mépris au soldat en face de lui et prit la parole. « Emmenez-le ! » lâcha l’inquisiteur. 202 La Genèse de l’Apocalypse Bern essaya de protester, mais les deux marcheurs auréolés le prirent par le bras d’une poigne de fer. Il essaya de se défaire de leur étreinte mais n’eut comme réponse qu’un coup de crosse, qui l’assomma sur le champ. Sa dernière vision fut l’inquisiteur broyant dans son poing ce qu’il venait de lui donner… Les trois compagnons et les dépravés étaient en train de discuter dans un coin sombre où une pietà recouverte de plantes grimpantes trônait étrangement au milieu de la pièce. Elle semblait enchainée à la place qui était sienne, son regard de pierre figé dans un chagrin éternel. La salle était illuminée par de singuliers champignons que S connaissait bien : les dormeuses de cæruléum. Leur lumière bleutée et rêveuse avait toujours fasciné l’insongeable depuis son réveil dans le vieux quartier de Nice. Pour lui elles étaient le symbole du rêve seul au milieu de la pénombre, la lueur de l’être dans l’inconscience. « … Que faites-vous dans la région ? Et comment avez-vous volé une de ces machines sans vous faire tuer ? demanda le dépravé derrière sa capuche. — C’est une longue histoire, commença Krag. Pour être court je vais commencer par la fin. Nous avons utilisé la ruse pour piquer un hélicoptère en plein cœur de leur base et nous avons filé vers le nord. Pour le reste, je crois que vous connaissez la suite. — Et votre « voyage », où doit-il vous mener ? — Notre but est d’amener l’insongeable ici présent vers un endroit au nord, dont je tairais le nom. Le destin se chargera de la suite. — Vous n’êtes que deux pour le protéger ? s’étonna l’être encapuchonné en observant l’insongeable perdu dans ses pensées. — Nous étions quarante-sept au début. Beaucoup sont morts, et encore plus sont perdus et esseulés. Mais au fond de mon cœur je sais que nous nous rencontrerons sur la route de la victoire, et je l’espère car nous aurons besoin d’eux. » 203 La Genèse de l’Apocalypse Le dépravé acquiesça et, après un moment de silence, il reprit la parole. « Nous avons pour habitude de tenir à jour une sorte de journal écrit dans les profondeurs des fondations de ce château. Il raconte notre histoire depuis notre arrivée ici jusqu’au dernier jour de notre vie. Mieux connaitre vos noms et votre histoire nous aiderait surement à tenir le Tunnel dans la stricte vérité, expliqua le dépravé en faisant un premier pas vers ses interlocuteurs. — Oui bien sûr, comprit Krag. Je suis Krag le carmin, 25ème protecteur. Voici Zabyss le flamboyant, 34ème protecteur, ajoutat-il en désignant son ami resté de marbre. Et enfin voici S, l’insongeable, notre raison de vivre et de mourir. » Ce dernier sortit de ses pensées lorsqu’il entendit son nom et se tourna vers le dépravé encapuchonné alors que ce dernier se présentait. « Mon nom est Achranak, Hégémon de la tribu d’Aulan. Vous êtes ici dans notre demeure. — Quel rapport entretenez-vous avec les dépravés de la Côte d’Azur d’où nous venons ? demanda soudainement S qui était resté jusqu’ici silencieux. — Bonne question, remarqua Achranak. Il y a un certain temps nous étions sans défense et on nous avait capturés pour quelque chose que ces chiens appellent eux-mêmes un « feu de joie ». Et c’est à ce moment précis, lorsque nous croyons tout perdu, que des flèches ont commencé à fuser dans toutes les directions : des dépravés habillés comme nous le sommes venaient de nous sauver d’une mort certaine. Ils nous ont amenés en vitesse vers le nord pendant que des renforts arrivaient et on s’est caché dans la forêt non loin de ce château pendant que les repenteurs fouillaient ce dernier. Nous sommes ensuite rentrés dans le château qui est rapidement devenu notre demeure et la vingtaine de dépravés qui nous avait sauvés est resté quelques jours. Ils nous ont expliqué qu’ils venaient du sud, qu’ils se nommaient la tribu sans terre et qu’ils essayaient d’aider et de sauver le plus de dépravés dans le pays pour qu’ils prennent les armes contre les 204 La Genèse de l’Apocalypse repenteurs. Ils nous ont expliqué comment chasser, se camoufler, comment se battre, comment utiliser la nature et tant d’autres choses trop longues à énumérer. Cela fait déjà un certain temps qu’ils sont partis et nous n’oublierons jamais leur geste. Nous avons gardé contact avec les camps de réfugiés de la région et dont les repenteurs ne connaissent pas l’existence. Ils nous donnent régulièrement des informations sur les mouvements des cracheurs de haine dans le coin. C’est comme ça que nous avons appris qu’une patrouille de repenteurs allait passer non loin d’ici. — Tout est tout de suite plus clair, acquiesça l’insongeable satisfait de la réponse. — En parlant de ça, pouvez nous en dire plus sur la patrouille que nous allons attaquer ? demanda Zabyss. — Ah oui, lâcha Achranak. Donc, nous allons les attaquer cet après-midi. Ils arrivent d’une base au sud de la région et ils sont censée approvisionner une base située près de Mévouillon, un peu plus au nord. Cette patrouille est uniquement composée d’éléments terrestres selon les réfugiés. Elle comporte environ une trentaine de soldats et se déplace au pas. On l’attaquera à la sortie de Montbrun-les-Bains caché dans un endroit propice à une embuscade, ce qui n’attirera pas la suspicion sur ce château par la même occasion. Nous pourrons normalement les exterminer sans risquer d’éventuels renforts, les bases repentrices les plus proches étant trop loin pour entendre ou remarquer notre embuscade. — Ingénieux, félicita le carmin. — Merci, mais c’est surtout que je préfère mettre toutes les chances de notre côté. Nous ne nous sommes pas encore battus contre les repenteurs jusqu’à maintenant, ou du moins pas directement. Moi et les miens sommes un peu moins d’une vingtaine. Plus vous et votre expérience du combat, nous avons toutes les chances de notre côté. Avez-vous un conseil pour combattre ces pourritures ? » demanda subitement Achranak. Ce fut Krag qui prit naturellement la parole. « Si j’en ai qu’un à vous donner il sera le suivant : essayer de repérer le soldat portant la radio, le coordinateur, et tuer-le en 205 La Genèse de l’Apocalypse premier pour qu’il n’appelle pas de renforts. Et vérifiez bien que d’autres soldats ne s’approchent pas de son cadavre pour utiliser son matériel. — Bien compris », acquiesça Achranak… Larok s’était presque assoupi lorsqu’un soldat se montra enfin près de sa position. L’infortuné glissa doucement d’en dessous du véhicule et se releva. Il prit chaque côté de son arc dans une de ses mains et tendit la corde. Il s’approcha discrètement de l’homme par-derrière et passa la corde devant la gorge du soldat. Il tira ensuite de toute ses forces pour étrangler ce dernier dans un râle étouffé et le posa délicatement au sol, essuyant la sueur sur son front. La sentinelle ne l’avait pas entendu. Après avoir subtilisé son couteau, il tira le cadavre jusqu’à ce que sa tête soit à peine visible de la sentinelle. Il cogna violemment son casque sur le sol et alla se tapir derrière des caisses non loin. Le repenteur regarda les alentours et vit alors une chose étrange dépasser sur le côté d’un camion. Larok observa le soldat s’approcher lentement. Il scrutait le moindre recoin et avançait avec prudence et discrétion. Il arriva au niveau du cadavre et s’abaissa pour tâter son pouls. Larok choisit ce moment pour frapper. Il mit une main sur sa bouche et planta le couteau dans la gorge du repenteur. Le soldat mordit de toutes ses forces l’infortuné. Ce dernier tourna le couteau dans tous les sens et fit finalement taire le soldat. Du sang giclait de partout et Larok acheva l’ennemi en lui sectionnant la carotide. Il posa délicatement le corps au sol tandis que le skitnik 64 lui faisant face était recouvert de rouge. Il avança ensuite doucement vers la cabine, se faufilant entre les ombres des véhicules. Il arriva en bas de l’escalier et attendit que les soldats gardant la porte du hangar arrêtent de regarder dans sa direction. 206 La Genèse de l’Apocalypse Il monta finalement les escaliers à découvert, rapidement et furtivement, avant d’ouvrir la porte avec fracas. « Ah et ben il était temps, je commençais à avoir soif ! Alors t’as pris… » Un couteau planté dans la tempe de l’interlocuteur stoppa net le flot de paroles du soldat. Le repenteur tomba sans bruit de sa chaise, envoyant du sang sur la vitre de la cabine. Larok regarda la multitude de boutons lui faisant face : il n’avait aucune idée duquel allait faire coulisser la porte du hangar. Il décida donc de faire à l’instinct et appuya sur un premier bouton avec une flèche ver le haut : le toit commença à coulisser pour laisser passer le soleil matinal. « Merde ! » jura l’infortuné alors que les deux soldats au loin commençaient à se poser des questions. Il appuya sur un autre bouton non loin et une alarme se déclencha aussitôt et résonna dans toute la zone. Tandis que les deux soldats s’approchaient il appuya sur tous les boutons qu’il vit et la porte s’ouvrit enfin dans une cacophonie de sons et de lumières. Il descendit en vitesse les escaliers tandis que les repenteurs avaient maintenant le dépravé dans leur mire. Il sauta dans le déforesteur le plus proche et mit en marche ce dernier. Il ferma la porte tandis que les tirs faisaient roussir le métal autour de lui. Un des repenteurs essaya de monter pour l’arrêter mais Larok lui mit un coup de portière tandis que la sirène commençait à le rendre à moitié sourd. L’infortuné savait maintenant parfaitement se servir de cet engin et commença à avancer vers la sortie d’un élan décidé. Des escouades se pressaient à sa rencontre tandis qu’il déboulait sur l’allée principale, broyant tous les obstacles sur sa route dans d’horribles bruits de tôle froissée. Les radius continuèrent à fuser dans sa direction, sans effet. Le déforesteur accéléra à la moitié du chemin, alors que des projectiles explosifs venaient s’écraser sur le géant de métal. 207 La Genèse de l’Apocalypse La tôle se froissa et le verre se fissura sous le choc des multiples explosions. Les soldats s’écartèrent au dernier moment pour ne pas se faire écraser tandis que Larok sortait du hangar. Il était dans une grande base étrangement vide, au bord de la mer. Larok regarda des deux côtés et essaya de se repérer tandis qu’il roulait sur tout ce qui se trouvait sur son passage, et conclut rapidement qu’il se trouvait entre Nice et Cannes. Larok se dirigea ensuite vers le bord de mer cannois, si reconnaissable même à cette distance. Un soldat à moitié nu venait de sortir en courant d’une tente lorsque Larok l’écrasa dans un bruit d’os brisés. Il continua à avancer au milieu de la base entourée d’un mur en suprastrum planté dans le sol. Larok se rapprocha ensuite le plus vite qu’il pût du mur de protection. Il fonça dans la palissade, des rayons rebondissant dans le mur-miroir. Les lames du déforesteur se plantèrent dans le mur et le déchirèrent dans un bruit aigu faisant à la fois penser au plastique et au métal broyé. Il regarda derrière lui et fut surpris de ne voir aucun véhicule se lancer à sa poursuite. Larok s’éloigna de la base sur les chapeaux de roues, s’engouffrant dans une suite de rues remplies de barrages routiers que le veilleur défonça avec plaisir. Il accéléra pour rejoindre ses compagnons à temps, tout en espérant que son frère Seurg avait réussi là où lui avait échoué… Seurg et Larok manquaient à l’appel depuis assez longtemps pour que le grand veilleur commence à se faire du souci. Zagor avait ordonné à ses quatre veilleurs d’aller se reposer depuis déjà plusieurs heures. Ces derniers s’étaient à ce titre servis de leurs carquois, qui dépliés pouvaient servir à la fois de tapis de sol et de couverture sommaire, sauf Lergoragor qui s’était isolé avec le tigre gris qu’il devait garder en vie. 208 La Genèse de l’Apocalypse Les deux êtres regardaient l’horizon d’un air fixe, l’un par simple curiosité, l’autre pour ne pas voir le premier. Zagor regardait le reflet au loin tout en espérant que ses deux veilleurs n’avaient pas rencontré la mort sur leur chemin. Les soldats repenteurs étaient en train de remettre en ordre le champ de bataille. Zagor eut la confirmation que la faucheuse avait pris les cœurs de tous les dépravés partis au combat quand il reconnut la hache de Gralug sur un tas d’armes amassées en contrebas du reflet. Les cadavres des dépravés étaient entassés non loin dans des bennes à ordures, ce qui rendait Zagor encore plus fou de rage et de tristesse. Le dépravé retint ses larmes et ravala sa rancœur, impuissant. Pendant ce temps, les cadavres des repenteurs étaient déposés dans un camion et emmenés vers une destination inconnue. Zagor espérait que les renforts n’allaient pas tarder, car il ne pourrait pas retenir son désir de vengeance très longtemps… Le soleil était à son zénith, on pouvait sentir la chaleur et la lueur de ses rayons à travers les quelques trous parsemant les volets de la pièce. « Il doit être midi, c’est l’heure pour les miens d’aller au Tunnel mes amis », lâcha l’Hégémon. Le guerrier dépravé se tut un instant et reprit la parole. « Voulez-vous vous joindre à nous ? Nous allons bientôt combattre ensemble, je dois au moins vous accorder cette confiance. » Les deux protecteurs regardèrent S. « Oui bien sûr ! répondit l’insongeable toujours en manque de nouvelles découvertes. — Dans ce cas suivez-moi, vous apprendrez peut-être quelque chose sur votre avenir. » Ils suivirent ainsi les dépravés en tenues de camouflage dans les escaliers en colimaçon, descendants vers les entrailles du château. Au bout d’un moment qui parut une éternité pour l’insongeable, ils débouchèrent sur une sorte de galerie creusée dans la roche. 209 La Genèse de l’Apocalypse Cette dernière était soutenue par de grosses racines et éclairée par de nombreuses dormeuses de cæruléum. Ils avancèrent ainsi une cinquantaine de mètres dans le Tunnel, marchant au milieu des dessins rupestres faisant penser à une grotte de la préhistoire. De nombreux pigments naturels avaient été utilisés pour écrire des récits, des noms et mettre en scène des combats épiques. S reconnu le château d’Aulan sur une des peintures murales. Il y distinguait des ombres en haut des remparts. Ces dernières scrutaient l’horizon tel des sentinelles stoïques. Autour du château s’enroulaient de grosses racines, tandis qu’une sombre silhouette postée au plus haut des murailles levait fièrement son poing vers les cieux. L’insongeable détourna son regard et continua à avancer vers le fond du Tunnel. Le groupe s’arrêta dans sa partie la plus sombre et la plus brumeuse. C’est dans cette partie que les dépravés avaient creusé le plus profondément, dans une humidité collante et un air presque irrespirable. Des dormeuses de cæruléum éclairaient tout le fond du gouffre. Des pioches avaient été laissées au fond du Tunnel, fichées dans une pierre dure et sombre. Une petite silhouette était assise en tailleur par terre au fond du Tunnel, jambes croisées et la tête abaissée. Vêtue d’étranges habits d’avant-guerre épais et déchirés, la silhouette leva sa tête encapuchonnée vers ses visiteurs le visage dans l’ombre. « Bonjour Sertaklys, chuchota presque Achranak. — Bonjour », répondit la silhouette d’une voix féminine à glacer le sang. Les dépravés s’assirent tous en demi-cercle autour de la silhouette, rapidement imités par les compagnons. « Qui sont ces étrangers ? demanda la silhouette d’une calme froideur. — Un a mis sa vie entre mes mains, expliqua Achranak en montrant Krag du doigt. Ils vont nous aider contre les repenteur. 210 La Genèse de l’Apocalypse — Ainsi l’avenir avance plus vite que ce que je pensais, acquiesça une voix tout d’un coup légèrement plus chaleureuse. Voulezvous connaitre votre destin ? » demanda-t-elle tandis que l’insongeable semblait peu à peu comprendre pourquoi on leur avait fait confiance si rapidement. S et les protecteurs ne comprirent pas tout de suite la question étrange que la femme venait de leur poser. « Sertaklys est notre pythie, expliqua Achranak. Elle nous aide à prendre des décisions et est notre mémoire vivante. Elle peut aussi vous révéler une partie de votre futur, ou du moins ce qui arrivera si vous ne faites rien pour l’empêcher de se produire. — D’accord, comprit l’insongeable. Krag, tu veux le faire ou pas ? demanda S au protecteur. — Pourquoi pas, répondit le concerné. — Dans ce cas avance et assieds-toi, homme qui a mis sa vie en jeu, lui ordonna la pythie. » Les dépravés se mirent aussitôt à détourner le regard. S et Zabyss respectèrent l’intimité de Krag et de Sertaklys en les imitant et le carmin enleva son casque et le posa sur le sol. S’ensuivit un court moment de silence après lequel la femme chuchota des mots à Krag, que l’insongeable parvint presque à déchiffrer. Quand les sifflements de sa voix s’arrêtèrent, l’insongeable entendit le carmin remettre son casque et se relever. Le protecteur vint alors s’asseoir à droite de l’insongeable. S tourna sa tête à gauche, vers Zabyss. Le flamboyant hocha la tête et se leva à son tour… Les quatre sergents étaient en train de remettre de l’ordre dans le reflet et ses alentours. Les sergents Morduk et Torkus s’occupaient d’entrainer les recrues et de nettoyer la zone tandis que leurs collègues Azilor et Jidilius étaient partis enterrer leurs camarades morts. Les sergents evocatis avaient fait l’inventaire des morts côté repenteurs et avaient recompté deux fois. Environ une centaine de morts en une attaque de dépravés était en effet un lourd tribut. 211 La Genèse de l’Apocalypse Ce nombre leur paraissait énorme comparé aux troupes repentrices proportionnellement présentes dans la région. Les sergents avaient amassé de nombreuses armes dont plusieurs belayasmerts. Torkus essayait tant bien que mal d’apprendre aux conscrits de se servir de ces armes, mais ces derniers avaient déjà du mal à bien viser avec un canon radius basique dépassé une certaine distance. Pendant ce temps le sergent Morduk, après leur avoir fait un petit cours pratique sur les perfides, vérifiait chaque cadavre de repenteur. Il venait de vérifier le cinquantième cadavre et avait déjà découvert deux insignes des traitres, et il avait le pressentiment que ça n’allait pas être les dernières… Les deux sergents et une poignée de bleus étaient montés dans le skitnik 64. Pendant que le sergent Jidilius conduisait, l’autre sergent et les recrues étaient à l’arrière en train de s’enfoncer dans les cadavres qui s’entassaient jusqu’à un mètre du sol. Ils essayaient tant bien que mal de ne pas glisser dans le charnier. L’odeur était à tel point insupportable que les conscrits s’étaient pour la plupart entouré la bouche de foulards de fortune. À cet instant précis, les bleus rappelaient à Azilor à quel point l’odeur de la mort le répugnait lui aussi au début de son entrainement. Le véhicule s’arrêta brutalement, faisant presque tomber le sergent au milieu des cadavres aux regards vides. Deux recrues se précipitèrent vers la porte pour l’ouvrir. Le mécanisme débloqua la rampe et un flot de cadavres baignant dans du fluide corporel glissa hors du véhicule dans un mouvement à la fois rapide et mou. Ils sortirent avec précipitation pour respirer de l’air un peu plus pur et salin que celui qui stagnait à l’intérieur du skitnik. Les deux sergents et les conscrits regardèrent vers le bleu horizon. Ils étaient au bord d’une plage qui se trouvait juste à côté d’un ancien petit port, maintenant réduit à un mélange chaotique de 212 La Genèse de l’Apocalypse bateaux coulés et désossés entourés de pontons flottant au grès des vagues. Plusieurs repenteurs étaient déjà en train de creuser des tombes de fortune, sous un soleil dardant. Azilor se tourna alors vers les recrues qui venaient d’arriver avec lui. « Vous, mettez les cadavres dans les trous ! ordonna promptement le sergent. — Et c’est tout ? protesta un repenteur. On les laisse là pourrir dans le sable ? — T’as de la chance d’être nouveau, sinon tu serais déjà dans un de ces trous en train de t’étouffer. Bon je vais t’expliquer un truc très simple qu’on ne t’a apparemment pas expliqué, articula bien le sergent. Quand une escouade est exterminée, on prend une balise mortuaire, expliqua Azilor en montrant un petit objet émettant une faible lumière et clignotant à faible cadence. On l’active et on enterre nos frères provisoirement avec la balise. Quand les corbeaux le peuvent ils viennent les rapatrier et vont les enterrer dans les ossuaires, où se reposent tous nos frères que la lumière a rappelés. Et si on les enterre là c’est parce qu’ils pourriront moins dans le sable que sur une route à la merci des charognards. Maintenant va prendre une pelle, creuse et ferme-là à tout jamais ! » Sur ces mots Azilor et Jidilius laissèrent les recrues à leurs occupations et s’approchèrent d’un tas de cadavres près des trous fraichement creusés. Ils prirent un des corps et le posèrent dans le sable, après quoi ils l’ensevelirent jusqu’à qu’il ne reste plus qu’une grosse motte de sable. Azilor activa ensuite le canon du défunt en mode passif et l’enficha dans le sable canon vers le bas. Ils enterrèrent encore de nombreux soldats puis activèrent une autre balise mortuaire. L’objet clignotait d’une petite lumière, faisant penser à un appel de détresse muet et étouffé. 213 La Genèse de l’Apocalypse Jidilius et Azilor reculèrent un peu pour admirer leur travail, ce dernier pensant toujours au balafré qu’il n’avait pas eu l’honneur d’enterrer. En effet d’autres l’avaient fait avant lui et Azilor ne voulait pas entreprendre l’acte irrespectueux de déterrer tous les cadavres jusqu’à trouver celui qu’il cherchait. Il avait fatidiquement ravalé sa triste rancœur pour un moment et continué à faire son devoir. Le soleil était à son zénith et tous les repenteurs transpiraient à grosses gouttes. La mer, à quelques dizaines de mètres d’eux, restait ce qui faisait le charme de cet endroit. Autour des installations mille fois détruites et reconstruites de l’homme, elle restait inchangée et continuait d’attaquer inlassablement la rive depuis ses insondables profondeurs desquelles elle tirait sa force infinie. L’appel aux ombres était une chose difficile aujourd’hui plus que d’habitude, physiquement à cause de la chaleur et psychologiquement du fait du nombre important de morts à enterrer, et c’est pour cette raison qu’Azilor n’était pas allé chercher Bâtard pour qu’il lui vienne en aide : son ami de toujours devait se reposer. Les deux sergents s’échangèrent un regard qui en disait long. Ils allaient en avoir pour la journée à enterrer tous ces cadavres, et la journée ne faisait que commencer… Zabyss revint s’asseoir à gauche de l’insongeable. Ce dernier se leva et se rapprocha de la pythie des dépravés. Il s’assit jambes croisées devant Sertaklys. Elle releva un peu sa capuche et des yeux profonds aux pupilles brillantes sortirent alors de l’ombre. Ils se posèrent sur lui à la manière de deux trous noirs aspirant en moins d’un instant ce qu’une éternité avait mis à construire. Elle se rapprocha de lui dans une position presque érotique. Une main terreuse et des lèvres effleurèrent la peau de son visage. Sa machinerie se mit tout de suite en route, n’ayant pas connu le toucher d’une femme depuis ce qui lui paraissait une vie entière. 214 La Genèse de l’Apocalypse Il se sentit gêné et le fut encore plus quand Sertaklys lui effleura le cou de ses mains froides. Elle enleva ensuite sa main dans un très léger sourire, presque un rictus, et approcha son visage de celui de l’insongeable. Leurs deux nez collés, leurs regards se perdirent étrangement l’un dans l’autre. L’insongeable avait l’impression que la pythie sondait son esprit en rentrant dans son âme, ce qui donna à S une forte impression d’impuissance. Elle colla soudainement une de ses mains sur sa poitrine, les doigts écartés, et cette dernière lui glaça le corps dans un vif frisson. S remarqua à cet instant que son cœur parcouru d’une vague de froid battait la chamade. La dépravée s’écarta soudainement de l’insongeable, comme apeurée. Son regard avait changé : elle semblait le connaitre maintenant plus que lui-même et ce qu’elle savait sur lui avait apparemment l’air de la terroriser. Elle se rapprocha de lui doucement, cette fois-ci avec une hésitation presque honorifique. Sa bouche se colla à son oreille. « Ton subconscient lutte contre mon pouvoir. Je ne peux pas entièrement lire dans ton esprit okanoronir n`s tas omnisiass, chuchota Sertaklys en glaçant le sang de S de son souffle aussi froid que la mort. Ce que je peux te dire est que tu feras couler beaucoup de sang, et encore plus en feront couler pour toi. Tu perdras presque tout sur ta route, et ton voyage ne se terminera que quand tu auras trouvé le but de ce dernier. Tu deviendras tout et rien à la fois. Ta destinée sera grande, mais la mort sera omniprésente. Ton avenir sera sombre et les ombres te rattraperont. Désolé, je ne peux être plus précise, finit-elle enfin. L’insongeable resta quelques secondes assis sans rien dire, comme frappé par une massue. Il alla ensuite de rasseoir et Achranak prit sa place. — Ferme les yeux, Hégémon », lâcha calmement la pythie de sa voix envoutante comme la glace… 215 La Genèse de l’Apocalypse Larok accélérait dans une longue ligne droite quand il aperçut des silhouettes se déplacer rapidement loin devant lui. Elles avaient dû l’entendre avec le bruit assourdissant qu’il faisait. Il était à cinq cents mètres lorsqu’elles commencèrent à courir se cacher dans les bâtiments sur les côtés. Larok les reconnaissait même à cette distance : c’étaient des dépravés. Il sourit à l’idée que son frère Seurg ait réussi là où lui avait échoué. Il s’arrêta au milieu de la rue et descendit bien en vue de tous. « Je suis avec vous ! Je sais que vous allez vers l’enfer Verdoyant. Je vous y emmène, je suis un ami de Seurg qui est surement parmi vous ! » Un long et pesant silence se mit alors en place. Il fut finalement brisé par une silhouette féminine qui sortit discrètement d’un des bâtiments. Elle avait une mine triste et la fougue d’un visage d’adolescente figé entre ignorance et innocence. De nombreuses nattes fleuries ornaient sa tête et tombaient sur son visage de poupée. Ces tresses, qui mélangeaient des cheveux et des tiges se finissant par une ou plusieurs fleurs, symbolisaient le lien qu’entretenaient les dépravés avec la nature. Mais les femmes des tribus ne portaient pas seulement des nattes fleuries par coquetterie. Les couleurs, le nombre de fleurs et de nattes avaient en général une signification particulière. Cette dépravée portait par exemple une suite de fleurs alternant le blanc et le bleu, signifiant qu’elle n’avait pas de périanthe et qu’elle avait un cœur aussi tendre que fragile. Des yeux d’un rare violet se posèrent ainsi sur le veilleur, avant que de fines lèvres se mettent à bouger pour lui parler. « Tu es l’ami de Seurg ? — Oui je suis Larok. Pourquoi ? Vous l’avez vu ? » demanda le dépravé avec espoir. 216 La Genèse de l’Apocalypse La fille fit signe de la main. Les dépravés sortirent de leurs cachettes et commencèrent à s’approcher. Tandis que deux dépravés musclés arrivaient avec un brancard de fortune, la dépravée lui expliquait la situation. « Il s’est fait tirer dessus par une arme qui ronge la chair. Il a besoin de soins rapidement sinon il va mourir. » Larok regarda son frère convulser en silence dans sa torpeur. Il sentit ses yeux se mouiller et mit une main sur l’épaule de son frère. Il courut soudainement vers la cabine, sous les yeux étonnés et presque apeurés de certains dépravés. Il fit rapidement descendre la benne ainsi que la rampe. « Montez ! » les pressa-t-il. Les dépravés se dépêchèrent de grimper. Larok était en train de remonter doucement la rampe quand deux dépravés montèrent par la droite, leurs armes prêtes à servir. Ils s’assirent à droite du malchanceux sans un bruit et regardèrent devant sans sourciller. Les dépravés de cette tribu étaient toujours aussi paranoïaques remarqua Larok, mais ce n’était pas le moment de perdre du temps. Il regarda une dernière fois en arrière et accéléra, le regard droit vers la route qui n’avait l’air de jamais en finir… Zirivus avait été exfiltré par un repentor E 33 sous les regards ahuris des repenteurs. Cet hélico était un repentor réservé aux marcheurs. Un peu plus gros que le modèle le plus répandu, il était plus massif et armé jusqu’aux dents. Il disposait en effet non pas de deux mais de six sulfateuses wracksmiths sur ses flancs, ces puissantes mitrailleuses dotées de trois canons tournant à une vitesse fulgurante. Son appartenance à l’Oculus se lisait sur l’énorme œil flamboyant peint sur sa coque, symbole des marcheurs et aussi appelé œil des pardonnés. L’œil des pardonnés était le symbole des marcheurs. Sur ce dernier étaient représentés les différents cercles de l’Oculus, 217 La Genèse de l’Apocalypse ce qui créait une forme stylisée de galaxie se fondant en un œil aussi terrifiant que magistral. Le marcheur solaire s’était ainsi assis à l’arrière de l’hélicoptère, seul, et le repentor s’était envolé rapidement en direction de Saxa Mortis. Saxa Mortis était une grosse base de la 4ème marche céleste, où Zirivus et la majorité des membres du troisième cercle auquel il appartenait étaient en garnison. Ils longèrent ainsi le bord de mer vers l’ouest. Les reliefs se firent de plus en plus escarpés jusqu’à arriver à ce qui était le foyer de nombreux guerriers de l’Oculus dans la région. La forteresse paraissait imprenable d’ici. Ainsi au bord d’une falaise en dents de scie donnant sur la mer une série d’imposants bâtiments parsemés de suprastrum reflétaient la lumière du soleil. Zirivus discerna au milieu du complexe un bâtiment qui défiait le ciel de toute sa hauteur. C’était la Tourmente, une tour massive et effilée qui pointait vers l’infini tel un gratte-ciel inachevé. C’était l’endroit où se réunissaient l’Héliaste de la 4ème marche céleste et ses diadoques solaires. La tour, comme le reste des bâtiments, avait été construite dans une architecture appelée architecture postfidesique et qui pouvait se résumer ainsi : une base de néogothique comportant des touches de roman et de baroque, le tout saupoudré d’une touche de finesse futuriste. Saxa Mortis brillait à des dizaines de kilomètres à la ronde, comme pour montrer au reste de la région son emprise sur cette dernière. L’hélicoptère se rapprocha du toit du bâtiment destiné aux éléments aériens de la base et quand le repentor E 33 se rapprocha de la plateforme, le marcheur solaire put distinguer les nombreux engins volants stationnés sur cette dernière. De nombreux autres types de nefs étaient ainsi présents au milieu des classiques repentors. Il y avait en premier lieu des petits et rapides flanqueurs V 1. 218 La Genèse de l’Apocalypse Ces hélicoptères de déploiement rapide, à la base utilisés pour flanquer les forces en marche et ainsi protéger leurs ailes, étaient souvent réquisitionnés pour lâcher de petites escouades derrière ou sur le flanc des lignes ennemies. De gros earthquakers C 2 étaient aussi présents. Ces forteresses volantes étaient utilisées pour pilonner les lignes ennemies de leurs nombreux canons à effets de zone. Ils étaient une arme meurtrière sur le plan humain, mais encore plus sur le plan psychologique. En effet les tirs de cet hélicoptère lourd ne faisaient qu’une bouchée des armées au sol, laissant ses ennemis dans un désarroi total, perdu au milieu de la fumée soulevée par les explosions et les tremblements. L’œil du guerrier fut alors attiré par une singulière machine. C’était une blackwing Z 2 se tenait en effet devant lui. C’était une sorte de deltaplane équipé de petits mais tout de même athlétiques moteurs alimentés par les feuilles starabsorber posées sur l’aile de la machine. Le pilote pouvait tirer avec deux canons radius redspray positionnés chacun d’un côté du pilote, eux aussi alimentés par les plaques captant l’énergie du soleil. Ces engins pouvaient aussi être dotés de petites bombes qu’ils pouvaient lâcher sur des cibles ennemies. Les blackwings étaient la plupart du temps utilisés pour soutenir une unité au sol ou détruire un objectif précis au milieu d’une base ennemie. Elles pouvaient cependant aussi servir à larguer de la logistique à des unités cachées derrière les lignes ennemies sans attirer l’attention, ce qui faisait de ces engins volants un atout tactique non négligeable. Évoluant à basse altitude, les unités de blackwings pouvaient en effet facilement se défausser aux divers systèmes de détection. Le marcheur solaire sortit finalement du repentor et suivit le pilote de l’Oculus qui lui avait fait signe. Ils descendirent les escaliers et le pilote accéléra le pas. « Où m’emmènes-tu ? demanda Zirivus à son frère dont le casque aux contours bleus montrait qu’il était pilote. 219 La Genèse de l’Apocalypse — À la Tourmente, lui répondit-il. La main rouge veut te voir. » Le soldat en cuirasse de trinitium déglutit à cette simple idée. Il ne savait pas si la main rouge était au courant de toute l’histoire mais cela ne lui disait rien de bon. La main rouge était une légende parmi les marcheurs solaires. En effet selon ladite légende, en une journée la main rouge avait tué cent hommes à mains nues en arrachant leurs cœurs. C’est de cette légende qu’en avait découlé son surnom. Son vrai nom était Tiamivat, mais personne n’osait l’appeler ainsi. Il était sans pitié et rien que d’imaginer ce que son courroux pouvait engendrer faisait couler des larmes d’appréhension le long du visage abimé du marcheur solaire. Ils arrivèrent rapidement devant la Tourmente et le guerrier put alors contempler toute la splendeur et la hauteur de l’édifice de plus près. Comme toujours, deux marcheurs solaires gardaient l’entrée de la tour. Ils portaient une cuirasse de trinitium qui semblait plus épaisse que celle que portait Zirivus. Leurs casques étaient parcourus de fines lignes rouges et des grosses mains de la même couleur étaient peintes sur leurs épaulières gauches, une couche de peinture en dessous de l’œil des pardonnés. Cette main rouge symbolisait leur appartenance aux dzikus, la garde personnelle de Tiamivat. Techniquement, ils étaient des paladins solaires ayant renoncé à leur ascension dans la hiérarchie pour intégrer le cercle rapproché de la main rouge. Ces guerriers belliqueux étaient prêts à tout pour protéger ou attirer l’attention de leur supérieur. Sur leurs gants, au niveau des phalanges, avaient été rajoutés des petits pics en métal qui dépassaient la forme triangulaire finissant l’avant-bras. Le folklore qui avait donné à ces marcheurs le surnom de dzikus venait en partie de la manière dont se battaient ces guerriers, à savoir une brutalité au corps à corps poussée à son paroxysme et que leurs ennemis oubliaient rarement. 220 La Genèse de l’Apocalypse Le pilote de l’Oculus se présenta et expliqua la raison de sa présence à un des gardes. « C’est bon, vous pouvez entrer », lâcha prestement la voix rauque et amplifiée du dzikus à travers son heaume. Le deuxième dzikus décrispa ses doigts et lâcha un ordre par le biais du dispositif radio intégrée dans son casque, ce qui eut pour effet d’ouvrir lentement la massive porte de la Tourmente. Deux autres dzikus attendaient derrière cette dernière dans la même position stoïque que leurs frères. « Emmenez-les voir la main rouge », ordonna calmement un des deux guerriers de l’Oculus en poste à l’extérieur. Sans aucun mot les deux dzikus se mirent en route, d’un pas rapide et décidé. Le pilote et le guerrier les suivirent donc à travers les couloirs parsemés de soldats armés jusqu’aux dents et les voutes immenses du hall des souvenirs, décoré de rutilants trésors de guerre et autres bannières capturées lors des combats qu’avaient menés les marcheurs solaires de la 4ème marche céleste. De bannière en bannière, ils arrivèrent à une salle remplie d’espèce d’ascenseurs et d’encore plus de dzikus. Les deux marcheurs solaires suivirent leurs guides dans ce lieu qui transpirait l’honneur et la force, tandis que les autres guerriers de l’Oculus les dévisageaient avec mépris. Ils firent leur ascension en silence dans un ascenseur aussi grand qu’une pièce, Zirivus avalant sa salive la boule au ventre. La porte s’ouvrit ensuite et ils marchèrent dans de longs dédales de couloirs obscurs, éclairés sporadiquement par des vitraux, où se baladaient des groupes de dzikus à la démarche nerveuse et paranoïaque. Au bout de plusieurs couloirs, ils arrivèrent devant une grosse porte gravée d’un énorme poing rouge et gardée par une escouade entière de dzikus armes au poing. « Stop ! » ordonna un des guerriers d’un ton sec en faisant signe de s’arrêter, ce que les marcheurs firent sans broncher. En réponse l’un de leurs guides expliqua la situation et montra Zirivus du doigt. 221 La Genèse de l’Apocalypse « Entrez », pressa finalement le marcheur après avoir parlé sur un canal de son dispositif radio. Le marcheur solaire suivit donc le guerrier de l’Oculus, tandis que son escorte repartait dans l’autre sens. Ils entrèrent dans une antichambre et le membre de la garde personnelle de Tiamivat l’amena devant une porte plus massive que les autres, où étaient ciselées des écritures dorées. C’était un psaume du Piaculum, le codex principal des repenteurs que les marcheurs suivaient à la lettre. Il avait été écrit par un guerrier légendaire que tous les membres de l’Oculus connaissaient : Raduzkan. Surnommé le béni et créateur de l’Oculus, ce dernier était un modèle pour la plupart de ses semblables. Raduzkan était l’Iris du néant et, de ce fait, il était à la fois le seul gouverneur des marcheurs de tout l’univers et commandant de l’unique marche du néant, celle qui avait précédé toutes les autres. Le marcheur solaire connaissait bien le psaume qui dorait le haut de la porte. C’était le cinquième psaume verset trois : « Ta volonté comme seule arme, avec compassion tu essaies de montrer la vraie foi à ton faux ennemi, car seule l’ignorance en est réellement un ». Le dzikus ouvrit soudainement la porte et fit signe à Zirivus d’entrer, ce qu’il fit. Il rentra donc dans une grande salle éclairée d’un mélange de bougies et de rayons de soleil filtrant à travers de petits vitraux reprenant la forme de l’œil des pardonnés. Tandis qu’il entendait la porte se fermer derrière lui et laisser place à un silence pesant, le guerrier sentait ses chances de survie diminuer. Il sentait une présence au milieu de cette salle complètement vide, comme si un monstre était caché dans l’ombre « Pourquoi as-tu abandonné le combat marcheur Zirivus ? On m’a rapporté que tu t’étais éloigné du signal de ton paladin, ajouta sur un ton soupçonneux une voix tapie dans l’ombre. — Je… je voulais vous prévenir, balbutia le marcheur solaire en essayant de repérer la provenance de la voix. 222 La Genèse de l’Apocalypse — Me prévenir de quoi ? — Nous, nous sommes battus contre… » Un frisson de tremblements envahit le guerrier. Ses muscles étaient tétanisés, aucun son n’arriva à sortir de sa bouche. Ils obligèrent le marcheur à se recroqueviller sur lui-même dans d’atroces souffrances. Cela dura de longues minutes, pendant lesquelles la voix n’ajouta aucun mot, comme si elle l’observait attentivement en se délectant de la scène. Au bout d’un certain temps qui lui parut une éternité, son corps se calma et ses tremblements se turent. Il se releva dans la douleur, essayant de faire preuve du plus de prestance qu’il pouvait face à l’Héliaste de la 4ème marche céleste. Au bout de quelques secondes, la voix reprit son questionnement. « Depuis combien de temps n’as-tu pas prié ? demanda la main rouge au marcheur solaire. — Trop longtemps, avoua alors le guerrier. — Cela se voit, tu as perdu la force et le courage que tu puisais autrefois dans la foi. Fais-moi plaisir, prie ! Nous reprendrons notre conversation plus tard, je ne suis pas pressé. — À vos ordres ! lâcha le guerrier avec le plus de dévouement qu’il pouvait alors que du sang coulait toujours lentement devant son œil droit. — Cela ne devrait pas être un ordre », lui répondit la main rouge courroucée. Le marcheur solaire s’approcha du centre de la pièce, sans répondre à cette remarque qui disait vrai. Il s’assit au milieu des rayons qui dessinaient l’œil flamboyant au sol. Il sortit son exemplaire du Piaculum d’un des nombreux compartiments qui pendaient d’une de ses ceintures. Il commença ensuite à prier tandis que la présence de la main rouge semblait s’atténuer pour un temps… 223 La Genèse de l’Apocalypse S était tout en haut du donjon, en train d’observer les reliefs alentour. Ces montagnes peu peuplées n’avaient aucun rapport avec Cannes et ses alentours proches. La présence de la nature était ici plus visible, plus flagrante. « Tu admires le paysage ? lui demanda Achranak qui venait d’arriver sans que S ne s’en aperçoive. — Oui, cet endroit me donne un sentiment de liberté. » Le dépravé barbu vint à hauteur de l’insongeable. Il faisait chaud malgré le gros vent qui soufflait sur le château à cet instant. « Nous allons bientôt partir pour l’attaque. Vous aurez tout le temps d’admirer le paysage sur la route. — J’en doute pas, répondit l’insongeable. Mais tutoyez-moi, s’il vous plait. — D’accord, mais seulement si c’est réciproque. — Ça l’est, Achranak. — Tu as apparemment une grande destinée, d’après Sertaklys. C’est pour cela que je te respecte, je sais que ce qu’elle voit est dans le vrai. — C’est gentil de ta part. — Ce n’est que ma pensée profonde. Sur ces paroles je descends voir mes frères et sœurs, ils ont besoin de courage s’ils veulent battre ces chiens. » Tandis que le chef de la tribu s’en allait, S regarda sa boussole et en effleura les contours. La chose avait une texture étrange. Son toucher était rugueux, comme la peau d’un serpent. Son regard se porta ensuite sur l’aiguille du trajecteur. L’insongeable se sentit tout à coup étrangement impuissant, à l’idée qu’une si petite chose puisse contrôler sa destinée… Un gros poing rouge sortit de nulle part et percuta de plein fouet le visage du marcheur solaire, lui explosant aussitôt la mâchoire. « Je vais te donner une correction en main propre ! lâcha la main rouge pendant que le casque fissuré du guerrier tombait sur le côté. Tu as préféré fuir face aux usurpateurs ! 224 La Genèse de l’Apocalypse Ceux qui ont volé la cuirasse de trinitium et tué un nombre assez important de marcheurs pour mériter une éternité dans les flammes du soleil ! Lâche, tu vas payer ! » Le marcheur solaire tituba lorsqu’un autre coup lui atterrit à nouveau dans la figure. Plusieurs secondes s’écoulèrent, pendant lesquelles le Zirivus s’efforça de ne pas s’écrouler à même le sol. La main rouge sortit ensuite doucement de l’ombre. Zirivus put alors observer le légendaire Tiamivat, dont la stature s’appuyait sur un kulakrasnyy. Cette arme contondante était semblable à une masse d’arme, son extrémité se finissant sur une forme représentant un poing de couleur rouge. La longueur du manche d’un kulakrasnyy permettait au porteur de s’en servir comme canne. Sans prévenir, un uppercut le frappa de plein fouet tandis que du sang aveuglait le marcheur et rendait son visage méconnaissable. Il tomba plusieurs mètres en arrière en s’écrasant par terre comme s’il venait de tomber de plusieurs étages. Il ne voyait plus que des étoiles et du sang et fut alors à nouveau pris de tremblements. Il regarda par ce qui lui semblait être une fenêtre et y vit la lumière. Zirivus entendait des sons flous, comme si on essayait de lui parler sous l’eau. Son esprit se mit à chavirer et son crâne à bouillonner. Il ne bougeait pas et il avait l’impression que sa tête tournait dans tous les sens. Une forme s’interposa alors entre la lumière et ses yeux remplis de sang, avant que le néant ne se répande dans son esprit… 225 La Genèse de l’Apocalypse 226 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 7 : The Pact / Light and Darkness / The Fulgurastra / [11 Cruciamentum an 13 ; Terre] Larok était arrivé en trombe devant le hangar du Grand Père. « Que s’est-il passé ? » demanda Zagor, arrivé au pas de course tandis que Larok descendait du monstre de métal stoppé en plein milieu de la rue. Les dépravés du val Masqué sortirent aussitôt du déforesteur, apeurés et méfiants. « On fera les présentations plus tard, commença Larok tandis que deux guerriers arrivaient avec l’impétueux sur un brancard. Seurg a besoin de soins sinon il va y passer. — Il a été touché par une arme qui ronge le corps, avança Silith au chevet du dépravé blessé. — Suivez-moi, seules les plantes peuvent le soigner ! » Le grand veilleur entra ainsi avec fracas dans le hangar, suivi de tous les survivants de l’enfer Verdoyant sauf Lergoragor, qui était parti espionner les repenteurs avec son tigre gris il y a peu. Ils traversèrent ainsi les allées remplies de guerriers et guerrières enracinés dans les racks, Zagor en tête. Le grand veilleur s’arrêta finalement devant un emplacement vide au sol. « Aidez-moi à le déposer », lâcha le grand veilleur. Les dépravés s’activèrent autour du mourant pour le poser sur le sol parcouru de plantes grimpantes et de racines. Son corps déposé, des racines se mirent à bouger très doucement et enlacèrent lentement la jambe blessée de Seurg. Certaines s’immiscèrent dans la blessure même, ce qui eut pour effet d’ouvrir brusquement les yeux du blessé. Ils étaient révulsés et sa tête tremblait tandis que de la fumée sortait de sa blessure. Du liquide brillant coulait sur les racines, séchant sur ces dernières dans une odeur âcre. 227 La Genèse de l’Apocalypse Le corps de Seurg se mit soudainement à trembler dans tout le sens tout en restant cloué sur place. « Tu ne mourras pas, ton cœur est pur ! » lâcha Larok à son frère en transe tout en lui tenant le bras. Les autres veilleurs accoururent pour soutenir leur frère au sol. Il bougea encore une dizaine de secondes, après lesquelles il devint tout d’un coup inerte, ses yeux toujours ouverts. « Est-il, commença Silith inquiète… mort ? — Non il est tiré d’affaire, lâcha Zagor d’un ton réconfortant. Nous devons le laisser se reposer le temps qu’il reprenne ses forces. — Merci, dit Silith pendant que les dépravés présents lâchaient un soupir de soulagement. — De rien, répondit Zagor. C’est avant tout un de mes frères »… « Faites-le vivre ou vous mourrez avec lui ! » menaça la main rouge en parlant aux infirmiers tributaires de la Deumedecine, l’organisme médical des repenteurs. Les membres de la Deumedecine étaient reconnaissables par la croix d’andrinople qu’ils arboraient sur leurs toges. Cette dernière était une croix rouge dont la forme faisait penser à une croix fleurdelysée. Les silhouettes encapuchonnées se pressèrent immédiatement dans une myriade d’ombres blanchâtres autour du guerrier de l’Oculus. « Il fait une double hémorragie main rouge, il semble que vous ayez tapé là où il avait déjà pris un coup dur. Ses tremblements à répétition sont surement le résultat indirect des chocs extrêmement violents qu’il a subi, expliqua l’apothicaire. Même si nous arrivons à le soigner il aura des séquelles importantes à vie, ajouta-t-il. Ces dernières l’empêcheront surement de continuer son combat au nom de l’Oculus. — Trouver une solution qui lui permettra de continuer à se battre ! Ou sinon mon poing rencontrera vos frêles têtes cachées sous vos capuches », menaça froidement la main rouge. Gardant son calme, l’apothicaire réfléchit quelques secondes. 228 La Genèse de l’Apocalypse « Il y a peut-être une solution, commença l’apothicaire. Mais j’ai besoin de son accord. — Je vous le donne en tant que supérieur de ce couard. — Vous n’avez pas compris, j’ai …» La main rouge pointa un énorme canon sur la tempe de l’apothicaire, coupant court aux paroles de ce dernier. « Je vois. Nous avons donc le feu vert, lâcha l’apothicaire un clairon pourpre toujours pointé sur la tempe. — Je constate que vous apprenez vite, lâcha la main rouge en éloignant son doigt ganté de la gâchette de son arme. Puis-je en savoir plus sur cette solution ? demanda ensuite l’Héliaste de la 4ème marche céleste. — Oui bien sûr », acquiesça l’apothicaire avant de faire signe aux infirmiers de laisser les deux hommes seuls. Lorsqu’ils ne furent plus que tous les deux, l’homme en toge blanche reprit la parole. « Cette solution est le projet Deathwalker, mais cette information est confidentielle et vous devez la garder pour vous. — Il me semble en avoir déjà entendu parler. — C’est possible. Je ne peux pas vous donner plus de précisions, premièrement parce que je n’ai pas plus d’infos et deuxièmement parce que vous vous doutez bien que je peux pas tout vous dire. Je sais seulement qu’ils recherchent ce qu’on pourrait appeler des « cobayes » pour ce projet. Votre homme semble tout désigné pour le rôle. — Ah bon et pourquoi ? Il est en train de mourir ! — Justement, c’est ce dont ils ont besoin : des guerriers proches de la mort mais bien constitués. — Hum je ne comprends pas pourquoi ils rechercheraient des hommes presque morts mais pourquoi pas. — Si tout cela réussit, votre soldat deviendra surement une machine de guerre. Si cela échoue, vous pourrez alors me tuer. Mais ça n’échouera pas, j’en mets ma tête à couper. — Hum, cela me parait un marché honnête mais je demande à voir. » 229 La Genèse de l’Apocalypse La main rouge enveloppa alors celle de son interlocuteur et les deux hommes se regardèrent une seconde dans les yeux, puis Tiamivat reprit la parole. « Tenez-moi au courant et n’oubliez pas que votre vie est en jeu. — Vous pouvez compter sur moi ! assura la silhouette svelte sous sa capuche. — Il y a intérêt pour vous, ou vous connaitrez le sort réservé à ceux qui trahissent leur parole. » Sur ces mots, la main rouge repartit en vitesse vers la sortie de la salle. Les infirmiers s’engouffrèrent dans l’espace que l’Héliaste avait laissé derrière lui et reprirent rapidement leur travail, tandis que le résonnement des bottes de trinitium de la main rouge s’éloignait peu à peu de leurs frêles têtes encapuchonnées… Les dépravés s’étaient tous réunis dans le hangar du Grand Père et avaient fait le point sur leur situation. « Bon, commença Zagor. Yarg nous a assuré que les frères Syndrakona nous aideraient. Nous avons l’aide du maitre des bêtes concernant les tigres gris. Il ne manque plus que vous », lâcha le chef des dépravés en direction de Silith et des silhouettes stoïquement postées derrière cette dernière. Silith se tourna vers les membres survivants de sa tribu. Des regards fatigués et négatifs rencontrèrent le sien. « Nous avons besoin de nous concerter, répondit-elle finalement en se retournant vers les veilleurs. — D’accord, prenez tout le temps qu’il vous faudra. Hislachar, amène-les tu sais où pour qu’ils y tiennent un conseil, ils pourront y parlementer sans notre dérangement. » Ce dernier hocha de la tête et les amena dans une grande pièce ronde un étage plus haut dans le hangar. L’arbre du Grand Père le traversait en son centre. Les membres importants de la tribu de cette région se regroupaient souvent ici pour se prononcer sur les choix difficiles qui avaient besoin de calme et de méditation pour être pris. 230 La Genèse de l’Apocalypse L’ombre repensa à cette époque à la fois proche et éloignée avec mélancolie. Tous les anciens étaient maintenant morts ou partis. Il ne restait qu’une poignée d’irréductibles pour faire honneur à la tribu de l’enfer Verdoyant. Hislachar prenait ça comme un honneur maudit, à la fois une chance et un fardeau. « Suivez-moi », lança-t-il finalement au reste de la tribu du val Masqué. Les dépravés emboitèrent ainsi le pas d’Hislachar avec hésitation, tandis qu’ils avaient du mal à discerner où finissait le dépravé et où commençait son ombre… Les compagnons et les dépravés étaient arrivés sur le lieu de l’embuscade après avoir marché sous une chaleur assommante et un vent presque brulant. S ne supportait pas la chaleur et transpirait à grosses gouttes. Il fut content de pouvoir finalement se poser à l’ombre d’un arbre. Il avait méthodiquement compté le nombre de dépravés avec eux. Il dénombrait quatorze guerriers et guerrières hétéroclites menés par l’imposant Achranak. Ils s’étaient posté environ un kilomètre après la sortie de la ville, cachés dans une végétation dense. Les dépravés s’étaient séparés en deux groupes, un de chaque côté de la route, pas tout à fait en face pour éviter les tirs fratricides. S interpella Achranak lorsqu’un des dépravés se rapprocha discrètement de la ville à travers les fourrées. « C’est Diankan, notre maitre des bêtes. Il va se poster au plus près des ennemis et nous envoyer un faucon palatin comme signal quand les ennemis s’approcheront. C’est comme ça que nous saurons quand le moment de frapper sera venu. — D’accord, comprit S. — Mettez-vous derrière la butte, vous êtes trop voyant dans vos grosses armures qui brillent au soleil », expliqua le chef des dépravés aux protecteurs. 231 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable alla donc rejoindre ces derniers derrière les archers en poste, et la longue attente commença… Bâtard fut réveillé par le bruit qui bourdonnait autour de lui. Il ouvrit les yeux et reconnut son sergent et ami Azilor en train de parler à d’autres repenteurs. Il remarqua qu’il était enfermé dans ce qui semblait être un cachot et s’approcha près de la porte de la cellule. Il la secoua mais n’arriva pas à l’ouvrir. Malgré le bruit qu’il venait de faire, les sergents avaient l’air d’être tellement énervés les uns contre les autres qu’ils ne l’avaient même pas remarqué. Il essaya de mettre de côté le tambour qui battait dans sa tête et se concentra pour dire quelque chose de sensé. « Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ? demanda l’homme hagard d’un air presque pathétique. — Ah, réagit le sergent Morduk. Notre hérétique se réveille ! » Le sergent Azilor vint lui expliquer la situation alors que son ami enfermé le regardait d’un air perdu et agacé. « Ils croient que tu es un perfide. — Quoi ? s’indigna le repenteur. — J’ai discuté un peu avec ton sergent, il m’a raconté comment le destin t’as mis sur sa route. Mais y a un détail qui cloche ! Ça ! lâcha le vétéran en montrant un des bras de Bâtard, strié par une blessure d’arme radius. Si t’es vraiment ce que tu lui as raconté, pourquoi t’as une blessure de guerre ? — Mais je me suis fait ça au combat ! — Tu veux dire que tu avoues être un perfide ? demanda le sergent Morduk intrigué. — Mais non j’étais avec Azilor, demandez-lui. Il était là quand ça s’est produit ! » Le sergent Morduk se tourna alors vers le sergent concerné. « Que s’est-il passé au juste ? — C’était il y a un bail putain, repensa le sergent. On rentrait de mission et notre escouade a été prise en embuscade. Des bandits avaient miné la zone, ils nous attendaient les salauds ! Le temps qu’on aille se réfugier dans un bâtiment, il ne restait déjà que deux 232 La Genèse de l’Apocalypse escouades sur quatre. On s’est retranché et on s’est défendu comme des lions en attendant les renforts mais on était coincé, cloué sur place par les tirs. Au bout de longues minutes de combat acharné, il restait plus qu’une poignée d’entre nous. C’est à ce moment-là que Bâtard s’est pris un tir de canon radius qui l’a blessé. Ces traces de brulures viennent de là, assura le sergent Azilor. » Le sergent Morduk resta planté là quelques secondes comme une statue de pierre, puis émit un grognement de mécontentement. « Hum. Je vous crois sergent. Dans tous les cas je devrais faire un rapport sergent Azilor, on n’enrôle pas des inconnus comme ça dans la milice repentrice. Enfin bref, veuillez m’excusez soldat », lâcha à contrecœur le sergent bourru. Ce dernier tordit la poignée de fureur en ouvrant la porte à Bâtard. « Merci, s’exprima le soldat lavé de tout soupçon en essayant de rester à distance respectable du sergent nerveux. — Au fait, nous sommes le sergent Morduk et Torkus, des evocatis », expliqua l’evocati sur un plus ton conventionnel. Les deux sergents s’éloignèrent sans un mot de plus dans un silence pesant. « Putain chui désolé, je pensais pas qu’une simple conversation puisse prendre une tournure pareille. T’aurai dû voir sa gueule quand il s’est mis à te chercher dans tout le bâtiment, s’exprima le sergent Azilor après un temps de suspense. — Ouais pas grave et désolé, je me rappelle plus très bien de ce qui s’est passé. Je suis allé boire hier soir et je me suis retrouvé dans les chiottes. Un nouveau trou noir et je me réveille ici, quelle histoire ! — Tu l’as dit. Mais ne fais pas attention au sergent Morduk. C’est un bon soldat mais il est un peu paranoïaque sur les bords. — Pas de soucis, je comprends, assura Bâtard. — Ok, sinon ça va mieux ton dos ? — Oui merci, la blessure se guérit plus vite que je pensais, j’ai presque plus mal. 233 La Genèse de l’Apocalypse — Tant mieux, dans ce cas suis-moi, nous avons des recrues à entrainer et des cadavres à acheminer. — Merde j’ai dormi combien de temps ? Lâcha Bâtard. — Ah oui c’est vrai tu n’étais pas là. Beaucoup de choses se sont passées pendant que tu t’étais éclipsé. Viens suis-moi »… Il devait être approximativement une heure trente lorsqu’un cri strident se fit entendre et que le faucon palatin se posa sur l’épaule de son maitre. « Tenez-vous prêts », lâcha le chef des dépravés en direction de ses guerriers et des compagnons. S observa alors attentivement les guerriers se mettre en place. Le chef barbu sortit son épée de son fourreau. C’était une lame de mauvaise qualité, presque rouillée, mais finement aiguisée. Achranak leva l’arme bien en vue des dépravés un peu plus à droite pour informer à ces derniers que le combat était proche. Il la planta ensuite au sol, informant que le combat allait commencer. S regarda avec étonnement et curiosité tous les dépravés imiter leur chef et planter leurs lames autour d’eux. « C’est le rituel du pied posé, expliqua Achranak aux compagnons quelques mètres derrière. Nous plantons nos lames dans la terre. Nous ne les reprenons que pour nous battre au corps à corps. Ce rituel nous a été appris par les dépravés qui nous ont sauvés. Ils nous ont expliqué de le perpétuer dans des situations de défense à distance comme celle-là, pour une raison symbolique que je n’ai pas le temps de vous expliquer maintenant. » Le dépravé se tut rapidement, tandis que des bruits de pas et de voix se faisaient entendre à une distance qui paraissait à la fois lointaine et proche aux oreilles de l’insongeable. Ce dernier regarda autour de lui. Les dépravés étaient complètement camouflés. Seules quelques flèches sortaient des buissons, comme pour marquer la présence des guerriers en position de tir. Les repenteurs n’avaient aucune chance, se dit intérieurement S. Ils attendirent des secondes qui parurent des heures, tandis que les oiseaux piaillaient tout autour d’eux. 234 La Genèse de l’Apocalypse S se rapprocha un peu des buissons sous le regard protecteur des guerriers l’accompagnant et put alors enfin observer les repenteurs qui s’approchaient. Le groupe était composé de trois escouades de repenteurs. Les deux premières étaient menées par le sergent le plus vieux des deux, surement pour montrer l’exemple. Le deuxième sergent était juste derrière avec son escouade. Les informations étaient presque justes. En effet, derrière les escouades, quinze forçats portaient de lourdes espèces de charrettes remplies de vivres en tout genre auxquelles ils étaient accrochés. Ils étaient vêtus de lourdes toges gris perle surmontées de capuches tombantes. D’épaisses lignes noires formaient le contour d’une croix sur ces dernières. C’était la croix du tribut. Elle était portée par les tributaires, les esclaves au service du Deuservitus. Le Deuservitus était un organisme essentiel dans la machine de guerre repentrice : il était chargé de trouver des sources d’esclaves et de les parquer, entre autres, dans les cités ou planètes alvearium ; ces lieux sordides où les hommes et les femmes travaillaient jusqu’à leur mort et dans des conditions inhumaines pour la machine de guerre repentrice. C’était précisément le rôle des brigades byzantium et de leurs brigadiers, dont le losange de fer en était l’emblème. Le but de ces derniers était donc de trouver de nouveaux esclaves en sillonnant les terres sauvages, ce qui pour eux n’était qu’un jeu. Les esclaves n’étaient en général pas envoyés grossir les rangs de la machine de guerre repentrice mais devenaient tributaire de cette dernière, qu’il fallait continuellement abreuver de ressources. Ainsi les tributaires servaient de main d’œuvre pour les tâches les plus dangereuses. Pour les repenteurs leur vie n’avait aucune valeur, si ce n’était une valeur marchande. Ainsi ils travaillant dans les mines, les usines, et parfois même sur des astéroïdes en plein milieu de l’espace. 235 La Genèse de l’Apocalypse Certaines grosses structures repentrices avaient parfois besoin d’une main-d’œuvre conséquente et coordonnée, et c’était dans ce type cas que des cheptels entiers étaient réquisitionnés. Ils étaient l’équivalent d’énormes troupeaux, forts de cinquante mille esclaves en moyenne et pouvaient, par exemple, former des immenses cités alvearium ou bien être réquisitionné à des fins militaires. Dans ce deuxième cas les tributaires suivaient les armées repentrices dans leur sillage, s’occupant la plupart du temps de tâches logistiques et autres besognes de ce genre. Si un esclave était docile pendant un certain temps, il pouvait avoir la chance de quitter le Deuservitus pour rejoindre d’autres branches repentrices, selon ses capacités. Il pouvait ainsi devenir infirmier tributaire ou rafistoleur tributaire. Il se pliait ensuite à toutes les volontés de son maitre et le servait de la meilleure manière qu’il pouvait. Ces tributaires-ci semblaient souffrir le martyre et suer le burnous dans leurs épaisses toges. Le cortège arriva rapidement devant le premier groupe de dépravés, où se trouvaient les compagnons et Achranak. Ce dernier commença à bander son arc, suivi en silence de tous ses camarades présents. L’insongeable retint son souffle et les guerriers attendirent par respect que leur chef tire le premier. La trajectoire de l’arc du chef de tribu suivait alors le premier sergent. Les escouades étaient approximativement entre les deux groupes de dépravés lorsque Achranak lâcha la corde de son arc. La flèche partit tellement vite que l’insongeable ne l’aurait pas remarqué si le projectile n’avait pas transpercé de part en part le cou du sergent de tête. Une volée de flèches fusa aussitôt des buissons, chacune faisant mouche l’une après l’autre. Ils avaient bien compris le conseil de Krag, le coordinateur faisant en effet partie des premières victimes des dépravés. 236 La Genèse de l’Apocalypse S dégaina son katana, prit son basaltic eagle en main et les protecteurs sortirent de leur cachette. Le groupe le plus éloigné lâcha une autre volée de flèches, tandis que les compagnons suivis des autres dépravés s’élançaient au combat. Les deux protecteurs en première ligne protégèrent ainsi les dépravés en se prenant à leur place les radius épars des soldats terrifiés et surpassés par la vitesse de l’attaque. D’un coup de poigne du Concasseur, Krag balayait trois repenteurs comme de vulgaires pantins pendant que son frère en découpait deux autres dans une effusion de sang et de cris. Un cor résonna et S suivi les dépravés qui se ruèrent vers les survivants. L’insongeable transperça le torse de deux soldats alignés d’une balle de basaltic eagle bien placée, avant de parer avec facilité la bayonnette d’un autre repenteur qui le chargeait avec frénésie. L’insongeable le contra, lui coupa l’avant-bras puis la tête dans une rage meurtrière. À ses côtés, Achranak se mesurait en combat singulier avec le deuxième sergent tandis que les repenteurs encore en vie se faisaient massacrer avec animosité par les lames et les projectiles des dépravés. Les deux opposants étaient de bons bretteurs, mais la force était du côté du dépravé, moins fatigué et plus empli de volonté que son adversaire. Après un enchainement extrêmement rapide que S ne parvint pas à suivre, le sergent au teint mat tenta un coup désespéré envers son ennemi en essayant de l’empaler de façon étrangement feintée. Achranak esquiva au dernier moment sur la droite, suivis des yeux par toute sa tribu. Il planta sa lame dans le dos de son ennemi tandis que ce dernier essayait de se retourner malgré la force qu’il avait mise dans son coup. Le sergent tomba ensuite en avant dans un cri de douleur à donner la chair de poule tandis que l’Hégémon délogeait l’arme du corps de son ennemi en se servant de son pied comme appui. 237 La Genèse de l’Apocalypse Achranak se mit lentement devant son ennemi à genoux agonisant et lui attrapa le cou. Il le souleva à un mètre du sol et lui planta de toutes ses forces sa lame en plein cœur, tellement fort que le sergent fut soulevé vers le haut. Lui tenant toujours le cou, il enleva la lame du corps du repenteur dans une énorme giclure de sang puis le jeta sur le dos, laissant un trou béant à l’endroit où se trouvait auparavant son cœur. « Bien, commença le chef de tribu tandis que ses guerriers le regardaient avec fierté. Libérez les esclaves et dites-leur qu’ils sont libres. — Et les cadavres ? demanda une dépravée. — Laissez-les là. Ils nourriront les charognards. Ils ne méritent pas qu’on les enterre dans une terre qu’ils souillent par leur existence même. De plus ils ne feraient pas ça pour nous, donc nous ne le ferons pas pour eux. » La guerrière acquiesça et tout le monde s’approcha des tributaires. Ces derniers semblaient terrorisés et s’étaient cachés comme ils le pouvaient sous leurs charrettes. Krag fut le premier à libérer un des esclaves. Ce dernier resta figé de tétanie quand le guerrier en armure s’approcha de lui. « Ne me tuez pas, supplia le forçat. Prenez la cargaison je ne dirai rien aux repenteurs, ajouta les larmes aux yeux l’homme au visage lacéré. — Ne t’inquiète pas, répondit le carmin le plus amicalement qu’il pût. Nous ne sommes pas ici pour vous tuer. Les ennemis de nos ennemis sont nos amis. » Sur ces mots le carmin prit la chaine entre ses deux mains et la cassa d’un coup sec, comme si c’était un jouet. Une larme coula alors sur le visage asséché de l’homme plus que surpris. « Merci, réussit à prononcer ce dernier tandis que les dépravés Zabyss et l’insongeable se dépêchaient de libérer les autres tributaires effarés. — Aucun mort ni aucun blessé, se félicita l’Hégémon. Cela ne se serait pas passé comme ça sans votre aide chers amis, lança-t-il 238 La Genèse de l’Apocalypse aux protecteurs et à l’insongeable. Nous avons bien fait de vous faire confiance. — Merci », répondit l’insongeable au nom des compagnons tandis que ses deux protecteurs s’affairaient à libérer les derniers tributaires des repenteurs et de leurs chaines. C’est à ce moment-là que le cri d’un faucon palatin se fit une nouvelle fois entendre. Le volatile vint se poser sur l’épaule de l’Hégémon, aussi étonné qu’affolé. « Remettez-vous tous en position ! » ordonna Achranak avec précipitation. Tout le monde retourna à son poste en courant, suivi des près par les tributaires affranchis dépassés par la situation. Le sol se mit alors à trembler d’une manière rythmée. « De la cavalerie ! » comprit Zabyss avec étonnement. S put rapidement les distinguer au loin. Des silhouettes brillantes arrivaient en effet de la même direction que les repenteurs qui venaient de se faire exterminer. Ils portaient une armure semblable aux chevaliers de l’époque féodale. Des lances de cavaleries et des boucliers faisaient aussi partie de leur équipement. Leurs pièces d’armure et celles de leurs montures étaient faites en eluzirium et étaient portées par-dessus des sous-tenues en tissu thermoréplétif. Le soleil se reflétait sur leurs armures, faisant briller ces dernières de mille feux et rendant leur posture éblouissante. Zabyss était étonné par l’allure à laquelle ils avançaient malgré leurs lourds accoutrements. Tandis que les cavaliers s’approchaient encore un peu plus des compagnons Zabyss reconnut que ces derniers faisaient partie d’un des ordres de chevaliers de l’Atrium. Ainsi à chaque fois qu’une femme d’une maison de la noblesse repentie se mariait et faisait des enfants, le premier garçon et la première fille lui étaient retirés. Tandis que la fille était confiée aux sœurs, le garçon était confié aux chevaliers. 239 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier recevait une alliance de chevalier à la place de celle de noble et devenait par cette occasion un cavalier de la machine repentrice. Les chevaliers étaient réunis en différents ordres, chacun ayant une histoire, une livrée, et une façon de combattre différente. Ceux-ci faisaient partie de l’ordre des immaculés, un des ordres parmi les plus dévoués et respectés. Cet ordre entretenait en effet un lien étroit avec les hauts dirigeants de l’Église repentrice et était utilisé lors de missions nécessitant de la confiance, de l’efficacité et de la discrétion, ce que recherchait le clergé de l’Église repentrice. Ils servaient par exemple de messager pour les informations les plus confidentielles, l’entité préférant utiliser de vrais coursiers pour transporter des informations sensibles plutôt que d’usiter les moyens de communication modernes et passer par le circuit machiniste. Les chevaliers étaient donc six, deux de front, et pointaient leurs lances vers le ciel. Leur démarche semblait essayer de cacher une extrême fatigue visible même de la position du flamboyant. C’était comme s’ils se retenaient de tomber de leurs selles. Leurs lames plantées dans le sol, les dépravés attendirent une nouvelle fois que leur chef tire. Les compagnons s’étaient rapprochés d’Achranak. « Essayez de tirer dans les jointures, vous ne percerez pas leur armure », expliqua Krag assez fort pour que les dépravés l’entende. C’était la première fois que S voyait ces cavaliers à l’allure impériale. Ils étaient coiffés de heaume mélangeant la coiffe d’un haut ponte religieux et celle d’un chevalier de haut rang. Le bras du chef de tribu commença à trembler. La flèche traversa finalement l’air dans un sifflement et atterrit dans le cou d’un des chevaliers galopant comme s’il avait le diable aux trousses. Les flèches de ses frères et sœurs eurent, quant à elles, moins de succès. 240 La Genèse de l’Apocalypse Les deux protecteurs se mirent ensuite sur la route des chevaliers tandis que deux cadavres étaient violemment trainés par terre, les pieds entravés dans les étriers de leurs montures. Krag esquiva la lance d’un premier chevalier et donna un fracassant coup de marteau dans le torse du guerrier. Ce dernier s’envola en arrière, son armure déformée écrasant ses poumons. Le carmin l’acheva tandis que l’homme essayait de dégainer son holy eagle. À ses côtés, le flamboyant poussa la lance d’eluzirium de son adversaire vers le bas pour qu’elle se plante dans le sol. L’immaculé fut soulevé à son insu et tomba lourdement par terre. Il se releva et sortit avec célérité son épée repentrice de son fourreau. Sa lame rencontra Kolkan dans de grosses gerbes d’étincelles. Ils étaient tous les deux de bons bretteurs mais le chevalier était mieux entrainé et plus rapide malgré sa fatigue, tandis que Zabyss avait encore du mal à manier la lourde épée de Tiradarkan. Le combat continua tandis que Krag s’apprêtait à accueillir comme il se devait les deux autres chevaliers, soutenu par les tirs des dépravés et de l’insongeable. Les chevaliers s’étaient barricadés derrière leurs lourds boucliers et les flèches ne firent pas mouche. S tira en direction du cavalier de tête. Les trois balles atteignirent son armure et la traversa en partie, blessant ainsi le cavalier. La force du choc le poussa en arrière et faillit faire tomber l’immaculé de son cheval. Krag en profita pour agripper son adversaire par le bras lorsque ce dernier fut à son niveau et le tira violemment par terre dans un craquement à donner des frissons. Le carmin se tourna ensuite vers le cavalier mais n’eut pas le temps de l’achever. En effet, une lance toucha de plein fouet son épaulière. La lance ripa sur son armure mais le protecteur fut violemment projeté sur le côté, sonné et engourdi par le choc. 241 La Genèse de l’Apocalypse Le chevalier descendit rapidement du cheval tandis que les dépravés s’élançaient à sa rencontre… Un cheval sans cavalier projeta sauvagement les deux hommes par terre. Zabyss essaya de ramasser son arme mais l’homme à l’armure illuminée par le soleil lui fonça dessus en essayant de le toucher de sa lame en forme de croix. Le flamboyant esquiva au dernier moment et dégaina un de ses blazing eagle dans une rapidité fulgurante. Le protecteur se rapprocha du sol et esquiva un autre coup porté plus bas. Il tira ensuite le plus vite qu’il pût en direction du chevalier. Ce dernier tomba lui aussi par terre la tête en avant, les sept balles de blazing eagle l’ayant stoppé net. L’immaculé planta sa lame dans le sol dur presque jusqu’à la garde, hurlant tout d’un coup de douleur. Sa bouche, seule partie visible de son visage, se déformait sous la douleur dans d’atroces rictus. Zabyss se releva de façon douloureuse et tira sans sommation une balle dans la bouche de son ennemi, mettant ainsi fin à ses souffrances… Krag avait la vision brouillée et vit une lame se lever au-dessus de lui. Une forme ailée arriva sur la tête de l’immaculé tandis que le carmin essayait de se relever. Un faucon palatin était en effet en train de picorer les yeux du cavalier et le carmin en profita pour empoigner le guerrier et le plaquer par terre. Il entendit la respiration de ce dernier se couper net tandis que le cavalier touchait le sol. Du sang coulait des orifices qui furent autrefois ses yeux. Il essaya de donner un coup de poing aveugle en direction du protecteur mais ce dernier l’arrêta. Krag le serra de toutes ses forces en lui broyant les doigts. 242 La Genèse de l’Apocalypse Il lui mit une série de coups de poing pointus qui arrachèrent son grand heaume et l’assomma. Krag empoigna ensuite le chevalier, une main au niveau de l’entre-jambes une au niveau du cou, lui mit la tête vers le bas et sauta par terre avec lui de tout son poids. Le chevalier eut le cou brisé net dans un angle presque improbable, rendant l’âme dans un craquement retentissant. Le protecteur eut à peine le temps de se relever que des coups de feu se firent entendre. Il se retourna et vit trois dépravés tomber par terre, morts sur le coup. Le chevalier que le carmin n’avait pas achevé était encore debout. Ce dernier se jeta brutalement dans la mêlée, se battant comme un lion en esquivant les lames qui essayaient de mordiller son armure. Les deux protecteurs se mirent à courir vers lui alors que le chevalier rejoignait la position de l’insongeable à grand coup de moulinets… S tira deux balles dans le torse du chevalier avant qu’il n’arrive sur lui et para ensuite sa lame. Le coup fut tellement puissant qu’il envoya virevolter son katana sur le côté. Les flèches se plantaient sans effet dans l’armure du chevalier qui était encore plus renforcée que celle de ses confrères. L’insongeable profita d’un coup trop haut pour s’approcher de son ennemi en esquivant à son tour une attaque, sortant par la même occasion son couteau de son bras. Il le planta de toutes ses forces dans la jointure du chevalier au niveau du coude intérieur. L’enragé lui mit aussitôt une écrasante droite de son autre main, engourdissant de ce fait toute la mâchoire de l’insongeable. S lui répliqua par un uppercut désespéré qui éloigna un peu le protagoniste. Une tronçonneuse transperça alors le ventre du chevalier en s’allumant dans un horrible crissement qui finit par déchiqueter les entrailles de son propriétaire. 243 La Genèse de l’Apocalypse Le chevalier hurla, Zabyss délogeant Écorchegloire du malheureux tandis que le carmin le poussait à terre. Dans un hurlement de rage qui résonna dans toutes les lointaines montagnes alentour, le carmin détacha la tête de l’immaculé de son torse dans un accès de folie meurtrière. « Ça va ? demanda un instant plus tard le carmin à l’insongeable encore sous le choc de la démonstration de force de son protecteur. — Oui merci, mais ça s’est joué à peu de choses. T’es arrivé au bon moment. — Pardonne-moi, s’excusa l’homme d’une voix qui en disait long sur le fait qu’il s’en voulait. J’aurai dû être plus prudent. — C’est pas grave », lâcha S d’un ton amical tandis que l’autre protecteur et les dépravés s’approchaient. Réunis, les compagnons se tournèrent vers les dépravés. Ces derniers étaient à la fois impressionnés et apeurés par la puissance des protecteurs. « Cinq de mes guerriers sont morts, lâcha finalement Achranak dont les yeux brillaient de chagrin et crépitaient de désir de vengeance. — J’en suis désolé, sache qu’il ne faut jamais crier victoire trop tôt. La victoire est un plat qui se mange froid et il est rarement un festin, conclut Krag alors que l’insongeable ne savait pas quoi dire. — Merci, j’en tiendrai compte au futur. — Occupez-vous de vos morts, ordonna Zabyss aux guerriers d’Aulan. Nous nous occupons des marchandises. Vous, ajouta-t-il en direction des tributaires, aidez-nous à amener ces chariots au château. » Les hommes et femmes se mirent aussitôt au travail sans broncher, contents de pouvoir remercier leurs sauveurs. « Ne vous inquiétez pas, rassura Krag en parlant à Achranak. Vous leur avez sauvé la vie, je doute qu’ils ne vous trahissent un jour. » 244 La Genèse de l’Apocalypse Ce dernier hocha positivement de la tête pendant que Zabyss faisait signe aux esclaves libres d’accélérer le pas pour éviter de tomber sur d’autres forces ennemies… Le nageur oxygersien Jidilius était retourné sur la plage avec ses confrères Azilor et Bâtard. Le soldat transpirait à grosses gouttes dans sa tenue en drakonicine alors qu’il enterrait un énième cadavre. Il venait de recouvrir une tombe de fortune lorsqu’il reçut un message dans son alliance expiatrice. Il se concentra aussitôt pour en déchiffrer le message. Azilor le regarda, se demandant ce qu’il faisait. « Je dois rentrer au QG, apparemment Marseille a besoin de tous les hommes disponibles dans les plus brefs délais. — Ah bon, tant que ça ? demanda le sergent avec étonnement. — Oui, la situation a l’air grave là-bas. Je suis désolé, je dois me dépêcher. Dites aux sergents Morduk et Torkus que ce fut un plaisir, et bonne chance pour vous ! — Merci, lâcha sincèrement Azilor. — On repart pour Marseille, ordonna le sergent des nageurs de combat d’une voix forte. Le Prince Belliciste quémande notre aide. » Les nageurs de son escouade, tous en train d’enterrer des cadavres, s’arrêtèrent aussitôt et abaissèrent leurs casques sous-marins. Le nageur oxygersien Jidilius se retourna un dernier instant vers les repenteurs sur la plage, salua ses camarades puis se tourna vers la mer. Les nageurs déployèrent leurs palmes et s’enfoncèrent dans l’eau azuréenne. Ils disparurent ainsi dans les flots de la mer Méditerranée, sous le vif soleil du milieu d’après-midi… Le marcheur venait de se réveiller dans un état comateux, comme perdu dans une brume impénétrable. 245 La Genèse de l’Apocalypse Il était dans une espèce de cage en verre, cette dernière étant reliée à l’extérieur par des tuyaux. Quand elle vu qu’il reprenait ses esprits une silhouette injecta aussitôt un produit dans un des tuyaux, ce qui eut pour effet de renvoyer le marcheur solaire dans un sommeil profond. Malgré le fait qu’ils aient stabilisé son état, il restait entre la vie et la mort. L’apothicaire restait sceptique quant à son avenir. En effet d’après les observations de ce dernier le lobe pariétal du marcheur avait été durement touché. Lui et quatre infirmiers tributaires étaient en train de pousser son lourd brancard vers l’hélicoptère qu’avaient dépêché les responsables du projet Deathwalker. Ils arrivèrent ainsi devant un S 41, un repentor qu’utilisait l’Église machiniste. Similaire à son cousin utilisé par la milice repentrice mais dépourvu de système de défense apparent, cet hélicoptère refermait en fait en son sein un concentré jalousement gardé de technologies quasi secrètes. Sur sa coque rouge, noire jaune et métallisée, on pouvait distinguer la roue de la Révélation. Cette dernière était une des dix roues fondamentales de la mystérieuse Église machiniste. Les dix roues fondamentales étaient les suivantes : la roue de la Révélation, la roue de l’Évolution, la roue de la Destruction, la roue de l’Élévation, la roue de la Magnétisation, la roue de la Polarisation, la roue de la Thermolisation, la roue de l’Illumination, la roue de l’Obsécration et pour finir la roue de la Nictation. Les premières lettres des dix roues formaient ainsi le mot rédemption. La rédemption, concept présent dans l’Église repentrice et encore plus chez sa cousine machiniste, était parfaitement représentée par l’exemple des roues fondamentales. La roue de la Révélation était ainsi un engrenage denté et noir dans lequel une forme de visage aux couleurs jaunes, rouges et métallisées était formée par une suite ingénieuse de R et d’autres formes propres aux machines et à l’Église machiniste. 246 La Genèse de l’Apocalypse Un des deux yeux de la forme ressemblant à un visage était l’œil du créateur tandis que l’autre était l’œil de la machine humaine, un œil cybernétique rouge qui symbolisait l’osmose entre l’homme et la machine qu’essayait d’atteindre l’Église machiniste. Un machinomancien les attendait devant l’hélicoptère. Les machinomanciens étaient les membres les plus connus de l’Église machiniste. En effet ces guerriers au service de la technologie étaient souvent sur le champ de bataille en train de se balader au milieu du combat tel des géants immortels. Leur rôle était la plupart du temps de protéger les ravaudeurs qui réparaient les véhicules des repenteurs et emmenaient en arrière de la zone de combat les corps des membres de l’Église machiniste. Surpassant de loin les mécaniciens classiques, ces derniers pouvaient parfois même faire marcher des épaves totalement annihilées par le feu des combats. Ces deux types d’unités disposaient d’un équipement puissant et technologiquement avancé. Ils portaient en premier lieu des armures carapaces. Ces dernières étaient composées d’un enchevêtrement d’un matériau aussi étrange que résistant et que presque seule l’Église machiniste utilisait : l’eluzirium. Un peu moins résistant et lourd que le trinitium, ce matériau n’en était pas moins extrêmement robuste. Les armures carapaces laissaient plus d’aisance à leurs porteurs qu’à ceux des cuirasses de trinitium. C’est grâce à ces armures singulières aux couleurs de l’Église machiniste que machinomanciens et ravaudeurs ne passaient jamais inaperçus sur le champ de bataille. Leurs heaumes complets étaient la continuité de leurs armures carapaces, laissant juste une place pour leurs deux yeux. Un de ces derniers était normal, un œil du créateur peint autour de l’orifice au niveau du casque, tandis que l’autre était un implant machiniste. 247 La Genèse de l’Apocalypse En effet à la fin de leur entrainement les membres de l’Église machiniste se faisaient remplacer un de leurs yeux par un implant, prouvant ainsi de cette manière leur dévouement à cette dernière. Ce rituel était officiellement et ironiquement appelé le « dévouement aveugle ». L’œil de ce machinomancien était rouge, la couleur la plus courante parmi les membres de l’Église machiniste. Le machinomancien leva son arme à leur arrivée, mais l’abaissa quand il comprit ce qu’ils transportaient dans leur prison de verre. Il les avait braqués avec une arme à deux mains assez imposante : un shrapnelwerfer, assez courant parmi les rangs de l’Église machiniste. Elle tirait des disques dentelés, coupants et mortels. Les projectiles semblables à de petits morceaux de shrapnel étaient en fait une version de la taille d’une main de la roue de la Destruction, une des dix roues fondamentales de l’Église machiniste. Cette puissante arme était capable de transpercer un homme jusqu’à une distance de cent mètres. « Bonjour, commença l’apothicaire, je… — Je sais pourquoi vous êtes là », coupa une étrange voix qui semblait dénuée de sentiments. Il se tourna vers l’hélicoptère et l’ouvrit d’un geste sec. Une équipe de ravaudeurs en sortit aussitôt. Les étranges hommes en armures carapaces légères portèrent rapidement le marcheur solaire dans l’hélicoptère tandis que l’apothicaire essayait de jeter un coup d’œil à l’intérieur de l’appareil, qui semblait assez exigu à cause des nombreuses machines obstruant le passage. Mais il n’eut pas le temps d’en voir plus. Ainsi, sans un mot, le machinomancien remonta dans le repentor à la suite des ravaudeurs et ferma la porte dans un bruit sourd. Alors que le cortège blanc repartait vaquer à ses occupations, l’homme de tête se demandait s’il avait fait le bon choix de mettre sa vie en jeu de la sorte. Seul l’avenir nous le dira, pensa-t-il alors… 248 La Genèse de l’Apocalypse Après plusieurs heures de délibération, la cinquantaine de survivants de la tribu du val Masqué s’était enfin mis d’accord. Zagor et les six autres veilleurs fatigués les attendaient le cœur battant. Ils allaient enfin savoir si leurs cousins allaient leur venir en aide ou non. « Alors ? » demanda le grand veilleur, impatient. Silith vint à sa rencontre, suivi de toute sa tribu. « C’est oui, mais à plusieurs conditions. — J’écoute. — La première est que si nous n’attaquons pas dans les sept jours, nous attaquerons de nous-mêmes. La deuxième est l’hospitalité, nous n’avons plus de foyer et nous avons besoin d’un endroit pour nous reposer et nous soigner. Et la troisième est l’armement, nous n’avons presque plus rien pour nous battre. — Et laissez-nous notre liberté aussi, ajouta sèchement Onex. Nous ne voulons pas être sous vos ordres. Nous restons une tribu et nous n’avons de compte à rendre à personne. — Ne vous inquiétez pas pour ça, répondit calmement le grand veilleur. Nous vous respectons et nous vous demanderons votre avis à tous avant la moindre action. Je vous l’assure, conclut finalement le dépravé. — D’accord, approuva le dépravé avec hésitation. — Moi et mes frères sommes d’accord sur vos conditions, qui sont tout à fait fondées et logiques. Si quelqu’un est contre cette décision qu’il en fasse part sur le champ ou qu’il se taise à jamais », finit le grand veilleur. Il attendit plusieurs secondes et aucune réaction ne se fit entendre. « Le pacte est scellé », lâcha finalement Zagor. Silith s’approcha de lui avec un petit sourire en coin. Ils s’empoignèrent l’avant-bras à la manière des guerriers d’antan, scellant définitivement le pacte liant désormais les deux tribus… 249 La Genèse de l’Apocalypse Ils étaient finalement arrivés sans encombre au château d’Aulan. Les compagnons avaient ensuite fait un point sur les marchandises rapportées dans la cour du château tandis que les dépravés s’occupaient de leurs morts. Les charrettes transportaient de nombreux vivres en tout genre : nourriture, matériel de survie et de soin, eau, armes, munitions et pour finir le précieux carburant qu’était le skotadistilla. Les compagnons avaient été chanceux, ils avaient trouvé ce qu’ils voulaient. L’insongeable chargea son sac de provisions, tandis que les protecteurs répartissaient astucieusement la nourriture et l’eau sur leur armure même. Les deux protecteurs rangèrent ainsi les provisions dans leurs ceintures et autres emplacements aménagés pour l’occasion. Celui qui était devenu le porte-parole des esclaves libérés était venu parler à l’insongeable, tandis que les protecteurs aidaient les autres hommes et femmes à décharger les marchandises tout en gardant un œil sur lui. « Comment pouvons-nous vous remercier, vous tous ? » demanda le forçat libéré à l’insongeable. Une lueur d’espoir était née dans les yeux noirs de désespoir de l’homme à forte carrure depuis qu’il avait été libéré. « Il n’y a qu’une seule solution, commença S en marquant une pause tandis qu’il essayait de trouver ses mots. Bats-toi, et meurs s’il le faut, pour la liberté. Bats-toi en te disant que tu as la chance de pouvoir le faire. Un jour, nous reviendrons avec assez de moyens et de force pour vous soutenir. Préparez-vous pour ce moment et vos efforts seront enfin récompensés. En attendant ce moment résistez contre les repenteurs, ne prenez pas de risques inutiles et n’oubliez jamais pourquoi vous vous battez : la liberté absolue. — Je prends note de ces sages paroles, acquiesça l’homme. Je ne vous oublierai pas, vous et vos guerriers immortels en armures. Ni ces dépravés d’ailleurs. Quand vous viendrez reprendre votre dû sur ces chiens, nous vous suivrons dans les méandres de l’enfer s’il le faut. 250 La Genèse de l’Apocalypse — Nous sommes en plein dedans, cette terre est l’enfer. Je vous assure que vous me suivrez dans des endroits encore plus ardents que l’enfer, lâcha l’insongeable étonné par ce qu’il venait luimême de dire. — Je vous y suivrai ! lâcha l’homme empli de bonnes volontés. — Merci. Au fait, tutoie-moi, demanda S amicalement. Viens, allons aider les autres. » L’homme acquiesça et ils allèrent aider leurs compatriotes… Les veilleurs avaient mis en place le décor pour leurs désormais amis du val Masqué, sauf Larok qui était quant à lui parti se faire un nouvel arc. Ils leur avaient conté la mort de tout le reste de leur tribu ainsi que certaines autres histoires qu’ils ignoraient jusqu’à maintenant. Lergoragor leur avait ensuite expliqué pourquoi ils ne devaient pas regarder les tigres gris dans les yeux. Les veilleurs avaient aussi parlé de leur alliance avec les frères Syndrakona, et toutes les autres choses qu’ils avaient besoin de savoir. Leur rage envers les repenteurs un peu plus ancrée dans leurs cœurs, les dépravés des deux tribus s’étaient ensuite réunis pour boire de l’espadassine. Ainsi tandis que les blessés étaient soignés les dépravés en profitaient pour faire plus ample connaissance. Zagor guettait quant à lui le coin de la rue d’une fenêtre isolée, assoupi contre cette dernière. Il repensait à son meilleur ami Kwor et ses yeux se mouillaient de tristesse. Zagor sécha ses larmes tandis qu’il essayait de ne pas penser à tous les bons moments et souvenirs que les repenteurs avaient balayés en une fraction de seconde. Toutes ces parties de chasse, ces bons moments enfouis à tout jamais dans son esprit. Il mit cette pensée de côté pour le moment. Il sentit alors une présence derrière lui et se retourna. 251 La Genèse de l’Apocalypse C’était la toute nouvelle Hégémone du val Masqué, Silith. Sa peau était verte, comme la plupart des dépravés, mais d’un vert différent. Il était sombre, presque autant que ses vêtements tissés d’un brun terreux. Ses yeux étaient du même violet que ceux du grand veilleur. Zagor était étonné de trouver quelqu’un ayant la même couleur d’yeux que lui. Le dépravé n’en connaissait pas la cause, mais lui et les siens étaient dissemblables des humains. Eh effet, ils étaient différents sur le plan physique, même s’ils étaient génétiquement et intellectuellement comparables à leurs cousins. Leur peau était la plupart du temps d’un vert avocat, leurs ongles plus crochus que les humains, leur silhouette plus élancée et leurs sens généralement plus développés. Le dernier point qui différenciait les dépravés des hommes était leurs yeux. Ainsi ceux des dépravés étaient parfois composés d’étranges et singulières couleurs, tels que le jaune ou le rouge, et étaient semblables à ceux des reptiles dans leur forme. Malgré cela, le grand veilleur n’avait jamais vu quelqu’un ayant cette couleur d’yeux. Selon le défunt Agiex cette couleur symbolisait une grande destinée. « Je sais ce que c’est de perdre un être cher, lâcha-t-elle tendrement en direction de Zagor tout en mettant une de ses mains sur son épaule. J’ai perdu toute ma famille ainsi que presque toute ma tribu en un claquement de doigt. Nos différents clans, si éloignés, ont connu une tragédie similaire. — Je suis désolé », lâcha la voix sincère de Zagor qui regardait droit devant lui tel une sentinelle de pierre. Tout à coup, sans aucun signe avant-coureur, Silith tomba en sanglots dans les bras de Zagor. Ce dernier la rattrapa juste avant qu’elle ne tombe par terre. 252 La Genèse de l’Apocalypse Il l’enserra dans ses bras puissants sans un mot, luttant lui aussi pour ne pas tomber en sanglots. Il ne trouva aucun mot pour la consoler, lui caressant simplement les cheveux pour essayer de l’apaiser. Dans les bras de Zagor, elle ressemblait à une enfant consolée par son père. Après de longues minutes, l’Hégémone arriva à calmer un petit peu son chagrin. Zagor sécha ses larmes avec soin. Un petit sourire en guise de remerciement, elle essaya de prendre la parole avec grande difficulté. « Est-ce que le soigneur de votre tribu est mort lui aussi ? Je me rappelle parfois de lui, je l’avais vu quand j’étais petite. Il était si gentil. — Oui, répondit Zagor dans un soupir d’impuissance. Malheureusement Agiex était avec eux quand ils sont tombés. Il ne reste que nous. » De petites larmes coulèrent à nouveau sur le joli visage de Silith. « La seule chose que je peux te dire pour te consoler, et c’est la vérité, est que Seurg va s’en sortir. — Merci », répondit-elle avec un sourire timide. Elle l’étreignit avec force sous ce soudain regain d’espoir. Zagor mit sa main dans ses cheveux et sa tête au-dessus de la sienne pour la réconforter. Ils restèrent ainsi un long moment à observer le silence tandis que le soleil se rapprochait de l’horizon… Les repenteurs avaient à peine enterré le dernier cadavre q’une dizaine de cornix avaient fait leur apparition à l’ouest. La vingtaine de repenteurs s’étaient regroupés autour du sergent Azilor tandis que les hélicoptères se posaient les uns à côté des autres sur le goudron bordant la plage. La marque de l’Obitus, la clef de la grande voute, était peinte sur tous les hélicoptères. Elle représentait ainsi une simple clef de voute en demi-cercle, dont l’arrière-plan bleuté était parsemé d’étoiles blanches. 253 La Genèse de l’Apocalypse Les corbeaux sortirent rapidement des cornix en portant leurs étranges brancards, sachant parfaitement quoi faire et où aller. « Allez voir s’ils ont besoin d’aide », adressa le sergent aux bleus lui faisant face. Ils s’exécutèrent tandis qu’un homme au masque de corbeau dont le bec était jaune foncé se dirigeait vers les deux inséparables amis. « Bonjour, salua-t-il en se courbant légèrement. Je suis Xenarios, chocard de l’Obitus rattaché à l’ossuaire de Lerins. » Les deux repenteurs se mirent automatiquement au garde à vous. « Sergent Azilor à votre service, lâcha promptement le sergent. Avez-vous besoin d’aide chocard ? — Non merci messieurs, ça ira. Rompez, je suis leur supérieur pas le vôtre », ajouta amicalement l’homme de sa voix posée. Le masque du chocard se tourna ensuite vers Bâtard, qui le regardait d’un air observateur. « Y a-t-il un problème soldat ? questionna l’homme derrière le masque. — Euh, hésita Bâtard. Puis-je vous poser une question ? — Bien sûr, dites, accepta la silhouette d’un ton curieux. — Pourquoi portez-vous des masques ? Pour cacher vos visages ? — Non, commença l’interlocuteur content que quelqu’un s’intéresse à la symbolique de l’Obitus. Simplement car la mort n’en a pas. — Ah d’accord, acquiesça Bâtard satisfait de la réponse. Et pourquoi vous n’avez pas d’armes pour vous défendre sur votre hélicoptère ? enchaina-t-il. — C’est pour ne pas nous donner encore plus de travail », répondit sur un ton presque ironique le masque au bec jaune. Cette dernière réplique arracha un sourire aux visages des deux repenteurs qui ne s’attendaient pas à une telle réponse. « Je vois que mes corbeaux ont presque fini leur travail. Je suis désolé de mettre un terme à cette conversation mais je dois vous quitter. » Sur ces paroles, il les salua et repartit d’un pas lent vers son cornix. 254 La Genèse de l’Apocalypse Tandis que les hélicos disparaissaient aussi vite qu’ils étaient apparus les repenteurs se retournaient vers la plage. Elle était vide de tout cadavre et chaque talus avait été méticuleusement vérifié. Les repenteurs restèrent là quelques instants, bouche bée par la vitesse et l’efficacité à laquelle les membres de l’Obitus avaient rapatrié les cadavres d’environ une centaine de repenteurs… Les dépravés étaient enfin revenus. Ils avaient enterré leurs frères dans un champ non loin. L’Hégémon, la mine triste, arriva au niveau des compagnons tandis que les tributaires étaient restés en arrière-plan. Il prit la parole sur un ton le plus sincère et dénué de tristesse qu’il pouvait. « Merci beaucoup, vous avez rempli votre part du contrat comme il se devait. Combattre à vos côtés fut une expérience unique que ma tribu n’oubliera pas de sitôt. Ma confiance en vous est désormais totale ! Nous avons beaucoup de vivres, prenez-en autant que vous voudrez en plus du carburant que vous recherchiez. — Merci, acquiesça le carmin qui appréciait le geste. Et qu’allezvous faire d’eux ? ajouta-t-il en tournant sa tête vers les tributaires libérés qui se rapprochaient de la conversation. — Nous leur donnerons une partie de notre butin pour qu’ils puissent survivre, ensuite ils seront libres de leurs choix. — Regardez-les, ils sont perdus ! Ils feraient n’importe quoi pour vous remercier. Prenez-les sous votre aile et ils vous le rendront. Les opprimés sont des hommes de bonne mémoire croyez-moi, ajouta finalement le carmin. — Hum, réfléchit Achranak, vous êtes dans le vrai. Mais où les loger ? — Gardez le château et laissez-leur les maisons vides autour, proposa Zabyss. — Oui s’il vous plait ! Nous n’avons plus rien, intervint l’homme qui parlait au nom des tributaires. Prenez-nous avec vous, nous suivrons toutes vos règles à la lettre ! 255 La Genèse de l’Apocalypse — Je vois. » Achranak se retourna vers les membres de sa tribu. Ces derniers acquiescèrent tous doucement après un moment de réflexion. Il se tourna à nouveau vers les tributaires et les compagnons. « J’ai besoin de l’avis de Sertaklys, je reviens. » Achranak partit ainsi à l’intérieur du château tandis que tout le monde restait silencieux dans la cour, attendant le fatidique verdict de la pythie… Le sergent Azilor et les autres repenteurs étaient revenus au reflet. Son confrère evocati Torkus était en train de lire un passage du Piaculum, le codex originel des repenteurs. Azilor avouait ne pas être très croyant et trouvait même parfois la pensée repentrice fausse, mais gardait ça pour lui. Le sergent repenteur ne connaissait que la guerre, et la camaraderie militaire était pour ainsi dire sa seule attache familiale. Les repenteurs lui donnaient un toit et une conviction, et c’était tout ce qu’il demandait pour le moment. Le bourru Morduk s’approcha de lui et son ami tandis que les recrues allaient rejoindre leurs frères assis, leurs deux mains liées dans la forte étreinte de la poignée repentrice, le signe de prière particulier des repenteurs. Il était souvent d’usage de demander à une personne de prier pour prouver qu’elle connaissait les rites des repenteurs. C’est cette même poignée repentrice qui avait en partie inspiré la forme de la marque rouge. Cette marque fut longtemps synonyme de terreur, R.E.P:E.N.T.A.N.C.E. s’en servant en effet comme signature. De nos jours, la marque rouge était plutôt tatouée sur la nuque des esclaves au service des repenteurs. « Les cornix sont repartis avec nos corps, devança le sergent Azilor. — Ok, mais où sont passés les nageurs de combat ? demanda alors Morduk — Ils sont partis aussi. Bazor leur a envoyé un message de détresse, ça a l’air de chauffer vers Marseille. 256 La Genèse de l’Apocalypse Le nageur oxygersien Jidilius me fait dire que ce fut un plaisir de vous rencontrer et nous souhaite à tous bonne chance pour la défense du reflet. — Ah, merci pour lui. Par contre maintenant on est dans la grosse merde, jura le géant en blanc et noir assez doucement pour ne pas être entendu par les recrues. — Ah bon, pourquoi ça ? demanda Azilor, étonné qu’un sergent vétéran se sente en danger de la sorte. — La mission qu’on a faite juste avant celle-là c’était aussi avec des bleus, et ils ont tout fait foirer. Ils sont tous morts et plusieurs de nos hommes y sont passés alors que la mission aurait dû être beaucoup moins dure. Si on se retrouve à une vingtaine de soldats entrainés pour diriger une centaine de troufions, ça va encore mal finir. — Ah oui je vois, mais il y a aussi un autre sergent si je me souviens bien, non ? — Ah, vous voulez surement parlez du sergent Karlak. C’est un cadeau empoisonné celui-là. Croyez-moi s’ils nous l’ont filé c’est bien pour s’en débarrasser, et franchement je les comprends. — Ah bon, tant que ça ? Pourquoi ? — C’est un gros malade lui et son escouade ! Des putains de têtes brulées ces cons ! Y auraient fait de bons poudriers. En tout cas va falloir les surveiller de près, ils essaient de répandre leurs tendances suicidaires à toutes les recrues. Ils se baladent tout le temps avec des dynamites, des dynamines et autres armes artisanales bonnes pour les bandits. Ils en ont tous des ceintures entières. Ils disent que la repentance passe aussi par le sacrifice et selon eux ils portent tout cet attirail pour exploser sur l’ennemi dans un dernier souffle, pour faire le plus de dégâts et mourir en martyr. Le problème est qu’ils désobéissent assez souvent. C’est le genre de trucs à la con qui désorganise une ligne tout entière et qui nous fait perdre des batailles normalement gagnées d’avance. Et en plus, c’est le genre de boulets tellement éblouis par leur propre connerie qu’ils seraient capables de se faire exploser en plein milieu de nos rangs. 257 La Genèse de l’Apocalypse — Je vois. Je les surveillerai moi aussi de près », promit le sergent Azilor. Sur ces mots ils s’assirent au niveau des plus hautes marches de l’escalier encore emplies de signes des récents combats. Malgré le récit immersif de Torkus lisant un passage du codex originel des repenteurs, Azilor ne put s’empêcher de bâiller discrètement. Le sergent cacha finalement son ennui derrière une mine grave et attendit calmement que le temps passe… Achranak arriva finalement dans la cour d’un air satisfait un peu après neuf heures. « C’est bon », lâcha-t-il avec un sourire. Les hommes et femmes remercièrent aussitôt tous les compagnons et les dépravés, certains ayant les larmes aux yeux. « Mes frères et sœurs vont vous faire visiter les lieux », avança l’Hégémon en direction des hommes et femmes désormais libres. Le dépravé barbu se rapprocha alors des compagnons restés plantés au milieu de la cour. « Vous pouvez rester cette nuit si vous le désirez, ce serait un plaisir pour nous. — Hum, réfléchit le carmin. Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Chaque minute perdue rendra notre quête plus ardue. Mais j’avoue qu’une nuit de repos ça pourrait nous faire le plus grand bien. — Je suis d’accord avec toi pour la nuit de repos », ajouta Zabyss qui était en train d’observer une bouteille remplie d’un liquide hautement inflammable avec une étrange admiration. Les protecteurs se tournèrent finalement vers l’insongeable. « Ça fait des lustres que je n’ai pas dormi dans un vrai lit, donc je pense que ça me fera aussi du bien. On dort ici et on part demain matin à la première heure. — Bonne nouvelle. Venez, je vais vous montrez vos chambres. » Ils emboitèrent ainsi le pas du chef de tribu, cheminant dans les escaliers en colimaçon du château d’Aulan… 258 La Genèse de l’Apocalypse Ce fut peu après la tombée de la nuit, alors que les trois sergents réfléchissaient à l’organisation de la défense du reflet pour une éventuelle attaque à venir, que des bruits de rotors se firent entendre au loin. Leurs armes à la main, les repenteurs s’étaient aussitôt dirigés vers les fenêtres. C’est alors avec stupéfaction qu’ils virent se poser deux repentors entourant un nightbringer, un énorme hélicoptère disposant de sortes d’ailes aussi imposantes que larges. Son nom venait du fait qu’il projetait une ombre conséquente sur les champs de bataille qu’il survolait. Le nightbringer N 003 était un QG mobile très polyvalent réservé aux hauts gradés. Il pouvait en effet coordonner une armée entière tout en larguant des troupes et soutenir ceux déjà au sol grâce à son puissant armement. Le sergent Azilor se demanda ce que pouvait bien faire une machine si puissante dans un endroit si éloigné des zones de combats intenses. « Garde à vous bande de nouilles », ordonna le sergent Torkus pendant que des soldats descendaient des deux repentors et que les portes du nightbringer restaient fermées. Azilor les identifia aussitôt comme étant des jumpers, et pas des moindres puis-ce qu’il s’agissait d’alphajumpers, l’élite de l’élite. C’étaient ceux qui sautaient en premiers lors des parachutages, avant les betajumpers, les deltajumpers et les omegajumpers. L’unité sécurisa le périmètre avec rapidité et professionnalisme. Ils étaient pour la plupart armés d’armes radius. De couleur différente selon le camouflage leur tenue était quant à elle faite en tissu thermoréplétif, comme la tenue classique des repenteurs. Un des paras vint finalement faire signe que la voie était libre. Il recula au garde-à-vous tandis que la porte du nightbringer s’ouvrait. Une silhouette fit un rapide signe de la tête avant de sortir de l’appareil. 259 La Genèse de l’Apocalypse C’était apparemment un gradé mais quelque chose clochait dans sa tenue. En effet il portait une armure carapace, d’une singulière couleur, ce qui était extrêmement rare chez les gradés repenteurs. Sur son casque se tenait une grande crête de couleur blanche, contrastant avec la couleur rouge de son armure. Il s’approcha des sergents et des conscrits au garde à vous, plusieurs soldats sur ses pas. Ils étaient tous équipés d’un armement lourd qu’Azilor n’avait encore jamais vu, ce qui attira sa curiosité. Aux côtés de deux repenteurs portant eux aussi une armure carapace surmontée cette fois-ci d’une crête bleue, se tenait un des guerriers les plus imposants que le sergent ait vu de sa vie. Il portait une cuirasse de trinitium semblable à celle des marcheurs, sauf que la sienne était de couleur or. Son armure était parcourue par des phrases tirées de différents codex repenteurs et qui formaient des lignes à la surface de cette dernière. Son casque faisait penser à celui que portaient les grands pontes religieux d’autrefois, de par sa forme et sa hauteur. Dans sa main gauche, il tenait une étrange et massive arme de poing inconnue du sergent, tandis que son autre main se tenait sur son fourreau. Un rare cristal binaire pendouillait aussi à sa ceinture. Le soldat suivi de son étrange et hétéroclite cortège monta les marches maculées d’impacts et de sang séché, à la rencontre des trois sergents au garde-à-vous auprès de leurs escouades. « Sergents Torkus, Morduk et Azilor au rapport ! — Rompez sergents, lâcha l’homme avec un ton qui en disait long sur son service auprès des repenteurs. Je suis Vilius, exterminateur de céruse. » Azilor fronça intérieurement les sourcils. Il ne connaissait pas ce grade, pourtant sa connaissance de la hiérarchie des repenteurs était parfaite. « Lequel d’entre vous est le sergent Azilor ? demanda le repenteur d’une voix imposante. 260 La Genèse de l’Apocalypse — C’est moi exterminateur de céruse », avança le concerné en regardant toujours tout droit, intrigué de ce que l’homme lui voulait. L’exterminateur de céruse se mit alors face au sergent concerné. « Vous ne connaissez surement pas le Fulgurastra, une branche repentrice nouvellement crée. Le fait est que vous allez en faire partie, continua l’homme sous le regard perplexe d’Azilor. Ne vous inquiétez pas, nous vous expliquerons tout en temps et en heure. Je vous laisse une faveur de votre choix, étant donné que le Fulgurastra vous arrache à cet endroit sans prévenir. — Le repenteur Bâtard me suit », dit le sergent presque sans réfléchir. L’intéressé lâcha un soupir de soulagement, l’idée qu’il ne puisse pas suivre son ami lui faisant froid dans le dos. « Comme vous voudrez, accorda l’exterminateur légèrement étonné. Maintenant montez dans un des hélicos et partons, nous n’avons pas une minute à perdre. » Tandis que l’exterminateur et son escouade regagnaient leur nightbringer, les deux soldats firent rapidement leurs adieux. « Bonne chance pour la suite, finit par dire Azilor. — Merci, répondit Torkus qui avait du mal à suivre la situation. — On va en avoir besoin avec ces putains de bras cassés », ajouta Morduk. Un dernier signe d’adieu fut échangé puis les deux inséparables amis descendirent les marches couvertes de sang. Ils montèrent ensuite dans un repentor rempli d’alphajumpers peu bavards. Les hélicoptères décolèrent et ils disparurent rapidement de la vue du reflet d’Azur, s’envolant vers un avenir incertain… Tandis que les anciens esclaves s’établissaient dans leurs nouveaux quartiers, S et les protecteurs s’étaient installés dans les leurs. Une salle avec un lit plutôt grand était destinée à l’insongeable. Ce dernier se demandait comment ses compagnons allaient dormir alors qu’il regardait par la meurtrière de sa chambre. 261 La Genèse de l’Apocalypse Il profita de l’occasion qu’il eut lorsque ces derniers virent poser des vivres près du sac de l’insongeable pour poser sa question. « Au fait, comment on fait pour cette nuit ? Il n’y a qu’un lit. — Ne t’inquiète pas pour nous, on va dormir en face. On mettra en place un tour de garde pour garder un œil sur toi », expliqua Zabyss de sa voix aussi vive que les flammes. Sur ces mots, ils repartirent dans les escaliers monter à l’abri le reste de la cargaison qui leur appartenait. S profita du calme éphémère pour s’asseoir sur le lit. Il sortit une petite pierre à aiguiser et commença à affuter sa lame émoussée, affutant par la même occasion son esprit embrumé. Il avait vraiment du mal à prendre du recul sur les événements. C’était comme s’il jouait un personnage, comme s’il était perdu dans un songe dont le sens et la logique lui échappaient. Il continua à penser sous le son régulier de sa pierre à aiguiser, regardant les étoiles à travers la fente creusée dans la pierre du château… Pendant que la plupart des recrues étaient en train de dormir, Morduk et Torkus continuaient de réfléchir à comment ils allaient placer leurs escouades en cas d’attaque. Ils disposaient d’une centaine de troufions, d’une escouade de fous furieux et de la quinzaine de vétérans encore en vie. Comme équipements, ils avaient deux mitrailleuses de défense, un kopfbrecher et quelques snipers qu’ils avaient récupérés. Après une longue discussion ils s’étaient mis d’accord sur leur stratégie défensive. Elle serait donc la suivante : toutes les entrées seraient bouchées sauf l’entrée principale. Les repenteurs allaient se battre sur un seul front. Les plus doués des recrues manieraient les snipers à partir du toit du reflet. Les deux mitrailleuses seraient quant à elles posées au milieu des marches avec le plus gros des troupes. Le sergent Karlak et son escouade seraient placés en première ligne. 262 La Genèse de l’Apocalypse Les sergents evocatis et le reste des troupes allaient rester sur les marches et derrière les couverts alentour prêt à intervenir. Ce plan leur paraissait bon, même s’il était très classique. Ils n’avaient plus qu’à prier et attendre que l’ennemi vienne à leur rencontre… Les protecteurs avaient amené le dernier paquet dans la chambre et ils allaient maintenant enfin pouvoir se reposer. « C’est bon tu peux dormir », annonça Krag à l’insongeable déjà en train de s’enrouler dans les draps. La pièce sentait le renfermé et les draps n’avaient surement pas été changés depuis des temps immémoriaux mais cela n’empêchait pas à l’insongeable d’être plus qu’heureux. « Merci. Ben bonne nuit à vous aussi du coup. — Bonne nuit », lui répondit Zabyss. Le flamboyant resta ainsi à côté de la porte un œil sur l’insongeable, tandis que Krag allait se reposer dans la pièce d’à côté. S s’endormit rapidement, repoussant à plus tard les questions de plus en plus nombreuses qui s’entrechoquaient dans son esprit… 263 La Genèse de l’Apocalypse 264 La Genèse de l’Apocalypse Sloretiamas : - Sweet Dreams / [Adlema`lniar`smiat] Il ouvrit les yeux, réveillé par un doux son de harpe. Il se tourna et vit une belle créature en train de dormir sur le côté, sa longue chevelure d’un bleu sombre bougeant au grès de la légère brise qui apportait la douce musique à ses oreilles. Le vent lui apporta aussi l’odeur fruitée de sa partenaire jusqu’à ses narines, un mélange de désir enivrant et d’attirance sulfureuse et sucrée. Il poussa le voluptueux drap de réconfort sur le côté et se leva d’un pas décidé, essayant de savoir d’où venait le bruit de cordes pincées qui se mélangeait à celui du vent dans un seul et troublant son. Il laissa sa dulcinée dans ses rêves et commença à avancer vers un grand palais entouré de forêts bariolées quasiment impénétrables, avant de rentrer dans ce dernier par une grande porte en marbre laissée entrouverte. Il se perdit alors dans un lieu n’étant plus régi par le cycle de la vie et de la mort depuis sa naissance, lors de la création de l’univers lui-même. Ainsi quand la temporalité avait détonné dans l’univers alors vide et froid un monde parallèle de création et de souvenirs était né, servant de lieu de genèse à la créativité parfois frustrée du subconscient. Il continua à marcher, sortant lentement du palais qui piquait sa curiosité au vif. Il ferma les yeux pour ne pas être attiré par toutes les merveilles de cet endroit fascinant. Il agrippa sa main au garde-fou de l’objectivité et continua sa route, aveugle, sachant pertinemment que ceux qui restaient trop longtemps à observer ces choses mirifiques étaient condamnés à les contempler à jamais. Ils devenaient alors prisonniers de leurs propres rêves, devenant réalité puis cauchemar sous leurs yeux. Il sortit enfin du palais en se retenant de jeter un œil derrière lui. 265 La Genèse de l’Apocalypse Un jardin rempli d’arbres semblables à des pommiers rouges s’étendait à perte de vue devant ses yeux. Il distingua une grande colline juste en face de sa position, endroit d’où venaient les sons qui l’avaient réveillé. Il marcha donc vers cette dernière, traversant un champ de fleurs comportant toutes les variétés créées par les occupants du palais. Tandis qu’il sortait du jardin, il pouvait maintenant mieux distinguer la lointaine colline vers laquelle il se dirigeait. Un grand dôme ouvert aux quatre vents trônait au sommet de cette dernière. Des nombreux boyaux de cuivre s’enlaçaient dans tous les sens, formant l’ossature de la structure. Il commença alors à suivre le chemin s’enroulant autour de la colline où aucune végétation ne poussait. Il suivit d’étranges silhouettes sans visage venant du bois lointain. Ces dernières portaient toutes des torches brulant d’un feu bleuté. Il regarda derrière lui tandis qu’il était à la moitié de l’ascension ; essoufflé. Il remarqua alors que c’était à cause du vent que plus rien ne poussait autour de la colline et reprit rapidement sa marche, comme encouragé par les sons de harpe se rapprochant de plus en plus. Il arriva enfin en haut de la montée, toujours entouré des silhouettes sans visage. Le dôme était plus vaste que ce à quoi il s’attendait. Il comprit alors enfin comment le son était parvenu aussi loin. Les silhouettes se mettaient juste en dessous de nombreuses hélices postées en dessous de certains boyaux. La chaleur de leur torche faisait tourner les hélices dans un bruit étrange d’aspiration et accentuait les sons venant du centre du dôme, poussant ainsi le vent encore plus loin. Elles restaient là jusqu’à ce que leurs torches se consument entièrement et entamaient alors leur long chemin du retour vers une contrée inconnue. L’ingéniosité du système le subjugua. 266 La Genèse de l’Apocalypse Le son de harpe était tellement puissant qu’il semblait venir de sa tête. Au centre de l’étrange pièce se tenait une silhouette entourée de petites volutes de nuages tournoyant autour d’elle, ces dernières la soustrayant en partie aux regards. Ses mains pinçaient les cordes d’une étrange harpe touchant le toit du dôme. Il s’approcha jusqu’à ce que le vent l’empêche de faire un pas de plus vers la silhouette. Il eut alors l’impression que le visage de la forme humanoïde se tournait vers lui, tout en ayant le sentiment que ce dernier faisait tout le tour de ladite silhouette dans une étrange et brumeuse vision de duplication. Elle s’arrêta de jouer et sa douce voix s’ajouta au vent tandis qu’il était cloué sur place par la puissance du souffle. Sloretiamas Ste d`s vaslish ` d`l omesianiss, das vasilrash da miha tiamas a Salis d`s alis chamarik, afornaro in denia d`l oshalar. Din Sloretiamas, das Seli Ste an baloss, das meli Ste ane ofenixio. Din Sloretiamas, d`l exsitas Ste ane Set`rnalisonas vishion, das Siliamioati ane Set`rnalisonas vashaon. Din Sloretiamas, oxia n`l impirtas alis ka d`l oshalar Sinasonas e d`l anarkavolatiorir katroviv. Il essaya de comprendre le sens de ces mots tourbillonnants et sombra dans le cauchemar de la réalité lorsqu’il commença à les assimiler… 267 La Genèse de l’Apocalypse 268 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 8 : - Dawn Patrol / - Welcome to Point Black / Red Carpet / [12 Cruciamentum an 13 ; Terre] Les protecteurs avaient réveillé l’insongeable sans le brusquer vers environ cinq heures du matin. Ce dernier était ainsi revenu à la réalité, son rêve disparaissant dans les brumes de l’oubli avant qu’il ne mette la main dessus. Après avoir rassemblé toutes ses affaires l’insongeable avait suivi les protecteurs jusque dans la cour. L’un des dépravés de la tribu était ensuite venu à leur rencontre. « Suivez-moi, je vais vous amener à votre carcasse volante. » Les compagnons hochèrent de la tête et suivirent le pas rapide du dépravé. Les hommes et femmes libres étaient encore en train de dormir à cette heure très matinale et ils ne rencontrèrent personne d’autre sur le chemin. « Voilà c’est là, lâcha le dépravé. Non loin de là où nous avons enterré le soldat inconnu qui était à l’intérieur de votre carcasse volante. Nous avons caché votre engin sous du cache-misère, du lierre qui n’a pas besoin d’être planté pour vivre. » En effet, les compagnons mirent un certain temps avant de comprendre que le tas en forme de mini colline devant eux était en fait leur hélicoptère camouflé. « Aidez-moi et vous pourrez partir avant l’aube si vous avez de la chance. » Les compagnons se hâtèrent donc à aider leur allié… Azilor et Bâtard étaient arrivés à destination depuis un certain temps déjà. Les deux hommes étaient restés bouche bée quand ils avaient découvert la base du Fulgurastra. Ainsi plusieurs centaines de kilomètres au sud de Marseille les repenteurs avaient créés une énorme forteresse bâtie 269 La Genèse de l’Apocalypse principalement en mortier stygien, un matériau complexe dont le mélange secret lui donnait, entre autres, sa couleur sombre si singulière. En plus d’être plutôt bon marché, le mortier stygien résistait aussi bien aux attaques de la nature qu’à celles de l’homme. C’est ainsi qu’au milieu de l’océan se dressait Point Black, une grosse tache visible depuis la côte. La forteresse était basée sur le modèle des forteresses de la foi, un type de forts qu’érigeaient les repenteurs et qui ressemblaient à un mélange entre une cathédrale postfidesique et une base militaire fortifiée. De nombreuses et hautes tours servaient de points d’observation pour cette forteresse plantée en plein milieu de la Méditerranée. D’énormes vitraux cachaient les différents points d’atterrissage des engins volants des repenteurs, tandis que des centaines de meurtrières en forme de croix parsemaient toute la forteresse. Le complexe n’avait pas de port et seuls les sous-marins pouvaient entrer dans la base, par une entrée camouflée aux yeux des curieux. Les deux amis venaient d’atterrir dans une petite passerelle et avaient pu admirer la vue tandis qu’ils s’approchaient d’une entrée menant au complexe labyrinthique. L’exterminateur de céruse Vilius les avait rapidement amenés dans une antichambre et leur avait dit d’attendre, phrase après laquelle le guerrier avait pris congé. Ils n’avaient encore croisé personne et l’endroit où ils étaient avait l’air plutôt calme, fait contrastant étrangement avec l’impression de ruche qui avait été la leur en premier lieu. « Veuillez entrer je vous prie », annonça alors une voix. Les deux soldats se levèrent et poussèrent la porte. Un homme sans casque en armure carapace les attendait dans une salle éclairée par un vitrail peu coloré, ce dernier étant occupé à ranger quelque chose dans son bureau. Son visage bouffi laissait deviner qu’il était plus un bureaucrate au service de militaires que l’inverse. Ses petits yeux noirs de cupidité étaient surmontés par un front étrange, 270 La Genèse de l’Apocalypse qui semblait avoir été enfoncé vers l’intérieur à l’aide d’un marteau. De petites dents se montrèrent quand il prit la parole de sa voix nasillarde et mauvaise. « Bonjour je suis l’exterminateur de céruse Dalagolek, se présenta l’homme en serrant la main des deux repenteurs dans une poigne de fer. Bienvenu à Point Black, le quartier général du Fulgurastra. Faire partie du Fulgurastra est un grand honneur. Vous avez donc intérêt à prouver que nous ne nous sommes pas trompés en vous choisissant, ajouta-t-il en toisant Azilor et Bâtard de son regard. Le Fulgurastra a été créé il y a peu et a pour but de s’occuper des cibles de haute valeur qui ont besoin d’être exterminées ou sauvées selon le camp, dans un contexte où le nombre ne peut pas nous aider. » L’homme fit une petite pause et, comme s’il lisait dans les pensées des deux repenteurs, il répondit à la question qu’ils avaient sur le bout des lèvres. « Si vous êtes ici c’est pour une raison simple. Dans notre dynamique de recrutement nous avons envoyé des messages à différents Mandataires a qui nous avons demandé une participation unique et symbolique, si possible le meilleur élément de la formation. Votre dernier ordre connu étant de tenir le reflet d’Azur, nous sommes revenus vous y chercher, et apparemment vous n’êtes pas partis seul ce qui n’est pas une si mauvaise chose. En effet nous avons du boulot et chaque fusil nous est précieux ! Enfin bref, trêve de parole, suivez-moi je vais vous montrer avec quoi vous arriverez à vos fins lors de vos combats ! » Les deux repenteurs emboitèrent ainsi le pas à l’homme dans sa lourde armure rouge et se dirigèrent vers l’arsenal, Azilor remerciant intérieurement le balafré pour son cadeau post mortem… Les compagnons étaient repartis en blackout. Ils poussaient vers le nord et, sans le savoir, s’engouffrèrent dans la Trouée des marches serviles. 271 La Genèse de l’Apocalypse Ils avaient assez de skotadistilla pour faire plusieurs centaines de kilomètres et avaient amené avec eux deux gros sacs en toile remplis de vivres. Les deux protecteurs à l’avant, l’insongeable ouvrit une boite de conserve avec son couteau de combat et commença à manger la pâte peu ragoutante se trouvant à l’intérieur. « Beurk c’est dégueulasse ! Tu m’étonnes que les repenteurs soient si cruels ! C’est cette bouffe qui les a rendus fous ! » Cette remarque fit sourire les protecteurs sous leurs heaumes tandis l’insongeable regardait par la fenêtre. L’aube venait de se lever et le paysage était magnifique. Ils étaient entourés de lointaines montagnes, le soleil les éclairant de ses rayons ardents. Aucun nuage de mauvais augure à l’horizon, ils se dirigèrent vers le nord… Les sergents Morduk et Torkus avaient réveillé assez expéditivement les bleus et les soldats du sergent Karlak qui n’étaient pas en poste. Une partie des hommes étaient partis remplir des sacs de sable pour une éventuelle attaque future tandis que l’autre mettait en place les mitrailleuses et autres systèmes de défense. Les evocatis avaient aussi déroulé le tapis rouge, histoire de montrer à leurs ennemis qu’ils étaient attendus les bras ouverts… Pendant que tous les dépravés s’étaient réunis pour discuter de la manière la plus judicieuse d’attaquer la base, Hislachar était parti espionner leurs ennemis. Posté sur une corniche, il n’avait pas perdu une miette des faits et gestes des repenteurs. Ils faisaient d’incessants allers-retours depuis la plage et en revenaient avec des sacs remplis de sable. Le fait qu’ils aient déroulé le tapis rouge et posé les mitrailleuses prouvait qu’ils s’attendaient à un assaut des dépravés. L’ombre resta encore quelques minutes à les observer puis partit prévenir ses frères et sœurs… 272 La Genèse de l’Apocalypse L’exterminateur Dalagolek leur avait présenté et montré le fonctionnement de plusieurs armes dont les deux repenteurs ne connaissaient même pas la moitié. Leurs armes semblant vite désuètes, les deux soldats avaient rapidement trouvé chaussure à leur pied. Le sergent Azilor avait ainsi opté pour un purificateur, une arme se maniant comme un lance-flammes sauf qu’elle projetait du phosphore flamboyant, une mutation encore plus meurtrière du phosphore de guerre. Tiré d’un purificateur le phosphore flamboyant avait quasiment les mêmes caractéristiques que le phosphore classique, si ce n’était sa couleur plus orangée et son explosivité moindre. Azilor garda tout de même son bon vieux basaltic eagle en tant qu’arme de poing en souvenir du balafré. Bâtard avait quant à lui trouvé son bonheur dans une déchiqueteuse. Cette arme étrange pouvait être extrêmement meurtrière si elle était bien maniée : elle pouvait tirer jusqu’à deux câbles barbelés se finissant par de petits grappins pointus, et ceci jusqu’à une distance de quinze mètres environ. Lorsqu’ils étaient tirés, ces derniers étaient espacés de presque dix centimètres au niveau de l’arme. Quand le tireur le voulait, il pouvait appuyer sur un bouton qui avait pour effet de rapprocher les câbles au départ de l’arme. Ces derniers, subtilement aimantés, se rencontraient ainsi dans un choc aussi brutal que fulgurant, découpant tout sur leur passage. Le tireur pouvait ensuite rembobiner les câbles et réutiliser rapidement sa déchiqueteuse. Le repenteur garda tout de même avec lui son canon radius redspray, qui l’avait toujours sorti des pires galères. Les deux amis prirent aussi de nombreuses grenades avant de revenir voir Dalagolek, fin prêt à en découdre. « Suivez-moi, vos armures vont maintenant vous être remises. » Ils emboitèrent le pas à l’exterminateur et traversèrent rapidement la jeune base du Fulgurastra. 273 La Genèse de l’Apocalypse « Comment ça se fait qu’on croise personne alors que la base avait l’air en pleine effusion quand on est arrivé ? demanda Azilor qui en avait fait le constat. — Les exterminateurs à proprement parler sont encore peu présents ici. On est moins de cinq cents pour l’instant. C’est pour ça que je vous ai dit que vous aviez de la chance. En fait nous accueillons pour l’instant de nombreux bataillons en transit, cette base étant un endroit parfait pour pouvoir frapper partout dans la Méditerranée. Comme vous avez pu le constater, nous accueillons des jumpers mais ils ne sont pas les seuls présents ici. Nous accueillons aussi par exemple des membres de l’Oculus, des nageurs de combat, des inquisiteurs ainsi qu’une escouade de prestigieux exécuteurs. » Le sergent Azilor connaissait les exécuteurs au travers des nombreuses légendes qui les entouraient. Outre le fait qu’ils aient donné leur nom à un des meilleurs fusils de sniper à disposition des forces repentrices, les exécuteurs étaient la meilleure unité de snipers de tous les repenteurs. Ils venaient en petit nombre sur le champ de bataille et arrivaient à changer la situation grâce à leur précision ne tombant jamais en dessous de cent pourcents. En effet, quand un exécuteur ratait sa cible, il n’était plus assez précis pour les exécuteurs et était immédiatement réaffecté dans une autre unité. Certains hauts gradés étaient prêts à tout pour avoir de tels soldats dans leurs armadas. « D’accord je comprends, répondit simplement le sergent tandis qu’ils traversaient le hall des souvenirs pour l’instant quasiment vide. » Ils s’engouffrèrent dans un dédale de couloirs menant à l’endroit de Point Black où se trouvaient, sous bonne garde, les précieuses armures carapaces. Le sergent leur montra ainsi comment enfiler l’étrange armure par-dessus leurs nouvelles sous tenues, de simples « uniformes » en tissu thermoréplétif. 274 La Genèse de l’Apocalypse L’armure était faite de petites plaques d’eluzirium mouvantes reliées entre elles un peu à la manière d’une cotte de mailles. Les morceaux de l’armure ressemblaient à des dagues couvertes de sang et pouvaient s’ouvrir si on exerçait une forte pression vers l’intérieur, à un endroit bien précis. L’armure carapace était en fait divisé en six parties, toutes reliées entre elles par des plaques supplémentaires. Les heaumes étaient rougeoyants de haine, des croix repentrice en guise de troisième œil. La partie au niveau de leur bouche formait un losange qui partait du nez pour arriver jusqu’au menton. Ce dernier était parsemé de gros orifices permettant au porteur du casque de respirer. Un autre losange, collé au premier, prenait place de chaque côté du casque de façon à ce que ses orifices se trouvent au niveau des oreilles du porteur. Juste au-dessus du losange de face une longue fente rectangulaire incrustée d’une lentille rouge se dessinait au niveau des yeux, donnant ainsi une vision d’ensemble au porteur. Au niveau du menton, le contour courbé du heaume formait un pic faisant penser à un bouc d’acier. « On l’appelle la barbichette rutilante, expliqua Dalagolek. Aiguisez-là, ça sauve des vies croyez-moi. » Quarte courbes partaient ensuite des côtés du heaume et se joignaient pour former un œil à l’arrière du casque. Ce dernier était peint en noir, une seule tache blanche en son centre formant la pupille de l’œil. « C’est l’œil noir, expliqua Dalagolek. Il représente l’omniscience des exterminateurs au combat. Un bon exterminateur ne se fait jamais surprendre dans le dos », argumenta l’exterminateur. Après les avoir méticuleusement observés les deux repenteurs finirent par enfiler leurs casques, dépliant le court monceau d’armures carapace censée protéger leur cou. Ils attachèrent rapidement la fine bande de tissu thermoréplétif qui pendait de ce dernier, faisant la jointure entre le cou et la partie inférieure de l’armure. 275 La Genèse de l’Apocalypse « Ça a de la gueule ! lâcha Bâtard satisfait pendant qu’Azilor essayait de marcher avec l’armure. » L’armure carapace n’était pas si lourde qu’il semblait et le soldat semblait avoir encore plus de facilité à se mouvoir avec que sans. Ce sentiment lui parut étrange. « Vous vous y habituerez, assura l’homme. Venez, je vais vous donner vos balises mortuaires et vous allez être intronisés »… Tandis que l’hélicoptère des compagnons voletait en silence à une hauteur respectable du sol, le vent rappela à l’insongeable un sentiment qu’il aimait plus que tout : la liberté. « Je vais vous donner l’impression de me répéter mais je trouve quand même bizarre qu’on n’ait toujours pas croisé d’autres protecteurs, lança S. Vous êtes les seuls que j’ai croisés depuis que je me suis réveillé dans Nice. — Les repenteurs nous traquent au moins autant que toi, argumenta Zabyss. Le problème est qu’à part des descriptions approximatives, je pense qu’ils ne savent pas trop à quoi tu ressembles et tu peux plus facilement passer inaperçu. Comme tu l’as remarqué nous sommes plus facilement identifiables que toi, surtout à cause de nos armures dont nous sommes je crois les seuls porteurs avec les marcheurs. C’est surement ça qui nous porte préjudice. Mais les protecteurs ne sont pas tous morts, j’en suis convaincu ! tonna le flamboyant en couvrant presque un bruit que S connaissais trop bien. — Merde ! » lâcha le carmin. Patrouille ennemie à trois heures. L’insongeable se tourna vers la droite et put en effet observer deux repentors se rapprocher d’eux tandis que la radio de leur hélicoptère grésillait. « … Identifiez-vous ! Vous n’êtes pas autorisés à emprunter la Trouée des marches serviles, menaça la voix distordue. — On fait quoi ? demanda Zabyss sans pouvoir être entendu par les repenteurs. — On est grillé, il faut trouver un plan et vite. » Ils réfléchirent chacun de leur côté sans que personne ne trouve une solution. 276 La Genèse de l’Apocalypse La radio lâcha une menace montrant qu’ils allaient passer à l’acte. « À l’ancienne ? demanda Krag à son ami. — À l’ancienne ! » répondit le flamboyant avec enthousiasme. L’hélicoptère commença alors à faire des mouvements dans tous les sens, tandis que les repentors étaient presque à portée et que S se demandait ce que Krag entendait par « à l’ancienne ». « Accroche-toi ! » conseilla Zabyss à l’insongeable tandis qu’il sortait un de ses blazing eagles. S sortit son arme de poing de son holster et suivit les conseils de son protecteur, le blackout semblant être pris dans des trous d’air. Le carmin fonça vers les deux gros hélicoptères, piquant du nez au dernier moment pour éviter les balles de gros calibre tirées par les wracksmiths des repentors en position de tir. Il remonta derrière eux et lâcha un précis tir DP bleuté qui fit griller tous les circuits de l’hélicoptère le plus proche, le faisant aussitôt tomber en piqué vers le sol rocailleux. « Il faut laisser le canon tranquille pendant un certain temps si on veut pas tout faire péter dans l’hélico ! » beugla Krag pendant qu’il se battait avec les commandes pour esquiver les tirs. Comme pour lui répondre, l’autre protecteur ouvrit la porte coulissante et commença à tirer, rapidement imité par S. « Rapproche-toi on peut pas l’avoir », lâcha Zabyss dans le vacarme tandis que les balles des mitrailleuses commençaient à percer de part en part le faible blindage de l’appareil. Krag s’exécuta et passa sous le repentor moins maniable pour ensuite remonter dangereusement devant le cockpit de l’engin. Krag fit ensuite un virage serré, esquivant au dernier moment l’hélicoptère. C’est à ce moment précis que l’insongeable et Zabyss eurent leur meilleure fenêtre de tir. Leurs balles atteignirent ainsi chanceusement le rotor de queue, l’arrachant presque du corps de l’hélicoptère. Le repentor fut rapidement hors de contrôle et commença à danser avec la mort au milieu du ciel. 277 La Genèse de l’Apocalypse « Ils sont faits, lâcha l’insongeable avec soulagement tandis qu’il pouvait contempler l’hélicopte essayer désespérément de garder le contrôle de son véhicule. — Bien joué S ! félicita Zabyss tandis que Krag arrêtait ses pirouettes. — Merci, j’ai eu de la chance. — Ah non pas eux ! On doit sortit de ce défilé de mes couilles ou on va y rester ! coupa Krag. — C’est quoi ça ? demanda S en voyant des formes ressemblant à des oiseaux se rapprocher d’eux sous le soleil matinal. — C’est des blackwings ! C’est des sortes de deltaplanes de guerre, expliqua Krag. Ils se battent vraiment comme une volée d’oiseaux : ils t’encerclent, t’affaiblissent, et te tuent à petit feu. Leurs armes sont pas si puissantes que ça contre nous mais il ne faut pas les sous-estimez, certains sont des as. — Je vois, comprit l’insongeable. — Je vais partir vers le Massif central, ils ont surement de la DCA qui va nous plomber si on reste sur leur route de mon cul. » Les compagnons dévièrent ainsi vers l’ouest, les blackwings accélérant pour intercepter le blackout et ses occupants… Les dépravés avaient décidé d’attaquer le lendemain, après avoir patiemment écouté le rapport de l’ombre. Kychrak avait arraché des bouts d’acier du déforesteur et les avait reliés à des racines pour en faire des boucliers improvisés. Il n’avait pas pu en créer plus d’une vingtaine mais ça suffirait à couvrir l’avance des dépravés, pensa alors le grand veilleur. Zagor sentit une goutte de satisfaction tomber dans l’océan de désespoir qu’était devenu le futur de sa tribu. L’état de Seurg s’était amélioré mais il était toujours dans un coma réparateur. Les frères avaient aussi appris à faire des cocktails Molotov à des dépravés plus que sceptiques. Ces derniers les manièrent et furent à la fois époustouflés et apeurés par la puissance de l’arme. 278 La Genèse de l’Apocalypse Beaucoup des guerriers et guerrières rechignèrent à utiliser l’arme dont la puissance était tirée des flammes. Zagor pouvait sentir la rage remplacer peu à peu la tristesse sur les visages des membres des deux tribus. Ils allaient être servis, se dit Zagor pour lui-même, d’une manière ou d’une autre… Une forte odeur, celle de la mort et de la pourriture, avait peu à peu envahi le reflet d’Azur. C’était la benne remplie d’une centaine de cadavres de dépravés : elle empestait à des kilomètres. Les sergents evocatis avaient donc décidé de creuser un énorme trou dans la plage non loin et d’y faire basculer la benne et son contenu. Les soldats s’occupèrent ainsi de cette tâche ingrate dont ils se seraient bien passés de bon matin. Le trou d’environ six pieds de profondeur creusé, la benne fut renversée dans le sable, cachant aux repenteurs les visions d’horreur qu’elle renfermait. Une odeur leur monta aux narines, une légère brume verdâtre se formant autour de la benne comme pour la protéger. De nombreux bleus se mirent aussitôt à vomir frénétiquement. Torkus connaissait l’odeur de pourriture qui régnait sur un champ de bataille, mais ce n’était en aucun cas comparable à l’odeur insoutenable qu’il était en train d’inhaler. Tandis que le contenu de la benne n’était plus visible, un bruit étrange commença à se faire entendre. Cela ressemblait à de l’acide en train de dissoudre quelque chose, pensa Morduk tandis que les repenteurs reculaient. Tout à coup, alors que le nuage cachait complètement la benne, le miasme s’enfonça inexorablement vers les profondeurs de la Terre. Les repenteurs restèrent bouche bée quand ils virent le sable fermer la brèche comme on fermerait une plaie. Il était revenu à la même hauteur que le reste de la plage et l’odeur nauséabonde disparut rapidement. 279 La Genèse de l’Apocalypse Les sergents evocatis restèrent stoïques devant cet acte inexplicable, ils avaient des troupes à entrainer et pas une minute de plus à perdre. Un ordre donné de vive voix suffit à remettre dans le droit chemin les soldats égarés. L’entrainement devait reprendre au plus vite… Les blackwings les avaient rattrapés. Elles les criblaient de tirs vicieux en tournant autour d’eux comme Krag leur avait expliqué. Les compagnons essayaient de s’éloigner le plus possible des zones occupées par les repenteurs. « Prend ça enfoiré ! » beugla le flamboyant tandis qu’une balle de blazing eagle trouait l’aile d’un des repenteurs. La silhouette flancha, tomba en virevoltant puis s’écrasa sur le sol rocailleux en contrebas. Le problème était de les toucher, pensa S. En effet ils n’étaient pas très résistants mais ils étaient presque impossibles à garder en joue dans ces conditions et l’arme principale de l’hélicoptère ne pouvait pas les viser à cause de l’angle. Depuis plusieurs minutes, Zabyss et l’insongeable essayaient d’en toucher sans grand succès. Seulement trois avaient explosé tandis que la trentaine d’autres était littéralement en train de faire fondre la coque du blackout, cette dernière commençant à devenir rouge à force d’encaisser les tirs de canons radius redspray sans discontinuer. « Bordel ! On va pas tenir longtemps comme ça, on doit les tuer sinon on va être littéralement cuit ! jura Zabyss impuissant tandis que S sentait la chaleur bouillir dans l’hélicoptère et remonter par ses pieds. — Il y a bien une solution, pensa Krag. Mais ça va bousiller l’appareil. — Ça consiste en quoi ? demanda l’insongeable qui rechargeait péniblement son arme. — Je peux faire surcharger l’arme de l’hélicoptère et lâcher un tir de blackout tout autour de nous dans un rayon assez grand. 280 La Genèse de l’Apocalypse Le problème c’est que ça risque de saturer les circuits et on va atterrir à l’arrache. — Moi ça me vas, et toi ? demanda Zabyss à l’homme qu’il avait juré de protéger. — Avec plaisir. J’aime bien les cascades, lança S avec un sourire. — Ok, dans ce cas retenez-les le temps que je me sois rapproché du sol. Je veux éviter le plus possible la casse. » Les deux concernés répondirent par des coups de feu tandis que le blackout se rapprochait d’un étrange amas rocheux… Les deux amis attendaient de recevoir leur sacre un genou à terre dans une grande pièce éclairée par des bougies, de l’encens faisant planer une ambiance d’un autre temps. Au bout d’un long moment un homme en armure carapace vint à leur rencontre. Malgré sa tête baissée, le sergent put distinguer que sa crête et son armure étaient toutes deux noirs. Son armure était ainsi rendue plus imposante, tandis que des éclairs d’un jaune impérial parcouraient le métal sombre de sa silhouette. Des écrits tirés d’un codex que les deux amis ne connaissaient pas parcouraient le métal rutilant de son armure, y compris sur son casque surmonté d’une immense crête. Deux tributaires le suivaient, cachant leurs silhouettes dans l’ombre de la pièce. Un portait de lourdes épées dans des fourreaux tandis que l’autre portait deux linges entourant une lueur rouge. Azilor devina que c’était leurs nouvelles alliances expiatrices. Le guerrier s’arrêta juste au-dessus d’eux d’un pas lourd, parlant d’une voix lourde qui semblait être celle d’un géant. « Je suis Taliannor, exterminateur d’ébène. Je dirige la 1ère tempête hurlante des exterminateurs, aussi appelée la seule et inique. Vous avez de la chance d’avoir été choisis pour faire partie des premiers exterminateurs. Quand vous ferez partie des nôtres vous ne pourrez plus faire marche arrière ; vous serez complètement dévoués au Fulgurastra et sans possibilité 281 La Genèse de l’Apocalypse de changer d’avis. C’est le prix à payer pour faire partie de l’élite des bellicistes. Maintenant prévenu êtes-vous prêt pour ce sacrifice ? » Les deux repenteurs en armure carapace hochèrent tout de suite la tête sans réfléchir. « Bien, lâcha l’exterminateur d’ébène. » Il prit une des lames dans les mains d’un tributaire. C’était une claymore dont les quillons formaient deux petites lames. « Levez la tête, ordonna alors l’exterminateur d’ébène au sergent Azilor. Jurez-vous fidélité à la justice luminante et allégeance à l’œil noir ? demanda l’exterminateur au sergent repenteur, ce dernier ayant la tête relevée. — Oui je le jure. — Jurez-vous de défendre le monde repenti et d’exterminer tous ceux qui s’opposent à la repentance ? — Oui je le jure », dit le sergent tout en observant le casque imposant de l’exterminateur. Ce dernier était dans la continuation de son armure carapace et des inscriptions étaient ciselées tout le long de ce dernier, mais Azilor ne s’y attarda pas. « Jurez-vous allégeance au Fulgurastra, à votre exterminateur d’ébène et à l’Hécatombeur Impérial ? demanda pour finir le futur supérieur des deux repenteurs. — Oui, finit par dire Azilor après un instant de courte réflexion. Je jure allégeance au Fulgurastra, à mon exterminateur d’ébène et à l’Hécatombeur Impérial. » Le colossal exterminateur s’avança vers lui la lame à la main. « Ad honorem ! Ad astra ! conclut-il en passant l’épée au-dessus de chacune des épaules d’Azilor, finissant ainsi l’intronisation du repenteur devenu exterminateur. — Sergent Azilor, je vous déclare maintenant exterminateur. À partir de ce jour vous devez allégeance au Fulgurastra, à votre exterminateur d’ébène et à l’Hécatombeur Impérial, et ce jusqu’à ce que la mort vous emporte ; sous peine d’être accusé de félonie et exécuté. Vous êtes le 467ème exterminateur à être adoubé, 282 La Genèse de l’Apocalypse ajouta Taliannor. Bienvenu chez les exterminateurs, bienvenu dans la seule et inique. » L’ancien sergent hocha la tête tandis qu’il sentait que sa vie allait prendre un nouveau tournant. « Je vous remets votre exterminatrice, lâcha Taliannor. Elle vous servira quand seul le combat rapproché vous permettra d’exterminer votre adversaire. Apprenez à la manier et vous apprendrez à ne pas avoir de faille. » Le chef de la tempête hurlante lui posa ainsi l’exterminatrice sur ses deux mains ouvertes et Azilor remarqua qu’elle était étrangement légère. Taliannor lui mit ensuite sa nouvelle alliance expiatrice au doigt, après lui avoir enlevé son ancienne bague de sergent repenteur. L’anneau qu’il portait à présent luisait de la lumière rouge du Fulgurastra. L’exterminateur d’ébène Taliannor se tourna vers Bâtard et la cérémonie continua… Un bruit sourd suivi d’une onde bleuâtre recouvrit toute la région, grillant aussitôt tous les circuits des ailes alentour. La trentaine de blackwings partit aussitôt en vrille dans toutes les directions. Certaines essayaient de limiter la casse en gardant un semblant de cap. Sans moteur pour les guider leurs ailes avaient le plus grand mal du monde à supporter le poids duquel elles étaient lestées tandis que les forces du vent les faisaient chavirer. Ils étaient à une cinquantaine de mètres du sol quand Krag reconnut l’amas rocheux alors qu’il essayait de contrôler l’hélicoptère. « Le mont Gerbier de Jonc ! s’exclama le protecteur. — Tu connais cet endroit ? demanda Zabyss. — Je suis né dans le coin », expliqua le carmin avant que l’hélicoptère ne touche le sol. Le protecteur avait bien réussi son coup : ils avaient atterri presque sans encombre. 283 La Genèse de l’Apocalypse Le nez de l’appareil s’était tout de même fiché dans le sol et avait avancé sur plusieurs mètres, disloquant littéralement la coque fragilisée de l’hélicoptère d’où venaient de sortir en trombe les trois hommes. Tandis que les dernières blackwings tombaient comme des anges déchus tout autour d’eux, ils pouvaient admirer ce qui se trouvait devant eux. « Le mont Gerbier de Jonc, présenta le carmin. On a une chance pas possible. Je connais un endroit où on pourra passer la nuit. — Ah oui, où ça ? demanda l’insongeable tandis qu’un tir retentissant de Zabyss faisait taire un repenteur tombé du ciel en train d’agoniser dans son étrange combinaison. — Au château de Rochebonne, je dirais à quatre-vingts kilomètres au nord-est. Nous resterons là le temps que les choses se tassent, nous n’avons pas le choix. » Les deux autres compagnons comprirent et acquiescèrent simplement. Zabyss avait réussi à sortir un des deux sacs de vivres avant que l’hélico ne se disloque complètement. Quel gâchis ! pensa S qui se sentait coupable. Ils auraient dû en laisser plus aux dépravés et aux hommes libres. « Bon suivez-moi, on va passer le plus possible par le nord pour être à l’abri des repenteurs. — Ok », répondit l’insongeable tandis que Zabyss abattait un autre repenteur qui venait de s’écraser contre l’amas rocheux tout proche. Quelques vieux bâtiments s’étalaient non loin, ainsi qu’un encore plus vieux véhicule civil qui semblait ne pas avoir bougé depuis des siècles. « C’est notre jour de chance ! » s’exclama le flamboyant à la vue de l’engin d’un autre âge. Krag accourut aussitôt vers le véhicule en pressant l’autre protecteur pour qu’il lui amène le carburant. « Il va pas survivre longtemps, mais ça va le booster si tu vois ce que je veux dire ! 284 La Genèse de l’Apocalypse — Oh oui je vois, comprit l’autre protecteur. Au moins ça va nous éloigner de l’épicentre des emmerdes. On finira à pied dans la forêt en priant pour ne pas croiser de repenteurs sur notre route. » S les avait rejoints lorsque le moteur démarra dans un bruit semblable à un démon voulant s’échapper d’une cage. L’insongeable monta en passager, Zabyss conduisant et Krag se postant à l’arrière, son redspray prêt à tirer. « C’est parti ! On va tester les limites de cet engin ! » beugla le flamboyant enthousiaste. Le véhicule démarra et fit rapidement un boucan d’enfer, vibrant dans tous les sens et faisant presque trembler le sol. Les compagnons s’élancèrent ensuite sur une vieille route sinueuse, où ils durent garder leurs bouches fermées pour empêcher leurs dents de s’entrechoquer. « Euh l’aiguille bugge ou tu vas à plus de cent vingt kilomètresheure ? demanda S plusieurs minutes plus tard alors que ses tripes semblaient être trois mètres derrière lui. — À ton avis ? répondit le flamboyant d’un ton taquin. — Eh merde », lâcha S pour lui-même. Il aimait la vitesse mais pas à ce point, surtout dans des virages serrés entourés d’arbres et d’obstacles que sa poisse éternelle pourrait attirer vers son visage. Une épingle mit particulièrement à l’épreuve les nerfs de l’insongeable, ainsi que les talents de pilote de Zabyss. Le flamboyant improvisa ainsi un semblant de drift tellement rapidement que l’insongeable ne put s’en rendre compte qu’au crissement des roues sur la route mal entretenue. « Ouf c’était chaud ! s’exclama Zabyss. — T’as bien géré », lâcha Krag alors le flamboyant repassait aussitôt la barre des quatre-vingt-dix kilomètres-heure. Ils continuèrent ainsi leur route pendant un long moment, frôlant la mort à plusieurs reprises et passant dans des villages trop vite pour pouvoir en distinguer l’entrée et la sortie. Vers les soixante-dixièmes kilomètres, la voiture s’arrêta dans un bruit pétaradant et une odeur de corps passé au four. 285 La Genèse de l’Apocalypse « C’est le moteur. Il a lâché, expliqua Zabyss. On doit descendre. — Il a surtout bien tenu je suis impressionné ! lâcha le carmin. — Ah enfin ! » soupira S dont le cœur avait été plus que secoué. Ils se reposèrent un court instant, surtout l’insongeable qui avait l’impression d’être un vibreur géant. « Bon on va rester un peu sur la droite de la route et ça devrait être bon. Les arbres devraient nous couvrir des hélicos. » Krag ouvrit la marche, suivi de l’insongeable qui ne sentait plus la plante de ses pieds et enfin du flamboyant. Ils s’engagèrent ainsi sous les ombres protectrices des arbres les entourant… Leur intronisation terminée, les deux amis continuèrent à suivre le sergent dans les dédales de Point Black. Ils arrivèrent dans une grande salle où Azilor vit enfin d’autres exterminateurs. Tout le monde arrêta de manier son exterminatrice quand ils virent les trois hommes arriver. Un guerrier dans une énorme armure se tourna vers eux. Il portait le même genre de cuirasse que portait le guerrier qui suivait l’exterminateur Vilius lors de leur rencontre. « Bonjour, salua l’homme dont l’armure le faisait culminer à plus de deux mètres. Je suis le marcheur auréolé Ouralios. » Tandis qu’il se présentait à leur tour, le soldat désormais exterminateur repensa à toutes les histoires qu’il avait entendues au sujet des marcheurs auréolés. Ainsi selon certaines légendes, la présence d’un seul marcheur auréolé pouvait changer le cours d’une bataille. Une nouvelle brise d’intimidation souffla sur le soldat tandis que le marcheur auréolé lui faisait signe de s’approcher. Les deux amis pensèrent alors la même chose : en plus d’être diablement bien équipés, ils allaient être divinement bien entrainés… Ils marchaient depuis à peine cinq minutes quand les premiers hélicoptères se firent entendre, forçant les compagnons à se mettre bien à l’abri des repenteurs. 286 La Genèse de l’Apocalypse « Encore une fois on a bien fait de t’écouter, lâcha le flamboyant en regardant au ciel tandis que plusieurs hélicoptères sillonnaient les alentours. — Je connais bien cette région et on a eu vraiment beaucoup, beaucoup de chance d’atterrir ici. Il y a de la forêt sur tout le chemin. » Un étrange bruit se fit alors entendre tandis qu’ils reprenaient la route, entre le souffle d’un revenant et le grognement d’un sanglier… 287 La Genèse de l’Apocalypse 288 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 9 : - Silence is Deafening / - Time to Kill / Battle Plan / [12 Cruciamentum an 13 ; Terre] Les compagnons s’étaient enfoncés dans la forêt depuis plusieurs minutes. Ils n’entendaient plus aucun bruit outre le bruissement des feuilles tandis que les ombres des hélicoptères passaient au-dessus d’eux. C’était comme si les arbres bloquaient les sons venant de l’extérieur. L’insongeable sentit les protecteurs sur leurs gardes tandis que lui-même se sentait épié. Le silence avait un effet assourdissant, pensa alors l’insongeable. Tandis qu’ils accéléraient le pas le ciel commençait à s’assombrir, les arbres épais et touffus coupant la lumière aux compagnons et les plongeant dans une obscurité étrange. « Je le sens mal ! avoua le flamboyant anxieux, résumant ainsi la pensée de ses deux compagnons. — Cette forêt n’était pas comme ça la dernière fois que je suis venu ici, ajouta Krag. Elle est comme ; ensorcelée. » Ce mot sortit de la bouche du carmin sans qu’il n’y réfléchisse, s’étonnant lui-même. Ce n’était pas dans l’habitude de Krag de croire dans le surnaturel, mais cet endroit le rendait vraiment paranoïaque. Un vent froid se fit sentir tandis qu’ils avançaient à marche forcée vers leur destination. S, pourtant pas frileux d’habitude, ne put s’empêcher de frissonner lorsque le vent vint lui mordre la chair. Des bruits étranges furent portés par ce dernier tandis que les compagnons avançaient à grands pas vers le nord. Tout à coup un cri de douleur atroce résonna dans la forêt, glaçant encore plus le sang des compagnons. 289 La Genèse de l’Apocalypse Krag fit brutalement signe de s’arrêter tandis qu’une flopée d’oiseaux s’envolait brusquement. « Je crois que le boucan qu’on a fait a réveillé quelqu’un dans cet endroit », remarqua Zabyss avec une pointe d’humour qui cachait habilement son anxiété. Les deux protecteurs se mirent aussitôt autour de l’insongeable, balayant les alentours de leurs armes à l’affut du moindre mouvement. Zabyss grogna, ses deux armes de poing prêtes à tirer. « Bon restez sur vos gardes, conseilla Krag. Je ne sais pas ce qui vit ici, mais il ne veut apparemment pas de nous dans cette forêt. Faites le moins de bruit possible et tout ira bien. » Dans un silence d’approbation, les trois hommes accélèrent leur marche silencieuse au cœur de ce bois froid et malveillant… Le sergent Azilor avait encore un peu de mal à manier l’épée mais il s’étonnait d’apprendre aussi vite. Légère, l’exterminatrice était une épée bâtarde à lame flamberge. Azilor s’entrainait à faire des passes d’armes avec son ami, essayant les nombreuses techniques que le marcheur auréolé Ouralios leur avait apprises. Cela rappelait à l’exterminateur son début chez les repenteurs, quand son ami Daminax était encore en vie et qu’ils apprenaient à se servir des armes blanches au combat. Il chassa aussitôt cette idée de son esprit, faisant abstraction du douloureux passé pour se concentrer sur son optimiste avenir. Les étincelles éclairèrent la salle d’entrainement tandis que les deux amis reprenaient peu à peu leurs passes d’armes… Les compagnons avançaient depuis plus de dix minutes dans une ambiance oppressante lorsqu’ils tombèrent sur un cadavre horriblement mutilé. Ils s’étaient alors brusquement arrêtés, surpris par la brutalité de ce qui se tenait devant eux. En effet l’homme sans tête avait été démembré, ses bras et ses jambes placées aux quatre points cardinaux les doigts en éventail. 290 La Genèse de l’Apocalypse « À en juger de sa tenue qui ressemble à celle d’un plongeur ça doit être un des repenteurs des blackwings qu’on a fait s’écraser tout à l’heure, avança le flamboyant — Bordel ! Les tarés qui ont fait ça ont essayé de refaire la croix de Malte, observa Krag avec dégout tandis que l’insongeable retenait un haut-le-cœur. — Reprenons notre route », dépêcha Zabyss tandis que le bruissement des feuilles leur faisait signe de ne pas rester sans mouvement. Krag remit son canon radius redspray en bandoulière et les compagnons reprirent leur route d’un pas décidé et pressant. « On doit plus être qu’à quelques minutes de la sortie de cette maudite forêt », rassura le carmin tout en écartant les branches sur son passage. Les étranges bruits que S avait remarqué tout à l’heure étaient revenus le hanter. Il trébucha sur une racine sortant du sol et se releva aussitôt, comme s’il était poursuivi par le diable en personne. Ils continuèrent jusqu’à apercevoir de la lumière au-delà de la lisière des arbres. L’insongeable fut aussitôt soulagé, juste avant qu’un autre cri dément ne lui glace le sang et ne le fasse presque trébucher d’effroi et de surprise. Krag se retourna aussitôt qu’il dépassa le dernier arbre, son arme scrutant les mouvements derrière eux. L’insongeable, puis finalement Zabyss, le rejoignirent. S regarda une dernière fois en arrière et le regretta aussitôt. Son regard fut comme attiré par une tête qui semblait avoir fusionné avec un arbre, deux racines lui sortant des orbites. L’arbre en question se trouvait à seulement quelques dizaines de mètres de là où il était lui-même sorti de ce maudit bois. Il se retourna aussitôt puis reprit calmement ses esprits. « Regardez c’est là ! Le château de Rochebonne », indiqua le carmin en pointant du doigt des ruines médiévales en haut d’une pente rocailleuse et abrupte. 291 La Genèse de l’Apocalypse Ladite pente était parsemée de fleurs jaunes donnant un côté plutôt accueillant au château, contrastant avec les murs en ruine qui dominaient austèrement le paysage. Les trois compagnons s’attaquèrent ainsi au sentier serpentant en dessous des murs dans une légère brise de milieu de matinée, S se forçant à ne pas regarder derrière lui une fois de plus… Zagor passa en revue ses forces : une quarantaine de frères et sœurs survivants du val Masqué se battraient aux côtés de leurs cousins de l’enfer Verdoyant. Ils seraient épaulés par les frères et quelques dons. Enfin, un nombre encore inconnu de tigres gris allait être de la partie aux côtés des dépravés. C’était jouable, pensa le grand veilleur, mais il allait devoir trouver une idée de génie pour pouvoir les vaincre sans finir comme Gralug et le reste de la tribu de l’enfer Verdoyant. Il se concentra et commença à se retourner la tête pour trouver une solution… Un exterminateur plus haut gradé qu’eux avait mis fin à l’entrainement des deux amis inséparables et leur avait fait signe de le suivre. Après plusieurs minutes à marcher dans la forteresse labyrinthique, les deux exterminateurs fraichement nommés furent amenés dans une antichambre étrange dans laquelle des armes de corps à corps en tout genre étaient exposées. L’homme se retira et ils regardèrent autour eux d’un air curieux, attendant qu’on les fasse entrer dans la pièce d’à côté. Il y avait plus d’une soixantaine d’armes, dénombra rapidement Bâtard tandis que son confrère remarquait que certains râteliers étaient incomplets. Ils n’eurent pas beaucoup de temps pour les admirer, un homme ouvrant rapidement la porte d’un coup sec. « Entrez », leur lâcha une voix à la fois sifflante et rugissante. Les deux amis arrivèrent dans un petit bureau, semblable à celui dans lequel ils étaient venus plus tôt dans la journée. 292 La Genèse de l’Apocalypse « Bonjour je suis l’exterminateur de céruse Regodium, se présenta l’homme à côté duquel était posé un heaume à crête blanche. Je suis votre supérieur direct et celui qui vous enverra surement le plus en missions. » L’exterminateur Azilor put mieux l’observer tandis qu’il était au garde à vous. Son visage abimé par le temps comme un vieux parchemin ne comportait aucun signe de sagesse. Une lueur brulait dans ses yeux, celle qu’on lisait d’habitude dans ceux des jeunes soldats. Il était totalement chauve, d’épais sourcils et une paire de lèvres plus que gercées lui donnant un air sévère. « Repos, répondit-il simplement. Bon je ne vais pas y aller par quatre chemins, le temps m’est précieux. Votre baptême du feu devait avoir lieu dans quelques jours mais une occasion intéressante se présente donc nous allons en profiter. Je vous fais le topo rapidement : des pirates ont pris en otage un V.I.P. et ils se sont réfugiés sur une plateforme abandonnée, deux cents kilomètres à l’ouest de la Corse. Ce dernier est un dignitaire d’une des maisons de l’Atrium et ils demandent une rançon pour sa libération. » L’Atrium était divisé en deux parties : la noblesse repentie et l’ordre. La noblesse était divisée en familles, aussi appelées maisons. Chacune de ces familles dirigeait un royaume de taille variable, allant d’une petite région à plusieurs planètes. Elle avait sous ses ordres des forçats tributaires qui produisaient des ressources en tout genre pour ladite maison. Venaient ensuite les dignitaires, qui étaient aussi des membres de la famille. Plus ou moins nombreux selon la taille de cette dernière, ils représentaient leur maison auprès des forces repentrices. Chainon important de la machine repentrice, ils négociaient et troquaient au nom de leur famille pour que cette dernière perdure : or contre esclaves, nourriture contre armement, matière première contre or, or contre artefact et ainsi de suite. Tout était échangeable, selon le type de production de la maison concernée. 293 La Genèse de l’Apocalypse Les maisons étaient la source financière la plus importante des repenteurs depuis que le siège de Lumière avait mystérieusement disparu de la surface de la Terre après un raz de marée destructeur. « Vous allez devoir le sauver, reprit l’exterminateur. Enfin pas directement. Deux autres exterminateurs, plus expérimentés que vous, vont se servir de leurs talents pour arriver sans encombre vers le V.I.P. C’est à ce moment-là que vous entrez en jeu. Vous allez devoir faire diversion pendant que le V.I.P. sera extradé jusqu’ici. Un soutien vous sera directement envoyé dès que les deux autres exterminateurs auront fini leur job. Préparez-vous donc bien au combat, vous allez vous bastonner seuls à environ deux contre cinquante. C’est le genre typique de situations auxquelles font face les exterminateurs au quotidien. » Les deux amis déglutirent. Deux contre cinquante, ils allaient devoir la jouer tactique s’ils voulaient survivre plus de cinq minutes. « Les pirates sont mal équipés et mal entrainés, reprit Regodium. Mais ils utiliseront leur nombre contre vous. Faites marcher votre cervelle et vous survivrez. Un bon entrainement et une arme aiguisée peuvent vous faire tuer des dizaines voire des centaines d’ennemis sans faillir mais un esprit affuté peut vous faire gagner une guerre sans verser une seule goutte de sang, ne l’oubliez jamais. Fusionnez la tactique avec la brutalité et vous obtiendrez l’extermination. » Sur ces paroles, l’exterminateur ouvrit la porte et leur indiqua la sortie. « On va vous accompagner vers votre hélicoptère. Vous serez largués en parachute. Vous allez atterrir directement dans la fourmilière. Profitez de l’effet de surprise pour en tuer le plus possible, vous savez quoi faire. » Les deux amis étaient en train de traverser la salle remplie d’armes quand le guerrier en armure carapace les interpella une dernière fois. « Ne trahissez pas l’espoir que les exterminateurs ont placé en vous soldats ! » lâcha leur nouveau supérieur… 294 La Genèse de l’Apocalypse Les trois compagnons étaient arrivés dans les ruines de Rochebonne. S était en train d’admirer la vue, d’où on pouvait contempler la nature environnante à des kilomètres. Les deux protecteurs avaient ramassé des branches mortes et utilisé un silex pour allumer un petit feu de main de maitre, après quoi ils avaient fait réchauffer les rations piquées aux repenteurs un jour plus tôt. Une odeur de plat préparé emplit alors les narines des protecteurs et de l’insongeable, porté par un doux vent venu tout droit de la forêt les encerclant. Cette odeur, celle d’un vrai repas, S ne l’avait pas senti depuis tellement longtemps ! Tellement longtemps que c’était surement antérieur à son réveil dans les brumes de l’oubli, remarqua-t-il pour lui-même. Il ne se rappelait rien de cette période, ses souvenirs enfouis ressurgissant simplement de son subconscient quand ils étaient activés par ses sens. Dans sa tête il était en train de se repasser en boucle le moment oppressant qu’ils avaient passé dans la forêt. S n’avait pas peur mais il aimait pouvoir donner un visage à son ennemi, et le fait que ces événements restaient inexpliqués le rendait nerveux. Il n’avait pas arrêté de fixer le bois depuis qu’il en était sorti, à la recherche de la moindre trace de la tête qu’il avait cru distinguer dans un arbre. Il ne semblait en restait aucune trace, c’était comme si elle avait disparu. L’idée qu’il ait halluciné commençait à germer dans son esprit lorsque le vent lui porta la voix de Zabyss. « Viens plutôt manger au lieu de rêvasser. On a du bon thon comme le faisait mon grand-père », lâcha-t-il d’un ton exagérément sudiste. Cette remarque lui rappelant étrangement l’humour français à son apogée le fit sourire. 295 La Genèse de l’Apocalypse Les protecteurs étaient vraiment comme des grands frères pour lui maintenant. Il alla donc satisfaire son ventre, qui attendait un vrai repas depuis bien trop longtemps… Les deux hommes en armure carapace entrèrent dans le repentor. Deux autres exterminateurs les attendaient. Ces derniers avaient replié leurs crêtes bleues en arrière le long de leur casque, surement par souci de discrétion. Bâtard s’assit à côté de son ami, face aux deux autres guerriers. « Salut. Exterminateur Bâtard, se présenta ce dernier en tendant la main à une des crêtes bleues. » Un petit ricanement moqueur fut sa seule réponse. Azilor sentit son ami ravaler avec difficulté son envie d’en découdre. Il savait que si Bâtard s’énervait il y allait y avoir des morts et prôna donc le silence, comme il le faisait toujours dans les situations de ce genre. Le repentor décolla finalement et Azilor put souffler un coup, le bruit des rotors mettant fin à cet assourdissant silence… Le déforesteur dont s’était servi Larok était encore plus rapiécé qu’auparavant, sa tôle ayant été quasiment entièrement réquisitionnée pour servir de protection aux dépravés. Zagor trouvait ça un peu honteux de devoir se servir de l’équipement repenteur mais il savait aussi que s’ils ne le faisaient pas ils allaient tous mourir pour rien. Il avait finalement trouvé un plan, assez sommaire mais pouvant facilement être mis en place. Les frères Syndrakona avaient sacrifié une partie de leur réserve d’explosifs pour cacher du PX 3 dans le déforesteur. L’engin conduit par Larok allait faire des tours devant le reflet et narguer les repenteurs jusqu’à ce qu’ils sortent du reflet pour essayer de détruire le déforesteur. À ce moment-là les dépravés lanceraient l’attaque, pendant que les bikers viendraient sauver Larok sur leurs montures 296 La Genèse de l’Apocalypse démoniaques. S’il s’arrêtait au bon endroit, l’engin devrait suffisamment bloquer les lignes de vue des repenteurs pour qu’ils ne puissent pas tirer sur l’infortuné et le reste des dépravés. Quand ils verront les dépravés les attaquer, les repenteurs essayeront logiquement de se replacer sur un meilleur angle et c’est à ce moment-là que Zagor fera un signe aux frères pour que ces derniers activent les explosifs à distance. Toujours prévoyant, le grand veilleur avait donné comme mission à Hislachar de se poster sur le toit du reflet d’Azur à la tombée de la nuit. Il pourrait ainsi exterminer silencieusement les tireurs qui iraient sans aucun doute se poster sur le toit du bâtiment le lendemain. Le plan de Zagor s’arrêtait là, le reste dépendant de facteurs entre les mains du destin. Il réalisa à quel point l’avenir des dépravés de la région pesait sur ses épaules et croisa les doigts en espérant avoir fait le bon choix… « Largage dans trente secondes ! informa le pilote depuis l’avant de l’hélicoptère. — Il est temps de tuer », murmura Azilor dans son casque. Les quatre repenteurs firent coulisser les portes tout en restant accrochés à une poignée pour ne pas se faire emporter. « Quinze secondes ! » Ceci allait être la première d’une longue série de batailles en honneur du balafré, pensa alors l’exterminateur Azilor pour lui-même. « Sautez ! » L’exterminateur Azilor s’élança donc, suivi de près par Bâtard. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas senti un tel courant d’adrénaline parcourir tout son corps et le soldat ne put s’empêcher de lâcher un cri de satisfaction. Il regarda sur le côté et put distinguer les deux autres exterminateurs traverser de fines couches de nuages, impassibles. En les regardant il eut un avant-gout de ce qui allait tomber sur leurs ennemis. 297 La Genèse de l’Apocalypse L’armure carapace avait en effet de la gueule. Les exterminateurs fonçaient vers leur cible en sifflant dans l’atmosphère, des volutes de nuages glissant le long de leurs armures. Azilor pouvait à présent distinguer la plateforme et les ennemis qui se mouvaient sur cette dernière. Il en dénombrait une dizaine juste en dessous de leur point d’impact. L’exterminateur prépara son parachute, son purificateur en bandoulière. Il regarda sur le côté tandis qu’ils étaient à moins de cinquante mètres de la plateforme. Son fidèle ami lui fit signe avec son canon radius redspray. Un tir de couverture, comprit Azilor. Le massif parachute de Bâtard s’ouvrit alors dans un claquement et le soldat arrosa aussitôt les ennemis d’un tir soutenu, réussissant même à abattre plusieurs pirates avachis à même le sol. Azilor attendit d’être à moins de quinze mètres du sol pour activer son parachute, tandis que les deux autres repenteurs accrochaient des grappins sur un rebord pour activer à leur tour leurs parachutes hors de vue des pirates. C’étaient vraiment des malades, pensa Azilor. Il déploya rapidement son parachute dans un choc le sortant de sa réflexion. Il appuya sur la gâchette de son purificateur, faisant presque aussitôt fondre trois pirates lui faisant face. Tandis que les malheureux hurlaient de douleur et que leurs visages se déformaient sous la terrible brulure du phosphore flamboyant, il sentit Bâtard atterrir derrière lui dans un bruit métallique. Il se retourna et salua son ami qui marchait plusieurs mètres derrière lui. L’armure carapace de ce dernier était fumante et parsemée d’impacts, mais rien ne l’avait traversée. « Je vais bien », rassura une voix rauque. 298 La Genèse de l’Apocalypse Ils tournèrent sur eux-mêmes à la recherche d’ennemis, mais Bâtard les avaient apparemment tous descendus. Il tirait toujours aussi bien avec un redspray, pensa Azilor avec respect. « Viens, montons à un endroit où on pourra faire plus de grabuge ! » lâcha Azilor en montrant du doigt un escalier menant plus haut dans la plateforme. Ils avaient atterri dans une zone à moitié déserte où on pouvait apparemment atterrir en hélicoptère. Ils s’agrippèrent à la rambarde, montant vers le cœur du complexe et surtout là où ils trouveraient le plus d’ennemis à exterminer : les quartiers d’habitation… Cela faisait maintenant plusieurs heures que Torkus s’était isolé des autres repenteurs en train de s’entrainer pour essayer de comprendre le fonctionnement du kopfbrecher. C’était moins compliqué que ce qu’il pensait : l’engin était contrôlé par une manette. Il connaissait déjà la fonctionnalité de la plupart des boutons et il pouvait déjà le faire marcher et tirer. Au loin il pouvait voir les yeux envieux de Karlak se détourner de l’entrainement que donnaient les autres evocatis pour se poser sur lui et sa machine. Le vétéran se détourna et souffla dans son casque intégral. Il allait tous causer notre perte, pensa alors le sergent evocati. Il devait mourir, et vite. Le sergent pria pour que les dépravés le tuent rapidement avant qu’il ne fasse tout foirer… Azilor lâcha une langue de phosphore dans une des pièces où les pirates étaient en train de jouer aux cartes. Aucun d’eux n’eut le temps de se lever ou d’appeler à l’aide avant de mourir, le feu de l’enfer les empêchant de crier. Il sentit un bruit égal à un caillou ricochant sur du métal et se retourna, son basaltic eagle dans son autre main. 299 La Genèse de l’Apocalypse Il fit deux énormes trous dans le corps du malheureux armé d’un petite arme à feu. « Ça c’est pour le balafré enfoiré ! » cracha l’exterminateur alors que le son de ses tirs résonnait encore dans le métal exigu des conteneurs servant de piaule aux pirates. Il sortit dans l’allée principale, assez tôt pour voir les câbles de l’arme de son ami se mouvoir l’un vers l’autre. Des cris et des giclures de sang résonnèrent dans tous les sens tandis que Bâtard passait à côté de lui, le sourire aux lèvres derrière son heaume couvert de sang et de viscères. « J’adore cette arme, c’est cruel mais j’adore. C’est vraiment parfait pour ces endroits, tu grappine dans tous les sens et puis t’appuies sur une touche. Et là magie ! Monster kill ! expliqua l’exterminateur sur un ton singulier. — Je pense un peu pareil pour mon nouveau joujou », répondit Azilor avec un sourire caché par son heaume rougeoyant de rage. Tandis qu’ils continuaient vers la prochaine portion de demiportions, l’exterminateur se demandait ce que les gens penseraient s’ils les entendaient à ce moment-là. Ils les prendraient surement pour des fous, conclut l’exterminateur. Cette remarque le fit sourire tandis que des sons leur parvinrent au travers du long couloir serpentant autour de la structure plantée au milieu de la mer. Bâtard avait ramassé une bouteille de rhum et s’en était aussitôt fait une rasade à travers les orifices de son heaume. Il avait aussitôt craché sa gorgée par terre. « C’est de la merde leur alcool ! Brulons-les ! » mugit-il en jetant la bouteille en plein dans la face du pirate qui leur tirait dessus au canon radius sans grand effet. Une énième langue de phosphore flamboyant arriva vers l’avant de la colonne ennemie. Bâtard eut un rire cruel et sortit son canon radius à cadence rapide, étant trop loin pour utiliser sa déchiqueteuse. Alors que rayons et projectiles en tout genre les atteignaient sans effet et que leurs ennemis tombaient comme des mouches, 300 La Genèse de l’Apocalypse un choc propulsa soudainement Azilor au sol. Dans leur folie meurtrière, ils n’avaient pas couvert leurs arrières et une dynamite venait d’exploser un pas derrière eux. « On doit sortir de ce trou à rat ! lâcha Azilor en se relevant au milieu de membres calcinés. Ça sent le roussi par ici ! » Bâtard venait de tuer les deux hommes qui les avaient contournés et commença à reculer. La température avait lourdement monté, et Azilor commençait à nager à l’intérieur de sa tenue. Sa jauge de carburant était proche de zéro et il n’avait pas le temps de recharger. Il sortit son basaltic eagle et commença à tirer dans le lard, le bruit assourdissant de l’arme couvrant celui du brasier, lui-même couvrant celui des cris. Les ennemis s’étaient maintenant mis à l’abri dans les conteneurs tout au long de l’allée, sortant seulement pour délivrer un tir ou deux. La chaleur faisait perler de la sueur devant les yeux d’Azilor et il avait du mal à se concentrer. Il entendit Bâtard hurler quelque chose derrière lui mais l’exterminateur ne comprenait pas ce qu’il disait au milieu de la cacophonie ambiante. Il se retourna une fraction de seconde et vit son ami de toujours qui lui faisait signe cinq mètres plus loin dans la fumée naissante, le pied sur la première marche d’un escalier. Il se retourna aussitôt vers ses ennemis et fut surpris de voir un pirate à moins d’un mètre devant lui. Ses bons réflexes lui permirent de tirer en même temps que l’homme à l’allure défraichie. Une balle arracha presque complètement la jambe du pirate tandis que le contenu d’une cartouche de fusil à pompe était envoyé dans la cuisse de l’exterminateur. Il flancha tandis que de petits projectiles arrivaient à traverser une partie plus fine de son armure, sur la gauche de son genou. Bâtard accourut vers lui, furieux, et jeta toutes les grenades qu’il avait dans l’allée, relevant son camarade pendant que quatre 301 La Genèse de l’Apocalypse explosions quasi simultanées noyaient les pirates dans une tempête de shrapnel. Azilor se releva tant bien que mal et ils se dépêchèrent de rejoindre l’escalier tandis que des conteneurs troués commençaient à grincer sous le poids de leurs congénères au-dessus. « Merci, lâcha Azilor en sortant son exterminatrice pour s’en servir comme canne de fortune. Merde ça avait bien commencé ! Pourquoi il faut toujours un retour à la réalité aussi douloureux ! » fustigea-t-il alors qu’il avalait une petite capsule d’adiodine avec le peu de salive lui restant dans la gorge. Bâtard sourit. Il reconnaissait bien son ami dans ces paroles : toujours un brin d’humour même dans les situations les plus dangereuses. Azilor reprit son basaltic eagle alors que l’adrénaline et l’adiodine estompaient sa douleur et que des cris de rage se rapprochaient. L’exterminateur s’élança dans les marches à moitié rouillées, se pressant d’aller répandre la sentence de la destruction… S savourait son eau en ce rare moment de répit comme si c’était sa dernière rasade, comme il se devait toujours dans ce monde imprévisible. « … Et c’est comme ça qu’on est devenus meilleurs amis ! — Quoi ? lâcha l’insongeable qui rigolait autant pour la première fois depuis une éternité. Tu veux dire que vous êtes devenus meilleurs amis parce que vous vous êtes réveillés complètement saouls à la même table et que vous avez dû rembourser des litres et des litres d’alcool ? — Oui, confirma Krag d’un ton nostalgique et presque fier. On a mis du temps à se rappeler pourquoi on était là parce qu’à la base, on se connaissait pas du tout. En fait j’étais complètement détruit à cause d’une fille, tu sais ces créatures aux cheveux longs qui parlent beaucoup et qui changent tout le temps d’avis. — Serais-tu misogyne ? lança alors l’insongeable à Krag d’un ton malicieux. 302 La Genèse de l’Apocalypse — Ben c’est surtout que j’ai jamais compris les femmes. Et avec la connerie humaine, c’est les deux choses qui resteront surement un éternel mystère pour moi. Mais non je ne suis pas misogyne, et de toute façon j’ai pas le temps. », blagua le carmin en réponse à la boutade de l’insongeable. La comparaison fit rire les deux autres compagnons. « Pour en revenir à cette histoire, enchaina Krag. Zabyss s’était quant à lui fait virer de son boulot parce qu’il avait voulu faire une « bonne blague » à des clients à son travail. Il avait remplacé de l’eau par de l’alcool. Le problème c’est qu’un des clients en question était un ami du patron et il a tout de suite convoqué tout le monde pour savoir qui c’était. Et je peux te dire qu’à ce moment-là il y a eu qu’un con pour exploser de rire dans tout le secteur. On dirait pas mais sous son heaume et ses délires pyromanes y a un vrai gamin qui cherche qu’une chose : faire des conneries. — Mauvaise blague ! ajouta le flamboyant avec un accent approximativement allemand. — Mais tu travaillais où pour pouvoir remplacer comme ça l’eau par de l’alcool ? — Ben dans une agora. Avant j’avais travaillé dans une superstation, mais bon moi et tout ce carburant autant te dire qu’ils le regrettent encore. S rigola rien qu’à imaginer son protecteur faire une « mauvaise blague », comme il le disait si bien lui-même. — Mais, commença S perplexe et les sourcils froncés. Pourquoi t’as fait ça ? — Ben faut bien s’amuser écoute. On s’ennuyait comme des rats morts dans cette agora pour vieux, répondit simplement le flamboyant. J’te jure on aurait dit des zombies mais au ralenti fois mille, tu vois un peu le truc ? Genre le temps qu’ils choisissent leurs machins t’avait le temps de devenir presque aussi séniles qu’eux. Et bon pour la technique, c’était simple. J’ai tout simplement rempli les fontaines d’eau mises en place comme c’était l’été par tout l’alcool que j’avais en surplus, en partie parce que mon pote Olek venait de rentrer de son patelin avec de quoi 303 La Genèse de l’Apocalypse tenir un siège. C’était un vrai celui-là ! Sacré polak il buvait vraiment ça comme de l’eau ! Bref ; et donc j’ai fermé le tout et hop, ni vu ni connu. Et comme les vieux avaient peur de la canicule de par chez moi eh ben ils se sont rapidement jetés dessus. Par contre j’étais trop dégouté parce que j’ai pas pu les suivre jusqu’à chez eux pour voir le résultat, ajouta Zabyss alors que l’insongeable pleurait presque de rire. Mais quand le chef nous a tous convoqués j’ai pas pu m’empêcher de les imaginer et c’est pour ça que j’étais mort de rire à ce moment-là. Et donc je me suis fait virer, mais ça en valait la peine. Je suis donc allé boire un coup avec mon pote Olek le poivrot. On a bu plus de deux litres de vodka à nous deux. Après ce vicieux est parti je sais pas pourquoi et je me suis endormi comme une merde. Quand je me suis réveillé l’autre tête de nœud était là. — Ben moi, reprit le carmin. Quand je suis arrivé y avait plus de place sauf à un endroit, à savoir à côté de Zabyss. Mais le souci c’est que j’ai voulu boire en attendant un ami. Et comme il est jamais venu j’ai eu le temps de boire ma bière, mon pastis et aussi de finir la table de shots de Zabyss. On a ensuite dû rembourser en faisant les larbins dans ce pub à la con. À la fin on voulait faire une blague pour leur laisser un cadeau. Le coup de la vodka ça serait passé inaperçu et l’inverse c’était moins marrant alors on a opté pour autre chose, mais ça c’est une autre histoire. — Voilà voilà, c’est tout pour aujourd’hui en ce qui concerne tonton Krag et tonton Zabyss. Une autre histoire demain », finit le flamboyant sur le ton de la rigolade. S mit plusieurs secondes à s’arrêter de rire et cette histoire de l’ancien monde lui fit soudainement penser à quelque chose qui n’avait pas de rapport direct avec la situation : son nom. Il ne savait pas du tout d’où il venait mais c’était comme s’il l’avait toujours porté. Cette pensée le troubla au point de le frustrer. « Tant qu’on y est vous pouvez me parler du passé, du monde d’avant ? J’ai qu’une vision incomplète de l’ancien monde. Ça me frustre je ne sais pas grand-chose sur ce monde au final, et encore moins sur moi-même. 304 La Genèse de l’Apocalypse — Hum, la mémoire en hibernation. C’est donc vrai, chuchota le flamboyant. — Écoute, on ne doit pas trop t’en dire maintenant sinon ton cerveau risque de sortir tellement de souvenirs d’un coup que tu vas péter un câble. Ta mémoire est comme, le protecteur marqua une pause à la recherche d’un mot exact, « compressée ». Tu sais énormément de choses et c’est pour ça que nous devons te protéger, tu es la clef du savoir et le messager de la vérité. Sans toi les repenteurs, et je doute que ça soit les seuls, assiéront leur fausse vérité sans que la véritable soit dévoilée. Plus le mensonge essaie de l’étouffer plus grande est la vérité, et c’est ce que prouvent les repenteurs en vouant autant de ressources pour te retrouver. Mais t’inquiète pas pour ça tu sauras tout en temps et en heure », rassura le protecteur. L’insongeable hocha de la tête et ouvrit une autre ration, l’air pensif et encore plus perdu qu’auparavant… Azilor et Bâtard avaient exterminé un énième groupe de pirates lors de leur ascension vers le plus haut de la structure de ferraille et de béton. Ils étaient tous deux épuisés et commençaient à en avoir marre de se battre contre des vagues incessantes d’ennemis. « Bordel ! lâcha Bâtard en arrivant en haut de l’escalier. On en a tué au moins quarante depuis qu’on est ici, et y arrivent toujours à l’infini ! Je crois qu’ils ont un peu sous-estimé le nombre de ces connards. — Je suis d’accord avec toi », acquiesça Azilor qui avait toujours du plomb dans l’aile. Le haut de l’escalier les amena vers une zone plutôt vide. Azilor regarda aux alentours à la recherche d’ennemis potentiels. Il n’en vit aucun, même sur les cheminées et structures en forme de tourelles, mais put par contre remarquer que le feu se répandait partout autour d’eux. « Bordel, mais d’où peuvent venir toutes ces flammes ! Y a que de la tôle sur c’machin, jura Bâtard. 305 La Genèse de l’Apocalypse — J’avoue que ça me perturbe aussi. Mais moins que le fait qu’on ait plus vu de pirates depuis plusieurs minutes. » Bâtard eu un grognement d’approbation. C’est à ce moment précis qu’un pirate sortit en claudiquant de la fumée filtrant d’une grosse bouche d’aération devant eux. « Attend, fit signe Azilor. Il a pas d’armes, économise tes munitions. » Bâtard sortit son exterminatrice et s’approcha de l’homme qui marchait comme un mort-vivant. Le pirate essaya de faire un mouvement avec son bras mais Bâtard coupa ce dernier avant que le pirate ne finisse son geste. Les deux repenteurs froncèrent des sourcils. En effet l’homme ne cria pas de douleur. À la place il se mit à rire comme un dément. « C’est quoi ce bordel ? demanda Azilor tandis que son ami coupait la tête du malheureux. — Putain mais il est complètement défoncé. Tu sens cette odeur ? » demanda Bâtard après un temps de pause, couvrant le bruit du sang qui giclait du tronc sans tête du pirate. Azilor s’approcha de la fumée et reconnut directement l’odeur. « Ça sent le dulcifer ! lâcha l’exterminateur étonné par sa propre déduction. On a dû faire bruler leur consommation personnelle sans faire exprès ! » Les deux repenteurs se mirent à rire en s’éloignant un peu de la fumée. « On a eu de la chance sur ce coup-là, éloignons-nous pour pas finir comme eux. Allons dire bonjour aux survivants qui doivent nous attendre là-haut. Ça doit être sur ce bout de béton que se trouve leur chef. » Bâtard suivit du regard le doigt de l’autre exterminateur. Accrochée le long de l’espèce de cheminée la plus haute, une grosse plateforme aux airs instables les fixait de toute sa hauteur. Le seul moyen pour y accéder était un ascenseur complètement rouillé, ce qui fit grogner une fois de plus Bâtard. 306 La Genèse de l’Apocalypse Une trainée scindant la mer attira l’attention des deux exterminateurs tandis qu’ils s’apprêtaient à rentrer dans l’ascenseur. « C’est bon pour eux, constata Bâtard. Les renforts vont pas tarder à être envoyés, lâcha l’exterminateur en regardant l’horizon. — Juste quand on commençait à s’amuser », soupira Azilor qui pouvait distinguer les silhouettes de ce qui semblait être des bateaux s’éloigner à grande vitesse vers le nord-ouest. Ils approchèrent de l’ascenseur et tombèrent sur un pirate défoncé qui dormait étalé dans la cabine. Bâtard attendit bien d’être à plus de dix mètres de haut pour le pousser du haut de l’ascenseur. Le craquement lointain de ses os arracha un léger et cruel sourire à Bâtard. L’horrible bruit de crissement s’arrêta enfin à plus de vingt mètres du sol rouillé. Azilor observa en moins d’une seconde la plateforme devant eux. Elle était petite, remplie d’hommes dans un état second, et au centre siégeait un étrange canapé transformé en trône. Un homme avec un bicorne napoléonien y était tranquillement avachi en train de fumer, entouré de deux filles à moitié nues. Ils sortirent de la cabine et profitèrent de l’effet de surprise sans plus tarder. Azilor tira trois balles avant de sauter derrière un couvert prenant la forme d’une palette de bière de contrebande. La première fit exploser une tête tandis que les deux autres atterrirent dans les poumons d’un autre pirate. Bâtard grappina quant à lui dans tous les sens, activant ensuite le mécanisme meurtrier de son arme à couvert. Azilor regarda par-dessus son couvert et put voir quatre ennemis de plus coupés en rondelles tandis que le chef supposé des pirates glissait de son canapé comme du beurre sur une poêle. « Je me suis fait un trou de boulette bande d’enfoirés ! Descendez-moi ces foutues boites de conserve ! » beugla-t-il de sa forte voix. 307 La Genèse de l’Apocalypse Il restait une dizaine de pirates en état de combattre, dénombra Bâtard en préparant son redspray. L’échange de tirs commença dans une furie sanguinaire générale, tandis que le chef ennemi se dirigeait de sa trajectoire aléatoire vers une étrange mitrailleuse montée sur tourelle… Les trois compagnons finissaient de se remplir la panse quand un bruit lointain mit en alerte les sens aiguisés de l’insongeable. Il se leva aussitôt et tourna sur lui-même, cherchant l’origine de l’étrange bruit. Il était semblable à un vrombissement étouffé par le vent. « Qu’y a-t-il ? demanda Krag. — J’entends un bruit au loin, comme une sorte de moteur. » Les deux protecteurs sortirent leurs armes en se mirent à regarder eux aussi dans tous les sens. Le bruit se rapprochait tout en restant assez lointain pour laisser planer le doute sur son existence. Zabyss s’agenouilla et toucha la pierre du château. « Le sol vibre », lâcha-t-il avec un trait d’inquiétude dans la voix. Krag, préférant être prévoyant, éteignit le feu à grands coups de bottes et ramassa les déchets en vitesse pour cacher le tout aux yeux extérieurs. « Dans la tour ! » pressa le protecteur tandis qu’il mettait les derniers déchets dans le sac en toile presque plein. Zabyss et S coururent se mettre à l’abri dans l’ombre de la tour à ciel ouvert. Krag rejoignit finalement l’insongeable et son compère protecteur alors que le bruit se rapprochait tout d’un coup plus rapidement. « Restez calme », lâcha Zabyss tandis qu’ils essayaient de rester immobiles, cachés qu’ils étaient par une légère zone d’ombre. L’insongeable essaya de calmer sa respiration, écrasant son dos et son sac contre les pierres de la tour, son basaltic eagle à la main. Une goutte de sueur froide dégoulina le long de sa joue tandis que le bruit s’approchait lentement, tel le spectre sonore d’une nuée ardente descendant les flancs d’un volcan après une lointaine éruption… 308 La Genèse de l’Apocalypse Il ne restait plus beaucoup de pirates lorsque le chef ennemi et son chapeau où étaient accrochées de nombreuses capsules avaient réussi à mettre en marche son étrange mitrailleuse. Un son de machinerie bruyante et crissante submergea alors celui des tirs alentour, forçant les deux exterminateurs à se remettre derrière leurs couverts alcoolisés. Des projectiles inconnus semblables à du shrapnel commencèrent à fuser dans tous les sens autour de la position des deux exterminateurs, les forçant à changer de couverts tandis que de la bière se répandait partout autour d’eux dans de mousseux torrents. « C’est quoi ces machins ?! » jura Azilor alors qu’un projectile lui frôlait la tête. Le bruit cessa tout à coup et Azilor comprit que le pirate devait recharger son étrange mitrailleuse entourée de plaques protectrices. Il regarda discrètement au-dessus de son couvert de fortune tandis que Bâtard ramassait un des projectiles encore chauffé à blanc. « C’est une putain de capsule ! » identifia l’exterminateur avec étonnement et incompréhension. Un radius vint alors roussir un peu plus l’armure d’Azilor. Il se retourna aussitôt, tirant une balle de basaltic eagle en direction du pirate qui les avait astucieusement contournés. L’homme fut projeté en arrière avec un trou de la taille d’un poing au niveau du torse. Les deux repenteurs sortirent leurs têtes de leurs couverts pour tirer sur les quelques pirates restants qui entouraient leur chef. Trois balles de basaltic eagle et une salve de redspray les fit taire, avant que la mitrailleuse du chef maintenant seul inverse les rôles. « On est trop loin pour le tuer à coup de grenades, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Bâtard à son ami tout en changeant de couvert — Balance des fumigènes. Je dois me rapprocher de lui », informa l’exterminateur après une rapide réflexion. 309 La Genèse de l’Apocalypse Bâtard s’exécuta et lança deux grenades fog tandis qu’une capsule se plantait sans effet dans l’épaisse épaulière d’Azilor. Il allait devoir traverser les dix mètres qui l’empêchaient d’être à portée pour utiliser son purificateur sur le capitaine pirate. Il s’arma de courage, avala une autre pilule d’adiodine et s’élança à travers la fumée d’un pas lourd, son ami tirant à travers cette dernière en guise de diversion… Le sol faisait vibrer entièrement le corps des trois compagnons alors qu’une immense ombre se rapprochait d’eux et plongeait dans le noir la région tout autour d’eux. « Qu’est-ce qui peut faire autant de boucan ? chuchota l’insongeable, la voix presque totalement passée sous silence par le sourd et étrange bruit qui se rapprochait. — J’en sais rien mais ça présage rien de bon », lâcha le flamboyant alors que son frère gêné par son marteau se concentrait à rester dans l’ombre. Au bout d’un moment la forme pointa enfin son nez au-dessus de leurs têtes tout en amenant le vent avec elle. Au-dessus d’eux se tenait ainsi, à plusieurs milliers de pieds de hauteur, un énorme aéronef. Sa construction était étrange. La forme de l’engin était à mi-chemin entre un zeppelin et un avion, ayant les grandes cellules cylindriques de l’un et les ailes de l’autre. D’énormes hélices étaient ancrées tout le long des massives ailes qui finissaient en courbures vers le bas, tandis que les énormes armatures rondes étaient encastrées dans le gargantuesque fuselage. Malgré le fait qu’ils n’en voyaient qu’une partie, l’aéronef faisait déjà plusieurs centaines de mètres de long. « Putain de merde ! Je croyais que j’allais jamais revoir une de ces choses dans ce monde ! s’exclama le carmin à la vue de l’étrange chose traversant le ciel au-dessus d’eux. — Qu’est-ce que c’est ? demanda l’insongeable au protecteur alors qu’il pouvait distinguer des formes voltiger autour de l’énorme engin tel des abeilles voletant autour d’une ruche. 310 La Genèse de l’Apocalypse — Ce truc que tu vois là est une putain de rouleau compresseur repenteur. Cette chose porte le nom d’arche d’éon. » Cette dernière phrase arracha un grognement à Zabyss qui serra son blazing eagle assez fort pour en faire crisser l’acier. « Les arches d’éon sont ce qui a en grande partie causé la défaite de ce monde face aux repenteurs, continua Zabyss. On n’en a jamais capturé une donc on n’a pas plus d’information mais ils peuvent pour sûr transporter des dizaines de milliers de repenteurs. La légende veut que les arches d’éon ne se soient jamais posées depuis leur construction. En effet les hélices que tu vois transforment le vent en énergie, aidées par d’énormes feuilles starabsorber qu’on ne voit pas d’en dessous. Les grosses poches de gaz permettent aux arches d’éon d’avoir un besoin minime d’énergie tout en pouvant voler à très haute altitude. Ces trucs ont une armada entière dans leur ventre et peuvent envahir un pays par surprise en quelques heures. — Et c’est ce qu’il s’est passé lorsque les repenteurs ont envahi la Terre en plein chaos total. Ces forteresses volantes ont tout l’armement que tu peux imaginer, elles n’ont aucun point faible. Quand ils ont attaqué notre base ils nous en ont envoyé une juste pour nous, la 031. Crois-moi, on se rappelle tous de ce nombre et un jour cette arche d’éon paiera pour tous les gens libres dont elle a causé la mort. — Je comprends, lâcha S impressionné. Je serai avec vous quand vous irez dans le ventre de ce monstre. » Les deux protecteurs acquiescèrent d’un signe de tête. « Celui-ci est le 035 si je vois bien, repéra l’insongeable après une seconde de concentration. — C’est exact, confirma le carmin alors que des silhouettes perdaient de l’altitude au-dessus d’eux. Pour en revenir au sujet, nous soupçonnons les arches d’éon de posséder un véritable écosystème en leur sein. Ceci expliquerait pourquoi il semblerait possible pour une arche d’éon de rester en vol une éternité. Cette quasi-certitude rend ces arches aussi indépendantes qu’imprévisibles. On peut facilement imaginer comment ils 311 La Genèse de l’Apocalypse peuvent subsister avec une machinerie qui leur fournit de l’air, de la nourriture, de l’eau et de l’énergie à l’infini. — Il faut avouer que c’est diablement ingénieux, soupira l’insongeable qui se sentait tout d’un coup impuissant. — Merde ils se rapprochent ! jura Krag. Silence radio jusqu’à ce qu’ils s’en aillent. » Les silhouettes s’étaient en effet rapprochées et des hélicoptères descendaient dans leur direction, surement pour chercher des éclaireurs ou de la DCA. S essayait de les distinguer du coin de l’œil. Ils avaient l’air d’avoir du mal à manœuvrer à cause de l’énorme masse d’air que déplaçait l’arche d’éon toujours en train de glisser au-dessus de leurs têtes comme un nuage. Trois hélicoptères se rapprochèrent assez près pour que l’insongeable puisse en distinguer les passagers. Ils portaient tous des tenues spéciales et l’hélicoptère, qui semblait totalement étanche, ressemblait à un repentor mais sa forme et surtout son nez étaient plus effilés. À un peu moins d’une centaine de mètres d’eux les écoutilles s’ouvrirent pour dévoiler la forme d’un homme. Le repenteur de noir vêtu portait un casque surmonté de lunettes rouges. Il scruta alors l’horizon à l’abri derrière la tourelle de son hélico. Les deux autres hélicoptères se positionnèrent autour du premier. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes, mouvant légèrement leur étrange carlingue tout en épiant impassiblement l’horizon. Au bout d’un interminablement moment dont les compagnons avaient maudits chaque seconde, les hélicoptères reprirent leur envol vers une autre zone. Une seconde plus tard, un petit engin passa juste devant les ruines à une vitesse folle. S recula en mode réflexe et toussa, l’acre fumée lui remontant dans les narines. « Ce sont des fuseurs II, expliqua le carmin en brisant le silence. Ils sont en quelque sorte les ancêtres indirects des blackwings. Ce sont des genres de fusées dans lesquels un homme se tient, 312 La Genèse de l’Apocalypse contrôlant la direction de l’engin. Son armement comprend une petite mitrailleuse et de deux roquettes. L’habitacle est complètement fermé et ils utilisent du carburant contrairement aux blackwings, ce qui les différencie en plusieurs points. Leur vitesse est tout de même bien supérieure aux blackwings. Seules les arches d’éon les utilisent, surtout pour la reconnaissance de terrain et les actions de guérilla. Autant te dire que si tu vois ces trainées noires au loin c’est comme un mauvais présage ; mais en pire. — Ne t’inquiète pas, ajouta Zabyss. Ils ne nous verront jamais à cette vitesse, on n’a rien à craindre d’eux. Ils cherchent surtout des grosses cibles et de l’adrénaline. Ces mecs doivent quand même tous être des tarés pour vouloir voler aussi vite, finit-il par penser. — Les espèces d’hélicoptères hybrides que t’as vu sont des arpentors V. Ce sont un peu l’équivalent des repentors dans les arches d’éon. » S but les paroles de son protecteur, toujours en soif d’apprendre. « Bon, on va attendre encore un peu le temps qu’ils soient tous partis et on pourra reprendre notre route. » L’insongeable soupira doucement, comme pour acquiescer, et fit descendre un peu la pression qui lui lacérait le ventre. Il approcha sa tête d’un trou dans le mur et put alors mesurer l’immensité du mastodonte les ayant dépassés depuis peu. Il devait faire au moins deux milles coudées de long, réalisa-t-il stupéfait. Il rangea ses armes et laissa lentement s’écouler le temps, tout en essayant de ne pas penser à ce qui leur arriverait si un des fuseurs les repérait… Azilor s’était décalé de la ligne de tir de Bâtard de son pas lourd. Il était ensuite sorti de la fumée au dernier moment sur la droite de sa cible et avait appuyé sur la détente de son purificateur, le pirate éberlué essayant de retourner vers lui sa grosse mitrailleuse dans un bruit crissant. 313 La Genèse de l’Apocalypse Le phosphore flamboyant fit alors exploser l’étrange mitrailleuse sous le poids de la chaleur, envoyant les deux protagonistes à terre. Bâtard vint à la rescousse de son ami dès qu’il entendit l’explosion. L’armure fumante d’Azilor était parsemée de capsules qui empêchaient à l’exterminateur de bouger sans se faire tirailler par de vicieuses blessures. Il lâcha un grognement tandis que son ami enlevait une capsule particulièrement bien ancrée dans sa chair. « Ça va aller ? demanda Bâtard à l’autre repenteur. — Ça va aller », gémit Azilor en se relevant à l’aide de son exterminatrice. Ils s’avancèrent lentement vers ce qu’il restait de la lanceuse de capsules. Le capitaine pirate avait été éjecté à plusieurs mètres. À moitié assommée il enlevait les dernières capsules plantées dans son étrange manteau en cuir renforcé par des plaques d’eluzirium. La douleur se dégageait de son visage rougi par l’alcool se finissant en une barbe où y étaient attachées plusieurs étranges capsules. « Vous m’avez bien eu bande d’enfoirés ! Je vous ai pas vu venir. Je pensais que ma Capsuladora vous avait démonté, avoua-t-il en crachant du sang sur le sol métallique de la plateforme. — Merci c’était le but, répondit Azilor qui appréciait quand ses ennemis s’avouaient vaincus sans essayer de le tuer vilement. Avant qu’on s’occupe de toi, tu pourrais nous expliquer pourquoi t’as des capsules dans ta putain de barbe ? » Le pirate sourit, dévoilant une dentition parsemée de dents en suprastrum. « Vous avez en face de vous Barbe Caps, un capitaine pirate, voilà pourquoi. Les capsules sont une monnaie d’échange chez nous, et certaines valent plus que d’autres. Celles que tu vois dans ma barbe en font partie. — Hum, lâcha simplement Azilor qui avait du mal à comprendre comment une chose aussi insignifiante pouvait devenir une quelconque monnaie. 314 La Genèse de l’Apocalypse — Si ça m’avais pas pris une heure pour enlever mon armure tu te serais mise à genoux pour moi », lâcha tout à coup Bâtard en direction des deux filles à moitié nues n’ayant pas bougées du combat. Azilor ne comprit que leurs sourires n’étaient pas charnels mais ironiques quand elles sortirent des armes de sous le canapé où elles étaient étalées. Il eut le réflexe de tirer deux balles de basaltic eagle avant qu’elles puissent tirer avec leurs pistolets mitrailleurs. Les deux charmantes silhouettes trouées de part en part s’écroulèrent alors lourdement sur le sol métallique, lâchant par la même occasion leurs RAK 63. « Merci, lâcha Bâtard d’un ton qui laissait entendre que ce dernier regrettait déjà d’avoir baissé sa garde. — C’était de bonnes filles, lâcha le chef pirate avec une tristesse presque invisible. — Bâtard menotte-le, les hélicoptères arrivent. Peut-être que les percontators en tireront quelque chose. » Ce dernier s’approcha de Barbe Caps et s’exécuta tandis que trois taches noires pointaient leur nez à l’ouest. Bâtard fut étonné que le pirate ne se débatte pas mais redoubla tout de même de vigilance. L’exterminateur Azilor fit un dernier tour de la zone pour achever les pirates mourants de son exterminatrice. « Bon suis nous sans faire de conneries et tu auras la vie sauve », lâcha l’exterminateur au pirate. Bâtard indiqua l’ascenseur à l’homme menotté. « Qu’est-ce que vous allez faire de moi ? demanda Barbe Caps en essayant de cacher sa naissante inquiétude. Je me demande si je ne préfère pas mourir plutôt qu’être aux mains de vos supérieurs. » La porte grillagée se referma et leur longue et crissante descente put commencer. « Laissez-moi vivre. Faites comme si j’étais mort et je serai vous rendre la pareille. Je connais beaucoup de monde ! » s’exclama le pirate. 315 La Genèse de l’Apocalypse Aux mots du pirate les deux repenteurs se regardèrent d’un air étonné. « Ceux du relai de la Passe me connaissent bien, reprit-il. Vous voyez ça ? ajouta-t-il en montrant une des capsules qu’il avait dans sa barbe. C’est une rattlecap ! Ça a extrêmement de valeur chez les pirates ! — Non », coupa sèchement Azilor. Barbe Caps se mit alors à gesticuler comme un lion en cage. Ils sortirent finalement du brinquebalant ascenseur une dizaine de secondes plus tard. Les hélicoptères leur faisaient face au loin, entourés d’une fumée sombre et épaisse qu’ils battaient de leurs rotors. Les trois hommes longèrent la rambarde qui bordait la plateforme. Tout à coup, Barbe Caps se faufila comme un rat entre les deux guerriers en armure carapace et se propulsa de ses deux pieds audessus de la rambarde. Azilor, surpris, n’eut pas le temps de le mettre en joue et accourut vers le rebord de la plateforme. « Laisse tomber, lâcha Bâtard en le retenant par le bras. Il est mort de toute façon, et notre job ici est terminé. Oublie ce foutu pirate, on rentre. — Ouais t’as raison, la chute va le tuer de toute manière ! » Les exterminateurs se retournèrent ensuite sans regarder en contrebas et se dirigèrent impassiblement vers les hélicoptères repenteurs, cerclés qu’ils étaient de soldats en positions défensives autour des engins. À la vue de leur arrivée pesante les soldats se mirent au garde-àvous, un sergent en tête. « Sergent Honizza à votre service, se présenta l’homme qui portait une héraldique d’un blanc cassé strié de noir. 65ème bataillon de la 14ème Légion. Sous les ordres du Mandataire Nhakinvat. — Exterminateurs Azilor et Bâtard, sous les ordres de la 1ère tempête hurlante du Fulgurastra dirigée par son exterminateur d’ébène, Taliannor. Rompez, la mission est un succès. » 316 La Genèse de l’Apocalypse Le sergent s’exécuta et leur fit signe de monter dans les hélicoptères : il était temps pour les exterminateurs de rentrer de leur première mission… Les fuseurs étaient enfin partis et les compagnons avaient pris plusieurs minutes pour dégourdir leurs membres endoloris. L’insongeable était en train de regarder l’horizon lorsque des cris se firent entendre dans la forêt en contrebas de leur position. Les deux protecteurs les avaient entendus aussi. Ils étaient différents des cris terrifiants qu’avaient entendus les trois hommes plus tôt : ils semblaient cette fois plus « humains ». À quelques centaines de mètres en contrebas, la forêt laissait place à une pente abrupte clairsemée de conifères. « Là, ça bouge », montra le flamboyant en direction de la lisière au sud. L’insongeable dut plisser les yeux pour pouvoir distinguer les silhouettes qui courraient à la lisière du bois. « C’est quoi ce bordel ?! tonna Krag en observant incrédule le nombre conséquent d’hommes qui sortait en vitesse du bois. — On dirait qu’ils ont peur, lâcha l’insongeable. Écoutez leurs cris. — Tu as raison, affirma le carmin en entendant les beuglements de bêtes des hommes en contrebas. — Ce sont des bellateurs, comprit Krag alors qu’il pouvait observer de plus près les premiers hommes de tête. — Qui sont-ils ? demanda l’insongeable au savant protecteur tandis qu’une trentaine d’hommes montaient déjà la longue pente en rangs désordonnés. — Ce sont des hommes revenus à l’état sauvage. Ils vivent dans les endroits reculés où la nature est encore chez elle, comme ici. Ils sont neutres et ne défendent que leurs territoires pour survivre, mais je ne comprends pas pourquoi ils fuient ainsi leur forêt qu’ils aiment tant. — J’ai l’impression qu’ils ne savent pas qu’on est là ! remarqua le flamboyant ses deux blazing eagles au creux de ses poings. 317 La Genèse de l’Apocalypse — T’as raison, gardons un profil bas et restons sur la défensive, ne tuez que ceux qui s’approchent de vous. » Ses deux armes de poing prêtes, S observa les hommes qui étaient à maintenant moins de cinquante mètres d’eux. Ils portaient une tenue dépenaillée faite de haillons et d’éléments naturels difficilement identifiables, certains portants d’étranges capes faites de morceaux d’écorce. Ils portaient des armes rudimentaires faites de bouts de bois et de rochers taillés. L’insongeable put alors bien discerner leurs regards complètement terrorisés et perdus. Mais que pouvait-il bien leur faire aussi peur ? Se demanda S, un vent froid venant rafraichir son T-shirt et sa gueule défraichie en cette fin d’après-midi… Le battement de rotors du transport volant rythmait leur discussion au-dessus de la Méditerranée. « … Tu crois que le conseil de Regodium nous a aidé ? demanda Bâtard. — Je crois pas, ricana Azilor. Tin mais il s’est cru dans un livre ou quoi ? On n’avait pas besoin de conseils mais d’une putain de bombe ! — J’avoue, leur informateur devait avoir testé leur herbe exotique à la con avant de faire son rapport. Ils devaient bien être plus de cent ces enfoirés de bouteilles de rhum sur pattes. On a eu de la chance que les flammes brulent les bons trucs sinon on aurait été fait comme des rats. Mais ça reste un faux baptême du feu pour moi : même les moins défoncés n’étaient pas à cent pourcents de leurs capacités. — T’as raison, acquiesça Azilor. La prochaine fois j’espère qu’on se battra contre de vrais soldats ou de vrais guerriers. — J’espère exactement la même chose », finit par avouer Bâtard en observant les contours de Point Black se dessiner au loin, éclairés par les désormais rares rayons de soleil… 318 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons n’avaient abattu que cinq bellateurs, les autres s’étant contentés de passer à côté d’eux en hurlant sans même poser un regard sur les compagnons. Zabyss avait essayé de poser une question à un des hommes, un grand bellateur bien bâti avec une longue chevelure blonde. Deux balles de basaltic eagle l’avaient traversé de part en part et il était simplement tombé par terre. Forçant le respect des trois compagnons, il n’était pas mort et avait continué à hurler dans son langage onomatopéique. Ne pouvant rien comprendre à son charabia, Zabyss avait finalement mis fin à ses douleurs avec une pointe de tristesse. Tandis que le soleil se couchait peu à peu et que le vent était libéré sur l’horizon assombri, les compagnons s’étaient réunis autour d’un nouveau feu de camp pour se réchauffer. « T’as pas froid ? demanda Krag à l’insongeable qui était toujours en T-shirt depuis qu’ils s’étaient rencontrés. — Non ça va merci. À force de dormir dans la rue je crains plus vraiment le froid, ce qui est pas le cas avec la chaleur. Ne t’inquiète pas pour moi », remercia l’insongeable. Le carmin acquiesça. « Ce qui m’inquiète le plus personnellement c’est cette forêt maudite qu’on a traversée, ce qu’on y a vu et ces bellateurs en fuite », lâcha Zabyss. Le souvenir du cadavre du repenteur revint intact aux yeux de S, lui faisant aussitôt frissonner toute l’échine. « Ouais t’as raison, pourquoi on part pas vers le nord ? demanda l’insongeable. — On ne peut malheureusement pas, avança Krag. Nous sommes apparemment sur les territoires des bellateurs et ils sont hostiles à tous ceux qui foulent leur royaume, peu importe qui ou quoi. Ils ont été effrayés tout à l’heure mais croyez-moi ils doivent nous observer à l’heure qu’il est et ils se battront jusqu’au dernier si nous pénétrons dans leur forêt. Ils se terrent le jour, c’est donc à l’aube que nous pourrons reprendre notre chemin. C’est pour cela qu’il faudra laisser le feu allumé le plus longtemps possible pour les tenir à distance. Pour eux nous sommes comme 319 La Genèse de l’Apocalypse des genres de magiciens, nous les fascinons autant que nous les terrorisons. » Les deux autres compagnons assimilèrent les informations du carmin, se faisant à l’idée de devoir rester dans un endroit dangereux entouré d’ennemis potentiels avec un feu qui était surement visible à des lieues à la ronde. Ce fut quand la nuit tomba que l’insongeable se sentit tout à coup vulnérable, malgré sa bonne vision dans l’obscurité et sa proximité avec le feu de camp… Lergoragor se tenait sur le toit où son frère Kwor était mort. Il se rappelait du rituel de l’adieu avec tristesse. Peut-être un jour son feu frère sortirait de sa torpeur comme lui avait expliqué Zagor, pour défendre le sanctuaire des dépravés où était enraciné le Grand Père. Lergoragor était content d’avoir enfin trouvé une famille qui allait affronter cette dure vie à ses côtés, pensa-t-il alors que le tigre gris tout proche bougeait distraitement sa queue. Je ferais tout pour ce que ma nouvelle famille ne meurt pas prématurément, se promit-il à lui-même. Il sera le poing et regarda l’horizon orangé de fin de soirée, le tigre gris suivant de ses yeux une volée de grands oiseaux virevoltants au-dessus de la Méditerranée… 320 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 10 : Fragments and Shadows / The Code Fulgurastra / [12 Cruciamentum an 13 ; Terre] Le vent s’était mis à violement souffler juste après que le soleil se soit couché, comme pour le remplacer. Les trois compagnons réunis autour du feu regardaient ce dernier vaciller tout en discutant pour ne pas penser au danger les entourant. « … Quand on a été trahis par le Judas et que les repenteurs nous ont attaqués au rempart Néantique, personne ne s’y attendait. Notre première base était cachée dans les Alpes, bien à l’abri des regards indiscrets. Quand on a détecté l’arche d’éon, c’était trop tard. Des nuages entiers d’une avant-garde de parachutistes armée jusqu’aux dents atterrissaient déjà en plein milieu du défilé du Serpentaire. Cette longue voie était l’unique chemin permettant d’atteindre le rempart Néantique. On n’était pas assez nombreux pour faire face à une telle armada malgré que notre base dans la montagne avait, en plus des protecteurs et d’une bonne défense, plusieurs centaines d’autres guerriers prêts à se battre jusqu’à la mort pour défendre nos secrets et les tiens, expliqua Krag. En effet, la Serpentine n’avait pas entrainé que les quarante-sept. Les stigmates sont tombés presque jusqu’au dernier pour défendre la base pendant que les éléments les plus importants utilisaient les longs tunnels vers le centre de la Terre pour semer les repenteurs. Les stigmates furent autrefois des hommes et des femmes n’ayant pas pu devenir des protecteurs mais pouvant quand même servir au combat pour la Serpentine. Ils servaient essentiellement pour le renseignement mais leurs capacités de camouflage et de combat de guérilla étaient inégalables. Le Duc nous a finalement forcés à nous replier, notre combat n’étant pas au rempart selon lui. Nous avons tous eu mal au cœur en laissant les stigmates seuls face à des milliers et des milliers d’ennemis. Quand on s’est replié, un grand nombre de marcheurs et de repenteurs étaient déjà tombés sous notre courroux. On n’a jamais su combien d’ennemis ont 321 La Genèse de l’Apocalypse tués les stigmates avant de se faire écraser par la masse, mais leur sacrifice était la plus honorable chose qu’ils pouvaient faire et nous ne les oublierons jamais. Si nous sommes ici c’est grâce à eux », finit par dire le carmin avec du respect et de la tristesse dans la voix. Un calme s’installa alors quelques secondes tandis que le vent faisait virevolter dans tous les sens les cheveux à la fois soyeux et gras de l’insongeable. « On s’est ensuite enfoncé dans les dédales de l’Osalidorwashir, la voie du fou, continua le flamboyant. Dans ce dédale de tunnels qui partaient dans toutes les directions, des stalactites et des stalagmites servaient de piliers naturels. La main de l’homme y avait laissé sa marque, même si on ignore toujours qui est à l’origine de cette action à l’heure qu’il est. Sans notre connaissance du terrain, on se serait perdus dans ce labyrinthe sans fin. On a piégé des tunnels pour les induire en erreur et leur faire perdre du temps. Au bout d’interminables semaines dans le noir le plus complet, on est sortis de l’Osalidorwashir en débouchant sur un petit lac dans le Massif central. Notre seule autre base était le Nid du casseur d’os. C’était une base secondaire cachée dans les Pyrénées, et aussi le seul moyen qui a permis à la Serpentine de survivre. On s’y est donc rendu en se séparant pour ne pas trop attirer l’attention des repenteur. Moi et Krag on a fait cette longue route ensemble. — Ce périple a fait perdre encore plus d’éléments et de temps à la Serpentine, reprit le carmin. Mais alors que les repenteurs nous croyaient exterminés, notre base secondaire était opérationnelle et nous nous mimes à travailler d’arrache-pied pour retrouver ta trace et l’Oracle a réussi à déchiffrer l’énigme que tu avais créée pour connaitre la fréquence du traceur dans ton poignet. On est ensuite aussitôt partis à ta recherche, et tu connais la suite. » Le silence refit surface tandis que l’insongeable essayait de ne pas se perdre dans ce flot d’informations floues. « Euh, mais de quelle langue viens le mot Osalidorwashir ? demanda l’insongeable qui avait bien attendu que les protecteurs finissent leur récit pour poser sa question. 322 La Genèse de l’Apocalypse — Bonne question, avança Zabyss. En fait, nous ignorons une partie de l’histoire, mais avant que tu sois amnésique tu as écrit un livre dans lequel se trouvaient les clefs pour déchiffrer l’énigme dont nous parlions à l’instant. Ce dernier était appelé l’Oxadix ce qui signifie codex dans ta langue, expliqua le protecteur alors que le vent se faisait tout à coup plus violent. Ce codex était écrit dans une langue que tu as apparemment inventée : l’onastiadlema`lniar`smiat, dont le mot Donavix est par exemple tiré. Onastiadlema`lniar`smiat signifie murmure du Firmament des songes en français. Ainsi le jour où tu es né, le Duc a eu une énième vision dans ses songes. À l’aide de l’Oracle il a réussi à isoler un indice, un menhir qui sera plus tard appelé la Songepierre. Cet indice a permis aux membres de la Serpentine de trouver ledit endroit, au bout de très nombreuses années de recherches acharnées. Malheureusement ils arrivèrent trop tard, et ce qu’ils découvrirent fut un vrai charnier. Des brigadiers byzantium, dont ils avaient trouvé plusieurs corps déchiquetés sur place, venaient de t’enlever toi et certains des tiens. — Mais ça veut dire quoi tout ça ? J’étais qui avant ? — Tu étais ce qu’on appelle un bellateur. Toi et ta tribu venaient de se faire enlever par les brigadiers. — J’étais un bellateur », répéta avec étonnement l’insongeable pour lui-même. S avala sa salive, tandis qu’une suite d’image suivie d’un mal de crâne acouphénique venait emplir son être. Il souffla un bon coup, se réjouissant que chaque jour passé avec ses protecteurs l’aide à se rappeler de son passé. Zabyss attendit encore quelques secondes puis reprit son récit. « C’est donc au milieu des cendres et des flammes que se trouvait ce fameux Oxadix que tu avais écrit. L’Oracle a ensuite essayé de le déchiffrer, ce qui lui a pris un temps fou, tandis que le reste des membres de la Serpentine avait totalement perdu ta trace. L’Oracle a peu à peu déchiffré l’énigme que tu avais laissée entre les lignes et c’est donc grâce à ça qu’on connait la fréquence de ton trajecteur subconstenciel. » 323 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable regarda de plus près la boussole qui cerclait son avant-bras. Cette dernière semblait avoir été fabriquée par la main d’un anarchitecte et non par celle d’un bâtisseur, ce qui lui donnait un côté attachant et singulier. L’insongeable était en train de regarder l’aiguille en forme de S étiré lorsque cette dernière commença à bouger dans tous les sens. Elle arrêta au bout de quelques secondes sa folle course, laissant S perplexe. Il en profita pour poser une autre question. « Mais il y a une chose que je ne saisis pas, comment la Serpentine a-t-elle été créée ? Comment avez-vous su que j’étais la clef contre tout ce merdier ? — Question pertinente, remarqua Krag alors que son frère se préparait à répondre. — En fait, il semblerait que le chef de l’organisation qui doit te protéger, le Duc, eut une vision importante de nombreuses années avant que tout ceci commence. Elle était étrange mais à la fois extrêmement réaliste, comme si on lui avait ouvert les portes du futur et du savoir pour quelques secondes. Dans son rêve il vit l’Archiluminarque Bethsaïde se faire assassiner, le déclin du monde, les repenteurs l’annexer et ainsi de suite. Il n’eut que des flashs, tel qu’il nous le décrivit lui-même, mais ils furent insistants quand ils vinrent à montrer un visage : le tien. C’était comme si le Duc devait se souvenir à tout prix de toi. Une série de symboles et de chiffre étrange suivit la vision de ton visage, qu’il retranscrit à la perfection quand il se réveilla. Il ne comprit pas sur le coup, mais lorsque l’Archiluminarque se fit assassiner exactement comme dans son songe, il eut un déclic et sut quel rôle il allait devoir jouer dans cette guerre. Le Duc, puissant et riche, se fit alors aider par un de ses amis appelés l’Oracle pour déchiffrer son rêve énigmatique. L’Oracle l’aida à trouver réponse à ses questions et de ceci en découla, entre autres, l’indice de la Songepierre. La suite je viens de te la raconter. Les aïeuls, les premiers guerriers de la Serpentine, sont arrivés sur place et ont vu que tu n’étais plus là. Ça a ensuite pris un temps fou pour 324 La Genèse de l’Apocalypse retrouver ta trace. En fait on a repris espoir lorsque le Duc a eu une autre vision, il y a pas si longtemps que ça, qu’il a ensuite déchiffrée avec l’Oracle. On savait donc que t’étais en France, d’après l’interprétation de l’hexagone que le Duc avait vu dans son songe. À partir de là ça été le branle-bas de combat et tous les protecteurs et protectrices sont partis à ta recherche. On s’est séparés pour ratisser large et éviter plus facilement les repenteurs. C’est ainsi que certains des nôtres sont passés assez près de toi pour te repérer sur leurs trajecteurs PO, et tu connais la suite. » Pour la première fois depuis son réveil le puzzle qu’était le passé de l’insongeable était en train d’évoluer dans un sens plutôt constructif. Des questions à l’intérieur de son crâne se bousculaient dans tous les sens comme des lions en cage tandis que certaines trouvaient enfin la clef du souvenir. C’est à ce moment précis que la boussole de l’insongeable se remit à faire des siennes. « Mon aiguille tourne dans tous les sens, montra l’insongeable aux protecteurs. — Merde, lâcha le carmin en se relevant sur le pied de guerre. — Vous savez ce que ça veut dire ? demanda S perplexe. — Bonne question. Peut-être que ta boussole déconne mais je pense que c’est quasi impossible, alors je sais pas pourquoi elle fait ça mais ça sent pas bon. » L’insongeable déglutit et sortit aussitôt son arme de poing et son katana. « Mais comment je peux savoir le pourquoi du comment moi ? demanda-t-il alors que le vent soufflait soudainement de toutes les directions et assez fort pour faire chanceler l’insongeable. — Tu es la clef S, répondit le flamboyant en hurlant presque au travers du vent nocturne. C’est toi qui dois trouver la solution, nous n’avons que les indices que le destin nous a laissés. » Sur ces paroles, d’étranges silhouettes se dessinèrent à la sortie de la forêt, sous les yeux des compagnons. « C’est quoi ces trucs ? » demanda Zabyss. 325 La Genèse de l’Apocalypse Les choses semblaient glisser sur le sol et empruntaient le même chemin que celui pris par les bellateurs plus tôt dans la journée, entourée par une sorte d’étrange brume noire. « On dirait des chevaliers des croisades », remarqua le carmin. Au nombre de quatre, ils avaient une allure dépenaillée et portaient de massifs heaumes par-dessus leurs tenues. Leur héraldique blanche parsemée de croix pattées rouges faisait en effet penser aux chevaliers de l’ordre du Temple. Les ombres tout droit sorties de nulle part se déplaçaient sous la lumière lunaire tel un mystère irrésolu planant sur l’histoire. Les silhouettes semblaient être revenues pour mener une némésis, comme si elles étaient sorties de l’occulte bois de l’oubli pour faire payer le prix de l’ignorance que leur avait en partie dédié le lumineux futur dont les sombres échos déformaient chaque seconde un peu plus la réalité. Leurs tenues et leurs capes étaient sales et délavées, comme si elles avaient été portées journalièrement pendant des siècles, leurs cottes de mailles rouillées au point qu’un bruit grinçant se faisait entendre à chacun de leurs pas. Les templiers commençaient à grimper le versant en contrebas, amenant le vent avec eux. Son tourbillonnement amplifiait étrangement les voix des choses au lieu de les étouffer. Ils répétaient sans cesse une phrase inaudible de leurs étranges voix dénuées de toute humanité. Krag mit celui de tête en joue et tira une courte rafale de radius. L’étrange miasme d’ombre se mut alors comme si le vent le portait, se mettant sur la route des tirs et les absorbant en son sein. Les compagnons restèrent quelques secondes sous le choc de ce qu’ils venaient de voir. « Oh ben merde alors », lâcha finalement Zabyss en mettant fin au silence tandis que les silhouettes étaient à mi-chemin du château. 326 La Genèse de l’Apocalypse Krag regarda rapidement son trajecteur PO pour voir si un coup de veine leur avait mis un allié sur leur route, mais il comprit rapidement que la chance ne viendrait pas à leur rencontre. Les compagnons reculèrent lentement vers le feu de bois qui brulait toujours sur le terrain plat derrière eux, s’éloignant des murs du château. Ils se mirent en position autour du feu alors que leurs ennemis supposés s’étaient séparés en deux groupes pour contourner les restes du château. Zabyss dégaina Kolkan et enflamma sa tronçonneuse, son frère décrochant la poigne du Concasseur de son dos. L’insongeable, quant à lui, se prépara au combat tandis que l’aiguille de son trajecteur subconstenciel tournait tellement vite que cela en faisait vibrer tout son avant-bras. « Mais c’est quoi ces choses ?! » lâcha Zabyss alors que la lumière du feu vacillant leur permettait de mieux distinguer les épéistes leur faisant face. Les choses qui avaient apparemment autrefois été des hommes, étaient en garde. Autour de leurs lames rouillées se baladait une étrange brume noire qui semblait avoir une consistance, entre état liquide et état gazeux. « Que voulez-vous ? » demanda Zabyss de sa forte voix tandis que leurs quatre ennemis les avaient parfaitement encerclés. L’individu le plus proche de l’insongeable le montra alors de son épée sans aucun bruit, tandis que le vent se transformait presque en tempête. S déglutit : ce n’était pas la première fois qu’on voulait le tuer mais c’était la première fois qu’un cauchemar incarné était son bourreau présumé. Les quatre choses arrêtèrent de psalmodier. L’insongeable essaya de cacher sa surprise derrière un masque de stoïcisme tandis qu’il tenait son katana le plus fort qu’il pouvait, cachant de cette manière le léger tremblement de ses mains. Les quatre silhouettes commencèrent ensuite à s’approcher de leur cible dans un pas lourd et synchronisé… 327 La Genèse de l’Apocalypse Hislachar avait évité les sentinelles avec sa facilitée habituelle. Il avait utilisé un grappin rudimentaire pour grimper sur le toit du reflet par-derrière. Ce dernier avait été modifié pour pouvoir accueillir des positions de snipers. Il observa les troufions montant la garde en dessous de lui puis chercha pendant plusieurs minutes un endroit où il pourrait se cacher jusqu’à la bataille du lendemain. Il finit par trouver son bonheur, ce dernier prenant la forme d’une espèce de meuble en fer vide servant autrefois de râtelier d’armes. Il se terra à l’intérieur de ce dernier et attendit son heure, l’œil rivé sur le trou de la serrure depuis longtemps arrachée… Les deux amis étaient allés faire leur rapport à leur supérieur, l’exterminateur de céruse Regodium. « … Nos renseignements ont donc sous-estimé nos ennemis, lâcha le militaire énervé. Vous avez eu de la chance de ne pas crouler sous le nombre. Mais vous vous en êtes bien sortis c’est le principal ! conclut-il. Bon, après cette mise en bouche, vous allez faire face à des adversaires un peu plus coriaces. » Les deux exterminateurs écoutèrent de leurs deux oreilles, pressés d’en découdre à nouveau. « Un convoi des FFS, les Forces françaises survivantes, va prendre la route Napoléon demain. Nos informateurs, s’ils ne se sont pas trompés cette fois-ci, décomptent une dizaine de véhicules civils. Mais ne vous fiez pas aux apparences, ils sont blindés. Vous et un petit contingent de repenteurs allez les attendre juste au sud de Sisteron pour leur tendre une embuscade. La quasi-totalité des repenteurs va rester à couvert autour du point d’attaque, quant à vous et les autres exterminateurs je compte sur vous pour montrer l’exemple. » Azilor croyait comprendre : ils allaient devoir mener une attaque presque suicidaire contre ce convoi en chargeant surement à découvert. 328 La Genèse de l’Apocalypse Il comprenait malgré tout que le Fulgurastra avait besoin de se forger une réputation parmi les autres corps de la machine de guerre repentrice. « Bon, on va s’occuper de vos armures et de vos blessures. Vous partez demain à l’aube alors profitez bien de votre temps. Rompez ! » conclut finalement leur supérieur… Krag fut le premier à frapper un des affreux templiers. Son adversaire n’avait même pas pris la peine d’esquiver son coup, la forme noire l’entourant se mettant devant son visage. Le marteau de Krag rebondit sur la forme dans un bruit à la fois strident et étouffé. « Bordel ce truc les protège ! » beugla le carmin alors qu’il esquivait les lentes mais vicieuses attaques de son adversaire. Zabyss tenait quant à lui en respect un adversaire par arme, parant leurs inlassables attaques tout en essayant de trouver une opportunité pour frapper. L’insongeable était au milieu de ce combat qui ne trouvait pas de vainqueur, le quatrième chevalier s’approchant de lui d’un pas qui semblait étrangement hésitant. L’insongeable savait que les protecteurs faisaient de leur mieux mais ils ne pouvaient pas combattre à deux contre quatre, il allait devoir se débrouiller. Il laissa l’homme venir à lui, sachant que le charger serait un gain de temps pour l’adversaire. Il n’avait toujours pas trouvé de solution à l’invulnérabilité de son adversaire quand ce dernier lui asséna le premier coup. Il para l’attaque alors que la forme noire s’enroulait autour de l’épée de son adversaire, comme pour augmenter son poids. Le choc fit trembler tout le bras de l’insongeable comme s’il venait de parer un coup de massue. Il se contenta d’esquiver les attaques suivantes tandis que les deux autres compagnons sentaient leur protégé en danger. Zabyss redoubla d’efforts non loin, transformant sa frustration en rage. 329 La Genèse de l’Apocalypse Il para les deux lames de ses adversaires à l’aide de celle de l’empaleur. Croulant sous le poids de l’attaque et un genou à terre, il en profita pour donner un coup de son autre arme au niveau du bras d’un de ses adversaires. Un cri strident résonna dans toute la région lorsque l’arme enflammée à l’aide du feu de camp découpa la main de son adversaire dans un bruit de tronçonneuse se heurtant à un os. L’énergie protectrice et obscure se concentra sur le visage de l’homme alors que son confrère titubait comme s’il était sonné. « Il faut les repousser avec le feu ! » comprit le flamboyant qui s’empressa de faire part de sa découverte. Au cœur de la tourmente, le flamboyant planta Kolkan dans le sol et sortit aussitôt un de ses blazing eagles qu’il lança en direction de son protégé, puis un autre qu’il garda au creux de sa main. Les deux ennemis en face de lui revenaient à la charge, la main de son ennemi se raccrochant à son corps comme un aimant dans un bruit dégoutant. « Merde ! » jura-t-il. Il tira plusieurs balles dans le torse du plus proche templier, le faisant tomber en arrière le corps en charpie. Il para ensuite son deuxième adversaire avant de lui tirer deux balles dans le bras qui lui firent baisser sa garde. Il lui coupa à nouveau son bras, cette fois au niveau du coude. La chose l’empoigna alors de son autre bras et le souleva du sol avec une étrange rapidité. Le flamboyant coupa alors l’autre bras de son adversaire et sa tête d’un seul mouvement expert et puissant. Tandis que Zabyss se réceptionnait lourdement sur le sol, le vent qui était revenu comme une tornade avait éteint les flammes parcourant le premier des ennemis. La silhouette était en train de se relever alors que ses blessures se refermaient à vue d’œil. Un étrange éclair à la fois violeté et bleuté qui semblait sortir de nulle part frappa alors le sol l’espace d’une demi-seconde, faisant aussitôt disparaitre le corps du premier guerrier. 330 La Genèse de l’Apocalypse Le flamboyant ébahi n’eut pas le temps de contempler le sol sans corps au centre de l’étrange tornade très longtemps, son autre ennemi venant à sa rencontre dans un cri aussi strident que celui qui avait résonné quelque temps auparavant. Dans la genèse de l’œil du cyclone les compagnons étaient entourés de sombres nuages qui empêchaient à la lueur de la lune de les atteindre, les plongeant encore un peu plus dans les abysses. « Coupez la tête ! » hurla Zabyss alors qu’il fonçait vers son ennemi à grand renfort de tirs assourdissants, chargeant au milieu la tornade entourant les compagnons… Krag esquiva un énième coup qui le rapprocha du feu quasiment éteint au centre du combat. Son ennemi avait l’air d’être en rogne que l’un des siens se soit en allé quelques instants plus tôt et ses attaques se faisaient plus puissantes, comme si la force de l’entité noire qui l’appuyait grandissait en même temps que son désir de tuer. Il para finalement la lame de son adversaire qui allait se loger dans sa clavicule et croula sous le poids de la puissante masse noire qui pesait sur l’arme. Le carmin grogna tandis qu’il sentait pour la première fois quelque chose de beaucoup plus fort que lui. Ses muscles commençaient à se tétaniser tandis que ses bottes s’enfonçaient dans le sol aussi facilement que dans de la terre glaise… L’insongeable lâcha un juron lorsque son katana voleta sur le côté, sa lame illuminée une dernière fois par la faible lumière lunaire. Un coup de pied brutal le mit ensuite à terre, tandis qu’il entendait un protecteur courir à son secours. S mit son bras devant ses yeux alors qu’une balle enflammée passait juste au-dessus du bras de son adversaire, faisant un trou dans l’épaule de la chose. 331 La Genèse de l’Apocalypse Cela n’arrêta pas la silhouette parcourue d’énergie sombre et son épée atteignit finalement le bras de l’insongeable au niveau de son trajecteur subconstenciel, et c’est alors que quelque chose d’inattendu se produisit. Le choc entre les deux entités propulsa le guerrier en arrière dans un bruit sourd qui fit trembler le sol l’espace d’un instant. L’insongeable, comme écrasé sur place et les tripes en vrac, eut l’étrange impression d’être poussé dans tous les sens par des forces égales. Il tenta de se relever, essayant de comprendre par la même occasion ce qui venait de se passer. Une douleur terrible lui traversa alors le corps dans un frisson glacial. Il baissa son regard et comprit qu’un morceau de la lame de son adversaire s’était brisé lors du choc et était maintenant fiché dans sa chair. Le reflet des flammes dans le vieux morceau de métal fiché dans son épaule droite résumait bien sa douleur. C’était comme un poison, mais en pire, pensa-t-il alors qu’un spasme lui traversait tout le corps. Il sentait ses sens s’alourdir tandis qu’une silhouette se penchait au-dessus de lui et que des gouttes de sueur froide coulaient le long de son front. Il reconnut vaguement Zabyss à la forme enflammée qu’il tenait dans une de ses mains. Alors qu’il sombrait dans l’inconscience le poison commençait à emplir tous ses sens d’hallucinations réalistes. Des voix chuchotaient dans sa tête et le berçaient telle une mère murmurant à l’oreille de son enfant… Azilor était en train de lire le code Fulgurastra, le récent et court codex des exterminateurs. Il expliquait, entre autres, la signification des crêtes que portaient les exterminateurs sur leurs casques. 332 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi, l’exterminateur ne portait en premier lieu aucune crête sur son heaume, signifiant qu’il avait à prouver sa place sur le champ de bataille. Lorsqu’il passait le premier rang d’extermination et qu’il devenait un exterminateur confirmé, une crête rouge faisant trente centimètres était alors ajoutée à son casque. Il devenait ainsi un exterminateur de vermeil, représentant l’aube rouge d’une journée sanglante à venir. Lorsqu’il devait à nouveau monter en grade, l’exterminateur troquait sa crête rouge contre une crête bleue de quarante centimètres. Il devenait de ce fait exterminateur de safre et représentait désormais le ciel dégagé et trompeur, le calme avant la tempête. Le rang suivant lui offrait ensuite une crête de couleur blanche qui culminait à cinquante centimètres. Il devenait ainsi un exterminateur de céruse, représentant les nuages s’attroupant pour voiler l’espoir solaire. Il était le précurseur de la tempête hurlante. L’une des plus hautes crêtes faisait soixante centimètres et était de couleur gris sombre. Ceux portant une telle crête étaient appelés les exterminateurs d’anthracite. Ils étaient les nuages opaques et sombres, frappant tel des éclairs au cœur de la tempête. Ils illuminant ainsi le champ de bataille de leur puissance, frappant sans aucune chance de riposte. Seul un homme par tempête hurlante pouvait ensuite prétendre porter l’armure et la crête noire. Tous deux étaient parsemés de nombreux éclairs d’un jaune impérial. Haute de soixante-dix centimètres, l’exterminateur d’ébène portait la crête la plus haute parmi ses semblables. Commandant incontesté il était la mort incarnée, celui qu’on ne pouvait arrêter, le cataclysme dévastant tout sur son passage et ne laissant que destruction derrière lui. 333 La Genèse de l’Apocalypse Au-dessus de toutes ses tempêtes hurlantes, dirigeant les exterminateurs de la galaxie entière vers la gloire et le trépas, se dressait l’Hécatombeur Impérial. Il était le chef suprême des exterminateurs ; le lien à la fois implacable, omniscient, lumineux et obscur qui liait les exterminateurs entre eux jusque dans les méandres de l’au-delà. Son armure ainsi que sa crête de près de quatre-vingts centimètres de hauteur étaient tous deux d’un jaune impérial, un gros œil noir parsemant sa coiffe tandis que d’autres plus petits parsemaient sa carapace. Les armures carapaces des deux plus hauts gradés du Fulgurastra comportaient des plaques de métal supplémentaires, rendant leur stature encore plus imposante. À partir du grade d’exterminateur de safre, les armures carapaces étaient parcourues de fines lignes de la même couleur que leurs crêtes, aidant une fois de plus à reconnaitre le rang du soldat portant ladite armure. Azilor comprit en lisant les pages suivantes que le Fulgurastra était bel et bien hiérarchisé comme toute organisation militaire, mais que cette hiérarchie était plus symbolique que pratique. En effet, les exterminateurs opérants la plupart du temps par petits groupes, rares étaient les fois où une hiérarchie classique était nécessaire lors d’une bataille. Les guerriers du Fulgurastra savaient juste que tel ou tel grade avait l’ascendant et pouvait leur donner des ordres si cela était nécessaire. Mais c’était rarement le cas et aucun endroit du code Fulgurastra ne faisait référence aux nombres d’hommes que tel ou tel grade pouvait avoir sous ses ordres, renforçant encore plus ce concept particulièrement autonomiste propre à la hiérarchie des exterminateurs. Après avoir lu plusieurs autres pages du codex, l’exterminateur se prépara à aller dormir. Son ami Bâtard lui avait dit de ne pas l’attendre : il était parti il y avait presque une heure à la recherche d’alcool dans le complexe encore à moitié désert de Point Black. 334 La Genèse de l’Apocalypse Azilor eut un léger sourire en pensant à son ami qui lui était si cher, puis s’enfonça dans les draps de son lit… Krag rouvrit les yeux, sonné, et regarda autour de lui. Il avait failli passer au-dessus de la colline à fleurs jaunes mais les pierres du château l’avaient arrêté de justesse. Un gros morceau de pierre lui tomba lourdement sur le pied alors qu’il se relevait pour aller au secours de S. Il accourut vers son frère au chevet de l’insongeable, traversant une étendue où la terre avait été en partie retournée par la tempête maintenant disparue. « Qu’est-ce qu’il a ? demanda le carmin apeuré. — Je sais pas, il s’est pris l’éclat d’une des armes de ces choses. Je l’ai enlevée et j’ai ensuite recousu comme j’ai pu avec ce que j’avais. Il a pas perdu beaucoup de sang mais il hallucine. Il dit des choses incompréhensibles, c’est comme s’il était en plein délire. — Merde ! » lâcha le carmin, deux larmes de rage et de tristesse coulant à l’intérieur de son heaume cerclé de rivets en trinitium. Il était à la fois frustré, triste et courroucé contre lui-même. Les protecteurs étaient seuls, personne ne pouvait les aider. « On fait quoi ? demanda Zabyss sachant d’avance ce qu’allait lui répondre son frère. — J’ai déjà vérifié, il n’y aucune présence alliée dans les environs. » Krag prit l’insongeable par son T-shirt et le secoua de désespoir. « S réveille-toi, c’est pas le moment de mourir ! Rappelle-toi ta destinée ! ajouta le protecteur en cahotant le corps de l’insongeable dont la tête retombait mollement en arrière. — Tu devras aussi nous expliquer ce que c’était que ce bordel de choc sismique, ajouta le flamboyant qui essayait sans résultat de réveiller l’esprit de l’insongeable à l’aide du feu. — Bordel il faut faire quelque chose ! Il est aussi froid qu’un mort, s’aperçut avec horreur Krag tandis que l’autre protecteur prenait le pouls de l’insongeable une énième fois. — Son cœur bat très lentement, on doit faire quelque chose ! » 335 La Genèse de l’Apocalypse Ce fut à ce moment précis qu’une lueur illumina l’esprit des protecteurs, tel une réponse à leur désespoir. Les deux guerriers désarmés s’accroupirent aussitôt autour de l’insongeable allongé pour le protéger, toutes armes dehors. Le ciel nocturne parsemé de nuages venait en effet d’être envahi par ce qui semblait être de lointaines étoiles filantes venant de l’ouest. « Mais c’est quoi cette merde encore ? » lâcha le carmin totalement désemparé. Les points avançaient à une vitesse folle dans leur direction et les trajectoires étranges qu’ils suivaient prouvaient que ce n’étaient pas des corps célestes. Les points s’étaient transformés peu à peu en silhouettes illuminées et se rapprochaient à toute vitesse. « J’en dénombre au moins une trentaine, décompta le flamboyant. — Ils ressemblent à aucune unité repentrice que je connaisse, lâcha Krag étonné. Leur technologie a l’air plus évoluée. — C’est un bon signe tu penses ? demanda Zabyss perplexe alors que les silhouettes étaient maintenant à moins de cent mètres d’eux. — Assez pour qu’on laisse le bénéfice du doute et qu’on leur tire pas dessus en premier. De toute façon on n’a pas beaucoup de chance si on les attaque, on n’a aucun couvert et S est en train de mourir sous nos yeux. — Alors espérons que la chance soit de notre côté aujourd’hui », souhaita Zabyss. Les silhouettes volantes s’arrêtèrent devant eux dans un silence qui étonna les deux protecteurs au chevet de leur protégé. Les guerriers de la Serpentine restèrent en position défensive, cachant S alors que plusieurs dizaines des silhouettes se tenaient devant eux à quelques mètres du sol. Ces dernières portaient une armure complète, qui semblait être une version moins massive de celle portée par les deux hommes au chevet de l’insongeable. Leurs armures étaient peintes d’un bleu nuit, un heaume posé fièrement sur leurs têtes. Ce dernier représentait, 336 La Genèse de l’Apocalypse avec des lignes à la fois fines et anguleuses, un visage de corbeau se terminant en un bec parsemé de petits orifices. Leurs épaulières, assez massives comparées au reste de l’armure représentaient quant à elles une gueule de loup ouverte dont les deux paires de babines délimitaient ladite épaulière, tandis que les dents chevauchaient l’héraldique sur fond rouge bordeaux des épaules. Celle de gauche était emplie d’une comète coupée en deux parties. L’une était d’un bleu sombre, presque aussi sombre que le néant, tandis que l’autre était flamboyante comme la lumière. Elles se séparaient en deux queues qui rejoignaient toutes les deux le côté extérieur de l’épaulière. À la tête de la comète, là où les deux couleurs se rencontraient, étaient écrits deux chiffres en lettres romaines ; l’un dans la partie bleue et l’autre dans la partie flamboyante. Sur l’autre épaulière parsemée de chiffres arabes une étrange représentation remplaçait la comète. Des coussinets et des griffes étaient stylisés en flammes et rejoignaient un cœur peint à l’envers, complétant la représentation de la trace d’une patte de loup. Aucun d’eux n’avait d’arme pointée sur eux, ce qui rassura le carmin. Un des hommes en armure désactiva son étrange fusée dorsale et se réceptionna sur le sol. Il s’approcha aussitôt des protecteurs d’un pas décidé. « Je suis Corax, bannerherr valraven guard du 12ème Ost, 3ème nuage et 1ère volée. Nous venons en amis », se présenta-t-il en baissant légèrement la tête en signe de respect. Les protecteurs baissèrent aussitôt leurs armes, étonnés. Krag n’en revenait pas : ils avaient devant eux des guerriers de la légendaire Valraven Guard. La famille Vand Geeschtwarter existait bel et bien, Krag le savait, mais il n’avait jamais réussi à lever le voile sur la mystérieuse Valraven Guard. 337 La Genèse de l’Apocalypse « Comment avez-vous fait pour nous trouver aussi facilement ? Et pourquoi venez-vous à notre rescousse ? demanda le flamboyant perplexe. — Un des vôtres, un protecteur, nous a rejoints à un de nos postes qui se trouve à environ trois cents kilomètres d’ici : le barrage de l’Aigle. Il nous a promis des informations très confidentielles sur les repenteurs si nous ramenions celui que vous appelez l’insongeable au barrage. Il nous a donc prêté son trajecteur PO et nous avons fini par vous trouver après de longues recherches. — Mais qui est ce protecteur dont vous parlez ? Et pourquoi a-til demandé votre aide ? demanda Zabyss rapidement pour écourter cette conversation qui diminuait les chances de survie de l’insongeable. — Il s’est présenté comme étant Amiklum l’inébranlable, le 5ème protecteur. Il est arrivé à notre base par hasard, cherchant un endroit où il pourrait panser ses blessures sans se faire tuer par les repenteurs sur ses traces. Les ennemis de nos ennemis étant nos amis, nous avons soigné ses blessures tandis que les repenteurs perdaient la trace du protecteur. C’est ainsi qu’il a pensé pouvoir utiliser le fait que la Valraven Guard est un ennemi historique des repenteurs pour « louer » nos services en échange d’informations sensibles. Après nous avoir donné une partie des informations, qui se sont avérées être justes, nous sommes aussitôt partis à la recherche de votre insongeable. » Les deux protecteurs se regardèrent et n’eurent même pas besoin de se parler pour se comprendre. Le 5ème protecteur était encore plus bourrin que Zabyss et Krag réunis. Il avait plusieurs fois attaqué tout seul des bases de repenteurs avec le sourire. Ses actions à la fois suicidaires et héroïques étaient connues de tous dans la Serpentine, encore plus chez les protecteurs. « C’est bon on vous suit, lâcha finalement Zabyss alors que les valraven guards les toisaient stoïquement de leurs regards impassibles. Mais s’il vous plait dépêchez-vous, l’insongeable est rongé par un poison, il va mourir si on ne l’aide pas rapidement. » 338 La Genèse de l’Apocalypse Corax acquiesça, s’approcha de l’insongeable et le prit entre ses bras. « Votre ami a eu raison de faire ce qu’il a fait, lâcha le bannerherr aux protecteurs. Il n’est toujours pas opérationnel. C’était un acte dangereux que de se confier à des inconnus. Il a risqué sa vie pour votre insongeable, ce qui est courageux à un certain degré. — Je suis aussi de votre avis, lâcha le carmin. Comment allezvous nous ramener au barrage ? Je ne suis pas sûr qu’on puisse nous aussi tenir dans vos bras. — Je crois que le rituel initiatique de la Valraven Guard pourrait faire l’affaire, pensa l’homme derrière son heaume. — C’est-à-dire ? demanda Zabyss avec autant d’appréhension que de curiosité. — Ne vous inquiétez pas tout va bien se passer, rassura le valraven guard juste avant de s’envoler. On n’en a pas pour longtemps. » Deux valraven guards vinrent alors vers le carmin. « J’espère que vous avez le cœur bien accroché », lâcha amicalement celui de droite tandis que chacun des hommes passait son bras autour d’un des biceps du protecteur. Ils s’élevèrent ensuite de plusieurs mètres. Krag fut étonné par la puissance du matériel des soldats. Ils pouvaient en effet soulever le protecteur et tout son barda sans le moindre signe de fatigue. Ils s’envolèrent d’un coup sec, faisant un bond de vitesse qui se retranscrit sur le cœur pourtant solide du protecteur. « Bordel je sens que je vais aimer cette expérience ! » lâcha Zabyss, enthousiaste, alors que le dos de Krag et son marteau s’éloignaient déjà vers l’ouest lointain. Deux hommes s’approchèrent rapidement du flamboyant et l’arrachèrent au sol avec la même facilité que son frère. Ils s’envolèrent ainsi à toute vitesse, en direction de l’ouest et de son espoir incertain. Le cœur du flamboyant battait la chamade, partagé entre adrénaline pure et appréhension totale… 339 La Genèse de l’Apocalypse 340 La Genèse de l’Apocalypse Set`rnaliskolaxis : - Snowblind / [Adlema`lniar`smiat] Il se réveilla au milieu d’une tornade d’incompréhension, une douleur glaciale lui lacérant le corps tout entier. Devant lui se tenait une montagne aux pentes escarpées parcourues par de dangereux sentiers sculptés dans la roche de l’éternité. Il accourut avec difficultés jusqu’au parapet, juste à temps pour que la tempête ne l’emporte pas dans les noirceurs de la perpétuelle tourmente. Sa main agrippa quelque chose de tellement fin qu’il ne sentit rien sur le coup. Ce fut lorsqu’une bourrasque faillit le faire passer par-dessus le parapet qu’il sentit une chose invisible le retenir au creux de sa main. La corde cosmique à laquelle il se tenait brillait d’une lumière semblable à celle qui éclairait l’univers, balisant son chemin entouré d’un noir aussi envahissant qu’un infernal brouillard de guerre. Tiraillé par les éléments, il continua son ascension vers les hauteurs le long du cône aux reliefs secs. Alors à la moitié de son chemin, il sentit sa force le quitter, le poids du temps pesant durement sur ses épaules. Le tonnerre grondait au loin de manière étouffée tandis que la tempête le ralentissait de plus en plus. Alors presque enseveli sous les neiges du temps, il trouva enfin l’entrée d’une large galerie naturelle creusée dans la montagne. Elle menant à l’autre flanc de cette dernière. Toujours accroché à la corde cosmique, il s’élança dans le tunnel en glissant. Il eut l’impression de tomber pendant une éternité, assez longtemps pour se rapprocher étrangement du centre de la Terre. 341 La Genèse de l’Apocalypse Alors que l’air se réchauffait, la pente devint une montée et son élan le propulsa vers le haut sans le moindre mal grâce à la neige fondue. Il fut finalement propulsé hors de la cavité, à moitié mort à cause du froid et de l’usure temporelle, pour découvrir l’autre flanc de la montagne. Ce versant du mont immaculé était moins agité que l’autre, la tempête n’ayant pas encore totalement atteint cet endroit perdu dans le temps. Il se dépêcha d’atteindre le bas de la montagne après un dernier regard en arrière, la tempête de la perpétuelle tourmente se rapprochant inexorablement derrière lui. Il arriva finalement jusqu’à un précipice, en contrebas d’un glacier qui ressemblait à un bloc d’acier opalescent. En bas de ce dernier se tenait ainsi un grand lac où la neige fondue se transformait en eau, entouré de grosses dolines autour desquelles des rivières s’entrelaçaient. La corde cosmique s’enfonçait dans les profondeurs du lac aussi sombre que froid et profond. La tempête était presque sur lui. Il retint son souffle et plongea dans les profondeurs de l’inconnu dont la consistance liquide était étrangement ferreuse. Il descendit en paliers à l’aide de la corde, débouchant son nez emplit d’illusions tous les trois mesures de temps faible. À bout, il arriva finalement à son but alors que la tempête essayait sourdement de l’atteindre. Tandis qu’il était quasiment asphyxié par la fatalité la corde gigota dans tous les sens, faisant remonter de grosses bulles d’espoir emprisonnées dans les limbes. Il en aspira quelques bouffées alors que le son de ces dernières mélangées au mouvement de la corde cosmique semblaient lui parler. Rapidement, il se concentra sur le langage sibyllin qui filtrait jusqu’à ses sourdes oreilles. Zalor d`s kal`snor zalornekse t`s kaloks daxak Sl`s feraxor`l ados das xaliak n`s klanoch`s kalasmeik. Inias Ste Set`rnaliskolaxis. 342 La Genèse de l’Apocalypse Dalasnor ` kalasnachar das elatum das kal`snor ` ak yaw jalas d`s Osbaclanar ni plakore ka d`s otkankd`knhnel, d`s FammlakSydlonak ` d`l Set`rnalis. Inias Ste Set`rnaliskolaxis. Kal`snor n`l Ste k`la nalos, olaste OOS tas d`l aotias ` jlak das alis kaloch ` d`l Solechak, tayswa kaloch ka osa vaclanish`l Ste enkalosak. Akilator olas partore das toumalrosh, kar d`s kal`snor e `k k`es valash`re avotere OOS tas okalost. Au moment précis où la bouffée de compréhension traversait son être, la lumière dompta le paradigme… 343 La Genèse de l’Apocalypse 344 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 11 : The Eagle’s Barrage / Destruction and Diversion / Bloody blue / [13 Cruciamentum an 13 ; Terre] L’insongeable sortit violemment de sa torpeur avec l’impression de tomber. Il expira, soulagé de se savoir en sécurité. Ignorant totalement où il était, S essaya de se mouvoir et une douleur étrange lui lacéra immédiatement le corps, lui rappelant la blessure qu’il avait subie avant de tomber dans un ouragan de douleur. L’insongeable décida de se reposer, attendant que la douleur se fasse moins présente et qu’il se remette de cette suite d’événements tout aussi étrange que douloureuse… Les exterminateurs étaient en place dans une vieille maisonnette au bord de la route, au milieu d’un paysage qui semblait être figé dans le passé. Bâtard et Azilor étaient épaulés par deux autres exterminateurs du même grade qu’eux : Gahrok et Vonerion. Ils avaient fait rapidement connaissance avant de rejoindre la trentaine d’autre repenteurs postés à leurs côtés. Le sergent Anolmus dirigeait ainsi deux escouades de repenteurs séparés en deux groupes. Le premier se composait de repenteurs portant des mitrailleuses de gros calibre, d’un coordinateur et d’un sniper. Les exterminateurs et l’autre groupe de repenteurs étaient en embuscade dans la maisonnette et derrière les murets alentour, tandis que le groupe d’Anolmus était posté sur un flanc de l’autre côté de la route. Le gradé était armé d’un lance-grenade, tandis que sur le rond-point au nord une mitrailleuse attendait sagement l’ennemi. 345 La Genèse de l’Apocalypse Épaulée par une autre escouade de repenteurs, cette dernière stopperait la possible fuite en avant des véhicules que les repenteurs le long de la route n’auraient pas arrêtés. Les soldats n’avaient plus qu’à attendre que l’ennemi pointe son nez… En attendant que l’insongeable se remette de ses blessures qu’on leur avait assurées stables, Krag et Zabyss en avaient profité pour renouer avec leur frère Amiklum. Dépassant les deux mètres et plus que massif, l’inébranlable faisait penser à une montagne en armure. Son casque aux angles brusques donnait l’impression d’avoir été sculpté dans la roche même. Les orifices de ses yeux étaient enfouis au creux des formes de ce dernier alors que le sillon les surmontant lui donnait un air éternellement courroucé. Il trimbalait toujours son arme qu’il avait lui-même conçue et baptisée sous le doux nom de Blunderburst. Amiklum avait bricolé des pièces d’armes existantes et en avait même créé certaines pour ainsi enfanter une véritable arme de destruction massive. Les gros chargeurs de l’arme s’enclenchaient par le dessus de l’arme qui ressemblait au désormais oublié MAC 24/29. Peu pratique pour le tir à longue distance, l’arme était tout de même dotée d’un viseur sur son côté droit. Zabyss se rappelait très bien du bruit que faisait l’arme de son frère : un mélange de claquement de sniper et de sifflement de balles de gros calibre, le tout à cadence moyenne. Amiklum trimbalait aussi toujours avec lui son fidèle medley X, un imposant revolver qui confirmait bien son gout pour les armes massives. Son arme de corps à corps prenait elle la forme d’un goupillon qui pendait le long de sa cuisse et portait le doux nom de fléau d’Airain. 346 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi un manche de quasiment un mètre était recouvert de bronze et au bout de ce dernier étaient accrochées trois chaines auxquelles pendaient autant de boules garnies de pics mortels. Amiklum n’avait revêtu son armure que quelques heures avant l’arrivée des protecteurs et de l’insongeable, ce qui montrait à quel point ses blessures étaient sévères. Dans sa quête pour retrouver l’insongeable, il s’était attiré les foudres d’une compagnie entière de repenteurs plusieurs kilomètres à l’ouest-nord-ouest du barrage. Un éclaireur l’avait repéré alors que la compagnie descendait du nord. Les repenteurs avaient rapidement engagé le combat contre le protecteur dans les bois. Après en avoir tué une trentaine et systématiquement détruit toutes leurs radios, il avait dû opter pour un repli tactique pour ne pas se faire encercler et c’est à ce moment-là qu’il fût gravement blessé. Un gros obus était tombé à moins de deux mètres de lui, le sonnant et le blessant gravement sur tout le côté droit du corps. Les médecins de la Valraven Guard l’avaient rafistolé, lui et son armure, mais il avait perdu assez de sang pour faire mourir n’importe quel homme n’étant pas aussi résistant que lui. Comme il l’avait dit à Zabyss et à Krag, il avait été extrêmement chanceux de tomber sur le barrage de l’Aigle qui abritait un contingent de la force légendaire qu’était la Valraven Guard. Après leur avoir expliqué la situation, la Valraven Guard l’avait aidée en échange d’informations que le protecteur détenait depuis plusieurs jours. La suite était connue des deux protecteurs et ils profitaient du court temps de répit pour glaner des informations sur leurs inattendus alliés. « … Les guards ne sont pas tous partis avec la famille, commença Corax. Quand la famille Vand Geeschtwarter, que nous appelons maintenant les enfants des larmes rouges, s’est retirée lors du schisme du même nom et une partie de la Guard est restée bloquée sur Terre. Depuis que les repenteurs l’occupent, ceux qui sont restés font de la guérilla contre les repenteurs, 347 La Genèse de l’Apocalypse sans nouvelle de la famille malheureusement. La Valraven Guard connait quasiment tous les emplacements de sources d’énergie sur cette planète. On fait donc principalement du travail de sabotage. C’est par exemple pour cette raison que personne ne se doute, et ose venir vérifier, qu’on est ici. La zone est minée à des dizaines de kilomètres, et en passant par là votre ami Amiklum a été extrêmement chanceux de ne pas se faire sauter sur la route qui menait au barrage. — Je vois, comprit le carmin. » Tandis que Krag préparait une autre question, Zabyss était quant à lui parti jauger les étranges et mortelles armes dont disposait la Valraven Guard… Les deux clans réunis étaient prêts et après un dernier vœu devant le Grand Père, les dépravés étaient enfin partis en découdre avec leurs ennemis de toujours : les repenteurs. Les trois frères s’étaient discrètement positionnés en face du reflet avec leurs snipers, cachés dans un des nombreux bâtiments délabrés de la ville. Amadius, Tryner et le troisième biker attendaient le signal de Zagor hors de vue des repenteurs, juchés sur leurs motos couvertes de barbelés et de trophées aussi terrifiants que sanglants. Ils étaient équipés d’armes lourdes et leurs vestes en cuirs trempées dans le sang étaient doublées d’eluzirium et de tissu thermoréplétif. Ces hommes étaient de vrais guerriers, Zagor ne se faisait pas de soucis à leur sujet. Larok était prêt et il attendait patiemment dans son déforesteur rempli à craquer d’explosifs. La plupart des dépravés du val Masqué n’avaient en premier lieu pas touché les armes que leur avaient données les frères, suivant Onex et le conservatisme de certains veilleurs de leur tribu. Silith dut alors montrer l’exemple en ajoutant un stillentod V à sa panoplie, un pistolet mitrailleur compact et dont la forme était atypique. 348 La Genèse de l’Apocalypse Deux sillons sur le côté de l’arme permettaient le transport d’un nombre équivalent de chargeurs sur cette dernière. Doté d’un silencieux, le stillentod V était précis jusqu’à une distance honorable pour un pistolet mitrailleur et contrastait totalement avec le côté rudimentaire des dagues et autres javelots plus habituels dans les rangs des dépravés. Une dizaine de dépravés osèrent donc suivre Silith et essayèrent ces armes étranges à leurs yeux, se faisant de suite traiter de renégats par Onex. C’était un mal nécessaire pensa Zagor : cela allait leur donner une plus grosse puissance de feu. Lergoragor était quant à lui parti chercher les tigres gris. Le grand veilleur n’attendait plus que son retour pour faire signe à Larok de se lancer à l’assaut du reflet… Zabyss n’en revenait pas de l’avance technologique qu’avait la Valraven Guard sur les repenteurs. Ainsi, en plus de leurs réacteurs dorsaux évolués incrustés à leurs armures, les guards portaient chacun deux étonnantes armes par défaut. La première était un canon radius deadlytone, une arme stylisée dont le canon faisait penser à un bec de corbeau ouvert. Précise à longue distance, l’arme pouvait être réglée en coup par coup en rafale ou en automatique, tirant alors presque à la même cadence qu’un redspray. Edolianos, le guard qui était en train de lui présenter fièrement l’arsenal de la Valraven Guard, lui avait expliqué que le nom de l’arme venait du bruit singulier qu’elle émettait lors du tir. Zabyss le comprit mieux quand l’homme tira pour lui faire entendre le son particulier du deadlytone. On reconnaissait bien là celui d’un radius qui traversait l’air, mais deux sons se mélangeaient lors du tir. Le premier était assez strident et faisait penser au cri d’un oiseau tandis que l’autre était plus grave, plus basse fréquence. 349 La Genèse de l’Apocalypse La deuxième arme par défaut de la Valraven Guard, tout aussi ingénieuse que la première, avait elle aussi une bouche stylisée, faisant penser cette fois-ci à une gueule de loup ouverte. Les valraven guards l’appelaient le painbringer. Le fusil tirait des balles longues de douze centimètres et plus fines que la plupart des munitions de type militaire, et chaque guard se devait d’en entailler la pointe pour lui permettre de se fragmenter à l’impact et de faire un maximum de dégâts. Aussi dotée d’un lance-grenade et d’une bayonnette à la forme singulière, le son de l’arme faisait véridiquement penser à un aboiement. Préférant changer de sujet, le valraven guard accueillant lui avait ensuite expliqué la hiérarchie chez les guards. Les bannerherr comme Corax, avaient ainsi sous leurs ordres une volée. Une volée comportait en son sein environ vingt guards ainsi qu’une dizaine de ritters valraven guards, les meilleurs guerriers de ladite volée. Les Fluggraf dirigeaient ensuite un nuage, soit entre trois et cinq bannerherr. Les Dunkelfreiherr avaient quant à eux sous leurs ordres un Ost entier, soit en moyenne une dizaine de Fluggraf. Enfin tout en haut de la hiérarchie militaire des guards, juché sur un trône de ténèbres, siégeait l’Himmlisch Kaiser. L’Himmlisch Kaiser, parfois appelé le HK, était le légendaire chef suprême de la Valraven Guard. Edolianos lui expliqua ensuite comme déchiffrer les informations d’un valraven guard. Ainsi, l’épaule où était peinte la comète à deux queues indiquait l’appartenance des soldats. Le chiffre sur la partie bleutée de la comète indiquait le numéro du nuage, tandis que la partie flamboyante indiquait le numéro de la volée. Sur les casques mêmes était écrit en lettres romaines le numéro de l’Ost, entre les deux yeux. Le valraven guard lui expliqua ensuite ce que signifiait le nombre que portaient les soldats sur leur épaulière droite. 350 La Genèse de l’Apocalypse Écrit en chiffres arabes, ce dernier était en fait un score, voulant quantifier la valeur et le nombre d’ennemis que l’homme avait tué. Zabyss continua ainsi à suivre les explications de son homologue de la Valraven Guard tandis qu’Amiklum donnait de son côté le reste de ses infos aux hauts gradés postés sur le barrage… Juste après que Lergoragor soit revenu avec une vingtaine de tigres gris, Zagor avait fait signe à Larok. Ce dernier avait aussitôt démarré le déforesteur pour venger son frère mourant. Vu le bruit les repenteurs l’auraient repéré avant qu’il arrive à son objectif, pensa alors Larok dans sa course folle. Le dépravé s’élança de toutes ses forces vers le reflet d’Azur, où discutaillaient deux recrues en train de fumer… C’est en se demandant d’où venait ce bruit tonitruant que Torkus comprit que l’heure du bain de sang avait sonnée. « Sonnez l’alerte ! On est attaqué ! beugla-t-il avant même que le troufion en sueur n’arrive à sa hauteur. — Tous à vos postes ! Comme à l’entrainement ! » ajouta Morduk au loin. Torkus prépara sa rage, sachant très bien que la balise de détresse était inutilisable et qu’il était trop tôt pour appeler des renforts : ils devaient d’abord savoir ce qu’ils avaient en face d’eux. Le sergent evocati courut donc se mettre en position, maudissant le concours de circonstances qui l’avait amené à ce moment précis de sa vie… Le coup de pied dans la fourmilière avait marché ! pensa l’infortuné en percutant les marches, ce qui fit voler de la pierre dans tous les sens. Il entendait les motos des dons au loin tandis qu’il reprenait son l’élan pour mieux défoncer l’escalier. 351 La Genèse de l’Apocalypse Il alluma rapidement un cocktail Molotov rempli avec l’espadassine des frères et le lança par-dessus le véhicule alors qu’il reculait. Un cri de douleur lui vint aux oreilles juste avant qu’il n’enfonce l’escalier par le côté. Ce dernier fut secoué alors que les bikers tiraient des fumigènes pour couvrir sa retraite. Il sauta aussitôt de son véhicule tandis que plusieurs dizaines de repenteurs se pressaient dans l’escalier fissuré. C’est ainsi dans la confusion la plus totale que Larok monta à l’arrière d’Amadius, les lames broyeuses du déforesteur crissant à l’encontre de la pierre. Ils s’enfuirent rapidement, soutenus par le mitrailleur de la deuxième moto qui obligeait à s’abaisser la masse grouillante dans la fumée. À l’aboiement de sa mitrailleuse répondirent quelques tirs sporadiques et compulsifs qui n’arrivèrent pas à atteindre les hommes lors de leur fulgurant repli. Ils n’étaient même pas encore hors de vue des repenteurs que les survivants des deux tribus dépravés unis dans la vengeance sortaient théâtralement d’une rue toute proche, portés par le vent. Ces derniers marchaient à pas rapides vers l’ennemi, les porteurs de boucliers en première ligne, le vent du courroux les portant rapidement vers leur cible… « En place ! beugla Morduk en enjambant un cadavre perforé par une balle de gros calibre. Sur les mitrailleuses ! » ordonna-t-il en prenant un troufion par le col et le jetant à terre au niveau d’une des deux armes de soutien. Torkus avait dû partir chercher le kopfbrecher, pensa le vétéran alors que la fumée se dissipait devant lui. Il sourit à la vue de ses ennemis. En formation serrée, ils portaient des boucliers de fortune censés les protéger de la puissance de feu des repenteurs. La tête d’un evocati proche explosa alors qu’il était en train de remettre la barricade en place. 352 La Genèse de l’Apocalypse « Merde ! grogna-t-il surpris. Des snipers ! À couvert ! » Alors que des repenteurs grimpaient à l’intérieur du déforesteur pour le déplacer, il essaya de trouver un angle de tir sécurisé derrière son couvert. « Mais bordel y font quoi nos tireurs ?! » s’indigna-t-il au milieu du chaos ambiant. Les ennemis étaient à mi-distance et il mit celui de tête en joue. Il fit abstraction du cri d’un soldat non loin pour se concentrer mais n’eut jamais le temps de tirer. Une détonation lui explosa les tympans et le souleva du sol par la même occasion. Il fut propulsé à plusieurs mètres de hauteur avec de nombreux monceaux de pierre. Il atterrit du côté opposé de l’escalier où le déforesteur avait frappé, s’écrasant le coude sur le sol dans un craquement couvert par les cris alentour. Il hurla de douleur, son bras en miette, avant d’être recouvert par un tas de gravats de viscères et de lambeaux rouges. Le déforesteur avait été piégé, essaya-t-il de penser en faisant abstraction de sa douleur. Il se maudit d’avoir pu laisser une telle chose se produire alors que les sons alentours étaient étouffés par la poussière recouvrant l’evocati. Encore sonné et les oreilles saignantes, le sergent essaya de se sortir de là avec le bras qui lui restait, voulant profiter de la fumée engendrée par l’explosion pour rester hors de vue des snipers… Lorsque Zagor avait tiré une première flèche en l’air, l’explosion avait été à la hauteur de ses espérances. Elle avait détruit toute la partie droite de l’escalier et tué une bonne trentaine de repenteurs dans une chaine d’explosions qui ne découlait pas seulement du PX 4. N’ayant pas le temps de se poser plus de questions, Zagor avait fait signe à Lergoragor de lâcher les tigres. Les boucliers s’étaient levés, laissant passer les tigres gris qui chargèrent aussitôt vers le reflet d’Azur. Lergoragor les suivit de près, un javelot à la main… 353 La Genèse de l’Apocalypse Hislachar attendit que le quatrième et dernier sniper monte sur le toit pour sortir de sa cachette et bloquer avec un bout de tôle la porte par laquelle les soldats étaient arrivés. Il décrocha ensuite une flèche en direction du premier soldat qui était en train de se mettre en place, le projectile le faisant tomber par-dessus bord. Les autres eurent à peine le temps de se retourner qu’un deuxième troufion tomba par terre, une flèche au travers du cou. Sa troisième flèche se ficha dans le cou d’un soldat et lui fit rater sa cible, la balle de son sniper fendant l’air à quelques centimètres de l’ombre. Le quatrième eut le temps de dégainer son pistolet radius et tira en direction d’Hislachar. Le veilleur tomba en arrière, une grave brulure au niveau de l’épaule. Avant que l’homme ne puisse lui tirer une autre fois dessus, l’ombre lança son couteau vers le repenteur dans un réflexe foudroyant. Hislachar toucha le sol alors que la fine dague se plantait dans le bras de son ennemi, lui faisant tomber son arme à même le sol. Les deux hommes se relevèrent ensuite rapidement pour foncer l’un vers l’autre. Hislachar esquiva le coup de poing furieux de l’homme et lui répondit par un uppercut griffu au niveau de la mâchoire, assez fort pour déchausser plusieurs dents à son ennemi. Il profita du gémissement de son adversaire pour le prendre par la tête de son bras intact et le soulever violemment. Il le jeta par terre la tête la première de presque deux mètres de hauteur. L’homme ravala ses dents sous le choc alors qu’il frôlait la mort. L’ombre s’agenouilla à côté de l’homme pour enfoncer ses ongles pointus dans les globes oculaires du troufion, juste assez fort pour les faire exploser tout en laissant en vie le repenteur ainsi privé de sa vue. 354 La Genèse de l’Apocalypse Le son de ses cris étouffés se fit alors plus insistant mais le veilleur ne l’acheva pas. Ne pouvant pas utiliser son arc avec un seul de ses bras utilisable, il ramassa un des snipers couverts de sang. Il regarda rapidement sur le côté pour voir si les dépravés ne se faisaient pas contourner. En contrebas une silhouette accourait vers le centre du combat avec une manette dans les mains, entourée de repenteurs portant d’étranges tenues. Il cala le sniper sur le rebord et essaya de faire abstraction de son bras le tiraillant de douleur… Toujours sourd, le repenteur Morduk avait réussi à rejoindre ses forces en difficultés en haut des marches. Les mêmes tigres qui l’avaient mis dans la merde même pas deux semaines auparavant avaient ensuite attaqués les repenteurs au travers de la fumée. Il en esquiva un pour le vitrifier au niveau de la bouche, lui cassant ensuite sa tête transparente à coup de crosse. Une dizaine de repenteurs étaient déjà morts sous les coups de ces bêtes et les hommes sous ses ordres allaient devoir se regrouper s’ils voulaient survivre. « À l’intérieur ! » ordonna-t-il ne sachant même pas s’il chuchotait ou criait. Un des evocati avait eu la présence d’esprit de ramasser une mitrailleuse pour couvrir leur retraite. Il s’accroupit pour lâcher une rafale tonitruante à travers le sang et la fumée. Les derniers tigres arrachèrent la vie aux derniers vétérans de son escouade avant de périr sous un tir nourri et réuni. Ils n’eurent même pas le temps de savourer leur mince victoire qu’une rangée de boucliers se dessinait déjà dans la fumée en contrebas. « Stoppez-les ! » lâcha-t-il en vitrifiant plusieurs boucliers. 355 La Genèse de l’Apocalypse De nombreux tirs d’armes radius furent stoppés par les boucliers alors que quelques repenteurs moins stupides que les autres dégoupillaient leurs grenades. À plusieurs grenades meurtrières répondirent quasiment autant de flèches et de cocktails Molotov. Le sergent evocati fut plus que surpris quand il entendit le son d’armes à feu venant de ses assaillants. Encore un imprévu qui allait lui couter cher, pensa-t-il alors que du sang lui giclait déjà sur la figure. Il para la première lame qu’il rencontra à l’aide de son canon avant qu’un javelot ne vienne lui traverser la cuisse Son visage fut traversé d’un rictus et un instant plus tard il était mort et piétiné, une dague plantée dans le cou… L’ombre avait eu du mal à toucher sa cible avec cette douleur lui parcourant tout le corps. La balle de gros calibre avait arraché le bras de l’homme tenant l’étrange manette. Il avait eu le temps d’en toucher un autre au cou avant que les soldats ne ripostent à une vitesse foudroyante. Ils le blessèrent ainsi une seconde fois, un radius lui frôlant cette fois-ci ardemment la joue. Il s’était remis à couvert en essayant de calmer sa nouvelle blessure qui le tiraillait encore plus vicieusement que la première. La bataille du reflet d’Azur était finie pour lui. Il était trop souffrant pour pouvoir encore tenir une arme face à l’ennemi. Heureusement pour l’ombre, les dons of brutality étaient revenus chacun sur une de leurs montures démoniaques pour finir le travail. Risquant un œil par-dessus son couvert, le veilleur comprit en un instant d’où venait le nom de ces bikers. Le premier des repenteurs à mourir se fit en effet passer au shrapnel par une barbelette, une espèce de grenade artisanale remplie de grenaille et de ferraille de seconde main en tout genre, avant même d’avoir pu mettre le doigt sur sa gâchette. Les autres s’étaient faits rapidement blessés puis achevés, écrasés ou empalés sur les motos en guise de trophées morbides. 356 La Genèse de l’Apocalypse Tryner était descendu pour loger une balle dans la tête de celui qu’avait blessé le veilleur, avant de repartir et de laisser l’ombre seul avec sa douleur… Onex empala l’homme devant lui pendant qu’un dépravé à sa gauche tombait au sol, la mâchoire en train de fondre sous l’effet d’un radius bien placé. Il esquiva un coup de bayonnette au niveau de l’aine, la flèche de Kychrak crevant l’œil du repenteur qui venait de l’attaquer. Les repenteurs étaient forcés d’aller au corps à corps pour ne pas se prendre un tir dans la tête de la part de ces as du tir qu’étaient les frères Syndrakona. Ces derniers gardaient en particulier un œil sur le couloir qui menait à la salle d’où les repenteurs auraient pu appeler des renforts. Cette dernière était bien visible de l’extérieur à cause de ses grandes vitres qui avaient été soufflées par la tonitruante explosion du déforesteur et plusieurs cadavres s’entassaient déjà dans le couloir qui y menait. Les repenteurs et les dépravés étaient maintenant à peu près en nombre similaire, mais les dépravés prenaient peu à peu l’avantage dans un combat rapproché où ils excellaient plus que leurs ennemis. Zagor était en train d’achever un troufion au sol lorsqu’un repenteur laissé pour mort essaya de le viser de son pistolet radius. Onex lui lança son javelot dans l’épaule, faisant dévier le tir vers le plafond du hall. Le grand veilleur se retourna et remercia son homologue d’un rapide hochement de tête avant qu’une grenade explose non loin. Le souffle projeta Onex et plusieurs dépravés en bas des escaliers avec des repenteurs. Le guerrier du val Masqué, sonné, poussa par terre un gros morceau de béton qui coinçait sa jambe. Il essaya de ravaler sa douleur et tâtonna pour trouver une arme quelconque. Un repenteur non loin trouva son arme avant Onex. 357 La Genèse de l’Apocalypse Le soldat se releva et essaya de rapidement tirer sur le veilleur vulnérable. L’homme s’écroula avant de pouvoir appuyer sur la gâchette, une balle ayant traversé une de ses cervicales pour ressortir par sa trachée. Silith apparut en haut des escaliers, un stillentod V à la main. Elle lui envoya un arc avant de repartir au cœur du combat. Il la remercia alors que le son des combats se faisait moins omniprésent : la bataille touchait à sa fin. Le grand veilleur blessé regarda autour de lui, cherchant à achever un repenteur mourant qui avait valdingué avec lui dans les escaliers. Il planta ainsi un troufion sans jambes qui avait du shrapnel plein le visage tandis que ce dernier essayait d’évacuer le sang qui lui remplissait la bouche. Il entendit alors un râle non loin. Il crut en premier que c’était l’homme qui lâchait son dernier souffle, mais il comprit qu’il se trompait lorsqu’il vit quelque chose bouger à la lisière gauche de son regard. Il accourut vers le tas de corps et de membre qui avait été projeté contre le mur. Il poussa les corps sur le côté et ce qu’il vit sous une couche de débris lui pinça le cœur. C’était Tyrius, son meilleur veilleur. Il avait les deux jambes coupées et son bras gauche était en charpie. Il essayait de parler. Onex rapprocha son oreille de la bouche de son frère, retenant ses larmes. « Achève-moi mon frère. Met fin à mes souffrances, supplia-t-il du sang épais lui coulant de la bouche. — Tu sais très bien que je ne peux faire ça mon frère », larmoya Onex. Des larmes tombèrent sur le visage de Tyrius et le veilleur s’aida de son bras valide pour prendre son couteau le long de sa hanche. 358 La Genèse de l’Apocalypse « Tue-moi dignement avec… commença le veilleur en crachant du sang, ma propre arme. Pense à la même chose que quand tu achèves les souffrances d’une bête mourante. » Onex prit la lame en tremblant. Alors qu’un calme mortuaire s’installait dans le reflet un hurlement de chagrin résonna dans toute la structure, mettant fin à la vie de Tyrius et à la bataille du reflet par la même occasion… Les exterminateurs pouvaient maintenant entendre les véhicules se rapprocher sur les chapeaux de roues. Azilor ouvrit le clapet de son purificateur, sentant déjà l’odeur de carbonisation qu’allait apporter son arme sur ces tas de tôle motorisés. Le bruit singulier d’un lance-grenade se fit alors entendre, suivi d’une explosion et d’un torrent de bruit. Les exterminateurs sortirent aussitôt de leurs couverts dans un ouragan de tirs. Azilor observa rapidement ce qui restait du véhicule de tête. Sa carcasse était à moitié explosée tandis que des hommes étaient en train de bruler à l’intérieur. « Pour le balafré ! » beugla-t-il juste avant de décharger sa rage par le biais de son purificateur. Le phosphore flamboyant atteignit le deuxième véhicule dans un cri de douleur qui semblait tout droit sorti de l’enfer. Alors que le conducteur aveuglé de la plus horrible des façons déviait de la route pour foncer dans un talus, Bâtard tira ses câbles barbelés à travers la fenêtre du troisième véhicule. Une grenade explosa près d’eux alors que les os et la chair des hommes dans la troisième voiture blindée se faisaient réduire en pièces par la déchiqueteuse. Les véhicules accélérèrent dans une série d’explosions, roulant à plusieurs reprises sur l’exterminateur essayant de les intercepter. Un lance-grenade des FFS propulsa Azilor sur le côté, l’envoyant exploser quelques briques du muret à côté de lui. Il se releva assez rapidement pour voir Bâtard accroché à l’arrière de la première voiture par un de ses câbles. 359 La Genèse de l’Apocalypse Il glissait sur le sol en faisant des étincelles, tirant du mieux qu’il pouvait avec son redspray sur les trois véhicules lui faisant face. Les escouades de repenteurs se déplacèrent rapidement pour avoir un meilleur angle de vue, pressés par les tirs de basaltic eagle d’Azilor. Ce dernier arriva à percer le blindage arrière du véhicule fermant le convoi, faisant exploser son réservoir dans une déflagration entourée d’une myriade de morceaux de métal. L’exterminateur Vonerion accourut dans son armure fumante vers la voiture en flammes pour vérifier s’il n’y avait pas de survivants. Alors que le coordinateur prévenait que des véhicules en fuite allaient arriver sur l’équipe en amont de la route, une explosion assourdissante retentit au niveau de la voiture la plus éloignée. Azilor accourut aussitôt vers la position de Vonerion, surpris par le son d’une grenade MR. Il comprit rapidement ce qui était arrivé en reconnaissant un bras couvert de ce qui semblait être une armure carapace : un survivant blessé venait de se faire sauter à l’arrivée de l’exterminateur. « Merde ! » lâcha-t-il. Il se résigna à chercher le casque de guerrier du Fulgurastra, surement réduit en poussière par la grenade, et revint sur ses pas. Le sergent Anolmus vint à sa rencontre, laissant le reste de sa troupe derrière lui. « Je suis désolé, commença-t-il. — Faites-moi un rapport sur la situation, répondit sèchement Azilor. — L’autre exterminateur a été touché à plusieurs reprises et s’est fait rouler dessus par plusieurs véhicules, ses jambes sont complètement écrasées. Il a un mental d’acier, il n’a même pas bronché. À part ça, six de mes soldats sont morts et quatre sont gravement blessés. — Vous avez fait du bon boulot, les pertes sont minimes de votre côté. 360 La Genèse de l’Apocalypse — Merci, mais c’est grâce à vous et les autres exterminateurs que nous avons réussi à leur porter le coup fatal. Sans une force de frappe aussi conséquente que la vôtre notre effet de surprise n’aurait surement pas été aussi meurtrier. — Gardez vos remerciements pour plus tard sergent. Les autres véhicules ne sont toujours pas arrêtés », rappela l’exterminateur… Alors que les dépravés aidés des frères et des dons fouillaient la zone à la recherche de survivants, Zagor et Silith avaient fait le bilan provisoire de cette fulgurante bataille. Tous les repenteurs avaient été exterminés, ils n’avaient pas fait de prisonniers. Du côté des dépravés un peu moins de la moitié des membres du val Masqué y étaient restés, ainsi que presque la totalité des tigres gris. Onex était anéanti. Il avait en effet perdu son ami de toujours, Tyrius. Il était encore sous le choc et ne voulait parler à personne. Zagor avait quant à lui eu une peur bleue. Lorsque Lergoragor et Hislachar avaient manqué à l’appel, il avait directement pensé au pire. Lergoragor avait finalement été retrouvé près de l’escalier, le tigre qu’il avait juré de protéger veillant sur lui. Une explosion l’avait envoyé s’assommer hors du combat juste avant que les dépravés ne chargent. Un des derniers tigres gris s’était aussitôt précipité à ses côtés pour empêcher que l’on ne l’achève dans sa torpeur. Il s’était aussitôt excusé auprès de Zagor pour ne pas avoir participé plus que ça à la bataille. Le veilleur venait de lui répondre que ce n’était pas de sa faute lorsqu’on lui avait annoncé que l’ombre avait finalement été retrouvée. Les dons l’avaient en effet découverte sur le toit, entouré de cadavres et d’un repenteur dément et aveugle. Ses blessures sévères l’avaient amené aux portes de la mort. 361 La Genèse de l’Apocalypse Yarg et Kychrak l’avaient rapidement acheminé auprès de Seurg pour que la nature le soigne. Opidas soignait les blessés légers tandis que les cadavres étaient réunis en bas des marches. « Qu’allons-nous faire de tous ces corps ? demanda Silith, ses cheveux et son visage rougis par le sang de la bataille en regardant les repenteurs entassés. — Nous allons tenir un conseil pour le décider. Personnellement je pense que le rituel de l’inception est la meilleure solution. — Nous n’avons pas appris ce rituel au val Masqué, commença l’Hégémone. En quoi consiste-t-il ? — C’est normal, les tiens sont partis avant de tout connaitre sur les traditions des dépravés d’origine, ceux vivant auprès du Grand Père. Ce rituel est la base de l’évolution de la nature, c’est par exemple pour cela que les lieux qui entourent notre quartier général sont envahis par la végétation. Il consiste en une chose assez simple. Nous utilisons les graines rouges d’un senkay, que nous mettons dans la bouche de nos ennemis morts. Nous plaçons ensuite les corps de nos ennemis de sorte que la nature reprenne ses droits dans la zone voulue. Ensuite les graines se nourrissent de l’eau présente dans le corps pour grandir, le corps en décomposition servant de terreau fertile. — Ah je vois », imagina Silith avec une pointe d’admiration. L’image, celle de la nature reprenant ses droits sur l’homme, était en effet selon elle parfaitement mise en œuvre dans ce geste. Son triste regard violet se posa sur les restes des tigres gris déversant leur sang tel un torrent dans les restes de l’escalier extérieur. Elle resta plantée là un moment, le calme après la tempête prenant la forme d’un doux son semblable à l’écoulement d’un paisible ruisseau de montagne… Les derniers soldats ennemis avaient tué plusieurs repenteurs avant d’être complètement stoppés. Bâtard s’était approché d’un mourant pour s’occuper un peu en attendant l’arrivée des autres repenteurs. 362 La Genèse de l’Apocalypse « Je vous pensais plus forts que ça ! FFS mes fesses ! » L’homme lui rit au visage, avant de cracher du sang sur le heaume rouge de Bâtard. L’exterminateur furieux lui asséna un coup de poing, tuant sur le coup l’homme blessé. Il serra les dents, un peu frustré de ne pas avoir pu assouvir sa curiosité plus longtemps. C’est en se relevant qu’il entendit des échanges de tirs lointains au nord de leur position. « C’est quoi ce bordel ? alla demander l’exterminateur au repenteur le plus proche. — De quoi parlez-vous exterminateur ? » demanda l’homme qui ne faisait pas attention aux bruits de combat quasi inaudibles. Comme pour lui répondre, une grosse explosion retentit tel un coup de tonnerre lointain. « Merde, lâcha-t-il. — On est attaqué ! accourut le coordinateur. Nos forces de réserve sont submergées en ville. — C’était une putain de diversion », grogna Bâtard qui comprenait maintenant l’action des FFS. Il ne faut jamais sous-estimer ses adversaires, se rappela-t-il alors qu’il accourait vers les véhicules garés au bord de la route. Il sauta sur le siège conducteur du rollersmoker le plus proche, puis mis les pleins gaz vers le nord… Les protecteurs étaient au chevet de l’insongeable. S avait ainsi fait connaissance avec le protecteur numéro cinq, qui était une vraie montagne. Amiklum s’était agenouillé, mettant une fois de plus mal à l’aise l’insongeable. S avait alors pu alors observer l’écriture parcourant l’encolure du protecteur. Il y était écrit en français : « quand la montagne est calme, le volcan s’éveille ». L’inébranlable avait été ému de trouver enfin le but premier de sa mission. 363 La Genèse de l’Apocalypse Krag et Zabyss avaient ensuite demandé à l’insongeable ce qu’il avait fait pour qu’une onde de choc les propulse tous dans les airs. « … Je sais pas vraiment. Cette… chose, commença S en cherchant ses mots. Elle m’a donné un coup d’épée, j’ai juste levé mon bras par réflexe et quand la lame a touché mon trajecteur il s’est passé ce que vous savez. Je n’ai pas d’explication plus sensée, je suis désolé », s’excusa S assis sur son lit alors que les protecteurs fronçaient les sourcils d’incompréhension derrières leurs masques de placidité. Après un court instant, Krag prit la parole. « Ne t’inquiète pas, on te croit, c’est surement explicable mais si seulement l’Oracle était là à ce moment précis, il pourrait nous aider à percer ce mystère. Dans tous les cas nous nous excusons de ne pas avoir su te protéger comme il se devait lors de ce combat, cela ne se reproduira plus jamais. — Pas avant que nous soyons six pieds sous terre, ajouta le flamboyant. — Merci, mais vous étiez submergés c’est pas de votre faute. Je suis en vie c’est le principale, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort non ? — Oui tu as surement raison. Ce sont de sages paroles que les tiennes, avoua le carmin avec une pointe de honte. — Quand repartons-nous ? questionna l’insongeable. — Le plus tôt sera le mieux, lâcha l’inébranlable de sa voix forte et posée. — La Valraven Guard nous a sauvé la vie et est en train de discutailler à notre sujet. Dès que les guards en auront fini avec cela, nous pourrons nous en aller. » Chaque minute que nous perdons est un avantage pour les repenteurs, finit par dire le carmin. L’insongeable essaya de faire bouger ses muscles. Il avait encore mal, mais plus pour très longtemps. « Personnellement je suis prêt, informa-t-il. — D’accord, je vais me renseigner auprès de Corax pour voir quand ils en auront fini. » 364 La Genèse de l’Apocalypse Les protecteurs prirent ensuite rapidement congé, laissant l’insongeable se reposer… Bâtard fut le premier à arriver sur les lieux. La caserne des repenteurs était en feu. Des blessés s’entassaient autour de l’entrée qui avait été éventrée par une explosion. Il accourut vers un sergent repenteur qui prit peur à la vue de l’exterminateur en armure. Il se mit au garde-à-vous par réflexe. « Sergent Thunderson au rapport, commença à se présenter le repenteur au visage portant la trace d’une grave brulure. — Exterminateur Bâtard, répondit le deuxième soldat avant que le premier n’ait le temps de se présenter entièrement. C’est quoi ce bordel ? questionna-t-il alors que le reste des repenteurs arrivait sur les lieux. — Ils nous ont attaqués pendant que la plupart des soldats prenaient part à l’embuscade. — Mais qui « ils » ? interrogea l’exterminateur alors que son ami Azilor arrivait à son niveau. — Les FFS. Leur convoi était en fait une diversion pour attaquer notre caserne. Ils nous sont tombés dessus à quarante contre trente et ils ont tué la moitié des nôtres avant même de se faire repérer. — Mais pourquoi voudraient-ils venir ici ? Qu’ont-ils à y gagner ? » questionna Azilor qui voulait se hâter pour ne pas perdre de temps. Le sergent s’approcha alors des deux exterminateurs, assez pour pouvoir parler en étant entendu que par ses interlocuteurs proches. « Cela reste entre nous, mais cet endroit n’est pas une caserne comme les autres. Nous avons aussi quelques prisonniers, de très importants prisonniers. Ils sont emprisonnés dans les cellules de la caserne avant de se faire transférer, c’est comme une sorte de point de passage. Cela marchait jusque-là parce personne ne soupçonnait ce patelin d’abriter des prisonniers d’importance 365 La Genèse de l’Apocalypse capitale. Mais il y a environ deux semaines, on a capturé un homme très important parmi les FFS : le Divisionnaire Chambonnet. Un percontator est venu ce matin pour lui soutirer des informations. Il s’est fait tuer en plein interrogatoire quand les FFS sont entrés libérer leur gradé », ajouta le sergent avec appréhension. Les percontators, pensa Azilor. Sous les ordres de l’Église repentrice, ils étaient les pires hommes par qui on pouvait être questionné. Ils étaient considérés comme les meilleurs dans leur domaine et étaient prêts à tout pour arriver à leur fins. Les personnes torturées étaient souvent maintenues en vie alors qu’elles souffraient le martyre, pouvant tout juste ouvrir la bouche pour lâcher les informations découlant de leurs tourments. « Par où sont-ils partis ? demanda Bâtard. — Par là où ils sont arrivés, à savoir la forêt adjacente à la ville, vers l’ouest. Ils vont surement y rester pendant plusieurs kilomètres, le temps pour eux de se séparer et d’être hors de vue de notre appui aérien. On a demandé deux repentors pour couvrir les alentours à leur recherche mais ça m’étonnerait qu’ils arrivent à les repérer. — On peut les poursuivre ! s’avança Bâtard. — Mon camarade à raison, vous avez trop à faire ici. Occupezvous plutôt de vos blessés on se charge du reste. — À une condition, intervint le sergent Anolmus qui les avait finalement retrouvés. Prenez Dorgon avec vous c’est un bon tireur, argumenta-t-il en faisant référence au sniper qui l’accompagnait. — D’accord mais pas plus, accorda Azilor. Dans cette situation le pistage est préférable à une battue. — Merci exterminateur, sourit l’homme tout fier de partir en chasse avec des membres du Fulgurastra. — Bon on n’a pas de temps à perde ! faut y aller tout de suite ! pressa Bâtard. 366 La Genèse de l’Apocalypse — Vous n’aurez qu’à me suivre je connais cette région comme ma poche, proposa le jeune sniper. — C’est d’accord. Après toi soldat », répondit promptement Azilor en coupant court à la conversation. Ils suivirent ainsi le sniper, traversant la place d’où les repenteurs qui accusaient le coup regardaient les exterminateurs d’un œil admirateur… Lergoragor était presque arrivé là où le maitre des bêtes lui avait accordé sa confiance quelques jours auparavant. Kychrak l’astucieux et le tigre gris marchaient à ses côtés, ce dernier avançant de sa démarche féline habituelle. Lergoragor se demandait comment il allait se faire pardonner, rongé qu’il était par le remords. En effet non seulement presque aucun des tigres que lui avait accordé le maitre des bêtes avait survécu, mais il n’avait aussi pas pu prêter main-forte à ses frères au moment où ils en avaient le plus besoin. Il eut un pincement au cœur quand, à peine rentrés dans le bâtiment, les deux veilleurs reconnurent une odeur de mauvais augure et se regardèrent d’un air inquiet. Entourés par à peine une poignée de tigres gris, ils arrivèrent devant le trône avec horreur. Ils s’arrêtèrent sur place, le lichen craquelant sous leurs pieds. Atnias était mort, sa tête penchant vers la droite du trône dans un angle improbable. La couronne qu’il portait lors de leur dernière rencontre ainsi que le bâton gris étaient tous deux étendus à même le sol aux côtés du maitre des bêtes. Kychrak accourut vers le trône la larme à l’œil alors que Lergoragor tombait à genoux, dépité. « Le chagrin et la douleur ont dû avoir raison de lui, lâcha Kychrak après un court et insoutenable silence. » Lergoragor s’approcha lentement du maitre des bêtes, les tigres gris fixant le dépravé mort d’un regard insondable. 367 La Genèse de l’Apocalypse « Je suis désolé, lâcha-t-il à genoux devant le défunt toujours assis sur son trône. — C’est pas ta faute, rassura Kychrak. On est tous fautifs dans cette histoire. Il nous a accordé sa confiance et nous n’avons pas réussi à l’honorer. Au moins dis-toi que la deuxième chose qu’il t’avait demandé est réussie, lâcha Kychrak en faisant référence au tigre gris qui accompagnait Lergoragor. — Et que va-t-il se passer maintenant que la région n’a plus de maitre des bêtes ? demanda Lergoragor qui ne connaissait pas encore toutes les coutumes des dépravés de l’enfer Verdoyant. — Dans la logique des choses ça devrait être à toi de le remplacer, étant donné que tu étais une des dernières personnes à qui il avait donné une consigne. — Moi ? Mais c’est à peine si je sais en quoi consiste le rôle de maitre des bêtes. — Ne t’inquiète pas, tout s’apprend. En tout cas ce n’est pas à nous d’en décider. Nous devons annoncer la nouvelle à Zagor. Ensuite on va surement faire un vote au cercle pour élire le prochain maitre des bêtes. — Je vois. Je ne m’y attendais pas et je n’en ai pas les épaules mais si je dois le faire je le ferais, je lui dois bien ça. — Allons prévenir les autres, plus vite ils sauront, plus vite ton sort sera fixé et notre deuil consommé. » C’est ainsi que Lergoragor suivit l’astucieux sur le chemin du destin avec la boule au ventre… Les trois soldats venaient tout juste d’être survolés par un repentor dont le bruit leur avait permis de courir comme des dératés sans se faire repérer par les soldats en fuite. « Ils doivent être plus de cent mètres devant, calcula le sniper. Le Divisionnaire doit surement les ralentir à cause de sa rencontre avec le percontator. » Plusieurs minutes de course plus tard, le sniper s’arrêta l’espace d’un instant. Il visa puis tira dans la même seconde, avant même que les exterminateurs ne repèrent sa cible. 368 La Genèse de l’Apocalypse « J’en ai eu un, ajouta le sniper alors qu’il reprenait sa course. Ça doit être l’arrière-garde. Il était à moitié caché derrière un arbre, haleta Dorgon. — Bien joué », félicita simplement Azilor pour ne pas perdre son souffle. Bâtard essaya de repérer de potentiels ennemis mais ils le repérèrent avant lui. Une balle de gros calibre l’atteignit au niveau du torse, le stoppant net dans sa course. Il fut projeté en arrière tandis que la balle s’enfonçait dans son armure. Elle avait traversé la partie supplémentaire de l’armure carapace au niveau du torse ressemblant à des côtes, pour finir la course dans la couche principale de l’armure. Elle s’était arrêtée à deux doigts de son sternum, le faisant à peine saigner. « Ennemi à terre, lâcha le sniper alors qu’il se mettait à couvert à côté d’Azilor. — Je vais bien », assura Bâtard en regardant son ami. Ce dernier lâcha un souffle et prit la parole. « Bon ils sont combien ces enfoirés ? Parce que ça va chier on tire pas sur mon meilleur pote sans conséquence ! s’échauffa Azilor alors que Bâtard se glissait derrière un arbre. — J’en ai distingué une dizaine, lâcha Dorgon. — Ils attendent qu’on sorte nos têtes pour nous aligner, comprit Bâtard allongé en train d’enlever la balle qui gênait ses mouvements. — Merde vous avez raison exterminateur, on fait quoi du coup ? — Dans quel sens va le vent ? demanda Azilor au sniper. — Ouest, répondit le soldat après s’être humecté le doigt. Pourquoi ça ? — Parfait. Parce que j’ai ce qu’il faut pour les faire sortir de derrière leurs troncs d’arbres. » Sur ces paroles et sans explications supplémentaires, l’exterminateur essaya de viser le plus loin possible sur la gauche. 369 La Genèse de l’Apocalypse Il lâcha ensuite une langue de phosphore flamboyant dans un jet éblouissant. Il se déplaça en rampant et répéta la même chose sur sa droite. Alors que le feu prenait rapidement, Azilor fit signe aux deux autres soldats de ramper vers l’arrière. « Ingénieuse idée, approuva le sniper. Je n’y aurais pas pensé. Le phosphore avait rapidement mis le feu aux poudres et les flammes se répandaient maintenant plusieurs dizaines de mètres vers leurs ennemis, la ligne nord-Sud de la forêt étant ainsi presque entièrement bloquée par ces dernières. — À cette allure, ils vont bientôt devoir montrer leur nez s’ils veulent pas mourir brulés vif, ricana Bâtard en couvrant le crépitement des flammes les entourant. — Ouais mais nous aussi faut qu’on bouge, c’est pas parce qu’y a du vent que le retour de flammes est impossible. On doit continuer à reculer ! » Alors que le feu mettait leurs adversaires dans une situation difficile et que les trois hommes s’éloignaient des flammes en rampant, les repentors revenaient faire un tour au-dessus de la forêt tel des aigles attendant patiemment qu’une proie se manifeste en dessous d’eux… L’insongeable et les protecteurs étaient en train de manger dans la cantine bricolée des guards. « … J’ai pas mangé comme ça depuis un bail ! lâcha Amiklum à la table des invités, entourés par les autres compagnons et Corax. — Merci beaucoup, répondit le bannerherr avec un sourire amical. Tous les préparatifs sont terminés pour tout à l’heure. On vous amènera le plus proche qu’on peut de votre destination à la tombée du jour, la Valraven Guard a l’habitude de ne sortir que la nuit. On vous déposera à Saint-George-de-Mons, une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Vichy. Ce coin est assez étrange. C’est le genre d’endroit où tout le monde passe mais où personne ne s’arrête. C’est surement un énième désert de civilisation créée par les repenteurs. On vous déposera là-bas car il y a peu de chance qu’on nous repère dans cet endroit perdu. 370 La Genèse de l’Apocalypse Je vous conseille d’ensuite vous diriger vers Vichy. C’est une zone qui a apparemment un pacte de non-agression avec les repenteurs, même si ça peut paraitre hautement improbable. Nos éclaireurs n’ont en effet jamais vu de forces ennemies stationner dans la ville alors qu’elle est pourtant sur une route assez fréquentée. — Je vois, lâcha Krag. — C’est pas forcément un bon présage, avança l’inébranlable. Qui sait quel pacte avec le diable ont-ils conclu pour ne pas se retrouver sous le joug des repenteurs. — Vous avez raison, c’est ce que nous pensons aussi. Mais nous n’avons jamais pu connaitre la vérité sur cette affaire. — On a qu’à y aller en étant vigilant, commença l’insongeable. De toute façon c’est pas plus dangereux que de marcher sur les routes que les repenteurs empruntent tous les jours. — Vous avez raison. Soyez tout de même extrêmement prudents », conseilla Corax. Sur ces paroles et dans un climat d’incertitude les compagnons continuèrent de se rassasier, leurs esprits se préparant pour le grand saut… Les exterminateurs venaient de finir leur débriefing auprès de leurs homologues repenteurs, qui leurs avaient appris que l’exterminateur Gahrok n’avait pas survécu à ses blessures. « Encore bravo. Vous avez fait du bon boulot, félicita le sergent Thunderson en direction des trois repenteurs. — Merci, et désolé pour la forêt. — C’est pas grave ça repoussera, la nature finit toujours par reprendre ses droits. Mais au moins on a réussi à chopper la plupart des FFS. Certains ont avalé des pilules D avant qu’on les capture, mais on a deux nouveaux prisonniers FFS pour remplacer le Divisionnaire. » La pilule D, quand avalée, tirait tous les muscles du corps jusqu’à la tétanie et laissait un étrange sourire crispé sur le visage du défunt. 371 La Genèse de l’Apocalypse « Merci encore vous avez transformé un fiasco en semi-victoire, conclut le sergent Thunderson. — Remerciez aussi Dorgon c’est un bon tireur », répondit Azilor. Les rotors d’un hélicoptère coupèrent court à la discussion. C’était le sergent Honizza, venu les ramener au bercail. « Où sont les deux autres exterminateurs qui vous accompagnaient ? demanda le gradé. — Ils sont tous les deux morts, l’un s’est pris une grenade MR et l’autre est décédé suite à ses blessures. Les forces dans le secteur s’occupent d’appeler les corbeaux. — Je suis désolé, lâcha sincèrement le sergent. — Il ne faut pas, c’est la guerre c’est comme ça. » Le repenteur, qui était venu les chercher après leur combat avec les pirates, acquiesça et ferma la porte coulissante du repentor. « On est désolé de vous trimbaler partout où on va c’est pas notre but, s’excusa Azilor après une minute de silence. — C’est gentil de vous excuser mais je ne vois pas ça du même œil que vous. Nous on est en réserve alors pour l’instant on s’ennuie à mourir. Donc venir vous chercher, au contraire, ça nous occupe. — Tant mieux dans ce cas », conclut Bâtard tandis que les mouvements de rotors de l’hélicoptère faisaient tourbillonner d’une étrange manière la fumée en contrebas… 372 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 12 : Heir of the Lair / No Man’s Land / After The Effort the Comfort / [13 Cruciamentum an 13 ; Terre] La nouvelle avait anéanti tous les dépravés. Le maitre des bêtes était une partie extrêmement importante dans une tribu, peu importe sa taille, et Zagor s’était rapidement senti coupable. Le grand veilleur avait ainsi eu un vital besoin de se retrouver seul, imité par les autres guerriers qui devaient en plus pleurer leurs frères et sœurs. Il était en train de repenser à tous les frères et sœurs de sa tribu qui étaient partis en moins d’une semaine. Zagor comprenait maintenant une expression que les dépravés utilisaient parfois : « la pythie peut interpréter de nombreux signes, mais le présage qui n’a pas besoin d’interprétation est la mort de la pythie elle-même, et pour cause c’est le pire de tous ». En effet, la pythie de sa tribu, Istip, était décédée moins d’une semaine plus tôt dans des circonstances étranges. Des visages amicaux défilaient dans sa tête lorsque l’un des dons était venu le trouver perché sur sa corniche. C’était Anotiak, un des dons qui résidait à l’hôtel des frères. Malgré son jeune âge qui ne devait pas dépasser les vingt-cinq ans, le don avait le visage marqué comme s’il avait combattu pendant plusieurs décennies. Une trace de brulure surement due à une arme radius lui striait la joue, chevauchant de nombreuses autres cicatrices. Ses yeux exorbités de folie prouvaient bien que l’homme en avait déjà beaucoup vu pour son âge. Il s’assit à côté de Zagor et lui posa sa main gantée sur l’épaule. « Je suis désolé pour tes frères, avança l’homme en essayant de trouver les mots. — Merci », répondit simplement le dépravé. 373 La Genèse de l’Apocalypse Ce fut le seul mot que le dépravé autant surpris que touché réussit à faire sortir de sa bouche. « Je sais ce que c’est crois-moi, continua le don. Quand j’étais plus jeune j’habitais dans un camp de réfugiés avec mes parents. Tout allait bien jusqu’à que les repenteurs trouvent notre cachette je sais pas comment. Le fait est que j’étais allé chercher du bois quand c’est arrivé, et quand j’ai vu les colonnes de fumée au loin j’ai accouru au campement. Les repenteurs avaient fait ce qu’ils appelaient une crémation publique. Je n’étais même pas majeur quand j’ai vu toute ma famille bruler devant mes yeux, impuissant. J’ai dû rester cacher des heures, à regarder les repenteurs manger tranquillement alors que la zone était remplie d’innocents complètement consumés. Quand ils sont partis j’ai enterré moi-même les hommes, les femmes et les enfants qui venaient de bruler. Je suis resté des jours à pleurer au milieu des cendres, et c’est à ce moment que les dons sont venus au camp. J’étais trop jeune pour le savoir à l’époque, mais les dons et ceux de mon camp faisaient un peu de commerce avant que tout parte en poussière. Ils ont vu que j’étais le dernier survivant et ont décidé de me prendre sous leur aile. Et c’est comme ça que je suis devenu un don of brutality. Crois-moi, je déteste autant que toi les repenteurs et les dons sont tout autant traqués que les dépravés, conclut Anotiak. — Je suis désolé pour ta famille, dit à son tour le veilleur. — Merci mais c’est derrière moi maintenant. Il faut aller de l’avant si on ne veut pas perdre espoir dans ce merdier. Je te conseille de faire de même pour ta tribu si tu veux construire un futur pour ceux que tu aimes. » Le biker se retira ainsi, laissant Zagor méditer sur ces paroles… Le cœur de l’insongeable battait à trois cents à l’heure, ses pieds touchant les volutes blanches en dessous de lui. Pour ne pas se faire repérer les guards s’étaient positionnés au-dessus des nuages. Ils passèrent au-dessus d’une structure que l’insongeable essaya de discerner. 374 La Genèse de l’Apocalypse Cela ressemblait à un pont suspendu, mais l’insongeable fut étonné par le côté sobre de l’architecture. D’ici il pouvait observer d’énormes trous parsemant la structure, ces derniers donnant sur la flore en contrebas. « C’est le viaduc du Chavanon », expliqua le guard qui le tenait en hurlant dans les oreilles de S. La formation fit ensuite un immelmann qui arracha un cri d’adrénaline à l’insongeable et aux protecteurs. La volée laissa finalement le Viaduc derrière elle et continua sa route vers le nord-est, une fine trainée bleutée dans son sillage… « … Je suis fier de vous. Aujourd’hui vous avez donné un bon exemple de ce dont le Fulgurastra est capable. Malgré la perte tragique de deux des vôtres vous avez fait preuve d’initiative lors de cette mission, ce qui est très important chez un bon soldat, ajouta l’exterminateur Regodium. — Merci, lâchèrent les deux sergents à l’unisson. — Je vais vous laisser souffler quelques jours, le temps pour vous de vous reposer et de continuer votre entrainement. Je vous ferai signe quand j’aurai besoin de vous. Rompez », lâcha finalement le gradé. Les deux sergents sortirent refaits et soulagés du bureau du sergent, accueillant la nouvelle avec une joie à peine voilée. « Je vais aller chercher des bières, lâcha Bâtard. Avant qu’on soit envoyés en mode mission surprise. » L’ami d’Azilor partit ainsi en courant à la recherche de tout ce qui pouvait comporter un degré minimum d’alcool, allant se perdre dans les couloirs de la gargantuesque base des exterminateurs… Le vote pour l’inception venait de passer, après que Zagor en ai expliqué le concept à la tribu du val Masqué. À la table du cercle se tenaient quatre dépravés. Onex représentait les veilleurs du val Masqué, épaulée par l’Hégémone de sa tribu. Zagor était quant à lui épaulé par Yarg. N’ayant plus d’Hégémon, celui qui avait suivi Zagor au cercle avait été tiré au sort. 375 La Genèse de l’Apocalypse Les quatre dépravés s’étaient rapidement tournés vers le cas du maitre des bêtes. « … Lergoragor ne fait certes pas partie de notre tribu depuis longtemps mais il a le sens du devoir. S’il doit avoir le rôle de maitres des bêtes, il en sera ainsi et il ne bronchera pas. Il remplira ses fonctions sans se plaindre, je peux vous l’assurer. — On devra surement lui expliquer en quoi consistera son rôle mais il apprend vite, ajouta l’estafette. — Hum, débuta Onex. Je comprends, c’est normal que ce soit l’un des vôtres qui soit élu pour ce rôle. Lergoragor est apparemment le choix le plus logique, étant donné qu’il était le dernier à qui le feu maitre des bêtes avait donné une consigne. — Et sincèrement trop de nos frères et sœurs sont morts en si peu de temps, ajouta d’une voix douce l’Hégémone portant la bague noueuse. — Dans ce cas qui est pour que Lergoragor prenne la fonction de maitre des bêtes ? demanda Zagor. — Moi », répondit Onex en levant légèrement sa main. Silith le suivit dans son mouvement. « Je suis pour, ajouta Yarg. — Ainsi que moi, conclut Zagor. Voté à l’unanimité », confirmat-il assis derrière l’épaisse table. Il planta alors une étrange hache dans une buche placée devant lui, la coupant en deux sur le coup. Cette hache était une silexinne, une arme entièrement sculptée dans une pierre des plus dures à l’exception de son long manche en bois. Réservée aux Hégémons lors des combats, cette redoutable arme était différente pour chacune des tribus dépravées. La silexinne servait aussi à sceller symboliquement les votes lorsqu’un conseil était tenu au cercle de ladite tribu, sa partie tranchante de forme approximativement rectangulaire étant attachée par de grosses racines au manche d’un bois sombre. Zagor l’avait retrouvée plus tôt dans les décombres du reflet, sans pour autant trouver l’emplacement des corps de ses frères et sœurs défunts. 376 La Genèse de l’Apocalypse « Yarg va me chercher Lergoragor s’il te plait », ajouta Zagor. L’estafette partit ainsi à la recherche de son frère, laissant la salle baigner dans une ambiance pesante… Les compagnons avaient été déposés à Saint-George-de-Mons, comme prévu. Alors qu’ils se posaient quelques secondes le temps de remettre leurs tripes en place, les guards s’apprêtaient déjà à reprendre leur envol. « Vous êtes à une soixantaine de kilomètres de Vichy si vous suivez la route. Espérons que vous ne croiserez pas de repenteurs sur votre chemin. — Merci encore pour votre aide, lâcha Amiklum. Prenez bien soin de nos amis les repenteurs pour moi. — Ne vous inquiétez pas pour ça, sourit Corax derrière son heaume. Au revoir et bon voyage », salua finalement le bannerherr d’un hochement de tête. Les guards s’envolèrent en quelques instants avant de disparaitre rapidement du champ de vision des compagnons, laissant ces derniers seuls au milieu d’un village fantôme. Corax avait dit vrai : déposés en plein milieu du petit village, les compagnons ne voyaient en effet aucun signe de vie autour d’eux. L’endroit avait été le lieu de nombreux combats, comme pouvait en démontrer un commerce à moitié détruit non loin d’eux et les trous d’obus parsemant ci et là la zone alentour. L’insongeable imagina le village avant la guerre. Surement une petite bourgade fleurie et paisible comme il en existait des centaines dans l’arrière-pays français oublié par la ruée vers les étoiles, pensa-t-il. Comme de nombreux villages d’arrière-plan, le paysage de cet endroit n’était pas totalement en raccord avec son temps. En effet l’architecture ne portait presque pas les traces futuristes, miroitantes et grandioses que l’espoir de la conquête de l’espace imprégnait sur les constructions terminées pendant l’ère de la ruée vers les étoiles. 377 La Genèse de l’Apocalypse Devant leur zone de largage se tenait fièrement une petite église, intacte. « Rentrons dans l’église, proposa l’inébranlable. On aura surement une vue d’ensemble d’en haut. — Tu as raison, allons-y », dit l’insongeable. Sans un mot de plus, les compagnons prirent le sac rempli de vivres et entrèrent dans l’édifice religieux. Amiklum entra le premier, ouvrant la haute porte en bois dans un grincement sinistre. Krag entra sur ses pas, couvant l’autre angle. L’insongeable et Zabyss entrèrent finalement dans le bâtiment. « Ah bas merde », lâcha S tandis que le flamboyant fermait la porte derrière eux. En effet tout l’intérieur de l’église semblait avoir été rongé du sol au plafond par une sorte d’acide. Le plafond semblait en effet couler vers le bas, formant des stalactites très étranges. « Chai pas vous, mais cet endroit me met mal à l’aise. — Je pense que c’est notre cas à tous », répondit le carmin à Zabyss. L’insongeable marcha quelques mètres et eut à chaque pas l’impression qu’il allait tomber. Le sol irrégulier donnait en effet une étrange impression : c’était comme si les lois élémentaires de la physique n’avaient ici pas d’emprise. « Bon je vais voir ce qu’il y a là-haut », lâcha Amiklum. Le regard de l’insongeable se porta alors vers la partie centrale de l’église. Une structure massive en bois avait été rajoutée, permettant à un tireur de prendre place en haut de la structure. L’inébranlable fit presque céder les solides planches quand il monta à l’échelle. Arrivé en haut, il remarqua que l’endroit avait déjà servi de nid d’aigle pour un sniper. 378 La Genèse de l’Apocalypse Des restes de munitions de gros calibre et des traces au sol montraient en effet qu’un tireur avait attendu au même endroit pendant des jours. Amiklum ouvrit les grosses fenêtres l’entourant et comprit pourquoi le tireur s’était positionné là où il se tenait. De sa position, le protecteur avait en effet une vision à trois cent soixante degrés. Il décida d’observer le crépuscule quelques secondes avant de faire part de sa découverte… Le soleil venait de se coucher alors que les deux amis de toujours ouvraient les premières bières. Bâtard avait comme une sorte de sixième sens quand il s’agissait de trouver de l’alcool, ce qui en faisait un atout sans prix pour son ami Azilor. Ils trinquèrent ainsi dans un tintement de verre et avalèrent une première rasade, enlevant de cette manière l’arrière-gout qui leur était resté toute la journée dans la bouche. Ce bruit si familier apportait déjà un petit peu de réconfort aux deux exterminateurs. « Ah ça fait du bien ! lâcha Bâtard qui entendait toujours les tirs et les explosions résonner dans sa tête. — Ça tu l’as dit ! » Bâtard eut à peine le temps de finir sa première bière qu’un autre exterminateur s’arrêta à leur niveau. En marchant dans l’interminable couloir qui donnait sur les chambres, ce dernier avait stoppé net sa course lorsqu’il avait vu ses deux confrères en train de boire. « Hey salut les gars ! Je vois que vous avez à boire. Ça vous branche un bibitus sancti avec des camarades ? » demanda le guerrier sans casque. Les deux compagnons se regardèrent, étonnés de l’offre. « Ne vous inquiétez pas on a de quoi faire, rassura le jeune homme à l’air jovial. — Bon ben avec plaisir alors, accepta Bâtard. — Je suis l’exterminateur Trinker. 379 La Genèse de l’Apocalypse — Nous c’est Azilor et Bâtard, se présenta l’exterminateur dont le genou lui faisait toujours un peu mal. — Content de faire votre connaissance ! Attendez, je vais vous aider. » Les trois exterminateurs ramassèrent ainsi rapidement les bouteilles remplies du précieux liquide. Azilor et Bâtard suivirent ensuite leur nouvelle connaissance dans les dédales de Point Black, des munitions pleins les bras… Lergoragor avait accepté, un peu à contrecœur, de porter sur ses épaules l’important rôle de maitre des bêtes. Zagor lui expliquait, seul à seul, le rôle qui allait être sien. « … Tu vas devoir être à l’écoute de la faune et de la flore de la région. Au début tu vas avoir du mal à la comprendre, mais tu verras au fur et à mesure que les êtres n’ont pas forcément besoin de parler pour se comprendre. La couronne d’épines et le bâton gris t’aideront dans ce but qui doit te paraitre assez abstrait pour le moment. La couronne te servira à canaliser ton esprit en concentrant tes idées et tes sentiments vers ceux des êtres que tu dois protéger. Le bâton quant à lui permettra aux créatures et aux dépravés de te reconnaitre comme maitre des bêtes en tant que tel. Quand tu auras le déclic et que tu arriveras à comprendre les bêtes, ce qui peut prendre un jour comme une éternité, tu seras comme une sorte de conseiller pour nous. Tu seras leur représentant auprès des nôtres, et plus particulièrement lors des votes au cercle. Tu devras nous faire part de leurs peurs, de leurs ressentis. On a trop à faire pour le moment, ton officialisation attendra donc un peu. Sur ce je te laisse réfléchir sur ce que je viens de te dire et j’espère que le déclic te viendra rapidement, nous en avons tous besoin. » Lergoragor se retrouva ensuite rapidement seul à la table du cercle et sentit un poids supplémentaire peser sur ses épaules : celui de la responsabilité. Je vais tout faire pour servir les miens et me faire pardonner auprès de mon feu prédécesseur ! se promit-il silencieusement… 380 La Genèse de l’Apocalypse Azilor, Bâtard et Trinker étaient en train de jouer au bibitus sancti avec deux autres soldats du même grade qu’eux, les exterminateurs Crepitus et Bibax. « … Rouge ou noir ? demanda Crepitus à Bâtard. — Hum, noir répondit le soldat en révélant la carte. — Perdu, tu bois une gorgée. » Alors que Bâtard prenait une rasade de bière, Azilor faisait un point de la situation. Le premier à amasser cinq capsules gagnait la partie et pour l’instant ils en avaient tous deux, sauf Bâtard qui était arrivé à la fin de la pyramide en avait donc trois. En effet, il y avait deux moyens de gagner des capsules. La première était de survivre à un tour sans aller aux toilettes, sans quoi le joueur passait son tour et prenait donc une capsule de retard. La deuxième était d’aller jusqu’au bout de la pyramide. La pyramide consistait en une succession d’ingurgitation de nombreux alcools plus forts que lors du reste du tour, chose qui arrivait si on se trompait à chaque fois jusqu’à la dernière épreuve du tour. Bâtard, un des soldats les plus résistants à l’alcool que connaissait Azilor, avait donc gagné une capsule de plus de cette manière. « À toi Trinker, enchaina le sergent Crepitus. Alors rouge ou noir ? — Pareil, noir. — Bien joué, lâcha Crepitus en révélant la carte à son homologue. — Alors Bibax toi tu préfères quelle couleur ? — Le rouge bien sûr. — Perdu, tu bois. — Tin mais je suis vraiment maudit à ce jeu ! » Alors que le sergent Bibax buvait une partie de sa bière, les repenteurs riaient dans une bonne ambiance de camaraderie qu’Azilor n’avait pas retrouvée depuis longtemps. 381 La Genèse de l’Apocalypse Ce moment de repos le soulageait, loin des balles, des cris des mourants et des douloureux souvenirs de batailles oubliés dans le brouillard de guerre… Sertaklys n’arrivait pas à se concentrer depuis plusieurs jours. En effet ses dons étaient comme « brouillés ». À chaque fois qu’elle essayait d’utiliser ses talents divinatoires, la même chose lui revenait à l’esprit : okanoronir n`s tas omnisiass. Cette suite de mots tout droit sortis des brumes impénétrables de son esprit divinatoire nommait un homme dont elle ne connaissait pas le vrai nom. Lui et deux autres individus portant d’étranges armures étaient venus à sa rencontre il y a plusieurs jours déjà, juste après qu’elle ait fait un songe assez trouble. L’âme de l’homme sans nom lui avait laissé un souvenir tellement ineffaçable que la pythie n’arrivait pas à concentrer son esprit sans penser à la seule âme qu’elle n’avait pas réussi à sonder entièrement. Le cœur de l’homme était aussi pénétrable que la pierre et en regardant au plus profond de lui Sertaklys n’avait pas réussi à trouver lequel, entre le bien ou le mal, l’emporterait sur sa personne. C’était comme si l’un était indissociable de l’autre. La dépravée arrivait normalement à entrevoir le destin dans une version personnifiée et difficilement déchiffrable, mais depuis qu’elle avait croisé les yeux de cet homme tout était différent. Son esprit était troublé et elle se devait de trouver un moyen de régler ce problème rapidement, ou bien ses frères et sœurs en pâtiraient… L’Hégémone avait suivi les nombreux rituels de l’adieu que tous les autres dépravés avaient accomplis auprès de ceux de sa tribu qui étaient tombés lors de la récente bataille. Après avoir fait un dernier adieu à ses frères et sœurs tombés, elle avait attendu que les dépravés quittent le lieu pour se rendre auprès de Seurg. 382 La Genèse de l’Apocalypse Le visage du dépravé immobile semblait apaisé, comme un rêveur perdu dans les nuages de l’inconscience. Elle lui caressa le visage tendrement et crut voir ses lèvres bouger l’instant d’une seconde. Cet étranger, et pas seulement son visage, l’avait sorti de la torpeur d’illusions dans laquelle son père le berçait depuis sa plus tendre enfance. C’était maintenant au tour de Silith de lui ouvrir les yeux. La rencontre du dépravé et de sa gentillesse fut un choc presque aussi violent que l’attaque des repenteurs. Sa vision des étrangers avait changé : désormais elle savait que la fraternité était le seul moyen pour les dépravés de faire face à leurs nombreux ennemis. Elle resta ainsi à ses côtés un long moment, caressant son visage comme pour réchauffer son âme esseulée dans les ténèbres… L’exterminateur Crepitus avait gagné la partie, battant de justesse Bâtard. Son ami Azilor se demandait d’ailleurs comment il faisait pour arriver à marcher après la quantité d’alcool qu’il avait ingurgité. Azilor, aidé de Crepitus, porta ensuite Bâtard jusqu’à son lit alors que ce dernier essayait en vain d’articuler une phrase. L’alcool avait empli sa bouche à tel point que sa langue engourdie l’empêchait de parler correctement. « C’était une bonne partie, faudra remettre ça. — Ouais je suis d’accord, Bâtard le sera surement aussi demain quand il se réveillera. Bon j’vais moi aussi aller dormir. Je commence à accuser le coup, avoua Azilor. — On est tous dans ce cas je te rassure. Allez bonne nuit. » Sur ces mots, le soldat laissa Azilor auprès d’un Bâtard étalé de tout son long sur son lit. Son ami le regarda une seconde, avant que l’alcool ne lui rappelle qu’il était présent en grande quantité dans son corps. Azilor s’endormit d’un coup, comme si un marteau venait de rencontrer son crâne… 383 La Genèse de l’Apocalypse Tandis que les protecteurs organisaient les tours de garde en haut du perchoir qu’avait montré Amiklum aux compagnons, l’insongeable posé à côté de son feastpack s’occupait en aiguisant son katana. Vus de dessus, les deux quillons de son arme blanche formaient un « S ». Ces derniers finissaient chacun par une tête de serpent dont les yeux brillaient d’un vert malveillant. Équilibrée, sa lame tranchait la chair comme du beurre grâce à l’entretien régulier que l’insongeable réservait à son arme chérie. Il n’arrivait toujours pas à comprendre comment son tendre reflet s’était retrouvé à ses côtés à son réveil. L’arme s’était simplement trouvée là, faisant rayonner le visage de l’insongeable en attendant sa poigne. Des runes avaient été gravées verticalement sur la lame, des deux côtés. Lorsque le sang coulait le long de l’arme il s’immisçait dans les petites crevasses que représentaient les runes et mettait en valeur ces dernières. L’insongeable connaissait cet alphabet runique, il était appelé « dnomaraf ». Cet alphabet avait été inventé par les combattants qui vécurent les premières heures de l’occupation de la France par les repenteurs. Le dnomaraf était à la base utilisé pour coder les messages mais il devint vite un symbole de résistance, et nombreux furent ceux à s’en revendiquer. Si on le traduisait en français, ce qui avait de gravé sur la lame était une pure énigme pour S. D’un côté était gravé : « psyché de Sibyllune », tandis que de l’autre était écrit : « ronin des neuf ». Tandis que l’insongeable observait le reflet de son visage au travers de sa seule véritable compagne depuis son grand réveil, le carmin et Zabyss venaient de descendre de l’échelle pour laisser Amiklum finir son tour de garde. « Vous croyez qu’ils ont fait ça pourquoi ? » demanda Zabyss en regardant les murs rongés qui les entouraient. 384 La Genèse de l’Apocalypse S haussa des épaules. « Surement pour supprimer les symboles des repenteurs ou ceux qui s’en rapprochent, avança Krag. Il faut comprendre qu’au début le brillantisme était plus une branche parmi une croyance qu’une croyance en soi : il y avait un christianisme brillantique, un islam brillantique, du « New Age » brillantique et ainsi de suite. Sauf que rapidement la chose s’est inversée et le brillantisme est devenu le syncrétisme ultime : il n’eut alors plus qu’une religion brillantique teintée de reste civilisationnel d’autres religions. La boucle avait été bouclée et c’est pourquoi, aux yeux de beaucoup, n’importe quel lieu de culte est un symbole brillantique. Étant donné que les repenteurs se sont appropriés tous les lieux de culte de la planète depuis, pour les perfides ça doit être comme un pied de nez. » L’insongeable acquiesça : la réponse lui paraissant logique. Les protecteurs allaient se relayer toute la nuit pour protéger l’insongeable qui n’allait pas tarder à s’endormir de fatigue. Deux des protecteurs allaient protéger l’église, un terré dans le nid d’aigle et l’autre non loin de l’entrée de l’édifice. Pendant ce temps, le troisième guerrier pourrait se reposer non loin de S en attendant son tour de garde. Ce dernier essaya de trouver une bonne position et se prépara à dormir dans ce lieu aussi malsain qu’inconfortable, posant sa tête sur son feastpack tellement sale qu’il en était devenu quasiment imperméable… 385 La Genèse de l’Apocalypse 386 La Genèse de l’Apocalypse Sanaxerubeux : - Beautiful Organs / [Adlema`lniar`smiat] Il se réveilla dans un cauchemar d’une étrangeté sans nom, pris d’un haut le cœur alors que son esprit se sentait à la fois oppressé et compressé. Il était entouré d’un ensemble de choses tellement malsaines qu’il n’arrivait pas à en détourner le regard. Des entités qui semblaient organiques, tenant à la fois du dessèchement d’un corps momifié et du reflet d’un organe taxidermisé, l’entouraient dans un entravement total. Il se sentait comme submergé par l’omniscience d’une infection qui s’immisçait au plus profond de son être. Il essaya de bouger, mais sa tétanie avait planté ses deux jambes dans quelque chose qu’il ne préférait pas regarder. Il ferma ses yeux et la pression de l’horreur diminua sur lui, ses pires imaginations étant louables à la terrible réalité. Essayant de faire abstraction de son sens de la vue il se concentra sur son odorat et son ouïe. Ainsi au milieu des horribles bruits de succions et autres échos immondes dont il ne voulait pas connaitre la concordance avec les autres sens, il trouva une fréquence dont le spectre rectiligne faisait penser à un acouphène. Il décela son ectoplasme olfactif au milieu d’odeurs aussi âcres qu’inconnues et difficilement reconnaissables. Au milieu de ce brouhaha d’effluves en tout genre se démarquait en effet un étrange parfum glacial et cristallin. Les yeux toujours fermés il essaya de s’aider de ses deux sens pour trouver la sortie de cet enfer sans nom, mais il fut rapidement obligé d’en utiliser un troisième. C’est ainsi avec un dégout le plus profond et une envie de vomir grandissant qu’il se guida à l’aide de ses mains, marchant le long des parois visqueuses et molles du dédale cauchemardesque dans lequel ses pieds s’empêtraient. 387 La Genèse de l’Apocalypse Il le sentait, le spectre s’agrandissait pour petit à petit submerger les autres sons plus malsains. Alors qu’il avançait, il ne parvenait plus à bloquer les portes qui séparaient son imagination de son subconscient, son esprit s’embourbant à son tour dans un tourment dont il projetait les images sur ses pupilles fermées. Il trouva finalement un courant gazeux d’où le signal semblait venir. Il s’agenouilla dans le miasme et réalisa qu’il était en face d’une sorte de tuyau. Il ouvrit ses yeux justes le temps d’un clignement et ces derniers lui dépeignirent une image de ce qui ressemblait à une artère. Alors que l’écho de l’image se répercutait sur son subconscient avant de revenir sur ses pupilles de manière distordue, il prit son courage à deux mains et se lança dans le tube gluant. Il avait l’impression de s’étouffer, la chose épousant sa forme pour lui laisser à peine assez d’espace pour respirer. Il accéléra en rampant, s’enfonçant un peu plus dans le dédale tubulaire où l’impression de ne pas avancer l’oppressait chaque seconde un peu plus. Une pulsion le fit finalement tomber brutalement vers le bas. Écarquillant les yeux de surprise, il put observer un endroit tapissé de tuyaux repliés sur eux-mêmes et dont la matière les constituants était aussi dégoulinante que dégoutante. Le spectre du signal était tout près. Il sentait une pulsation l’entourer et faire trembler tout son corps. Le signal était derrière la paroi qui lui faisait face. Il prit son élan dans le bourbier et courut vers la paroi, les avantbras devant son visage tel un bélier, la déchirant dans un bruit tellement vrillant que ses oreilles se mirent à vomir du sang. Il tomba alors dans un endroit qui se remplissait rapidement d’un mélange de liquides aux couleurs étranges et luisantes. Le signal avait maintenait empli toute sa tête, couvrant le bruit des fluides huileux jaillissant dans tous les sens. C’est ainsi qu’une lueur de mit à filtrer à travers ce qui semblait être un entremêlement de muscles étirés d’une étrange manière. 388 La Genèse de l’Apocalypse Il commença à arracher frénétiquement les choses qui se contractaient à une allure folle, les faisant claquer contre la paroi et en contrebas dans une dépression qui se remplissait dangereusement. Aveuglé par les effusions de liquides l’aspergeant de la tête aux pieds, sa main accrocha finalement quelque chose dont la forme étrange était dénuée de logique. Il ne pouvait ouvrir ses yeux emplis de fluides et ne put observer l’émetteur du signal. Alors qu’il s’embourbait dans le miasme vaseux, des sons filtrèrent à travers la chose qu’il avait dans ses mains, remontant tout son corps dans un spectre vibrant avant de finir dans son crâne. Sanaxerubeux Ste d`s rixa n`s mastiats, ek`l k`sol ni Sadivlikare iplaxir, tayswa Sanax k` badallonore d`s Shaklar k`nn S`s varkire osa thoot. Sanaxerubeux ni Sadivlikare Steneor vidixire sin Steneor akilatore. D`l assolamir in asa falixire ` d`s dolonor ` nos Saosoas jalas inias sadivlikar d`l oniasanor ` alis onox. S`d naxas ledocs stos d`s solas oulan`k ` d`l Saosoas afore ot dar`d axilax e d`l Sanax oulan`k Ste oniat Salbexore din d`s Sushaklar jalas d`l Set`rnalis. Tsai Sanaxerubeux Ste ene mastiat lot n`l aslethaare n`t, e d`s Sushaklar radixore ene Selios d`lo d`l xet`x ot d`l Saosoas d`l aslethaai k` a danaxore. Sur ces paroles obscures il dévora finalement l’émetteur du signal, en apnée dans un bain de matières et de sensations hétéroclites. Son âme recueillit une nouvelle entité dans sa spirale tandis qu’il tombait dans une léthargie chaotique… 389 La Genèse de l’Apocalypse 390 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 13 : Sign through Blank Eyes / From Hangover to the Trooper / - The Aftermath / [14 Cruciamentum an 13 ; Terre] L’insongeable se réveilla brusquement, reprenant sa respiration le visage ruisselant de sueur. Un mauvais rêve de plus ! pensa-t-il alors qu’il essayait de calmer les battements de son cœur qui semblait être à deux doigts de le lâcher. « Ça va bien ? demanda l’inébranlable à ses côtés. — Oui oui, merci, juste un sommeil tourmenté. Il faut qu’on quitte cet endroit, avança l’insongeable. — Tu as raison, acquiesça son protecteur. On doit avancer le plus vite possible. » Les compagnons préparèrent ainsi à la va-vite leur barda puis se dirigèrent vers la sortie de l’édifice religieux, rejoignant les rayons du soleil qui pointaient leur nez à l’est… « … Exterminateurs Azilor et Bâtard, levez-vous ! » Bâtard ouvrit ses yeux collés avant de bailler un grand coup. « Mais on devait pas partir en mission avant plusieurs jours, avança Azilor qui venait de tomber de son lit en essayant de se lever. — On à une urgence. La rébellion est aux portes de Marseille et le Prince Belliciste Bazor est en danger. » Sans un mot de plus, le gradé partit réveiller d’autres exterminateurs dans un brouhaha qui donnait aux deux amis l’impression que leurs têtes allaient exploser. « Je vois ta sale tronche en double, c’est une putain de cauchemar ! Casse-toi de ma vue j’arrive même pas à trouver mes affaires ! » lâcha Azilor avec une voix enraillée. C’est dans une ambiance ironique et pathétique qu’ils cherchèrent ainsi à enfiler leurs armures à l’endroit, maudissant l’enfer pour avoir ouvert ses portes aujourd’hui… 391 La Genèse de l’Apocalypse Alors que tous les frères et sœurs des dépravés morts au combat reposaient maintenant auprès du Grand Père, les dépravés accusaient tous le coup. Aucun n’avait le cœur à parler de ce dur lendemain de combat sanglant. La cicatrice encore ouverte les faisait tous souffrir. Dimitri était venu voir son ami de longue date, toujours seul sur un toit. Il s’était excusé pour tous les dépravés qui avaient perdu la vie, puis était venu le moment de parler business avec le grand veilleur. « Zagor, je sais que tu n’as pas le cœur à parler de ça maintenant. Mais je voulais tout de même juste te dire une chose. Vous avez dépassé toutes nos exigences sur le sujet de l’armement des repenteurs. Nous avons trouvé, en plus d’un nombre conséquent d’armes en bon état, un kopfbrecher. Cette merveille technologique est un automate qu’on peut commander à distance et sa puissance est incommensurable. Vous avez de la chance qu’ils ne l’aient pas utilisé contre vous hier sinon vos pertes auraient été encore plus conséquentes. Bref tout ça pour dire que, tout comme nous, les dons of brutality vont être plus que content et que tu peux déjà les considérer comme tes alliés. — Merci », lâcha Zagor son esprit encore perdu dans la bataille de la veille. Ne voulant pas plus déranger le dépravé, Dimitri disparut en quelques secondes, laissant ainsi le veilleur seul avec son chagrin. Cette nouvelle, même si elle n’allait pas faire revivre les dépravés et les tigres gris, réchauffait un peu son cœur empli de tristesse. Zagor soupira : il devait retourner sur le lieu du combat pour contempler l’inception… Les pales de l’hélicoptère martelaient le crâne d’Azilor à une cadence tellement rapide qu’il n’arrivait pas à en suivre le rythme. Lui et son frère de toujours essayaient de se concentrer sur les informations qu’un exterminateur leur donnait à bord du repentor qui leur ballotait l’estomac. 392 La Genèse de l’Apocalypse « … Le Prince Belliciste Bazor est retranché dans le château d’If. Il est bien défendu mais nous devons l’exfiltrer avant que les rebelles l’attrapent. — Mais, essaya d’entamer Azilor le plus professionnellement qu’il pût, ils ont pas d’hélicoptère ? — La situation est compliquée en ce moment. Le fait est que la rébellion a pris un tournant décisif il y a quelques jours lorsque les rebelles ont pris Notre Dame de la Garde. Cette prise symbolique a été tellement un choc et une surprise chez les repenteurs que beaucoup ont fuis en abandonnant tout sur place et certains se sont même rangés aux côtés des rebelles. Beaucoup de véhicules ont ainsi été volés par les rebelles et c’est pourquoi nous avons été dépêchés pour fournir assistance au Prince Belliciste et ses troupes le temps que des renforts plus importants arrivent. Des membres de plusieurs bataillons et les exécuteurs seront à nos côtés mais ça sera aux exterminateurs de nettoyer et préparer la zone, je compte sur vous. » Les deux sergents acquiescèrent, le message était passé. La situation devait être vraiment critique pour envoyer ainsi les exécuteurs au combat, pensa Azilor. « Mais qui sont ces rebelles ? Ont-ils un nom ? demanda Bâtard qui prit à son tour la parole. — Non, ils se décrivent simplement comme des hommes libres se battant pour un futur libre. Ce choix qui peut paraitre comme un manque d’identité en premier lieu est en fait un avantage car les tributaires révoltés s’y retrouvent facilement. Bref, faites-leur regretter cet affront. Montrez-leur le prix de leur insolence, et plutôt deux fois qu’une ! » Azilor et Bâtard préparent leur rage, mais pas tout à fait pour les raisons qu’avait cité leur supérieur : ils allaient surtout se venger de leur gueule de bois. Se battre dans ces conditions allait être violent pour leurs pauvres cerveaux imbibés d’alcool. Les deux amateurs de spiritueux essayèrent en vain de calmer les pulsations dans leur tête tandis que le rythme des hélices s’imprimait peu à peu dans leur crâne… 393 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons avaient quitté le village depuis plusieurs minutes, marchant parallèlement à la route qui menait vers Vichy et son halo de mystères. L’air était frais ici. La nature avait en effet repris ses droits là où les hommes étaient partis. Toujours ci et là gisaient des carcasses de véhicules et des trous d’obus, comme pour rappeler que l’homme laissait toujours sa marque derrière lui. « … Les repenteurs ont l’air d’avoir pris une sacrée raclée ici, remarqua Zabyss en observant un arbre où pendait une guirlande entière de casques repenteurs. — Jolie déco. Ça irait bien avec un arbre de noël fait de membres de ces sous-hommes, s’exclama Amiklum sur un ton cynique. — T’es vraiment tordu des fois mon frère, commenta Krag. Ton contact permanent avec l’ennemi t’en a-t-il fait gagner le côté pervers ? — Mon esprit est aussi tordu que ta gueule, merci. Mais non mon frère, les repenteurs n’ont jamais déteint sur moi autrement qu’en rouge », ricana l’inébranlable. Un sourire se dessina sur le visage du protecteur visé par la boutade. « Il y a un côté sombre en chacun de nous, ajouta à son tour l’insongeable. Le nier ne fait que lui donner plus d’importance. — Très juste », remarqua le carmin. L’armure de ce dernier donnait l’impression d’avoir été plongée dans une baignoire de sang. Elle brillait d’un éclat terne, absorbant les rayons lumineux de cette matinée sans nuages. L’insongeable se demandait si ses protecteurs avaient aussi chaud que lui sous leurs armures. Son aversion pour la chaleur était presque égale à son amour pour les boissons alcoolisées. Il se refusa à leur poser cette question et se concentra sur un point à l’horizon. Tel un but impossible à atteindre, il lui donnait pourtant plus la volonté d’avancer qu’une destination à sa portée… 394 La Genèse de l’Apocalypse Zagor avait rejoint Silith assise devant les marches défoncées du reflet d’Azur. Elle contemplait le résultat du rituel de l’inception qu’avaient fini les dépravés. Tout autour du reflet avaient été déposés des cadavres de repenteurs, séparés d’un nombre quasi égal de mètres. Sur un gros bout de tôle les dépravés avaient crucifié un homme qui avait les yeux crevés mais qui respirait encore. Le vestige du déforesteur était resté à sa place en bas des marches. Quasiment toutes ses vitres ayant été soufflées par les explosions successives et le reflet d’Azur ne portait plus très bien sa dénomination. « Ce n’est que justice, arriva à lâcher Silith dont le visage naturellement doux était ici distordu par un air austère. Ils ont tous servi une cause injuste et fausse. Ils ont agi les yeux fermés sans même se demander pourquoi ils faisaient ça. — Garde ta rancœur au plus profond de toi ma sœur, conseilla le grand veilleur à la dépravée tout en lui posant sa main sur l’épaule. Ne la fait jaillir qu’en présence de tes ennemis, dans d’autres circonstances tu ne trouveras que frustration comme réponse à tes questions. Malgré cela je suis d’accord avec toi. — Merci. J’essaie d’avoir les épaules d’une sage et forte Hégémone Zagor, je t’assure que j’essaie. Mais c’est une véritable épreuve pour moi, tellement de choses en si peu de temps ont changés dans ma vie et celle des miens. C’est dur de garder le cap au milieu de la tempête. — Je sais Silith, je sais. Ne t’en fais pas pour ça tu fais du mieux que tu peux. Nous sommes tous frères et sœurs, tous unis, mais seuls nous ne sommes rien. Guider une tribu et en assumer les conséquences est un rôle qui n’est pas facile, mais cela doit être fait. C’est un devoir avant tout. Et cela ta tribu le comprendra toujours, même dans la défaite crois-moi. — Merci, lâcha l’Hégémone dont le visage était tout d’un coup soulagé. Tes paroles me vont droit au cœur. » 395 La Genèse de l’Apocalypse Un gigantesque oiseau passa soudainement au-dessus d’eux et coupa court à leur discussion. Il volait à la hauteur des nuages et passa devant le soleil, faisant une tache noire sur ce dernier l’espace de quelques secondes. La bête émit un cri qui semblait venir des cieux eux-mêmes, comme si un ange tombait du ciel pour toucher terre dans le royaume des hommes. Le cri aussi étrange qu’aigu et aérien donnait, de par sa puissance, l’impression de résonner dans toute la Méditerranée. Au bout de plusieurs longues secondes le son s’arrêta et l’oiseau repartit vers la mer, battant lentement et majestueusement de ses grandes ailes. « Qu’est-ce ? demanda Silith à la fois abasourdie par le cri et par la créature qui l’avait engendré. — C’est un aigle à deux têtes. Il est attaché au double présage. Si une de ses têtes lâche un son aigu cela signifie qu’une bonne nouvelle ou un miracle va survenir. Si l’autre tête lâche un son beaucoup plus grave à la place, semblable à un cor de guerre couvrant tous les sons comme pour sonner la fin d’une bataille, une mauvaise nouvelle une défaite ou une catastrophe est plutôt envisageable. — Donc là cela signifie une bonne nouvelle pour nous ? demanda une Silith perplexe. — Oui lâcha le veilleur d’un ton rassurant. — Seurg ! » pensa-t-elle soudainement. Elle partit ainsi presque en courant, laissant Zagor en plan. Un sourire au coin des lèvres, il observa le point noir disparaitre petit à petit à l’horizon. Il repensa une fois de plus à ses frères et sœurs disparus sans qu’il n’ait pu leur dire au revoir. Ils lui manquaient terriblement. Le dépravé ferma ses yeux pour laisser tomber ses larmes et quand il les rouvrit le point avait disparu à l’horizon : seul le soleil subsistait. Impassible quant à lui, l’œil du destin ne cligna pas… 396 La Genèse de l’Apocalypse Les deux amis pouvaient maintenant observer Marseille d’assez près pour pouvoir remarquer les nombreux incendies et bâtiments en ruine qui jonchaient la ville. Le port avait été presque complètement rasé par les bombardements tandis que de nombreuses épaves de bateaux coulaient lentement vers le fond de la mer, tirant vers les abysses des marins pris au piège dans leurs propres navires. Non loin du port, perché tel une sentinelle, Azilor remarqua ce qu’il déduisit comme étant Notre Dame de la Garde. Entouré d’un nombre de cratères d’explosion tellement nombreux qu’ils en modifiaient le paysage, l’édifice était quant à lui totalement intact. Leur hélicoptère, suivis de plusieurs autres engins volants, bifurqua vers l’ile fortifiée et parsemée de nombreuses pièces d’artillerie sur laquelle se tenait le château d’If. Juste au sud de l’ilot fortifié se trouvait un réseau de petites iles reliées entre elles. Solidifié par la main de l’homme, un port était enchâssé en son centre dans une sorte de crique artificielle. Apparemment sabotés, la plupart des bateaux ayant jetés l’ancre dans la zone coulaient au fond de l’eau dans un triste spectacle. Azilor se pencha pour se faire une idée de la situation. En contrebas des escarmouches éclataient de partout, empêchant les repenteurs de mettre en place les canons antiaériens qui pourraient soutenir les défenses du château. Alors que le repentor atterrissait au milieu de la cour du château, Azilor et Bâtard purent constater que les repenteurs sur place étaient en sous-effectif. Ils suivirent leur supérieur vers une tente qui semblait être le quartier général de l’ilot. « Exterminateur de céruse Zoknor au rapport. Sous les ordres de la seule et inique, 1ère tempête hurlante des exterminateurs, se présenta rapidement l’homme. — Dieutenant Damenios. Sous les ordres de Nhakinvat, Mandataire du 65ème bataillon de la 14ème Légion. 397 La Genèse de l’Apocalypse — Que pouvons-nous faire pour vous aider ? enchaina rapidement l’exterminateur. — Mettez vos exterminateurs au premier rang, nous allons avoir besoin d’eux dans pas longtemps. Nous, on s’occupe de défendre le fortin où est retranché Bazor. Quant à vos forces de soutien, postez-en le plus possible sur les remparts. — Bien reçu. » L’exterminateur se retourna aussitôt vers les premières forces à être arrivés de Point Black. Ainsi, à côté d’une trentaine d’exterminateurs, un groupe d’exécuteurs vêtus d’étranges et fines tenues noires attendait impassiblement leurs ordres. Lesdites tenues étaient faites d’un étrange cuir sur lequel était ajoutée une couche de tissu thermoréplétif. Ils portaient aussi des masques en suprastrum en dessous de leurs capuches tombantes, chacun sculpté pour lui donner une forme unique. Les exécuteurs étaient l’antithèse des tireurs d’élite classiques, leurs visages masqués semblables à un miroir montrant à tout le champ de bataille leur position. Azilor reconnut à leurs côtés des membres de la 14ème Légion à leur héraldique. Il chercha du regard le sergent Honizza mais ne le trouva pas. « Bon les exécuteurs allez au-dessus de la porte, je compte sur vous pour les empêcher d’entrer par là. Exterminateurs, séparezvous en petits groupes et dispatcher vous tout le long des remparts. Repenteurs, occupez le plus de canons possible et placez une partie de vos hommes au côté des exterminateurs. Exécution ! » Azilor et Bâtard partirent ainsi avec une poignée de soldats au côté des exécuteurs au-dessus de la porte. Les deux amis tout excités à l’idée de voir les snipers légendaires en action, allaient couvrir le flanc gauche de ces derniers. Un repentor rempli de renforts s’écrasa une centaine de mètres devant eux, abattu par un autre hélicoptère volé par les rebelles. 398 La Genèse de l’Apocalypse Azilor pouvait voir les survivants essayer de s’extirper de la carcasse qui les amenait avec elle au fond de l’eau, la peur les faisant se débattre comme des aliénés. L’exterminateur se maudit de ne pas pouvoir aller les aider. Pendant ce temps une armada bien organisée d’hélicoptères et de bateaux en tout genre s’approchait à toute vitesse de la base par la côte. Bâtard et son ami froncèrent les sourcils sous leurs heaumes quand ils virent la force d’assaut se séparer en deux. « Merde ! Ils vont nous encercler ! » jura un repenteur nerveux non loin. Les deux exterminateurs attendaient patiemment d’être à portée de l’ennemi, essayant de chasser ce maudit martèlement de leur tête… Silith était au chevet de Seurg, caressant tendrement son visage endormi tandis que ses yeux semblaient bouger sous ses paupières. Tout à coup, il se réveilla en prenant une grosse bouffée d’air comme s’il venait de sortir de l’eau après une séance d’apnée. Son regard rencontra celui de la dépravée au-dessus de lui. « Ça va ne t’inquiète pas tu es auprès du Grand Père », rassura l’Hégémone alors que le cœur du dépravé battait la chamade. Il reprit son souffle, essayant de parler. « Merci, haleta le dépravé allongé. Merci de m’avoir ramené auprès des miens. — Non, merci à toi de m’avoir ouvert les yeux et fait découvrir qu’ensemble nous pouvons gagner contre les repenteurs. » Les deux dépravés se sourirent, sans savoir quoi dire. Silith ne savait pas trop quoi en penser, un sentiment qui allait audelà de la compassion venant la prendre par surprise. Le bruit de quelqu’un en train de tousser non loin interrompit cet étrange moment d’intimée. C’était Hislachar : il venait de se réveiller lui aussi. « Tu vas bien ? demanda la dépravée, contente que le veilleur ait réussi à vaincre ses blessures. 399 La Genèse de l’Apocalypse — Oui oui, merci. Juste un réveil douloureux. — Je vais prévenir tout le monde je reviens de suite », lâcha Silith avant de partir répandre la bonne nouvelle. Les deux veilleurs se tournèrent alors doucement l’un vers l’autre. « Tu nous as fait bien peur mon frère, lâcha Hislachar en direction de l’impétueux. — On ne se débarrasse pas aussi facilement de moi mon ami, répondit chaleureusement Seurg. Mais que t’est-il arrivé ? — Nous avons une nouvelle fois attaqué le reflet avec nos frères que tu as ramené du val Masqué, expliqua le dépravé à la joue brulée. Je me suis fait gravement blesser lors du combat. Mais je ne vais pas te l’apprendre, une ombre ne meurt pas, elle renait simplement dans l’obscurité. » La remarque fit sourire le veilleur impétueux. « En tout cas je suis content de te revoir en vie mon frère », lâcha Seurg en serrant le bras du veilleur au niveau de son coude. Hislachar enserra à son tour le bras de Seurg de sa poigne, surmontant la douleur de sa blessure… L’insongeable n’en pouvait plus, il avait l’impression de fondre au soleil. Il voyait des habitations au loin mais il avait l’impression qu’elles étaient à des centaines de kilomètres. « On est sur la bonne voie t’inquiètes pas, essaya de rassurer le carmin. — D’accord, acquiesça S au visage rougi par la chaleur. J’espère juste qu’on croisera pas de repenteurs ayant la même envie de se mettre à l’ombre que nous. — On a de quoi leur montrer que c’est notre coin d’ombre insongeable crois-moi, rassura Amiklum. — Appelle-moi S s’il te plait. — Ah pardon, je m’y ferais jamais. — Pas grave », rassura S en se rafraichissant une nouvelle fois la nuque avec l’eau fraiche d’une bouteille sortie de son sac. 400 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable mit ses cheveux en arrière et essaya de faire abstraction des gouttelettes de sueur perlant sur son visage luisant. Une légère brise arriva de derrière eux, comme pour les pousser vers l’avant. S se décontracta un petit peu et en profita pour accélérer la cadence… Les hélicoptères se battaient entre eux tout autour de l’ilot, tandis que les quelques canons antiaériens encore en état posté sur les remparts du château essayaient en vain de faire pencher la balance. Le tout créait un véritable feu d’artifice de sons et de couleurs qui se répercutait sur les remparts où se tenaient les repenteurs. Alors que les premiers bateaux n’allaient pas tarder à accoster sur la berge leur faisant face, un hélicoptère ennemi se détacha du combat et se dirigea vers eux. Azilor lâcha un juron, totalement assourdi par les bruits l’entourant. À couvert, il regarda par-dessus son épaule et ne capta pas tout de suite ce qu’il se passait. Quand il comprit pourquoi l’engin ennemi piquait vers la mer, l’exterminateur comprit en même temps que les histoires sur les exécuteurs n’étaient pas que des légendes. En effet, le pilote de l’hélicoptère avait été abattu à plus de six cents mètres alors qu’il était en plein mouvement latéral. Azilor n’eut pas le temps de contempler le crash plus longtemps, les premiers bateaux ayant passé le barrage d’artillerie accostant au même moment. Bâtard était placé sur une grosse mitrailleuse idéale pour défendre un retranchement, à savoir une massive et bruyante mitrailleuse growling. Azilor se mit à ses côtés, déroulant la cartouchière, prêt à recharger l’arme au moment opportun. Une première vague d’une cinquantaine de rebelles arrivèrent à portée de tir. 401 La Genèse de l’Apocalypse Plusieurs douzaines de têtes explosèrent alors dans une synchronisation parfaite, stoppant brutalement la première vague d’ennemis. Certains restèrent plantés en plein milieu du terrain dégagé, à la fois tétanisés et surpris. C’est à ce moment précis que la growling de Bâtard aboya, suivie de près par sa sœur sur sa droite. Les mitrailleuses clouèrent les guerriers les plus près sur place, l’aboiement des canons résonnant comme un ordre de replis parmi les rangs des rebelles. Les balles glissaient dans la paume ouverte d’Azilor tandis que les mitrailleuses grognaient leur soif de destruction. Les repenteurs tout autour gardaient leurs munitions, attendant que leurs ennemis soient plus nombreux et plus proches. Cachés au loin derrière leurs bateaux d’accostage, les rebelles n’avaient pas pris leurs blessés avec eux dans la précipitation. Les exécuteurs ne tirèrent pas sur les ennemis retranchés en bord de plage, leur faisant ainsi croire qu’ils étaient hors de vue. Les mitrailleuses attendaient elles aussi : les tireurs ne feraient que gaspiller des munitions à cette distance. Un homme à la jambe arrachée par une balle de mitrailleuse essaya de se relever au milieu des cadavres. Il sortit un foulard blanc de sa veste et l’agita devant la muraille impassible, derrière lesquels étaient positionnés les repenteurs. Son jeune visage en larmes émut presque Azilor qui devinait qu’il devait être à peine majeur. Un exécuteur s’amusa finalement à trouer le foulard de l’homme blessé. Sa tête explosa une seconde plus tard tandis qu’Azilor avait toujours les yeux rivés sur l’homme. Surpris par cette attitude indigne et irrespectueuse de la part d’un soldat qui devait se battre selon un minimum d’honneur, Azilor lâcha un grognement de mépris à l’intérieur de lui-même. Il garda cette rancœur pour plus tard et se prépara à accueillir les autres bateaux qui arrivaient face à eux. 402 La Genèse de l’Apocalypse Le rythme de tambour sonnait comme un compte à rebours dans tout son crâne : les rebelles allaient bientôt revenir laver cet affront… À la nouvelle, les dépravés avaient accouru au hangar les veilleurs de l’enfer Verdoyant en tête. Zagor était déjà sur place à leur arrivée. Les amis de toujours tombèrent dans les bras les uns des autres, contents d’enfin se retrouver. Les blessures de Seurg et d’Hislachar étaient couvertes par une sorte de croute sombre qui tomberait par elle-même quand les cicatrices seraient complètement refermées. « Où est Lergoragor ? » demanda Seurg perplexe alors que les membres de la tribu du val Masqué étaient presque au hangar. Les veilleurs se regardèrent alors les uns les autres. Ils allaient devoir expliquer beaucoup de choses aux deux dépravés fraichement remis sur pieds… Le dépravé était seul au milieu de nulle part, assis à la lisière septentrionale de l’enfer Verdoyant. C’était ici que les repenteurs leur étaient tombés dessus et avaient tout brulé. Cet endroit avait autrefois été une petite place où les dépravés de la tribu avaient l’habitude de se réunir, la plupart du temps pour boire de l’espadassine avec les quatre frères. L’endroit ne ressemblait maintenant plus qu’à une zone dévastée parmi tant d’autres, marque reconnaissable du passage des repenteurs. La nature reprendra ses droits un jour ou l’autre, pensa Lergoragor. Un animal vint timidement à la rencontre du successeur du défunt Atnias. C’était un tigre gris. Leurs regards se rencontrèrent et Lergoragor observa la pupille de ces félins pour la deuxième fois dans sa vie. 403 La Genèse de l’Apocalypse L’espace d’un instant tout s’arrêta autour du dépravé, il ne voyait qu’un œil dans lequel il essayait de soutenir son regard. Puis le tigre détourna le regard en clignant des yeux. Le félin savait qu’il était le successeur du maitre des bêtes, comprit le dépravé. La bête s’approcha alors de Lergoragor, lentement et surement. L’ancien veilleur essaya, sans geste brusque, de caresser l’animal. Il se laissa faire et fit comprendre son plaisir à l’aide d’un ronronnement à la lisière du grognement. Il vint ensuite se blottir contre le dépravé, qui l’accueillit à bras ouverts. « Que dois-je faire ? Que dois-je faire pour vous comprendre ? » demanda bêtement Lergoragor au tigre. La tête du félin se retourna vers celle toute proche de son interlocuteur, lui répondant par un air mêlant incompréhension et innocence. Lergoragor oublia sa stupide idée et continua à caresser la grosse boule de poils. Tandis que la queue du félin bougeait de gauche à droite, le futur maitre des bêtes se demandait encore comment il allait faire pour comprendre les bêtes sans leur parler… Les compagnons venaient d’entrer dans un énième village siphonné de sa population. Couvrant tous les angles, les protecteurs entouraient l’insongeable dans une formation en triangle en perpétuel tournoiement. « Il n’y a rien », lâcha Amiklum qui scrutait avec attention les étages des bâtiments. Cet endroit avait été plus touché par les combats que le village d’où ils venaient. Ils arrivèrent rapidement au centre de la ville, devant une autre église. Devant l’entrée de celle-ci se tenait une sculpture en suprastrum intacte qui captait tous les rayons de soleil passant à portée. L’insongeable s’arrêta pour l’observer. 404 La Genèse de l’Apocalypse Elle représentait une femme combattante portant une étrange armure. L’insongeable était impressionné par le niveau de détail de la sculpture. La femme portait deux épées au creux de ses mains et sa posture donnait une impression de défi. En pleine contemplation de la sculpture, il ne fit pas attention au son de pas cadencé qui résonnait dans les rues vides et qui s’approchait d’eux… « Ma grande sœur ! Des hommes sont auprès du speculum de sainte Eandrast », rapporta la sœur blafarde partie en éclaireur. La grande sœur blafarde Danelia serra son poing et accéléra la marche. « Ce sont surement ceux qui ont dévasté les églises de la région. Préparez-vous mes sœurs, nous partons à la chasse à l’hérétique ! » Alors que les lames sortaient des fourreaux, les sœurs entonnèrent la sinistre mélopée en se rapprochant de leurs cibles dans un élan de froide détermination… « On a de la visite les enfants, lâcha Amiklum en préparant son Blunderburst au combat. — Putain de harpies ! jura Zabyss. Je déteste me battre contre elles. — Il faut avouer qu’elles excellent au corps à corps, ajouta le carmin alors qu’un peu plus d’une dizaine de femmes portant d’étranges armures s’approchaient d’eux. — Ce sont des sœurs, expliqua discrètement Amiklum en direction de l’insongeable. Celles-ci sont de l’ordre des blafardes, évite le plus possible de croiser le fer avec elles. Elles ne feraient qu’unebouchée de toi. » L’insongeable acquiesça et observa rapidement leurs ennemies qui marchaient dans leur direction. 405 La Genèse de l’Apocalypse « Elles n’ont pas d’armes à distance, fit remarquer Amiklum en essayant de trouver une tactique pour contrebalancer le sousnombre des compagnons. — Quatorze, ajouta l’insongeable. On peut les avoir avant qu’elles nous tombent dessus. » Krag essaya de réfléchir le plus vite possible alors que la sœur de tête levait son arme en l’air pour ordonner à sa troupe de se positionner en demi-cercle autour des quatre compagnons. Son esprit était tiraillé entre son code d’honneur lui empêchant de tirer sur un ennemi ne se battant qu’en combat rapproché et son devoir de protéger l’insongeable à tout prix. Mais le carmin n’eut pas le temps de faire son choix. En effet la tête de la sœur qui menait la marche explosa dans un coup de feu tonitruant qui résonna sur tous les murs de la place. Les compagnons n’eurent même pas le temps de comprendre ce qu’il se passait qu’une deuxième tête explosa alors que les sœurs les chargeaient déjà à une vitesse folle. Les quatre hommes ne cherchèrent pas à comprendre et firent tonitruer leurs armes, répondant aux cris désorientant des sœurs toutes de blanc vêtues. Plusieurs sœurs arrivèrent rapidement au corps à corps et se précipitèrent vers l’insongeable, esquivant les attaques des protecteurs. La première fut propulsée sur le côté par une salve qui lui arracha à moitié le visage pendant que la deuxième essayait d’esquiver les balles de basaltic eagle de l’insongeable. La dernière balle de l’insongeable fut presque évitée mais lacéra finalement l’avant-bras de la silhouette svelte qui s’empala ensuite sur le katana de ce dernier. Dos au soleil, la dernière tomba sur l’insongeable qui para sa première lame de ses deux mains. La silhouette leva rapidement son autre lame, et alors que le choc faisait vibrer tout le bras de l’insongeable, une balle arriva de nulle part et explosa la main de la guerrière. La tête de cette dernière explosa un instant plus tard, aspergeant l’insongeable de cervelle et de sang. 406 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable essaya de trouver d’où provenait le tir qui venait de lui sauver la vie, tandis que la tête de la dernière des blafardes touchait le sol, ses boyaux s’échappant d’un trou béant. C’est alors que le regard de S tomba sur une silhouette sortant de l’ombre d’un bâtiment tout proche et ce dernier comprit tout de suite qu’elle faisait partie des rares alliés dont il disposait. En effet elle portait la même armure que les protecteurs, mais dans une version plus fine. La silhouette à l’allure féminine fit le tour du périmètre d’un seul regard de ses lentilles vertes. Son heaume était fin, finissant sa course à la manière d’un « V ». Des sillons en parcouraient la surface, augmentant encore plus le côté à la fois envoutant et terrifiant de son regard. Elle arriva à toute vitesse vers les quatre compagnons. Juste quand elle allait s’exprimer, les portes de l’église à côté s’ouvrirent avec fracas. Un autre allié en sortit, lui aussi portant la livrée des protecteurs. Son heaume, étiré vers l’arrière comme l’étaient certains casques aérodynamiques, faisait penser à un visage tiré sur les côtés par les effets de la vitesse. Une de ses lentilles vertes avait été remplacée par une grosse et étrange lentille ronde. Il maniait un layavolk, un fusil sniper parfait pour les environnements urbains. Tout ceci confirmait à l’insongeable qu’il était le sniper qui avait tiré moins d’une minute auparavant. Les deux silhouettes mirent toutes deux un pied à terre devant l’insongeable. « Je suis Stendiak, le féal. 12ème protecteur et votre bouclier jusqu’à la fin. — Je suis Lysiris, la dame. 41ème protectrice et votre bouclier jusqu’à la fin. — Relevez-vous, lâcha l’insongeable qui ne savait pas quoi dire. — Je suis désolé pour le tir insongeable, je n’avais pas le choix. Il fallait prendre l’initiative. — Je sais, rassura l’intéressé. Et appelez-moi S. » 407 La Genèse de l’Apocalypse Les deux protecteurs acquiescèrent tandis qu’Amiklum, Krag et Zabyss venaient à la rescousse de l’insongeable. « Comment allez-vous mes frères et sœurs ? demanda Krag en brisant le silence pesant. — Bien mon frère », répondit Stendiak qui entrechoqua son armure avec celle de Krag. Amiklum enlaça quant à lui Lysiris si fort que l’insongeable trouva ça touchant. La protectrice sortit finalement de l’étreinte de la montagne, laissant Zabyss saluer sa sœur perdue et retrouvée. « Tu m’as manqué, mon pyromane préféré ! » lâcha-t-elle avec un sourire avant de serrer le flamboyant dans ses bras. L’insongeable contempla ainsi pendant quelques secondes ce pur instant de compassion, laissant aux protecteurs le temps de profiter du moment. « Bon, dit Krag. Désolé de couper court mais on doit se dépêcher, chaque seconde compte ! — T’as raison, acquiesça le féal. — Donc l’objectif de l’insongeable pour l’instant est d’aller à la cathédrale Notre Dame de Paris. Ça serait trop long à expliquer maintenant, mais on est partis de la Côte d’Azur depuis moins d’une semaine. On se dirigeait vers Vichy pour l’instant. La région est assez vide de repenteurs. — Je vois, commença Stendiak. Nous on fait route depuis déjà un certain temps. L’activité de la région n’est pas si calme qu’elle en a l’air. Des groupes de perfides sillonnent la région depuis peu et souillent les édifices religieux qu’ils croisent, expliqua le féal. — C’est pour ça qu’on a croisé ces satanées harpies, ajouta la dame avec du dégout dans la voix. Il y a aussi des petites troupes de repenteurs qui se baladent dans le coin alors faut faire gaffe. On a exterminé une escouade de repenteurs un peu plus haut avant-hier. Depuis ils nous cherchent partout, c’est pour ça qu’on était cachés quand vous êtes arrivés. On avait aussi désactivé nos trajecteurs PO, juste au cas où. — Hum je vois, commença l’insongeable. Donc en gros on est en plein milieu d’une battue c’est ça ? 408 La Genèse de l’Apocalypse — Oui, c’est la bonne définition insongeable. Je veux dire S, répondit la dame. — Bon dans ce cas faudrait pas rester ici toute la journée ! pressa le flamboyant. -Oui, confirma Stendiak. Bon là on est à Manzat, Vichy est au nord-est. Si on sort de la route et qu’on fait à peu près un tout droit vers la bonne direction, on devrait en avoir pour une cinquantaine de kilomètres avant de rejoindre Vichy. — Et une fois qu’on est là-bas on fait quoi ? demanda l’insongeable, perplexe. D’après ce qu’on sait ce coin est pas calme pour rien. — Oui S a raison, ajouta Lysiris. Si ce sont des alliés des repenteurs ou je ne sais quoi, mieux vaut juste profiter de la zone sans repenteurs autour de la ville. Quand on arrive à moins de dix kilomètres de la ville, on a qu’à bifurquer direct vers le nord. Si les repenteurs laissent cette ville tranquille je pense que c’est pour une bonne raison. Autant pour nous que pour l’insongeable ici présent, je pense que cela serait une prise de risque stupide et inutile que d’aller voir ce qu’il en est vraiment. Cela peut attendre. » Les protecteurs approuvèrent l’idée avant que l’insongeable ne se joigne à la discussion. « Oui tu as raison, je pense c’est notre meilleure option. — Bon dans ce cas partons au plus vite, pressa le féal. Quand on est descendu par le nord on a vu qu’il y avait un maar pas loin. C’est le gour de Tazenat et il est sur notre route. On n’a vu aucun repenteur dans la zone et on pourrait en profiter pour faire le plein d’eau. — Ça me va, lâcha l’insongeable. — Dans ce cas ne perdons pas une minute ! » Les six compagnons s’éloignèrent ainsi rapidement du speculum qui leur avait attiré tant de malheur. S’engageant dans une rue partant vers l’est, ils purent faire face au soleil matinal et à ses rayons ardents… 409 La Genèse de l’Apocalypse Azilor changea la cartouchière de la growling alors que les ennemis arrivaient sans discontinuer telle une nuée de rats. Les cadavres s’entassaient déjà les uns sur les autres, c’était une véritable boucherie. « Là ! Y en a un avec un genre de lance-roquette ! » indiqua l’exterminateur en montrant du doigt une arme sortant d’un trou béant au milieu d’un torse perforé. Bâtard tourna le plus vite qu’il pût la lourde arme, sans pour autant arrêter de tirer. Il transperça juste à temps la cible, touchant par la même occasion l’arme de l’homme. La munition de cette dernière explosa au milieu du charnier, envoyant de la purée humaine dans tous les sens. Un clic se fit alors entendre au milieu du chaos sonore qui broyait le cerveau encore alcoolisé d’Azilor. « Merde plus de munitions ! » s’exclama Azilor, qui n’avait plus de quoi nourrir l’arme assoiffée de projectiles métalliques. Il regarda sur sa droite alors que Bâtard prenait déjà son canon radius redspray en main. Une lourde explosion secoua l’emplacement de la growling la plus proche, retournant l’arme et soulevant un gros morceau de muraille dans les airs. Azilor courut rapidement vers la position où la poussière soulevée lui empêchait d’évaluer les dégâts. Il passa derrière les exécuteurs qui n’avaient miraculeusement aucun mort dans leurs rangs pour l’instant. L’exterminateur dissipa rapidement la poussière avec sa main et s’accroupit. Il tâtonna à la recherche de munitions, juste à côté de la partie haute du corps de l’ancien mitrailleur de l’arme. Il trouva finalement une boite en métal à moitié remplie, tandis que les débris de pierres retombaient vers le sol. Il regarda sur sa droite et prit rapidement son basaltic eagle en main lorsqu’il vit le tube d’un gros lance-roquette pointé sur lui. Il visa et tira rapidement au travers du trou qu’avait fait la dernière roquette dans la fortification, arrachant le bras de l’homme qui essayait de passer inaperçu. 410 La Genèse de l’Apocalypse Azilor put alors voir que d’autres hommes d’approchaient de cette partie peu défendue de la muraille, essayant de se camoufler dans l’eau derrière des tas d’algues. « Dans l’eau ! » beugla Azilor en montrant où tirer aux soldats proches. Ces derniers, occupés à mitrailler les lointains hors-bords qui tournaient maintenant autour de l’ile telle une nuée, changèrent rapidement de cible. L’exterminateur s’ajouta à la mitrailleuse et tira plusieurs bruyantes balles en contrebas avant de repartir en courant vers l’autre bout de la muraille. Il passa un rapide coup d’œil sur le côté et put remarquer que certains bateaux ennemis tiraient au lance-roquette sur le château. « C’est bon ! lâcha Azilor en jetant la caisse à côté de Bâtard qui tirait toujours sur la nuée d’ennemis. — Pile au bon moment », lâcha ce dernier en remettant tout de suite son doigt sur la gâchette de l’arme. Alors qu’Azilor mettait une nouvelle cartouchière en place, l’exterminateur observa l’avancée de leurs ennemis. Ils étaient plus lents mais ils se rapprochaient inexorablement de la porte principale, et la mer apportait toujours un flot inexorable d’ennemis. Bâtard n’eut pas le temps de faire à nouveau chanter la mitrailleuse. En effet une terrible explosion survint à leur gauche, arrachant une énorme partie de la muraille et les envoyant voler dans la cour intérieure du château. Ils restèrent ensuite quelques secondes à même le sol sans pouvoir bouger, tout leur corps en état de choc. Azilor essaya finalement de se relever en poussa sur le côté le bloc de pierre qui l’écrabouillait de tout son poids. Il regarda alors sur sa gauche, là où se tenait Bâtard qui faisait glisser sur le côté la grosse mitrailleuse étalée sur ses jambes. « Je sais pas si on aurait survécu sans nos armures ! lâcha Bâtard dont la carapace était empoussiérée. 411 La Genèse de l’Apocalypse — J’avoue », lui répondit son ami avant qu’une seconde grosse explosion secoue la muraille. Dirigée directement au-dessus de la porte, l’explosion inattendue déchiqueta une poignée d’exécuteurs postée sur les remparts. Le reste tomba aux pieds des exterminateurs dans un fracas qui tua plusieurs hommes sur le coup. « On se replie vers les murailles intérieures ! » hurla une voix plus en hauteur. Les exterminateurs allaient rejoindre les autres repenteurs lorsqu’un bras s’agrippa à la jambe d’Azilor. Le soldat baissa son regard et vit un exécuteur gisant à ses pieds, le corps à moitié broyé par une énorme pierre. Azilor observa l’homme coincé sous la pierre et reconnut alors la forme de son masque terni et recouvert de poussière. C’était celui qui avait mesquinement tué l’ennemi ayant agité un foulard blanc peu de temps auparavant. « La justice luminante a toujours le dernier mot, chien ! » lâcha Azilor en tirant une balle de basaltic eagle dans le poignet de l’homme. Ce dernier hurla, éclaboussant de sang les deux exterminateurs au milieu d’un tourbillon de sable. Azilor n’ajouta rien, sachant que son ami avait compris. Ils partirent ainsi sur les talons des autres soldats, Azilor ayant toujours la poigne du déshonneur fermement accrochée à son pied… Les six compagnons marchaient, Krag et Stendiak en tête. Pendant que le féal et le carmin parlaient de leurs expériences passées, Amiklum et Lysiris étaient en retrait une dizaine de mètres derrière le flamboyant et l’insongeable. Ils parlaient à voix basse, comme s’ils ne voulaient pas être entendus. L’insongeable décida de les laisser tranquille et se tourna alors vers le flamboyant. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu m’as l’air bizarrement muet, remarqua S. 412 La Genèse de l’Apocalypse — Rien, soupira Zabyss. J’ai juste … commença l’homme en cuirasse de trinitium, juste un peu faim. » S acquiesça et compris qu’il fallait mieux laisser le protecteur seul avec ses pensées. Il en profita pour observer le paysage qui l’entourait. Des champs en friche et de petites zones boisées cerclaient ainsi les compagnons, tandis que la route sur leur droite était parsemée de trous d’obus et de quelques carcasses de véhicules désossés. La région était comme tant d’autres endroits où la guerre était passée, ne laissant qu’un silence désolant en guise d’accueil. L’insongeable était tout de même content d’entendre des oiseaux chanter, l’optimisme éternel de la nature lui donnant le courage de continuer sur sa voie. Un village détruit sur leur gauche, ils s’enfoncèrent dans un petit bois, poussé par une légère brise. À l’ombre du doute, l’insongeable arrêta de se poser des questions cinq minutes et essaya de simplement profiter de ce qui l’entourait… « … Alors il s’est passé tout ça quand j’étais pas là ? demanda Seurg à son frère. — Oui, confirma Zagor. — Je sais pas vraiment quoi penser, y a trop de nouvelles en même temps. -Ça me rend malade de savoir que le maitre des bêtes est mort de notre faute, ajouta Hislachar. — Il nous a fait confiance, ajouta le grand veilleur. C’est un poids que nous porterons ensemble. Lergoragor le remplacera officiellement quand il aura été rendu à la nature. Nous vous attendions pour le rituel de l’adieu, qui aura donc lieu ce soir. — Je dois aller le voir une dernière fois avant qu’il parte ! » lâcha l’ombre en se relevant rapidement. Le visage du veilleur était strié par une grosse cicatrice qui se refermait peu à peu tandis que son bras le tiraillait toujours vivement. 413 La Genèse de l’Apocalypse L’impétueux essaya de se lever, mais comprit ce n’était pas encore possible lorsqu’il eut l’impression qu’on lui plantait un millier d’aiguilles en même temps dans la jambe. « Silith va veiller sur toi ne t’inquiète pas », consola Zagor alors que Seurg grognait de douleur. L’impétueux leva alors la tête tandis que ses deux frères s’éloignaient. La dépravée aux yeux violets attendait en retrait depuis un certain temps, à l’entrée du hangar du Grand Père. Seurg la reconnut aussitôt et lui lança un léger sourire. Silith s’avança alors timidement, les mains dans le dos. « Tiens, c’est pour toi », lâcha-t-elle subitement alors que le vielleur allait prendre la parole. Elle lui tendit un bouquet de coquelicots, un sourire gêné aux lèvres. « C’est Yarg qui m’as montré où en cueillir. — Euh… commença l’impétueux. Merci, ajouta-t-il avec un sourire sincère. Je suis désolé je sais pas quoi dire, c’est touchant de ta part. J’ai juste un peu du mal à revenir à la triste réalité. — Tu n’as rien à dire, rassura l’Hégémone en s’asseyant à ses côtés. C’est à moi de te remercier, pour ce que tu as fait. Toi et tes frères, vous m’avez ouvert les yeux. Je me rends maintenant compte à quel point notre tribu et sa vision hermétique nous a porté préjudice. Je te suis à jamais redevable Seurg. — C’est la responsabilité d’un veilleur de faire passer sa vie avant celle de ses frères et sœurs, je n’ai rien fait de plus que mon devoir. — Tu es vraiment un bon dépravé », répondit Silith, admirative du courage de Seurg. La main de cette dernière se posa alors sur le poignet de l’impétueux, qui tenait toujours dans sa main le bouquet de coquelicots. Seurg se tourna ver elle et plongea son regard dans le sien. Il était comme envouté, n’arrivant pas à détourner son regard de ses yeux violets emplis de malice. Silith était elle aussi envoutée par le regard de son interlocuteur. 414 La Genèse de l’Apocalypse « Je vais te chercher à manger, tu dois mourir de faim », finit-elle par lâcher en mettant fin à ce gênant et étrange moment. Silith fila ainsi en dehors du hangar, laissant Seurg et son bouquet de coquelicots perplexes… Les deux exterminateurs allaient se mettre en place sur les remparts intérieurs lorsqu’on les interpella. « Eh vous deux ! Les exterminateurs ! s’exclama un repenteur non loin. Azilor et Bâtard se retournèrent vers ce dernier. C’était le dieutenant Damenios, qu’ils avaient rencontré lors de leur débarquement sur l’ile. — On a besoin de deux de vos gars pour soutenir des jumpers sur une opération non loin, c’est d’une importance capitale pour le tournant de la bataille ! » Les deux amis regardèrent alors le ciel strié de tirs et d’hélicoptères en feu, se lancèrent un rapide regard et se comprirent sans avoir à parler : c’était risqué, donc intéressant. « C’est pour nous, lâcha Azilor. — Dans ce cas allez vers le phare à l’autre bout du château, expliqua Damenios en montrant du doigt la petite tour qui faisant face à la ville fumante. Un hélicoptère va venir vous prendre, j’espère que vous avez pas le vertige. Bonne chance », lâcha-t-il avant de leur lancer une grenade fumerolle et de repartir vers ses troupes. Les grenades fumerolles servaient en général à marquer une position, chaque couleur ayant une signification bien particulière. Le vert signifiait quelque chose de positif, comme un point d’extraction sécurisé. Le rouge avait une connotation plus offensive, servant en général à marquer une cible. Le jaune était plus vague. Il signifiait de manière générale l’urgence. Celle-ci était jaune. Les exterminateurs coururent alors en direction du petit phare à l’autre bout de l’ile, entourés par un festival d’explosions et de cris. 415 La Genèse de l’Apocalypse Le soleil du sud de la France leur tapait sur le crâne, de l’alcool parcourant toujours leurs veines… 416 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 14 : Picnic Beside Fog of Maar / - Killin’ Floor / What Doesn’t Kill You Makes You Hungry / [14 Cruciamentum an 13 ; Terre] Les compagnons étaient presque arrivés au gour de Tazenat. Ils longeaient la lisière du bois, adjacente à de nombreux champs en friche. Le féal était parti en éclaireur pour vérifier si l’endroit était sûr. L’insongeable pouvait déjà deviner la surface du maar, calme et tranquille. « Je me demandais depuis combien de temps je me suis pas baigné moi, s’interrogea Zabyss. — N’y pense même pas, commença Krag. Le temps qu’on enlève nos armures on peut se faire tuer dix fois. Et j’ai pas envie que ton odeur me tue, ricana le carmin. Cette remarque fit sourire Amiklum et la dame juste derrière. — C’est vrai ça. Je me suis jamais posé la question mais comment vous enlevez vos armures ? demanda alors l’insongeable, sa curiosité piquée au vif. — Bonne question, débuta le carmin. Les parties de notre armure comme les jambes et les bras sont faciles à enlever. À un endroit précis de chaque pièce, il y a un petit bouton en forme de triangle. Comme ici », expliqua le protecteur en glissant son doigt quelques centimètres sous sa carapace, au niveau intérieur du coude. À cet endroit, là où se joignaient son bras et son avant-bras, se trouvait en effet un petit espace où il n’y avait pas d’autre protection que l’épaisse couche de tissu thermoréplétif que portaient les protecteurs en dessous de leur armure. « Si je reste appuyé sur la forme triangulaire en dessous de mon armure à cet endroit pendant assez de temps, je pourrai enlever la partie de mon avant-bras. En fait, chaque pièce d’armure c’est comme un moule en deux pièces. Elles sont comme clipsées entre elles, mais dès que j’appuie sur le bouton, elles se décrochent l’une de l’autre. Après je peux l’enlever, même si faut 417 La Genèse de l’Apocalypse encore forcer un peu. Pour le casque, on le lie simplement au col de la tenue qu’on a en dessous de l’armure. Après pour le reste, on a notre ceinture. » L’insongeable porta un regard à cette dernière. Elle était faite de trois lignes de carreaux de trinitium reliés entre eux, un peu à la manière d’une cotte de mailles. Au niveau des hanches se trouvaient deux formes ressemblant à des anses. Elles servaient à faire passer des ceintures où les protecteurs pouvaient mettre des munitions et autres objets. De cette manière, la plupart des protecteurs portaient deux ceintures remplies à craquer, qui se croisaient en biais. Au milieu se tenait la boucle qui faisait une simple forme ronde. Deux triangles se touchaient en son sein, formant un losange. « Si j’appuie sur le bas, ça va me permettre d’enlever cette partie au niveau de mes parties. Toujours pratique si tu veux pas te servir de ton armure comme chiotte. Si j’appuie sur le haut, je pourrais enlever la partie au niveau de mon torse, même si c’est la plus fastidieuse à enlever. Le souci c’est que le temps qu’on enlève notre armure y en a pour trois ans. Si on prend en plus en compte qu’on est recherché par toutes les forces repentrices qui existent et qu’on doit te protéger, je pense pas qu’aller faire trempette est une option envisageable en ce moment. — Du coup on se lave quand on peut. C’est-à-dire rarement, ajouta le féal qui revenait de sa mission de reconnaissance. — Je comprends, acquiesça l’insongeable. — Bon l’endroit est tranquille, y a personne. Suivez-moi. » Ainsi les compagnons arrivèrent rapidement au bord de l’eau, cachés par les arbres. -Il n’y a pas de danger pour S si on reste ici pour manger ? demanda Lysiris en direction de Stendiak. « Non ne vous inquiétez pas, si y a un ennemi on le verra venir. Le bois est pas assez touffu pour qu’on nous prenne par surprise. Sinon y a que deux endroits d’où on pourrait nous voir. Tout droit devant nous, un petit embarcadère à la con, et à l’ouest du maar. Là-bas, montra le féal. Y a deux trois maisons avec un 418 La Genèse de l’Apocalypse accès à l’eau. Ça a l’air vide mais on sait jamais. Je vais garder un œil sur ces endroits au cas où », rassura le sniper. Les six compagnons s’assirent et étalèrent ensuite leurs vivres. « On ira remplir nos gourdes et tout en partant, c’est plus logique », lâcha Krag qui sortait de ses ceintures un nombre incalculable de choses à manger. L’insongeable ouvrit son sac à son tour et en sortit plusieurs sandwichs de forme triangulaires. « Bon avec tout ça on a de quoi manger pour au moins une semaine ! On a de la marge », remarqua Amiklum satisfait. L’inébranlable venait, à l’instar de ses pairs, d’ouvrir une petite trappe au niveau de sa bouche qui lui permettait de se nourrir sans enlever son heaume. S piocha un des sandwichs au milieu du tas de bouffe lui faisant face et en ouvrit l’emballage sur lequel était écrit « T-Meat ». Alors qu’il croquait dans le sandwich, son œil fut attiré par un symbole imprimé sur l’emballage. Trois ronds formaient les trois points d’un triangle, reliés par d’épaisses lignes. Au milieu se trouvait un quatrième rond, plus gros. Trois autres épaisses lignes partaient des autres points pour directement rejoindre celui du centre. Le symbole était parsemé de mots écrits en latin. « C’est le Trinit, expliqua l’inébranlable en montrant du doigt ce que regardait l’insongeable. C’est le symbole de l’Atrium. Le triangle est omniprésent dans l’iconographie repentrice. Il représente entre autres la Trinité de la religion repentrice ; à savoir l’Abysse, la Lumière et le Chaos. Le Trinit imprimé sur ces portions de bouffe prouve par exemple que c’est l’Atrium qui a fourni ces sandwichs aux repenteurs. — Je vois, lâcha l’insongeable. — Y a pas de quoi être fier en tout cas, ricana Zabyss. Ça vaut pas un bon barbecue ! » 419 La Genèse de l’Apocalypse Alors que les compagnons se rassasiaient et que le féal surveillait l’horizon de son layavolk, l’insongeable en profita pour poser quelques questions aux protecteurs. « Que signifient les gueules de serpents sur vos épaules et le serpent sur votre torse ? demanda-t-il. — Bonne question, commença Krag. C’est vrai qu’on t’a pas encore expliqué ce que ça signifie. Les gueules de serpents sur nos épaules représentent la gueule du python. Elle a de nombreuses significations. En premier lieu, la gueule à proprement parler est notre bouclier, elle nous protège. Ensuite la langue tient nos adversaires à distance et nous permet de mieux les repérer, la langue étant un organe sensoriel important chez le serpent. Ce que tu vois sur notre torse s’appelle l’œil de serpentine. Il représente l’omniscience auquel un guerrier de la Serpentine aspire. Tout reste tout de même de la symbolique, le serpent n’ayant véritablement pas une très bonne vue. — Il ne faut pas sous-estimer un serpent, ajouta Lysiris. Un serpent peut tuer du premier coup et avaler un adversaire de plusieurs fois sa taille. — D’accord, je comprends mieux », acquiesça l’insongeable satisfait de l’explication. Alors qu’il prenait une rasade d’eau, S put observer les inscriptions sur les encolures des deux protecteurs qui venaient de rejoindre les compagnons en début de journée. En français, la phrase parcourant l’armure de Stendiak était la suivante : « même borgne, le vif peut voir en premier ». L’insongeable dut ensuite plisser les yeux pour lire ce qui était écrit sur l’encolure de Lysiris, plus éloignée de S. En français il était écrit : « la volonté surmonte tout obstacle, la patience triomphe de tout ennemi ». « Ce sont nos apophtegmes, expliqua la protectrice qui avait remarqué que l’insongeable s’intéressait à ce qui était écrit sur son encolure. Chacun de nous a le sien, c’est comme un précepte. — Le tien est intéressant, complimenta l’insongeable. — Merci S. Content qu’il te plaise », remercia Lysiris dont les lèvres fines étaient la seule partie visible de son corps. 420 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons continuèrent ainsi de se remplir le ventre, non sans rester sur le qui-vive… Les deux exterminateurs avaient activé leurs grenades fumerolles depuis plusieurs minutes sans qu’aucun hélicoptère ne sorte du chaos ambiant pour se diriger vers leur position. Tout à coup, alors que l’ile était attaquée de tous les côtés, un repentor se faufila parmi les combats aériens à l’est. Il s’approcha d’eux et les deux exterminateurs purent remarquer qu’il avait déjà été amoché par des combats en amont. « Merde il a pris un sacré coup ! lâcha Bâtard qui observait l’engin troué comme du gruyère s’approcher d’eux. J’espère que c’est pas pour nous ce machin ! — J’ai bien peur que si », soupira Azilor. En effet, tandis qu’il était presque au-dessus de l’ile, deux cordes tombèrent de chaque côté de l’hélicoptère. « Oh y sont pas sérieux ! s’exclama Azilor. Putain y a intérêt à c’que ça soit important ! » Les deux exterminateurs mirent rapidement leurs armes en bandoulières tandis que les cordes commençaient déjà à glisser sur le sol vers leur direction. « Accrochez-vous ! lâcha un homme posté à une des mitrailleuses du repentor. — On avait compris ! » beugla Bâtard alors qu’il était déjà en train de grimper le long de la corde. Les exterminateurs étaient aidés par les hommes dans l’engin volant, qui la tiraient vers le haut. L’hélicoptère repartit au large quelques secondes avant que les exterminateurs soient totalement à bord, ce qui secoua dans tous les sens les deux amis. Un soldat leur tendit finalement une poigne de fer, mettant fin à ce dangereux moment d’adrénaline pur. « Merci », lâcha sincèrement Azilor au soldat lui faisant face tandis qu’on fermait la trappe derrière lui. C’était un jumper, plus précisément un alphajumper. 421 La Genèse de l’Apocalypse « Bon, c’est quoi le topo ? » demanda Bâtard juste derrière le jumper. — On doit aller extrader un V.I.P., lui répondit un alphajumper au-devant du cockpit. Nadziak, caracara des alphajumpers de la 16ème averse de la 33ème Légion, se présenta le soldat. Sous les ordres directs du 4ème Prince Belliciste de la Légion, Bazor. » Le grade de caracara avait sous ses ordres jusqu’à une cinquantaine de jumpers, se rappela Azilor alors que les exterminateurs se présentaient à leur tour. « Alors c’est vous les fameux exterminateurs dont tout le monde parle. Si jeunes et déjà une telle réputation, je suis presque jaloux. — À votre service, lança simplement Azilor en direction de la quinzaine de jumpers l’entourant. Vous pouvez nous en dire plus sur l’objectif ? — On doit extrader un V.I.P. qui est coincé dans un labyrinthe de conteneurs sur les quais, au nord du bassin de la Nation. Il est protégé par un petit contingent mais ils ne vont pas résister longtemps. Aux dernières nouvelles ils sont encerclés, donc pas dans une situation confortable. On va être les premiers sur place, alors mieux vaut être préparés à subir un déluge de tirs. Mais je me fais pas de soucis pour vous et vos armures. — C’est qui ce mystérieux V.I.P. ? » demanda Bâtard alors que l’hélicoptère était secoué. Un silence couvert par le bruit de la bataille fut en premier lieu sa seule réponse. « C’est Bazor. Le 4ème Prince Belliciste de la 33ème Légion, avoua finalement le soldat. — Quoi ? Vous voulez dire que la défense du château d’If c’était de la branlette ? Mais pourquoi on a été envoyé au casse-pipe pour rien alors ?! s’exclama Bâtard hors de lui. — Au début il était prévu que Bazor rejoigne le château d’If, mais il s’est fait encercler avant qu’on puisse lui porter secours et l’amener en lieu sûr. On a donc continué à faire courir le bruit qu’il était sur l’ile, pour détourner l’attention des rebelles ailleurs le temps de venir en aide à Bazor. Pendant ce temps on a pu montrer une mission d’extradition. Ça devrait ainsi prendre un 422 La Genèse de l’Apocalypse certain temps avant que l’info leur parvienne et qu’ils ne changent de cap. — Ah ouais je vois ça, lâcha froidement Azilor en mettant son doigt dans un des trous qu’avait laissé le passage d’une balle dans le blindage de l’engin. Y a intérêt à ce que ça en vaille la peine ! — Bien sûr que ça en vaut la peine, c’est un Prince Belliciste sainte lumière ! Ne vous a-t-on donc rien appris ? » Un virage sec sur la droite coupa court à la conversation. « On nous tire des roquettes, accrochez-vous ! » informa le pilote à l’avant alors que les soldats étaient déjà sur les mitrailleuses en train de riposter. Azilor se rapprocha de la position du tireur de gauche et vit que plusieurs positions de mitrailleuses lourdes se trouvaient en dessous d’eux. « Attention en dessous ! » beugla-t-il. Le repentor fit alors un autre virage serré, cette fois sur la droite. C’est à ce moment-là que des balles de gros calibre commencèrent à fuser en direction de l’engin. « Putain de merde ! lâcha Nadziak alors que de nouveaux trous apparaissaient dans la coque de l’hélicoptère. — L’atterrissage va être chaud ! » gueula l’hélicopte alors qu’une balle perdue atterrissait dans la mâchoire du soldat adjacent à Azilor. Ce dernier prit aussitôt le contrôle de la mitrailleuse et ne tarda pas à la faire aboyer sur les rebelles en contrebas. Il pouvait alors distinguer le labyrinthe de conteneurs dont l’alphajumper lui avait parlé. Ce dernier s’étendait sur des centaines et des centaines de mètres dans toutes les directions. Des cadavres parsemaient déjà la zone avec une proportionnalité plus grande pour les rebelles que pour les repenteurs. Il distinguait la masse grouillante qui se précipitait vers les conteneurs en courant dans tous les sens. Les piles de conteneurs étaient trop hautes pour que l’exterminateur arrive à voir ce qui se passait au milieu de ce labyrinthe. 423 La Genèse de l’Apocalypse Une terrible secousse secoua alors le guerrier, le faisant presque passer par-dessus bord. « Mayday ! Mayday ! On va s’écraser ! » beugla alors le pilote avant qu’une balle traverse le ventre du repentor et ne le fasse taire. Un soldat glissa sur le sol et essaya alors de s’accrocher au pied d’Azilor. Il ne trouva comme seule prise que la main de l’exécuteur toujours accroché au pied d’Azilor. Le jumper fut surpris quand la main coupée se dégrippa de l’exterminateur et emporta avec elle le soldat incrédule hors de l’hélicoptère. Azilor se retourna et put alors contempler un trou de plus d’un mètre de diamètre à l’arrière de l’hélicoptère. « Ouvrez les portes ! Saut d’urgence ! beugla le caracara tandis que Bâtard et les autres soldats s’accrochaient à ce qu’ils pouvaient. — Mais on n’a pas de parachutes nous ! cria alors Bâtard tandis que les premiers jumpers sautaient déjà du repentor. — Prenez ceux des soldats morts, pressa le caracara. À dans trente secondes ! conclut-il avant de sauter de l’engin qui partait en vrille dans tous les sens. — Aaaaah putain ! J’arrive pas à lui enlever sa connerie ! » jura Azilor alors qu’il tirait de toute ses forces sur le parachute fermement accroché au soldat mort. Une secousse poussa alors violemment Azilor sur le côté, le faisant pour de bon passer par-dessus bord un cadavre dans les bras. Il resta alors moins de deux secondes en l’air puis heurta violemment un conteneur à plus de six mètres du sol. Azilor bénit le cadavre du jumper, dont les os venaient de craquer à la place des siens. Sous le choc, il regarda en bas et n’eut pas le temps d’y voir grand-chose. Une roquette frappa le flanc du conteneur sur lequel il se trouvait, le faisant tomber en contrebas avant qu’il ne puisse reprendre son souffle. 424 La Genèse de l’Apocalypse Il tomba au milieu d’une allée remplie de rebelles, en écrasant un sous son corps lors de sa chute. Il beugla alors de douleur et de rage, remplissant aveuglément l’allée de phosphore flamboyant. Ayant brulé vif plus d’une quinzaine de rebelles d’un coup, il roula rapidement sur lui-même pour pouvoir réduire en cendres ceux derrière lui. Ces derniers eurent à peine le temps de faire roussir son armure avant de mourir dans les flammes de l’enfer. Il essaya alors de se relever et un son de salve radius le fit se retourner. Un rebelle avec une masse à la main lui tomba dessus, touché de plein fouet par un rayon. Azilor porta son regard aux cieux. Il put alors distinguer Bâtard, éclipsant le soleil de midi une main sur son arme radius et l’autre sur la lanière de son parachute ouvert. Ce dernier tomba à ses côtés, avant de lui tendre la main pour l’aider à se relever. « Merci », lâcha-t-il en se remettant sur pied. Ils se mirent alors dos à dos tandis que les rebelles revenaient déjà à la charge. Azilor et Bâtard tirèrent tout ce qu’ils purent, tuant des dizaines et des dizaines d’hommes et de femmes alors que balles et radius les atteignaient sans grand effet. Avant que des explosifs ne se joignent à la fête, les deux amis s’engouffrèrent dans un interstice à côté de leur position. Ils s’immiscèrent ainsi dans un dédale de couloirs où ils ne pouvaient pas se mouvoir de face. Azilor tira des balles de basaltic eagle dans tous les sens à travers la tôle, faisant mouche sans aucun champ de vision sur ses adversaires. Des cris de douleur lui répondaient de tous les coins, confirmant à l’exterminateur que même aveugle un homme restait dangereux… 425 La Genèse de l’Apocalypse Seurg était en train de manger copieusement. Silith était en effet revenue avec un bol rempli d’une mixture nourrissante semblant à une soupe que le veilleur avalait sans discontinuer. « Merci, lâcha-t-il en avalant goulument une autre gorgée de la mixture. Sinon toi ça va, tu tiens le coup ? demanda l’impétueux en regardant la bague noueuse au doigt de la dépravée. — J’essaie merci, sourit Silith. Ma tribu est décimée. Elle a encore pris un sacré coup lors de cette bataille, commença-t-elle. Je suis désolé je sais que ta tribu a été encore plus touchée que la mienne, mais jusqu’à récemment on n’avait presque eu aucun problème avec les repenteurs. Tout s’est passé si vite, soupira Silith. — Ne t’inquiète pas, commença Seurg en lui mettant la main sur l’épaule. On va avancer tous ensemble. Par contre il faudra surement demander de l’aide à d’autres tribus de dépravés. J’en parlerai à Zagor dès que je pourrais bouger. — Il y a d’autres tribus dans la région ? demanda Silith, surprise. — Oui il y en a, grâce au Messie. Il est parti répandre la parole de la Grande Mère pour réunir les dépravés. Au-delà d’une certaine distance je n’ai aucune idée de ce qui se trame. Mais nous avons encore quelques tribus alliées qui pourraient nous aider à nous reconstruire. Elles sont assez éloignées de nous, mais ça ne coute rien d’essayer. — Je ne veux plus que tu risques encore ta vie pour les autres, j’irai à ta place. Je dois bien ça à ta tribu. — Merci de cette considération c’est gentil, mais ils ne connaissent pas votre tribu. On ira ensemble si tu veux, ça sera un long voyage de toute façon. — Oui avec plaisir », lâcha en souriant une Silith timidement satisfaite. Les deux dépravés continuèrent ainsi à discuter tandis que les restes épars de leurs tribus respectives faisaient connaissance non loin de là autour d’un repas, à la lisière nord de l’enfer Verdoyant… 426 La Genèse de l’Apocalypse Bâtard appuya sur la gâchette de son arme, arrachant d’un même mouvement des membres et des cris à une dizaine de rebelles. Azilor sortit ensuite de son couvert et brula les derniers guerriers au phosphore flamboyant. À ce moment précis, deux hommes sautèrent des conteneurs audessus d’eux et atterrirent derrière les exterminateurs. Bâtard se retourna et failli tuer les deux jumpers qui lui faisaient face. C’était Nadziak et un autre alphajumper. « On vous a pas trop manqués j’espère ! lâcha le caracara en achevant un mourant à ses pieds. — Vous avez une idée de la position de Bazor ? demanda en réponse un Azilor souriant. — Deux ou trois rangées plus loin. On doit se bouger, les rebelles commencent à rappliquer en masse ! — Merci on n’avait pas remarqué ! » lâcha Bâtard tandis qu’ils accéléraient déjà le pas vers le nord. Azilor n’aimait pas le silence soudain qui régnait sur la zone, cela ne présageait rien de bon. « Putain mais c’est quoi ce charnier ! » jura Nadziak tandis que le groupe de soldats débouchait sur une allée remplie de cadavres en morceaux. Ils glissaient les uns sur les autres à plus d’un mètre de hauteur dans une mer de fluides visqueux. « Bordel ça continue sur des dizaines de mètres ! constata le caracara en jetant un œil sur la droite puis sur la gauche. Putain ils cherchent des survivants, jura-t-il soudainement en reculant dans l’allée. — Ça veut dire que Bazor est pas encore mort, comprit Bâtard. Il doit être dans le coin ! — Merde, qu’est-ce qu’on fait ? questionna Azilor alors que les rebelles avançaient pas à pas dans le charnier, hors du champ de vision des repenteurs. — Il faut chercher l’étendard, c’est le point de repère. » À ce moment précis, des radius fusèrent du ciel. 427 La Genèse de l’Apocalypse Les quatre repenteurs montèrent leurs yeux en direction du soleil et purent distinguer une vingtaine de points noirs au-dessus d’eux qui lançaient des traits rouges en direction du labyrinthe de conteneurs en dessous d’eux. « Des blackwings ! » s’écria le jumper au côté de Nadziak. Au même moment une masse se souleva au milieu des cadavres, quelques mètres devant eux. Un homme brandissant une icône d’électrum dans une main et un clairon pourpre dans l’autre venait de sortir du bourbier recouvert de viscères et de sang. Il tira aussitôt de son arme assourdissante qui ressemblait à un instrument tandis que les quatre repenteurs volaient à son secours. Son heaume doré et la forme de ce dernier prouvaient que l’homme était un Prince Belliciste. « Nous sommes avec vous mon Prince ! lâcha Nadziak alors les repenteurs entouraient comme ils le pouvaient le haut gradé. — Eh ben il était temps ! jura l’homme tandis que l’effet de surprise combiné des repenteurs et des blackwings prenaient de court les rebelles. — Suivez-moi, on va pas tenir longtemps si on reste là ! » beugla le caracara alors qu’un des engins volants en proie aux flammes s’écrasait dans le charnier. Ils bifurquèrent ainsi vers le nord-ouest tandis que trois repentors arrivaient en deuxième ligne derrière les blackwings qui tournaient déjà pour faire un nouveau passage. Le groupe de soldats ne rencontra que de petits groupes de rebelles sur sa route. En effet ces derniers étaient trop occupés à jouer au chat et à la souris avec les hélicoptères, serpentant dans un labyrinthe de cadavres et de coupe-gorges. « Ils sont derrière nous ! informa Bâtard en arrière-garde lorsqu’une roquette le frôla pour atterrir dans un conteneur rouillé. — Foncez ! On couvre vos arrières ! lâcha Azilor qui se retournait pour porter assistance à son ami de toujours. 428 La Genèse de l’Apocalypse — Merci exterminateurs ! » beugla Bazor qui essayait de suivre la cadence rythmée de Nadziak. Azilor et Bâtard mirent tous deux un genou à terre, les projectiles entourant leurs silhouettes sans jamais les atteindre. Ils lâchèrent alors leur rage sur la horde maintenant groupée et qui les chargeait de toute leur volonté. Le phosphore carbonisa les deux premières lignes ennemies tandis que la déchiqueteuse arrachait les jambes des rebelles justes derrière. « Venez bande de chiens ! On vous offre un voyage en enfer en première classe ! » beugla Azilor. La horde arriva rapidement au corps à corps et les exterminateurs prirent en main leurs exterminatrices. Azilor coupa un bras et une tête dans un même mouvement tandis qu’une balle ricochait sans dégâts sur son épaule. Il para une bayonnette et fit glisser son arme en arc de cercle vers le bas, coupant net la jambe droite de la femme lui faisant face. Un soudain coup de massue lui rappela alors que son armure ne le protégeait pas de tout. Titubant, Azilor se retourna en faisant tournoyer son arme. Alors que le visage de l’homme était défiguré par la lame lacérant son visage, il remarqua que des rebelles commençaient à affluer sur les conteneurs au-dessus d’eux. Bâtard accouru vers son ami en faisant de larges moulinets de son arme de corps à corps, oblitérant tout sur son passage. À ce moment précis les blackwings entamèrent leur deuxième passage, dégrossissant aussitôt les rangs des rebelles. Azilor se releva péniblement et coupa les deux jambes de l’homme armé d’un fusil à pompe à sa gauche. Avec plus d’espace pour se mouvoir, les deux épéistes changèrent la donne. Ils reprirent ainsi peu à peu le dessus sur la masse grouillante tiraillée par les blackwings. Un marteau arriva alors directement dans la poitrine de Bâtard, lui coupant net la respiration. 429 La Genèse de l’Apocalypse Un homme plus que massif sortit de la masse et se jeta sur les deux exterminateurs, entourés par ses pairs plutôt occupés par les blackwings. Il esquiva la riposte de Bâtard et donna un gros coup de massue au niveau de ses jambes. Bâtard tomba alors de tout son long sur un buste coupé en deux tandis que le géant chargeait déjà Azilor. Ce dernier esquiva alors son adversaire et essaya de contreattaquer. Sa lame frôla la jambe nue de l’agile guerrier, lui arrachant un grognement de surprise. Le guerrier commença alors une série de grands mouvements, circulaires puis en biais, qu’Azilor avait de plus en plus de mal à esquiver. Dans une tentative de contre-attaque risquée, l’exterminateur s’abaissa. L’homme fut plus rapide et fit changer la trajectoire de son arme en cours de route, l’envoyant directement dans la tête de l’exterminateur. Ce dernier eut alors l’impression que son heaume s’était enfoncé dans son crâne. L’homme s’approcha doucement d’Azilor et accrocha fermement sa main au cou de l’exterminateur, s’apprêtant à porter le coup final. Il leva son marteau aux cieux, mais la lame de Bâtard traversa la cage thoracique du guerrier avant que ce dernier ne rende sa terrible sentence. Azilor planta ensuite sa barbichette rutilante dans la main de l’homme pour se libérer de son emprise. Le rebelle tomba sur le côté tandis qu’Azilor essayait de se remettre du violent coup de marteau qui lui avait secoué la caboche. Bâtard aida son ami à se relever, ce dernier voyant encore un peu flou. À ce moment précis, les repentors passèrent au-dessus d’eux, décimant totalement ce qui restait des rebelles les entourant. Azilor se releva à temps pour lever son exterminatrice aux cieux en guise de remerciement. 430 La Genèse de l’Apocalypse « Tu peux marcher ? demanda Bâtard. — Ouais c’est bon t’inquiète, je risque juste de pas marcher super droit. Allons rejoindre Bazor ! » Ils partirent ainsi sur les traces des repenteurs en amont, laissant derrière eux un chaos sans nom… « Il y a de l’activité en face ! » informa le féal tandis que le reste des compagnons renflouaient leurs réserves d’eau. L’insongeable prit aussitôt ses jumelles en main. « Où ça ? — Regarde au nord. Derrière l’embarcadère on peut voir la route et il a de l’activité là-bas. — Merde, lâcha-t-il. C’est un convoi de véhicules repenteurs. Tu crois qu’ils nous ont vus ? — Aucune chance, mais faudrait pas trop trainer ici. S’ils prennent en étau la région pour venir dire bonjour aux perfides, y vaudrait mieux qu’on soit pas dans le coin pendant qu’ils se feront la bise. — T’as raison Stendiak, commença Krag. Grouillez-vous, on se barre d’ici ! — J’ai repéré une dizaine de véhicules, des transports de troupes pour la plupart », ajouta S. En moins d’une minute les compagnons avaient fait leurs bagages. Ils s’enfoncèrent alors dans le bois entourant le maar, longeant ce dernier vers le nord-est… Seurg avait réussi à se relever grâce à l’aide de Silith, qui soutenait tout son poids sous son épaule. Ils venaient d’arriver au niveau de la petite place à moitié brulée délimitant la frontière de l’enfer Verdoyant, où le reste des dépravés tenaient des discussions animées. Yarg l’estafette et Onex vinrent tous deux l’aider à s’asseoir. « Comment vas-tu mon frère ? demanda alors le veilleur de l’enfer Verdoyant. — Ça va merci. Où sont nos autres frères ? 431 La Genèse de l’Apocalypse — Là-haut, ils nous surveillent », expliqua le veilleur en montrant du doigt les silhouettes sur les toits. Onex se mit alors devant Seurg, comme s’il voulait lui dire quelque chose mais qu’il n’y arrivait pas. « Qu’y a-t-il Onex ? demanda l’impétueux tandis que Silith s’asseyait à ses côtés. — Je… commença-t-il. Je suis désolé pour ce que j’ai dit sur toi lorsque Silith t’a amené au motel. J’avais peur pour ma tribu tu comprends, et notre éducation nous a appris à se méfier des étrangers. Nous sommes comme ça. — Ne t’inquiète pas mon frère. La nature m’a donné une deuxième chance et il serait stupide de ne pas suivre son exemple », répondit Seurg en lui tendant le bras. Onex lui enserra l’avant-bras en guise d’approbation. Le regard de Seurg croisa alors celui des guerriers et guerrières de la tribu du val Masqué. Il y avait des jeunes, des adultes et des vieux, mais tous lui renvoyaient le même regard. Ainsi au premier abord ce dernier était à la fois empli d’espoir et de tristesse. Venait ensuite une profonde et récurrente inquiétude. Ils allaient leur falloir du temps, pensa Seurg. Le sang de chaque famille avait coulé dans les deux tribus, et l’avenir était incertain. Plus vite ils se débarrasseraient de leurs doutes plus vite ils pourraient aller de l’avant, conclut le veilleur. « Yarg ! interpella l’impétueux. Va voir Zagor là-haut. Fais-lui savoir que je suis prêt pour le rituel d’intronisation de Lergoragor. Qu’on aille chercher notre frère et qu’on commence le rituel. — Avec plaisir mon frère », acquiesça le veilleur avant de partir en toute hâte. Selon la tradition Lergoragor était en train de lui-même déposer son défunt prédécesseur derrière le trône du maitre des bêtes. Le rituel de l’adieu était un peu spécial pour les maitres des bêtes. Seul un dépravé, celui qui allait plus tard être le seul à comprendre le défunt, était autorisé à ses côtés lors de son adieu. La faune et la flore le pleuraient en silence, seul face au jugement du temps… 432 La Genèse de l’Apocalypse Lergoragor prenait son mal en patience, enfermé dans sa tour de solitude. Il était étendu auprès de son successeur, entouré par de nombreux tigres gris décédés que Lergoragor avait déposés à ses côtés après la dernière bataille. Le dépravé s’en remettait à la toute puissante nature en ce qui concernait son avenir et celui des siens… Les compagnons venaient de sortir du bois pour déboucher sur un petit pâté de maisons. Entre la lisière du bois et les maisons avait lieu un terrible spectacle. Ainsi de longs morceaux de bois cloués par deux étaient fichés dans le sol, formant de grands « T ». À l’extrémité de chacune des branches de ces derniers était pendu un homme, les yeux percés. L’insongeable avala sa salive à la vision de ces dizaines de visages défigurés et picorés par les oiseaux. Les cadavres étaient tournés vers l’ouest. « C’est le supplice de la potence, expliqua Stendiak. Il est réservé aux ennemis des repenteurs les plus hérétiques. Selon les repenteurs les païens méritent de mourir par leurs propres croyances barbares, et n’ont donc pas le droit à la crucifixion. — Ce sont surement des perfides », suggéra la dame. L’insongeable observa alors plus précisément les hommes et femmes pendus. Ils étaient étrangement « normaux », remarqua S pour lui-même. Ils ne semblaient en effet avoir aucun accoutrement ou signe particulier qui permettrait de les identifier comme perfides. « C’est étrange, commença l’insongeable. Après tout ce que j’ai entendu sur eux, je m’attendais à une autre vision des perfides. — Le mystère forge des légendes qui parfois déçoivent, lâcha Lysiris. — C’est grâce à cette normalité, du moins apparente, qu’ils infiltrent si facilement les repenteurs. Je pense pas que c’est avec 433 La Genèse de l’Apocalypse un costume de bruleur d’église que ça va les aider à passer inaperçus. — T’as raison », lâcha S qui imaginait déjà l’action. Un bruit attira alors l’ouïe fine de l’insongeable. Il se concentra tandis que Krag et Zabyss comprenaient déjà ce qui se tramait dans la tête de l’insongeable. « Des bruits de pas ! lâcha finalement S, surpris par sa propre conclusion. — Merde, tous dans la maison ! » ordonna le carmin en montrant du doigt l’habitation la plus proche. Les compagnons coururent aussi rapidement et furtivement qu’ils purent. « J’ai pas entendu le moindre bruit, avoua Stendiak. — Fait confiance à son ouïe. Elle a toujours une longueur d’avance », expliqua Zabyss tandis qu’ils se cachaient aussi rapidement qu’ils pouvaient. Tous hors de vue de l’extérieur, seule la tête de Zabyss dépassait de l’encadrement d’une fenêtre explosée. Les autres protecteurs couvraient tous les angles de la bâtisse, un genou à terre et l’arme au poing. Zabyss porta ainsi son regard en direction du nord-ouest et put distinguer des silhouettes se diriger dans leur direction. Elles portaient des tenues de camouflage fait maison, mais qui étaient terriblement efficaces. Alors que le protecteur pouvait maintenant distinguer leurs armes, il prit la parole en chuchotant. « Ils viennent pour leurs morts, comprit le protecteur en baissant sa tête. — Nous n’avons qu’à attendre qu’ils s’en occupent, proposa la dame. Leur combat ne nous concerne pas. — Ouais. Y a plus qu’à espérer qu’ils nous ramènent pas leurs amis au comité, lâcha le carmin nerveux. — Ça va durer longtemps à votre avis ? questionna l’insongeable en chuchotant. — Non je pense pas, commença Zabyss. Leur coutume mortuaire est assez simple et rapide. Ils appellent ça la taffe du 434 La Genèse de l’Apocalypse Styx. Tout perfide a sur lui une cigarette roulée de dulcifer et de l’alcool à bruler. Quand il meurt, ses potes lui versent l’alcool à bruler dans la bouche, et lèvent un peu sa tête pour que l’alcool descende. Ils allument ensuite la cigarette de leur pote. Chacun de leur confrère présent tire ainsi une taffe. Ensuite ils la mettent à l’envers dans la bouche du défunt. Quand la cendre tombe, elle met en général feu à l’alcool et le corps se consume de l’intérieur. Selon eux la fumée sortant du nez du défunt représenterait l’âme qui s’échapperait du corps, chuchota le protecteur. — Je vois ça », lâcha l’insongeable alors que l’odeur de la chair brulée lui montait effectivement aux narines. Les compagnons restèrent ainsi tapis dans l’ombre un long moment, l’odeur de la mort s’immisçant peu à peu jusqu’à leur position… Azilor fit un deuxième trou de balle au rebelle lui tournant le dos. « Ah vous êtes là ! lâcha Bazor satisfait en se retournant. — Vous vous êtes débrouillés sans nous ? — Oui ça va merci. Vous nous avez grandement aidés, commença Nadziak qui surveillait toujours leurs flancs. Nos anges gardiens les ont dispersés pour le moment, expliqua le repenteur en montrant le ciel du doigt. — Faut quand même se bouger avant que toute la ville nous tombe dessus », pressa Bazor. Un rebelle passa alors devant eux en courant. Bazor fit aussitôt exploser sa tête à l’aide de son arme de poing avant que l’homme ne disparaisse de leur champ de vision en glissant. « Bien visé, congratula Azilor alors que le groupe de cinq repenteurs avançait lentement mais surement au milieu des allées où la mort pouvait surgir de derrière chaque recoin. — Merci », répondit simplement le Prince Belliciste. Azilor se retourna alors brusquement, un bruit métallique résonnant derrière eux. C’était Bâtard qui était en train d’essayer de briser le verrou d’un conteneur. 435 La Genèse de l’Apocalypse « Tu vas nous faire repérer ! Qu’est-ce que tu fais ? s’écria le caracara. — Regarde », lâcha le guerrier du Fulgurastra en montrant un sigle peint sur le conteneur. Ce dernier était à moitié effacé mais Azilor le reconnut facilement. « La roue fondamentale de la Thermolisation », comprit Azilor. C’était une des dix roues fondamentales de l’Église repentrice. Elle avait de nombreuses significations, mais une en particulier concernait le groupe de repenteurs dans l’immédiat. Elle était la suivante : les membres de l’Église machiniste avaient la charge de toutes les usines et manufactures des repenteurs. Lors de la phase finale, la chose créée subissait une batterie de tests. Quand ces derniers étaient terminés et positifs, la roue de la Thermolisation était peinte sur la pièce pour montrer qu’elle était prête au service. Azilor accourut pour aider son ami tandis que les autres repenteurs se retournaient dans l’incompréhension. Les deux exterminateurs explosèrent finalement la sécurité puis ouvrirent rapidement les deux battants du conteneur. Devant eux se tenaient quatre magnifiques negronquidos. Contraction entre negro et ronquidos, ces engins singuliers étaient de véritables machines à tuer. Ces versions étaient des M 4, les plus répandus. Au premier abord un negronquidos faisait penser à une motocross blindée, deux canons radius redspray attachés sur la plaque de métal surmontant le cadran plaqué de suprastrum de l’engin. Le ronflement des negronquidos, aussi assourdissant que particulier, était légendaire. De nombreuses batailles avaient été gagnées grâce à la charge décisive d’une armada de ces engins de mort montés par d’authentiques têtes brulées. 436 La Genèse de l’Apocalypse Une deuxième personne pouvait monter derrière le conducteur, s’aidant d’une anse pour ne pas passer par-dessus bord à la moindre secousse. « Mais comment t’as su ? demanda Azilor alors que les trois autres repenteurs accouraient bouche bée. — Regarde par terre », lâcha Bâtard qui sortait déjà la première lourde moto de son box. Azilor regarda à ses pieds et ramassa un long pic en fer qui était tombé d’un conteneur éventré au-dessus. Ces pics pouvaient en effet se fixer sur les roues des negronquidos pour faucher les rangs de l’ennemi victime de la charge d’un tel engin. « Bien joué je vous félicite, lâcha Bazor en direction des deux exterminateurs. — Merci. Il y en a quatre, commença Azilor tandis que les deux jumpers surveillaient les alentours. Prenez-en une chacun, Prince Belliciste vous montez derrière moi, vous serez plus à l’abri. — Avec plaisir fiston », acquiesça le repenteur concerné tandis que Bâtard faisait déjà ronfler la machine. Ils partirent ainsi à toute vitesse, Bâtard ouvrant la marche aux autres. Ils prirent de nombreux virages serrés, roulant sur des dizaines de cadavres sur leur route. Après un peu plus d’une minute dans le labyrinthe les quatre motos sortirent enfin de la zone remplie de conteneurs. Devant eux se trouvait alors une grande étendue vide et bétonnée où des cadavres bronzaient au soleil. Ils firent vrombir leurs machines et accélérèrent vers le nord, une grosse trainée noire dans leur sillage… 437 La Genèse de l’Apocalypse 438 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 15 : Wheels and Steel / Above a Terrible Secret / Right and Duty / [14 Cruciamentum an 13 ; Terre] Concentrés à éviter les trous d’obus parsemant la route, les repenteurs longeaient la côte vers l’ouest. Sur leur gauche se tenaient de grandes cuves, éventrées depuis longtemps par des missiles. Ils débouchèrent rapidement sur une route beaucoup plus large où s’entassaient des carcasses de véhicules. Les quatre conducteurs se mirent alors tous de front pour communiquer plus facilement tandis que le vent leur faisait parvenir les échos de la bataille. « On va où maintenant Prince Belliciste ? demanda Bâtard tout à gauche. — Il faut continuer sur cette route vers l’ouest. Y a des endroits où les bateaux mouillent tout le long de la côte. On va bien en trouver un à piquer ! » Les repenteurs acquiescèrent et reprirent leurs positions. Ils continuèrent ainsi une cinquantaine de mètres avant que des bruits de moteurs semblables aux leurs ne les rattrapent. « Merde ! » lâcha Nadziak en regardant sur leur droite. Une flopée de véhicules sortit alors de derrière la colline toute proche. Ainsi les rebelles fonçant sur eux conduisaient des engins aussi hétéroclites que bruyants, soulevant une grande quantité de poussière derrière eux. La plupart conduisaient des véhicules bricolés, mais certains montaient des motocross volées aux repenteurs. Ainsi au côté de quelques negronquidos M 4 se trouvaient leurs cousines MB 1, des side-cars. En plus donc des deux hommes sur la moto un mitrailleur était tranquillement posté dans le panier, derrière une MAG 333. 439 La Genèse de l’Apocalypse Un rebelle était en effet en train de défourailler dans leur direction, n’arrivant pas à viser précisément à cette vitesse. « On met le paquet ! » beugla Azilor tandis qu’il roulait tellement vite que le son de sa monture s’imprimait dans son cerveau. À ce moment précis, alors que la horde d’une cinquantaine de véhicules était sur leurs talons, deux repentors sortirent à leur tour de derrière les collines entourant la route. « Eh ben c’est pas trop tôt ! » lâcha le Prince Belliciste derrière Azilor en levant au ciel son icône d’électrum. Les deux hélicoptères volant en rase-motte sur leur droite firent un soudain virage vers la gauche, visiblement surpris de trouver le Prince Belliciste juste en dessous d’eux. Alors qu’une partie de la puissance de feu des rebelles était déjà redirigée vers les hélicoptères, les wracksmiths de ces derniers commençaient à tourner. Un échange de tir meurtrier commença alors, détournant en partie l’attention des poursuivants. « Putain ils prennent cher ! » lâcha Bâtard en jetant un regard derrière lui. En effet, les rangs des rebelles étaient clairsemés par les explosions et accidents en chaine. Malgré tout, le negronquidos MB 1 et le reste des forces persistaient et se frayaient un chemin au travers de la fumée et des explosions. « Par là ! ordonna Bazor en montrant du doigt une petite zone portuaire sur leur gauche. On y est presque ! » Azilor essaya de repérer un bateau en état de marche au milieu des épaves en train de couler. « Là ! » montra du doigt le Prince Belliciste. Azilor regarda rapidement sur sa gauche tandis que les sons de combats se rapprochaient d’eux. Bazor avait en effet repéré un hors-bord, caché entre deux épaves. « Bien vu ! » complimenta Nadziak tandis que les quatre motos bifurquaient sur la gauche, s’engouffrant dans un parking transformé en casse à ciel ouvert. 440 La Genèse de l’Apocalypse Ils longèrent ainsi les premiers pontons, roulant toujours parallèlement à la route. Ils suivirent ensuite le goudron en faisant le tour du petit port. Derrière eux, les rebelles avaient gagné du terrain. Bâtard se retourna, soudainement attiré par un bruit assourdissant, et vit un des deux repentors exploser en arrière-plan. « Merde ! » grogna Azilor en se retournant à son tour. Le repentor éventré se fracassa sur un rond-point que les repenteurs avaient contourné peu de temps auparavant. Ils se retournèrent rapidement et s’arrêtèrent dix mètres plus loin, à côté d’un hors-bord. « Montez ! » beugla Azilor en jetant la moto sur le côté. Alors que les jumpers et Bazor montaient à bord du petit bateau, les deux exterminateurs arrachaient rapidement ce qui le retenait à terre. Ils sautèrent finalement dans le bateau alors que leurs premiers poursuivants arrivaient au niveau des pontons. Nadziak aux commandes, ils s’éloignèrent rapidement de la terre ferme. « Putain mais il est coriace lui ! » lâcha Bâtard irrité lorsque des balles fusèrent tout autour d’eux. C’était le mitrailleur du MB 1 qui essayait en vain de les toucher. Le deuxième repentor, criblé d’impacts, survola les repenteurs en mitraillant sporadiquement les rebelles en dessous de lui. Ce dernier explosa soudainement, touché par une roquette, tandis que les repenteur s’éloignaient de la zone de combat. L’odeur cuivrée du sang qui emplissait leurs narines depuis le petit matin fut enfin chassée par l’air marin. « Suivez la côte à bonne distance ! ordonna Bazor tandis que l’engin disloqué tombait en deux morceaux dans la baie. Je connais un endroit où on aura une chance de survie. » Nadziak mit alors cap vers l’ouest, tandis que des colonnes de fumée s’échappaient du château d’If au sud de leur position… 441 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons avaient attendu un certain moment avant de sortir de leur tanière. « Bon faut bouger d’ici, commença Krag. Je suis sûr que ces cadavres en feu peuvent attirer les repenteurs dans le coin en un temps record. — T’as raison, acquiesça S. Cassons nous ! » Les compagnons partirent donc rapidement en direction du nordest, une série de champs en friche en guise de couverture. Plusieurs centaines de mètres sur leur droite se tenaient une série de bâtiments qui formaient un village le long de la route. L’insongeable tenta un regard au-dessus des hautes herbes qui l’entouraient et put constater qu’ici aussi les édifices avaient souffert. Il regarda autour de lui et devina les positions de ses protecteurs, invisibles mais à l’affut du moindre danger. Une vingtaine de mètres devant lui, une main fit un signe rapide. C’était Stendiak, qui confirmait que la voie était libre. L’insongeable avança, entouré par ses protecteurs qui se mouvaient avec discrétion. Ainsi devant eux se tenait, aux abords de la route et à la limite des hautes herbes, une bâtisse excentrée du village tout proche. Stendiak en tête, les compagnons s’orientèrent dans sa direction en redoublant de prudence. Ils se rapprochèrent rapidement du petit hangar à l’arrière de la maison. Le féal franchit furtivement l’espace à découvert entre le champ et ce dernier, tandis que les autres protecteurs surveillaient les fenêtres. Le cœur de l’insongeable se mit alors à battre la chamade. S’il y avait bien un moment où il ne fallait pas que les repenteurs leur tombe dessus c’était bien maintenant, pensa alors S anxieux. Stendiak prit en main son whisperer 3000, un pistolet silencieux. Le féal fit ensuite signe d’avancer, le dos plaqué contre la tôle du hangar. Krag et Zabyss s’approchèrent le plus rapidement qu’ils purent, laissant Amiklum et la dame veiller sur l’insongeable. 442 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons se retrouvèrent finalement tous au même endroit, se collants au mur arrière de la maison. Le féal fit signe qu’il passait en premier, puis défonça la porte avant de s’engouffrer rapidement dans la bâtisse. Le flamboyant et Krag le suivirent puis ce fut au tour de l’insongeable de la dame et d’Amiklum. Les deux premiers compagnons entrés montèrent directement à l’étage, tandis que l’autre partie de la troupe sécurisait le rez-dechaussée de la maison. « C’est clean en haut ! s’exclama Krag. — Ici aussi, ajouta Amiklum dans la cuisine. — Pourquoi on passe par là au fait ? demanda soudain l’insongeable. — Nous n’avons pas trop le choix, commença Lysiris. Si nous passons à gauche de la maison nous sommes facilement repérables, il n’y a pas de fougères ou de quoi se cacher. Si nous passons à droite ça sera pareil quand nous allons devoir traverser la route, il n’y en a rien pour nous cacher en face. — Cette fenêtre de tir est la meilleure, ajouta l’inébranlable. On traverse la route et on atterrit direct dans les hautes herbes en face. — Je comprends, acquiesça l’insongeable. — Restez pas près des fenêtres, conseilla Krag qui descendait les marches de l’escalier grinçant. Stendiak fait un rapide check des environs voir si y a pas une couille dans le potager. » Cette dernière phrase fit sourire S avant qu’il ne regarde de l’autre côté de la route. Au loin les champs se transformaient en une petite forêt clairsemée. Ça avait l’air si loin et pourtant si près à la fois, remarqua pour lui-même l’insongeable en plissant des yeux. « On a de la compagnie les enfants, informa Zabyss. Stendiak voit une colonne de véhicules qui arrive sur la route par le nord. — Merde, jura Lysiris. — En haut tout le monde », pressa Krag. 443 La Genèse de l’Apocalypse Les six compagnons se réunirent ainsi rapidement et bruyamment autour de Stendiak, hors de vue des fenêtres. « C’est un convoi repenteur, il y a un rollersmoker devant et un derrière. Ils protègent deux skitniks 45 et un skitnik 64. Vu leur vitesse ils doivent chercher quelqu’un. — Putain de perfides, grogna Zabyss le plus doucement qu’il pût. — On a juste à être patients », dit le carmin. Ainsi, les compagnons se firent une fois de plus tout petit, priant pour que le destin leur apporte une nouvelle fois la chance qui les avait jusqu’ici sortis d’affaire… Les dépravés étaient tous en place auprès du Grand Père, il ne manquait plus que Lergoragor. Les frères Syndrakona et les dons s’étaient portés volontaire pour veiller sur eux pendant le rituel. Ils s’étaient donc postés sur les toits des deux côtés de la rue, servant d’anges gardiens aux dépravés. Ces derniers étaient assis sur les nombreux bancs qui faisaient face au Grand Père et qui étaient formés par les racines de ce dernier. Les veilleurs des deux tribus étaient debout au fond du hangar, derrière les dépravés assis. Face à l’audience se tenait une petite estrade sur laquelle Zagor et Silith attendaient. Le veilleur tenait dans ses mains le bâton gris, comme il était coutume lors du rituel de l’inception. La couronne d’épines était quant à elle entre les mains de Silith. Gralug se serait normalement trouvé à la place de la dépravée, pensa alors Zagor qui ne réalisait toujours pas que quasiment toute sa tribu était tombée en une seule bataille. Une silhouette apparue soudainement à l’entrée du hangar, soulignée par les traits dardant du soleil de cette après-midi bien entamée. C’était Lergoragor. Il semblait perdu entre anxiété et humilité. 444 La Genèse de l’Apocalypse Il passa au milieu des rangées de dépravés qui se levèrent à son arrivée, s’arrêta un instant au niveau de l’estrade puis y monta. Lergoragor mit ensuite un genou à terre, face à Zagor et Silith et dos à l’audience. « Nous sommes ici réunis grâce à la force éternelle de la nature, commença Silith. Nous n’oublierons jamais ce fait. Ainsi en guise de respect chaque tribu se doit de posséder un maitre des bêtes pour veiller sur la nature dans son royaume et quand il doit quitter ce monde pour revenir à la terre, nous devons le remplacer. C’est pour cela que nous sommes ici en ce jour. Nous sommes ici pour introniser Lergoragor ici présent maitre des bêtes de la tribu de l’enfer Verdoyant. » Silith s’avança ensuite au-dessus de Lergoragor toujours à genoux. « La couronne d’épines est le symbole du supplice perpétuel de la nature, qui souffre en silence mais jamais ne se plaint. En l’apposant sur ta tête je te transfère une partie d’elle dans ton esprit, ajouta Silith avant de poser la couronne d’épines sur le crâne chevelu de Lergoragor. — Le bâton gris est un soutien sur lequel on peut s’appuyer quand un poids est trop lourd à porter seul, amorça à son tour Zagor. En te le léguant, je te donne la ténacité comme allié, ajouta le grand veilleur en tendant le bâton gris à son frère. — Comme le veut la tradition, le nouveau maitre des bêtes restera dans la solitude jusqu’à ce que la prochaine lune face place au soleil », ajouta Silith. La dépravée empoigna finalement le bras de Lergoragor au niveau du coude, l’aidant à se mettre debout. « Bonne chance à toi », ajouta-t-elle sincèrement de sa douce voix. Lergoragor la remercia et empoigna ensuite le bras de Zagor. « Soit fort mon frère, ajouta le grand veilleur. — Merci Zagor, je ferais tout ce que je peux pour être à la hauteur de la tâche qui m’incombe. » Lergoragor se retourna finalement face à l’audience en prenant bien soin de ne croiser aucun regard. Silith et Zagor mirent alors chacun une main sur les épaules gauches et droites de Lergoragor, qui regardait droit devant lui. 445 La Genèse de l’Apocalypse « Au nom de la Grande Mère j’intronise Lergoragor maitre des bêtes de la tribu de l’enfer Verdoyant. — Au nom de la Grande Mère j’intronise Lergoragor maitre des bêtes de la tribu de l’enfer Verdoyant », ajouta à son tour le grand veilleur Zagor. Sans dire un mot, Lergoragor salua l’audience d’un hochement de tête tout en portant son poing au niveau de son cœur. Les mains de Silith et Zagor s’enlevèrent de ses épaules et il descendit de l’estrade d’un pas décidé. Les dépravés sur les bancs se levèrent alors une nouvelle fois à son passage et les veilleurs le saluèrent rapidement d’un hochement de tête lorsqu’il passa devant eux. Le nouveau maitre des bêtes s’engouffra ensuite vers l’inconnu, le soleil illuminant le chemin du devoir qu’il se devait de parcourir… « C’est bon ils sont assez loin, lâcha le féal en regardant la route au travers de sa lunette. — Il faut vite se tirer d’ici, pressa Zabyss tandis qu’ils descendaient l’escalier. Ce coin grouille comme une fourmilière. — Quand on sera de l’autre côté de la route ça sera déjà mieux. On sera loin des axes de circulation », ajouta Krag juste derrière lui. Tout à coup, alors que les compagnons étaient tous au rez-dechaussée, un bruit sourd résonna sous leurs pieds. « Merde c’est quoi ça ! s’exclama Amiklum en cherchant d’où venait le bruit. — Ça vient de là-bas ! » expliqua l’insongeable en montrant du doigt la salle adjacente. Les compagnons entrèrent avec fracas dans la pièce d’où venait le son de plus en plus proche. S chercha d’où venait précisément le bruit, et comprit rapidement qu’il provenait d’en dessous des meubles de ce qui avait été autrefois une cuisine. Il commença alors à tirer un de ces derniers vers le centre de la pièce à l’aide de Lysiris. 446 La Genèse de l’Apocalypse « Ça alors ! s’exclama S en découvrant une trappe cadenassée que le meuble occultait à la vue de tous. — Ça me dit rien qui vaille, lâcha Zabyss. — Nous allons bien voir, lui répondit la dame. S recule toi », ajouta la protectrice tandis qu’elle s’approchait de la trappe entourée de ses frères. Elle sortit alors de son fourreau une arme semblable aux antiques scramasaxes. Amiklum au-dessus de son épaule pour la couvrir, la protectrice donna un grand coup d’épée dans le métal du cadenas. Ce dernier céda du premier coup et la protectrice le poussa prestement sur le côté d’un coup de pied. Le Blunderburst de l’inébranlable toujours au-dessus de son épaule, elle ouvrit la trappe d’un geste sec. Un nuage de poussière suivi d’une puanteur insoutenable remonta alors directement jusqu’aux narines des compagnons, empêchant à Lysiris de sonder les abysses qui s’étalaient en dessous d’eux. Tout à coup, alors que la fumée se dissipait, une main squelettique sortit des abysses. Lysiris hésita une seconde, puis tendit sa main gantée à l’inconnu tout en restant sur ses gardes. Elle tira la main vers le haut tandis qu’elle distinguait déjà une autre main s’accrocher à l’échelle qui menait hors de la trappe. Un visage morbide et pâle en sortit, faisant intérieurement sursauter l’insongeable. En effet, le visage du vieillard ressemblait à un crâne sur lequel on aurait simplement collé de la peau. L’insongeable constata que ses dents étaient visibles à travers la peau de ses joues, tandis que Lysiris l’aidait à sortir du trou à rat dans lequel il se trouvait. « C’est quoi ce bordel ?! » s’indigna Amiklum en voyant d’autres mains s’accrocher au bas de l’échelle. Le protecteur baissa aussitôt son arme à la vue d’une enfant apeurée puis aida cette dernier à monter vers la lumière. 447 La Genèse de l’Apocalypse S fut ému à la vue d’un enfant, la personnification même de l’innocence. Une série d’images défilèrent alors dans sa tête, le troublant presque autant que le regard empli de candeur qui rencontra le sien. Les protecteurs accoururent à la trappe pour aider les autres personnes tandis que S s’approchait du vieillard et de l’enfant, les deux premières personnes ayant traversées les ténèbres. Plaqué contre le mur, l’homme barbu était terrorisé, alors que l’enfant le regardait lui d’un air malicieux. L’insongeable ouvrit son sac et s’approcha des deux personnages atypiques. « Nous ne sommes pas vos ennemis, lâcha l’homme un genou à terre devant le vieillard. Tiens tu dois avoir faim », ajouta l’homme en lui tendant une feuille de pain azyme qu’il avait dans sa main. Le vieillard, dont le moindre os était visible sous sa peau, arracha le pain de la main de l’insongeable et mangea tout d’une bouchée. S sourit et sortit un paquet entier de feuilles de pain azyme, avant de les tendre au vieillard et à l’enfant devant lui. « Merci monsieur, lui répondit finalement une petite voix timide. — De rien », sourit l’insongeable tandis que le vieillard essayait de s’exprimer en toussant. Une larme coula alors sur le visage desséché de l’homme, ses rides renvoyant à la sagesse d’un parchemin ancien qu’on aurait roulé et déroulé des milliers de fois. « Vous… vous êtes un ange, arriva finalement à articuler le vieillard. On nous a… commença l’homme avant de tousser. Enfermés en enfer et vous nous avez fait remonter sur Terre, parmi les nôtres. Je vous remercie et je remercie Dieu pour avoir accédé à nos prières, ajouta l’homme dont les yeux avaient du mal à s’habituer à la lumière ambiante. — Bois d’abord vieillard. Garde tes remerciements pour plus tard, pressa S en ouvrant une bouteille et en la tendant aux deux personnages face à lui. 448 La Genèse de l’Apocalypse — T’es un garçon mais t’as les cheveux des filles », remarqua alors la petite fille curieuse qui regardait S avec un air d’admiration enfantin. Cette innocente phrase, une des premières que l’insongeable entendait de ses souvenirs, fit sourire l’homme qui s’était toujours demandé comment s’était passée sa propre enfance. Le bruit de la trappe se refermant sortit aussitôt l’insongeable de ses pensées. S porta alors son regard sur les hommes et les femmes qui étaient il y a encore moins d’une minute enfermés dans l’obscurité la plus totale. Ils étaient une dizaine, pour la plupart assez jeunes, terrorisés et aveuglés par la lumière du jour. Krag, Zabyss et la dame étaient auprès d’eux tandis qu’Amiklum et le féal surveillaient l’extérieur. « Donnons-leur une partie de nos vivres, commença Lysiris. Ces innocents vont mourir si nous ne les aidons pas. » Les protecteurs se tournèrent alors vers l’insongeable au milieu de la pièce. « On a bien assez de quoi tenir niveau vivres. On a qu’à leur donner un tiers de ce qu’on a. — Ça me va, répondit Krag. Assez pour eux et assez pour nous. — Ton choix est juste, félicita Lysiris alors que la protectrice tendait déjà des vivres aux hommes et femmes affamés. — Vous êtes des gens bons, remercia une femme à qui S tendait un sandwich. — C’est le moins qu’on puisse faire, répondit l’insongeable. Mais que vous est-il arrivé ? Comment vous vous êtes retrouvés là ? — Nous étions sur la route, débuta alors un homme d’une trentaine d’années sur la gauche. On vivait dans un camp de réfugiés dans la forêt, plus loin vers le nord-ouest. On était un gros groupe de personnes qui avaient réussi à se soustraire au tributarisme des repenteurs. Notre vie était rude, mais au moins nous étions libres. Tout allait bien jusqu’au jour où des repenteurs ont attaqués notre camp. Une petite partie des nôtres a réussi à fuir vers cette zone, et bizarrement ils ne nous ont pas poursuivis 449 La Genèse de l’Apocalypse très longtemps. Mais c’était trop beau pour être vrai, et c’est là qu’on est tombé sur ces maudits bérets noirs. — Les bérets noirs ? — C’est le nom des soldats du duché Charbonneux. » Krag explosa alors un meuble innocent sur sa droite. « Ça sentait la merde à plein nez ce coin, fallait s’en douter ! — Et alors que s’est-il passé ensuite ? questionna l’inébranlable, curieux de connaitre la suite. — Ils nous ont capturés et emmenés là. Ça fait trop longtemps qu’on est ici, on a perdu la notion du temps. Ils sont jamais revenus, alors quand on a entendu des voix on a fait du bruit. On n’avait plus rien à perdre. Si c’était eux on aurait fait en sorte qu’ils nous tuent rapidement, ce qui était préférable à devenir fou et rester dans l’obscurité toute notre existence. Et puis non, ce n’était pas des bérets noirs. C’était vous. Nous vous devons la vie étrangers, conclut l’homme à la peau presque aussi pâle qu’un albinos. — Y a pas de quoi, répondit Amiklum. Les ennemis de nos ennemis sont nos amis. — Eh ben ! Sacrée histoire, lâcha Stendiak qui surveillait toujours l’horizon. — Mais vous savez ce qu’ils font aux gens qu’ils capturent ? — Non, répondit l’homme. Mais je préfère ne pas le savoir et être encore en vie, avoua-t-il. En tout cas un chose est sûre : on est loin d’être les seuls à être entassés dans ces trous à rats ! — Sans aucun doute, comprit l’insongeable. — Nous sommes désolés mais nous avons un destin à accomplir, nous ne pouvons pas vous aider plus que ça. De plus si nous restons à vos côtés cela vous sera surement préjudiciable. Les repenteurs veulent notre tête au bout d’une pique, expliqua alors la dame. — Mais comment veulent-ils se repentir en décapitant un ange ? demanda le vieil homme indigné. — Car les repenteurs sont incompris par leur propre conscience vieil homme, répondit Stendiak. Leur lumière destructrice a 450 La Genèse de l’Apocalypse obligé leur humanité à se terrer dans un recoin de leur esprit à tout jamais. — Nous comprenons, acquiesça en réponse une jeune fille aux cheveux crépus accroupie dans le recoin de la pièce. Vous inquiétez pas, vous nous avez déjà sauvés la vie. Partez sans crainte pour nous, vos vivres nous aideront. — Y a un maar juste à côté, à l’ouest. Ça pourrait vous servir de point d’eau. Quand on s’y est arrêté tout à l’heure les maisons aux alentours avaient l’air vides. Faites juste gaffe aux repenteurs qui trainent dans le coin en ce moment. — Je vois personne à l’horizon. La voie est libre », pressa Stendiak. Les compagnons se préparent rapidement tandis que la petite fille regardait toujours S d’un air admiratif. « Je passe en premier, lâcha Stendiak. — Moi et Zabyss on est avec toi ! » lui répondit le carmin. Les trois protecteurs traversèrent ainsi l’étendue entre la sortie de la maison et la flore dense de l’autre côté de la route. Les trois autres compagnons et les rescapés les observaient depuis l’autre côté de la route, non loin des fenêtres. La tête de Stendiak sortit finalement d’un épais feuillage pour faire signe que le périmètre était OK. « C’est parti, lâcha alors Amiklum. Je passe en premier. Bonne chance », lâcha sincèrement le protecteur en direction du groupe de rescapés. L’inébranlable traversa ensuite la route à toute vitesse tel un géant parcourant Sruth na Maoile. S mit ensuite sa main sur son cœur en guise d’au revoir. « Nous reviendrons le temps venu », ajouta-t-il avant de se retourner et de disparaitre à son tour. Lysiris se retourna une dernière fois vers le groupe d’innocents. Elle prit alors dans sa main un épi de blé coincé dans son épaulière, qu’elle tendit ensuite à la petite fille devant elle. La créature pleine d’innocence l’attrapa au creux de ses petites mains, curieuse. Elle leva alors ses gros yeux vers la protectrice, qui lui ébouriffa amicalement les cheveux. 451 La Genèse de l’Apocalypse « Cérès soit avec vous », lâcha-t-elle avant de délaisser à son tour le groupe d’innocents que le destin avait décidé d’aider. La dame disparut à son tour parmi les hautes herbes, de l’autre côté de la route parsemée de nids de poules. Entre appréhension et espérance, les laissés pour compte étaient désormais seuls maitres de leur destin… Azilor grogna lorsqu’il aperçut des silhouettes qui sillonnaient la mer Méditerranée à leur droite. « Putain ils sont coriaces ceux-là ! lâcha Bâtard en jetant un coup d’œil là où portait le regard de son ami. — Continue tout droit en parallèle aux côtes fiston. Je te dirais quand changer de cap », lâcha Bazor en direction de Nadziak. Les repenteurs se mirent alors à couvert tandis que les silhouettes s’approchaient d’eux par le nord. Azilor put observer que leurs ennemis étaient assis sur des FF 33. De leur nom complet foamy furrow 33, ces engins deux places étaient des sortes de motomarines dotées d’une grande vélocité. Alors qu’Azilor commençait à distinguer leurs armes les premiers projectiles fusaient déjà dans leur direction. Une balle ricocha ainsi sur l’armure de Bâtard. Ce dernier riposta aussitôt de son arme radius, courroucé. Azilor essayait de viser correctement, une main sur son basaltic eagle l’autre agrippée au cordage parcourant le petit bateau. Il tira alors une balle qui résonna sur toute l’étendue azuréenne qui les entourait, juste avant que le bateau ne retombe dans le creux d’une vague. L’exterminateur put alors distinguer le pilote du FF 33 de tête tomber dans les flots, l’épaule en lambeaux. Les balles fusèrent ensuite au-dessus de leurs têtes, tandis que la dizaine de FF 33 étaient à moins de cinquante mètres d’eux. La riposte ne se fit pas attendre et Bazor explosa un véhicule d’une balle chanceuse de son clairon pourpre. Une balle arriva alors en plein dans la mâchoire du jumper adjacent à Azilor, avant de ressortit par la joue gauche du soldat. 452 La Genèse de l’Apocalypse Le jumper surpris mit alors ses deux mains au niveau de sa bouche, essayant de boucher le trou d’où s’échappait une grande quantité de sang. Une explosion proche secoua alors le bateau et propulsa dans les flots le jumper en état de choc. « Merde ! Baldan ! jura Nadziak en regardant derrière son épaule. L’environnement d’un jumper c’est l’air pas l’eau ! » s’écria le soldat entre colère et tristesse. Azilor regarda au niveau des sillons du bateau mais ne put distinguer que de l’écume et des balles strier l’étendue autour d’eux. Les repenteurs ripostèrent alors furieusement, faisant mouche à plusieurs reprises. Il ne restait maintenant plus qu’une poignée de FF 33 sur leurs traces. « Met le cap vers la côte, maintenant ! » lâcha soudainement Bazor. Nadziak changea ainsi soudainement de direction, rapprochant encore plus les FF 33 du bateau. Azilor arriva à exploser un des derniers engins avant que leur trajectoire ne croise celle des quatre repenteurs. Les trois motomarines fonçaient vers l’avant du hors-bord pour les intercepter. Les repenteurs étaient bloqués à couvert, les balles et les radius fusant tout autour d’eux. Alors qu’ils étaient presque sur eux, Bâtard sortit de son couvert sa déchiqueteuse à la main. Il visa rapidement et envoya deux câbles en direction des rebelles, un à droite et un à gauche. Ces derniers se plantèrent dans les deux FF 33 aux extrémités et l’exterminateur appuya sur son bouton magique. Les deux engins furent ainsi tous deux poussés vers le centre, entrant en contact avec le troisième véhicule dans une explosion retentissante. « Bien joué », félicita Azilor qui admirait les flammes s’élever au ciel. 453 La Genèse de l’Apocalypse Tandis que le bateau était secoué par les remous causés par l’explosion, les quatre repenteurs se rapprochaient de la terre ferme pour poursuivre leur épopée… Lergoragor, à la recherche de tranquillité, s’était retiré auprès de Notre Dame de l’Espérance. Assis sur son muret, il avait ainsi une vue panoramique de la région qui avait été autrefois lumineuse et chaleureuse. Le chatoiement terni que renvoyait désormais la ville n’était ravivé que par les rayons de soleil qui se reflétaient sur l’azur méditerranéen. Le nouveau maitre des bêtes commençait à s’habituer à la couronne d’épines qui cerclait sa tête. Lergoragor observa alors plus attentivement le bâton gris qu’il tenait dans ses mains. Ce dernier se finissait en une série de nœuds et de bosses qui façonnait une étrange forme semblable à une boule. Lergoragor porta le bâton gris au niveau de ses yeux, et eut alors l’étrange impression que les différentes formes créaient une allure de visage à l’extrémité de ce dernier. Se sentant soudainement observé, Lergoragor tourna la forme vers l’est. Il resta ainsi immobile à la manière d’une gargouille, attendant que le soleil fasse place à l’obscurité… Les compagnons évoluaient parmi les champs en friche depuis maintenant plusieurs minutes. « Il faut trouver un abri avant la tombée de la nuit, pressa le carmin à sa gauche. — Ça va être tendu de se planquer dans une maison. Je sais pas si on y sera vraiment en sécurité, s’interrogea Amiklum derrière l’insongeable. Entre ça et dormir dans un champ, je sais pas trop quoi choisir. — Quel est ton avis là-dessus S ? questionna alors Lysiris qui était invisible dans les hautes herbes. 454 La Genèse de l’Apocalypse — Hum. Je sais pas trop, commença l’intéressé qui s’aidait de son katana pour écarter la végétation sur son chemin. Si je suis mon instinct je dirai que l’idée de dormir au milieu de nulle part me met mal à l’aise. Avec la chance que j’ai on va nous tomber dessus en pleine nuit. Du coup je pense que c’est préférable d’être dans un bâtiment où on peut au moins se mettre à couvert et gagner du temps avant de riposter. — Sage remarque, acquiesça la protectrice. Je suis aussi de ton avis. — J’avoue que je préfère aussi, ajouta Zabyss. — Ouais c’est mieux qu’on fasse ça, lâcha le féal qui venait de revenir de sa mission d’éclaireur. Je pourrai mieux nous couvrir depuis l’étage d’une maison que depuis le niveau du sol. — Dans ce cas c’est vendu, conclut Amiklum qui scrutait méticuleusement le flanc droit des compagnons. — Je prends le premier tour de garde », lâcha Stendiak avant de disparaitre à nouveau dans la brousse… Les quatre repenteurs longeaient la côte depuis déjà plusieurs minutes. « Là ! lâcha soudainement Bazor en montrant du doigt une plage au milieu des calanques sur leur droite. — À vos ordres », répondit Nadziak en changeant légèrement le cap de l’appareil. À quelques centaines de mètres de la plage qui était leur destination se tenait une petite ile. Sa forme écorchée, qui la faisait plus ressembler à un énorme rocher qu’une véritable ile, lui donnait un air étrange. C’était comme si l’énorme roc était tombé du ciel pour s’encastrer dans le sol. « On est où ici au fait ? demanda Bâtard alors qu’ils atterrissaient sur la plage en faisant crisser le sable. — Calanque de l’Érevine », répondit succinctement Bazor en atterrissant sur la plage. 455 La Genèse de l’Apocalypse Le Prince Belliciste planta ainsi son icône dans le sable humide tel un explorateur découvrant un nouveau monde tandis que les soldats descendaient autour du gradé. Ainsi devant eux se tenaient des ruines en vieilles pierres se confondant parfaitement avec le paysage. « Suivez-moi et faites-moi confiance », ordonna Bazor en se dirigeant vers une des ruines ressemblant à une tour. Ils grimpèrent ainsi une pente friable où ils étaient obligés de se plaquer contre cette dernière pour ne pas glisser. Bâtard dépassa les autres et arriva en premier en haut de la pente. Il nargua alors les trois autres soldats ; et fut surpris lorsqu’il sentit une chose appuyer sur l’arrière de son heaume. Il se retourna, et put ainsi remarquer qu’une mire le regardait droit dans les yeux… 456 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 16 : The Last Step / The Relics of the Artisan / Ode of Odors / [14 Cruciamentum an 13 ; Terre] « … Pardon, on ne connaissait pas les exterminateurs jusqu’à ce jour, lâcha l’homme qui venait d’aider Azilor à monter la butte abrupte. — Ne vous inquiétez pas, rassura ce dernier en direction de la poignée de soldats devant lui. — Adianas ; triocéros du 27ème mirage de la 33ème Légion, se présenta alors un des hommes en direction de Bazor qui venait d’arriver en haut de la butte. Sous les ordres directs du 2ème Prince Belliciste de la 33ème Légion, Nurnagol. » Le grade de triocéros était l’équivalent de sergent chez les caméléons, se rappela Azilor. Les caméléons étaient les soldats d’infiltration par excellence. Un de leurs atouts principaux sur ce point était le fait qu’ils portaient une tenue de camouflage faite en involucrum, un tissu qui s’adaptait au milieu dans lequel il évoluait et changeait peu à peu de couleur. Le tissu recouvrait les caméléons de la tête aux pieds, une cagoule ne laissant visibles que leurs yeux et leurs bouches. Ainsi, le seul moyen de connaitre le grade d’un caméléon était de regarder son visage. Par exemple, les triocéros comme Adianas étaient reconnaissables grâce au sigle au centre de leur visage. Partant du haut de l’os nasal, trois légers traits bleutés parcouraient le visage du triocéros. Un premier descendait le long du nez jusqu’au bout de ce dernier, tandis que les deux autres partaient sur le front de manière symétrique. Le signe formait de cette manière deux angles obtus et un angle aigu. 457 La Genèse de l’Apocalypse En plus de leur entrainement extrêmement pointilleux en ce qui concernait la survie et l’infiltration, les caméléons maniaient tous des armes silencieuses. Ceux qui étaient devant Azilor avaient pour la plupart des stillentod V dans les mains, tandis qu’un des caméléons portait dans ses bras une dame silence. La dame silence était un type de sniper crée dans le but de ne dégager ni son ni lumière lors du tir. Le grand caméléon était quant à lui armé d’un whisperer 3000. « Bazor. 4ème Prince Belliciste de la 33ème Légion, commença le haut gradé. Voici les exterminateurs Bâtard et Azilor ainsi que le caracara Nadziak, répondit finalement Bazor après avoir observé la zone pendant un instant. Retenez bien ces noms caméléons, c’est grâce à eux que je suis ici. — Je vous remercie messieurs. Grâce à vous notre bien aimé Bazor n’est pas tombé dans les griffes de ces enfoirés de rebelles. — De rien, lâcha Azilor au nom des trois soldats. C’était pas gagné d’avance. — Désolé de vous presser, mais qu’est qu’on fout là au milieu de nulle part au fait ? demanda alors Bâtard. — Toi je t’aime bien fiston. T’as du franc-parler, complimenta Bazor en se retournant vers l’exterminateur. Suivez-moi vous allez vite comprendre. » Alors que le groupe de désormais une dizaine de repenteurs suivait Bazor, Adianas prit la parole. « Nous avons sondé la zone à notre arrivée ici Prince Belliciste, il n’y rien à l’horizon. — Très bien », lâcha l’homme portant toujours fièrement son icône. Ils arrivèrent ensuite rapidement au niveau de la tour en ruine puis continuèrent à grimper vers d’autres ruines plus haut. Après plusieurs minutes d’ascension sur un terrain escarpé et friable, ils arrivèrent enfin à leur destination. Bazor s’arrêta alors tout d’un coup, comme s’il attendait quelque chose. « Personne dans les environs », informa ensuite Adianas. 458 La Genèse de l’Apocalypse Sur ces paroles, le Prince Belliciste s’agenouilla et commença à creuser le sol de ses mains comme s’il cherchait un trésor. « Aidez-moi ! Je vais pas faire ça tout seul », pressa Bazor. Les exterminateurs et Nadziak commencèrent à creuser à leur tour, sans savoir quoi chercher. Ils creusèrent ainsi la terre meuble à l’aide de quelques caméléons pendant un court moment, avant de tomber sur quelque chose de dur. « Ah enfin ! » s’exclama Bazor en chassant la terre de ce qui s’apparentait à du métal. Azilor fronça des sourcils quand il reconnut une poignée en fer sur laquelle était gravée la croix des douze. Cette croix rarement représentée était entourée de mystères et de légendes. En effet, la croix des douze avait été utilisée pour la première fois lors de la première croisade repentrice. En ces moments de troubles, nombreux étaient les croisés à mourir loin de chez eux sur des planètes païennes sans pouvoir bénéficier de la bénédiction de l’Église repentrice. Ainsi quand une croisade atteignait une planète et que le combat s’engageait, aucune entité religieuse repentrice n’était encore implantée sur ladite planète, et les représentants de l’Église suivant les croisés dans leurs péripéties étaient parfois rapidement tués. C’est dans ce contexte que la croix des douze fut utilisée pour la première fois. Son origine reste un mystère total, mais elle fut en premier lieu gravée sur les tombes des croisés perdus loin du regard omniscient de l’Église repentrice. En effet, ne pouvant pas officiellement être honorés par un membre de l’Église, la majorité des croisés avaient peur que la malédiction n’atteigne leur dépouille. Son utilisation s’étendit ensuite rapidement à un grand nombre de sépultures croisées dans la galaxie entière, le concept se répandant comme une trainée d’étoiles filantes. 459 La Genèse de l’Apocalypse L’Église repentrice ferma alors les yeux sur ce qui était considéré comme de l’hérésie par certains, ne voulant pas enrayer l’effort de guerre. Les croisés avaient pour coutume d’emmener des trésors de guerre et autres artefacts avec eux dans leurs tombes. Cet usage déclencha sans le vouloir la genèse de la légende entourant la croix des douze. Ainsi, dans une surenchère de leur propre histoire les croisés cachèrent de plus en plus de richesses dans leurs tombeaux, alimentant de cette manière la légende. Certains croisés amassèrent ainsi de véritables trésors, qu’ils emportèrent avec eux dans leurs tombes secrètes. Cet héritage fut alors sujet de nombreuses interrogations et spéculations. Ainsi, pour entretenir la légende et rendre hommage à ces guerriers et à leur sacrifice dans des croisades à l’autre bout de la galaxie, l’Église repentrice décida d’ajouter la croix des douze à la liste des symboles repenteurs officiels. Symbolisant à la fois le sacrifice et le secret, la croix des douze était représentée dans de rares situations. La forme de cette dernière s’axait autour d’un petit carré posté en son centre. Quatre triangles rectangles se formaient ensuite autour de la forme, chaque angle droit de ces derniers étant adjacent aux quatre points du carré au centre. De ce fait les espaces entre les triangles laissaient imaginer la forme de deux bandes, se joignant au carré au centre et formant ainsi une croix. Azilor faisait maintenant le lien entre le silence de Bazor sur leur destination et la croix des douze : ce qu’il y avait sous cette trappe métallique était surement confidentiel. L’espace était maintenant dégagé autour de la trappe et Bazor enleva ce qui restait de la terre au niveau du carré de la croix, là où se formait une profonde dépression. Il se leva ensuite et enfonça la pointe de son icône d’électrum dans le trou au centre de la croix des douze, avant d’en tourner la hampe un quart de tour vers la gauche. 460 La Genèse de l’Apocalypse Un déclic se fit alors entendre. « Levez la trappe », ordonna alors Bazor en enlevant promptement son icône de l’orifice. Les exterminateurs aidés de deux caméléons s’exécutèrent avec difficulté, tandis que d’autres repenteurs descendaient déjà pour vérifier le périmètre. Une voix résonna à l’intérieur, signalant que la voie était libre pendant que la trappe atterrissait lourdement sur le sol. « Suivez-moi, lâcha Bazor en descendant à l’échelle qui lui faisait face. Ne vous inquiétez pas, dans quelques jours tout ceci sera à nouveau invisible grâce au sable et au vent. » Les exterminateurs, les caméléons et Nadziak suivirent donc le Prince Belliciste dans un endroit inconnu. Azilor arriva au niveau du Prince Belliciste et put alors contempler une grande salle sentant le renfermé et donc les murs étaient tapissés de métal. Ces derniers étaient en partie cachés par un nombre important de boites de conserve et autres armes impeccablement entretenues. Au centre de la grande pièce se tenait un grand bassin, apparemment directement relié à la mer. Au milieu de ce dernier flottait tranquillement un étrange sousmarin de guerre aux arrêts. Au fond de la salle une échelle menait à un petit mirador encastré dans le mur de la pièce à l’air stagnant. « C’est quoi ce putain d’endroit ? demanda Bâtard qui se sentait oppressé. — C’est un endroit secret dont peu de gens connaissent l’emplacement, et j’attends de vous la plus grande discrétion sur le sujet. — Nous ne dirons rien Prince Belliciste », assura Azilor tandis qu’un bruit métallique se faisait entendre à l’autre bout de la pièce. Un son venant du mirador résonna ainsi sur les parois de cette dernière. Les repenteurs levèrent instinctivement leurs armes à la vue d’une silhouette descendant lentement les barreaux de l’échelle. 461 La Genèse de l’Apocalypse Bazor fit aussitôt signe de baisser les armes, alors que la silhouette en armure carapace marchait dans leur direction d’un pas presque lent. C’était un membre de l’Église machiniste, comprit Azilor en observant le guerrier leur faisant face. Son armure carapace était un peu différente de celle des exterminateurs. Ainsi, de fins traits bleus électriques parcouraient l’amure à dominante rouille tel autant d’arcs électriques. Le heaume du membre de l’Église machiniste avait une forme étrange. Son implant machiniste était d’un orange aussi vif que malveillant. Son autre œil valide était quant à lui bien caché derrière une lentille elle aussi orange formant un gros rond, luimême entouré d’un autre cercle de la même couleur. Une roue fondamentale de l’Illumination était peinte sur son front en guise de troisième œil. Son regard se porta sur les exterminateurs et leurs armures, deux gros points lumineux donnant à Azilor l’étrange impression d’être déshabillé du regard. C’était comme s’il les observait les yeux écarquillés, remarqua pour lui-même le guerrier mal à l’aise. « Je vous présente Ertiam, commença Bazor. C’est un commissaire de la Vigie. » La Vigie, pensa Azilor en saluant de la tête le membre de l’Église machiniste. C’était était un groupuscule terré profondément au sein de l’organisation de l’Église machiniste et qui avait pour mission de faire respecter l’Omerta. L’Omerta, la loi du silence, était la loi fondamentale qui régissait l’Église machiniste. La Vigie et ses commissaires veillaient ainsi, entre autres, à ce qu’aucune information concernant les technologies utilisées par leur Église n’arrive jusqu’à l’oreille des curieux. Il pouvait donc s’agir d’ennemis autant que de membres de la machine de guerre repentrice. 462 La Genèse de l’Apocalypse De temps en temps, l’Église machiniste détachait des commissaires pour veiller sur certaines technologies sensibles qu’elle avait permis aux repenteurs d’utiliser sous certaines réserves. Les commissaires ne trainaient jamais loin des projets expérimentaux, ce qui piqua au vif la curiosité d’Azilor. Ils étaient un peu les inquisiteurs du savoir, remarqua le guerrier pour lui-même. Le commissaire s’était arrêté à quelques mètres du groupe de soldats. « Je vous salue Bazor, 4ème Prince Belliciste de la 33ème Légion. C’est un honneur, lâcha-t-il de sa voix dénuée de sentiments en direction du gradé portant toujours fièrement son icône. Vous devez être les exterminateurs, ajouta-t-il sur un ton semblable à de l’intéressement en direction d’Azilor et de Bâtard devant lui. Les seuls non-machinistes portant la bénite armure carapace. D’après ce que je vois, nous avons bien fait de vous léguer cette technologie. » Le commissaire s’approcha alors un peu plus d’Azilor, examinant l’armure d’Azilor comme un docteur examinant son patient. « Fascinant, vous portez la variante Drake X. — Nous devons partir d’ici Ertiam, coupa promptement Bazor. Vous pouvez faire marcher ce truc ? demanda le Prince Belliciste en pointant du doigt le sous-marin au milieu de la salle. — Bien sûr, je suis là pour protéger la technologie que renferme ce submersible. Je peux vous amenez où vous voulez, mais à une condition. Vous devrez garder tout ce qui concerne ce sous-marin et cet endroit pour vous. — Vous avez ma parole, assura Bazor. Nous signerons tout ce que vous voudrez. On veut juste partir de ce merdier nous ! — Dans ce cas suivez-moi », lâcha le commissaire de la Vigie en se dirigeant vers le sous-marin. Il monta alors sur le submersible avec agilité, avant d’en ouvrir la trappe. Les autres repenteurs le suivirent rapidement jusqu’à l’intérieur exigu du submersible. 463 La Genèse de l’Apocalypse Alors que les soldats comprenaient qu’ils allaient devoir se serrer, le commissaire était déjà aux commandes. « Bienvenu dans le Limogeur des Tréfonds. C’est un sous-marin de poche Rednaxela G 2, informa Ertiam d’un ton qui semblait fier tandis que l’écoutille était fermée par un caméléon. Quelle est donc notre destination ? » Une seconde s’écoula alors, les hommes se tournant vers le Prince Belliciste. « Et si on allait directement remercier le chef des exterminateurs ! commença Bazor. Nous partons pour Point Black ! » Ainsi alors que la machinerie se mettait en branle et que les soldats serrés essayaient de trouver une position confortable, le Limogeur des Tréfonds s’enfonça dans le gouffre qui menait à la mer… Les compagnons marchaient depuis plus d’un quart d’heure déjà, cachés par les herbes hautes. Ils avaient dépassé plusieurs villages sur leur droite, se dirigeant vers un groupe de maisons tout droit devant eux. « À terre ! » lâcha soudainement l’insongeable en entendant un bruit de rotors au loin. Les protecteurs n’ayant pas entendu le bruit distant se couchèrent tout de même d’un seul mouvement, faisant confiance aux sens aiguisés de S. Ils restèrent ainsi allongés de nombreuses et longues secondes, cherchant d’où venait le bruit. Cinq hélicoptères se montrèrent finalement au sud, volant en formation en « V ». La formation passa à plusieurs kilomètres des compagnons en direction du nord. Les protecteurs et l’insongeable restèrent immobiles encore une bonne minute après le passage de la formation. Le féal se releva finalement, faisant signe que la voie était libre. Les compagnons accélérèrent alors la cadence pour se mettre à l’abri avant la tombée de la nuit… 464 La Genèse de l’Apocalypse Plusieurs groupes de dépravés s’étaient séparés aux alentours du reflet d’Azur à la recherche des corps de guerriers et guerrières morts lors de la bataille où la tribu de l’enfer Verdoyant avait quasiment disparu. « Rien ! Aucune trace ! » jura Yarg qui était frustré de ne pas pouvoir revoir une dernière fois le visage des membres de sa tribu et pouvoir faire son deuil. Aux côtés d’Onex et de Nonag, un dépravé à la chevelure de feu du val Masqué, il fouillait depuis bientôt vingt minutes la zone. « C’est pas possible, vos frères et sœurs n’ont pas pu s’envoler sans laisser de traces. » Un grognement d’impuissance et de frustration fut la seule réponse du veilleur. Ce dernier s’arrêta un instant, son regard se dirigeant vers la structure dont les reflets brisés étaient peu à peu remplacés par des racines. « Venez voir », lâcha alors Nonag derrière lui. Le veilleur se retourna aussitôt et s’approcha du dépravé. Le regard de ce dernier portait sur la plage en partie recouverte de débris vomis par la mer. Ainsi, au milieu ce petit banc de sable se trouvait une étrange forme. Yarg l’estafette fronça alors les sourcils de surprise. C’était comme si le sable avait été siphonné vers l’intérieur, formant une dépression étrange quelques dizaines de mètres devant les dépravés. « C’est quoi ce truc ? demanda l’estafette étonnée. — Allons voir ça de plus près », lâcha Onex. Les trois dépravés sautèrent alors par-dessus le rebord, leurs pieds s’enfonçant dans le sable. Ils se dirigèrent vers l’étrange dépression, sur le qui-vive. Yarg s’agenouilla ensuite là où commençait cette dernière. Il enfonça sa main dans le sol et son bras traversa le sable comme si c’était du beurre. Il s’étonna quand il constata que son bras s’était enfoncé jusqu’à son coude. 465 La Genèse de l’Apocalypse « C’est quoi ce merdier ? » jura calmement Nonag alors que Yarg sortait son bras du sable qui avait aspiré sa main. Une odeur nauséeuse s’engouffra alors par le trou qu’avait creusé Yarg, juste avant que ce dernier ne se referme. De très légers filets d’une fumée verdâtre s’élevèrent au ciel, se dissolvant rapidement dans l’air. « Il faut creuser ! Nous devons découvrir ce qui se cache ici-bas, allons demander de l’aide à nos frères ! » déclara l’estafette. Les deux autres dépravés acquiescèrent aussitôt. Tandis qu’ils tournaient le dos à la dépression de forme cyclonique, Rê perdait peu à peu son combat cyclique et éternel contre Apophis… Les soldats étaient entassés dans le sous-marin depuis déjà un certain temps. Azilor commençait à avoir des crampes de partout. Son regard se porta alors sur le commissaire, qui était concentré sur le maniement du submersible. L’exterminateur observa attentivement l’armement d’Ertiam. Ainsi de chaque côté de sa ceinture se tenait un lupara R 12, une espèce de canon scié utilisant de microscopiques rouages comme grenaille. Rangée dans son dos se trouvait une vindicatrice, une arme aussi singulière qu’élégante, portée essentiellement par les membres de la Vigie. Cette arme pouvait se manier soit comme une épée classique soit comme une double lame. Juste au-dessus de la garde se trouvait un cercle en suprastrum qui était marqué par la roue fondamentale de l’Illumination. Un grésillement résonna dans le submersible par le biais des hautparleurs postés au-dessus du commissaire. « Identifiez-vous, je répète identifiez-vous ! » crachota une voix sortant des communications du sous-marin. Bazor se rapprocha de l’avant du submersible pour prendre la parole : le Prince Belliciste allait enfin mettre fin à leur longue épopée. 466 La Genèse de l’Apocalypse Les exterminateurs, dont le gout du sang se figeait dans leur bouche comme un fade arrière-gout de bière, allaient enfin rentrer au bercail… Les compagnons étaient finalement arrivés dans un petit village loin des routes principales parcourues par les repenteurs. Ils s’étaient réfugiés au dernier étage d’un petit immeuble en pierre, à l’abri des regards indiscrets. Les six personnages avaient trouvé un emplacement facilement défendable, avec un seul accès par un escalier et une bonne vue panoramique sur la région. Le bâtiment donnait en effet sur un croisement de type patted’oie, où trois routes se croisaient. Stendiak et Amiklum avaient pris le premier tour de garde, surveillant les alentours d’un œil perçant. Zabyss et le carmin discutaient à voix basse non loin, laissant l’insongeable et Lysiris seuls dans un recoin de la pièce aussi grande que vide. L’insongeable, dont le dos reposait sur son feastpack rempli de choses diverses, en profitait pour porter sa curiosité sur la protectrice assise en tailleur à ses côtés. « … Et c’est quoi ton arme de poing ? demanda l’homme chevelu en montrant du doigt l’étrange objet qui pendait à la ceinture de Lysiris. J’en ai jamais vu des comme ça. — C’est normal elle est unique, répondit la protectrice amusée par l’intérêt que lui portait l’insongeable. C’est mon Erpetentaculatum », expliqua la dame en tendant l’arme à l’insongeable qui put alors l’observer de plus près. Ressemblant à un pistolet, l’arme stylisée faisait penser à une tête de serpent. À l’avant de cette dernière deux petits appendices étranges allongeaient l’arme d’une dizaine de centimètres. Larges de plusieurs centimètres ces derniers étaient creux. À l’arrière de la « tête » de l’arme se présentaient deux orifices, qui servaient surement à insérer les munitions dont il n’avait pas la connaissance, pensa alors l’insongeable. 467 La Genèse de l’Apocalypse « C’est une belle arme, complimenta S en rendant l’Erpetentaculatum à qui il appartenait. — Merci, sourit la dame. Mais je n’ai pas de mérite, c’est l’œuvre de l’Artisan. C’est lui qui a créé quasiment toutes les armes uniques des protecteurs. On en a tous au moins une qui nous est propre. Krag a sa poigne du Concasseur, Zabyss Écorchegloire. Stendiak a langue de Vipère et ainsi de suite, ajouta-t-elle en montrant du doigt l’anelace qui pendait à la ceinture du protecteur non loin. Ça reste entre nous, mais l’Artisan m’aimait bien, j’étais pour ainsi dire sa préférée. C’est pour ça qu’il m’a aussi forgé ma demoiselle de Béryl », ajouta la dame en tendant son épée à l’insongeable. Ce dernier la prit dans ses mains et fut surpris par la légèreté de l’arme. La demoiselle de Béryl n’avait pas de quillons et une garde presque inexistante. Cette dernière était parsemée, tout comme le pommeau, de petits minéraux allant du vert au bleu clair en passant par le jaune. Sur la partie de la lame proche de la garde, des deux côtés, était gravées de singulières formes. Elles formaient une libellule sous sa forme la plus simplifiée, à savoir le corps de cette dernière et deux paires d’ailes. Les sillons laissés par les gravures étaient gorgés d’une peinture verte qui mettait encore plus en valeur la sobre et élégante arme de la protectrice. « C’est une belle pièce, lâcha S en remettant la demoiselle de Béryl entre les mains de sa propriétaire. — Merci S, lui répondit Lysiris en remettant son arme dans son fourreau. Au fait, tu n’as pas froid en T-shirt à cette heure-ci ? » ajouta la protectrice intriguée qui se faisait du souci pour l’insongeable. Un léger sourire se dessina alors sur le visage de l’homme aux cheveux longs. « Non j’ai jamais froid, répondit l’insongeable. J’ai rien d’autre que des T-shirts dans mon sac. Chui un peu comme une vieille machine qui a pris la poussière. Dès que je fais le moindre 468 La Genèse de l’Apocalypse mouvement je me mets à chauffer comme une fournaise. Et à force de dormir par terre n’importe où chai pas on dirait que ma peau est devenue plus dure, ajouta l’insongeable sur un ton humoristique. Ma peau résiste plus aux sols gelés qu’il y a quelque temps ça c’est sûr. — Je vois », comprit la protectrice d’un air amusé. Ils continuèrent ainsi leur discussion à voix basse, tandis que le féal scrutait le lointain horizon à travers la lunette de son layavolk… Les dépravés avaient renoncé à creuser à la vue du soleil couchant et du niveau d’alcoolisation élevé de leurs frères et sœurs. Ils avaient ainsi décidé d’attendre le lendemain pour se mettre au travail. Ils venaient donc de rejoindre leurs frères et sœurs auprès du Grand Père, un récipient rempli d’espadassine à la main. Yarg, le cerveau baignant dans l’alcool, tourna alors son regard hagard vers l’écorce du grand arbre. Cette dernière donnait l’impression qu’il était centenaire, même si le veilleur savait pertinemment que ce n’était pas le cas. Son écorce était aussi épaisse que dure et était parsemée de bosses d’où naissaient de massives branches. Le veilleur essaya d’en suivre une des yeux. Son regard s’éleva jusqu’au hangar éventré, laissant ainsi entrevoir un ciel étoilé que les branches protégeaient telle une égide… Sertaklys ouvrit la porte et une odeur familière atteint directement ses narines. Du nez à sa gorge elle parcourut son être tel un corps virulent de puissance. Au milieu de l’odeur ambiante de vieille pierre traversée par les âges mais préservée des courants d’air s’accrochait en effet une odeur tenace et singulière. Cette odeur, si particulière, c’était celle d’un homme qui l’obsédait depuis trop longtemps. 469 La Genèse de l’Apocalypse Elle était fraiche et presque rêche, un tantinet épicée et étrangement structurée. Sibylline comme susurrée, ainsi que lourdement alambiqué. Elle était comme le vent de la liberté, le souffle de l’éternité. Entre impossibilité et ténacité, somptuosité et sérénité. Ensuite cuirée et cuivrée, au sang elle était sanglée. Une passion vanillée était sombrement projetée, trompant le sens aiguisé. Sur un fond de bestialité et d’acidité, se tenait enfin un cœur de pierre crevé. Ses battements isolés et dételés, supportaient patiemment le délétère enchainé. Ainsi à l’ombre des chaines entrelacées et torsadées, par le nœud coulant l’esprit était obnubilé. La pythie d’Aulan souffla doucement, projetant hors de son être ce flux de senteurs qui traversa la vitre brunie par la crasse. Elle s’allongea doucement entre les puissants pieds du lit avant d’enrouler la toile imprégnée de senteurs autour de son corps presque fiévreux… Les exterminateurs et les compagnons qu’ils avaient croisés sur leur route étaient finalement rentrés chez eux en s’engouffrant dans Point Black par l’entrée secrète. Ils avaient été personnellement remerciés par Bazor, avant que ce dernier ne parte rejoindre ses assesseurs en exil, expulsés eux aussi de leur juridiction par les rebelles. « Je vous dois une fière chandelle. J’appuierai votre demande d’intégration dans les Annales », leur avait alors promis le Prince Belliciste. Ertiam les avait ensuite pris à part pour leur faire jurer silence sur tout ce qui concernait le Rednaxela et la planque dans laquelle ils avaient rencontré le commissaire. Les exterminateurs avaient donc dû signer tactilement un document garantissant leur silence via un reporter, une petite machine directement reliée au Kamvasidereus. 470 La Genèse de l’Apocalypse Le Kamvasidereus était le nom de ce que les repenteurs appelaient plus communément « le réseau ». Fusionnant tous les anciennes technologies diverses de communication ainsi que ce qui était autrefois appelé « la toile », le Kamvasidereus était un élément indispensable à la survie de la machinerie repentrice. En effet sans cela les repenteurs ne pouvaient, entre autres, pas avoir de communications entre leurs différents bâtiments, accéder aux bases de données et échanger des messages à longue distance. Seuls quelques éléments de communication, tels que les radios à courte portée, ne faisaient pas partie intégrante du Kamvasidereus. Le réseau était divisé en différentes strates toutes sous contrôle de l’Église machiniste, qui en gardait jalousement les secrets. Après avoir salué Nadziak, les caméléons et leurs autres compagnons d’une journée, les deux exterminateurs étaient allés directement dans leurs quartiers sans passer par la case débriefing. « Je t’en foutrais moi des journées de repos comme ça ! » lâcha Azilor qui venait de s’étaler de tout son poids sur son lit. Un ricanement fatigué de Bâtard fut la seule réponse de son ami, montrant que lui aussi était abattu par cette longue journée de labeur. Azilor s’endormit ensuite en quelques secondes, ayant juste le temps de fermer les yeux… S avait continué à discuter avec la protectrice jusqu’à ce qu’il ressente le besoin de dormir. Il s’était ensuite rapidement assoupi, se recroquevillant en boule autour de son feastpack tandis que les protecteurs échangeaient leurs rôles. Lysiris était restée à ses côtés, gardant un œil sur l’homme qu’elle devait protéger au péril de sa vie. Elle fut alors aux premières loges pour assister à la descente que venait d’entamer l’insongeable, en direction du gouffre des songes… 471 La Genèse de l’Apocalypse 472 La Genèse de l’Apocalypse Set`rnalisodaxio : - Centre of Eternity / [Adlema`lniar`smiat] Il se réveilla dans une immense voute où résonnait une étrange mélodie qui rebondissait en crescendo, sur des parois onyxiennes perdues dans les abysses insondables qui l’entourait. Il regarda à ses pieds et remarqua qu’il ne pouvait même pas distinguer le sol : il était dans le noir complet. Tout à coup, au clou de la mélodie, des milliers de myriades de lumières apparurent tour à tour au-dessus de lui. De plus en plus lumineuses, elles arrêtèrent leur évolution quand un lourd silence d’un instant s’installa au cœur de la voute. Une nouvelle myriade de sources lumineuses flottantes apparue alors au niveau du sol, mettant par la même occasion en lumière sa position et ce qui l’entourait. Il se trouvait en fait en haut d’un escalier fait dans une matière ressemblant au marbre. Il était sur une plateforme carrée à peine plus large que lui. Il regarda ensuite sur les côtés et remarqua qu’une infinité de structures semblables parsemait la zone. En contrebas de sa position se tenait un enchevêtrement de formes qui déviaient les lois de la physique et se croisaient dans tous les sens. Tandis qu’il observait le spectacle s’offrant à lui, il mit le pied sur la première marche de l’escalier qui descendait vers le labyrinthe de formes et de croisements. Alors qu’il commençait doucement son ascension marche après marche, il se mit peu à peu à distinguer des semblants de chemins traçant au milieu de l’illusion géométrique ambiante. Sur ce chemin tortueux il distingua des silhouettes insondables, qui virevoltaient dans tous les sens sans aucune logique apparente. Elles étaient constituées de lignes de fumées blanches et épaisses qui se regroupaient de manière à imiter des bandes de tissu. 473 La Genèse de l’Apocalypse Les silhouettes entouraient ce qui ressemblait à un corps, occultant totalement la partie située au niveau du supposé visage. Il descendit finalement la dernière marche, arrivant au niveau des innombrables silhouettes qui se déplaçaient dans toutes les directions. Il se positionna alors à quelques mètres seulement de la myriade de formes se mouvant dans tous les sens. C’était comme si leur mouvement perpétuel formait un mur impénétrable et indivisible. C’est alors qu’une des choses, celle-ci plus brillante que les autres, arriva par un des côtés du cortège. Cette dernière passa à la lisière du mouvement perpétuel. Les silhouettes laissaient un espace vide tout autour de la lumineuse silhouette, prenant bien soin de rester à distance. Il en profita et se mit à talonner instinctivement ses traces. Il essaya de suivre la cadence rapide de la silhouette entourée d’un halo de mystère, tandis que les formes gazeuses tout autour continuaient à leur ouvrir le passage. Ces dernières se poussaient au dernier moment, les volutes blanches faisant place au vide absolu. Il suivit ainsi la silhouette sur une distance qui lui parut infinie. Tous deux suivaient une trajectoire qui semblait aléatoire, allant tout droit pour soudainement bifurquer vers un chemin où moins de formes circulaient. C’est lors de ce long et étrange périple qu’il fut attiré par une forme singulière qui semblait l’observer sur sa gauche. En effet, l’espace d’un instant il crut distinguer un visage qui lui était familier sous une couche de volutes en mouvement. Il n’eut pas le temps de corroborer ou d’infirmer son hypothèse. En effet ce qu’il pensait être une figure disparu rapidement dans la masse monochrome les entourant. Il se pressa alors pour rattraper la silhouette immaculée qui commençait à le distancer. Ils arrivèrent rapidement devant un petit dôme qui ne semblait avoir aucune ouverture vers l’extérieur. 474 La Genèse de l’Apocalypse Les volutes blanches à l’allure humanoïde en faisaient frénétiquement le tour, dans un flot infini de mouvements d’énergie. La silhouette immaculée se rapprocha du dôme jusqu’à y être presque collé. Il s’engouffra alors dans l’espace laissé par les enroulements d’énergie blanchâtre. Ils se mirent à leur tour à longer la paroi du dôme, mais moins rapidement que les autres silhouettes. Ils firent ainsi le tour de la forme un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce qu’un trait de lumière apparaisse sous leurs yeux. Lui et la silhouette immaculée s’arrêtèrent alors dans leur course, une petite ouverture éclairant faiblement la zone depuis l’intérieur du dôme. La silhouette immaculée se rapprocha alors de l’ouverture, essayant frénétiquement de passer de l’autre côté de cette dernière qui était trop petite pour elle. L’ouverture en question s’ouvrit alors petit à petit, tandis que les autres silhouettes tenues à distance tournoyaient tel un orage enfermé dans une boite. Un court temps plus tard, la silhouette put finalement s’engouffrer à l’intérieur du dôme. Il la suivit de près, l’ouverture se refermant aussitôt derrière eux. Il put alors contempler la source du halo, un étrange globe qui répandait sa lumière depuis sa position au centre du dôme. La silhouette immaculée se tourna alors vers lui ; et le son d’une voix chaude mais monocorde s’immisça dans son âme. Set`rnalisodaxio Ste das kiadoreon nu oxiod ` das Seli, d`l oruburos nu Stadaxio. Set`rnalisodaxio Ste d`s faros ot das kranor`l n`s odolas. Set`rnalisodaxio Ste omnisiat e d`l aslethaai l`s Ste indix. Set`rnalisodaxio Ste d`s voniax `das postos, d`l atiaxe lot falixire a oulan`k ` tixir das meli. Jalas Set`rnalisodaxio das meli n`l Ste k`l Shaxio oscuro d`l Set`rnalisonas tiamas dneax, das anish ` das ox oloxos. 475 La Genèse de l’Apocalypse La silhouette se retourna alors d’un brusque mouvement dans l’autre sens, avant de se précipiter vers le globe lumineux. Cette dernière se fondit dans la lumière de la forme sphérique et alors que les deux entités fusionnaient, un immense halo de lumière envahit toute la zone alentour. Son être fut alors empli par l’éternité, et le serpent se mordit la queue… 476 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 17 : Lies and Mystery / Hematic Pact / Death and Memory / [15 Cruciamentum an 13 ; Terre] S ouvrit ses paupières, réveillé par la lumière du jour. Les cinq protecteurs étaient déjà debout à ses côtés, guettant les alentours et discutant à voix basse. « Ah le voilà réveillé, lâcha Amiklum en voyant l’insongeable se lever. — Salut tout le monde. Qu’est-ce qui se passe ? questionna-t-il alors que le féal était concentré à scruter l’horizon. — Y a du mouvement dans le coin, les repenteurs ont l’air agités. Depuis presque une heure on voit des convois passer dans tous les sens. — Merde », jura S. L’idée d’être pris au piège en plein milieu d’une bataille entre les repenteurs et les perfides ne lui plaisait pas trop. « Qu’est-ce qu’on fait du coup ? — On attend, répondit Krag. Pour le moment on garde profil bas et on reste en observation. On n’a pas trop d’autre choix, on peut pas tenter un truc maintenant ça serait trop dangereux. » L’insongeable acquiesça et repartit au fond de la pièce. Il ouvrit son feastpack, un genou à terre, pour prendre un nouveau T-shirt dans son sac. Il tomba sur un T-shirt de Massacre représentant l’album « From Beyond », qui n’avait pas perdu une ride. Il enleva alors son T-shirt Megadeth et allait enfiler l’autre quand il remarqua que Lysiris l’observait à la lisière de son champ de vision. À la vue des deux cœurs de lys côtoyant son amulette serpentine, la protectrice s’écroula à genoux devant l’insongeable torse nu. S comprit rapidement et emporta les deux cœurs de lys hors du contact froid de sa peau pour les amener devant son visage. 477 La Genèse de l’Apocalypse « Qui ? » arriva finalement à articuler la protectrice qui semblait avoir du mal à cacher ses sanglots. Les deux étranges amulettes sous les yeux, l’homme n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait dire, lui qui était si maladroit dans les situations délicates. « Une pièce a deux faces, mais une seule tranche. Un temple a deux colonnes, qui se suivent quand il flanche », souffla-t-il finalement comme s’il avait le poids de la Terre sur les épaules. À la récitation de l’apophtegme des jumeaux stoïques, la protectrice resta sans bouger pendant de longues secondes, sous le choc. Elle s’approcha alors de l’insongeable, pour faire glisser ses doigts sur les plaques froides comme on caressait un visage. S se plongea alors dans ses lentilles vertes. La lumière se reflétait dans ces dernières et les faisaient miroiter, donnant l’impression que la dame avait la larme à l’œil. « Où… articula la protectrice avec difficulté, sont-ils tombés ? — Plus au sud sur la Côte d’Azur, je suis désolé. Nous leur avons rendu les derniers hommages dans la forêt, ils reposent en paix. Ils sont morts pour moi j’en suis conscient, ajouta l’insongeable les yeux brillants. Quand tout ceci sera fini j’irais leur rendre l’honneur qu’ils m’ont accordé ; à eux et à tous les autres tombés en mon nom dans la gloire ou l’oubli. Je te le promets, tu viendras avec moi et tous les deux, nous perpétuerons le souvenir. » La protectrice rapprocha son heaume su visage de l’insongeable pour que leurs deux fronts se touchent dans une rencontre entre chair et acier. Elle lui serra fort les cheveux de sa main posée à l’arrière de sa tête puis reprit difficilement la parole. « Merci, lâcha-t-elle sincèrement. Excuse-moi », parvint-elle à prononcer avant de s’éclipser à l’autre bout du bâtiment. Alors que Lysiris laissait S seul avec sa conscience, le toucher froid de la mort restait gravé sur son front tels une réminiscence, un spectre à la fois éternellement absent et fondamentalement présent. 478 La Genèse de l’Apocalypse Il se perdit alors une nouvelle fois dans ses pensées, attendant que les repenteurs et les perfides aient fini leur partie de cachecache dans la région… Sertaklys se réveilla sous un soleil de plomb, une impression d’accomplissement dans le cœur. Elle sortit du lit un sourire aux lèvres et ouvrit la fenêtre de la pièce. La pythie prit une grosse bouffée d’air frais alors que la brise matinale s’immisçait dans ses narines. Son regard se porta sur ses frères et sœurs qui apprenaient à manier l’épée aux tributaires libres cohabitant maintenant avec la tribu. Sertaklys se réjouit de l’image d’espoir que renvoyait un tel spectacle. Elle resta ainsi un certain temps le visage au-dessus de la fenêtre, observant le spectacle entrecoupé de tintements métalliques… Les deux amis de toujours venaient de prendre une douche brulante dont ils avaient apprécié chaque seconde. « J’espère qu’on va pas partir en mission aujourd’hui, lâcha Bâtard en sortant de sa douche emplie de volutes de chaleur une serviette autour de la taille. — Je suis totalement d’accord avec toi. Un jour de repos nous ferait le plus grand bien », ajouta Azilor alors qu’un léger sourire se dessinait sur son visage. À ce moment précis, un bruit de pas métallique apparut dans le champ de perception auditif des exterminateurs et se dirigea à toute allure dans leur direction. Azilor et Bâtard comprirent aussitôt que cela les concernait et se pressèrent pour faire face au nouveau venu. C’était un exterminateur de vermeil. « Repos, lâcha-t-il promptement alors que les deux soldats le saluaient. L’exterminateur de céruse Regodium vous demande, commença-t-il. Immédiatement ! » 479 La Genèse de l’Apocalypse Sur ces mots, l’exterminateur disparut de leur champ de vision pour se perdre à nouveau dans les couloirs tortueux de Point Black. Azilor et Bâtard croisèrent leurs regards et se comprirent tous deux aussitôt. En effet ils s’étaient réveillés à l’aube en oubliant complètement Regodium à qui ils n’avaient toujours pas fait leur rapport concernant leur dernière mission. « Merde ! » jura Azilor. Les amis de toujours se mirent alors à courir dans tous les sens, se préparant au plus vite pour ne pas faire poiroter une minute de plus l’exterminateur de céruse qui devait les attendre de pied ferme… Les dépravés et les frères s’étaient presque tous réveillés avec une gueule de bois quand l’aube leur avait ouvert les yeux de force. Tandis que la plupart reprenaient leurs esprits, Yarg Onex et Nonag étaient repartis à toute vitesse vers l’étrange chose qu’ils avaient vue la veille au soir, des outils sous les bras. Les trois dépravés étaient rapidement arrivés à l’endroit où la dépression se trouvait et comprirent que quelque chose s’était passé pendant la nuit. En effet c’était comme si le sable avait été remué. Les deux veilleurs remarquèrent aussitôt que des traces partaient de la zone pour se perdre dans la mer. Yarg s’agenouilla près d’une de ces dernières et resta perplexe. En effet, le va-et-vient de la mer en avait adouci les formes, de manière à ce que le veilleur ne puisse pas reconnaitre à qui ou quoi elles correspondaient. « Merde, c’est quoi ça ?! lâcha Nonag à la vue des étranges traces. — On n’a plus qu’un moyen de le savoir, répondit Onex en se relevant. Il faut creuser et découvrir ce que nous cache cet étrange endroit. » Les trois guerriers se mirent alors à la tâche, sous le regard vivifiant du soleil levant… 480 La Genèse de l’Apocalypse Les deux exterminateurs attendaient dans l’antichambre décorée de nombreuses et exotiques armes. Bâtard s’attarda ainsi sur une lame qui semblait vieille mais toutefois religieusement conservée. Son doigt ganté glissa le long de la gouttière de l’épée frappée du sceau des apostats. Ce sceau était apposé ou parfois même gravé, entre autres, sur les armes auparavant utilisées par des repenteurs ayant renié leur foi. Cette arme était ainsi considérée comme hérétique et de son maniement pouvait découler de lourdes sentences pouvant aller jusqu’à la mort. Un bruit de porte se fit alors entendre et Regodium les fit entrer dans son bureau. Azilor ouvrit sa bouche pour s’excuser mais l’exterminateur de céruse fut plus rapide. « Dans d’autres circonstances, je vous aurais mis au trou pour quelques jours pour votre oubli de compte rendu. Mais au vu de vos actions au cours de toute la journée d’hier, je serai plus indulgent. En effet, grâce à vous la réputation du Fulgurastra a grandi suite au sauvetage du Prince Belliciste Bazor. Il m’a d’ailleurs fait lui-même part de son respect envers notre institution. Il m’a aussi fait part de son désir de faire une demande pour vous deux pour une intégration dans les Annales, ce que je vais faire. » Les deux exterminateurs sourirent alors intérieurement de fierté. Une intégration dans les Annales était la consécration pour n’importe quel repenteur, lui permettant de rentrer dans la postérité et de laisser une trace derrière lui. « Merci pour votre clémence, remercia Azilor au nom des deux exterminateurs. — Pas de quoi. Mais en échange vous allez devoir me raconter ce qui s’est passé hier et ce dans les moindres détails, demanda Regodium une étrange pointe de légèreté dans la voix. — Avec plaisir », répondit Bâtard. 481 La Genèse de l’Apocalypse Les deux amis amorcèrent ainsi le récit de leur épopée, tandis que de nombreux hélicoptères continuaient d’arriver de la région marseillaise pour trouver refuge à Point Black… Amiklum et le féal venaient d’apprendre la triste manière par laquelle les jumeaux étaient tombés quelques jours auparavant sur la Côte d’Azur. « Bon, commença l’inébranlable après avoir pris une grosse bouffée d’air. Tant qu’à faire autant tout se dire à ce sujet, comme ça on sera fixé. » Les autres protecteurs comprirent ce qu’il sous-entendait et acquiescèrent tandis que Stendiak gardait un œil attentif sur l’horizon incertain. « Quand je suis parti du Nid du casseur d’os j’étais seul, commença Amiklum. À part vous, j’ai croisé personne d’autre. — Moi j’ai juste croisé Stendiak, ajouta à son tour la protectrice. On a ensuite fait route ensemble jusqu’à vous croiser. — Moi j’ai croisé un de nos frères avant de tomber sur Lysiris, poursuivit le féal. C’était Danaxios le délétère, notre 15ème frère. Il était en train de se battre contre une compagnie entière. Je suis venu lui prêter main-forte et on en est finalement venu à bout. Après on s’est séparés pour brouiller les pistes. Je l’ai jamais recroisé depuis, mais j’espère qu’il se porte bien. — Moi j’ai passé quelques jours avec Odonoan le résilient, notre 39ème frère. On s’est perdus lors d’une bataille et je l’ai pas revu depuis. Je n’ai pas non plus repéré son signal. J’espère qu’il n’est pas tombé au combat, sinon je ne pourrais jamais me pardonner de l’avoir laissé derrière moi. J’avais pas le choix, un bataillon était en train d’encercler la zone », conclut Krag avec du remords dans la voix. Un silence s’installa alors quelques secondes, avant que Zabyss prenne à son tour la parole. — Moi c’était Anthos. Comme vous, je l’ai perdu lors d’un combat. Je suis revenu sur mes pas mais je l’ai jamais retrouvé, alors moi aussi je ne peux qu’attendre et croiser les doigts pour notre 32ème frère. » 482 La Genèse de l’Apocalypse Les quatre protecteurs et la protectrice soufflèrent un bon coup. Ça aurait en effet pu être pire, même si le doute subsistait. L’insongeable n’aurait pas aimé être à leur place : devoir garder tant de choses sur la conscience et porter un tel poids sur ses épaules ! S comprit qu’ils avaient besoin d’un peu de calme et décida de les laisser tranquilles. Il alla se poser dans un coin et ressortit son jalon de l’éveil de son sac. Il était conservé dans une sorte de tube en bois en deux parties, qui se dévissait pour laisser place à un papier enroulé. Sur ledit tube en bois était gravé à quatre endroits le chiffre un en numérotation romaine. Il était assez sobre et semblait avoir été verni d’une étrange manière. L’insongeable continua ainsi sa contemplation en silence, laissant aux protecteurs le temps d’avaler la cruelle pilule rouge… Ils avaient creusé jusqu’à arriver sans résultat au niveau du sable humide et gorgé d’eau. Les trois dépravés s’étaient alors résignés : il n’y avait rien ici à part d’étranges volutes qui semblaient sortir du ventre de la terre elle-même. Déçus, ils étaient en train de reboucher le trou lorsque le vent leur porta un bruit pétaradant que Yarg reconnut aussitôt. C’était les dons of brutality, sans doute de retour d’une de leurs chevauchées sans fin. L’estafette se réjouit de cette nouvelle. Malgré leur idéologie qui n’était pas totalement compatible avec celle des dépravés, les dons étaient de terribles guerriers qui avaient un véritable sens de l’honneur. Yarg savait que leur retour auprès des frères et de leur tout nouvel arsenal fraichement acquis grâce à l’aide des dépravés allait être bénéfique pour sa tribu, d’une manière ou d’une autre. Le dépravé, tout de même profondément frustré de ne pas avoir retrouvé les corps des membres de sa tribu, 483 La Genèse de l’Apocalypse se tourna vers ses deux confrères du val Masqué qui ne comprenaient pas la situation. Il fit alors signe aux dépravés pantois de s’asseoir sur le sable et débuta alors le commentaire de Yarg sur les dons of brutality du Tonnerre mécanique, tandis que les vagues continuaient à déferler mollement sur une plage où atterrissait ce que la mer ne pouvait garder… Les compagnons avaient repris leurs discussions à voix basse après un silence pendant lequel S s’était une nouvelle fois perdu dans ses pensées. Ainsi l’insongeable discutait au fond de la pièce avec Amiklum, qui venait de laisser Zabyss prendre son tour de garde. « … Je sais pas si l’univers s’étendra à l’infini où s’écrasera sur luimême, mais ce qui est sûr c’est que la race humaine suivra. Dans tous les cas mon esprit préfère la première hypothèse. — Des fois S tu me fais peur, lâcha Amiklum qui cachait un léger sourire sous son heaume. — Mais il a raison », intervint Krag non loin. Une explosion toute proche lui empêcha de finir sa phrase, l’onde de choc propulsant dans les airs la couche de poussière les entourant. « Merde c’est quoi ce bordel ? » beugla l’inébranlable en faisant signe à l’insongeable de reculer dans un coin de la pièce. Alors que les compagnons s’écartaient des fenêtres, le féal qui d’habitude ne ratait jamais rien se fustigeait lui-même. « J’ai rien vu, merde ! Ça devait être une bombe ou un truc dans le genre, j’ai pas remarqué de mouvement dans le coin. — Ça venait de la façade sud du bâtiment. Là où il n’y a pas de fenêtres », remarqua Lysiris. Un rapide échange de tirs se fit alors entendre, tandis que Krag faisait signe de garder profil bas. Quelques explosions moins puissantes, surement des grenades, pensa alors l’insongeable, parsemèrent le bref échange de coups de feu. 484 La Genèse de l’Apocalypse Un silence s’installa alors lourdement tandis que Lysiris surveillait l’escalier à l’arrière du bâtiment, où virevoltaient de nombreuses particules brouillant le champ de vision des compagnons. Une silhouette sortit alors de nulle part en arrivant en courant par les escaliers. Lysiris tira aussitôt de son étrange arme de poing, avant même que l’insongeable ne remarque cette dernière. Ainsi, deux étranges tiges barbelées se fichèrent au niveau du cou de l’homme dont le camouflage simpliste mais malgré tout efficace laissait deviner qu’il était un perfide. L’insongeable, surpris par le tir de la protectrice, regarda l’homme s’écrouler mollement par terre. Ce dernier venait de s’écrouler par terre la tête la première, étonné et dans l’incapacité de réagir sous l’effet des tiges de métal qui le tiraillaient à chaque contraction de ses muscles. Lysiris sortit ensuite en vitesse deux autres tiges qui étaient accrochées à un bracelet de cuir entourant à son avant-bras gauche. Alors que la protectrice s’agenouillait pour arracher sèchement les tiges mortelles du cou de l’homme dans une giclure de sang, les protecteurs surveillaient la zone leurs doigts près de la gâchette. Le vent fit alors s’engouffrer une odeur dans le bâtiment, qui monta les escaliers et passa la barrière de cuirasses de trinitium pour finalement arriver aux narines de l’insongeable. Ce dernier la reconnut aussitôt comme celle de la chair fraichement brulée. « Zabyss avec moi ! On va voir si la zone est sûre. Restez à l’affut », lâcha le carmin un de ses canons radius redspray à la main. Krag et le flamboyant sortirent ainsi en trombe de l’escalier en couvrant les angles, tandis que les autres protecteurs les couvraient depuis le premier étage du bâtiment. Devant eux se tenait une route qu’une grosse explosion avait considérablement endommagée, juste à côté du bâtiment où les compagnons avaient passé la nuit. Des membres étaient éparpillés en grand nombre autour du point d’explosion dont l’épicentre se trouvait juste au bord de la route, 485 La Genèse de l’Apocalypse en face du bâtiment d’où la lunette de Stendiak gardait un œil sur Krag et Zabyss. Ce dernier mit un genou à terre près d’une jambe réduite en charpie. Il reconnut avec étonnement la tenue atypique en involucrum que portaient normalement les caméléons. Il se releva et regarda sur sa gauche. Zabyss attira son attention sur le pendentif qui pendait accroché à son l’arme dentelée. « L’insigne de la pomme pourrie. C’est bien des perfides qui sont morts ici », en déduisit le protecteur en tournant sur lui-même à la recherche de survivants. Certains corps semblaient avoir été amochés autrement que par l’explosion, par armes radius pour la plus grande partie. Ils étaient donc tous morts sauf celui que Lysiris avait tué ? Se demanda le protecteur perplexe en s’approchant un peu plus du cratère béant. La probabilité pour qu’un combat se solde par un match quasi nul était très faible, voire inexistante. C’est à ce moment précis que le layavolk du féal aboya sans prévenir. Krag et le flamboyant se retournèrent brusquement vers le nordest et virent une silhouette à peine visible s’écrouler à terre. Alors que du sang s’échappait d’un buste sans tête, Krag comprit que celui qui venait de se faire exécuter par Stendiak était un caméléon qui avait tenté de s’esquiver de la zone de combat. « On a de la visite ! » s’exclama Zabyss. Krag plissa les yeux et put distinguer que plusieurs véhicules venaient d’apparaitre à la limite de leur champ de vision, au détour de la lisière d’une forêt à plusieurs centaines de mètres de la position des compagnons. « Merde ! jura le carmin en faisant signe à Zabyss de remonter dans le bâtiment où se trouvait le reste des compagnons. — On fait quoi maintenant ? demanda l’insongeable tandis que les deux protecteurs rejoignaient leurs confrères au premier étage. 486 La Genèse de l’Apocalypse — Y a apparemment plus de survivants de l’escarmouche qui vient d’avoir lieu. C’était des perfides contre des repenteurs. — Un convoi de véhicules se dirige vers notre position, ajouta Stendiak qui avait toujours son œil sur sa lunette. Ce ne sont pas des repenteurs en tout cas. — Ça doit être des bérets noirs, comprit Amiklum. Ils sont neutres avec les repenteurs, et ils n’ont surement aucune idée de ce que nous sommes. — Hum, on peut pas en être sûr. Mais on peut faire jouer cet atout. C’est en tout cas notre meilleure option si on veut se faufiler hors de ce piège qui se referme sur nous, dit à son tour le carmin. — Mais comment on va faire ? demanda Zabyss qui s’impatientait. — J’ai peut-être une idée », lâcha la dame pas totalement sûre d’elle. Les regards se tournèrent vers la protectrice et cette dernière amorça rapidement son explication, tandis que les bruits de moteurs ronronnaient déjà dans les oreilles des compagnons… Zagor avait été convié à l’hôtel particulier des frères pour rencontrer les dons du Tonnerre mécanique. Il avait tenu à emmener Silith avec lui, car nombreux des siens étaient morts pour l’arsenal que pouvaient maintenant s’offrir les bikers. Deux dons lui avaient fait signe d’entrer dans une salle où l’attendait son comité d’accueil. Il franchit ainsi le pas de la porte, Silith à sa droite. Zagor reconnut aussitôt tous les visages présents dans la salle. Il y avait en premier lieu les trois premiers frères, ainsi que Yuriy. Hormis sa tenue de biker et la fougue qui émanait de sa personne, la ressemblance avec ses frères était frappante. À ses côtés se tenait Xavnax, le Daeminent du Tonnerre mécanique. 487 La Genèse de l’Apocalypse La partie gauche de son visage était clairsemée de traces de brulures tandis qu’une longue cicatrice partait de son sourcil droit pour terminer sa course au niveau de sa mâchoire. Il était chauve et une moustache surmontait ses lèvres. Le Resident of Vice, c’est-à-dire le numéro 2 du chapitre, était aussi dans la salle, aux côtés d’Amadius. Il se nommait Vixanderk et avait une terrible réputation. Sa peau d’un ton mat était clairsemée de tatouages, principalement au niveau du cou et des avant-bras. Surnommé barbe de fer par ses compères, entre autres à cause de sa longue barbe grise tenue par des fils de fer, il dégageait une aura de terreur mêlée de respect. « Bienvenu parmi nous », salua le plus vieux des frères. Les deux dépravés répondirent rapidement, avant qu’on ne leur fasse signe de s’asseoir à la grande table dépliée pour l’occasion. « On est désolé pour votre tribu, amorça aussitôt la voix d’alcoolique de Xavnax en direction de Zagor. — Et pour celle de votre amie », ajouta le Resident of Vice du chapitre en direction de Silith qui ne se sentait pas dans son élément. Un sourire se dessina alors sur son visage en guise de timide remerciement. « Nous sommes conscients de votre sacrifice, qui vous a presque exterminés. Sans parler du nombre de repenteurs que vous avez tué, le matos que vous nous avez permis d’acquérir est inestimable. Et sachez que, même si nous n’en avons pas l’air, nous n’oublions jamais rien. — N’oublie pas ; ne pardonne pas ! scanda Xavnax. Ceci est précisément notre précepte, notre didagmaima. — Cela vaut pour nos ennemis mais aussi pour nos alliés, continua Vixanderk. Là où nous voulons en venir c’est que nous savons que ce coup dur vous a presque été fatal. Demandez-nous ce que vous voulez, et nous ferons de notre mieux pour vous aider. » 488 La Genèse de l’Apocalypse Zagor fut alors surpris de ce que venait de lui dire le membre des dons, qui semblaient au premier abord peu enclins aux relations amicales. « Avez-vous des relations, amies ou ennemies, avec d’autres tribus dépravées ? demanda alors sans réfléchir le veilleur. — Non aucune, même pas un accrochage. Nos bécanes doivent les avertir des kilomètres à la ronde, et pour être honnête je crois qu’on leur fait un peu peur. — Hum, merci. Quelle est la zone d’activité de votre fratrie ? Vous pourrez peut-être nous aider, pensa alors le veilleur. — Hum, commença calmement barbe de fer. Les dons sont des nomades de la route. Nous ne restons jamais longtemps au même endroit, même si nous repassons souvent par des points de passage importants, comme ici. Le Tonnerre mécanique se déplace et reste toujours loin des zones remplies de repenteurs. Pour faire simple on ride dans une zone comprise entre les Pyrénées, les Alpes et le Massif central. Mais pourquoi cette question ? » Zagor prit une grande respiration, et commença à expliquer aux dons of brutality de quelles manières ils pourraient aider les dépravés… Le pari était risqué mais avait le mérite d’être culotté, avait tout de suite pensé S quand la protectrice leur avait proposé son plan, qu’ils avaient tous rapidement accepté. Tandis que les véhicules s’approchaient de la zone où étaient étalés de nombreux cadavres, S espérait que le bluff allait marcher. En effet l’insongeable avait été déguisé à la hâte en perfide, et portait ainsi un long manteau à capuche presque entièrement recouvert de branchages et autres épis de blé. Son armement était ainsi camouflé à la vue de tous. Il portait aussi l’insigne de la pomme pourrie que Zabyss avait pris sur un cadavre peu de temps auparavant. 489 La Genèse de l’Apocalypse Capuche sur la tête auprès de trois des compagnons, il avait été ligoté rapidement avec de la ficelle pour être sûr que la supercherie ait l’air réaliste. Le flamboyant et Krag attendaient quant à eux au bord de la route leurs armes bien en vue. Tandis que les véhicules passaient à côté d’un petit étang au bord de la voie, les deux protecteurs levèrent leurs armes bien haut pour montrer aux soldats qu’ils étaient amis. Face à eux, les trois véhicules ralentirent rapidement. Une main se leva à l’avant du premier véhicule, faisant signe aux autres de ne pas tirer. Tandis que ces derniers s’approchaient un peu plus, Krag put reconnaitre qu’il s’agissait de simples rollersmokers et d’un skitnik 45 colorés de manière à imiter un camouflage forestier. Ils s’arrêtèrent à une dizaine de mètres des deux protecteurs les armes à la main. Sur leurs véhicules étaient peintes des croix bourbonne qui représentaient le duché Charbonneux. La croix bourbonne était formée par quatre paires de francisques tournées vers l’extérieur qui, mises côtes à côtes, donnaient la forme d’une croix. Une portière s’ouvrit alors devant les deux protecteurs qui allaient essayer de se faire passer pour des marcheurs. Un gradé en sortit, son famav à la main. Il portait une tenue militaire classique de type camouflage léopard. Comme ses congénères, il portait un béret noir et l’insigne à droite. Arrivé à la hauteur des deux protecteurs, il salua Zabyss et Krag. Ces derniers répondirent d’un bref mouvement de tête, avant que l’homme ne prenne la parole. « Je suis le sergent noir Daguerre, du duché Charbonneux. » Krag hésita une seconde avant de se présenter. « Krag et Zabyss, nous sommes des paladins. — Vous devez être des marcheurs mais je ne reconnais pas votre héraldique. Qui servez-vous ? » 490 La Genèse de l’Apocalypse La question déstabilisa le carmin, qui mit plusieurs secondes à répondre. « Officiellement nous n’existons pas. Nous sommes un commando de marcheurs du néant, sous les ordres directs de l’Iris du néant. Appelez-nous simplement la Maussade, mais gardez ça pour vous. » Le sergent acquiesça et reprit la parole. « Que s’est-il passé ici ? — Nos forces chassent les perfides dans la région et ici ils attendaient qu’on passe pour nous prendre en embuscade. On est arrivé après le combat. Il n’y a pas de survivants. — Et vous que faisiez-vous dans le coin ? demanda Krag. — Nous étions… commença l’homme, en patrouille. — Je vois. Je suis conscient que ce n’est pas très professionnel, mais allez-vous vers Vichy ? Notre véhicule a été détruit plus au sud, et nous devons à tout prix remonter un prisonnier vers le nord. » Le sergent se sentit embarrassé, mais Krag comprit rapidement que les repenteurs avaient l’ascendant sur les bérets noirs. « Un prisonnier dites-vous ? Je ne vois personne d’autre que vous. » Krag se tourna vers le bâtiment derrière lui, et fit signe aux compagnons de descendre. C’était le moment de vérité, pensa alors l’insongeable qui ne voyait quasiment rien sous sa capuche. Le sergent Daguerre fut alors surpris de voir quatre silhouettes sortir du bâtiment, dont une était en fait l’insongeable grimé à la hâte. « Je vois, comprit le sergent. Où voulez-vous allez précisément messieurs ? — Déposez-nous aux portes de Vichy, ce sera déjà un gros coup de pouce de votre part. Après on se débrouillera. — D’accord, acquiesça le soldat qui s’attendait apparemment à pire. Montez dans le skitnik 45, on va vous amenez à votre destination. Mais je vous préviens, ne passer pas par l’enceinte. 491 La Genèse de l’Apocalypse — D’accord pas de soucis. Merci sergent, nous vous devons une fière chandelle. » Sur ces mots, le sergent échangea quelques mots avec ses hommes et remonta dans son rollersmoker. Les compagnons se dirigèrent alors vers l’arrière du groupe de véhicule, où les attendait leur taxi. S croisa le regard d’un soldat avant de passer derrière le skitnik 45. Il faisait le fier, mais l’insongeable comprit que cette fierté cachait une peur juvénile et profonde. Krag monta le premier, tout en se demandant pourquoi des soldats trimbaleraient un véhicule de transport sans hommes à l’intérieur. Zabyss tapa finalement sur le toit du véhicule pour faire signe au conducteur qu’il pouvait partir. Ainsi les compagnons partirent en direction de Vichy en passant à côté d’un étang en bord de route, tandis que les deux autres véhicules continuaient leur route dans le sens opposé. L’insongeable souffla un bon coup. Ça a marché ! s’exclama-t-il intérieurement. Du moins pour le moment, ajouta son subconscient toujours sur ses gardes… Lergoragor avait eu pour la première fois l’impression d’avoir un lien direct avec la nature. C’était arrivé à l’aube, lorsque le tigre gris qui était presque devenu son compagnon était venu à ses côtés et avait plongé ses yeux dans les siens. Lergoragor avait alors eu l’impression de lire dans les pensées du tigre gris comme s’il passait par le miroir de son âme, comme si un pont s’était créé entre son esprit et celui de l’animal. Le maitre des bêtes avait alors compris qu’il devait rentrer dans son antre. Il était ainsi assis sur son trône, pas encore tout à fait habitué à cette posture, quand un animal arriva silencieusement à l’intérieur du bâtiment par une fenêtre quasiment bouchée par la végétation. 492 La Genèse de l’Apocalypse C’était une chouette hilote. La créature se posa sur le bras de Lergoragor au niveau de son poignet. Ses serres empoignèrent le dépravé, qui amena la chouette au niveau de son visage. Derrière son regard qui semblait l’observer d’un air curieux, la chouette semblait dégager une étrange sensation de tristesse. Le maitre des bêtes se plongea dans les yeux de l’animal et l’évidence frappa son esprit. Il en déduit ainsi par lui-même et sans vraiment savoir comment que des animaux du val Masqué ayant survécus à l’attaque des repenteurs fuyaient vers la zone de l’enfer Verdoyant. Lergoragor fit comprendre à la chouette que les êtres égarés étaient les bienvenus dans l’enfer Verdoyant. L’oiseau lâcha alors sa prise sur le poignet du dépravé puis s’envola rapidement hors du champ de vision de Lergoragor. Le maitre des bêtes resta alors sur son trône, attendant que la nature lui trouve une nouvelle utilité… Après avoir raconté leur épopée à leur supérieur, les deux exterminateurs étaient repartis dans leurs quartiers pour profiter de leur journée de repos. Ils avaient alors croisé Crepitus, lui aussi de retour d’une mission qui avait duré jusqu’à l’aube. Ce dernier les avait alors invités à boire un coup dans un endroit que les deux amis de toujours ne connaissaient bizarrement pas encore. C’était le Crests’ Lair, un bar assez conséquent qui se terrait au cœur de Point Black, occulté aux incultes mais connu par les initiés. Azilor et Bâtard se demandaient pourquoi on ne leur avait pas parlé de cet endroit plus tôt lorsqu’ils arrivèrent en face de ce dernier. Le Crests’ Lair commençait par un large espace au rez-dechaussée sur lequel s’étalaient de nombreuses tables en pierre, 493 La Genèse de l’Apocalypse autour desquels discutaillaient et buvaient de nombreux soldats assis sur d’inébranlables blocs de la même matière. S’ajoutaient ensuite à la structure quatre étages collés à un mur d’où d’énormes vitraux éclairaient les alentours. Plus on montait, plus les grades étaient élevés. Les trois exterminateurs étaient ainsi cantonnés au niveau le plus bas, réservés aux non exterminateurs et aux exterminateurs les moins expérimentés et gradés. Les guerriers enlevèrent leurs casques puis les posèrent sur la table. Azilor posa alors son regard sur son ami de toujours et le visage de ce dernier lui rappela le jour où l’exterminateur avait rencontré son fidèle compagnon pour la première fois. Bâtard avait un visage typiquement afro-américain, de fins sourcils supportant une étrange paire d’yeux d’un bleu profond. Il était chauve, son visage assez rond. Bâtard était sur ce point l’antithèse de son ami Azilor dont le visage était plutôt fin, voire squelettique. Blanc et presque blême, il était doté d’une paire d’yeux noirs qui semblaient rester éternellement écarquillés. D’épais et sombres sourcils surmontaient les deux gouffres ancrés dans son visage, de la même couleur que ses courts cheveux épars et parsemés d’épis. Crepitus avait quant à lui un visage assez rondouillard et bronzé, doté de pommettes parcourues de cicatrices. Ses yeux couleur noisette étaient enfouis au creux de son visage, coincés entre de longs sourcils et une bouche assez fine. Le visage de l’exterminateur se tourna alors brusquement vers la gauche. C’était Trinker qui venait les rejoindre. Le visage de ce dernier était aussi rouge que celle d’un pilier de comptoir et ses yeux vert clair pétillaient de malice. Il s’assit à leur côté et posa son heaume sur la table froide avant de saluer ses confrères. « Bibax est pas avec toi ? » demanda Azilor étonné. 494 La Genèse de l’Apocalypse Trinker soupira en guise de réponse, avant que Crepitus ne prenne la parole en essayant d’intérioriser une tristesse soudaine. « Il est tombé lors d’un combat à nos côtés y a moins de vingtquatre heures, commença le soldat. La journée a été dure. C’est pour ça qu’on est là, pour boire en son honneur. — Merde. On est désolé pour vous les gars, lâcha Bâtard en essayant de consoler comme il le pouvait les deux exterminateurs. — Merci. On peut pas le ramener, mais on peut se débrouiller pour pas l’oublier. C’est pour ça qu’aujourd’hui on va se bourrer la gueule ! » Les deux amis accueillirent à bras ouverts cette initiative, une pointe de tristesse dans le cœur. Les quatre exterminateurs préparent ainsi leurs gosiers et leurs foies pour une journée qui s’annonçait longue et ensoleillée… Les compagnons étaient à l’arrière du véhicule, admirant le paysage en espérant que leur plan allait marcher jusqu’au bout. Ils devaient être à mi-chemin, pensa Krag qui scrutait l’horizon à la recherche de convois repenteurs. Il n’en avait vu que quelques-uns pour l’instant et à distance respectable, ce qui rassurait le protecteur dans sa lourde et singulière cuirasse. S à ses côtés semblait crispé, son sac sous sa tenue lui bossant légèrement le dos. Sa malchance malmenait souvent son calme pourtant à toute épreuve et il était à ce moment précis à l’affut d’un coup de poisse du destin. Tandis que le soleil se rapprochait doucement de son zénith Krag espérait, au nom de tous les compagnons, que la malchance de l’insongeable ainsi que les repenteurs ne les rattraperaient pas avant leur arrivée à Vichy… Les dons venaient d’écouter avec attention l’explication de leur homologue dépravé, qui leur avait expliqué qu’ils avaient besoin de nouveaux alliés dans leur insurrection contre les repenteurs. 495 La Genèse de l’Apocalypse Ils semblaient plutôt pour, mais alors que le Daeminent finissait de répondre il ajouta une dernière phrase. « … Mais dans ce cas nous allons devoir sceller un pacte hématique. C’est le seul moyen pour que mes hommes vous fassent entièrement confiance », expliqua le Daeminent du Tonnerre mécanique. Zagor avait déjà entendu parler du pacte hématique des dons. Ainsi, d’après ce qu’il savait, dans un pacte hématique les deux partis se coupaient tous deux au niveau du milieu de la paume. Le sang des deux partis était ensuite récolté dans un réceptacle et servait à rédiger ledit pacte sur le varvaropuscule du chapitre. Le varvaropuscule servait à garder en mémoire les pactes, ou rancunes, du chapitre envers certaines personnes ou certaines entités. Dans le cas d’une rancune, le don qui jurait de laver l’honneur de telle ou telle action donnait son sang pour que cela soit écrit dans le varvaropuscule de son chapitre. La rancune était parfois consumée, et le sang des consumés était ainsi utilisé pour écrire les dernières lignes de l’histoire et ainsi clore le chapitre. « Je comprends, acquiesça finalement le grand veilleur. — Dans ce cas je vais faire venir le Sickrhetoric », lâcha barbe de fer. Le don à l’allure d’ours partit ainsi chercher l’intéressé, laissant peu à peu une ambiance pesante s’installer derrière lui… Les quatre exterminateurs en étaient à leurs deuxièmes bières pour la plupart, Trinker et Crepitus racontant tour à tour la suite des événements qui avait amené à la mort de leur camarade. « … On avait été envoyé en mission dans les Alpes, pas loin de la frontière qui séparait la France et l’Italie dans l’ancien monde. Nous trois et deux autres exterminateurs on devait soutenir une petite compagnie en garnison à l’ouvrage de Rimplas, un ouvrage fortifié abandonné remis en état de marche il y a peu. Plusieurs fortins comme celui-ci ont été retapés pour servir de garnison à nos soldats, pour court-circuiter les mouvements des FFS sur le 496 La Genèse de l’Apocalypse territoire. Ils venaient de perdre quasiment la moitié de leurs troupes dans une embuscade lors d’une patrouille, et on a été envoyé pour les soutenir le temps que d’autres renforts arrivent. » Crepitus prit à son tour la parole, poursuivant le récit. « À la base on était censé rester quelques jours, mais ça s’est pas passé comme prévu. À peine quelques heures après notre arrivée, on a été attaqué. Ils ont attendu la nuit pour nous tomber dessus. Ça se voit que c’est leur territoire, ils connaissaient tout : le moindre créneau, la moindre ligne de tir. Il devait y avoir une trentaine de soldats à nos côtés, mais quand ils nous sont tombés dessus on a rien vu venir. Ils ont commencé par lancer des fumigènes dans tous les trous de la fortification. L’aération n’a pas eu le temps de faire son travail qu’ils étaient déjà sur nous. Soutenus par un ou deux petits mortiers qui servaient finalement pas à grand-chose d’autre qu’à faire paniquer les soldats, ils ont réussi à tuer les mitrailleurs en poste avant d’arriver à entrer par une des issues. Ils l’ont fait péter alors qu’on les attendait ailleurs et ils nous ont chargés à la bayonnette. C’était une putain de boucherie : on y voyait rien et le sang nous giclait à la figure sans qu’on sache d’où ça venait. Les soldats sont rapidement tous tombés, et y restait plus qu’une poignée d’entre nous. L’effet de surprise aurait été parfait pour eux si on n’avait pas été là. Mais le fait qu’il y ait des exterminateurs en face d’eux les a surpris. À un moment, ils ont décidé de se replier mais ils nous ont laissé un petit cadeau avant de partir. Ils ont fait péter un genre de bombe artisanale qu’ils nous avaient lancée par un trou d’aération éventré. Ils avaient mis plein de petits clous et de trucs vicieux qui se sont transformés en shrapnels mortels lors de l’explosion. Moi et Trinker on a été chanceux. Comme on était loin ça nous a propulsés contre le mur et ça nous a juste sonnés. Mais Bibax et les deux autres exterminateurs se sont fait salement amocher par la bombe. Un est mort sur le coup, le corps à moitié arraché. L’autre et Bibax sont morts de leurs blessures au bout de quelques dizaines de minutes. En plus de l’explosion des dizaines de clous s’étaient plantés dans leur chair à des endroits ou leur 497 La Genèse de l’Apocalypse armure ne les couvrait pas. On pouvait rien faire. On était impuissant, acheva l’exterminateur avec du remords dans la voix. » Un silence d’enterrement s’installa alors quelques secondes, avant que Trinker ne raconte l’épilogue. « On le savait pas sur le coup, mais un soldat avait eu le temps de demander de l’aide à la radio avant de se faire embrocher et que tout le matos de communication soit hors service. Et donc au lever du jour les hélicos sont arrivés. La zone sécurisée, on a fait l’appel aux ombres et on est rentré à Point Black. — Putain d’histoire ! lâcha Bâtard après avoir avalé sa gorgée de bière. — Ouais, confirma simplement Crepitus. Continuons donc à boire pour lui et les autres ! » Ainsi Azilor alla demander une autre tournée, tandis qu’il était bientôt l’heure du gueuleton… Zagor et Xavnax avaient tous deux laissé un peu de leur sang dans un réceptacle, après s’être fait entailler la paume par le Sickrhetoric du Tonnerre mécanique, Burdaxand, qui était la mémoire vive du chapitre. Les deux êtres étaient maintenant face à face, Burdaxand assis à leurs côtés en train de tremper sa plume dans l’encrier rouge de sang. Ce dernier prit la parole après un court silence. « Nous sommes présents ce jour pour célébrer un pacte hématique qui liera Zagor, grand veilleur de la tribu de l’enfer Verdoyant et Xavnax, Daeminent du chapitre Tonnerre mécanique. La voie de l’honneur est sans retour et seule la mort peut y mettre un terme. Xavnax, comprenez-vous et acceptezvous cette condition ? — Oui », répondit l’intéressé avant de lever son bras en direction de Zagor. Sa main s’ouvrit et ses doigts s’écartèrent, tandis que Burdaxand se tournait vers le dépravé sans s’arrêter d’écrire. 498 La Genèse de l’Apocalypse « La voie de l’honneur est sans retour et seule la mort peut y mettre un terme. Zagor, comprenez-vous et acceptez-vous cette condition ? — Oui ! lâcha le dépravé en tendant à son tour son bras, qui s’agrippa au coude de l’homme lui faisant face. — Je vous déclare donc liés par les liens ensanglantés de l’immuable honneur », lança le Sickrhetoric. Les paumes du dépravé et du don se rencontrèrent alors, scellant le pacte hématique. Les deux êtres s’étreignirent brièvement et Silith, restée un peu en retrait, accueillit la nouvelle d’un léger sourire. « Bon faut boire maintenant ! Trop parler m’a asséché la bouche ! » déclara le Daeminent. Sur ces paroles emplies d’un bon sentiment, le pacte hématique entra dans l’histoire du Tonnerre mécanique et des deux tribus de dépravés… Les compagnons étaient presque arrivés à destination. Longeant une rivière qui serpentait et coupait la terre en deux, le véhicule venait d’arriver à un point de contrôle. Devant eux se tenait donc Vichy, à une distance respectable. De là où se trouvaient les compagnons, la ville semblait hautement sécurisée, un haut mur noir entourant toute la zone. Sur leur gauche la rivière faisait un virage sec, formant de ce fait une large bande de terre plane. Sur cette dernière se trouvait une petite zone où semblaient attendre plusieurs hélicoptères aux couleurs des repenteurs. Le conducteur descendit alors de son véhicule et s’approcha des compagnons à l’arrière. « Nous sommes arrivés, je ne peux pas vous amener plus loin. — Merci, votre aide nous a été précieuse. Nous n’oublierons pas ce geste », répondit sincèrement Krag alors que les protecteurs et l’insongeable descendaient du skitnik 45. Les compagnons prirent une grande respiration tandis que le véhicule reprenait sa route et passait de l’autre côté du point de 499 La Genèse de l’Apocalypse contrôle, rentrant de ce fait dans le territoire du duché Charbonneux. Sans se parler, les compagnons s’étaient compris : il fallait aller en direction des hélicoptères, c’était leur seul espoir. Les six silhouettes s’éloignèrent alors lentement et surement de la zone contrôlée par les bérets noirs, pour se diriger vers ce qui semblait être un mini héliport. Longeant une petite ligne d’arbres, Stendiak en profita pour jeter discrètement un œil dans la lunette de son sniper. « Ça m’a pas l’air protégé, je vois personne autour des hélicoptères. — J’aime pas ça. C’est trop facile », lâcha Amiklum alors qu’ils étaient à quasiment cent mètres du checkpoint. Restant sur leurs gardes, les compagnons arrivèrent rapidement à quelques dizaines de mètres des hélicoptères le doigt près de la gâchette. Il y avait là plusieurs repentors et un blackout M 45, tous tournés le flanc vers les compagnons. Krag et Zabyss en tête, ils firent le tour du premier repentor. Ils tombèrent alors nez à nez sur trois soldats, un béret noir et deux repenteurs en train de manger leur ration du midi. Les trois soldats arrêtèrent aussitôt leurs mouvements, ne comprenant pas ce qui était en train se passer, tandis que le reste des compagnons arrivait aux côtés des deux premiers repenteurs. Devant eux étaient postés d’immenses guerriers à la livrée inconnue qui les pointait avec leurs armes, ainsi qu’une étrange silhouette encapuchonnée. Krag voulut désamorcer la situation explosive dans laquelle ils se trouvaient, mais il n’eut pas même le temps de penser. En effet un des repenteurs essaya, d’un mouvement rapide mais vain, de dégoupiller une grenade. Lysiris tira la première, enfonçant deux longues aiguilles dans le cou du soldat. Le deuxième repenteur essaya à ce même moment de ramasser son canon posé contre l’hélicoptère, mais dans un réflexe 500 La Genèse de l’Apocalypse fulgurant de la dame la demoiselle de Béryl cloua le soldat contre la tôle du repentor. Le béret noir n’avait alors pas bougé d’un pouce, sa cuillère toujours à quelques centimètres de sa bouche. Un silence de quelques secondes s’écoula, puis l’homme craqua totalement. « Pitié je veux pas mourir, je voulais juste sympathiser entre camarades ! Je suis pas un espion ! Je vous en supplie me tuez pas ! — On n’est pas ce que tu crois, expliqua rapidement Krag. On n’est pas des repenteurs, continua-t-il tout en faisant signe au reste des compagnons de monter dans le blackout. C’est pour ça qu’on va te laisser en vie, à une condition. — Ce que vous voulez ! Je veux juste vivre rien de plus, pitié ! supplia à nouveau le jeune homme aux yeux imbibés de désespoir. — Qu’est-ce que vous faites de tous ces gens que vous kidnappez ? » La question interloqua et déstabilisa le soldat, mais il s’efforça de répondre sincèrement malgré son visible désarroi. « Nous… commença-t-il en bégayant, c’est pour le silatromorac. — On doit y aller ! coupa une voix derrière Krag. — Merci tu auras la vie sauve, mais je vais devoir t’assommer pour rendre ça plus crédible. » Le soldat n’eut pas le temps de dire merci qu’une crosse lui heurta le crâne et l’envoya dans les abysses. Krag se hâta d’entrer dans le blackout qui lui était presque familier, devant à moitié pousser les compagnons pour se frayer un chemin dans le petit hélicoptère. Il mit rapidement en route l’hélico tandis que personne dans le coin ne semblait pour le moment comprendre la supercherie. « Je l’ai assommé », expliqua le protecteur avant qu’on ne lui pose la question. Les compagnons accueillirent la nouvelle d’un bon œil, appréciant l’honneur guerrier du protecteur. 501 La Genèse de l’Apocalypse « Au fait quelqu’un ici sait ce que ça peut vouloir dire silatromorac ? questionna le carmin. — Silatromorac ? C’est quoi ce truc ? demanda à son tour Amiklum tandis que les autres compagnons répondaient tous négativement. — J’en ai aucune idée », avoua le carmin pensif tandis que l’hélicoptère se détachait de l’emprise du sol. Sur ces mots les compagnons s’envolèrent vers le nord, contournant Vichy avant même d’en avoir percé les mystères… 502 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 18 : Blind Crossing / The Advice of the Scar / Torn by the Past / [15 Cruciamentum an 13 ; Terre] Les compagnons serrés les uns contre les autres survolaient maintenant la France depuis quasiment une vingtaine de minutes. Personne ne semblait les avoir repérés pour le moment mais ils étaient tous crispés à l’idée d’être interceptés par d’autres hélicoptères repenteurs. « Au fait vous avez pensé à comment on pourrait rentrer dans Paris ? Parce que je suppose que c’est une cité assez protégée non ? » lâcha soudainement Stendiak, lançant de ce fait un pavé dans la mare. Un silence fut premièrement sa seule réponse. En effet, S lui-même ne savait pas comment ils allaient faire pour rentrer dans une telle cité. « Bonne question, amorça le carmin. Mais y faut pas croire que plus une ville est grande plus il y a de repenteurs en garnison à l’intérieur, c’est un peu plus compliqué que ça. Certaines villes sont considérées comme des genres de musées par les repenteurs. Ils y ont de petites garnisons, pas vraiment proportionnelles à la taille des villes, et ne font qu’y passer. Ces villes-musés sont le résultat d’un pseudo intérêt des repenteurs pour le passé de la race humaine. Cela parait étrange, mais plus une ville est grande et historiquement riche plus il y a de chance qu’elle soit quasiment vide, à part si elle a un énorme intérêt stratégique bien sûr. — Espérons alors que Paris soit une de ces cités quasiment vides », ajouta Amiklum. Pendant que les protecteurs continuaient leur discussion, l’insongeable enleva les habits de perfides qui recouvraient sa vraie personne pour redevenir lui-même. 503 La Genèse de l’Apocalypse Il enleva aussi l’insigne de la pomme pourrie qui pendait à son cou, la regarda quelques seconde puis la rangea dans son feastpack au milieu de nombreux autres bibelots. L’insongeable essaya ensuite de regarder par la fenêtre malgré le fait qu’ils étaient tous collés les uns aux autres. Il ne voyait que des nuages, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Il espérait juste que les formes blanchâtres n’allaient pas être percées par les petites pointes noires que formaient les aéronefs à longue distance… Les quatre exterminateurs, après avoir porté un sacré coup aux réserves d’alcool de Point Black, étaient partis en quête de nourriture. Trinker les avait amenés à un endroit magnifique, leurs rations sous le bras. C’était une espèce de petite terrasse qui longeait l’architecture abrupte de Point Black et donnait une vue magnifique sur la Méditerranée, qui ne semblait jamais agitée à cette hauteur. C’est à cet endroit qu’Azilor et Bâtard avaient retrouvé un camarade, sous les traits du sergent Honizza. Lui aussi profitait du cadre pour manger avec son escouade, tels des touristes profitant d’un paysage aussi nouveau que magnifique. Ils s’étaient alors réunis autour d’une table en pierre, les soldats d’Honizza enthousiastes à l’idée de partager leur repas avec de véritables exterminateurs. « … Et comment vous avez été recrutés ? » demanda Honizza au nom de la curiosité de ses soldats l’entourant, ces derniers regardant les guerriers en armure tels des enfants enchantés. Azilor et Bâtard se lancèrent alors un regard au travers de leur unique lentille rouge. « On a été « sélectionnés », commença Azilor. On était en garnison en Méditerranée, laissés quasiment pour morts. Et de nulle part, un hélicoptère est venu nous dire qu’ils nous recrutaient, grâce à la recommandation de notre Mandataire. 504 La Genèse de l’Apocalypse — Moi et Trinker c’est un peu différent, enclencha à son tour Crepitus. J’expliquerais pas ici pourquoi, mais on est tous les deux passés devant le Dicastère. Pour expier nos fautes on avait deux choix. La prison ou le Fulgurastra. On a donc préféré renoncer aux privilèges d’un soldat « normal » pour endosser l’armure carapace. — Et c’est sans aucun regret, ajouta Trinker après une rasade d’eau. — Vous voulez dire que pour rentrer chez les exterminateurs faut faire une connerie ? demanda un soldat qui trouvait ça un peu loufoque. — Où être « sélectionné » et avoir de la chance, ajouta Bâtard. — Bref. Et vous sergent Honizza vous êtes pas au front avec vos hommes en ce moment ? questionna Azilor. — Non, amorça ce dernier en grignotant du pain rassis. On va surement être redéployés à Marseille, dans une grosse opération pour reprendre la ville aux mains des rebelles. Ils doivent préparer un plan, donc pour l’instant on attend. » Azilor acquiesça et les soldats continuèrent leur discussion bruyante sous une brise rafraichissante de milieu de journée… Lergoragor était en train de collecter des baies de différentes couleurs, qu’il ajoutait dans un bol pour son souper. Il se baladait dans les rues désertes et luxuriantes de l’enfer Verdoyant, certaines créatures gardant un œil sur lui tels des anges gardiens. C’était le cas de la femelle tigre gris qui avait été, d’une manière indirecte, son premier contact avec les lieux. Étrangement, l’animal était devenu en quelque sorte le compagnon de Lergoragor et était désormais toujours près du nouveau maitre des bêtes. Le dépravé ajoutait une énième baie à son repas lorsqu’une ombre furtive passa à la périphérie gauche de sa vision. Il se retourna aussitôt, son bâton à la main et sur le qui-vive. Un son furtif derrière lui le fit à nouveau se retourner, tandis que le tigre gris plus au-dessus de lui semblait lui aussi perdu. 505 La Genèse de l’Apocalypse Ce fut à ce moment précis qu’il vît une grosse créature au poil sombre. C’était un luperque, un canidé qui ressemblait fort à un loup. Il était sombre comme la nuit, deux yeux fixant profondément Lergoragor. Ces derniers étaient d’une couleur étrange, renvoyant l’image de deux planètes rouges. Le ventre de l’animal était un peu plus clair, tendant vers le noir d’aniline. Lergoragor essaya de faire un geste vers la bête, mais cette dernière se sentit agressée et riposta aussitôt en aboyant d’un ton rauque et étrangement amplifié Sortant de nulle part, le tigre gris tomba entre le dépravé et l’autre animal. Le cri du tigre fit taire le luperque, qui prit d’un coup la position d’un animal peureux, les oreilles baissées. Lergoragor s’approcha doucement tandis que le tigre restait sur ses gardes. « Je ne te veux pas de mal », expliqua gentiment le dépravé tandis que la tête de l’animal apeuré touchait presque le sol. Alors qu’il lâchait un petit couinement, Lergoragor approcha doucement sa main de la tête du luperque. Le dépravé lui caressa la tête, avant de s’agenouiller pour lui susurrer à l’oreille des mots pour le rassurer. Ce dernier sembla tout à coup plus en confiance et recula alors de quelques pas. Il aboya alors à nouveau, moins fort cette fois-ci. Des bruits furtifs se firent entendre tout autour de Lergoragor et des deux bêtes tandis que le dépravé tournait sur lui-même à la recherche de la source du bruit. C’est alors qu’il commença à discerner des silhouettes de plus en plus proches. D’autres luperques, comprit alors le dépravé à la vue d’un autre canidé. La première vague des nouveaux arrivants ! se dit alors intérieurement le maitre des bêtes… 506 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable était en train de manger sa ration, coincé entre deux énormes guerriers en armure, lorsque l’hélicoptère eut un soubresaut et arracha la chose soi-disant comestible de l’emprise de ses mains. « Des repentors ! informa Krag aux commandes. — Merde ! Ils peuvent même pas nous laisser manger cinq minutes ces enflures ?! » lâcha Amiklum qui venait à peine de commencer sa ration. L’hélicoptère fit un virage dans un mouvement chaloupé. S entraperçu alors deux hélicoptères sur leur flanc gauche. Le blackout esquivait les tirs qui fusaient maintenant autour de sa coque, tandis que Zabyss prenait position à côté de Krag et essayait d’ajuster le canon DP sur les repenteurs. En position de copilote le 34ème protecteur attendait le bon moment pour tirer. Une salve de balles traversa violemment la coque du blackout, quelques-uns des projectiles se fichant dans la cuirasse d’Amiklum. L’inébranlable maugréa à l’intérieur de son heaume. « J’ai pas envie de mourir dans cette boite de conserve, autant vous prévenir. » Un instant plus tard, Zabyss tira enfin avec le canon DP et un trait crépitant d’énergie d’une étrange couleur traversa une courte distance et frappa de plein fouet un des deux appareils ennemis. Ce dernier partit aussitôt en vrille tandis que les compagnons félicitaient le flamboyant. Mais leur repos fut de courte durée. En effet une vingtaine de trous apparut en quelques secondes sur le flanc droit du blackout tandis que l’insongeable essayait de comprendre ce qui se passait autour d’eux. « Merde ! » jura Krag qui avait du mal à contrôler l’hélico. Ils firent un virage piquant vers la droite, se rapprochant un peu plus du sol. L’insongeable put alors contempler un court instant le paysage qui faisait face au blackout, avant que ce dernier ne fasse une manœuvre d’esquive. 507 La Genèse de l’Apocalypse Ainsi devant le nez de l’appareil se trouvait une forêt singulière et solitaire, traversée de part en part par une petite route. Au centre de la zone se trouvait un endroit qui semblait avoir été déboisé. Quelques balles atteignirent à nouveau l’hélicoptère, touchant cette fois-ci la vitre avant. « On doit se poser ! Sinon on risque de carrément s’écraser ! » beugla alors le féal tandis que Zabyss attendait que le canon DP soit à nouveau utilisable. Krag rapprocha une nouvelle fois l’appareil du sol alors que d’autres balles traversaient cette fois-ci le côté gauche du véhicule volant. Le carmin semblait ne presque plus contrôler l’hélicoptère et ce dernier ne se trouvait plus qu’à une centaine de pieds du sol. Un autre virage permit aux compagnons de ne pas encaisser une autre salve de wracksmith, tandis qu’ils se rapprochaient de la cime des arbres les plus hauts. Le blackout esquiva une énième fois une salve ennemie en se penchant sur la gauche, arrachant par la même occasion quelques branches. Le repentor passa alors devant eux en les frôlant et Zabyss eut enfin un bon angle. Le trait d’énergie toucha la queue de l’hélico, l’envoyant aussitôt valser dans le décor. Les compagnons congratulèrent Zabyss mais leur euphorie éphémère fut vite rattrapée par la dure réalité : ils venaient de perdre de l’altitude et rencontrèrent la cime des arbres. Alors que la tôle s’arrachait pièce après pièce les compagnons étaient secoués dans tous les sens. Les arbres firent alors brusquement place à un petit marais, laissait un court répit au carmin. Le protecteur en profita pour relever violemment le nez de l’appareil pour minimiser la casse. Le blackout s’embourba ensuite mollement dans le marais et l’insongeable se cogna la tête lors de l’atterrissage forcé. 508 La Genèse de l’Apocalypse Alors qu’il reprenait ses esprits les protecteurs étaient déjà en train de forcer l’ouverture des portes à moitié ouvertes, ces dernières étant coincées dans le sol mou. « On était presque arrivés à l’enclave de Paucourt. C’était la tache au milieu de la forêt », expliqua Krag en regardant la carte en surbrillance sur l’écran de l’hélicoptère. Les protecteurs explosèrent finalement les portes à coups de pied, envoyant sombrer la tôle dans le bourbier qui entourait les compagnons. Suivant les protecteurs l’insongeable se jeta à l’eau, s’embourbant jusqu’au niveau des genoux dans une eau opaque. « Barrons-nous d’ici avant que d’autre repenteurs rappliquent », pressa Zabyss. Les compagnons s’enfoncèrent ainsi dans la forêt touffue parsemée de petites zones marécageuses, laissant derrière eux l’épave du blackout entouré de morceaux de tôle arrachée… Les soldats avaient fini leur repas. Azilor s’était alors isolé quelques minutes. Les bras sur le parapet, il fixait l’horizon d’un bleu uni en direction de la position qu’il supposait être celle du reflet d’Azur. La perte de son mentor lui restait toujours en travers de la gorge. Le balafré avait toujours compté pour Azilor. Ses parents étaient morts dans un accident aux contours flous et il n’avait connu que la guerre depuis ce jour. C’est ainsi que Blizna avait rapidement fait figure de père à ses yeux. Surplombant la mer et ses profondeurs insondables, Azilor se rappelait ce qu’il lui avait dit un jour sur le reflet d’Azur. « … Cet endroit était autrefois un lieu prisé par les hautes sphères de l’intellect et du pouvoir de l’ancien monde, avait alors commencé le Mandataire. Quand le conflit est venu à leurs portes les nantis se sont aussitôt enfuis, comme toujours. Et comme à chaque fois ils ont laissé les soldats protéger ce qu’ils avaient pas eu les couilles de défendre, à savoir leur postérité et leur histoire. Tu dois comprendre ça Azilor : Le rôle d’un soldat est toujours 509 La Genèse de l’Apocalypse de défendre les choses des autres, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, qu’on le veuille ou non. C’est simplement le devoir d’un soldat de se battre pour les autres. » À chaque fois qu’Azilor pensait à ces mots, il ne pouvait s’empêcher de se poser des questions sur son rôle au cœur de la roue du destin. Il n’avait jamais vraiment trouvé une interprétation parfaite des dires de son mentor, et plus le temps passait plus ce souvenir s’enfonçait dans le subconscient du soldat pour disparaitre dans le bourbier insondable de l’abstraitement assimilé… Les dépravés et les dons étaient en plein gueuleton. En effet, malgré la réticence des membres du val Masqué pour sympathiser avec des conducteurs d’engins mécaniques bruyants, l’hospitalité et l’ouverture d’esprit de ces derniers en avaient fait changer d’avis plus d’un. Zagor était en train de gouter au saucisson de Vixanderk. Le sel lui donnait affolement soif, mais Zagor trouvait ce met inconnu à la fois simple et terriblement bon. « Je vois que vous aimez les bons produits du terroir », lâcha le don amusé en coupant une autre tranche. Silith et Seurg étaient non loin de Zagor, en train de manger tout en discutant discrètement dans un recoin de la pièce. À ce moment précis, alors que tout le monde passait un bon moment, les deux grandes portes de la pièce s’ouvrirent avec fracas. C’était Yarg et Nonag, suivi d’une tripotée de dons les armes aux poings. « Onex a disparu ! lâcha alors l’estafette. Il a dit qu’il voulait reprendre ce qui revenait de droit à sa tribu et quelques minutes plus tard il s’était envolé. » Les paroles du dépravé stoppèrent aussitôt toutes les conversations tandis que les dépravés se lançaient déjà des regards les uns les autres. Silith se leva prestement, essayant de cacher sa panique. 510 La Genèse de l’Apocalypse « Il faut aller le chercher ! Il va mourir s’il va attaquer les repenteurs chez eux. Et j’ai besoin de lui plus que jamais, conclut l’Hégémone avec une pointe de désespoir dans la voix. — Je peux y aller ! lâcha Larok en se levant fièrement. Je connais la route, on en revient avec Seurg. Je saurai où le chercher. » Silith fut alors secrètement soulagée, malgré le sentiment de culpabilité qui pinçait à cet instant le cœur de la dépravée. « Dans ce cas je viens avec toi, lança à son tour Nonag. C’était notre chez-nous jusqu’à peu et ce qui concerne notre tribu doit peser sur nos épaules, pas seulement sur celles de nos alliés. — J’accepte, acquiesça le veilleur avant que Silith ne prenne à nouveau la parole. — Mieux vaut que vous soyez un petit nombre, ajouta la dépravée pour prendre l’avance sur d’autres dépravés voulant eux aussi faire partie de l’action. — Silith a raison, ajouta ensuite Zagor pour soutenir l’Hégémone. Plus vous serez nombreux et plus vous aurez de chance de vous faire chopper par les patrouilles, et c’est un veilleur qui vous parle. Nous devons aussi rester en nombre ici, pour pouvoir nous défendre si les repenteurs décident de rappliquer pour répliquer. » Ces derniers arguments semblèrent faire mouche et les dépravés du val Masqué reprirent peu à peu leur place, sans pour autant cacher leurs regrets. Vixanderk, resté jusqu’ici silencieux comme la totalité des dons présents dans la pièce, prit à son tour la parole. « J’aime votre envie de vous jeter la tête la première dans la gueule du loup pour aller chercher un camarade. On peut pas vous accompagner sans alerter tous les repenteurs dix kilomètres à la ronde mais on vous aidera du mieux qu’on pourra. » Le don donna un ordre rapide à un des membres du chapitre alors que Zagor répondait au nom des dépravés. « Merci, nous apprécions le geste. Allez-vous préparez au plus vite la moindre seconde compte ! » ajouta-t-il en direction de Nonag et Larok. 511 La Genèse de l’Apocalypse Alors que les deux concernés disparaissaient en vitesse de la salle Zagor souffla un bon coup, essayant de chasser la pression qui tourmentait son objectivité… Les compagnons marchaient depuis de longues minutes au milieu d’une zone boisée parsemée de petits marécages. Un hélicoptère venait de passer au-dessus d’eux pour la deuxième fois depuis leur atterrissage forcé. « Il me tarde de sortir de ce bourbier. Si nous sommes attaqués nous serons morts avant d’avoir pu nous mettre à couvert, lâcha la dame qui ne se sentait pas en sécurité. — Chui d’accord avec toi », lui répondit l’insongeable qui venait d’enlever son pied du sol boueux dans un étrange bruit de succion. Ils arrivèrent rapidement au niveau d’une énième zone marécageuse, qu’ils allaient devoir traverser pour se diriger vers le nord. « Putain je déteste cet endroit ! » jura Stendiak, ouvrant la marche en s’enfonçant dans le sol vaseux. Krag et Zabyss le suivirent, avant que S ne les rejoignent à son tour. Tandis que les deux derniers protecteurs s’enfonçaient à leur tour dans l’eau jusqu’aux hanches, l’insongeable remarqua que des bulles remontaient à la surface là où les compagnons posaient les pieds. Il se demanda ce que ça pouvait bien être et eut rapidement une réponse : une chose venait de remonter à la surface. « C’est quoi ce merdier ? » lâcha Zabyss en ramassant la chose recouverte de vase. Il enleva un peu la vase ainsi que les étranges algues qui recouvraient la chose et l’insongeable reconnut alors de quoi il s’agissait. « C’est une putain de main ! » s’étonna le flamboyant en rejetant la chose dans l’eau. Stendiak accéléra alors le pas, se sentant tout à coup oppressé. 512 La Genèse de l’Apocalypse Alors que les autres compagnons à mi-chemin de la berge accéléraient, encore plus de bulles remontaient à la surface. « Putain ! » s’écria alors à nouveau le féal tandis que l’insongeable sentait des choses effleurer mollement ses cuisses. En effet, un torse sans membres venait de remonter à la surface juste devant le protecteur, ce qui l’avait à la fois surpris et rendu encore plus nerveux. Des dizaines et dizaines de choses remontèrent alors à la surface tout autour des compagnons. S préférait ne pas savoir de quoi il s’agissait, même si son imagination instinctive se réfugia dans son subconscient et ne priva pas l’insongeable de ses suggestions. « Bougeons-nous de sortir de cet endroit à la con », pressa à son tour l’insongeable qui trouvait la zone de plus en sinistre ; semblable à une tombe qui allait se refermer sur eux s’ils ne se dépêchaient pas. Les mouvements des compagnons ressemblaient maintenant à ceux d’astronautes essayant de courir dans une zone sans gravité. Plus ils accéléraient, plus le nombre de choses remontant à la surface était important. Ils atteignirent finalement l’autre rive, après avoir surmonté le court mais intense cauchemar de la traversée aveugle. Zabyss aida l’insongeable à monter sur la berge. Ce dernier regarda derrière lui tandis que les deux derniers protecteurs rejoignaient à leur tour la sécurité de la terre ferme. Les membres coupés et autres restes étranges semblaient immobiles au milieu de l’eau, malgré les ondulations que les compagnons avaient laissées sur leur passage. Les six compagnons s’élancèrent alors un peu plus vers le nord, laissant cet étrange moment derrière eux… Les deux exterminateurs avaient rejoint Ouralios pour améliorer leur maitrise de l’exterminatrice. La salle d’entrainement était étrangement vide, ce qui permit à Azilor et Bâtard d’avoir un cours particulier avec un marcheur auréolé de prestige. 513 La Genèse de l’Apocalypse Le tintement des lames allait se refléter contre les murs de la salle sentant le cierge et la sueur, tandis qu’Ouralios les observait attentivement. « … Maintiens ta garde plus haut Bâtard. Azilor, maintiens plus fermement ta poigne sur ton épée. Ta vie en dépend lors d’un combat, tiens-la comme telle. Si votre arme tombe, vous tombez aussi. » Prenant en compte les conseils avisés du marcheur, les exterminateurs échangèrent une autre passe d’arme lourde et brutale. « L’exterminatrice est une épée à une main et demie, elle est polyvalente. Il faut toujours garder ça en tête et trouver un moyen d’en profiter au mieux, ajouta le guerrier de l’Oculus. Apprenez à vous en servir à deux mains comme à une main. » Les deux exterminateurs s’échangèrent quelques coups d’épée supplémentaires au milieu de la salle où plusieurs grands vitraux rendaient cette dernière plus lumineuse. « C’est bien. Reprenez votre souffle cinq minutes, on reprendra plus tard. » Azilor et Bâtard posèrent alors leurs lames face contre terre, haletant derrière leurs heaumes rougeoyants… Les deux dépravés étaient prêts à partir et leurs camarades étaient venus leur faire un dernier adieu. « Bonne chance mon frère, lança sincèrement Zagor à Larok en l’enserrant dans ses bras. Faites vite ! » À leurs côtés, Silith discutait une dernière fois avec Nonag. « Ramène-le-nous au plus vite, et surtout fait attention à toi et reste bien près de Larok. Je ne peux pas me permettre de vous perdre », conclut Silith avant d’enlacer à son tour le dépravé de sa tribu. Les deux guerriers firent rapidement leurs adieux aux autres puis Vixanderk s’avança vers eux. « Les dons vous souhaitent bonne chance les enfants. Tenez ça c’est pour la route, ajouta-t-il en tendant deux étranges besaces aux dépravés. Si vous avez un creux croquez dedans. 514 La Genèse de l’Apocalypse — Merci barbe de fer », remercia Larok qui appréciait le geste. Sur ces mots, Larok et Nonag tournèrent les talons et partirent à toute vitesse sur les traces d’Onex… Les compagnons venaient de découvrir un corps à moitié décomposé, cloué au pied d’un arbre par une flèche. « Il est mort depuis un certain temps à en juger son état, remarqua le féal en regardant le cadavre qui semblait enraciné au sol. — J’aime de moins en moins cette putain de forêt », lâcha Zabyss. Alors qu’ils s’apprêtaient à reprendre la route, un son attira l’attention de l’insongeable. Il tourna la tête vers la gauche et un second bruit suivi le premier. C’était Stendiak, qui venait de tirer avec son whisperer 3000. Le reste des compagnons balayèrent la zone de leurs mires tandis que le féal se rapprochait du tas de buissons où il avait tiré. « Lui par contre… commença Stendiak, à en voir son casque c’était un hélicopte. Peut-être un des appareils qu’on a touché tout à l’heure, supposa le protecteur en observant les contours bleus du casque du repenteur mort. — Restons pas ici, d’autres pourraient rappliquer. Continuons notre route vers le nord », pressa Krag. Les compagnons reprirent donc leur marche en accélérant le pas et avancèrent pendant plusieurs dizaines de minutes dans un environnement plus forestier qu’auparavant. « J’entends des véhicules ! » s’exclama tout à coup l’insongeable, brisant le silence ambiant. Les protecteurs se mirent aussitôt sur leurs gardes en tendant vainement l’oreille tandis que l’insongeable se concentrait sur le son. « C’est lointain, mais c’est devant nous. — Allons voir ça de plus près, commença Zabyss. Je préfère sincèrement me jeter dans la gueule du loup que rester une seconde de plus dans cette maudite forêt. — Je suis d’accord, avançons. » 515 La Genèse de l’Apocalypse Stendiak en tête les compagnons s’élancèrent ainsi vers l’inconnu, qu’ils ne tardèrent pas à découvrir. En effet le son donnait à croire que la source était lointaine alors qu’elle était en fait beaucoup plus proche des compagnons qu’il ne semblait. En montant sur une petite butte, les compagnons étaient arrivés à la lisière de la forêt. Devant eux s’étendait la fameuse enclave de Paucourt, encerclée de tous les côtés par une végétation omniprésente. C’était une petite base militaire qui semblait sans grand intérêt, entourée par les restes d’un ancien village écorché par la guerre. L’insongeable sortit ses jumelles et regarda de plus près la petite garnison repentrice. Plusieurs bâtiments étaient étrangement collés les uns aux autres comme des pingouins au milieu du blizzard, protégés par plusieurs lignes de barbelés et autres protections. S pouvait distinguer plusieurs véhicules depuis sa position ainsi qu’un unique repentor perché sur le toit d’un des bâtiments. À côté de ces derniers, dans un espace dégagé, se trouvait une singulière statue qui reflétait le soleil. Elle avait des similitudes avec la sculpture en suprastrum que les compagnons avaient vu avant de combattre les sœurs. Elle faisait plusieurs mètres de haut et représentait un soldat levant une grande lame au ciel, tandis qu’un étendard se tenait dans le creux de son autre main. Les protecteurs observèrent à leur tour la petite base des repenteurs. « Ils ont pas l’air d’avoir une grosse garnison. On peut leur faire face, lâcha Krag. — À quoi tu penses ? demanda S. — Y faut qu’on atteigne l’hélicoptère », lâcha le carmin. Les compagnons acquiescèrent : cela semblait en effet être leur meilleure option. Ainsi ils se concertèrent pour trouver le meilleur moyen d’emprunter le véhicule des repenteurs posé sur le toit du bâtiment… 516 La Genèse de l’Apocalypse Achpiter 19 : Long Road Ahead… From Bravery will Befall Verity… Contemplating the Sea of Eternity… [15 Cruciamentum an 13 ; Terre] Larok et Nonag étaient sur la route depuis une bonne dizaine de minutes et arrivèrent rapidement à la lisière de l’enfer Verdoyant. Le veilleur s’arrêta alors une seconde, le regard porté vers l’extérieur. Il prit ensuite une grande bouffée d’air, avant de dépasser la frontière psychologique qui s’étendait à ses pieds. « Je connais Onex, commença Nonag. C’est un bon chasseur mais il n’est pas le plus véloce. Il est plus du genre à prendre son temps et frapper au moment opportun. Espérons juste qu’on sera plus rapide que lui, conclut le dépravé à la chevelure de feu. — Je suis d’accord avec toi, acquiesça Larok. J’espère surtout qu’on recroisera pas ces maudites machines qu’on a croisées avec Seurg la première fois qu’on est allés chez vous. — Les machines ? demanda le dépravé à la chevelure de feu. — Oui, celles qui détruisaient votre forêt. » Nonag comprit alors de quoi parlait Larok et son visage se crispa de colère. « Le destin leur fera payer un jour ou l’autre. Mais je sais bien que le moment n’est pas encore venu, on a trop à faire. — T’as tout compris. Et si on frappe au moment où ils croient qu’on les a oubliés on aura un atout de taille : la surprise. » Les deux dépravés continuèrent ainsi leur discussion, tout en restant hors de vue des potentielles patrouilles de repenteurs qui sillonnaient la région… Les compagnons s’étaient séparés en plusieurs groupes. En premier lieu se trouvait Amiklum, qui allait servir de diversion aux autres. Krag et Zabyss allaient ensuite essayer de passer sur le côté. 517 La Genèse de l’Apocalypse Lysiris et l’insongeable allaient quant à eux rester un peu en retrait, ne se montrant qu’au moment opportun. Pour finir Stendiak allait rester planqué à l’étage d’un bâtiment délabré près de la lisière pour couvrir les compagnons avec son sniper. Ainsi, Krag et Zabyss ouvrirent la marche avec Amiklum, tandis que l’insongeable et Lysiris les talonnaient d’une cinquantaine de mètres. S donna de nouveau un rapide coup de jumelles. Il dénombra quatre bâtiments qui devaient être les baraquements et qui en entouraient un cinquième, plus massif et plus haut que les premiers. C’était sur le toit de ce dernier qu’était perché le repentor à l’arrêt. Le tout était entouré de nombreuses barrières et barbelés, deux entrées traversant la petite base dans un axe nord-sud. L’insongeable, dont les vêtements trempés avaient déjà en partie séché, s’accroupit quelques mètres derrière Lysiris alors que les compagnons de tête étaient presque sur la base. De rares sentinelles patrouillaient machinalement à l’intérieur de la base, sans vraiment porter attention à ce qui se passait à l’extérieur de cette dernière. Krag Zabyss et l’inébranlable s’étaient faufilés entre les ruines pour arriver finalement à une dizaine de mètres d’un des flancs de la base. Hors de vue des repenteurs mais visible des autres compagnons, ils se retournèrent vers Stendiak qui leur fit un rapide signe, confirmant qu’il était prêt et attendait leur signal pour tirer. Les trois protecteurs de tête se scindèrent ensuite en deux groupes. Krag et Zabyss restèrent à une dizaine de mètres de distance l’un de l’autre, tandis qu’Amiklum se dirigeait vers l’entrée sud le plus discrètement qu’il pouvait. Derrière un muret à moitié détruit, le carmin et le flamboyant attendaient qu’Amiklum soit en place. Ce dernier arriva rapidement à sa position, qui se trouvait à une vingtaine de mètres de la porte sud gardée par deux repenteurs. 518 La Genèse de l’Apocalypse Tandis que l’insongeable sentait l’adrénaline monter en lui, un vide étrange s’installa dans son esprit. Un premier coup de feu tonitruant résonna alors dans la zone, faisant s’envoler par la même occasion une myriade d’oiseaux aux alentours. Amiklum tira une seconde fois, arrachant presque la tête du deuxième soldat gardant la porte. Un affolement général se fit aussitôt entendre dans la base tandis qu’Amiklum attendait qu’une autre cible passe devant son viseur. Par le biais de ses jumelles l’insongeable entrevit des silhouettes sortir de tous les côtés. Le claquement du sniper du féal s’ajouta alors à celui de l’inébranlable, tuant les uns après les autres les repenteurs surpris et désorganisés. Ne voyant pas d’où tirait le sniper ils se concentrèrent sur l’inébranlable qu’ils avaient maintenant repéré. Au moment précis où les premiers radius fusaient en direction du 5ème protecteur, Krag et Zabyss profitèrent de la diversion pour traverser le court espace à découvert entre leur position et l’enceinte de la base. Ils grimpèrent par-dessus cette dernière avec une facilité déconcertante, ignorant le barbelé qui ne faisait que griffer la peinture de leurs cuirasses. C’est dans cet après-midi bien entamé que Zabyss fit sa première victime de la journée, tirant une balle de blazing eagle au travers du torse nu d’un soldat courant son arme à la main. Krag à ses côtés prit ses deux canons radius redspray et fit un arc de cercle devant lui, tuant dans cette action une demi-douzaine de repenteurs déboulant devant les deux protecteurs. Du sang gicla alors sur le heaume de Zabyss qui rechargeait déjà une de ses armes de poing. Le protecteur se retourna soudainement tandis que le bruit singulier du Blunderburst d’Amiklum couvrait tous les autres sons. Un corps sans tête tomba alors mollement aux pieds de Zabyss dont la silhouette était éclairée par des tirs épars de canons radius. 519 La Genèse de l’Apocalypse Il s’abaissa près du corps du soldat pour ramasser deux grenades double B tandis que Krag essayait de couvrir tous les angles autour de lui. Le flamboyant se releva et lança les deux grenades dégoupillées au-dessus de la baraque où les deux protecteurs combattaient, quelques radius supplémentaires venant roussir l’armure de Zabyss. Il tua le soldat blessé qui venait de lui faire cet affront tandis que les deux grenades explosaient au loin dans un tourbillon de sang et de cris. Zabyss lança un rapide regard à Krag qui avait une quinzaine de cadavres à ses pieds et tous deux sortirent leurs armes de corps à corps. Ils les levèrent au ciel une courte seconde, signalant ainsi à Lysiris et à l’insongeable que la voie était libre. Ils lancèrent ensuite un cri de défi aux soldats qui essayaient de se reformer devant eux. Un calme s’installa une seconde, tandis que les deux protecteurs jaugeaient le groupe hétéroclite de repenteurs apeuré et dépareillé leur faisant face. Une silhouette passa rapidement entre les rangs des soldats, avant de s’adresser aux protecteurs. « Alors comme ça c’est vous les usurpateurs ! Je vous pensais plus courageux. Cela dit cela n’a pas d’importance étant donné que vous allez mourir dans moins d’une minute. » Zabyss comprit que le gradé essayait de gagner du temps quand il vit, à la lisière de sa vision, des mitrailleurs se placer aux fenêtres du grand bâtiment. Un coup de feu du layavolk mit fin à la discussion prématurément et les deux entités ses chargèrent l’une l’autre en soulevant un tourbillon de poussière. C’est ainsi dans un fracas tonitruant que les protecteurs piétinèrent littéralement les premières lignes de soldats dans une charge digne d’un mur de la mort, tandis que Stendiak reprenait son tir de couverture en arrière-plan. 520 La Genèse de l’Apocalypse Zabyss faisait de grands moulinets, coupant en deux tout ce qui se trouvait sur la route d’Écorchegloire dans un bourdonnement mortel. À ses côtés le carmin tournait sur lui-même, utilisant la force centrifuge pour repousser les repenteurs trop proches de lui. De la grenaille ricocha sur l’épaulière de Krag, qui se retourna à temps pour voir un homme se faire écraser le crâne par le fléau d’Airain d’Amiklum qui venait de les rejoindre. Ce dernier donna un grand coup circulaire devant lui, arrachant l’arme et quelques doigts au soldat presque hors de portée étalé devant lui. Une balle de basaltic eagle passa au-dessus de Krag, avant de traverser la tête puis le torse de deux repenteurs au loin. Les trois protecteurs distinguèrent alors l’insongeable et la dame qui descendaient le mur de protection non loin. Ils se reformèrent alors aussitôt autour de l’insongeable tandis que les éclairs du féal claquaient de plus en plus rapidement au loin. Une silhouette se faufila ensuite entre les repenteurs faisant face aux compagnons. C’était un Mandataire, son épée repentrice au poing. Il sauta sur le protecteur le plus proche, à savoir le carmin, tandis que le combat faisait rage tout autour d’eux. Sa lame rencontra la hampe de l’arme de Krag, avant que ce dernier ne tente une contre-attaque. Aussitôt paré par l’épée du Mandataire, le coup eut pour seul effet de faire vibrer la lame du repenteur. Krag enchaina ensuite plusieurs puissants moulinets tandis qu’une balle perdue ricochait sur l’épaulière gauche du carmin. Le soldat les esquiva tous avec dextérité, sauf le dernier qui envoya valser son arme sur le côté. Il mit sa main sur son holster mais la poigne du Concasseur l’atteignit en premier. Le souffle coupé et la cage thoracique enfoncée, le Mandataire n’eut pas l’occasion de riposter et son crâne fut finalement brutalement écrasé. 521 La Genèse de l’Apocalypse Les derniers soldats virent ainsi le corps de leur supérieur tomber mollement par terre, ce qui déclencha aussitôt la débâcle parmi les rangs repenteurs. Les protecteurs tuèrent méthodiquement les fuyards et mourants à portée de tir, laissant la dizaine de survivants s’échapper par la grande porte. Krag se précipita alors en haut d’une petite tour de guet qui lui permettait d’avoir une vue d’ensemble au-dessus de la petite base, et comprit alors pourquoi les balles du féal ne faisaient plus mouche depuis le milieu de la bataille. En effet une colonne de véhicules s’approchait de leur position depuis la seule route qui traversait la forêt. Le carmin décompta cinq véhicules au premier coup d’œil. Il remarqua ensuite que trois autres engins étaient quant à eux arrêtés sur le bas-côté en arrière-plan et remercia le destin pour avoir doté les compagnons d’un si bon tireur. « Merde ! lâcha l’insongeable au nom des autres compagnons qui venaient de rejoindre le carmin. — Vite y faut monter dans l’hélicoptère ! pressa Zabyss en montrant du doigt le repentor sur le bâtiment à côté d’eux. — Commencez à le faire tourner, je vais chercher Stendiak ! » lâcha à son tour Amiklum. L’inébranlable partit ensuite à la rescousse de son frère, avant même que la dame ne puisse lui en toucher un mot. « Dans ce cas bougeons-nous », lâcha le carmin en sautant de sa position surélevée. Les quatre compagnons accoururent ainsi à toute vitesse en direction du bâtiment parsemé des traces du récent combat, enjambant les cadavres encore chauds des repenteurs… Ouralios para le coup d’estoc d’Azilor, avant de bloquer la contre-attaque foudroyante de Bâtard à l’aide de son épée repentrice. Se déplaçant avec une dextérité étonnante dans sa cuirasse, il évita trois autres coups avant de riposter à son tour. Il lâcha ainsi un coup transversal, qu’Azilor para juste à temps. 522 La Genèse de l’Apocalypse L’épée de ce dernier vibra tellement fort qu’Azilor sentit la garde de son arme lui glisser entre les doigts. Mettant toutes ses forces en œuvre pour garder en main son exterminatrice il n’eut pas le temps d’aider son ami de toujours. Ainsi ce dernier para un coup porté à son encontre mais ne remarqua par que le marcheur en avait profité pour s’approcher de lui. Ouralios fit ensuite un rapide mouvement vers l’avant et envoya d’un seul coup de pied Bâtard dans le décor. Ce dernier glissa plusieurs mètres sur le sol, sa respiration coupée. Azilor lâcha un cri de guerre et mit toutes ses forces dans un coup au niveau de l’aine, qu’Ouralios para brutalement. Le marcheur auréolé fit ensuite glisser sa lame de manière à ne la tenir que d’une main, et se servit de l’autre pour mettre un coup de poing au niveau du torse de son adversaire. Azilor tomba en arrière, le souffle coupé. « C’est comme ça que je veux vous voir vous battre. Utilisez la polyvalence de votre arme pour gagner. Apprenez à surprendre votre adversaire, conclut-il en aidant Azilor à se relever. — Merci du conseil », haleta Bâtard qui venait de rejoindre les deux autres guerriers. C’est à ce moment précis qu’un exterminateur de vermeil déboula dans la salle sans prévenir. « Exterminateurs Azilor et Bâtard, l’exterminateur de céruse Regodium vous demande. » Le regard des deux hommes concernés se croisa dans l’incompréhension. « Suivez-moi ! » pressa l’exterminateur à crête rouge déjà presque hors de vue. Les deux soldats saluèrent alors Ouralios et l’élancèrent à la suite de leur homologue, leurs exterminatrices à la main… Tandis que Krag mettait en marche l’hélicoptère, Zabyss, Lysiris et l’insongeable s’étaient positionnés aux fenêtres des différents étages. 523 La Genèse de l’Apocalypse Ils attendaient patiemment qu’Amiklum et le féal rappliquent, prêts à leur offrir un tir de couverture au moment venu. La dame les aperçut alors à quelques dizaines de mètres du muret de protection de la base. L’espace entre leur position et cette dernière était totalement à découvert et les quatre véhicules restants de la colonne repentrice étaient presque sur eux. Ils se préparèrent à faire feu. L’insongeable respira une grosse bouffée d’air, le doigt sur la gâchette et l’œil sur le véhicule de tête. Il regarda sur sa gauche, Zabyss l’épaulant d’un de ses blazing eagle, puis sur sa droite et son regard tomba sur Lysiris qui venait de ramasser une MAG 333. Amiklum et Stendiak venaient de pointer leur nez et s’élancèrent vers la base en sprintant, les repenteurs sur leurs traces. Dès que les premières balles partirent des mitrailleuses des véhicules en mouvement, les trois compagnons répliquèrent depuis les fenêtres. Les mitrailleurs avaient du mal à ajuster les cibles mouvantes depuis leurs véhicules secoués, les balles sifflant autour d’eux et ne parvenant pas encore à les atteindre. L’insongeable, plutôt bon tireur d’habitude, n’arrivait ici qu’à frôler sa cible, de la même manière que Zabyss et son blazing eagle. Les tirs de Lysiris donnaient le même résultat, mais le nombre de balles tirées compensait en partie le manque de précision. Ainsi quelques projectiles se fichèrent dans le blindage et la vitre du premier rollersmoker, faisant baisser la tête du mitrailleur dans le véhicule. Cette action laissa un court répit aux deux géants qui traversaient l’espace à découvert, ces derniers étant presque arrivés au niveau de la base. Alors que les tirs reprenaient de plus belle, avec plus de précision des deux côtés cette fois, un bruit tonitruant s’ajouta à ceux déjà présents. 524 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable comprit ce que c’était quand il vit une myriade de balles passer au-dessus de leurs têtes et frapper de plein fouet la colonne de véhicules. C’était Krag, qui tirait depuis la mitrailleuse de flanc du repentor stationné sur le toit du bâtiment. Alors que quelques balles ricochaient sur l’épaulière droite de l’inébranlable, la wracksmith déchiqueta littéralement le conducteur du véhicule de tête après en avoir traversé la vitre. Le rollersmoker partit dans le décor, se plantant dans un mur sur le bas-côté. Amiklum et le féal arrivèrent enfin au niveau du mur d’enceinte et le grimpèrent rapidement tandis que les trois véhicules adoptaient une formation en ligne au front large. Les tirs des compagnons se faisaient alors plus précis, tandis qu’Amiklum et Stendiak accouraient rejoindre leurs camarades. À ce moment précis, alors que l’insongeable enclenchait un précieux chargeur dans son arme de poing, le son d’une autre wracksmith s’ajouta à celle du carmin. Tandis qu’il essayait de comprendre ce qui était en train de se passer, une explosion secoua le bâtiment. Des débris en fusion volèrent au-dessus de leurs têtes alors qu’Amiklum et le féal arrivaient au pied du bâtiment à plusieurs étages. C’est là que l’insongeable entrevit, l’espace d’un instant qui lui parut une éternité, une silhouette passer devant ses yeux. Le guerrier dans sa cuirasse de trinitium tomba par terre dans un bruit sourd qui résonna dans la base encore fumante. « Krag ! » s’écria Zabyss tandis que S bouche bée n’arrivait pas à dire un mot. Les deux protecteurs en train de rentrer dans le bâtiment se retournèrent, découvrant le carmin dont l’armure était noircie par l’explosion. Le temps d’un battement de cœur, qui s’écoula aussi lentement que l’éternité, Krag resta immobile au milieu d’un tas de poussière que sa chute avait soulevé. 525 La Genèse de l’Apocalypse Alors que les trois véhicules arrivaient sur les chapeaux de roues, l’avant-bras du carmin se leva doucement et ses doigts se serrèrent pour former un poing. L’insongeable soupira un grand coup, sachant son coriace protecteur en vie, tandis qu’Amiklum et le féal accouraient vers leur frère. C’est alors que l’ombre de la mort s’abattit sur les trois protecteurs à découvert. L’insongeable sortit sa tête de l’encadrement de la fenêtre et put distinguer un repentor passer au-dessus du bâtiment où trois des compagnons étaient retranchés. Lysiris déchargea toute sa rage sur le dessous de l’appareil qui ne les avait pas en visuel, S et Zabyss ajoutant leurs basaltic et blazing eagles à l’explosion sonore ambiante. Stendiak trouva tout de suite une fenêtre de tir et mit son œil derrière sa lunette tandis qu’Amiklum tirait le carmin vers l’intérieur. Avant même que l’hélicoptère ne puisse manœuvrer, une salve de balles de sniper traversa le blindage arrière du repentor à l’endroit précis où se trouvait le réservoir de l’hélicoptère. L’engin explosa en l’air dans une boule de feu et de métal, illuminant le champ de bataille en envoyant des débris dans tous les sens. Un torse en feu fut projeté contre la paroi du bâtiment, avant de retomber au pied de ce dernier. Le féal accourut à leurs côtés, Zabyss partant aider Amiklum qui remontait le carmin à l’étage où les autres compagnons se trouvaient. « Ils débarquent ! annonça la dame à la vue des véhicules stoppés juste derrière le mur d’enceinte. — Je vais vous couvrir d’en haut ! s’écria le féal avant de se diriger vers la dernière portion d’escaliers du bâtiment. — Il va bien. Il est juste sonné », rassura Amiklum en posant sa main gantée sur l’épaule du flamboyant. Zabyss resta quelques secondes auprès de son frère avant de rejoindre ses trois compagnons aux fenêtres. 526 La Genèse de l’Apocalypse « Ne faites pas de quartier ! » maugréa Lysiris en enclenchant un nouveau chargeur dans sa mitrailleuse MAG 333. C’est alors que les repenteurs déboulèrent dans la base l’arme au poing. Un véritable déluge d’acier s’abattit sur la quarantaine de soldats ennemis éparpillés en face des compagnons. Dans un vacarme qui rendit presque aussitôt sourd l’insongeable, les armes de poing des compagnons, le Blunderburst, la MAG 333 et le layavolk ôtèrent une quinzaine d'âmes en l’espace d’un instant. Alors que les premiers corps déchiquetés tombaient à terre, les soldats survivants courraient se mettre à couvert dans les différentes baraques entourant le gros bâtiment central. Des radius se mirent alors à fuser dans leur direction, illuminant les silhouettes revanchardes des compagnons retranchés. Un radius frôla la joue de l’insongeable avant que ce dernier ne réplique et ne tue le tireur caché derrière un bout de tôle. « Planque-toi S ! » lui ordonna Amiklum à ses côtés en lui faisant baisser la tête. Une seconde plus tard un tir de lance-grenade frappa le coin de la fenêtre, envoyant des morceaux de métal dans tous les sens. Un shrapnel passa à côté de l’épaule de l’insongeable avant de se ficher dans le mur derrière lui, lui coupant très légèrement le bras. Le Blunderburst de l’inébranlable déchiqueta un énième soldat en fuite tandis que les repenteurs avaient l’air d’essayer de les encercler. Le déluge d’acier fit peu à peu place à l’accalmie, les soldats ennemis disparaissant peu à peu derrière des couverts. « Merde mais y font quoi ? chuchota Zabyss. — Ils préparent un truc, mais quoi j’en sais rien. Ce dont je suis sûr c’est que plus on reste ici plus on a des chances d’y rester », répondit l’insongeable. Avant que Zabyss ne puisse répondre à son tour, une rapide salve de redspray coupa court à leur discussion. 527 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons se retournèrent tous et virent qu’un repenteur en haut de l’escalier venait de s’écrouler par terre, le visage complètement fondu par l’arme du carmin. « Ils essaient de nous encercler, lâcha Krag en se relevant son arme à la main. — Bien visé mon frère, félicita Zabyss qui était content de revoir son frère à l’armure noirâtre en état de combattre. — Merci, répondit simplement le protecteur en se tenant le crâne. — On fait quoi du coup Krag ? » questionna à son tour Amiklum qui faisait confiance au protecteur et à sa sagesse tactique. Le carmin réfléchit une seconde avant de répondre. « On attend. » Cette réponse surprit alors tous les autres compagnons, mais Krag enchaina avant qu’on ne puisse lui poser d’autres questions. « On va attendre encore quelques minutes. Ils vont surement nous attaquer sur tous les fronts d’un coup mais on peut facilement les avoir lorsqu’ils vont courir à découvert. Dans ce cas on les extermine tous et on en profite pour vite se barrer de ce trou à rat. On piquera un de leurs véhicules, étant donné que notre premier moyen de transport a explosé. S’ils attendent trop, on fera une sortie et on percera leurs lignes jusqu’aux véhicules. Dans les deux cas il faudra viser la lisière nord de la forêt qui nous entoure, il y a que comme ça qu’on sera protégés des hélicoptères. — Compris », acquiesça l’insongeable au nom des autres compagnons. Ils restèrent ainsi en position, surveillant tous les côtés du bâtiment et attendant patiemment que la mort vienne aux creux de leurs bras… Larok et Nonag étaient arrivés au niveau d’un checkpoint abandonné. Ils s’en étaient rapprochés, après avoir pris toutes les précautions de mise, et avaient été surpris par leur découverte. En effet, une poignée de corps sans vie était étalée derrière les sacs de sable. 528 La Genèse de l’Apocalypse « Le sang est encore frais. C’est récent, informa Larok accroupi auprès des cadavres. — Ce ne sont pas des repenteurs. — Surement des bandits. Ils ont été tués avec une arme blanche. — Onex ? demanda Nonag. — Peut-être. Si c’est lui on est sur ses traces, celui qui a fait ça n’est pas loin. » Les deux dépravés s’écartèrent alors de la route et continuèrent leur chemin à la recherche du dépravé. Nonag avait un pincement au cœur. En effet d’un côté il voulait connaitre ce qui était advenu au val Masqué, mais d’un autre il ne voulait pas voir quelque chose qu’il n’allait jamais pouvoir accepter… Lergoragor commençait à ressentir des choses qu’il ne ressentait pas quelques jours auparavant. C’était comme s’il s’était en partie transcendé, jusqu’à ressentir ce qui l’entourait comme une extension de son être. Ainsi en ce moment il sentait que quelque chose s’éloignait de l’emprise de son royaume. Le maitre des bêtes comprit qu’il devait s’agir de bêtes de l’enfer Verdoyant ou bien de dépravés, tous deux ayant un lien privilégié avec la nature. Ne voyant pas pourquoi un animal partirait de ce qui était un paradis pour la faune, Lergoragor en déduisit qu’il ne pouvait s’agir que d’un de ses frères. Se basant sur cette supposition, il sortit de son temple de verdoyance et partit à la pêche aux infos auprès de ses frères et sœurs qu’il n’avait pas revus depuis son intronisation… Les deux inséparables venaient d’entrer dans le bureau de Regodium. « Bon, comme vous le savez déjà, la cité de Marseille est tombée il y a peu aux mains de ces foutus rebelles. J’en profite pour vous féliciter une nouvelle fois pour ce que vous avez fait avec le Prince Belliciste Bazor. Mais ne croyez pas que je vous ai fait 529 La Genèse de l’Apocalypse venir ici pour vous couvrir d’éloges, et je suis aussi conscient que vous êtes de repos. Mais ce pour quoi je vous ai fait venir ici ne peut pas attendre plus longtemps. En effet une force repentrice hétéroclite est en préparation pour la reprise de Marseille, qui ne saurait tarder. Elle attaquera demain dans la matinée et les ordres ne seront donnés qu’au dernier moment. Votre rôle dans tout ça est le suivant : cette nuit, dans un peu plus de neuf heures, un contingent composé d’exterminateurs et de jumpers attaquera du ciel. Vous aurez pour mission de prendre les points clefs comme la DCA et les autres objectifs qui nous permettront d’attaquer avec le moins de pertes possibles. — Allons-nous encore sauter ? questionna Azilor. — Oui, commença l’exterminateur de céruse qui avait déjà le plan de la bataille en tête. Vous serez largués depuis des nightbringers en même temps qu’une force conséquente de jumpers. Vous et une quarantaine d’autres exterminateurs allez prendre part à cette partie décisive de la bataille, et je compte sur vous pour montrer à vos camarades ce de quoi le Fulgurastra est capable. — Comptez sur nous exterminateur de céruse, acquiesça Azilor au nom des deux exterminateurs. — Appelle-moi Regodium fiston, t’es chez les exterminateurs pas chez les sœurs. Je me fais pas trop de soucis là-dessus, vous m’avez pas encore déçu. En fait vous m’avez même surpris, ce qui est rare. Allez, vous pouvez y aller. Profiter du temps qu’il vous reste pour bien vous préparer. J’enverrais quelqu’un pour vous chercher quand le moment sera venu. » Les deux exterminateurs acquiescèrent, avant de quitter le bureau de leur supérieur. Les deux amis décidèrent de retourner s’entrainer une dernière fois avant la bataille, une dernière fois avant que l’adrénaline ne les assaille… Zagor et Silith venaient d’expliquer à Lergoragor ce qui s’était passé depuis son intronisation. « Nous sommes affaiblis, amorça-t-il. Deux bons guerriers ne sont plus présents. J’espère sincèrement qu’ils vont revenir vite. 530 La Genèse de l’Apocalypse Je peux essayer de leur apporter mon aide, mais mon lien entre les créatures et mon être n’est pas encore parfait. — Ne t’inquiète pas mon frère, le rassura Zagor. Tu apprends vite, surtout pour quelqu’un dont le destin premier n’était pas de devenir maitre des bêtes. Fais de ton mieux, nous ne te jugerons pas. » Le dépravé concerné hocha la tête en guise de remerciement, avant de reprendre la parole. « C’est étrange qu’Onex vienne de partir en direction du val Masqué. Tout à l’heure j’ai rencontré pour la première fois des luperques. Sans doute des réfugiés de la d’où vous venez, ajouta Lergoragor en direction de l’Hégémone du val Masqué. — Oui en effet. Les luperques étaient très présents au val Masqué. Ils étaient de bons compagnons de vie et ils ont combattu les repenteurs à nos côtés lors de l’attaque génocidaire de ces chiens sur notre hameau. Je suis heureuse d’apprendre que certaines de ces braves bêtes ont survécu, avoua Silith avec un léger sourire. — Il y a aussi d’autres animaux qui ont survécu », ajouta Lergoragor. Cette remarque lança alors une épidémie de sourires dans les rangs des dépravés du val Masqué présents dans la pièce. Ils reprenaient peu à peu espoir, remarqua le maitre des bêtes pour lui-même. Un rire étouffé arriva alors jusqu’aux oreilles de Lergoragor. En effet, à côté se tenait une beuverie à laquelle participaient pour l’instant une partie des dépravés et quelques dons. « Bon ben viens te joindre à nous Lergoragor. On doit fêter notre nouvelle alliance avec les dons. — Non merci, répondit le concerné avec courtoisie. Je vais faire ce que je peux pour les aider. — D’accord je comprends, acquiesça Zagor. Si tu as fini ce que tu as à faire plus tôt, il y aura toujours une place pour toi mon frère. — Merci j’apprécie, répondit Lergoragor. — Merci à toi », lui répliqua Silith. 531 La Genèse de l’Apocalypse Sur ces paroles le maitre des bêtes repartit vers son antre, bien décidé à trouver un moyen qui pourrait donner un petit coup de pouce à Larok et Nonag… Azilor et Bâtard avaient échangé quelques passes d’arme auprès d’Ouralios, avant de laisser le marcheur solaire vaquer à ses autres et nombreuses occupations. Les deux exterminateurs avaient ensuite pris sous leur bras deux caisses de bière que leur avait dégottées leur ami Crepitus et s’étaient dirigés vers la terrasse où ils avaient mangé peu de temps auparavant avec le sergent Honizza et ses hommes. L’endroit était désert à cette heure-ci et les deux amis purent entamer leurs réserves tranquillement. « À la tienne mon frère », lâcha Azilor en entrechoquant sa bouteille avec celle de son ami de toujours tandis que le soleil disparaissait peu à peu à l’horizon. Les deux soldats firent vite couler le précieux liquide dans leurs gosiers, le choc ayant fait mousser leurs bières. Ils sifflèrent leur première bouteille en un instant et en décapsulèrent rapidement deux autres. Ils continuèrent à vider l’alcool des récipients en verre, observant le magnifique coucher de soleil méditerranéen qui illuminait toute l’étendue devant eux. Azilor prit alors soudainement la parole, toujours hanté par l’esprit de son mentor. « Tu te souviens de ce que le balafré disait toujours ? commença l’exterminateur. — « Je préfère mourir une arme à la main plutôt que vivre une cuillère d’argent dans la bouche », répondit aussitôt son compère. Azilor sourit à cette phrase, lui rappelant le balafré dans ses meilleurs moments. « Il voulait dire quoi par-là tu penses ? Qu’être un soldat c’est être humble ? » Bâtard resta immobile un instant, avant d’avaler une autre rasade de spiritueux. 532 La Genèse de l’Apocalypse « Surement ouais. En fait je sais pas trop. Et franchement c’est pas l’alcool et l’envie de pisser qui va m’aider à réfléchir là-dessus, ricana l’exterminateur. Je pense que ça avait une signification, qui était particulière pour lui. C’est comme tout, chacun à un point de vue différent sur une même chose. Après nous on interprète ça à notre manière quoi. » Azilor acquiesça : il était d’accord avec son frère. Tandis que Bâtard prenait son heaume dans ses mains pour en dénombrer les impacts, Azilor noya sa tristesse passagère dans une énième bière, ses yeux alourdis rivés sur l’étoile déclinant à l’horizon… Lergoragor venait de rentrer au bercail. Il s’était aussitôt mis à réfléchir à une solution pour aider les dépravés qui venaient de partir à la recherche d’Onex. Quand la solution lui vint à l’esprit, il se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le maitre des bêtes se dirigea alors vers la chouette hilote qui soignait son plumage sur le rebord d’une fenêtre non loin. Le visage de la créature se retourna vers Lergoragor, presque sans bouger le reste de son corps. Étonnée, la créature posa son profond regard sur le dépravé. Ce dernier approcha son visage et plongea ses yeux dans ceux de la créature ailée. J’ai besoin de ton aide, dit alors intérieurement le maitre des bêtes qui espérait que la créature allait le comprendre malgré l’improbabilité de la chose. La créature cligna des yeux, et pencha sa tête sur le côté d’un air étonné et curieux. Un instant plus tard, elle s’envola sans prévenir. Le dépravé n’y croyait pas : la chouette l’avait compris ! Lergoragor resta ainsi planté sur place à contempler le volatile s’éloigner de l’antre du maitre des bêtes, tandis que l’obscurité s’étalait peu à peu sur la région telle une ombre implacable… 533 La Genèse de l’Apocalypse Les dépravés étaient en train de fêter leur nouvelle alliance comme il se devait avec les dons. Ils étaient tous là : les survivants des tribus de l’enfer Verdoyant et du val Masqué que les repenteurs avaient tous deux saignées à blanc. Zagor passa en revue les membres de sa tribu présents à la beuverie. En ne se comptant pas lui-même et en laissant de côté Lergoragor le nouveau maitre des bêtes et Larok qui étaient absents, seuls quatre autres dépravés représentaient toujours la tribu de l’enfer Verdoyant : Hislachar, Kychrak, Seurg et Yarg. Le grand veilleur était en ce moment partagé entre deux sentiments : la tristesse et la fierté. En effet il était en premier lieu plus que triste que sa tribu ait été quasiment anéantie en l’espace d’une nuit, en ayant toujours la même arrière-pensée lui trottant dans la tête, à savoir celle de ne pas avoir su être au côté de sa tribu au bon moment. Mais Zagor était aussi fier, fier de la ténacité des derniers survivants de sa tribu dont les racines n’étaient plus que cendres. Les veilleurs défendraient cet endroit coute que coute, se promit-il. À leurs côtés, mélangés aux loubards aux vestes à patch, se tenait la trentaine de survivants de l’autre tribu : celle du val Masqué. Zagor ne connaissait quasiment aucun des noms de ces innocentes victimes de la cruauté repentrice. Le chemin allait être long pour apprendre à se connaitre, pensa alors intérieurement le dépravé en observant ses confrères de l’autre tribu. C’est alors que son regard se posa sur Silith, qui était au bord du balcon de la pièce en train de parler avec Seurg qui se remettait peu à peu de sa blessure. Le visage de Zagor fut traversé par un léger sourire, puis le dépravé se tourna pour laisser tranquille les deux tourtereaux et retourner vaquer à ses occupations festives… 534 La Genèse de l’Apocalypse « … Merci encore. Je sais que je te l’ai déjà dit plein de fois mais je ne saurais jamais assez de remercier, expliqua Silith son regard plongé dans celui de son interlocuteur. — Tu n’as pas me remercier. En tout cas j’espère sincèrement que Nonag et Larok vont retrouver Onex. De plus, on peut pas se permettre de se passer d’un bon veilleur maintenant, l’avenir est trop incertain et nous sommes trop affaiblis. — Oui je suis d’accord avec toi, merci. — Tu vas me remercier à chaque fois que je parle ? » demanda Seurg en taquinant la dépravée. Un léger sourire emplit alors le visage de la concernée, qui se sentit gênée. L’Hégémone ne savait plus où se mettre, se sentant tout à coup stupide. « Pardon, tu es tellement bon avec nous, avec moi. — Mais c’est normal je suis un veilleur. C’est mon devoir de « veiller » sur les autres, amorça Seurg. Mais ta remarque me touche », enchaina le dépravé d’un regard espiègle. Le visage de la dépravée fut à nouveau parcouru d’un sourire, qui fit rayonner le visage assombri de l’impétueux. Silith, dans un mouvement manquant d’assurance, se rapprocha ensuite du dépravé qui était à côté d’elle en train de contempler l’horizon d’édifice en ruines et de rêves brisés. Ses deux mains froides vinrent ensuite s’agripper autour du bras musclé du veilleur, avant que sa tête ne se pose sur l’épaule de ce dernier. Seurg la serra alors fort contre lui, l’amenant à se blottir contre son torse. « De rien, anticipa Seurg. — Merci », ajouta la dépravée, dont le regard semblable à deux améthystes se plongeait maintenant dans celui du veilleur de l’autre tribu. Les deux êtres restèrent ainsi immobiles une courte éternité, laissant la brise nocturne faire virevolter leurs crinières… 535 La Genèse de l’Apocalypse Nonag et Larok s’étaient arrêtés un instant pour observer le coucher du soleil, postés entre deux murs écrasés par le renversant prix de la guerre. « Repartons », pressa Nonag alors que la nuit avait envahi toute la région. Larok sauta au-dessus d’une corniche écorchée par la guerre et arriva au niveau du dépravé à la crinière de feu. « Nous nous rapprochons d’Onex Larok. Je le sens », ajouta le dépravé tandis qu’ils reprenaient leur route vers le val Masqué. L’infortuné allait répondre lorsqu’un cri strident lui coupa l’herbe sous le pied. Les deux dépravés levèrent leurs yeux au ciel pour remarquer qu’un majestueux faucon tournait en rond au-dessus de leurs têtes, sa large silhouette éclairée par la lune. « Un faucon palatin ! s’écria Nonag. — C’est un signe. Nous sommes sur la bonne voie ! » ajouta Larok qui connaissait parfaitement la signification d’une telle apparition. C’est ainsi revigorés que les deux guerriers reprirent leur chemin vers l’inconnu, suivis par le faucon palatin qui les survolait tel un ange gardien… Les repenteurs étaient finalement passés à l’action, juste au moment où les compagnons allaient se décider à sortir en force. Ils avaient ainsi attaqués de tous les côtés comme le pensait Krag, illuminant le bâtiment où les compagnons étaient retranchés à l’aide de leurs nombreuses armes radius. Les compagnons répliquèrent aussitôt, faisant un carnage parmi les rangs ennemis. Environ une dizaine de soldats avaient réussi à entrer dans le bâtiment et à échapper au barrage de tirs. Krag ne mit à la limite de l’escalier, contre le mur, son canon radius redspray à la main. Il attendit que les bruits de pas se rapprochent tandis que le reste des compagnons achevait les soldats gémissants tout autour du bâtiment. 536 La Genèse de l’Apocalypse Dès qu’il les sut dans le couloir adjacent à sa position, il plaqua un de ses canons redspray contre le mur. Hors de vue des repenteurs, il appuya sur sa gâchette et tira à l’aveuglette. De nombreux cris et une odeur de chair brulée lui indiquèrent que son arme avait atteint sa cible. La dame profita de cette diversion pour s’accrocher à la fenêtre et se faufiler telle une acrobate un étage en dessous. Les cris déments qui s’ensuivirent furent clôturés par la défenestration du dernier survivant démembré. « La voie est libre ! » lâcha-t-elle dans le couloir siphonné de toute vie. Les compagnons descendirent aussitôt à la rencontre de la protectrice et découvrirent un véritable bain de sang. En effet, les membres coupés s’entassaient les uns sur les autres et les murs étaient repeints par le sang qui dégoulinait lentement le long de ces derniers. « Bien joué ! » félicita l’insongeable à la fois impressionné et intimidé par l’exploit de la protectrice. Cette dernière lui répondit d’un hochement de tête, son armure mouchetée de sang repenteur. « On en aura peut-être besoin », lâcha Amiklum en ramassant un lance-grenade à ses pieds. Amiklum et la dame en tête, les compagnons sortirent du bâtiment l’arme au poing. Ils firent un rapide tour de la base à la recherche des rares survivants de la bataille qu’ils achevèrent tous méthodiquement et sans état d’âme. « Où pointe l’aiguille de ta boussole ? demanda Krag à l’insongeable qui jetait un œil à son trajecteur subconstenciel. — À peu près vers le nord. — Hum notre destination est donc toujours la même. En route ! Mettons-nous à l’abri dans la partie nord de la forêt. On va continuer à pied vers Paris pour l’instant, on n’a pas trop d’autre choix. » 537 La Genèse de l’Apocalypse Les compagnons s’apprêtaient ainsi à sortir de la base lorsque, sous un ciel empli de particules en condensation, des silhouettes sinistres percèrent la mer de nuages en formation. « D’autres repentors ! s’écria l’insongeable en regardant vers l’est. — Cachez-vous ! s’écria aussitôt le carmin en se jetant à l’abri dans une des baraques de la base. — Il y en a trois, informa Lysiris. Je ne crois pas qu’ils nous aient vus. — Surtout ne bougez pas d’un pouce ! » ordonna le carmin. Tapis dans l’ombre, les compagnons acquiescèrent tandis que les hélicoptères tournaient autour de la zone à leur recherche. « Il faut faire quelque chose sinon on va tous y passer ! pressa Zabyss tandis que les repentors s’approchaient de la base. — Allez-y, je vais faire diversion ! lâcha tout à coup le féal. — Quoi ? s’exclama Krag surpris. — L’insongeable n’atteindra pas son but avec des hélicoptères au cul. Attendez mon signal et partez en courant vers nord. Jusquelà faites profil bas et faites en sorte qu’ils ne vous voient pas. — Mais… commença Lysiris. — Quelqu’un doit le faire ! coupa le féal. Il n’y a pas d’autre choix ! mugit-il. Attendez ici que les hélicoptères vous aient quittés des yeux et servez-vous de l’ombre des ruines pour vous faufiler jusqu’à la forêt sans vous faire repérer. On se reverra, vous inquiétez pas pour ça ! Bonne chance », lâcha finalement Stendiak en direction des compagnons et plus particulièrement de l’insongeable. Il prit ensuite le lance-grenade jusqu’ici entre les mains d’Amiklum et laissa en plan les compagnons bouche bée. Sous le regard figé de l’insongeable, le 12ème protecteur s’élança ainsi vers les véhicules plantés devant l’entrée de la base. « Ce n’est pas juste ! s’écria silencieusement la dame résignée en serrant les poings. — Faisons en sorte que son action ne soit pas vaine. Préparez-vous », ajouta le carmin qui essayait de garder son sangfroid malgré la situation. 538 La Genèse de l’Apocalypse L’insongeable en profita pour recharger son basaltic eagle alors que le féal s’éloignait rapidement des compagnons… Stendiak avança encore quelques mètres avant de se mettre à couvert derrière un sac de sable. Il regarda par-dessus ce dernier et put distinguer trois silhouettes de repentors se diriger dans sa direction. « Merde ! » lâcha-t-il avant de mettre son œil devant le viseur de son sniper. Il retint son souffle quelques secondes puis fit aboyer son layavolk. La balle transperça la vitre avant de l’hélicoptère de tête qui volait en piqué et atterrit dans le torse de l’hélicopte. Le féal mit aussitôt son arme dans son dos tandis que le coopte essayait tant bien que mal de reprendre le contrôle de l’hélicoptère dont la vitre avant était fissurée. Les deux autres repentors se mirent alors en position de tir, sachant à peu près d’où le coup de feu était parti. Les wracksmiths des deux engins volants mitraillèrent alors méthodiquement la zone tandis que Stendiak prenait en main le lance-grenade qu’Amiklum avait récupéré peu de temps auparavant. Juste après qu’une salve ait transpercé quelques sacs de sable sur sa gauche, le protecteur sortit sa tête de son couvert et dirigea la bouche de l’arme en direction d’un des repentors. Il appuya alors sur la gâchette, trois fois. Les deux premières grenades firent mouche et endommagèrent l’hélicoptère tandis que le troisième tir manqua de peu sa cible. Il tira ensuite une quatrième fois en direction de l’autre repentor, pendant que le mitrailleur de ce dernier mettait en joue le féal. La munition explosive frappa de plein fouet le flanc de l’engin volant et le fit violemment tanguer, envoyant le mitrailleur déchiqueté par-dessus bord. Alors que le premier repentor à la vitre percée semblait hors de contrôle, le féal se releva pour sprinter vers le rollersmoker le plus proche. 539 La Genèse de l’Apocalypse Il sauta dans le véhicule et claqua la portière derrière lui tandis que deux des hélicoptères s’étaient presque stabilisés. C’est alors que le véhicule démarra sur les chapeaux de roues, Stendiak appuyant sur la pédale d’accélération comme un forcené. Un des hélicoptères se mit alors à mitrailler dans la direction du protecteur tandis qu’un autre repentor le prenait en chasse. Stendiak se mit aussitôt à rouler en zigzag au milieu des ruines, le troisième hélicoptère entamant un atterrissage forcé une centaine de mètres sur sa gauche. Le féal n’entendit pas d’explosion, preuve que le pilote avait réussi à limiter la casse. La forêt était à quatre cents mètres, estima le 12ème protecteur tandis qu’il était maintenant poursuivi par deux repentors presque sur lui. Celui de gauche, quasiment au niveau de son véhicule, se rapprochait lentement du niveau du sol. Stendiak baissa la fenêtre pour pouvoir tirer avec son lance-grenade. Le protecteur appuya sur la gâchette, lançant un projectile en direction de l’hélicoptère. Il appuya une seconde fois, et un « clic » lui informa que l’arme était vide. Le mitrailleur de l’hélicoptère eut le temps d’arroser un court instant l’intérieur du rollersmoker avant que le projectile explosif ne frappe l’arrière de ce dernier. Le repentor partit alors en vrille et toucha ce qui restait d’une cheminée dans son mouvement en y laissant sa queue. L’action amena l’hélicoptère dans une tornade infernale qui le rendit incontrôlable. Il s’écrasa un instant plus tard dans les ruines, explosant en envoyant des débris dans tous les sens. Le protecteur jeta ensuite par la fenêtre l’arme vide, quelques balles de plus fichées dans son épaulière. Le troisième repentor n’avait pas fait la même erreur que son congénère et surprit le protecteur. 540 La Genèse de l’Apocalypse Volant au-dessus de Stendiak, le mitrailleur de l’hélicoptère lâcha ainsi toute sa rage en direction du véhicule sous son ventre. Les balles de wracksmith ricochèrent en premier lieu sur le sol autour du véhicule slalomant, alors que le protecteur n’était plus qu’à deux cents mètres de la forêt. Le protecteur grogna peu de temps après lorsqu’une balle traversa le faible blindage et passa à deux doigts de sa tête. Stendiak se coucha aussitôt, évitant les balles fusant tout autour de lui. Une balle se ficha dans le trinitium de sa cuirasse au niveau de son avant-bras. Il releva sa tête l’espace d’un instant alors que les tirs avaient cessé pour un court moment. Il vit qu’il était presque arrivé à sa destination et se prépara à sauter par la porte de gauche. Tandis que les balles traversaient une nouvelle fois le blindage du véhicule, le rollersmoker dépassa les premiers arbres de la lisière. Stendiak sauta ensuite du véhicule, juste après que ce dernier n’ait dépassé un énorme conifère. Caché auprès de son arbre, le protecteur laissa l’hélicoptère continuer à tirer sur le rollersmoker vide. Ce dernier ralentit peu à peu, se faisant cribler de plus en plus de balles tandis que Stendiak se servait de la diversion pour s’éloigner de la zone. L’hélicoptère ne l’ayant toujours pas repéré, le protecteur en profita pour se replier vers l’intérieur de la forêt tandis que le soleil se rapprochait du crépuscule… Les compagnons étaient depuis plusieurs minutes en train de se diriger vers le nord. Ayant profité de la courageuse diversion de Stendiak, ils passaient de ruine en ruine le plus furtivement qu’ils pouvaient. Derrière eux s’élevait une colonne de fumée, là où un des repentors s’était écrasé en explosant. L’insongeable regarda en direction de la forêt et fut soulagé par le fait qu’ils n’en étaient plus très loin. 541 La Genèse de l’Apocalypse Ils s’arrêtèrent un instant, Krag regardant des deux côtés de la route. « C’est clean », informa-t-il. Les cinq compagnons s’élancèrent alors en direction du bâtiment en ruine, se mettant les uns après les autres à l’abri derrière un des rares murs encore debout. « C’est la dernière ligne droite », prévint le carmin en regardant la forêt de l’autre côté. En effet, seule une zone à découvert d’une cinquantaine de mètres les séparait maintenant de la forêt. « Reprenez votre souffle, et on y va. » Les compagnons prirent ainsi un court instant pour se reposer, avant de s’élancer une nouvelle fois à découvert. L’insongeable sprinta de toutes ses forces, dépassant presque le protecteur de tête. Les compagnons arrivèrent finalement à l’abri et S s’appuya sur un arbre pour reprendre sa respiration un instant. « Il faut pas s’arrêter maintenant. Faut qu’on garde notre avance », lâcha Amiklum en posant sa lourde main sur l’épaule de l’insongeable dont le visage était presque rouge. L’homme acquiesça et ravala ses poumons. Devant lui Krag s’était déjà enfoncé d’une vingtaine de mètres dans les bois. « Espérons que ton sacrifice ne soit pas vain mon frère », chuchota la dame derrière l’insongeable. Ce dernier lança un dernier regard vers l’enclave de Paucourt puis s’en retourna vers la sombre forêt, une pointe dans le cœur. L’insongeable partit ainsi à la suite des protecteurs sous un soleil presque éteint, l’arme à la main et la larme à l’œil… 542 Au sein de la toile des étoiles se terre le Songeneant, Plongez-y pour compléter les fragments… Éditions EX SOMNIIS Mai 2016