Projet de loi création, architecture, patrimoine Réflexions de l`AdCF

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Projet de loi création, architecture, patrimoine Réflexions de l`AdCF
Projet de loi création, architecture, patrimoine
Réflexions de l’AdCF, l’ACUF, l’AMGVF et la FNAU
A la veille de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au
patrimoine en séance publique à l’Assemblée nationale, l’Assemblée des Communautés de
France (AdCF), l’Association des Communautés Urbaines de France (ACUF), l’Association des
Maires de Grandes Villes de France (AMGVF) et la Fédération Nationale des Agences
d’Urbanisme (FNAU) ont décidé de prendre part ensemble au débat en apportant leur
contribution plus particulièrement axée sur les dispositions qui concernent les collectivités
territoriales du texte issu de la commission des affaires culturelles.
Si les associations d’élus signataires regrettent de ne pas avoir été auditionnées par la
commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, elles espèrent néanmoins
pouvoir apporter leur expertise, au regard des compétences complémentaires en
aménagement des territoires développées au sein du « pôle Joubert », où cohabitent et
travaillent conjointement les associations généralistes et spécialisées du bloc local.
I Observations générales
La consécration du rôle des collectivités territoriales comme garantes de la création
artistique
Les associations d’élus signataires saluent le choix du projet de loi d’inscrire dans la loi le
principe de liberté d’expression artistique et de réaffirmer que les collectivités territoriales
et leurs groupements, ainsi que leurs établissements publics, définissent et mettent en
œuvre une politique en faveur de la création artistique.
Il s’agit en effet d’affirmer une ambition plus élevée, qui consiste à remettre la question
culturelle au centre du débat politique. La culture est trop discrète, voire absente des grands
débats nationaux, alors qu’elle est au cœur des grandes interrogations de notre société. Les
discussions doivent s’intensifier entre acteurs et élus, en remettant les citoyens, la
démocratie et la liberté au cœur du débat.
Le projet de loi doit donc prévoir la définition de nouveaux lieux de rencontre entre tous les
acteurs et les usagers de la culture, pour dessiner les orientations locales – mais aussi celles
des échelons supérieurs – des politiques culturelles et offrir aux populations des espaces de
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débat et de concertation pour assurer la mise en œuvre concrète du grand principe de la
liberté de création porté par la loi, et donner du sens aux politiques culturelles à tous les
niveaux.
L’absence de garanties financières pour assurer une politique culturelle et
patrimoniale ambitieuse
Les échanges entre la ministre et les collectivités territoriales ont certes permis la mise en
place des pactes culturels qui engagent l’Etat à maintenir ses crédits en matière de politique
culturelle sur 2014-17 et les collectivités signataires à faire de même, mais la diversité des
situations et des stratégies culturelles locales n’a pas permis à toutes les collectivités de s’en
emparer. Le projet de loi ne comporte aucune disposition financière relative aux objectifs
fixés en la matière.
Un problème particulièrement saillant réside dans le fonctionnement du réseau public
d’enseignement artistique initial, constitué des conservatoires et des écoles de musique, de
danse et de théâtre essentiellement, et qui assure un enseignement d’excellence confronté
à d’importants handicaps structurels liés à son fonctionnement. La loi du 13 août 2004
relative aux libertés et responsabilités locales prévoyait de rééquilibrer les financements de
ces établissements d’enseignements artistiques, et les régions devaient notamment financer
les nouveaux cycles d’enseignement professionnel initiaux (CEPI, devenus COP - cycles
d'orientation professionnelle) au titre du Plan Régional de Développement des Formations
Professionnelles (PRDF). Ce financement n’a jamais vu le jour, et les restrictions budgétaires
supplémentaires qu’ont connues les conservatoires ont renforcé leurs difficultés à assurer
leur mission de garantir l’accès de tous à l’éducation et à la culture.
La loi création doit dès lors impérativement reprendre la proposition de loi déposée le 24
juillet 2009 par la Sénatrice Catherine Morin-Desailly afin de débloquer la situation en
proposant un aménagement de l'article 216-2 du code de l'Education et en précisant le rôle
de la région vis à vis des autres territoires.
Les collectivités, employeurs d’intermittents du spectacle
La place et le rôle des collectivités, pourtant employeurs importants d’intermittents du
spectacle au sein des festivals par exemple, gagneraient à être affirmés dans la loi. La
présence de ses représentants dans les instances nationales et locales (tels le Conseil
National des Professions du Spectacle) doit ainsi faire l’objet d’une clarification officielle.
Nous attirons votre attention sur l’article 15 du projet de loi, qui définit les critères
permettant de déterminer le droit applicable aux artistes employés par les collectivités
publiques. Les dernières évolutions jurisprudentielles menaçaient l’emploi artistique public.
En outre, ces interprétations, par l’application du droit du travail aux contractuels de la
fonction publique territoriale, peuvent être considérées comme une entrave à la libre
administration des collectivités.
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La nécessité d’une clarification a conduit à la rédaction de cet article qui aujourd’hui fait
consensus : cette solution d’équilibre sécurise en effet l’emploi artistique permanent public
et il garantit la continuité des droits sociaux en harmonisant les règles applicables aux
artistes intermittents du spectacle. Toute modification de sa rédaction ou amendement de
son fondement constituerait une grave déstabilisation du secteur et conduirait à une
inflation conséquente des coûts pour les collectivités publiques, comme évoqué dans
l’exposé des motifs et l’étude d’impact.
L’adoption de ce texte en l’état est ainsi une absolue nécessité.
II Analyse du volet patrimoine du projet de loi
Le Titre II du projet de loi est consacré à des dispositions relatives au patrimoine culturel et à
la promotion de l’architecture.
Le patrimoine est un vecteur d’attractivité territoriale et de mise en valeur du territoire. Le
succès des Journées du Patrimoine atteste de l’attachement des concitoyens à sa valeur. Le
patrimoine est à ce titre un élément de lien social.
Le patrimoine est un marqueur du territoire, de son identité, de son histoire. Il est un
élément majeur des projets de territoire qui en soulignent très souvent la valeur
économique et touristique. Dans certains territoires d’ailleurs, sa préservation et sa mise en
valeur constituent des piliers de l’action locale.
Le patrimoine n’est pas un objet isolé. Il s’inscrit dans un environnement avec des activités
humaines. Avec la double évolution d’une mobilité croissante des modes de vie et d’une
influence grandissante de la mondialisation, le patrimoine comme conjugaison d’un lieu
dans son espace naturel, urbain et influencé par ses habitants devient un repère familier
pour les individus et les ancre dans une histoire commune et particulière et véhiculant des
valeurs associées au patrimoine.
La politique patrimoniale est ainsi très étroitement connectée aux politiques
d’aménagement et d’urbanisme.
La reconnaissance positive de l’engagement des collectivités territoriales
En parallèle de cette évolution de la notion de patrimoine sont intervenues la
décentralisation et la montée en puissance des collectivités ainsi que l’appropriation par le
public du patrimoine sous ses différentes formes. L’Etat n’est plus le seul intervenant en
matière de patrimoine. La distinction entre patrimoine national et local et leurs dispositifs
associés apparait dépassée.
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La consécration, par le projet de loi, des collectivités territoriales comme acteurs de la
politique patrimoniale doit être saluée, même si certaines propositions du projet de loi soustendent encore parfois une vision étatique et segmentée de la gestion du patrimoine.
Cité historique : de l’impérieuse nécessité d’une approche intercommunale
Le projet de loi opère un glissement des outils de protection du patrimoine vers la
planification urbaine, AVAP et ZPPAUP se fondant dans le PLU qui gagne alors en consistance
sur ce champ patrimonial.
Cette évolution est positive à deux titre : elle renforce la responsabilisation des élus locaux
sur les enjeux de la protection et de la valorisation du patrimoine ; elle intègre la politique
patrimoniale dans une politique d’urbanisme plus large. Il apparaît en effet nécessaire de
décloisonner ainsi la politique patrimoniale vue jusqu’alors comme une politique
d’exception et lui permettre d’irriguer le projet de territoire et d’être portée en cohérence
avec les autres politiques sectorielles. La préservation du patrimoine sera d’autant plus aisée
que les secteurs sauvegardés sont pris en considération dans les politiques relatives au
commerce, au déplacement, au paysage, à l’habitat, à la publicité…
De nombreux transferts de la compétence PLU au bénéfice des communautés de
communes, d’agglomération, de communautés urbains ou Métropole (de par la loi) sont
aujourd’hui observés. Plus de 350 communautés seraient à ce jour compétentes en la
matière. Les dispositions du présent projet de loi doivent donc être analysées à l’aune de
cette évolution dans la gouvernance de l’urbanisme.
L’intercommunalisation du PLU gagne à être considérée comme une chance pour la
valorisation et la protection du patrimoine tant sur le champ territorial que sur le champ des
moyens. On observe que nombre de joyaux patrimoniaux se retrouvent au milieu d’espaces
très profondément dégradés. Ce triste constat illustre une absence de cohésion territoriale
qui s’avère être tout autant préjudiciable au patrimoine lui-même qu’au dynamisme du
secteur sauvegardé dont la vitalité humaine et économique dépend de ce qui est décidé à sa
périphérie. Il ressort par ailleurs des nombreuses observations de terrain que la
mutualisation des moyens humains et financiers permettent aux communautés de
nettement renforcer la qualité de leur maîtrise d’ouvrage en matière de planification
urbaine. A ce titre là également, le patrimoine peut gagner à ce regard collectif et élargi.
Les travaux de la commission des lois témoignent cependant de l’inquiétude de certains
maires à l’égard de ce déploiement de PLUI. Ils craignent une dilution de la responsabilité et
un affaiblissement de leur capacité à préserver le patrimoine de leur commune.
Il convient de rappeler que ces inquiétudes naturelles ont invité le Parlement, à l’occasion
des lois ENE et ALUR, à fixer le cadre légal du PLUI dans un esprit de co-construction entre
les communes dans leur communauté. Il impose au PLUI d’être élaboré « en collaboration »
avec les communes (notion que le juge ne manquera pas de vérifier en cas de contentieux).
Il a prévu des mécanismes de coopération et de saisines des communes très précis à
différents stades de la procédure. A titre d’exemple, si la commune émet un avis sur le
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projet de PLUi arrêté et en cas d’avis négatif sur les dispositions qui la concernent
directement, le conseil communautaire doit à nouveau délibérer avec une majorité
renforcée.
On observe à la lecture du présent projet de loi (aliéna 35 de l’article 36) qu’il autorise une
commune à délibérer pour solliciter de sa communauté en matière de PLU un débat sur
l’opportunité d’élaborer un PSMV. Cette disposition supplémentaire semble être de nature à
rassurer le maire quant à sa capacité à alerter ses collègues maires sur l’intérêt du
patrimoine et son besoin de protection renforcée. Une disposition de nature comparable
pourrait être envisagée en cas d’élaboration d’un PLUI. La commune concernée par un
périmètre de cité historique devrait pouvoir s’appuyer sur l’avis de la CRPA pour se
prononcer sur le projet de PLUI arrêté par la communauté et qui lui est soumis pour avis. Il
conviendrait pour se faire de placer la saisine de la CRPA en amont de l’arrêt du projet et
non avant l’approbation comme indiqué à ce stade dans le projet de loi.
Cité historique : une simplification en trompe l’œil ?
Les dispositions du projet de loi n’apparaissent pas de manière évidente synonymes de
simplification. La cité historique reste une servitude d’utilité publique déclinée soit à travers
un PSMV, soit dans un PLU composé d’un diagnostic, d’un PADD et d’un règlement qui devra
comporter des dispositions spécifiques à la préservation et à la restauration du patrimoine.
On reste sans changement majeur dans les mêmes dispositions codifiées par l’article L 123-5
du code de l’urbanisme.
Un regard bienveillant peut être apporté sur une évolution qui vise à mieux considérer la
conservation et la restauration du patrimoine dans le PLU. Mais une meilleure irrigation du
patrimoine dans le PLU ne constitue pas une simplification.
Il existe un nouvel enjeu à ajouter la restauration du patrimoine dans un des articles les plus
importants du code de l’urbanisme : le L.110 (article 36, alinéa 2). Cet ajout risque de créer
des obligations et non pas un droit à agir. Or il ne faut pas confondre le droit à faire défini
dans la planification urbaine avec le devoir à agir que laissent entendre les nouvelles
obligations patrimoniales telles qu’elles apparaissent dans l’article L. 110 remanié par le
projet de loi.
Cité historique : un objectif à préciser
Le projet de loi laisse planer l’incertitude quant aux objectifs poursuivis par l’émergence des
cités historiques. S’agit-il d’un nouvel outil technique à l’usage des collectivités et des
acteurs locaux ou un nouvel outil de communication grand public à des fins de valorisation
touristique ? En effet, il est à souligner que le label Villes et pays d’art et d’histoire existe et il
est regrettable que le projet de loi n’y fasse pas allusion.
Le rapporteur a affirmé lors de l’examen du projet de loi en commission des affaires
culturelles ne pas avoir fini de s’interroger sur les termes de cité historique. Au regard du
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nouveau dispositif créé, il serait bon qu’une notion plus englobante que cité historique
puisse être proposée.
Cité historique : une ouverture positive aux paysages
On peut se féliciter de l’élargissement opéré en commission des affaires culturelles du
dispositif de cité historique aux paysages et espaces ruraux. Cette protection gagne à ne pas
être réservé à l’espace urbain (article 24, alinéa 68).
Toutefois, une incohérence demeure. LA ZPPAUP avait permis de classer des espaces peu ou
non bâtis, comme un canal par exemple. La substitution des ZPPAUP par les cités historiques
fait dès lors apparaître ces espaces peu ou non bâtis comme des cités historiques alors
même qu’ils n’entrent pas dans la définition des cités historiques qui visent à classer des
espaces : « qui forment avec ces villes, villages ou quartiers un ensemble cohérent ou qui
sont susceptibles de contribuer à leur conservation ou à leur mise en valeur. »
Cité historique : un risque d’instabilité juridique
Alors que les collectivités sont en train de transformer les zones de protection du patrimoine
architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en aires de mise en valeur de l’architecture et du
patrimoine (AVAP), la loi ALUR de mars 2014 a décalé d’un an la date à laquelle les ZPPAUP
doivent être transformées en AVAP sous menace d’extinction. Et un an après, le présent
projet de loi modifie de nouveau les obligations des collectivités en matière de patrimoine
en instaurant les cités historiques. L’instabilité juridique nuit aux politiques de long terme,
cette conséquence doit être soulignée.
La commission des affaires culturelles a fixé une durée de 10 ans maximale pour que les
collectivités élaborent un PSMV ou un PLU sur le périmètre des cités historiques (article 24
alinéa 78). Cependant, il conviendrait que lors de l’examen en projet de loi, une disposition
vienne préciser les conséquences du non respect de cette obligation.
Inscription du patrimoine mondial de l’UNESCO dans la loi : un objectif à saluer, un
dispositif à revoir (article 23 alinéas 15 à 22)
La reconnaissance par la loi du dispositif de patrimoine mondial de l’UNESCO doit être
accueillie avec satisfaction. En effet, un territoire classé patrimoine mondial de l’UNESCO
bénéficie d’une visibilité internationale qui lui assure des retombées économiques
substantielles. Il permet aussi d’inscrire le cadre de vie des habitants dans une histoire et un
lieu.
Toutefois, la mise en place du dispositif tel que décrit dans le projet de loi peut
potentiellement fragiliser les acteurs locaux ainsi que l’appropriation par la population de ce
patrimoine. Le projet de loi propose que le plan de gestion obligatoire pour préserver le bien
en tant que patrimoine mondial de l’UNESCO soit élaboré par l’Etat, alors qu’à l’heure
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actuelle ce sont les collectivités ou des associations qui sont souvent à l’initiative de la
demande de classement du bien ou du site et du plan de gestion.
Recentraliser le dispositif risque de déposséder les élus et la population de la gestion de
leurs territoires et ce, d’autant plus que le dispositif proposé par le projet de loi ne dit aucun
mot sur la concertation avec les acteurs locaux.
Une politique d’intégrité des ensembles salutaire (article 24 alinéas 46 à 53)
Les associations d’élus signataires saluent ces dispositions qui permettront aux collectivités
de travailler sur des projets cohérents et qui faciliteront leur travail actuel de classement
objet par objet.
Elles se félicitent que le projet de loi ouvre la possibilité d’attacher des ensembles à un lieu
ce qui leur permettra aussi de développer les potentiels de certains lieux grâce aux objets
qui y sont attachés.
Le label qualité architecturale (article 26) à élargir
Les critères proposés par le projet de loi pour obtenir le label pour les immeubles,
ensembles architecturaux et aménagements de moins de 100 ans peuvent sembler trop
restrictifs.
Il serait judicieux d’aligner ces critères sur ceux nécessaires pour classer ou inscrire des
monuments historiques, autrement dit en y substituant le critère d’un intérêt au point de
vue de l'histoire ou de l'art.
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