Histoire du sida
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Histoire du sida
BOOK REVIEWS/CRITIQUE LITTERAIM Histoire du sida Mirko Grmek Paris: Payot, 1989, 392 p., 98FF C'est le samedi 25 fevrier 1989, B bord du v01 Geneve-Montreal, au retour d'un magnifique colloque sur les perspectives d'eradication de l'hepatite B dans le monde, que j'ai devore l'ouvrage de Mirko Grmek (prononcez : GrCmek) : Histoire du sida. Je n'ai pas encore eu la chance de rencontrer l'auteur. donc de placer un visage sur le nom mais, B plusieurs reprises, j'y mettais celui du professeur Henri Guillemin que la telkvision de Radio-Canada nous a rendu le style, le souci de la perfection, le sens familier et captivant. Est-ce rigoureux de l'histoire petite et grande, ou tout simplement par l'impression (sans jeu de mot) de plenitude degage par le bouquin? Je fus conquis et considere qu'il fait partie des quelques rares ecrits que tout sidenologue doit absolument parcourir. Non seulement Grmek h i t l'histoire du sida, il la decortique avec un sens remarquable de l'Histoire : le sous-titre est evocateur c<Bbutet origine d'une pandemic aduelle*. Oui le sida est une maladie nouvelle d a n s la mesure oh jusqu'aux ann&s soixante-dixelle n'etait mCme pas concevable*, oui udans sa dimension pandemivraiment nouvelle dans la mesure oh son germe existe que actuelle,, non <<pas depuis bien longtemps, et, derriere Yecran des autres maladies infectieuses, provoque des etats pathologiques sporadiques ou mCme collectifs mais Ws limit& dans le temps et dans Yespace, (8). A partir de la denonciation d'une maladie etrange et nouvelle vers 1980, parce que les medecins pensaient ne l'avoir jamais vue, il suit les detectives medicaux B l'oeuvre dans une fameuse enquCte epidemiologique aupres des homosexuels etats-uniens. Le .patient &ro>>,Gaetan Dugas comrnissaire de bord pour Air Canada, est stigmatise comme ayant contarnine au moins 40 des 248 rnalades diagnostiques avant a d 1 9 8 2 aux nobles ~tats-Unisd'Amerique : Haro sur le baudet! <<DartsYantiquite Hesiode s'etait servie d'un jeu de mot poetique pour mettre c6te B c6te ''loirnos" [peste] et "limos" [famine] [. . .] 1l'epoque modeme "peste" s'accorde avec "poste" [. . . .] Les microbes pathogenes profitent du perfectionnement des moyens de transports* (43) et surviennent les premiers emois europ6ens : ce sont les liaisons dangereuses Amerique-Europe. L'auteur a une phrase sublimepour qui connait la petite histoire. . . <<On isola , le virus en 1983 mais on n'admit vraiment son r61e etiologique qu'B partir d'avril 1984,; (lire Vaincre la sida, entretiens de Luc Montagnier avec Pierre Bourget, chez Cana, Paris 1986). uLe club des quatre H, en comptait cinq en oubliant d e w groupes parfaitement (sic) "innocents": les transfuses et les nouveau-ds [. . .l, (58). En deuxieme partie (aLes oracles de la science*), Grmek suit la piste des virus et presente un condense de la virologie moderne depuis la decouverte des agents filtrants vers 1881jusqurBla tran&iptase. La d&ouverte de l'agent viral du sida, la solution d'une controverse et la description des etapes du sida permettent de comprendre l'importance de ces observations biologiques, leur limite et leurs defis d'avenir. bar CBMHIBCHM 1 Volume 7: 1990 / p. 108-109 BOOK REVIEWSICRITIQUE LIl'TERAIRE 109 La description des cas atypiques n'apparait dans la litterature medicale que vers la fin du XIXe siecle. Grmek pousse un regard en arriere en relevant au passage les observations egyptiennes, la Bible et la description paleopathologique des ossements d'~rasme,mort en 1556, et exhume B B2le en 1930. L'un des plus intkressants chapitres, s'attarde B l'origine et la dissemination des germes du sida. La connaissance de la genealogie des retrovirus, leur presence depuis plusieurs siecles voire millenaires s'ouvre sur plusieurs hypotheses et d'enigme historico-epidemiologique reside dans la relation entre le sida africain et le sida americain, (240). L'auteur pense que <<meme si le sida est originaire d'Afrique et si le foyer africain est plus ancien que le foyer americain, cela n'exclut pas la possibilite d'une reintroduction en Afrique d'une souche non autochtone et particulierement virulente* (243). I1 est cependant ~ d plus e en plus convaincu que le sida haitien represente un foyer secondaire allume par le brandon americain et non africainw (242). A propos des conditions biologiques et sociales de la pandemie, Grmek *insiste sur un facteurneglige : le r61e joue par la pathocinose, c'est-B-dire I'equilibre dans la frequence de toutes les maladies qui affectent une population determinee. L'histoire de chaque maladie est tributaire de l'histoire de toutes les autres maladies, (246). Son concept nouveau justifie B lui seul l'ouvrage. <<Quatre grandes ruptures d'equilibre pathocenotique se sont produites dans le passe du monde occidental : au Neolithique, avec le passage au mode de vie sedentaire; au Haut Moyen Age, avec les migrations des peuples venant d'Asie; B la Renaissance, avec la decouverte de l'Amerique; et, enfin, B notre epoque, avec l'unification mondiale du pool des germes pathoghes et avec la chute spectaculaire de la plupart des maladies infectieuses>> (249-50), notarnrnent da dgression spectaculaire de la tuberculose au X?? si6cle~. ~ D a n la s lutte contre cette maladie il y a une disproportion terrible entre la theorie et la pratique, (283): grandeur et miseres de la medecine moderne (chapitre 16). A la fin, Grmek manifeste un optimisme realiste : <Lapandemie actuelle s'est produite parce que des changements radicaux du comportement humain ont rompu I'equilibre seculaire entre les germes et leurs h6tes. MSme si l'on ne trouve ni vaccin ni medicament pour stopper la pandemie, un equilibre nouveau va s'installer entre les virus et les hommes [ . . .l B long terme et B un prix exorbitant en souffrances et en vies humainesw (302). JEAN ROBERT Hapital Saint-Luc, Montrial