La Gruyere Online

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RETOUR DE JACK WHITE. Au cours d’un chat avec des fans, Jack White
a lâché qu’il était en train de terminer de produire deux albums en ce mois
de janvier, en ajoutant: «L’un d’eux est le mien.» Le successeur de son
album solo Blunderbuss (2012) ne devrait donc plus tarder. Avec son
groupe The Dead Weather, une autre sortie est prévue pour 2015.
Culture
La Gruyère / Jeudi 9 janvier 2014 / www.lagruyere.ch
Puis Tom Morello vint et raviva
la flamme du E-Street Band
DISQUES. Des reprises et d’anciennes chansons
forment l’essentiel du 18e album studio
de Bruce Springsteen. High hopes témoigne
surtout de la marque laissée par le guitariste
de Rage Against The Machine.
ÉRIC BULLIARD
P
De Californie à l’Australie
Tom Morello a raconté au magazine Rolling
Stone à quel point il a été flatté… et stressé
par cette proposition. Avant de partir, Springsteen lui a demandé d’apprendre 50 chansons.
DISQUES
Tom Morello a appris 50 chansons
pour la tournée. Avant de comprendre que ce n’était que pour
la première date…
Dog Almond
DRIFTING ANIMALS
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Pop pervertie
On connaît surtout Christophe Calpini et Franco Casagrande pour leur pedigree. Le premier, batteur et électrobidouilleur de son état, a collaboré avec Bashung sur
L’imprudence, avec Erik Truffaz sur Revisité. Le second,
ancien guitariste des Moonraisers, a joué avec davantage de groupes que le corps compte de doigts. Surtout,
les deux musiciens romands ont participé à la création
de Kelomès, le projet électro-barré de Pascal Auberson.
Bref, ces deux-là sont loin d’être des manches.
Comme larrons en foire, ils viennent de sortir le
second album de Dog Almond, un ambitieux projet
de trip-hop expérimentale. En onze compositions aux
structures alambiquées (parfois un peu trop), le duo se
joue des codes, invite le sax alto de Ganesh Geymeier
et prend plaisir à pervertir les schémas pop habituels.
Et tant pis si, malgré l’envie de pousser le bouchon
plus loin, il ne parvient pas à trouver la même alchimie
que Broken Bells, groupe auquel on peine à ne pas les
comparer. CD
Bruce Springsteen et Tom Morello: une rencontre qui a permis une stimulation réciproque.
Ce qu’il a fait, consciencieusement, avant de
comprendre que ce n’était que pour la première date… Chaque jour, d’autres morceaux
se sont ajoutés à la setlist potentielle.
Stimulé par le défi, Tom Morello a, à l’inverse, secoué le E-Street Band, avec son jeu
inventif, éloigné de celui du brave «Miami»
Steve. A tel point que Springsteen l’appelle
«ma muse». Entre deux concerts, ils dénichent un studio à Brisbane, puis à Sydney
pour enregistrer quelques pistes à l’arrache.
L’album se construit ainsi, au fil d’échanges
entre un producteur en Californie et un
groupe en tournée australienne. Au retour,
quelques enregistrements additionnels seront effectués, notamment au studio que le
Boss possède dans son ranch du New Jersey.
Le Vietnam, encore
Pour le titre High hopes, aussi, le rôle de
Tom Morello a été essentiel. Avant de partir
pour l’Australie, il entend un soir, à la radio,
cette reprise de Tim Scott McConnell (chantée
avec ses Havalinas) que Springsteen n’avait
LIVRES
our qui connaît un tant soit peu Bruce
Springsteen, il y a là de vieux souvenirs,
comme The ghost of Tom Joad (qui a
donné son nom à un de ses meilleurs albums,
en 1995) ou American skin (41 shots) qui apparaît sur le Live in New York City de 2001. Et
des morceaux joués en concert, des reprises,
des inédits aussi, plus ou moins anciens. Le
tout forme High hopes, curieux 18e album,
qui sort la semaine prochaine, où l’on passe
de l’indifférence à l’enthousiasme.
Au départ, deux étincelles. D’un côté, des
chansons de Springsteen qui n’ont jamais
trouvé place sur un album. En raison de son
exigence et de sa volonté de cohérence:
chacun de ses disques illustre un thème
unique. Ceux qui ne collent pas à l’ensemble
restent en rade. Pour Wrecking ball (2012),
par exemple, il avait 30 à 40 chansons.
A ses yeux, plusieurs titres abandonnés
depuis la reformation du E-Street Band en
1999 méritaient d’être rendus publics. En
décembre 2012, Springsteen appelle Ron
Aniello, qui vient de produire Wrecking ball,
et lui confie quelques maquettes. Juste pour
voir ce qu’elles peuvent devenir, pendant
qu’il part en tournée. Ce sera la deuxième
étincelle.
Guitariste historique du groupe, Steve
Van Zandt doit renoncer à ces concerts, pris
par un show télé. Springsteen fait alors appel
à Tom Morello, le guitariste de Rage Against
The Machine, qu’il avait déjà invité sur scène
à ses côtés. La première fois en 2008, pour
un Ghost of Tom Joad d’anthologie à Anaheim
(Californie).
enregistrée que pour un EP cinq titres de
1996. Il lui propose de l’intégrer à la tournée.
Aujourd’hui, elle ouvre parfaitement l’album,
avec son chœur, ses cuivres… et la guitare
de Morello.
Fin exaltante
Présent sur huit des douze titres, le guitariste imprime aussi une marque puissante
sur The ghost of Tom Joad, qu’il chante en
duo avec Springsteen, dans une version qui
rappelle davantage Youngstown que la douce
ballade originale. Le sommet de l’album.
Autre moment fort, The wall, joué parfois
en live depuis 2003, poignant hommage à un
musicien du New Jersey que le Boss admirait
dans sa jeunesse et qui n’est pas revenu du
Vietnam. La chanson date des années 1990
et l’on entend le clavier de Danny Federici,
membre du E-Street Band, disparu en 2008.
De même que l’on retrouve avec émotion le
sax de Clarence Clemons, mort en 2011, sur
Harry’s place. Ce qui constitue à peu près le
seul intérêt de ce titre, laissé de côté à
l’époque de The Rising.
Gérard A. Jaeger
INDISCRÉTIONS D’ATELIER
L’Aire / 368 pages
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Après une mise en route un rien pataude,
la deuxième partie de l’album se révèle franchement exaltante, avec encore la ballade
désabusée Hunter of invisible game, qui méritait
d’apparaître au grand jour. Tout comme American skin (41 shots), moins immédiatement
séduisante, mais essentielle, écrite en 2000,
après la mort d’Amadou Diallo. Les policiers
qui avaient tiré 41 coups de feu sur ce jeune
Noir désarmé ont été acquittés. «You can get
killed just for living in your American skin…»
Aux côtés de quelques titres anecdotiques
(comme le gospel de Heaven’s wall), à noter
encore deux reprises, histoire de rappeler que
le Boss est un maître dans le genre: Just like
fire would, des punks australiens The Saints et
Dream baby dream, qui clôt en douceur l’album.
Un presque classique de ses concerts – emprunté aux New-Yorkais de Suicide – pour assurer que le feu brûle encore: «Come on, we
gotta keep the fire burning…» ■
Bruce Springsteen, High hopes, Sony Music
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Jean Delumeau
DE LA PEUR À L’ESPÉRANCE
Robert Laffont / Bouquins, 1056 pages
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Auprès des artistes
Histoire de croire
Historien, romancier et historien d’art, Gérard A. Jaeger
(auteur d’Il était une fois le Titanic en 2012) mêle ses différentes spécialités dans ce recueil de trois essais, dont
seul le premier est inédit. Indiscrétions d’atelier se penche
sur l’œuvre et le destin de Fragonard, Courbet et Rodin.
Peu de réelles révélations, mais un sens du récit qui devrait permettre à tous les lecteurs, même les moins avertis, d’entrer dans l’intimité de ces artistes.
On redécouvre ainsi un Fragonard plus fidèle que
libertin, dont la peinture s’est retrouvée entraînée dans
une mode à l’opposé de son train de vie. On retrouve
Courbet dans son exil suisse et Rodin en sculpteur
fasciné par ses modèles. Même s’il risque de frustrer
les spécialistes, en particulier sur le versant artistique,
le parcours se révèle plein de vivacité, agréable malgré
quelques tics d’écriture, notamment la multiplication
des connecteurs comme «or» et «aussi». EB
Jean Delumeau est de ces historiens dont l’œuvre demeure profondément originale. S’étant donné comme sujet de prédilection, rare à l’époque, l’étude du sensible,
des représentations et des «mentalités», surtout religieuses, il a apporté un éclairage inédit sur la christianisation et la déchristianisation de l’Europe. Un important
recueil de textes permet de redécouvrir ses réflexions.
On peut y lire son ouvrage le plus fameux, La peur en
Occident. Crainte de la mort, du jugement dernier, mais
aussi des sorcières, du diable, de la fin du monde, taraudaient les populations des Temps Modernes. Les peurs
«spontanées» des masses, comme celles «réfléchies»
des élites, résonnent encore aujourd’hui. Jean Delumeau
devait aussi, en contrepoint, exprimer son regard et
son espérance de croyant, illustrant l’humanisme de
cet homme qui, à 90 ans, continue de Guetter l’aurore. RM