Grands projets et utopies pour les métropoles au Japon (1)

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Grands projets et utopies pour les métropoles au Japon (1)
Flux n°50 Octobre - Décembre 2002 pp. 53-58
Grands projets et utopies
pour les métropoles
au Japon (1)
Éric Baye
ar-delà un attachement très fort à ses valeurs culturelles
propres, le Japon est représentatif de ces sociétés qui cherchent avant tout dans la technique — en particulier la construction — la réponse aux problèmes urbains. Indissociablement
liés à l’urbanisation accélérée du pays depuis la guerre, des
grands systèmes techniques se sont développés dans des métropoles — infrastructures, complexes industriels, plates formes
d’échanges intermodales ; parcs récréatifs — soumis à des
contraintes considérables d’espace, à de très fortes densités
démographiques, exposés à d’importants risques naturels, voire
industriels (accident nucléaire de Tôkaimura en 1999, dans la
préfecture d’Ibaraki, voisine de Tôkyô) et terroristes (attentat de
la secte Aum dans le métro de la capitale en 1995). Jusqu’à
l’éclatement de la bulle financière, les grandes métropoles ont
multiplié les projets urbains spectaculaires, puis la tendance
s’est essoufflée avec la stagnation économique. Elle n’est pas
nécessairement pour autant condamnée, eu égard à la volonté
des pouvoirs publics de soutenir l’activité. Parallèlement à ces
projets, le système technocratico-industriel a été au cœur d’une
réflexion à caractère utopiste sur la ville, ou du moins sur ce qui
pourrait en être un support révolutionnaire, expression de ce
P
goût du Japon contemporain pour la grande réalisation technique et la prouesse technologique.
Grands projets et utopies urbaines n’ont pas de liens directs
entre eux, mais ils sont l’un et l’autre caractéristiques de dynamiques économiques dominées par l’offre. À cet égard, la
bureaucratie d’État et les conglomérats constitués autour d’établissements financiers (les keiretsu), en permanente interaction
l’une avec les autres (2), ont joué des rôles décisifs. Dans les
plus grandes métropoles s’est imposée peu à peu une bureaucratie locale puissante et compétente avec laquelle les promoteurs et l’État ont dû apprendre à compter (3). Le Ministère de la
Construction (MOC), le MLIT depuis 2001, est depuis 1948 le
principal acteur de l’État central dans les projets urbains :
construction et habitat, infrastructures de voirie, gestion des
rivières urbaines et assainissement (4). Les acteurs privés en ont
été essentiellement les compagnies ferroviaires (de vieilles
sociétés comme Hankyû dans le Kansai ou Meitetsu à Nagoya,
les JNR à partir de 1971, puis celles issues de leur privatisation
en 1987) (5), les collectivités locales, les entreprises de la
construction et du BTP (Shimizu, Komatsu…), les institutions
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financières (6), les grands magasins comme Seibu, Daimaru,
Takashiyama ou Mitsukoshi, et bien entendu des groupes
immobiliers…
LES
GRANDS COMPLEXES URBAINS
AU JAPON
Depuis la fin des années soixante, la plupart des grands projets
urbains ont été initiés par les pouvoirs publics locaux avec l’appui du gouvernement central et de capitaux privés. En province, l’appui à ces projets a traduit la volonté des pouvoirs publics
de contrebalancer la puissance attractive de Tôkyô et de stimuler l’acquisition d’une véritable stature nationale et internationale par les autres villes. Ces opérations ont longtemps été fondées sur le triple pari de la croissance économique générale, de
la récupération de plus values foncières et de l’accroissement
du pouvoir d’achat des résidents.
Les plus connues de ces opérations ont concerné les gares :
autour de celles de Shinjuku (grands complexes commerciaux,
esplanades, quartiers d’affaires et siège du gouvernement
métropolitain), autour de Shibuya, d’Ikebukuro et de Tôkyô station (avec ses immenses galeries marchandes souterraines),
autour de la gare de Shin Nagoya avec huit centres commerciaux eux aussi souterrains et deux tours de plus de 200 mètres
de haut (Traganou, 1999), ou encore autour de la gare d’Ôsaka,
dans le quartier d’Umeda — dont le développement remonte
aux années 1960 et 1970 — avec entre autre un complexe de
300 boutiques et une petite rivière souterraine artificielle (Roty,
1996). Dans un pays où les villes sont pauvres en espaces
publics, ces complexes faciles d’accès sont devenus les lieux de
fréquentation et de rencontres favoris des nouvelles générations
urbaines au pouvoir d’achat confortable et soumises au consumérisme, des lieux de sorties familiales également axées sur la
consommation de biens et sur la découverte des derniers gadgets à la mode.
Une autre orientation des grands projets urbains a visé, de
pair avec la désindustrialisation relative de l’économie des
villes (fermetures de chantiers navals en particulier), à reconvertir les zones littorales, au besoin par remblais (land reclamation). Un des exemples les plus connus est celui de Yokohama
Minato Mirai 21 (projet de 2 trillions de yens, financé par
apports publics et privés), couvrant 186 hectares, lancé en 1983
et susceptible d’accueillir 190 000 personnes (bureaux, magasins, musées, centres de conférences, hôtels, parcs…). Les
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opportunités foncières et l’audace des promoteurs privés aidant,
les grandes métropoles ont ainsi cherché à s’ouvrir, non pas tant
sur la mer elle-même que sur le littoral. Outre Yokohama, citons
Tôkyô avec le Tôkyô Teleport Town (travaux achevés en 1996)
et l’île d’Odaiba (cf. infra), ou Ôsaka avec la nouvelle Airport
Front Town induite par la construction de l’aéroport international du Kansai sur une île artificielle de 510 hectares distante de
près de 4 kilomètres de la côte (coût de 1,46 trillion de yens).
Ces projets, parfois conçus il y a vingt ou trente ans, ont répondu au besoin des métropoles nippones de se forger une image
de dynamisme post-industriel, ouvert sur le monde. Avec les
années de croissance accélérée, les projets urbains se sont voulus l’expression même du succès économique de l’archipel,
d’une capacité japonaise à marier rationalité d’affaires et politique publique locale de développement, à s’imposer comme la
référence en Asie pour le passage des villes à l’ère post-industrielle.
D’autres grands projets urbains centrés autour des loisirs
(Parc Disney de Chiba), de la culture (Tôkyô Opera City), et/ou
sur l’univers médiatique (multiplexes, complexes de jeux vidéos
remplis de bornes d’arcades) ont vu le jour récemment, impliquant largement de nouveaux acteurs industriels comme Sega
ou Sony. La société urbaine (et périurbaine) japonaise promeut
ainsi de nouveaux modes de vie, orientés vers la détente de
familles peu nombreuses ou de ménages individuels et vers la
consommation de services sept jours sur sept (jeunes, retraités,
touristes). Par exemple, le nombre des projets de multiplexes,
même s’il est encore limité, s’accroît. La formule traditionnelle
mais relativement confidentielle d’accueil par les grands magasins d’activités culturelles (expositions artistiques notamment)
marque le pas au profit de réalisations spectaculaires du type
Odaiba ou Minato Mirai 21, districts urbains complètement
neufs qui regroupent des centres commerciaux, des complexes
hôteliers, des zones récréatives, des lieux de rencontre internationaux… Sur l’île d’Odaiba, le complexe « Aqua City » a été
promu par le groupe Sony (Sony Development et Sony Urban
Entertainment). Relié en quinze minutes à la gare de Shinbashi
par un monorail, il compte cent-cinquante restaurants et treize
cinémas avec un parking de 900 places. Le complexe, qui a
ouvert ses portes en 2000, est promu sous le thème « creating
an entertaining town ».
Ces grands complexes urbains à activités multiples correspondent à une dimension supérieure du capitalisme urbain où
se croisent logiques de constructeurs, d’aménageurs, d’opéra-
Baye - Grands projets et utopies pour les métropoles au Japon
teurs de services de transports et de communication, et bien sûr
des établissements financiers. Même si ces projets n’induisent
pas de rapprochements marquants de type fusions ou absorptions entre les grands groupes concernés (sauf lorsqu’ils appartiennent déjà à des keiretsu, citons à cet égard les conglomérats
Sumitomo et Mitsui, particulièrement actifs dans les projets
urbains), qui conservent par conséquent leur indépendance les
uns par rapport aux autres, les complémentarités sont valorisées
dans un contexte de spéculation immobilière. Les opérateurs
ferroviaires par exemple ont largement tiré parti de leur patrimoine foncier, valorisé avec l’entremise des sociétés immobilières et l’appui des entreprises de construction, tout en anticipant des hausses de revenus grâce à une fréquentation plus élevée sur certaines lignes. Plusieurs grandes firmes venues de
l’électronique grand public et de l’univers des médias ont poursuivi une logique d’accumulation du capital en adjoignant
intelligemment des dimensions récréatives originales et aux
allures high tech aux projets urbains. Ces projets se veulent
avant tout des investissements profitables et des outils au service de la compétition entre les villes. On l’a vu avec le Minato
Mirai 21 de Yokohama, désireuse d’échapper à une image de
ville dortoir de Tôkyô. Ôsaka, qui fait des efforts désespérés
pour rattraper le retard démographique et économique pris par
rapport à Tôkyô (la ville doit se porter candidate aux Jeux olympiques de 2008), n’est pas en reste avec l’ouverture récente
d’un Universal Studios Theme Park à Konohana, fondé sur la
cinématographie et la création d’atmosphères de films à sensation au moyen d’écrans géants. Conçu par MCA (7) le parc, premier du genre au Japon, occupe une surface de cinquantequatre hectares sur d’anciens sites industriels. La municipalité
détient 25 % des parts de la société exploitante et les industriels
qui étaient propriétaires des terrains (Sumitomo ou Hitachi par
ex.) participent au capital de la société de projet. Elle a par
ailleurs construit un aquarium géant, inauguré depuis peu, qui
a déjà accueilli 5,2 millions de visiteurs pour sa première année
de fonctionnement. Dans tous ces projets, les financements privés sont incontournables. On voit apparaître les firmes de
l’électronique et de la communication, en particulier Sony,
Warner, Nitendo et AMC Entertainment. La chaîne de supermarchés Mycal et la Warner ont créé une filiale commune qui
a pris des participations dans plusieurs centres multiplexes (les
images sont aussi utilisées pour les jeux et autres attractions en
infographie) à Yokohama et dans les préfectures de Hyogo,
Ibaraki, Hokkaido, Shiga, soit en ville, soit à la périphérie des
centres urbains.
LES
UTOPIES URBAINES
Leur audace a sans doute été à la hauteur du sentiment de puissance technologique (plus que scientifique) éprouvé par les
piliers de la « Japan Inc. ». À certaines d’entre elles, comme les
schémas de villes souterraines (Guillerme, 1993) ou les villes
verticales, font écho partiellement des projets réels. À d’autres,
comme les plates formes géantes flottantes, correspondent plutôt des expérimentations techniques (Baye, Rigaud, 2001). Ces
utopies concernent un ou plusieurs réseaux urbains. Elles veulent répondre aux préoccupations du moment : économies
d’espace et d’énergies ou développement d’énergies renouvelables ; durabilité et recyclage des matériaux ; préservation de
l’écosystème ambiant ; meilleure résilience des établissements
humains aux risques. Elles ont largement été développées par
les milieux professionnels, avec le soutien des administrations
centrales : restées relativement confidentielles, elles ont peu
contribué à la notoriété des entreprises mais elles ont surtout
correspondu à leurs tentatives de repositionnements à partir de
secteurs d’origine en difficulté.
Ces utopies sont conçues comme le déploiement de principes techniques apportant de facto une réponse aux problèmes. Elles sont, dans leur esprit, assez différentes de celles
évoquées parfois en France (Spector et Theys éd, 1999), disons
plus radicales à maints égards. Par ailleurs, dans une perspective de vieillissement de la population, certaines accordent une
large place à des techniques en plein essor industriel (domotique, systèmes de transport pour personnes à mobilité réduite,
télésurveillance…). On se contentera ici d’en évoquer deux,
objets de projets nationaux, les hyper buildings et les platesformes géantes off shore.
Les hyper buildings
Le projet Hyperbuilding est d’une nature particulière à double
titre. D’une part, il est centré sur un concept technique — et
non pas sur une innovation technologique — révolutionnaire
en terme de représentation de la ville elle-même par rapport à
l’espace. D’autre part, il est avant tout porté par les entreprises,
les pouvoirs publics jouant un rôle indirect à travers la participation du Building Research Institute (BRI) du MOC. Ce projet
récent renoue avec l’utopie de la ville verticale. Il s’articule à
des préoccupations ambiantes de recherches appliquées sur les
matériaux de construction, les systèmes de communication et
de transports, la cybernétique et les télécommunications.
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Dans les années quatre-vingt-dix, les principales entreprises
de construction japonaises ont commencé à réfléchir séparément à des bâtiments de très grande hauteur (super high rise
buildings), notamment dans le cadre de travaux réalisés pour le
MOC. En 1993, suite à un travail avec six grands groupes de la
construction, le ministère explicite ses attentes à l’égard d’un
projet de réflexion plus concerté sur deux ans (1994-1996) qu’il
soutiendra sous la forme de commandes au BRC :
Hyperbuilding. Finalement, en 1994, une centaine d’organisations ont rejoint le projet : entreprises de la construction, firmes
d’ingénierie, sociétés de distribution d’énergie, promoteurs
immobiliers ou structures de recherche privées.
L’hyper building est une superstructure susceptible d’atteindre 1 000 m de hauteur, de durer mille ans (pour ce qui
concerne ses éléments les plus fondamentaux), d’abriter
300 000 personnes le jour et 100 000 la nuit. Elle occupe une
surface au sol d’un millier d’hectares. Son principe est d’être
structurée autour de piliers auxquels se greffent des grappes de
constructions et d’espaces publics, reliées les unes aux autres
par des plates-formes et des tubes, eux-mêmes réseaux supports
des systèmes de transports collectifs. La partie souterraine de
l’hyper building abrite des lieux d’activités (musées, bibliothèques, mais aussi usines d’incinération ou de production
d’énergie). La hauteur de la construction permet d’envisager
pour les résidents un panel de types de vie complètement original par rapport aux univers urbains classiques à deux dimensions. La conception même de la construction, composée d’éléments à durabilité variable (8), induit une flexibilité d’évolution
grâce aux possibilités de rajouter, ou de diminuer, le nombre
des modules résidentiels. L’ensemble doit composer une structure à la fois immune, douée d’un métabolisme technique et
social (capacité de gérer les détériorations), et dotée de ce que
les promoteurs du programme qualifient de « système nerveux », connecté à un système de contrôle centralisé. L’hyper
building doit évidemment répondre aux exigences environnementales et prélever le minimum des ressources naturelles environnantes. La question énergétique est résolue par le recours
aux énergies solaire et éolienne, et à l’énergie hydraulique fournie par les rivières souterraines, par la valorisation des effets de
cascade à partir des différentiels de température… Par ailleurs,
la structure exige des systèmes d’économie d’énergie. La
consommation d’eau doit recourir à des techniques de recyclage et de récupération des eaux pluviales et de condensation.
Les déchets sont recyclés au maximum. Les transports excluent
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tout usage de l’automobile : leurs modes sont des ascenseurs
intérieurs mus par câbles, ou adhérents aux parois extérieures
des constructions (wall surface transit systems), d’escaliers
mécaniques, des sortes de chenilles utilisant les tubes spiralés
reliant les piliers et les plates-formes (passengers transportation
gondolas). Naturellement, la capacité à prévenir les catastrophes naturelles est un élément essentiel du concept d’hyper
building, doté de tous les équipements de détection et de simulation nécessaires, de zones d’évacuations étanches, et construit
avec des composants à la fois ultra légers et ultra résistants à la
corrosion et aux dégradations diverses.
En avril 1998, une nouvelle phase d’Hyperbuilding a été
lancée. Cette phase s’est voulue plus orientée vers une réflexion
opérationnelle, tournée notamment vers le projet de déplacement de la capitale en dehors de Tôkyô, ou vers des applications dans des pays en développement, ou des cités États.
Aujourd’hui, une troisième phase d’Hyperbuilding est en cours
d’élaboration, toujours coordonnée par le BRC. Mais la
conjoncture économique se prête mal à la mobilisation massive des professionnels de la construction. Son contenu n’est pas
encore très précis, mais l’objectif de communication autour du
concept d’hyper building sera probablement renforcé, en particulier à l’intention du grand public. Sur un plan pratique, aucun
« prototype » n’a encore été réalisé. Pour le 21ème siècle, l’idée
est de s’appuyer sur l’utopie de l’hyper building pour concevoir
des high rise buildings d’un nouveau type.
Megafloat
Mega-float est un programme impulsé par le Marine
Technology and Safety Bureau du Ministère des Transports
(MOT, aujourd’hui intégré au MLIT). L’inspiration originelle du
programme remonte aux années 1960, alors que le Japon prenait conscience de la nécessité d’exploiter au maximum les
espaces océaniques. Une première phase a été conduite de
1995 à 1998. Le programme est depuis avril 1998 dans sa
seconde phase, échéance 2002. Il s’agit d’arriver à construire à
terme des plates-formes géantes (ultra large floating structures)
en mesure de durer un siècle. L’idée du programme est d’explorer les possibilités de développer des applications : d’abord
des aéroports, mais aussi des parcs de loisirs, des complexes de
traitement des eaux usées et des déchets, des terminaux de
containers et des zones de refuge en cas de sinistre (tremblements de terre). Certains spécialistes envisagent même la possibilité d’utiliser les plates-formes pour accueillir des centrales
Baye - Grands projets et utopies pour les métropoles au Japon
nucléaires. A priori, les applications les plus immédiates sont
conçues comme des projets satellites à des cités existantes. Cela
étant, l’idée est de parvenir à terme à de véritables espaces
urbains flottants, à l’image de la célèbre île à hélice de Jules
Verne.
L’origine opérationnelle de Mega-float remonte à une dizaine d’années, à l’époque où le Japon concevait la première piste
du futur aéroport international du Kansaï, dans la baie d’Ôsaka,
sur la base de la technique du remblaiement. Mais il est difficile d’y recourir lorsque la profondeur de l’eau dépasse vingt à
trente mètres. En 1990, plus de cent-dix entreprises, principalement des secteurs de la construction, de la sidérurgie, et de la
construction navale, fondaient la Floating Structure Association
of Japan (FSA) et proposaient, à travers elle, de rechercher des
solutions de construction off shore flottantes. Malgré le choix du
gouvernement japonais de leur préférer la technique du comblement pour l’aéroport d’Ôsaka, la FSA a continué à réfléchir
à de possibles applications de la méthode de flottaison.
Les avantages attendus des plates-formes flottantes sont
l’existence de capacités considérables de stockage à l’intérieur
de la structure ; une durée de construction réduite ; la possibilité de les mouvoir et de les agrandir au moyen de modules ; un
impact minimal sur l’environnement ; une forte résilience aux
tremblements de terre.
En 1995, la FSA impulse la constitution d’une nouvelle
association, la Technological Research Association of Megafloat (TRAM) (9), dont la mission est d’élaborer un nouveau projet de construction d’aéroport flottant dans la baie de
Tôkyô (10). Dès le départ, le MOT défend le projet, et mobilise
l’un de ses instituts de recherche, le Ship Building Research
Institute.
La première phase du programme (1995-1998) a consisté à
travailler sur une structure expérimentale de trois cent mètres de
long, de soixante mètres de large et de deux mètres de tirant
d’eau, dans une perspective d’utilisation aéroportuaire : études
sur la corrosion (durabilité espérée d’un siècle) et sur la maintenance, travaux sur les méthodes de design, sur les températures, les vibrations et les bruits, les impacts environnementaux.
La seconde phase (1998-2001) vise à préparer un modèle d’un
kilomètre de long, de soixante à cent vingt mètres de large et de
trois mètres de tirant d’eau. Elle intègre une dimension expérimentation (atterrissage et décollage des aéronefs) et mobilise les
entreprises et les instituts de recherche publics, ainsi que six
universités nationales. Le coût total de Mega-float sur six ans est
de Y18,9 mds, dont Y1,5 md apportés par le MOT et Y9,1 mds
par les entreprises. Sur la seconde phase, le MOT finance 25 %
de l’ensemble. Au point où en sont les études aujourd’hui, les
spécialistes estiment qu’on peut envisager des plates-formes de
un à cinq kilomètres de long dans un futur assez proche. Le
Japon est l’un des pays les plus avancés sur la question des
plates-formes off shore ; il suit les exemples étrangers (USA,
Norvège, Royaume-Uni…) avec grand intérêt.
CONCLUSION (11)
Eu égard à la phase de stagnation durable que traverse l’archipel aujourd’hui, ces grands projets urbains et ces approches
utopistes restent-ils d’actualité ? Au Japon même, beaucoup
sont sceptiques ; la réalité ne leur donne pas tort. Cela étant, ces
initiatives correspondent à un trait culturel profond, caractéristique d’un système de décision largement dominé par les
grandes entreprises et la bureaucratie. En admettant que le
Japon de demain soit moins opulent, accorde une plus grande
valeur aux dimensions humaines (exclusion, détresses individuelles…) et politiques (enjeux de la décentralisation) des problèmes auxquels il est confronté, ce trait culturel n’est pas
condamné pour autant. Certes, on peut s’interroger sur le devenir des principaux acteurs des initiatives décrites ici : le pire est
peut être encore à venir pour les firmes de la construction et les
institutions financières, et le pouvoir de la bureaucratie pourrait
bien vaciller. Mais, sans même parler d’un possible afflux de
capitaux étrangers susceptibles de redonner vigueur à de grands
projets urbains, la fascination nippone pour la technologie ne
prend manifestement pas le chemin du déclin, comme le montrent les ambitions gouvernementales et industrielles à cet égard
(Baye, Rigaud, 2001). Par ailleurs, le Japon veut s’orienter vers
la construction de villes plus compactes, mieux adaptées aux
évolutions démographiques à venir (MOC, 1999), orientation a
priori favorable aux « paquebots urbains », qu’ils soient souterrains, en surface, ou flottants. Tout ceci laisse encore grande
ouverte la porte du rêve urbain, à des applications astucieuses
de techniques audacieuses et originales, et en mesure de susciter un intérêt considérable ailleurs en Asie, dans le monde chinois notamment.
Éric Baye
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Éric Baye est docteur en économie et diplômé de sciences politiques. Il est chargé de recherche et de projets à Économie & Humanisme depuis 1988. Ses sujets
principaux d’études sont les modes de gestion des services urbains, et les processus d’innovation technologiques appliqués aux développements des infrastructures et
services urbains. Ses travaux ont pour cadre l’Europe de l’ouest, mais surtout l’Asie de l’Est. Le Japon, où il se rend régulièrement, tient une place privilégiée dans leur
orientation, eu égard à ce que son expérience et ses acteurs représentent dans le processus de développement en Asie de l’Est. Il est par ailleurs membre du bureau
du Pôle de Compétence en Urbanisme (Lyon).
Économie et Humanisme - 14, rue Antoine Dumont 69372 Lyon cedex 08 - Téléphone : 04 72 71 66 63 - email : [email protected]
NOTES
(1) Cet article s’appuie en partie sur une recherche terminée
en juin 2001 (« Villes et technologies au Japon, Revue des programmes de recherche développement promus par les pouvoirs
publics »), conduite dans le cadre de l’Action Concertée
Incitative ville, coordonnée par le Ministère de l’Éducation
Nationale et de la Recherche. Cette recherche a associé Économie & Humanisme (E. Baye) et la Fondation des Villes s.n. (M.
Rigaud).
(2) Embauche de fonctionnaires en fin de carrière par la
grande entreprise, mise en place d’organismes paritaires
consultatifs, multiplication d’organismes professionnels à vocation technique, sans parler des pratiques induites par une complicité souvent partagée avec les intérêts du parti politique
dominant, le PLD…
(3) La décentralisation est lente au Japon. Sur ce point, voir
notamment (Hagihara, 1998). Pour un dossier complet, voir le
n° 73 de la Revue Française d’Administration Publique consacré à l’administration au Japon, janvier-mars 1995, en particulier l’article d’E. Seizelet (Seizelet, 1995).
(4) Depuis janvier 2001, le MOC a été fusionné à celui des
Transports et à l’Agence Nationale Foncière pour former le
Ministry of Land, Infrastructure, and Transport (MLIT).
(5) Les mesures de dérégulation et de « privatisations » qui
ont touché une partie des opérateurs publics au milieu des
années quatre-vingt ont renforcé leur autonomie et leur capacité à s’impliquer dans les projets urbains.
(6) Notamment les city banks, les trust banks et les compagnies d’assurance.
(7) MCA appartenait à Matsushita qui l’a ensuite cédée au
Canadien Seagram. Apparemment, le propriétaire actuel est
beaucoup plus entreprenant en matière des parcs récréatifs
urbains que l’ancien.
(8) Les éléments les plus fondamentaux, piliers et plates
formes, sont les plus durables. Viennent ensuite les structures
supports des espaces habitables, puis les constructions proprement dites (espaces architecturaux), à durées de vie beaucoup
plus limitées et aisément modifiables.
(9) Seize grandes entreprises, principalement de l’industrie
des biens d’équipements et de la construction navale sont
membres de la TRAM, dont Mitsubishi Heavy Industries Ltd,
Nippon Steel Corporation, Sumitomo Heavy Industries Ltd,
Mitsui Engineering & Shipbuilding Co. Ltd…
(10) Tôkyô souffre d’un grave problème aéroportuaire.
Narita ne dispose que d’une piste (et de deux terminaux) et se
trouve à soixante-dix kilomètres de la capitale. Haneda est
d’une capacité bien trop limitée et ne peut être agrandi. Il est
réservé aux vols intérieurs.
(11) Des éléments de cette conclusion sont développés dans
un dossier en cours de réalisation par nos soins pour la série
2001 Plus (Centre de Prospective et de Veille Scientifique de la
DRAST du Ministère de l’Équipement, du Logement et des
Transports), portant sur la prospective de la ville japonaise
aujourd’hui. Ce dossier sera disponible en 2002.
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