Auteur / Texte Lʼauteur est à lʼorigine du texte. Jʼai envie de
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Auteur / Texte Lʼauteur est à lʼorigine du texte. Jʼai envie de
Auteur / Texte Lʼauteur est à lʼorigine du texte. Jʼai envie de savoir qui il est, quelle est sa voix, son visage, son histoire, sa visée théâtrale et politique et quʼil y ait des traces de cela dans la représentation. Il est un partenaire de jeu à part entière à travers sa présence ou son absence. Sa présence peut être fictionnalisée. Jʼavais proposé à Robert Pinget, auteur de LʼHypothèse de le filmer chez lui, dans son environnement réel dʼauteur. Le sujet même de cette pièce étant le rapport de lʼauteur à son œuvre. Face à son refus, nous avons conçu avec le vidéaste Denis Guéguin un Journal de Mortin, diffusé par fragments au cours du spectacle. Ce film était supposé être le journal vidéo de lʼauteur réel de la pièce, qui se confond largement avec son personnage Mortin. Nous avons conçu sa biographie imaginaire et lʼavons filmée dans une maison du début du siècle, supposée être son domicile entre 1961, date dʼécriture de la pièce et la période la plus récente. Y figuraient des objets de la vie quotidienne, datés précisément, et agencés avec humour en référence à lʼactualité politique. Par exemple, pour le 21 mai 1968, une casserole bouillait à gros bouillons sur le gaz. Avec Un peu de poussière de chair, la nuit : une expérimentation autour de La Chanson de la main et Le Corps des rivières, une étape a été franchie : lʼauteur Yan Allegret était présent en acte sur le plateau. Dans la première partie du spectacle, la pièce était jouée par un acteur et une actrice violoncelliste. Lʼauteur, assis à une table au bord du plateau, faisait défiler son texte sur un écran vidéo parallèlement au jeu de lʼacteur. Cela créait des interstices de jeu pour le spectateur, lʼacteur apparaissant comme une projection de lʼécriture de lʼauteur, sa créature, un double de lui-même. Lʼauteur faisait naître des décalages subtils entre les mots dits et le défilement vidéo du texte : lorsque le personnage, être fragile et naïf, retrouvait sa bien-aimée, lʼauteur restait sur le seuil, avec un écran blanc, pour laisser son personnage tranquille quelques instants. Dans la seconde partie du spectacle, les spectateurs proposaient des directions de jeu au comédien, en présence de lʼauteur, de la violoncelliste et dʼun vidéaste. Lʼauteur lisait dʼabord les scènes proposées, révélant ses propres mots. Il semblait extérieur, affairé, inaccessible, mais portait une attention permanente aux autres. Il tentait dʼorienter les propositions des spectateurs par des sortes de didascalies écrites en direct ou réagissait aux essais qui avaient lieu sur les extraits de la pièce. Pendant que lʼacteur répondait aux directions des spectateurs, il pouvait continuer à travailler son texte, modifier une scène, semblant proposer une alternative au texte prévu. Il pouvait aussi écrire de petites formes énigmatiques, sortes de haïkus ou des bulletins météorologiques, qui ne disaient jamais directement ses critiques ou son encouragement par rapport aux essais réalisés mais qui avaient à voir avec eux. Il travaillait sur un ordinateur retransmis sur un écran. Il était assis à une table réunissant ses disques et livres essentiels pour lui… Comme une tentative de découvrir lʼorigine de son écriture. Il pouvait aussi diffuser des morceaux de musique ou lire des extraits de ses livres, amplifiant ainsi ou contredisant les directions de jeu choisies par les spectateurs. Heiner Müller dans Hamlet-machine prévoit lui-même sa présence comme partenaire de jeu à travers une photographie avec deux didascalies successives : (Photographie de lʼauteur) Je ne veux plus manger boire respirer aimer une femme un homme un enfant un animal. Je ne veux plus mourir. Je ne veux plus tuer. (Mise en pièces de la photographie de lʼauteur) Dans notre mise en scène, une photographie de cet auteur était effectivement projetée et sa voix annonçait les cinq parties de la pièce. Ma mise en scène de ce spectacle invitait les spectateurs à écrire dans le texte vidéoprojeté de la pièce de Heiner Müller – ce dernier ayant signalé que sa pièce nʼétait quʼun collage dʼautres textes. Les spectateurs devenaient ainsi auteurs dʼun ou de plusieurs fragments de textes. Yan Allegret, acteur dans ce projet, sʼappuyait sur sa qualité dʼauteur pour esquisser chaque soir différemment lʼintrication poétique de fragments de la pièce de Heiner Müller avec des textes écrits par les spectateurs. Au final une sorte de joute avait lieu entre lʼordinateur et lʼauteur vivant. En réponse aux associations informatiques aléatoires dʼéléments du texte, Yan Allegret opposait ses propres associations poétiques. Avec Avancer masqués, trois auteurs dont je montais les textes ont été successivement invités à infiltrer ma mise en scène de leur écriture scénique. Ce projet réunissait trois textes initialement écrits pour le n°184 de Théâtre / Public : Théâtre contemporain : écriture textuelle, écriture scénique que jʼai coordonné. Il sʼagit de trois autoportraits dʼAlain Béhar, de Frédéric Ferrer et Jean Paul Quéinnec. Ces trois textes, à la forte musicalité sondent les sources dʼinspiration et chemins quʼemprunte lʼécriture pour chacun de ces auteurs. La mise en scène proposait aux quatre interprètes en présence dʼun musicien de prendre en compte la mobilité autorisée des spectateurs dans lʼespace scénique partagé avec eux et dʼintriquer les textes chaque soir différemment. Alain Béhar, Frédéric Ferrer et Jean Paul Quéinnec, tous trois metteurs en scène, ont été accueillis chacun une semaine en tant quʼauteurs scéniques dans le projet, infiltrant notre création de leur écriture de plateau. Il sʼagissait pour moi de permettre aux acteurs de se charger de différentes esthétiques pas toujours compatibles entre elles : recherche dʼun écart humoristique et sensible entre le corps et la parole chez Jean-Paul Quéinnec, travail sur la conservation des traces de la présence dans lʼespace et lʼécart entre ce qui est dit et ce qui a lieu concrètement avec Alain Béhar, recherche dʼune incarnation reconnaissable et dʼune force de présence avec Frédéric Ferrer. Les textes des trois auteurs étaient affichés dans lʼespace par les spectateurs ainsi que des synthèses concernant les éléments identifiés du vocabulaire scénique de chacun des trois auteurs ; les spectateurs pouvaient les consulter au cours de la soirée et repérer les correspondances, les relier à ce qui avait lieu. Je suis proche des textes contemporains. Je suis curieuse des nouvelles formes et écritures que lʼétat du monde présent fait naître, du souffle induit par le texte, du jeu de cache-cache entre des éléments de réel et des fragments de narration. Le théâtre est une communauté inavouable où les hommes se rassemblent sans se le dire vraiment pour interroger leur être profond, le chemin vers la mort, le présent, le lien à lʼautre, lʼévolution de la société. Jʼaime sentir une entière liberté dans le traitement scénique dʼun texte. Néanmoins, dans mes mises en scène, le texte est la structure à partir de laquelle tout sʼordonne. Depuis que je travaille sur mes propres textes, je me suis autorisée à ne pas toujours monter lʼintégralité de mes textes. A part cette exception, lʼexactitude du texte mʼest nécessaire comme le socle de la création. Sa structure est une énigme à sonder. Elle contient de nombreuses potentialités. La rencontre des différents artistes et techniciens en présence fait naître une dramaturgie entièrement inspirée de la spécificité intrinsèque de chaque écriture et des personnalités en présence. Ainsi dans LʼHypothèse de Robert Pinget, le texte était composé de quatre styles dʼécritures successifs très différents, comme quatre essais apparents de mener une enquête sur la disparition dʼun auteur raté et de son manuscrit. En fait il sʼagissait plutôt de quatre façons effectives de ne surtout pas dire la vérité pour lʼorateur – qui se trouvait être lʼauteur en question. Dans la mise en scène, jʼai mis en place quatre dramaturgies et esthétiques très différentes correspondant aux quatre parties du texte. Hamlet machine est un texte très condensé, rhizomatique, politique et poétique. Je vois ce texte comme une invitation à lʼécriture, considérée comme une force dʼadversité et une liberté créatrice pour lʼindividu après la déconvenue communiste. Jʼai traduit cela par une machine à écrire scénique en invitant les spectateurs, les acteurs et les techniciens, à partir de règles du jeux et de matériaux prédéfinis, à réaliser une écriture collective, les spectateurs étant invités à écrire sur un ordinateur vidéoprojeté, à diffuser du son ou à filmer et lʼéquipe à réagir à leurs productions. Le choix dʼun texte nʼest pas chose facile car il faut pouvoir vivre avec lui pendant longtemps. Cinq thèmes en résonance directe avec ma vie se retrouvent dans le choix des textes que jʼai montés ou écrits. - les inquiétudes amoureuses, le rêve et la fin de lʼamour (Temporairement épuisé de Hubert Colas, 2011 Médée(s) : tragi-comédie, Le Temps des garçons - les doutes et les rêves de lʼartiste et les chemins de la création (LʼHypothèse de Robert Pinget, Avancer masqués de Alain Béhar, Frédéric Ferrer et Jean-Paul Quéinnec) - les désillusions politiques et individuelles – (Hamlet-machine de Heiner Müller, Comment le corps est atteint de Clyde Chabot) - le repli et lʼextériorité au monde extérieur (La Chanson de la main de Yan Allegret) - le face à face France – Afrique (Face à face : la Nuit des corps, Ils tracèrent des chamins sans direction vers la nuit de leur corps, Le corps des rivières de Yan Allegret), Je regarde le texte comme une énigme dont le secret tiendrait plus dans la forme et le rythme de lʼécriture que dans le sens des phrases. Je cherche autant à faire entendre ce que dit le texte quʼà transcrire scéniquement la structure et la forme de lʼécriture au-delà des mots, du strict sens des phrases. Ce goût pour lʼécriture et lʼexpérience limite quʼa constituée pour moi Hamletmachine que je considère comme une invitation pour chacun à écrire et que jʼai mis en scène trois fois, mʼont conduite a faire lʼexpérience dʼécrire moi-même mes propres textes : Comment le corps est atteint, 2011 Médée(s), Le Temps des garçons et Sicilia. Le premier est fragmentaire et tente de traduire les échos internes des dysfonctionnements politiques et sociaux et les chemins dʼune création à venir. Le second, structuré en quatre parties, revisite le mythe de Médée pour interroger les dérives du couple dans la société actuelle et la place de lʼenfant lorsquʼun couple se sépare. Le Temps des garçons réunit sous forme fragmentaire des échos dʼune ou de plusieurs histoires amoureuses, Sicilia est un texte autobiographique dans lequel je sonde mes origines siciliennes. Acteurs Ce sont les acteurs qui font apparaître le théâtre. Ils sont les véritables créateurs. Je ne fais que révéler, amplifier, organiser les signes quʼils émettent, créer les structures qui leur permettent dʼapparaître. Jʼaime être surprise par ce quʼils proposent et non pas quʼils réalisent ce que je leur ai demandé. Je suis la première spectatrice de leur théâtre. Dans mon premier projet, comme beaucoup de metteurs en scène, jʼavais écrit et dessiné tout ce qui devait avoir lieu sur le plateau. Après une semaine dʼimprovisations passionnantes, jʼai voulu que les acteurs entrent dans les cases que jʼavais composées pour eux. Ils sʼy sont sentis comme des marionnettes, vidés de leur être et de leur identité, et le projet ne sʼest pas réalisé. Depuis, cʼest pour moi quasiment un interdit de savoir ce qui va se passer sur le plateau avant les répétitions. Je choisis le texte, lʼéquipe et le lieu et jʼai toujours une idée de la direction vers où nous allons. Elle me permet dʼavoir une écoute sélective des propositions des acteurs et dʼorienter leur travail. Mais cʼest une image trouble esthétique, plastique, rythmique à atteindre qui laissent ouverts de nombreux possibles scéniques. Je nʼai aucune certitude formelle préalable. Je pars dʼune position de non savoir. La matière scénique vient des acteurs. Mon travail est de définir un cadre de recherche et dʼêtre entièrement au présent, disponible aux propositions conscientes ou inconscientes des acteurs. Jʼinvente des exercices, des dispositifs, des thèmes dʼimprovisations pour permettre aux acteurs de sʼapproprier le texte mais je vise plutôt une sorte dʼeffacement du metteur en scène. Le choix des interprètes est donc fondamental et je mets en place pour chaque création un ou plusieurs temps de recherche préalable, ouvert à des fidèles de la compagnie et à de nouvelles personnes. Après avoir rassemblé les participants du projet, il sʼagit pour moi de permettre que se révèle ce que la rencontre des uns et des autres recèle. A partir de lʼinstinct plus que de lʼintellect, dans lʼinstant, toutes antennes dehors, je me laisse gagner par ce qui advient pour rebondir, déplacer ou ajouter une loi ou une contrainte, modifier lʼespace, reprendre, amplifier, épurer ce qui a eu lieu. Je me considère surtout comme un grand œil ou comme de la peau. Jʼessaye de nommer ce que les acteurs portent en eux du projet sans toujours le savoir. Cʼest peut-être aussi pour moi une façon de faire que le projet leur appartienne. Après des traversées du texte et des improvisations, je mets essentiellement lʼaccent sur ce qui a été juste par rapport au projet et pourquoi. Je dis rarement à lʼacteur ce qui ne va pas et mʼattache à trouver au moins une chose de son travail sur laquelle il puisse repartir. Il me semble quʼau fur et à mesure se trame ainsi assez clairement un univers, un maillage qui se resserre. Au départ tout semble possible ; peu à peu des lois de travail se révèlent et deviennent de plus en plus déterminantes. En ce qui concerne la matière théâtrale, lʼensemble du travail de lʼacteur mʼintéresse autant que le résultat de son jeu : lʼéchauffement, sa façon de prendre en compte une proposition de mise en scène. Lʼacteur est pour moi sujet à observer, lieu dʼapparition et de fabrication du théâtre. Jʼaimerais pourvoir vérifier par où passe la transmutation de sa personne en sa figure ; imaginer quʼon pourrait mesurer avec des instruments précis les stases de cette transformation ; repérer lʼensemble de ses instruments et décider de nʼen garder quʼun seul. Travailler sur lʼempêchement de lʼacteur : Voir jusquʼoù il peut jouer encore, à quoi tient sa présence. Dans la première partie de LʼHypothèse, la parole était diffractée en cinq personnages assis face public, chacun ne disposant que dʼun des outils traditionnels de lʼacteur : lʼun disait le texte, un autre, âgé, lʼarticulait sans quʼon lʼentende, un troisième traduisait gestuellement tout ce qui était dit, un quatrième traduisait musicalement, le cinquième était une sorte de conscience policière – sorte de Surmoi. Dans ma mise en scène de La Chanson de la main de Yann Allegret, lʼacteur était quasi immobile, les yeux écarquillés, le corps tendu, le poing serré. Seuls de micros gestes étaient visibles. Jusquʼoù peut on réduire lʼamplitude des signes ? Jusquʼoù le signe est-il perceptible au théâtre ? Dans la seconde partie du spectacle où il jouait successivement différentes versions dʼune même scène en fonction des propositions des spectateurs, lʼacteur donnait à voir la matière même de son travail qui sʼappuie sur son art, son histoire personnelle et théâtrale, sa sensibilité, sa spécificité mise en jeu. Déranger lʼacteur : ne pas le laisser dans la reproduction tranquille de ce qui a été préparé mais introduire des éléments de perturbation aléatoire dans son jeu pour lʼobliger à inventer et à être créateur au présent. Cʼest ce qui a caractérisé lʼensemble des créations depuis dix ans. Je cherche à mettre en jeu pour les acteurs et à donner à voir au public le passage du texte écrit aux mots dits par des comédiens, jusquʼà des fragments de représentation scénique. Cʼest le propre du théâtre : les mots y amènent du corps, de la représentation. Jʼaime bien que le spectacle puisse commencer par une simple projection du texte ou une émission de la parole avant que nʼapparaissent des éléments plus complexes de théâtralité. Je travaille sur la matière réelle biographique, physique, rythmique des acteurs, sur leur singularité. Il me semble que lʼextrême individuel rejoint lʼuniversel. Jʼai besoin quʼil y ait un rapport de vérité entre le personnage et la personne, jusquʼà presque pouvoir les confondre. Je considère que durant le temps de la répétition, sur le plateau et hors plateau, tout ce qui vient des acteurs est proposition : une façon dʼêtre assis, de parler, des paroles personnelles, un rire, un geste… Dans le même temps, la loi est claire : tout ce qui a lieu dans le cadre des répétitions se situe dans le domaine du travail et ne doit pas déborder sur des questions psychologiques : pas de commentaires, dʼexplications. Je peux voler avec le consentement des comédiens ce que je vois, ce que jʼentends. Jʼaime montrer plusieurs représentations dʼune même scène, plusieurs lectures dʼun texte, plusieurs visages dʼun même personnage, en faisant voir ce qui apparaissait dès lors plus comme des essais scéniques que comme lʼaffirmation dʼune vérité théâtrale. Cʼest une particularité du théâtre, un même texte contient une infinité de lectures et de mises en scène. Comment figurer ce champ des possibles ? Jʼaime donner à voir quelques réalisations et laisser le spectateur en imaginer dʼautres encore. Dans la seconde partie de Un peu de poussière de chair, la nuit, lʼacteur répondait aux propositions de jeu des spectateurs. On voyait ainsi successivement plusieurs traductions scéniques dʼune même scène sur le plateau. En perturbant la représentation par les interventions des spectateurs, cʼest le processus de création artistique que jʼessayais de sonder et de donner à voir. En déplaçant le travail de lʼacteur, je cherche à approcher lʼorigine du signe théâtral. Spectateur Jʼai cherché à prendre en compte le spectateur dans le processus de création et à lʼinscrire véritablement comme partenaire de jeu en lui ouvrant des positions dʼactivité à lʼintérieur même du spectacle dans Hamlet-machine (écriture manuscrite ou sur un ordinateur vidéoprojeté, diffusion de son, manipulation dʼune caméra par les spectateurs) ou en lui proposant dans Un peu de poussière de chair, la nuit de diriger lui-même un acteur sur quelques extraits dʼune pièce venant dʼêtre représentée, et dans Avancer Masqués une mobilité interactive dans lʼespace Le théâtre peut-il être un lieu où la parole se risque, où lʼindividu se révèle comme être à part entière, relié aux autres par ce quʼil a de singulier ? Ce qui mʼintéresse aussi dans le temps de la représentation ce sont les personnes du public qui sont là. Qui sont-elles ? Quelle est leur voix, leur pensée, leur rapport au théâtre ? Jʼai envie quʼils sʼexposent aussi, quʼils ne soient pas là comme des spectateurs qui applaudissent ou pas, mais comme des personnes qui engagent quelque chose de leur être dans un moment unique créé avec eux, qui puissent prendre le risque de leur présence dans lʼespace et qui soient coauteurs, partenaires de ce qui a eu lieu. Aussi jʼai cherché à inventer des dispositifs dans lesquels la parole ou les actions des spectateurs pouvaient sʼinscrire et entrer en jeu avec lʼéquipe artistique. Brouiller les pistes, les certitudes, les logiques immuables : qui est acteur ? qui est spectateur ? Durant dix ans, cela a constitué lʼaxe principal de mon travail. Celui-ci nʼest pas abandonné aujourdʼhui mais passe au second plan. Le public reste très présent dans des scénographies souvent bifrontales ou quadrifrontales dans mes derniers spectacles ou il apparaît comme un observateur à vue de ce qui a lieu, parfois au plus près de lui. Metteur en scène La compagnie a proposé aux spectateurs dʼinteragir dans le temps même de la représentation mettre en scène eux-mêmes un acteur en présence dʼune musicienne, dʼun vidéaste et de lʼauteur du texte, écrire sur un ordinateur vidéoprojeté ou de longues feuilles de papier blanc, diffuser des musiques, filmer des images projetées en direct ou transformées, se déplacer dans lʼespace scénique en sachant que leurs déplacements seraient susceptibles dʼêtre mis en jeu par les interprètes. Elle a aussi invité des auteurs à infiltrer de leur écriture scénique la mise en scène de Clyde Chabot de leurs textes, une scénographe et un chorégraphe à transformer sa mise en scène de son propre texte 2010 Médée(s). Cela participe dʼun mouvement dʼaccueil des autres au sein même de notre travail et dʼune exploration de la possibilité dʼune certaine disparition de la position centrale du metteur en scène. Ce dernier est alors celui qui réunit une équipe dans un espace et sur un texte quʼil choisit et qui se retire, permettant aux autres apparemment de travailler sans son intervention directe, au moins sur un temps donné. Inviter les spectateurs à être partie prenante dʼune création est né dʼune expérience en tant quʼactrice que jʼai eu sur le spectacle So So, un projet de Catherine Duflot sur des textes de Sophie Calle. Jouer mʼa semblé une expérience de vie très forte qui pouvait être partagée avec les spectateurs qui le souhaitaient si un cadre précis était proposé pour leur intervention. Inviter des regards extérieurs constitue une expérience qui permet de croiser les regards, de multiplier les approches, de proposer aux interprètes différents appuis. Plus généralement ces expériences participent dʼun désir de partage de la fabrique théâtrale avec tous ceux qui souhaitent prendre part au moment de la création ou de la représentation sans perdre de vue lʼesthétique, le rythme, la tension, les règles du jeu théâtral sans lesquels il nʼy a pas dʼart, pas de théâtre. Lʼartiste nʼest plus celui qui a des réponses, des messages ou des utopies globales mais celui qui crée des espaces protégés de présence, de parole et dʼécoute, de rencontre artistique, des interstices dʼoù émerge une socialité inédite. Il nʼest plus celui qui signe seul une œuvre mais celui qui invite des personnes à lʼécrire avec lui au présent. Il nʼest plus celui qui sait mais celui qui impulse, capte, sélectionne, orchestre, amplifie les propositions des autres. Un musicien est partenaire systématique du jeu des acteurs dans mes spectacles depuis lʼorigine. Il figure, dans une certaine mesure, le metteur en scène. Il est figure de régulation et dʼorchestration et traduit lʼintériorité des personnage présents sur le plateau. Clyde Chabot