Stockage et transport de denrées alimentaires

Transcription

Stockage et transport de denrées alimentaires
L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
Stockage et transport
de denrées alimentaires
Quelques exemples pratiques du rôle de l’activité de l’eau
Dr John KIRMAN
Jarret Kirman & Willems
Rotterdam, Pays-Bas
3. Des cargaisons de semoule, qui présentent
d’inévitables problèmes pratiques, car il est
difficile de contrôler l’activité de l’eau d’un
produit moulu, et où l’ignorance des limites
importantes existant au stockage, et en particulier, l’incapacité à décharger rapidement les
cargaisons arrivées à destination ont entraîné
d’importants problèmes de détérioration et
des coûts supplémentaires.
RÉSUMÉ
Notre cabinet de consultants scientifiques est
spécialisé dans les domaines de la prévention et
de l’investigation des problèmes et pertes survenant lors du stockage, et plus particulièrement
lors du transport maritime, d’une grande variété
de denrées alimentaires ainsi que d’autres produits. Je vais aborder ici quelques histoires marquantes, ayant entraîné de lourdes pertes financières, qui illustrent bien l’importance fondamentale d’une bonne évaluation et d’une application correcte des connaissances de base déjà
en notre possession sur l’un des éléments techniques les plus fondamentaux qu’est l’activité de
l’eau, et dont dépendent tout stockage et transport dans de bonnes conditions. Les cas évoqués
comprendront :
4. Quelques cargaisons de sucre ensaché, où des
erreurs de la part du cargo, qui n’a pas pris
correctement soin de la cargaison pendant le
transport, ont entraîné des activités de l’eau
excessives dans les emballages et donc leur
dégradation.
INTRODUCTION
1. Une cargaison de blé en vrac, où une accumulation d’erreurs avant le chargement, particulièrement en termes de surveillance de
l’activité de l’eau, et lors des contrôles après le
chargement a entraîné l’apparition d’une
grave détérioration microbiologique conduisant à d’importantes pertes financières s’élevant à quelques millions de dollars.
De nos jours, nombre de recherches sophistiquées et coûteuses sont effectuées dans les
domaines des sciences et technologies alimentaires. Cependant, on a constaté que la connaissance d’une partie des éléments fondamentaux
gouvernant la stabilité microbiologique, chimique et physique des denrées alimentaires ou
d’autres produits naturels lors du stockage, dont
on dispose depuis des années, n’est pas toujours
correctement utilisée. Cette remarque est
valable pour de nombreux pays dans le monde
entier et en particulier, mais pas exclusivement,
pour certains pays en voie de développement.
2. Des cargaisons de produits oléagineux stockés
en vrac pour lesquelles, d’une part, les exportateurs n’ont pas respecté les principes de
l’activité de l’eau et ne les ont donc pas correctement préparées pour qu’elles puissent
être transportées par voie maritime sans
risques, et qui, d’autre part, n’ont pas été correctement surveillées par le cargo pendant le
transport, tout ceci ayant entraîné non seulement un réchauffage spontané mais aussi des
débuts d’incendies.
Il est intéressant de noter que dans l’un des plus
grands pays en voie de développement, 25 %
des fruits, 30 % des légumes, 20 % des poissons
et 15 % des viandes et volailles sont détériorés
entre le point de production et le point de vente.
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L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
portées en vrac et j’espère que vous m’autoriserez ici à parler principalement de ces produits
riches en amidon plutôt que de ceux essentiellement riches en sucre.
Ces statistiques ne tiennent d’ailleurs pas
compte du facteur économique important que
représentent les pertes enregistrées sur les produits exportés et dues à la dégradation pendant
le transport.
Je vous relaterai également ici quelques histoires
marquantes de transport de céréales ou autres,
où l’incapacité à appliquer correctement les
principes de l’activité de l’eau et des autres facteurs fondamentaux dont dépendent la stabilité
des produits et un stockage sans risque, a
entraîné d’importantes pertes financières.
La société dont je fais partie s’occupe d’exportation à l’échelle mondiale, et plus spécialement
du transport maritime. Nous mettons notre
connaissance scientifique et la compétence de
nos experts au service de nos clients spécialisés
dans les compagnies d’assurance et de transport
maritimes ; nous leur proposons des mesures de
prévention pour limiter les pertes au transport
d’une large variété de produits et nous enquêtons sur les causes des pertes enregistrées sur ces
produits lors du transport par cargo. Étant donnée la très grande quantité de marchandises
pouvant être transportée sur un seul cargo
(60.000 tonnes de céréales, par exemple), les
conséquences financières des dégâts potentiels
risquant de survenir pendant le transport peuvent s’avérer extrêmement lourdes.
Mes propos vous sembleront peut-être techniquement banals et simples comparés aux intéressantes présentations scientifiques qui m’ont
précédé, et j’espère que je ne vous ennuierai pas.
Néanmoins, notre domaine d’action, en tant que
spécialistes des sciences appliquées, touche à ce
que l’on pourrait appeler les “points délicats” de
la vie commerciale. Les problèmes que nous
avons à résoudre ont souvent d’importantes
implications financières et influencent donc sans
aucun doute le prix de notre nourriture.
De fait, on distingue 2 principaux types d’erreurs
à l’origine des dégâts susceptibles de se produire
durant le transport : soit l’affréteur n’a pas
fourni une marchandise suffisamment stable
pour être transportée sans risques, soit le transporteur n’a pas pris correctement soin de la marchandise qui lui a été confiée. Bien qu’un grand
nombre de produits riches en sucre, le sujet de
ce symposium, soit transporté dans des containers par voie maritime, leur volume d’échange
demeure faible par rapport à leur valeur marchande relativement élevée ; en effet, il s’agit en
général de spécialités comme les sirops, concentrés de jus de fruits et confiseries. De plus, ces
produits sont rarement endommagés pendant le
transport maritime, et, lorsque tel est le cas, les
causes en sont multiples.
EXEMPLES
➥ Le premier exemple pratique concerne une
grosse cargaison de blé en vrac destiné à l’exportation par l’un des plus grands pays exportateurs
de céréales dans le monde. Cette cargaison a été
chargée en vrac dans les cales vides d’un de ces
cargos et que l’on appelle un vraquier. Le
schéma (figure 1) illustre la disposition classique
d’un vraquier. Les cales sont de simples boîtes en
acier léger dont les écoutilles forment le couvercle.
Le chargement de la cargaison s’est effectué sans
encombres, mais il convient de ne pas oublier
qu’un tel chargement en vrac se déroule très
rapidement et que cela génère énormément de
poussières ; il est donc absolument impossible de
déceler une quelconque irrégularité. Le vraquier
a quitté le premier port de chargement pour se
diriger vers un deuxième port et y charger
davantage de blé dans d’autres cales, mais il a dû
rester plusieurs semaines à quai en attendant
qu’une nouvelle cargaison soit prête.
Parmi les denrées à base de sucre commercialisées par cargo dans le monde entier, il y a bien
sûr le sucre raffiné. Il est généralement expédié
dans des sacs ; je décrirai un peu plus loin un
problème particulier de détérioration qui apparaît de temps en temps avec ce type de cargaison.
Les seuls autres produits à base de sucre qui
représentent un gros volume de marchandises
transportées par voie maritime sont le sucre brut
et la mélasse. Leur transport maritime s’effectue
en vrac, et, de même que pour les spécialités que
j’ai évoquées plus tôt, les problèmes de détérioration sont rares pour ces deux produits.
Toutefois, un grand nombre de denrées alimentaires de base contenant de l’amidon sont trans-
De temps en temps, cependant, l’équipage vérifiait l’état du blé embarqué au premier port.
Deux semaines environ après le chargement, les
premiers signes témoignant d’un problème sont
apparus dans l’une des cales. On a constaté une
certaine condensation de l’eau, appelée communément “sueur” dans le jargon maritime, sur la
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L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
Figure 1 : Configuration d’un bateau vraquier classique
face interne de la paroi supérieure de la cale ;
cette condensation dénote un échauffement de
la masse de blé. Il y avait également des zones de
moisissure à la surface des grains de blé, et,
lorsque l’on plongeait un tant soit peu la main
pour atteindre les couches inférieures, la sensation de chaleur ne faisait plus aucun doute. Le
phénomène constaté dans la cale concernée s’est
étendu progressivement à toute la surface puis à
l’ensemble de la masse par “transpiration”. De
plus, des problèmes similaires ont été observés
dans l’une des autres cales. Les semaines suivantes, toutes les autres cales, sauf une, contenant le blé qui avait été chargé au premier port,
ont été tour à tour atteintes d’un développement
progressif de détériorations d’origine microbiologique associé à un réchauffement spontané de
la cargaison. Même la cale demeurée le plus
longtemps intacte commençait à présenter des
signes de réchauffement de la masse de grains.
Lors du déchargement, il est apparu que l’état de
la cargaison des différentes cales présentait le
même schéma global mais avec des intensités différentes. La figure 2 illustre le schéma typique des
dommages causés. Sur la couche de surface, on
pouvait observer des grains moisis en train de
fermenter et même présentant même un début
de germination. Juste en-dessous de cette
couche, la chaleur dégagée par les grains amenait
des températures pouvant atteindre 50°C et les
grains formaient de gros agglomérats sous l’influence de la croissance microbienne. L’intensité
du réchauffement, de la détérioration microbiologique et de la formation d’agglomérats allaient
en diminuant, à des profondeurs différentes dans
chaque cale, jusqu’à finalement atteindre des
grains sains et commercialisables. On sait aujourd’hui que ce type de détérioration, illustré par la
figure 2, est classique pour du grain stocké en
vrac dont une certaine quantité est instable.
Les problèmes ont été résolus de manière radicale : le blé n’est jamais arrivé à destination et a
été déchargé dans son pays d’origine, ce qui a
bien évidemment entraîné des coûts supplémentaires importants. En effet, en règle générale, la
plupart des pays exportateurs de céréales disposent de l’infrastructure nécessaire pour charger
les céréales sur les cargos assez rapidement, mais
les équipements pour décharger les céréales en
vrac sont pour ainsi dire inexistants ou dans le
meilleur des cas très sommaires.
Ainsi, les couches inférieures peuvent se stabiliser d’elles-mêmes avant l’apparition d’une détérioration qui rendrait le grain invendable. A l’inverse, l’instabilité des couches supérieures augmente rapidement avec la température et le
niveau d’humidité d’où une vitesse accrue de
dégradation microbiologique associée au
réchauffement. Dans le cas d’une instabilité
extrême, la détérioration et la prise en masse
peuvent s’étendre à l’ensemble de la cargaison
mais la plupart du temps, les couches inférieures
d’une grosse cargaison ne sont pas touchées.
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L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
n’avait été établi pour accepter ou non un chargement destiné à un stockage court, moyen ou
long, et à un éventuel transport sans risques en
fonction du niveau maximum d’humidité
admissible pour une température donnée du
grain.
Hauteur classique 13-15 m
couche fortement moisie et éventuellement
mouillée
réchauffement
et prise en masse
décroissants
Ainsi, dans l’affaire qui nous occupe, si la marchandise avait un aspect normal et satisfaisait au
critère de teneur en eau, elle pouvait alors être
entreposée au terminal. Il semble que la plus
grande partie, a en fait été stockée dans un grand
entrepôt à fond plat d’une capacité de plusieurs
milliers de tonnes et qui ne disposait d’aucun
équipement adéquat pour contrôler la température pendant le stockage. On a considéré sans
aucun doute qu’un stockage moyen d’un mois,
un mois et demi, ne provoquerait aucune détérioration des grains dans la mesure où les règles
normales de contrôle de l’humidité avaient été
scrupuleusement respectées lors de la prise en
charge de la marchandise. Mais un stockage
aussi long dans le terminal d’exportation était
inhabituel ; en règle générale, les périodes de
stockage dans les terminaux d’exportation sont
sensiblement plus courtes.
grain
commercialement
viable
Figure 2 : Allure générale de la détérioration microbiologique dans du grain stocké en vrac
Les résultats des recherches effectuées par la
suite sur cette affaire se sont avérés très intéressants. Il a été établi que le transporteur avait correctement géré sa cargaison et ne pouvait donc
être rendu responsable des dégâts survenus.
Qu’est-ce qui a donc mal tourné ? En fait, tout
indiquait que le blé, ou du moins une partie,
était déjà instable lors du chargement. En rassemblant les divers éléments recueillis sur l’historique de la cargaison avant le chargement, je
suis arrivé au scénario potentiel suivant.
Le blé en question a été livré en plusieurs étapes,
bien longtemps avant d’être proposé à l’exportation (pour la plus grande partie, un mois à un
mois et demi avant le chargement). Il a quitté les
sécheurs pour le terminal des produits destinés à
l’exportation équipé de vastes silos et d’entrepôt
à fond plat pouvant contenir plusieurs dizaines
de milliers de tonnes de blé ou autres marchandises.
Limite critique pour
l'activité microbiologique
18
Teneur en eau (en %)
16
La figure 3 présente la partie centrale presque
rectiligne des isothermes spécifiques du blé.
On peut noter que, contrairement à d’autres
produits naturels, il y a une dépendance significative de l’activité de l’eau vis-à-vis de la température propre du grain, et cela, quelle que soit sa
teneur en eau. On a appris que les chargements
de chacun des camions qui livraient le blé au terminal d’exportation avaient été rigoureusement
échantillonnés et leur teneur moyenne en
humidité contrôlée, avec comme critère de
rejet : 14,5 % d’humidité. Cependant, si les techniciens du terminal disposaient d’instructions
relatives au contrôle de la teneur en eau, il n’en
était rien en ce qui concerne le contrôle de la
température du blé à sa livraison. Aucun critère
15o C
20o C
25o C
30o C
35o C
14
12
10
8
0,35 0,40 0,45 0,50 0,55 0,60 0,65 0,70 0,75 0,80 0,85
Activité de l'eau
Figure 3 : Isothermes caractéristiques du blé
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L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
Il s’est, à mon avis, produit le phénomène suivant : le blé stocké dans l’entrepôt s’est détérioré
progressivement au fil des semaines selon le
schéma illustré par la figure 2. La couche supérieure de la marchandise est devenue de plus en
plus humide à cause du transfert interne d’humidité, et donc sujette à la germination et au
développement de moisissures naturelles ; à tous
ces phénomènes s’est associé un réchauffement.
Les couches inférieures sont devenues un peu
plus sèches et ont conservé un aspect acceptable
pour la commercialisation.
et l’état global du grain chargé étaient respectivement
relativement basse et normal. En fait, l’humidité
moyenne de l’ensemble de la cargaison était
inférieure à celle d’autres cargaisons transportées sans problèmes sur des périodes plus
longues. Quoi qu’il en soit, il convient de ne pas
oublier dans ce cas précis que, comparée à la
teneur en eau moyenne du chargement de
chaque cale, la variation de la teneur en eau des
grains individuels par rapport à cette moyenne
aurait été anormalement élevée. Revenons un
instant à la figure 3.
La figure 4 illustre le scénario qui a dû se produire lors du chargement du cargo, lorsque les
convoyeurs situés sur le sol de l’entrepôt ont été
mis en marche. C’est ainsi que les différentes
cales du cargo ont été chargées avec un mélange
en proportions variables de grains chauds, à relativement haute teneur en humidité et microbiologiquement abîmés, et de grains sains et commercialisables. Ceci expliquerait les différents
rythmes de dégradation des grains dans les cales
du cargo.
Nous savons que les isothermes sont le résultat
d’expériences conduites sur de petits échantillons dont la teneur en humidité est virtuellement uniforme. Les courbes isothermes peuvent
donc servir à prévoir la stabilité de grandes
quantités de chargement lorsque leurs grains
sont sensiblement uniformes. Toutefois, l’expérience a montré que lorsqu’une grande quantité
de grains est constituée d’un mélange de grains
très humides et de grains très secs, ils ne se
conserveront pas aussi bien que ne peut le laisser prévoir leur teneur moyenne en eau.
Il n’est pas surprenant que l’humidité moyenne
d’un échantillon représentatif de l’ensemble des
milliers de tonnes de grains chargé sur le cargo
ait semblé raisonnablement faible et donc satisfaisante, dans la mesure où la température interne
Ainsi, si l’on a deux chargements de grains présentant la même teneur moyenne en humidité
et toutes conditions égales par ailleurs, mais que,
dans le premier chargement, seul un certain
convoyeur pour
le chargement
étapes séquentielles
du déchargement
convoyeur
pour le déchargement
Figure 4 : Déchargement de grain stocké dans un entrepôt à fond plat
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L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
Le premier exemple concerne une cargaison de
tourteaux de graines de lin. Il s’agit de produits
riches en protéines obtenus après extraction de
l’huile de graines oléagineuses par un simple
procédé de pressage mécanique. En règle générale, des résidus de ce type contiennent 7 à 11 %
d’huile.
nombre de grains sont très humides, il est tout à
fait possible que le dernier chargement se
conserve sans problèmes pendant des semaines,
alors que le premier commencera à montrer des
signes de détérioration assez rapidement (on
part de l’hypothèse que dans les deux cas, la
teneur moyenne en eau se situe à la limite de la
stabilité microbiologique). Autre paramètre pouvant intervenir, la température élevée d'une
partie des grains.
Une partie de cette cargaison n’avait pas été
stockée dans une ambiance suffisamment sèche
avant le chargement et risquait donc d’avoir subi
une humidification extérieure. Toutefois, le
tourteau a été livré ensaché, puis, on a suspendu
les sacs au-dessus des cales avant de les ouvrir au
couteau pour laisser s’écouler le tourteau en
vrac. Lorsque le chargement a eu lieu, les sacs
mouillés avaient déjà séché ainsi que le tourteau
qu’ils contenaient, si bien qu’il était impossible
de distinguer à l’œil nu si une partie du tourteau
était encore humide ou non. Cependant, les
investigations effectuées par la suite ont permis
d’établir qu’une partie du tourteau avait néanmoins dû demeurer suffisamment humide pour
engendrer une activité de l’eau supérieure à la
normale et donc rendre le produit microbiologiquement instable.
Ainsi, la température moyenne dans chaque cale
devient un peu supérieure à la normale, modifiant l’activité de l’eau et favorisant l’instabilité.
Un autre facteur antagoniste au regard de la stabilité microbiologique réside dans le fait que la
germination de moisissures avait déjà commencé dans certains grains avant le chargement
sur le vraquier et qu’il y aurait eu un nombre
appréciable de moisissures en développement
dans l’ensemble de la masse. Il s’agit là encore de
facteurs qui auraient favorisé le rythme relativement rapide de détérioration microbiologique.
En résumé, la grande activité microbiologique et
le réchauffement qui se sont développés pendant
la période de stockage dans le terminal d’exportation jusqu’au chargement sur le vraquier, ont
favorisé l’accélération du rythme de la détérioration microbiologique, une fois le grain embarqué. Il n’est donc pas surprenant que les premiers signes significatifs de détérioration soient
apparus rapidement après l’embarquement.
Il est important de savoir que des produits de ce
type possèdent une très faible conductivité thermique – comme le blé évoqué dans le premier
exemple – ainsi, lorsqu’un réchauffement d’origine microbiologique se développe à l’intérieur
du chargement, cela entraîne une élévation progressive de la température. Néanmoins, ce
réchauffement est un processus autorégulateur.
S’il est le seul mécanisme susceptible de provoquer un chauffage spontané dans un produit,
alors la température maximale possible se situe
aux alentours de 70°C. De telles températures
peuvent, bien évidemment, provoquer d’importants dégâts dans la cargaison – mais elles se
situent évidemment bien en-dessous du point de
flamme et ne représente donc aucun danger
pour un cargo.
Cet exemple me permet de montrer comment
une erreur d’appréciation lors de la réception du
grain au terminal d’exportation a provoqué en
définitive quelques mois plus tard de graves problèmes de détérioration et a entraîné des coûts
additionnels s’élevant à plusieurs millions de
dollars. Les frais encourus comprenaient le
déchargement, le stockage, le reconditionnement et le rechargement du grain ainsi que
d’autres coûts découlant de la détérioration et
du déchargement forcé.
Les tourteaux de graines oléagineuses contiennent une grande quantité d’huile résiduelle et,
surtout en ce qui concerne les tourteaux de
graines de lin, cette huile est essentiellement
insaturée et donc sensible à une oxydation. Les
tourteaux auraient dû être stockés un certain
temps à l’air libre et en tas relativement petits,
de manière à ce que les réactions d’oxydation se
déroulent le plus complètement possible avant le
chargement. Ainsi, si aucun mécanisme n’est
susceptible d’entraîner l’élévation de la température du produit après chargement, le transport
➥ Les autres exemples que je vais développer
concernent de graves problèmes de détérioration
et les risques qui peuvent survenir pendant le
transport de produits riches en protéines dérivés
des graines oléagineuses et qui contiennent toujours une grande quantité d’huile résiduelle. Les
produits de ce type, qui sont transportés dans le
monde entier, sont principalement utilisés pour
la nourriture animale plutôt qu’humaine. Ici
encore, l’activité de l’eau joue un rôle fondamental.
54
L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
s’effectuera sans problèmes. Cependant, lorsque,
comme dans le cas présent, on charge en vrac un
produit potentiellement instable et qu’un
réchauffement d’origine microbiologique se
déclare, on atteint alors une température à
laquelle les sites des molécules insaturées qui
n’avaient pas réagi initialement commencent
alors de la faire. Chacun sait que toutes les réactions d’oxydation entraînent une élévation de la
température. En outre, la vitesse des réactions
d’oxydation double approximativement pour
chaque augmentation de 10 °C en température.
De plus, le dégagement de chaleur induit par ce
mécanisme, contrairement à l’activité microbiologique, n’a pas de limites. Dans la masse du
chargement, on peut donc à certains endroits
atteindre finalement le point de flamme. A
moins qu’il ne soit possible de prendre des
mesures de contrôle adéquates et de les appliquer très tôt, le réchauffement ou la combustion
peuvent se propager largement du foyer originel
situé dans la cargaison humide au reste de la
marchandise qui présentait à l’origine une
teneur en eau satisfaisante. C’est précisément ce
qui s’est passé dans le cas qui nous occupe. Non
seulement la cargaison a enregistré d’importants
dégâts, mais la structure du cargo a également
subi des dommages.
dations en général. Bien que la limite critique de
l’activité de l’eau normalement admise soit 0,7,
cela ne signifie pas que tous les produits dépassant le seuil se transporteront avec difficulté sur
plusieurs semaines. Chacun sait qu’il est dans
l’intérêt commercial de l’affréteur et de l’exportateur de transporter autant d’eau que possible.
Ainsi, il n’est pas rare de voir embarqués des
produits dont la teneur en eau, couplée à leur
température, aboutit à des activités de l’eau
atteignant jusqu’à 0,75 environ. En présence
d’activités de l’eau de cet ordre, ou parfois supérieures, la détérioration n’est pas instantanée,
mais il y a un délai bien défini pendant lequel un
produit gardera un caractère commercial acceptable, avant de subir des dégradations microbiologiques rédhibitoires.
La figure 5 illustre ce principe en montrant la
droite caractéristique obtenue expérimentalement sur un produit donné.
Teneur en eau (en %)
25
Il est aussi arrivé que de tels chargements
embarqués dans des conditions parfaitement
stables, aient été mouillés pendant le transport,
par exemple parce que les bâches qui recouvraient les cales n’étaient pas correctement
fixées. Si le délai avant le déchargement complet
est suffisant, on s’expose encore une fois à un
risque de dégradation microbiologique, suivie
éventuellement d’une forte élévation de température liée à l’oxydation, avec de lourdes conséquences possibles.
Zone dangereuse
20
Zone saine
15
10
0
10
20
30
40
Température en degrés Celsius
Figure 5 : Relations entre la teneur en eau et la température. Influence sur une période de stockage d’un mois environ.
Cette droite montre, en fonction de la température du produit, la teneur en eau à ne pas dépasser pour garantir une période de stockage d’un
mois environ.
➥ Le cas suivant illustre une fois de plus à quel
point il est commercialement et financièrement
important d’évaluer l’effet régulateur de la température sur l’activité de l’eau et sur l’aptitude
des produits au stockage.
L’exemple qui suit maintenant va à l’encontre de
ce que je viens d’évoquer. Le produit impliqué
était de la semoule issue de la mouture du blé
dur. En mettant de côté le facteur commercial
évoqué plus haut (à savoir vendre autant d’eau
que possible), il existe dans le cas de la semoule
un autre facteur limitant qui détermine la teneur
en eau et donc influence l’aw. Il s’agit du conditionnement nécessaire du blé dur dans une
gamme d’humidité limitée pour optimiser les
rendements en semoule. La semoule brute présente donc une teneur en eau prédéfinie peu
variable, située aux alentours de 14 %. Les moulins qui produisent la semoule n’ont pas l’équi-
Sur la figure 3, la ligne verticale correspondant à
une Aw de 0,7 est, dans le cas d’un transport
maritime de plusieurs mois, considérée généralement comme la limite critique pour prévenir
toute activité microbiologique. Il est vrai bien
sûr que peu de micro-organismes peuvent se
développer à une Aw inférieure à 0,7. Même sur
des périodes relativement longues, leur développement ne provoque généralement pas une
apparition significative de chaleur ou de dégra55
L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
déchargement. De plus, ces problèmes apparaissaient invariablement dans des cargaisons transportées pendant les mois d’été. Certains expliquent ce problème par la longue attente des cargos dans les ports du pays importateur, et ceci
dans des conditions climatiques estivales très
chaudes. Cependant, mis à part les sacs situés en
surface, tous les autres sont bien isolés des
conditions climatiques extérieures ; alors qu’ici,
les problèmes constatés pendant le déchargement étaient également répandus aux couches
internes de sacs. Selon moi, la température de la
semoule lors de son chargement est la clé du
problème ; elle influence l’activité de l’eau et en
retour la période pendant laquelle le produit se
conservera correctement. La teneur en eau du
produit ne variait pas de manière significative,
comme cela a été confirmé par les recherches
ultérieures, selon l’époque à laquelle le chargement a été effectué (été ou hiver). Par ailleurs,
cependant, il est vrai que la température du produit chargé en été est beaucoup plus élevée, et
même critique du point de vue de la durée de
conservation. Ainsi, un produit froid se conserve
de manière satisfaisante sur les cargos, même
pendant plusieurs mois lorsque les chargements
ont lieu en hiver. La durée de vie du même produit est beaucoup plus courte dans le cas de
chargements effectués en été. Ce phénomène
pement nécessaire pour sécher davantage le produit final. La semoule est donc en général ensachée directement après la mouture, et, le cas
échéant, exportée. Lorsque le produit ensaché
est transporté par voie maritime, il est d’usage,
d’empiler les sacs dans les cales du cargo en un
tas compact, comme l’illustre la figure 6. La
conductivité thermique de la semoule ensachée
est extrêmement faible, ainsi tout sac situé à
quelque distance de la surface sera bien isolé. Si
un phénomène générateur de chaleur se développe, comme l’activité microbiologique, inévitablement la température du produit augmentera, le produit risquant alors de prendre en
masse et de perdre sa viabilité commerciale.
Il s’agit ici de cargaisons régulières de semoule
expédiées tout au long de l’année par un pays
producteur de semoule bien connu à un pays
dont la consommation par habitant est relativement élevée. Le voyage est assez court, sa durée
ne dépassant jamais une semaine. Toutefois, il
n’est pas rare de voir les ports du pays importateur fortement encombrés, ce qui oblige les cargos à patienter plusieurs semaines avant de pouvoir débarquer la semoule. C’est à la suite de
telles circonstances, lorsque les cargos ont dû
attendre parfois jusqu’à 4 semaines, ou même
beaucoup plus longtemps, que l’on a constaté de
graves problèmes de détérioration lors du
Figure 6 : Empilement classique d’une cargaison de sacs dans la cale d’un navire.
56
L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
lorsqu’une cargaison est exportée en février
depuis l’Europe du Nord, la température
ambiante et la température de la cargaison sont
très faibles et se situent aux environs de O°C ou
moins. Et, même si le voyage dure plusieurs
semaines, seuls les sacs situés en surface subiront
un réchauffement notable à l’arrivée. Ainsi, lorsqu’une telle cargaison est à destination du
Moyen-Orient, les températures ambiantes en
Méditerranée du sud-est et en Mer Rouge peuvent être de 20°C ou plus, donc bien supérieures
à la température du sucre contenu dans les sacs
situés sous la surface.
s’explique par la température plus élevée du
produit qui entraîne une activité de l’eau plus
importante et donc, augmente le risque de
dégradation microbiologique.
➥ Le dernier exemple que je vais aborder
concerne du sucre raffiné. Chaque année, une
grande quantité de sucre raffiné est exportée de
la France et des autres pays du Nord de l’Europe.
En général, le sucre se présente dans des sacs en
toile de jute comprenant un film intérieur très
fin en polyéthylène. Les exportations sont en
général à destination de pays aux climats considérablement plus chauds que ceux du Nord de
l’Europe. Le problème qui survient sur ce type
de produit pendant le transport et qui a parfois
entraîné de substantielles pertes financières, est
moins dû au sucre lui-même qu’à l’emballage en
jute. Ici encore, l’activité de l’eau est l’élément
déterminant et la détérioration est également de
nature microbiologique, entraînant la faiblesse
progressive de l’emballage. Ainsi, lors du déchargement, les fibres de jute peuvent être détériorées par endroits du fait d’une contamination
microbiologique, à tel point que le sac, lorsqu’il
est manutentionné, éclate et laisse s’échapper le
sucre. C’est le jute qui fournit en pratique toute
la résistance mécanique au sac, alors que l’emballage interne en plastique n’est pas vraiment
solide, sa seule fonction étant d’assurer une barrière contre l’humidité atmosphérique ou tout
autre liquide.
Je reviens encore une fois à la figure 6 qui représente une pile de sacs dans une cale de cargo. S’il
s’agit de sucre raffiné, les éléments agissant sur
la pression de la vapeur d’eau contenue dans
l’air situé entre les sacs d’une pile seront bien
évidemment la température du sucre et de son
emballage ainsi que la teneur en eau de l’emballage extérieur en jute. Si un cargo en provenance de l’Europe du Nord décide de ventiler en
surface sa cargaison froide (chargée en hiver)
avec de l’air extérieur présentant une température comprise, par exemple, entre 20 et 30°C
environ et une humidité relative de 80 % au
moins - ce qui est en général le cas de l’air
marin, la pression de vapeur d’eau contenue
dans l’air chaud ventilé sera très supérieure à
celle de l’air compris dans la pile des sacs de
sucre froid. Ainsi, lorsque l’air plus chaud,
chargé en humidité, entre en contact avec la
couche supérieure des sacs, une partie de son
humidité va diffuser à l’intérieur de la pile sous
la forme de vapeur et se condenser lorsqu’elle
atteint des surfaces froides. Dans de telles circonstances, la toile de jute froide devient bientôt
saturée et l’activité de l’eau augmente alors à un
niveau auquel la croissance fongique et bactérienne est susceptible de se développer. Si le jute
reste humide suffisamment longtemps, il peut
alors présenter de graves signes de détérioration
due à la croissance microbiologique.
En ce qui concerne les cargaisons de sucre
exportées depuis le Nord de l’Europe, la détérioration n’est en générale pas attribuée aux sacs
ayant été mouillés ou très humidifiés lors du
chargement sur le cargo. Comment ce phénomène d’humidité entraînant de telles détériorations peut-il donc se produire ? Bien sûr, l’un
des éléments peut être l’intrusion d’eau de mer
dans une cale du cargo, ce qui arrive de temps en
temps ; toutefois, cela est facilement identifiable
en observant les dégâts lors du déchargement. Il
y a néanmoins un phénomène tout à fait différent qui entraîne cette humidification et éventuellement une fatigue significative de certains
emballages. Ce phénomène affecte gravement
certaines cargaisons transportées du Nord de
l’Europe uniquement en hiver, lorsque la température du sucre et de son emballage est relativement faible et que le cargo se dirige alors vers
des climats plus chauds. De plus, le phénomène
ne se produit que lorsque les cargos décident de
ventiler en surface les cargaisons froides sous des
climats beaucoup plus chauds. Par exemple,
Les problèmes pratiques déjà mentionnés apparaissent alors au cours du déchargement. Cela
est facilement décelable en observant l’aspect
des dégradations causées par l’humidité à l’intérieur d’une pile de sacs. Ces dégâts se développent généralement à l’horizontale à une profondeur de deux sacs environ et progressent jusqu’à
5 ou 10 couches de sacs supplémentaires au
maximum.
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L’ACTIVITÉ DE L’EAU DANS LES PRODUITS RICHES EN SUCRE
CONCLUSION
tant, non seulement de contrôler le stockage en
vrac de produits amylacés, tels les céréales et
d’autres produits similaires, ainsi que d’autres
produits relativement riches en protéines et en
huile, mais également de préserver l’intégrité de
certains types d’emballages alimentaires.
Je pense que le domaine d’activité commerciale
que j’ai évoqué est un domaine dans lequel peu
d’entre vous sont impliqués. Toutefois, en ce qui
concerne notre intérêt commun qui est l’activité
de l’eau des denrées alimentaires, j’ai essayé
d’illustrer à quel point il est extrêmement impor-
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