Mise en place d`un plan d`actions de prévention des accidents d

Transcription

Mise en place d`un plan d`actions de prévention des accidents d
ACTUALITÉS
EXPÉRIENCE
Philippe CHATRON
Biologiste
Responsable Assurance
Qualité GEN-BIO
Mise en place d’un plan d’actions de prévention
des accidents d’exposition au sang (AES),
l’expérience du groupe Gen-Bio
Introduction
De l’accréditation sur la norme ISO 15189 à la nouvelle
directive européenne concernant la responsabilité des
employeurs du secteur de la santé envers la sécurité de leurs
employés, les laboratoires français ne manqueront pas de
défis à relever dans un avenir proche. Face aux nombreuses
questions que suscitent ces changements à venir dans le
domaine de la santé, il semble plus que jamais important de
s’informer et de recueillir le plus de conseils possible, afin de
mieux définir les mesures, immédiates ou plus lointaines,
que chaque laboratoire devra prendre selon son degré
d’avancement face aux réglementations.
C’est la raison pour laquelle Mr Philippe Chatron, biologiste
et directeur du groupe GEN-BIO, dans le Puy-de-Dôme,
a participé à l’organisation en collaboration avec BD
Diagnostics - Preanalytical Systems, le 22 juin dernier à Lyon
du 1er workshop « Plateaux techniques de biologie médicale
et accréditation, importance de la phase préanalytique et
sécurité de l’acte de prélèvement ».
Cette session de travail qui réunissait 16 biologistes et
responsables Qualité de différents laboratoires privés, a été
l’occasion de partager les expériences, succès et obstacles
rencontrés dans la mise en place des procédures qualité
dans la phase préanalytique, tant au sein du laboratoire
que lors des prélèvements externes. À cet égard, l’apport de
Monsieur Chatron a permis d’éclaircir certains éléments-clés
pouvant guider les participants dans leur progression vers la
conformité à ces réglementations. Il revient ici sur les grands
points de son expérience à GEN-BIO.
I - Présentation de GEN-BIO
Gen-Bio exploite un laboratoire multi-sites tel que défini par
l’ordonnance N° 2010-49 du 13 janvier 2010. Il salarie environ
230 personnes sur 13 sites essentiellement situés dans le Puy-deDôme (63). Les prélèvements sanguins sont effectués à partir de
prescriptions médicales, ou nous parviennent d’hôpitaux privés.
Cela représente, pour les 30 biologistes de Gen-Bio, un total de
3000 prises de sang par jour : 70 % des infirmières à domicile ou
en établissement de soins ; 25 % en laboratoire ; 5 % en diagnostic
prénatal : cytogénétique et marqueurs de trisomie 21.
Le principal plateau technique est accrédité depuis juin 2006
selon la norme ISO 15189 sur de nombreuses analyses des
programmes de biochimie générale, immuno-sérologie, hémato-
cytologie, coagulation, bactériologie, sensibilité aux antibiotiques,
auto-immunité, cytogénétique prénatale et constitutionnelle (N°
Cofrac 1-1736).
La mise en place de cette norme résulte d’une politique qualité
globale basée sur le management et l’émulation des hommes et
des femmes qui constituent GEN-BIO.
Afin d’atteindre et de maintenir ces normes élevées de qualité, nous
avons adopté une politique efficace concernant l’axe « ressources
humaines ». Parmi les nombreuses possibilités d’amélioration, la
prévention des AES et la sécurité de nos collaborateurs a toujours
constitué un objectif primordial de notre politique qualité.
Afin d’atteindre et de maintenir des normes de qualité élevées
dans les laboratoires de biologie médicale (LBM) tout en fidélisant
les patients, le personnel et les médecins prescripteurs, Gen-Bio a
adopté une politique de sécurité rigoureuse élaborée de manière
à minimiser les risques, tant au sein de l’environnement de
laboratoire qu’au niveau des prélèvements sanguins au domicile
des patients.
II - Contexte législatif
L’ordonnance N° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie
médicale publiée au Journal Officiel de la République Française
fixe le nouveau cadre juridique des laboratoires de biologie
médicale. Elle rend notamment l’accréditation obligatoire d’ici la
fin de l’année 2016.
À l’échelon de l’Union Européenne, les ministres de l’Emploi et
des Affaires Sociales ont adopté en mars 2010 une directive visant
à prévenir chez les professionnels de santé les AES et les infections
causées notamment par les piqûres d’aiguilles creuses contenant
du sang. Ces accidents professionnels seraient responsables en
Europe d’environ un million d’AES. Cette directive transpose dans
la législation communautaire un accord négocié par les partenaires
sociaux européens du secteur.
Gen-Bio a lancé sa politique de sécurité dès 1995. Cette politique
n’était pas influencée par les revendications du personnel, mais
représentait plutôt une initiative proactive de la part de la direction
du laboratoire. L’objectif global était d’imposer des normes de
qualité élevées au sein du LBM, à tous les niveaux de son activité.
En 2003, par exemple, le laboratoire a adopté l’aiguille de sécurité
BD Eclipse™ afin de minimiser les risques de blessure par piqûre
** Philippe Chatron, Biologiste, Responsable Assurance Qualité GEN-BIO – 62, rue Bonnabaud, 63965 Clermont-Ferrand – Tél. : 04 73 34 79 79 – Fax : 04 73 34 79 69
– E-mail : [email protected]
32
SPECTRA BIOLOGIE n° 183 • Novembre 2010
Actualités
d’aiguille. Les normes de qualité et de sécurité adoptées les années
suivantes se sont soldées par une accréditation sur la norme
ISO 15189 en 2006, mettant les laboratoires en conformité avec
l’ordonnance dix ans avant sa date de mise en application.
III - Globalité, formation et dialogue :
les fondements du changement
La situation actuelle de Gen-Bio démontre l’importance d’une
démarche globale au sein du laboratoire, incluant la formation et
la motivation du personnel de tous les services, du dialogue et de
la communication entre tous les acteurs du changement. Il faut
définir et surtout constamment adapter les différents plans d’action
concernant les mesures de sécurité et de qualité à entreprendre.
Il est essentiel de garder en tout temps une perspective la plus large
possible à propos de ces changements et de leurs conséquences
aux moyen et long termes, non seulement sur le fonctionnement
pratique du laboratoire, mais aussi sur l’expérience des patients
et du personnel. Bien que les facteurs techniques et budgétaires
soient inhérents aux décisions que nous avons prises, nous
avons toujours laissé une place importante au facteur humain,
notamment dans l’analyse des coûts impliqués dans l’acquisition
de matériel plus sûr ou dans l’adaptation des infrastructures. Ainsi,
nous sommes parvenus à un panorama beaucoup plus réaliste de
la situation.
Ces trois grands « piliers » que sont la vue d’ensemble, l’inclusion
du personnel et le dialogue ininterrompu, n’ont pas cessé de
qualifier notre approche chez Gen-Bio, et ont été fondamentaux
dans notre progression vers les niveaux élevés de qualité que nous
connaissons aujourd’hui. Ils font partie des points développés
dans cet article.
Pourquoi miser sur la sécurité chez Gen-Bio ?
L’Assurance Qualité assure la mise en place d’un ensemble de
mesures préventives ou correctives pour assurer la satisfaction
implicite ou explicite de nos « clients ».
Dans le cadre de la sécurité, nos clients sont nos patients, nos
collaborateurs et les infirmières libérales ou d’établissement de
soins.
Chez Gen-Bio, nous nous sommes engagés à offrir une
« expérience positive à tous nos patients ». Un aspect essentiel de
l’expérience du patient est le personnel ou le professionnel libéral
qui représente le laboratoire.
Lorsque nous avons conçu nos salles de prélèvements en 2007,
nous avons mis en place une action préventive visant à la fois
à prendre en compte les attentes de nos patients mais aussi à
améliorer les conditions de travail des préleveurs internes.
Nous avons réalisé auprès des patients deux enquêtes de
satisfaction avec les mêmes questions mais dans un ordre
différent. Il en est ressorti qu’une salle de prélèvement doit
être un espace propre, confortable, disposant si possible d’une
vue extérieure et d’un environnement reposant non stressant
(musique d’ambiance, éclairage judicieux, climatisation…). Mais
les principales exigences des patients portaient sur l’hygiène et la
sécurité. Les patients apprécient bien entendu l’usage unique du
matériel de prélèvement, mais sont rassurés de voir que le risque
de piqûre accidentelle pour le préleveur est pris en compte.
Vis-à-vis des préleveurs internes, la sécurité, l’hygiène et le confort
de prélèvement ont également été les principaux critères retenus.
Chez Gen-Bio, la question de la sécurité est gérée sous une variété
d’angles différents, sous la direction multidisciplinaire des services
RH, Santé et Sécurité et Santé au Travail.
En ce qui concerne notamment la réduction des blessures causées
par les piqûres d’aiguille, le personnel est tenu de signaler tous les
incidents survenant au sein du laboratoire, et cette procédure et
son application sont passées en revue tous les six mois. Hors du
laboratoire, ce sont les infirmières à domicile qui sont responsables
de la mise au rebut de tous les objets tranchants, et notre analyse a
souligné l’importance de gérer les risques de blessures par des objets
tranchants hors de l’environnement contrôlé du laboratoire.
Afin de s’assurer que ses propres normes rigoureuses en interne se
reflètent le plus possible au niveau des visites à domicile, Gen-Bio a
décidé d’équiper les infirmières à domicile de matériels de sécurité
et de leur prodiguer une formation régulière. L’usage des matériels
de sécurité doit également être accompagné d’une formation
adéquate afin de s’assurer que le personnel de laboratoire et les
infirmières tirent tous le meilleur parti de la conversion.
Nous avions mis en place l’aiguille sécurité BD Eclipse™ en interne
et en externe dès 2003 au sein du groupe Gen-Bio. Cette mesure
représentait une initiative proactive de notre part, s’inscrivait dans
notre politique qualité et préservait la principale ressource de nos
préleveurs externes, comme internes : leur santé !
C’était donc pour nous une des manières de respecter les
préleveurs et d’anticiper un des principaux risques liés à l’acte de
prélèvement : la piqûre accidentelle.
La mise en place d’aiguilles sécurité dans les coffrets de prélèvement
à destination des infirmiers libéraux et la formation de ces
derniers à son utilisation, ont diminué le risque d’AES. Il en est
de même pour nos collaborateurs chargés de déballer les coffrets
de prélèvements amenés au laboratoire. Si toutefois les infirmiers
ont laissé le système de prélèvement à l’intérieur du coffret, il est
impossible de se piquer lorsque la tulipe et le système de blocage
de l’aiguille sont en place.
La formation est très importante pour maîtriser la bonne utilisation
de l’aiguille sécurité : tout nouvel entrant bénéficie d’une formation
hygiène et sécurité et tout nouveau préleveur interne reçoit une
démonstration pratique pour la bonne utilisation du système de
prélèvement sécurisé.
La procédure est également à la disposition de tout nouveau
préleveur externe. Elle figure en bonne place dans notre livret des
analyses, diffusé à tous les préleveurs lors de leur installation.
Afin de justifier notre conversion au système de sécurité du point
de vue économique, nous avons dressé un portrait le plus global
possible de nombreux facteurs qui sont souvent négligés lors d’une
analyse de coûts : ceux liés à d’éventuelles poursuites judiciaires
par un membre de notre personnel avec AES critique.
Comment prouver que cette action
a été bénéfique ?
Comme tout système sous contrôle, le système de management
de la qualité de Gen-Bio prévoit la consignation d’une nonconformité. Cette déclaration est faite par la personne concernée
en ouvrant une fiche sous notre logiciel qualité.
Dans le cas d’un AES, le comité d’hygiène et de sécurité des
conditions de travail (CHST) est prévenu et fait une enquête « sur
le champ » pour évaluer la situation et surtout suggérer une action
corrective immédiate pour que l’accident ne se reproduise pas
(modification des procédures, sensibilisation du personnel…).
SPECTRA BIOLOGIE n° 183 • Novembre 2010
33
ACTUALITÉS
L’indicateur « AES » est suivi et discuté auprès du CHSCT (en
relation avec la médecine du travail) et lors de la revue annuelle
de direction.
:
Figure 1
Évolution de notre indicateur AES entre 2005 et 2010
Bien entendu, l’adoption d’aiguilles de sécurité pour les
prélèvements de sang représente un coût. Mais ce coût n’est-il
pas compensé par le taux de satisfaction du personnel soignant,
par le très faible nombre de cas d’AES rapporté par rapport au
nombre total de prélèvements effectués au laboratoire et enfin par
le caractère rassurant apporté par ce matériel vis-à-vis du patient
en salle de prélèvement ?
34
SPECTRA BIOLOGIE n° 183 • Novembre 2010
Conclusion
Notre politique de qualité et de sécurité présente plusieurs
avantages évidents. Elle a un effet positif sur la motivation et la
fidélité des professionnels, ce qui contribue à son tour au maintien et
au développement de l’excellente image de marque du laboratoire.
Tous nos efforts sont orientés vers cette « expérience positive du
patient ». Dans le cadre de notre politique de sécurité, l’adoption
de matériels de sécurité pour nos employés de laboratoire et nos
infirmières à domicile contribue également à notre réputation de
qualité et de sécurité.
Le laboratoire offre également une formation régulière à tout son
personnel, y compris les infirmières à domicile, afin d’actualiser
les compétences et de garantir le respect des normes de qualité.
L’apport d’une formation régulière est également un facteur
critique de la motivation du personnel, car elle développe le
sentiment d’appartenance à l’équipe de laboratoire.
Nous avons récemment appris qu’une législation européenne
pourrait rendre l’usage des matériels de sécurité obligatoire d’ici
quelques années. Dès lors, les laboratoires français pourraient
prendre des initiatives proactives plutôt que d’attendre les dates
limites de mise en application. Les laboratoires ayant mis en
place une politique qualité attirent la confiance des patients, des
médecins prescripteurs et du personnel. Pérenniser ce climat
de confiance participe à la conservation de la réputation que les
laboratoires ont mis des années à se construire.