Formonsnous trop d`acteurs?
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Formonsnous trop d`acteurs?
25/5/2015 Formonsnous trop d'acteurs? | VÉRONIQUE LAUZON ET HUGO PILONLAROSE | Théâtre Publié le 25 mai 2015 à 12h00 | Mis à jour à 13h10 Formonsnous trop d'acteurs? Véronique Lauzon, Hugo PilonLarose La Presse Il existe six écoles professionnelles de théâtre au Québec, mais ce nombre aurait bien pu fondre de moitié. Il y a quelques mois, cette idée a été soulevée dans un rapport du Conseil québécois du théâtre (CQT) sur l'état des formations existantes. À peine déposé, le rapport a enflammé le milieu, qui a qualifié le travail de «bâclé». De potentiels étudiants ont été invités au stage du Conservatoire de Montréal. Photo Fanny Lacasse, tirée d'une vidéo Selon ce qu'a appris La Presse de plusieurs sources qui ont consulté le document (jamais rendu public), on y proposait de limiter la formation en interprétation à deux écoles, qui auraient probablement été le Conservatoire d'art dramatique et l'École nationale de théâtre. Les cégeps auraient eu le mandat d'enseigner en amont les bases du théâtre, alors que le milieu universitaire serait revenu à sa mission de recherche. «Le rapport a vraiment été mal fait. Le CQT partait d'affirmations complètement fausses. Ils n'ont pas fait un travail d'analyse sérieux. C'était un rapport basé sur des ouïdire, qui a d'ailleurs été mis à la poubelle», explique Ghyslain Filion, directeur artistique de l'école de théâtre du Collège LionelGroulx, à SainteThérèse. «Je me suis éloignée du CQT, renchérit Denise Guilbault, qui pilote la section française de l'École nationale de théâtre, à Montréal. Après la sortie du rapport, nous avons eu une rencontre houleuse. J'ai vu qu'on ne recherchait pas une discussion, mais qu'on voulait des accusations. Ce n'était pas constructif.» La directrice générale du CQT, Hélène Nadeau, reconnaît que le travail n'a pas fait l'unanimité, mais préfère ne pas commenter l'affaire. Un vieux débat lancé par des jeunes Au Québec, plusieurs centaines d'élèves soumettent leur candidature chaque année à l'École nationale de théâtre, aux Conservatoires d'art dramatique de Montréal et de Québec, au Collège LionelGroulx, au cégep de SaintHyacinthe et à l'Université du Québec à Montréal, dans l'espoir d'être admis dans un programme professionnel en interprétation. Selon nos informations, la résurgence du débat sur l'avenir des formations aurait été provoquée par d'anciens finissants, qui ont depuis fondé leurs propres compagnies de théâtre. Voyant le bassin de subventions stagner, mais le nombre de soumissionnaires augmenter, certains doutent de la capacité du marché d'absorber une cinquantaine de nouveaux comédiens tous les ans. L'ensemble des institutions visées par le rapport a toutefois répliqué qu'il ne fallait pas concevoir l'avenir des formations en arts de façon mercantile. Formonsnous trop d'acteurs au Québec? Cette question, que leur a de nouveau posée La Presse, les a fait rager. «C'est une question à laquelle il est presque impossible de répondre, juge Gideon Arthurs, directeur général de l'École nationale de théâtre. Y atil trop de diplômés pour le nombre d'emplois dans les institutions reconnues? Peutêtre. Mais il s'agit d'un marché qui se transforme. À Toronto, par exemple, la renaissance du théâtre passe par le secteur indépendant. On tient des performances dans des usines abandonnées, entre autres.» http://www.lapresse.ca/arts/spectaclesettheatre/theatre/201505/23/014871998formonsnoustropdacteurs.php 1/5 25/5/2015 Formonsnous trop d'acteurs? | VÉRONIQUE LAUZON ET HUGO PILONLAROSE | Théâtre Comme ses pairs, il semble exaspéré que la question refasse surface. Pour ce reportage, il nous a d'ailleurs envoyé un rapport publié en 1978 par la Commission d'enquête sur la formation en théâtre au Canada. «Il y a deux sortes de rumeurs qui émanent d'artistes actifs, tant des acteurs, des directeurs de compagnie, que de l'Union des artistes. On dit qu'il y a trop d'étudiants, et que les écoles engraissent les rangs du chômage», peuton lire dans le document, qui déconstruit ensuite ce mythe. «Nos étudiants en interprétation ne finissent pas nécessairement interprètes, poursuit Denise Guilbault, de l'École nationale de théâtre, en entrevue. Wajdi Mouawad a étudié en interprétation, il est devenu un auteur et un metteur en scène. Mani Soleymanlou est devenu un auteur. André Robitaille est un animateur, alors que Léane LabrècheDor fait de la variété. Ils ont tous d'abord étudié pour devenir interprètes. Les acteurs qui veulent travailler exclusivement à la télévision ou au cinéma, il y en a peutêtre trop, mais ça, c'est une autre question.» Une réflexion à trois niveaux Face au tollé qu'a provoqué son premier rapport, le Conseil québécois du théâtre a relancé ce printemps les discussions sur de nouvelles bases. Le milieu s'est de nouveau rencontré à trois reprises, à Montréal et à Québec. Comme nous l'a expliqué la directrice générale du CQT, Hélène Nadeau, on ne parle plus de réduire le nombre d'écoles. «Nous ne formons pas trop d'interprètes. Nous sommes plutôt convaincus que le nombre de finissants est un des éléments corollaires du dynamisme et de la qualité du théâtre québécois», ditelle. Dans son deuxième rapport, qui n'est toujours pas écrit, le CQT se penchera sur trois enjeux. On tentera d'abord de trouver une solution pour que l'ensemble des étudiants ait accès à une formation en théâtre dans leur région, ce qui n'est toujours pas le cas. On proposera ensuite diverses mesures pour différencier les formations existantes les unes des autres. «Ce qu'il nous faut, c'est de la couleur», affirme Mme Nadeau. Finalement, le CQT discutera avec ses membres de l'idée d'une gradation des formations, pour que les étudiants soient mieux outillés lorsqu'ils commencent leur formation d'interprète. Mais déjà, cette dernière notion est loin de faire l'unanimité. «Je n'adhère pas à cette idée. Je vois mal comment un futur interprète peut passer deux ans dans une école pour apprendre des techniques, sans jamais les appliquer», affirme Luce Pelletier, coordonnatrice du programme d'interprétation de l'école de théâtre du cégep SaintHyacinthe. Le débat au CQT est ainsi loin d'être terminé et promet d'être à nouveau corsé. Les auditions d'une vie N'entre pas qui veut dans une école de théâtre professionnelle. Les personnes intéressées doivent passer par un processus d'auditions long et exigeant. Ils sont plus de 400 jeunes adultes à cogner chaque année aux portes des six établissements qui offrent des programmes d'interprétation. La Presse a suivi trois jeunes dans ce laborieux processus. En septembre dernier, Lydia Sherknies, Vincent Michaud et Charles Voyer ont commencé à préparer leurs scènes pour les auditions. Pratiquement chaque semaine, ils ont rencontré leur coach pour peaufiner les deux scènes qu'ils allaient présenter dans les six écoles (l'École nationale de théâtre du Canada, le Conservatoire d'art dramatique de Montréal et celui de Québec, l'Université du Québec à Montréal, le Collège LionelGroulx et le Cégep de SaintHyacinthe). «Je trouve vraiment que c'est important d'être coaché, dit Charles, 19 ans. Si on fait nos scènes seul dans notre sous sol, on ne sait plus ce qu'on fait, on ne peut pas prendre de recul.» Temps et argent Ils sont donc plus de 400 à avoir tenté leur chance dans les écoles de théâtre cette année. En général, ils ont tous déboursé entre 1000 et 2000$ pour obtenir les services d'un coach, et ce, même s'ils savent très bien qu'il y a des risques qu'aucune école ne les accepte. «Faire ses auditions, je pense que ça se planifie, ça se prévoit, dit Vincent, 21 ans. Moi, quand j'ai commencé à penser à faire mes auditions le printemps dernier, j'ai commencé à mettre des sous de côté. Et je n'ai pas pris de jours http://www.lapresse.ca/arts/spectaclesettheatre/theatre/201505/23/014871998formonsnoustropdacteurs.php 2/5 25/5/2015 Formonsnous trop d'acteurs? | VÉRONIQUE LAUZON ET HUGO PILONLAROSE | Théâtre de vacances de l'année au cas où je serais accepté à un stage.» La coach d'auditions de Charles, Gina Couture, abonde: «La préparation des auditions, c'est un gros investissement de temps et d'argent. Il faut prévoir un budget; sinon, ça va devenir pas mal plus stressant. Cette annéelà, ils ne peuvent pas faire huit ligues d'improvisation ou des comédies musicales. Non, tu te focusses. Les auditions, ça peut changer ta vie.» Jouer sa vie Pendant plusieurs mois, les trois élèves ont donc répété des centaines de foiuditionner: «Nous avons l'impression de jouer notre vie!», dit Lydia. «D'abord, dans les deux cégeps. Et il y a une différence entre les cégeps et les autres écoles, dit Samuël Côté. Lorsque tu rentres au cégep, tu n'es pas sûr de rester, parce qu'ils en prennent 28 à peu près et, à la fin de la première année, ils en coupent la moitié, peutêtre même plus. Mais quand tu rentres à l'École nationale ou au Conservatoire, tu es pas mal sûr de rester.» Les deux écoles les plus convoitées par ces trois élèves sont l'École nationale de théâtre et le Conservatoire de Montréal. «Ce sont les deux écoles qui m'intéressent le plus, parce qu'elles sont à Montréal et j'aime Montréal, confirme Vincent. Et il y a aussi le rayonnement des diplômés. Parmi les comédiens qui travaillent et que nous voyons beaucoup, plusieurs sont issus de ces deux écoleslà.» Après ce long processus d'auditions, la centaine d'aspirants qui ont été élus par les professeurs feront leur entrée dans une des six écoles. C'est le cas de Vincent Michaud, Lydia Sherknies et Charles Voyer, qui auront tous récolté les fruits de leur labeur. Vincent Michaud Vincent Michaud a toujours été considéré par ses pairs comme «le gars qui fait du théâtre et de l'impro». PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE Pourtant, il a attendu d'avoir son diplôme d'études collégiales avant de se lancer dans le processus d'auditions pour les écoles de théâtre professionnelles. Il y a un an, il a demandé à Lydia Sherknies d'être sa partenaire dans cette aventure. Ensemble, ils ont répété pendant cinq mois avant de se présenter aux auditions des cégeps. Résultat? Vincent a été accepté dans les deux établissements. Il a eu moins de chance au Conservatoire de Montréal, où le jury ne l'a même pas vu en deuxième audition. À l'École nationale de théâtre, Vincent a passé chaque étape avec joie et confiance, mais après quatre jours intenses de stage à travailler avec les professeurs, l'homme de 21 ans a reçu une réponse négative. Il n'a quand même pas eu le temps de s'apitoyer sur son sort: le jour où il a appris qu'il n'était pas admis à l'École, il auditionnait au Conservatoire de Québec. Lundi, Vincent saura si les portes de l'école de la Vieille Capitale lui seront ouvertes en septembre. S'il essuie un refus, il ira étudier au Cégep LionelGroulx avec son amie Lydia. Charles Voyer Charles Voyer est une vieille âme dans un corps de jeune homme. À 19 ans, ce finissant en théâtre au Cégep de SaintLaurent a fait ses auditions dans quatre des six écoles professionnelles. Tout comme Vincent Michaud, il a été accepté dans les deux cégeps. http://www.lapresse.ca/arts/spectaclesettheatre/theatre/201505/23/014871998formonsnoustropdacteurs.php 3/5 25/5/2015 Formonsnous trop d'acteurs? | VÉRONIQUE LAUZON ET HUGO PILONLAROSE | Théâtre Les choses se sont gâtées à l'École nationale (l'établissement qu'il convoitait le plus), puisqu'il n'a pas réussi à se tailler une place au stage. Un refus difficile à avaler. Par contre, au Conservatoire de Montréal, les professeurs ont décelé le potentiel de Charles, ce qui l'a conduit jusqu'au stage. À cette dernière étape, le Montréalais était plus nerveux qu'à l'habitude, puisque cette école était maintenant celle où il désirait entrer. Après le stage, il a reçu la réponse espérée: les professeurs avaient envie de travailler avec lui au cours des trois prochaines années. C'est donc dans cette école que Charles ira apprendre le métier de comédien. Lydia Sherknies Dans quelques semaines, Lydia Sherknies obtiendra son diplôme d'études collégiales en arts et lettres, profil théâtre, au Cégep MarieVictorin. Comme des centaines d'autres Québécois, elle s'est préparée avec beaucoup de rigueur en vue des auditions aux écoles de théâtre. La jeune femme de 20 ans rêvait d'être acceptée à l'École nationale de théâtre ou au Conservatoire de Montréal, mais elle n'a pas eu la chance de se rendre en deuxième audition au Conservatoire. Par contre, à l'École nationale, elle a pu faire le stage. Parmi la trentaine de candidats présents à cette ultime étape, 12 ont été choisis pour faire partie de la nouvelle cohorte. Lydia, malheureusement, n'a pas été retenue. Immense déception pour la jeune femme de L'Assomption. «J'étais si près du but», laissetelle tomber. À l'automne, elle ira dans une école de théâtre professionnelle, puisqu'elle a été acceptée au Cégep LionelGroulx. «Pourquoi faistu ça?» Sophie Prégent, présidente de l'Union des artistes. PHOTO EDOUARD PLANTEFRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE L'hiver dernier, elle jouait le rôle de Johanne Lemieux dans Nouvelle adresse. Au même moment, on la voyait sur les planches du TNM dans Le journal d'Anne Frank. Sophie Prégent est une comédienne qui carbure à mille projets. Elle est aussi présidente de l'Union des artistes, le syndicat qui représente 8200 membres actifs. Dans le cadre de ce dossier, nous avons rencontré des élèves qui ont travaillé fort pour être admis à une école de théâtre, mais aussi des diplômés qui, malgré leur talent, en arrachent. Le marché peutil vraiment absorber tous ces aspirantsartistes? Le marché est saturé. C'est sûr qu'il n'y a pas de place pour tout le monde. La formation d'acteur, ce n'est pas comme étudier en médecine ou en dentisterie, où l'on trouve rapidement du travail après ses études. Par contre, c'est bel et bien un marché, et c'est ce qui fait que ça devient une jungle où on a l'impression de se vampiriser les uns les autres. Or, ce n'est pas ma perception. Que voulezvous dire exactement? Dans mon cas, avant que j'arrive sur le marché, les producteurs n'avaient pas besoin de moi. Le «besoin» de Sophie Prégent, je l'ai créé. C'est la même chose pour un Benoît Brière, par exemple: le marché n'avait pas besoin de lui, mais il a créé ce besoin. Bref, personne ne vole de job à personne. En tant qu'acteur, on se crée des opportunités. Certains réussissent, d'autres moins. C'est entre autres pour cela que plusieurs jeunes acteurs fondent leur compagnie de théâtre, afin de créer un environnement de travail où ils peuvent espérer produire leurs propres pièces et se faire remarquer. http://www.lapresse.ca/arts/spectaclesettheatre/theatre/201505/23/014871998formonsnoustropdacteurs.php 4/5 25/5/2015 Formonsnous trop d'acteurs? | VÉRONIQUE LAUZON ET HUGO PILONLAROSE | Théâtre Ce phénomène est désormais compris par l'Union des artistes. Nous les appelons les «artistes entrepreneurs». Nous travaillons actuellement à l'écriture d'une première entente collective, qui n'existait pas jusqu'à maintenant. Ces artistes nous le disaient: «Pourquoi mon union ne m'aidetelle pas?» C'est à ce momentlà qu'on a compris qu'il y avait une brèche qu'il fallait colmater. Nous devons être plus flexibles pour ces jeunes, pour qu'ils puissent gagner leur vie. Dans ce contexte, trouvezvous que nous formons trop d'acteurs au Québec? C'est une question délicate et complexe... Il y a certainement une élimination naturelle dès le début d'une carrière. Mais y atil trop de finissants en interprétation? Rappelonsnous qu'une formation d'acteur ne mène pas nécessairement à la scène. Une Marie Laberge (écrivaine), par exemple, a étudié pour devenir actrice. C'est donc un bagage qui te sert pour de multiples choses. Je crois qu'il faut d'abord et avant tout rester ouvert d'esprit. À l'Union des artistes, certaines personnes se plaignent que c'est trop difficile d'accumuler les permis (autrefois les crédits) pour être admis. D'autres nous disent d'arrêter d'admettre de nouveaux membres. Je n'ai donc pas de réponse précise à votre question. Que diriezvous alors aux aspirants acteurs qui s'inscrivent dans les écoles de théâtre? C'est le début du travail. Il est aussi difficile d'entrer dans une école de théâtre que de poursuivre sa carrière ensuite. Passer en audition, c'est aussi comme entrer dans une école: il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. Et c'est juste le début! Considère que ça va devenir ta vie. Posetoi aussi la question: pourquoi faistu ça? Parce que c'est ta passion ou parce que tu veux devenir une vedette? Si c'est vraiment ce que tu veux faire dans la vie, que tu en ferais même si tu n'étais pas payé ou que tu gagnais 12 000$ par année, alors vasy. © La Presse, ltée. Tous droits réservés. http://www.lapresse.ca/arts/spectaclesettheatre/theatre/201505/23/014871998formonsnoustropdacteurs.php 5/5