Écrivain bâtisseur

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Écrivain bâtisseur
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Midi Olympique
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Hebdomadaire
Juin 2011
Par Emmanuel Massicard
Mohed Altrad Actionnaire du MHR, Mohed Altrad devrait être porté à la présidence
du club héraultais mardi soir. Un nouveau défi pour ce chef d’entreprise, syrien et fils de
bédouin, devenu écrivain. Il prévient : “La difficulté n’est pas de faire, mais d’oser faire.”
Écrivain bâtisseur
I
l y avait Kampf, Fabre, Martinet, Lorenzetti, Guazzini ou encore Boudjellal.
Grands patrons et figures, discrètes ou omniprésentes du rugby français.
La galerie de portraits éclectique, s’est récemment enrichie avec l’apparition
de Mohed Altrad. Le P.D.G. d’un groupe international qui “pèse” près de 500 millions
d’euros de chiffre d’affaires est devenu patron du Montpellier Hérault Rugby lors
de la dernière augmentation de capital, mi-mai. Une histoire unique et un nouveau
genre.
Syrien de naissance, issu d’une famille bédouine et français d’adoption, Altrad vient
de débarquer dans le rugby sur la pointe des pieds malgré un investissement de
deux millions d’euros. Là où d’autres multiplieraient les déclarations fracassantes,
lui avance en toute discrétion. Et chasse la confusion des genres. Il dit : “C’est un
engagement personnel, pas professionnel.” Et affirme vouloir rendre à Montpellier
ce que sa terre d’asile lui a apporté. Refus de l’oubli : Altrad s’est construit en France
et en Languedoc où il débarqua en 1972, sans même connaître la langue. “Je suis
arrivé à la cité universitaire de la Colombière, avec 200 francs en poche d’une bourse
accordée par le gouvernement syrien au meilleur élève de chaque région. Ce ne fut
pas facile, tout changeait : le mode de vie, la langue, la religion, le climat et la
nourriture. J’avais en moi une image très noble de la France, acquise au travers
des traductions d’œuvres littéraires, dont Flaubert, mais je n’en savais véritablement
rien. Le choc des cultures fut violent mais quand on n’a pas le choix, on s’adapte.
Le destin peut changer bien des choses.”
“Il m’importe avant tout d’apporter ma pierre à l’édifice.
Le jour où je ne serai plus utile, je serai malheureux”.
Pudeur
À peine six mois après son arrivée à Montpellier, celui qui avait appris à lire seul
avant de rejoindre une école de Raqqa (il fut bachelier à 17 ans), maîtrisait les
rudiments du français. Acte fondateur d’une nouvelle vie. Sa première avait débuté
dans le désert syrien où sa famille, bédouine, était installée. Très tôt orphelin,
“mon père, un chef de tribu, avait répudié ma mère après ma naissance et tous deux
décédèrent dans ma prime jeunesse”, il est élevé par sa grand-mère. Sa jeunesse
est un univers sans frontière.
La pudeur voile le témoignage et les faits sont parfois vagues : Mohed Altrad
ne connaît pas sa date de naissance même si la Légion d’honneur reçue de l’État
français indique mars 1948. Il sait juste être né aux environs des années cinquante :
“Les recherches effectuées dans les registres d’état civil syriens indiquent trois dates
qui peuvent correspondre : 1948, 51 et 55. C’est ainsi, cela fait partie de moi
et de ma vie.” Le temps comme incontrôlé. De l’ordinaire à l’essentiel.
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Mohed le Bédouin, Altrad le Languedocien : ou le métissage d’un homme du monde
aux racines diverses. “Deux cultures existent en moi. On me dit souvent que ce
multi-culturalisme est une chance, je n’en sais rien? suis-je arabe ou européen,
athée ou croyant ?”
Pensée métaphysique : “Dieu a-t-il tout écrit comme on l’a appris au jeune bédouin
sans accès à l’information que j’étais, la date de naissance, la mort et même
l’au-delà ? Ou Dieu est-il au contraire celui que j’ai découvert en France.
Qui accorde plus de liberté ? Il y a forcément un peu de tout cela en moi. Jusqu’à un
certain âge, ce fut déstabilisant, ça l’est moins aujourd’hui. J’arrive à aimer ce pays.”
La Syrie, elle, s’est éloignée même s’il suit la crise qui secoue son pays avec une
attention toute particulière. Le retour n’est pas envisagé ; il n’y est d’ailleurs revenu
qu’une seule fois en 1974. Les ponts sont coupés mais des souvenirs subsistent.
Une certaine force également. “Dans le désert, il faut avoir conscience de la précarité
qui t’entoure. Je me souviens de l’odeur de la faim. C’était de la survie.
Et tout pouvait s’arrêter très vite à la moindre morsure de serpent.”
Encore : “Je n’ai rien oublié. Malgré le côté pléthorique de la vie actuelle, j’ai gardé
ce côté dépouillé. Je suis capable très vite de basculer vers le néant.”
L’émigré affirme n’avoir jamais souffert du racisme. Il confie sa fierté d’avoir réussi.
“J’ai toujours essayé d’apporter ma contribution. A priori, j’ai trouvé ma place dans
la société.” Il rappelle la Légion d’honneur et les deux titres de meilleur entrepreneur
du pays qui lui ont été décernés. Parle du récent engagement du fond stratégique
d’investissement (FSI : détenu en partie par l’État) aux côtés de sa société. Une
revanche prise sur ceux qui doutaient de lui. Toujours en compétition, il explique à
propos de l’argent : “Nous sommes dans une compétition mondiale, le groupe Altrad
facture dans cent pays, et l’argent compte évidemment. Mais ce n’est pas une finalité
au plan personnel. Il m’importe avant tout d’apporter ma pierre à l’édifice.
Le jour où je ne serai plus utile. Je serai malheureux.”
“Je veux être vu comme un ami, un sage apportant
sa contribution à la ville et à la région”.
Appréhender le temps
Mohed Altrad s’exprime toujours d’une voix basse et lente. Maîtrisée. Ses mots
s’enchaînent avec une belle précision, choisis, mis en valeur par le silence qu’il
impose. Clin d’œil de l’histoire : son image tranche avec l’exubérance d’un Louis
Nicollin et sa gouaille légendaire. Altrad, lui, préfère coucher les mots sur papier
plutôt que de les laisser s’envoler. Une manière d’appréhender le temps. “Avec un
livre on est codifié, on entre dans l’histoire. C’est une façon de gagner du temps…”
Il y voit surtout un espace de liberté ; “Une parenthèse enchantée, qui permet de
m’extraire de mes activités professionnelles.” L’homme d’affaires n’a pas seulement
publié des ouvrages spécialisés dans la gestion d’entreprise, la construction de
projets ou le management des personnes, ses points forts.
Il s’est mis au roman. Il y a dix ans un manuscrit a séduit la prestigieuse maison
d’édition Actes Sud. “Badawi”, ouvrage autobiographique en forme de thérapie,
connaît depuis un vrai succès : il vient d’ailleurs d’être édité au format poche.
“L’hypothèse de Dieu” a suivi. Un troisième livre doit sortir l’an prochain : un roman
historique qui “offre un éclairage du présent”, note Evelyne Wenzinger, son éditrice
depuis 2006 chez Actes Sud. La sortie est programmée pour 2012.
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Le bâtisseur est devenu écrivain : une revanche face à une langue française
tellement difficile à appréhender.
Acte thérapeutique au départ, l’écriture est aujourd’hui source de plaisir et d’évasion
chez Mohed Altrad. Il éclaire : “On ne devient pas écrivain du jour au lendemain,
ça se travaille. J’écris partout, dès que j’en ai l’opportunité. Et sans psychotrope.
Je pars d’une histoire et d’un cadre précis et je crée ensuite. C’est une bulle
de liberté, comme le Bédouin qui va où il veut… Mes sources d’inspiration
sont nombreuses et variées, de Flaubert, pour ses descriptions fabuleuses,
à Jean Rouaud, montpelliérain et prix Goncourt 1990.”
Evelyne Wenzinger complète : “Mohed Altrad c’est un penseur. Quelqu’un à
l’intelligence très fine et au bagage culturel important, qui allie humilité et exigence.
Avec lui, une œuvre n’est jamais terminée, il cherche sans cesse à l’améliorer.
Dans ce but, il est à l’écoute, demandeur de conseils auprès de ceux qui l’entourent
et en qui il a placé sa confiance.” Et de conclure : “On croit savoir beaucoup
de choses à propos de Mohed Altrad mais, en fait, il n’est jamais là où on l’attend
vraiment.”
Secret, parfois déroutant. entre le business et l’écriture, la liberté pour Altrad passe
désormais par le rugby et le MHR. Message : “Je respecte les gens. Je veux être
vu comme un ami, un sage apportant sa contribution à la ville et à la région.
Mon investissement est personnel, désintéressé. Il devrait être perçu comme
un gage de sincérité.”
MHR : “Sérieux et rigueur”
Centre d’activité du Millénaire : c’est ici que sort de terre le Montpellier du XXIe.
Un quartier d’affaires encore sans histoire. Au détour d’une impasse, derrière
un immense portail, perdure un oasis de verdure. Au cœur : un hôtel particulier,
lieu d’habitation et siège du groupe Altrad. C’est ici que Mohed Altrad reçoit
directement, dans son bureau ouvert sur le jardin. Seuls les oiseaux viennent briser
le règne du silence. Aux murs, photos et tableaux. Rien qui n’ait rapport au rugby.
Pourtant, le MHR est omniprésent. L’actionnaire majoritaire explique : “J’ai été
partenaire du club de Toulon en football dans les années 1990, une belle aventure…
je suis sensible aux valeurs véhiculées par le rugby où il n’y a pas autant d’argent.
Je suis venu donc pour apporter du sérieux, de la rigueur au club. Un budget se
construit sur du solide, en fonction des recettes et des dépenses. Sans structure,
impossible d’aller très loin. Il faut tenir ses engagements. Le MHR est un support
de communication passionnant, il doit être un élément fédérateur.”
Et d’ajouter : “Je connaissais déjà Galthié qui avait animé un séminaire dans mon
entreprise. C’est un homme de projets, déterminé, qui ira jusqu’au bout de ses idées
et de ses convictions, comme Béchu. Je sais que je peux compter sur eux
sportivement, l’objectif sera de figurer dans les cinq ou six premiers et se donner
les moyens de revenir un jour en finale. Le titre ? Avant de penser à la conclusion,
regardons le travail qu’il reste à faire pour y parvenir.”
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Digest…
Mohed Altrad est né en Syrie. Bachelier, il obtient une bourse pour étudier
en France. Après un doctorat en informatique, il travaille chez Alcatel, Thomson
et Abu Dhabi National Oil Company avant de fonder une entreprise informatique
revendue à Matra. En 1995, il achète une PME héraultaise spécialisée dans
les échafaudages, c’est le point de départ du groupe Altrad qui devient
numéro 1 mondial de la bétonnière, le numéro 1 européen de l’échafaudage
et de la brouette et le numéro 1 français du matériel tubulaire pour collectivités.
Son chiffre d’affaires est de 417 millions d’euros en 2010.
Ecrivain, il publie deux romans chez Actes Sud (Badawi, 2002 ; L’hypothèse
de Dieu, 2006) et des essais (Stratégie de groupe, 1990 ; Écouter, harmoniser,
diriger, 1992 ; Le management d’un groupe international : vers la pensée multiple,
avec Carole Richard, 2008).
Marié, père de cinq enfants.
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