COREM - Collectif de recherche sur les pratiques de médiation

Transcription

COREM - Collectif de recherche sur les pratiques de médiation
Collectif de Recherche
sur les pratiques de
Médiation
Journal n° 11
Ce numéro et ceux d’Août et de Septembre
seront consacrés aux rencontres :
- Rencontres du COREM les 11 et 12
octobre 2013 à Niort(79) p2-3
- Rencontre avec Juno Elastico p5
- Rencontre avec les textes de la
recherche des membres du COREM
Claire Bonnelle
Un certain éloge du conflit ... p 6
Alix Bouche, Claire Denis
LE NEUTRE, LA PRATIQUE DE MEDIATION et des
échos que la lecture de Roland Barthe produisent
….. p 8
Cendrine Boulanger
COREM 41 rue du Cozes 17600 SAUJON Numéro 11 – Juillet 2013. [email protected]
Les écrits publiés dans ce journal n'engagent que leurs auteurs
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Programme provisoire
« Controverses et conversations »
Les rencontres du COREM
11 et 12 octobre 2013
NIORT(79)
Centre Du Guesclin, Place Chanzy
Ce rassemblement sera précédé d'une journée organisée par la mairie de NIORT (Centre
socioculturel de Part et d’Autre, quartier du Clou Bouchet) où des membres du COREM
interviendront.
Vendredi 11 octobre : 10H à 17H
-a ) Présentation du Corem : Bernard Cortot
-b) Première controverse et conversation
Présentation : Alix Bouche
Exposé d' une situation clinique de médiation dans une organisation
Débatteurs : Catherine Vourch et Claire Denis
Des options méthodologiques opposées et leurs fondements (Pourquoi ces choix ?)
Conversation avec le public.
Synthèse : Alix Bouche
Les questions qui émergent du débat, les pistes théoriques soulevées.
- c) Deuxième controverse et conversation :
Présentation : Claire Bonnelle
Exposé d'une situation clinique de médiation familiale : Peut-il y avoir des médiations parents
enfants ?
Débatteurs : Annie Bailly Dubois et Bernard Cortot
Des options méthodologiques opposées et leurs fondements ( pourquoi ces choix ?)
Conversation avec le public.
Synthèse par Claire Bonnelle
Les questions qui émergent du débat, les pistes théoriques soulevées.
Déjeuner 13H à 14H : Repas sur place : 10 euro (à réserver)
COREM 41 rue du Cozes 17600 SAUJON Numéro 11 – Juillet 2013. [email protected]
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-d) troisième controverse et conversation :
Présentation : Marie Laure Binoux
Exposé d'une situation clinique de médiation : le cadre et en particulier l'espace du
dispositif de médiation doit il être dédié, stable ou variable et non dédié (jardin, café…)
Débatteurs : Maité Lassime et Hélène Lesser
Des options méthodologiques opposées et leurs fondements (Pourquoi ces choix ?)
Conversation avec le public.
Synthèse par Marie Laure Binoux
Les questions qui émergent du débat, les pistes théoriques soulevées.
c) Quatrième controverse et conversation
Présentation : Marie Rousseau
Exposé d'une situation clinique de médiation : l'évaluation de la médiation
Débatteurs : Claire Bonnelle et Marcienne Daloux
Des options méthodologiques opposées et leurs fondements (Pourquoi ces choix ?)
Conversation avec le public.
Synthèse par Marie Rousseau : les questions qui émergent du débat, les pistes
théoriques soulevées.
d) 16H30- 17H30 Etat du travail du groupe de recherche sur le «processus-tiers», groupe
constitué de 6 membres du COREM réunis sur proposition d’Emile Ricard autour de ce thème de recherche.
Présentation et débat
17H 30 à 18H30 : Assemblée générale du COREM, ouverte au public
-Samedi 12 octobre : 9H- 12H
e) Cinquième controverse et conversation
Présentation : Paul Jan
Exposé d'une situation clinique de médiation : quand la maladie mentale est annoncée en
début de médiation
Débatteurs : Odile Hayreaud et Marie-Paule Bertin
Des options méthodologiques opposées et leurs fondements (Pourquoi ces choix ?)
Conversation avec le public.
Synthèse : Paul Jan
Les questions qui émergent du débat, les pistes
f) Les travaux de recherche du Corem : synthèse d'Hélène Lesser et Claire Denis
g) Surprise et étonnement
h) Conclusion
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MODALITES PRATIQUES concernant les journées du COREM
Journées gratuites avec participation « au chapeau »
Pour se rendre sur le lieu du rassemblement du COREM :
Centre Du Guesclin, Place Chanzy, 79000 Niort
Possibilité de parking à proximité au Clou Bouchet et à Du Guesclin (une partie payante)
Lignes de bus depuis la gare vers le Centre Du Guesclin : lignes F, L et N, arrêt Denfert Rochereau
Bulletin d'inscription
à découper et à renvoyer à
Corem chez O.Hayreaud 41 rue de Cozes 17600 Saujon
Nom.................................................prénom.....................................
Profession........................................ mail.........................................
Tel.....................................................
Inscription (cocher)
Vendredi
○
Repas midi (10 euro)
○
Samedi matin ○
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Juno élastico nous accompagnera pendant ces trois numéros « spécial rencontres »
juno élastico m’a fait penser à la
médiation:
Après ses études d'artiste plasticienne à
Strasbourg et 6 années en Irlande, Lara
développe désormais son travail de Art Toy/
sculpture textile (les Mange Bobos) et son
travail de Géographie personnelle (voir site
blanchardlara).
Les Mange Bobo sont des créatures uniques,
ludiques, un tantinet exhibitionnistes (rien de
grave) qui attendent de gentils adoptants pour
les faire délirer dans leurs histoires à dormir
debout...
“Juno, de son vrai nom, Robert
Caoutchouc, est à la famille In fata Ta,
célèbre et heureuse famille foraine, ce
que le pneu est à la jante: indispensable,
souple, laissant des traces ...
Sa facilité à créer des liens date de son
plus jeune âge.
Très tôt tiraillé entre l’amour de ses deux
parents culturistes, il sert fort la main de
chacun
lors
des
promenades
dominicales, désirant souder la famille,
servant de joint au couple; Souvent
tiré à droite et à gauche, jamais il ne
lâche. De cet amour partagé vient sa
grande souplesse articulaire et son
élongation ligamentaire. Il ne lâchera
pas!
A l’école, il se rend compte que cette
spécificité amuse ses camarades de
récréation. Il sert alors de corde à sauter,
d’élastique et c’est à cette époque qu’il
réalise qu’il a le bras long et peut réussir
dans le monde. Il rêve longtemps de
devenir champion de brasse coulée mais
le directeur de la piscine de sa petite ville
du haut Jura, lui interdit l’accès au grand
bassin argumentant que le petit Robert
fait peur aux abonnés du club. Il ne se
décourage pas et lors de mariages,
baptêmes, confirmations, enterrements,
il exhibe son impressionnante envergure
contre quelques piécettes qui, une fois
additionnées, lui permettent de payer
son billet pour rejoindre la famille In
Fata Ta, fameuse famille foraine alors de
passage dans les hautes plaines d’Aunis.
Il s’exhibe désormais pour notre plus
grande joie, heureux et épanoui.
Juno a su transformer ce qui aurait pu
être son pire handicape en sa plus
formidable qualité !
Unique, époustouflant, il embrasse la vie
et s’emmêle pour vous.
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Extraits de recherche…
Claire Bonnelle
Un certain éloge du conflit ...
Suite à la relecture (passionnante je vous conseille !) de l'ouvrage de Michel Benasayag et Angélique Del Rey
« Eloge du conflit », je m'interroge sur le rôle de la médiation dans une société qui, je le crains, supporte de
moins en moins bien les conflits.
La médiation serait-elle destinée et utilisée (à notre insu?) pour contenir le chahut, cacher le désordre et
l'indiscipline des conflits ? Nous, médiateurs, sommes-nous ceux à qui l'on confie discrètement les conflits pour
qu'ils ne se voient plus, qu'ils ne débordent plus, qu'ils se taisent enfin ?
Le conflit n'est pas bien vu ; ceux qui le portent et le vivent ne sont pas bien vus. Le conflit dérange et ceux qui y
assistent impuissants, les proches, les voisins, les travailleurs sociaux..., ne cessent de réclamer une solution. - Il
faut à tout prix régler ce conflit !
Le conflit n'est pensé qu'en terme de fin, de dépassement. C'est une plaie, et les gens qui le soutiennent font
fuir. Dans le meilleur des cas, on peut l'envisager comme une étape, parfois nécessaire, pour changer une
situation.
Aujourd’hui, le sens commun ne conçoit le conflit qu'en termes négatifs : il fait du bruit, il fait souffrir, il
agresse. On fait alors référence aux individus avant de penser société, politique, démocratie... Il accapare ceux
qui le subissent, il monopolise leur attention, il les rend aveugle au reste du monde. Ceux qui s'y jettent corps et
âmes, comme on dit, y consacrent rapidement tout leurs temps libres. Le conflit capte son monde, il réclame
une disponibilité totale de ceux qui le portent, il impose son hégémonie.
Dans un univers rationnel et utilitariste, le conflit est à bannir, irrémédiablement.
D'où l'émergence de multiples solutions qui permettraient d'éviter les conflits : psychothérapies, décisions
judiciaires, lieux d'écoute et de dialogue, médiations...
Et pourtant !
Michel Benasayag nous met en garde contre la tentation de nier les conflits, de les cacher, de les minimiser.
Pour lui, le conflit est inhérent à la vie, il est ontologique dit-il. Cacher ce qui ne se maitrise pas est une tentation
non seulement vaine mais dangereuse pour une société.
« L'immaîtrisable est partie prenante de la réalité humaine et toute tentative visant à le nier ne peut au mieux
que produire un retour du refoulé, au pire la barbarie ». Le conflit est ce qui fait lien, justement, entre les
hommes, ce qui fait les relations, ce qui tisse des ponts.
Une vie sans conflit ne serait qu'une mascarade, un bal de rôles joués. Et pourtant, n'est-ce pas ce que la norme
actuelle, intériorisée par chacun d'entre nous, nous invite à vivre ? Course au bonheur, réalisation de soi,
efficacité, performance..., nous ordonne de refouler les conflits, de les compresser, de les nier, les réduisant à un
vague malaise devant les quelques questions qui fâchent toujours et que l'on élude. Le conflit est perte de
temps, erreur.
Il faudrait être un, entier, univoque, performant et constant. Communication, dialogue ne nous feront jamais
renoncer aux conflits, car c'est en nous que se bousculent les idées contraires, les pulsions incohérentes. Le
conflit n'est pas une tare que l'on peut supprimer ainsi, il est inhérent et indispensable à la vie, et à la vie en
société. Il est inséparable de la séparation justement, du changement, de l'individuation..., et de l'humanité.
Croire que l'on pourrait ainsi le supprimer par force communication, éducation, savoir vivre..,. revient à
prendre des vessies pour des lanternes.
En médiation familiale, les médiateurs que nous sommes travaillent avec ces ambiguïtés permanentes à propos
du conflit. Quelle idée avons-nous du conflit, de son caractère inéluctable au sein d'une société d'humains ?
J'ai rencontré beaucoup de médiateurs qui, dans leur vie de tous les jours, n'aiment pas le conflit, se sentent mal
à l'aise avec lui, le fuit. Cette réflexion interroge. Quelle vision de l'homme avons-nous ? Comment cette crainte
du conflit peut-elle se traduire dans notre pratique ? Comment jugeons-nous les personnes qui vivent un
conflit ? On me rétorquera que, nous médiateurs, nous ne jugeons pas. Bien sûr, mais sommes-nous sûrs de ne
jamais voir dans leur assujettissement au conflit une incapacité des personnes à se dominer ?
Les personnes viennent souvent en médiation avec cette idée de sortir du conflit au plus vite (pour les enfants,
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pour être heureux, pour vivre enfin...), et en même temps ne renoncent pas à leur combat. Ils sont pris, à ce
moment de leur vie, dans leurs propres injonctions paradoxales et nous demandent de les aider à en sortir.
Le conflit nous sert à faire avancer la médiation, et en même temps, on est tenté, car c'est ce qui nous est
demandé implicitement à travers la norme, de le réduire, de le contenir. En gros, de lui donner une forme
acceptable.
Je suis étonnée d'avoir été si peu formée au conflit, d'avoir si peu travaillé sur mes relations au conflit. Notre
propre rapport au conflit, notre capacité à penser le rôle du conflit dans la société doivent nous aider à prendre
garde aux enjeux de la médiation à ce niveau-là. Nous sommes payés pour aider les personnes à résoudre leurs
conflits, pour que les conflits ne nuisent pas trop aux enfants... La norme c'est de divorcer sans conflit, de se
séparer sans s'agresser... comment ne pas être d'accord ?
On se retrouve avec les questions des objectifs de la médiation. Veut-on supprimer le conflit d'un coup de
baguette magique à force de leçons de communication ou grâce à une bonne négociation ? Le conflit peut-il,
doit-il, en médiation, être géré ? Comment ose-t-on utiliser ce terme de gestion à propos d'une médiation qui
est tout sauf de la gestion ?
Si de nombreuses demandes en médiation concernent le règlement d'un litige, que les personnes souhaitent en
rester au niveau superficiel de la communication sans aborder les éléments qui fondent le conflit, c'est à dire les
ambiguïtés, les incohérences de chacun, il me semble important que le médiateur ne soit pas dupe de ce qu'il
traite.
Les auteurs font une distinction entre affrontement et conflit qui pourrait intéresser les médiateurs. Ils voient
dans l'affrontement une version réductrice du conflit, inscrite dans l'immédiateté. Une lutte de deux identités
qui s'affrontent. Une opposition frontale et simplifiée alors que le conflit serait un tissu complexe et entremêlé
dans lequel les identités sont mouvantes avec le temps. Si j'ai bien compris, l'affrontement serait du côté de la
statique des identités qui se figent en s'affrontant, alors que le conflit serait du côté de la mouvance des
identités qui se construisent en se cherchant.
Peut-on se servir de cette manière de voir pour envisager la médiation comme la recherche commune de la
complexité au delà de l'affrontement ? Comme un chemin non pas vers la résolution mais vers la
complexification d'un état initial de violence. La violence, comme l'affrontement rime avec simplification,
réduction, fermeture de la pensée. La médiation est alors ouverture, approfondissement, un espace de partage
et de découverte des contradictions, des ambiguïtés, des allers-retours de chacun. Alors que la solution miracle
serait celle qui annule les pertes (on efface tout !), l'idée serait de les accepter au contraire, de renoncer à les
supprimer, de ne pas vouloir les réparer à tout prix.
Quand les auteurs nous invitent à ne pas chercher de solution au conflit, je fais le lien avec notre attention, à
nous médiateurs, à ne pas chercher l'accord à tout prix. Nous avons du pouvoir. Nous pouvons entendre leur
demande de sortir au plus vite du conflit pour ne plus souffrir mais cela ne nous empêche pas de travailler avec
eux sur ce que leur conflit leur apporte de positif. Il ne s'agit pas de nier les conséquences négatives des conflits
sur les enfants mais de ne pas alimenter la hantise des cris et des heurts, des oppositions si souvent créatrices.
Les enfants ne peuvent-ils pas aussi entendre qu'un conflit n'est pas nécessairement un drame, que leurs
parents sont vivants et que dans leur vie d'hommes et de femmes ils auront aussi à se positionner, à se heurter,
à se démarquer pour ne pas se laisser manger ?
Je tire de cette lecture une attention à respecter le temps nécessaire à l'approfondissement ; une attention à la
dé-maîtrise (encore une fois!) une manière de faire et de parler de la médiation qui fasse plutôt avec le conflit
que contre lui.
Reste à l'incarner dans le quotidien...
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Alix Bouche, Claire Denis
LE NEUTRE, LA PRATIQUE DE MEDIATION et des échos que la lecture de Roland Barthe produisent …..
Un désir de neutre, c’est bien ce à quoi j’aspire,
lorsque je me prépare à être médiatrice pour
d’autres. Me trouver dans une disposition où je
puisse suspendre mon jugement pour être plus
disponible à l’écoute de bien des nuances de
sentiments, d’opinions, de valeurs. Un « flottement
du désir » « hors du vouloir saisir…. » (Expressions
de R.Barthe) c’est à dire dans mon idée : désirer
sans que ce désir ait un objet précis. Le désir, oui,
comme un ingrédient du domaine du vivant, un
désir tourné vers des espérances universelles. Le
désir qui renaît malgré le découragement parfois, le
plombé des situations qui nous sont données à
entendre. Là, je pense très fort à Monsieur René
Guitton, notre superviseur en médiation, qui
soulignait la place du désir et du manque dans le
travail de médiation. J’ai toujours pensé que désirer
ensemble, pas quelque chose de précis, mais
désirer ensemble comme vivacité, force de vie, était
un ingrédient de la rencontre. Souvent les
personnes m’ont semblé être dans cette « vitalité
désespérée » dont parle R.Barthes, et que parfois
c’était quitter « le vouloir saisir et aménager le
vouloir vivre » qui pouvait être médiation.
L’une des figures du neutre, selon R.Barthe serait la
« bienveillance, à la fois faite d’émois et de
distance » ; je dirai, pour la médiatrice que je
suis : « une veille ou une veillance faite de distance
et d’émoi », voilà l’état poétique dans lequel je
souhaiterai être.
Mon travail serait de Créer un espace- temps
neutre : un temps et lieu tendu vers la neutralité,
lieu et temps
de suspension des ordres, lois,
violences, pressions, du binarisme vrai-faux, de
l’efficacité, de l’expertise, de l’évaluation…comme
un lieu/temps ouvert, pas trop encombré ; qui
aménage du vide, un espace projectif potentiel, où
l’ambivalence, la nuance, l ‘ébauché peuvent se
déployer. Un lieu qui permet l’expression de
l’ambivalence ; cet état qui me semble si habituel
dans les moments de crise et de conflit ; une
ambivalence si difficile à reconnaître, mais que l’on
peut ici accueillir, comme état de notre propre
universelle conflictualité interne.
J’ai souvent identifié ce lieu comme un lieu
potentiel de pause, de repos, de suspension :
suspension de la violence, du quotidien, du cours
des choses. Lieu pour penser, parler….
Cette idée entre en résonance avec que dit R.
Barthe : « que la socialité en moi se repose » (
« figure de la fatigue » « les choses nouvelles
naissent de la lassitude »). Si nous pouvions créer
ces lieux où même l’on pourrait « dormir sur ses
deux oreilles », acte même de la confiance (figure
du sommeil sans rêve, comme temps suspendu
improductif), ce serait bon.
La figure du silence :
Créer un lieu pour parler, penser ensemble, avec
aussi droit au silence ; une parole comme une
musique où les silences sont aussi importants que
les sons. Il y aurait là aussi une indication pour le
médiateur qui peut rester silencieux et veille à ce
que la parole ne devienne pas terroriste (ici le
terme de « transparence » utilisée dans certaines
brochures de services de médiation me semblent
procéder de ce terrorisme). Le silence qui permet
de penser avant de parler (répondre de ;
responsabilité de sa parole, de ses actes).
La figure de la « délicatesse » avec la cérémonie du
thé (Japon), m’a inspiré cette métaphore :
L’espace de médiation a la blancheur d’une feuille
de papier vierge ou d’un champ de neige fraiche
non foulé encore par les traces qui témoignent d’un
chemin ; le temps y est suspendu comme le silence
qui précède l’attaque d’une symphonie….ou comme
la surprise de mon regard interpellé par cette fleur
minuscule, jaillie, mauve, au creux d’un mur
habituellement si terne… « A chaque fois que, dans
mon plaisir, mon désir ou mon chagrin, je suis
réduit par la parole de l’autre (souvent bien
intentionné, innocent) a un cas qui relève très
normalement d’une explication ou d’une
classification générale, je sens qu’il y a
manquement au principe de délicatesse » dit
Roland Barthe …La délicatesse est rarement là en
médiation ; nous est-il nécessaire de veiller sans
cesse à la violence de la réduction, de la généralité ?
La figure du sommeil apparaît comme un « non
lieu », temps suspendu, qui mobilise la confiance
(dormir sur ses deux oreilles)… ou plutôt, nous
pourrions dire dans une médiation, mise en
sommeil des pressions, des terreurs, du mal à l’âme,
peut être …comme un espoir, dans ce temps de
médiation. Ou plutôt quelque chose comme la
sortie d’une salle de cinéma, lorsqu’on y est rentré
avant la nuit, qu’on en sort la nuit tombée …et que
le film vous a tiré des larmes, vous a redonné de
l’espoir…
La figure de l’affirmation ; Pourrions nous ne plus
parler, ne plus écrire sans être tenté de dire « peut
être » comme si toute chose était fragile, fugace et
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qu’il était possible de penser, de ressentir un même
événement de mille manières. Ainsi le « meilleur
neutre » ne serait pas « le nul mais le pluriel »
La figure de la couleur : le neutre du ton sur ton,
avant le sens . Si le lieu de médiation était une
couleur, il serait de la moire….de l’irrégulier, de
l’imprévisible
Sur cette question de la couleur, je pense surtout.
En croisant ces deux dernières figures, je pense au
travail réalisé avec un linguiste qui nous incitaient,
nous les médiateurs, à jouer avec les mots, à créer
des « mangroves de mots », à rechercher des
nuances langagières.
Il y a, dans une médiation, des oscillations, de
l’ambivalence, des hésitations, des nuances à
chercher;
comme
une
exploration
de
contradictions, d’oppositions des conflits internes
qui se répercutent dans l’entre–deux, dans le conflit
interpersonnel. Comme si ces moments là, dans le
travail de médiation, « ce temps vibré, comme dans
les jeux de billard »(R.Barthe) étaient utiles dans la
recherche d’une justesse et d’une cohérence.
La figure de l’adjectif…ici j’entends les propos tant
rabâchés en médiation, « l’homme alcoolique », « la
femme volage », « le père incapable », « la mère
dévorante »…Danger de l’adjectif car ce qu’il
qualifie « n’est pas le tout de la personne ».
Faudrait-il « donner congé aux adjectifs » dans la
médiation, aux adjectifs qui collent comme les
étiquettes posées une fois pour toute sur le front ou
dans le dos. Les adjectifs enferment « et pourtant
ils sont si humain ». Alors peut être, ce qui peut
nous soutenir comme médiateurs c’est
la
conviction qu’une action posée, un trait de
caractère saillant…ne disent pas tout de la
personne. Cette conviction suffit elle pour se mettre
à distance et retrouver de la neutralité (comme une
écoute inconditionnelle de ce qui est humain) ?
Le ni-ni, le ninisme du neutre me ramène à la façon
dont les médiateurs se présentent : ni Juge, ni
avocat, ni psychologue …peut être un désir de faire
le vide, pour créer du nouveau, du différent dans la
posture.
Et le médiateur s’il était une couleur…………………..
Un animal………..
Un tissu……
Un végétal….
Le neutre fait entendre aussi « la pause légitime »
permettant le tour à tour des conversations…
La figure de la conscience renvoie vers le travail
réflexif en médiation, mais en présence de l’autre,
et en échange avec lui.
La figure de « la réponse ». « La question est
toujours terroriste ; elle peut être la pire des
violences » …oh comme cela me fait écho !….les
questions des médiateurs sont-elles inquisitrices ?
Faut-il reconnaître aux personnes le droit de ne pas
répondre au médiateur, à l’autre aussi ? Cela me
conduit à penser que le terme de demande est plus
pertinent dans le vocabulaire de médiation que
celui de besoin ou de question, car la demande est
adressée et elle appelle une réponse, que l’autre est
libre de donner.
La figure du rite ; « Beaucoup de symbolique
éloigne du neutre, un peu y ramène »…il y a un
rituel qui s’installe dans un espace de médiation
(aménagement de l’espace, places, la boisson servie,
le petit mot de l’arrivée qui a trait au banal… »,
Comme un décor posé). Mais trop d’encombrement
pourrait nuire au travail (trop de sens avec des
affiches affirmatives sur les murs; un manque de
sobriété dans l’aménagement qui dit « trop »…).
Les personnes qui participent à la médiation créent
aussi des rituels : une façon de se saluer, la dispute
toujours sur le pas de la porte…des rituels qui
sécurisent, qui sont aussi comme des langages,
comme des mots inlassablement répétés. Ne faut- il
pas en décrypter le sens (sans les annuler pour
autant)?
J’ai eu à connaître une médiation qui s’est révélée
représenter
un rituel de remplacement : les
personnes ont exprimé avoir regretté de ne pas
avoir ritualisé leur union par un mariage et désirer
ritualiser leur séparation dans une médiation.
Plusieurs médiations relatées par des collègues
m’ont semblé être des rituels de séparation : des
couples de personnes âgées, d’accord sur leur
séparation, sont venues travailler un écrit, et pour
d’autres une rencontre
pour annoncer leur
séparation à leurs enfants et petits enfants.
La figure du conflit ; le conflit, comme la nature
même, le conflit, c’est l’humain. Le conflit vu dans
la médiation serait comme un moteur, une
dynamique, mais aussi un terme à double face, en
même temps opportunité et danger (violence ?).
Dans la médiation nous sommes dans les possibles
échanges et aussi dans les potentielles « brûlures
du langage »et « blessures des mots ».
Cela me renvoie à ce que nous pourrions élaborer,
dans nos formations, autour du conflit, en nous
penchant sur les façons dont les sociétés traitent
leurs conflits (les « cousineries à plaisanterie » du
Burkina Faso ; les « disputatio scolastique » du
Moyen-âge, la création des jeux olympiques….).
R.Barthe propose de reconstituer des protocoles de
conflit verbal, pour accepter sans culpabilité et sans
peur la contradiction des choix.
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Ainsi le neutre ne consisterait pas à annuler mais à
déplacer et se déplacer….
Le conflit est le signe que j’existe, il crée du sens
…peut être faut-il une toile neutre de fond
moirée pour que ces aspérités se voient.
Dans le conflit il y a la volonté de puissance (
« libido dominandi » de Saint Augustin ») ; de
puissance sur soi (affirmation de soi), sur les
évènements (sur l’entre deux), sur l’autre ? …sans
doute le cadre de médiation met il une limite à
l’exercice de cette puissance individuelle, par la
nécessaire altérité dans le dispositif, et crée-t-il une
potentialité de pouvoir/vouloir à plusieurs (qui
peut dépasser en puissance l’individuel).
Et plus tard, je poursuivrai les figures …..
Sur le terrain :
Ici se situe mon état …mais quel effet cela peut-il
produire chez des personnes intranquilles, remplies
de peurs et de violences qui me sollicitent?
Pourquoi cette personne est elle venue me demander
d’organiser une rencontre avec son ex-mari, père de
leurs quatre enfants ? : « je suis incapable de le
rencontrer seule à seul : je suis une boule
d’émotions lorsque je le vois ; je ne peux pas lui
parler : je pleure, je crie … dit-elle.
Quelle représentation a-t-elle du lieu de médiation,
de mon rôle ? « J’espère ici ne pas être comme
d’habitude et pouvoir lui parler ». Que produit ma
présence, le lieu de médiation ? La dame dit être
toujours aussi souffrante ; elle utilise des mots pour
le dire. « Confiance est faite à la parole…
Ici me vient cette intuition que j’ai eu lorsque
j’ai accepté que les personnes soient
ambivalentes
(j’entendais
chez
les
médiateurs ce propos : il faut savoir ce qu’il
veut ! sans doute ce soucis d’efficacité parfois
vanté dans les brochures de services de
médiation). L’ambivalence nous est utile pour
prendre un chemin sans précipitation, pour
sentir en nous le conflit interne qui nous
constitue toujours et particulièrement dans
les moments de crise, de passage.
Je suis sollicitée pour une médiation entre les
membres d’une équipe (15 personnes) ; je leur
demande ce qui leur faut pour pouvoir parler
ensemble et débattre ; ainsi nous construisons un
cadre de parole, d’écoute, de discussion. J’y ajoute ce
qui caractérise ma place et leur demande de ne pas
utiliser ce qui se dit là pour se nuire les uns aux
autres. Les propos échangés vont dans le sens de
« désirs contrariés », qui ont produit de la colère ou
ont amené certains à
faire leur travail « à
l’économie ». Les propos gagnent en nuances, des
désirs ressurgissent ; j’entends : « j’ai bien envie de
... » (la « vitalité désespérée » dont parle Barthes ?)
« Dans le neutre, je quitte le vouloir saisir et
j’aménage le vouloir vivre » De mon côté, j’ai perçu ce
temps de médiation collective comme un temps de
pause, d’où peut renaître du désir (d’innover, de
prendre du pouvoir sur son travail).
Création d’un espace projectif et réflexif.
COREM 41 rue du Cozes 17600 SAUJON Numéro 11 – Juillet 2013. [email protected]
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