Qui était Pierre Mendès France - Réseau des blogs pédagogiques

Transcription

Qui était Pierre Mendès France - Réseau des blogs pédagogiques
Qui était Pierre Mendès France ?
En 1991, ce qui était à l’époque l’Université des Sciences Sociales de Grenoble a
décidé de prendre le nom d’Université Pierre Mendès France, et le 17 juin 1991 eut lieu une
cérémonie au cours de laquelle ont été prononcés plusieurs discours dont ceux de Pierre
Bérégovoy et Jean Louis Quermonne qui figurent ci-après.
En 2012, force est de constater que beaucoup de nos étudiants ignorent qui était Pierre
Mendès France. Ce texte, de nature purement pédagogique, vise à leur expliquer pourquoi
notre université a choisi de se mettre sous son égide.
Documents rassemblés par Vincent PLAUCHU, Maître de Conférences à l’UMF
Pierre Mendès France (1907 - 1982) : éléments biographiques
Avocat (plus jeune avocat : à 19 ans) ; député radical de l’Eure de 1932 à 1940 (plus
jeune député : à 25 ans) ; sous-secrétaire d’Etat au Trésor en 1938 dans le gouvernement
Blum (plus jeune ministre : à 31 ans).
Emprisonné par le régime de Vichy, il s’évade et rejoint les Forces Françaises Libres.
Ministre de l’Economie nationale (1944-1945), de nouveau député de l’Eure de 1945 à
1958, son opposition à la guerre d’Indochine, ses critiques envers le régime en font une
autorité morale qui transcende les clivages de partis. En 1952, il défend à Tunis les militants
indépendantistes.
Nommé Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères en 1954 après le
désastre de Diên Biên Phû, il signe en cent jours la fin de la guerre d’Indochine (accord de
Genève ; 21 juin 1954).
Il se rend à Carthage dans la foulée et déclare le 31 juillet 1954 que « l’autonomie
interne de l’Etat tunisien est reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement
français ». Son discours est accueilli avec émotion en Tunisie et en France, à l’exception de la
droite et des colonialistes. Il libère les leaders du Néo-Destour, promulgue l’amnistie et lève
les interdictions touchant ce parti et sa presse.
Il amorce la réconciliation avec l’Allemagne en rencontrant Adenauer.
Fin 1954, la guerre d’Algérie empoisonne le climat politique. Ses choix courageux
rencontrent une hostilité croissante à l’Assemblée Nationale. Le 5 février 1955, au terme d’un
débat sur l’Afrique du Nord, son gouvernement est renversé.
Sa popularité dans le pays n’avait d’égale que la haine que ses adversaires lui
portaient. Ecarté du pouvoir en février 1955, il reviendra aux affaires comme Ministre d’Etat
dans le cabinet Guy Mollet (1956) duquel il démissionnera pour protester contre la politique
menée en Algérie.
Il démissionne ensuite du Parti radical puis condamne la nouvelle constitution prônée
par De Gaulle. Dénonçant les conditions dans lesquelles le général de Gaulle revint au
pouvoir en 1958 et opposant aux institutions de la Vème République, il perdit son siège de
député en 1958. Membre de Parti Socialiste Unifié (PSU), il fut député de Grenoble (19671968).
En 1958, il abandonne ses mandats et se consacre à la réflexion politique.
Affaibli par la maladie, il se retira progressivement de la vie politique active mais
accompagnera de ses conseils et de son soutien, parfois critique, les efforts de François
Mitterrand dans sa marche à l’Elysée.
Malgré ses problèmes de santé, il œuvre encore pour la paix au Proche-Orient avant de
s’éteindre le 18 octobre 1982.
Extraits de l’allocution prononcée par M. Pierre Bérégovoy
Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, à l’occasion de
l’inauguration de la dénomination de L’Université Pierre Mendès France
Messieurs les présidents,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
C’est avec un très grand plaisir que je suis aujourd’hui parmi vous à Grenoble, au côté
de Madame Mendès France et de mon ami Louis Mermaz pour honorer Pierre Mendès
France.
La rencontre de Mendès France et de Grenoble ne doit rien au hasard. Mendès France
voulait renouveler la vie politique, Grenoble était le creuset du renouveau. Pierre Mendès
France a toujours incarné une conception exigeante de la vie politique ; il a toujours voulu
pousser la démocratie jusqu’au bout, considérant qu’elle ne saurait se limiter à mettre un
bulletin de vote dans l’urne tous les cinq ou tous les sept ans, mais qu’elle exigeait la
participation active des citoyens aux décisions qui les concernent dans la vie quotidienne
comme à celles qui retentissent sur les grandes affaires du monde ; il a toujours estimé qu’elle
était incomplète si elle se bornait au champ politique et qu’elle devait s’étendre à la vie
économique et sociale. Impossible disait-il que l’entreprise reste le dernier refuge de l’esprit
monarchique en France.
En 1960, ce sont les mêmes préoccupations qui animent à Grenoble la réflexion
d’équipes de travail composées d’étudiants, d’universitaires et de syndicalistes de toutes
tendances.
Durant cette période, Grenoble, ville universitaire dans une région de
technologie avancée, devient laboratoire d’idées. Elle voit naître associations et clubs qui
veulent ouvrir la voie à un socialisme moderne, plus proche du terrain, plus loin des
idéologies héritées du XIXème siècle déjà secouées par le mouvement qui bouleversera
l’Europe de l’Est trente ans plus tard. C’est le temps des remises en cause, c’est aussi le
temps de l’utopie créatrice et de l’autogestion, rêve du futur, qui commença à devenir réalité
avec la décentralisation mise en œuvre par Gaston Defferre en 1982, fidèle compagnon et ami
de Pierre Mendès France.
C’est aussi le temps des débats, Pierre Mendès France sait que c’est du
mouvement des idées que sortira le renouveau de la gauche. C’est donc à Grenoble qu’il
entama en 1961 le tour de France dont il devait tirer « La République Moderne ». Venu à la
rencontre des forces vives du pays, élus locaux, syndicalistes, étudiants, universitaires,
responsables professionnels de l’industrie et de l’agriculture, il découvre les interrogations
d’une France profondément affectée par l’impuissance de la IVème République et les
traumatismes de la guerre d’Algérie.
Il invite ses amis à faire le même parcours, quelques semaines après lui (…)
On mesure ainsi le souci de dialogue de Mendès, sa volonté de vérifier ses propres analyses
avant de dégager les grandes lignes d’un renouveau politique.
(…) Enfin, c’est à Grenoble que Pierre Mendès France est élu député en 1967,
pour trop peu de temps hélas, et la ville, nous le savons tous, en garde fièrement le souvenir et
l’empreinte.
Pourquoi suis-je heureux à mon tour d’être à Grenoble aujourd’hui ? Parce que
le débat y est source de vie démocratique. (…) Pierre Mendès France aimait à dire que la
démocratie est avant tout un état d’esprit, il l’a écrit dans la République Moderne, un état
d’esprit qui accepte le fracas des oppositions d’idées mais laisse aux vestiaires les querelles
d’hommes et de boutiques. Sachons, les uns et les autres, retenir cette façon de démocratie
dont je souhaite qu’elle inspire le débat politique. Sachons, nous opposer sans nous mépriser ;
sachons échanger arguments et idées en essayant de comprendre ce que pense celui qui ne
pense pas comme vous.
Parmi tous les sujets auxquels s’est intéressé Pierre Mendès France,
l’université est en bonne place. Cela vient d’être rappelé. Il fut l’un des premiers responsables
politiques à attirer l’attention sur l’obligation pour l’université française, comme on disait à
l’époque, de s’adapter pour faire face à la croissance démographique des étudiants. Il
souhaitait une transformation démocratique de l’Université et réclamait, déjà, « une
autonomie (qui) permet le dialogue sur place, l’intervention directe des étudiants et leur
participation directe à la gestion, en toutes matières et dans tous les domaines ». Ces propos,
qui datent de juin 1968, n’ont rien perdu de leur actualité.
Grenoble, enseignement, voilà deux bonnes raisons de donner le nom de Pierre
Mendès France à votre université. Il y a bien évidement une troisième : l’intérêt, je devrais
dire la passion, pour toutes les questions que vous enseignez dans cette université des sciences
sociales. Le professeur Quermonne se rappelle de débat qui l’opposa à Pierre Mendès France
sur le référendum et les institutions de la Vème République. Il était très attentif aux travaux des
sociologues qui analysaient les évolutions de la société française.
Mais son apport le plus important fut relatif aux questions économiques. Le débat qui
l’opposa en 1945 à R. Pleven et finalement au général de Gaulle est connu. Il proposait
d’orienter les ressources du pays vers l’investissement et non vers la consommation pour
reconstruire l’appareil productif, stimuler la croissance et donc l’emploi. Dès ce moment,
Pierre Mendès France fixe sa doctrine : elle tient en peu de mots qu’il martèle toute sa vie : il
est « contre la politique de facilité ».
Pierre Mendès France est conscient que la gauche jouera sa crédibilité sur ce
point. Il le dit ici à Grenoble en 1966 : « la gauche ne doit pas céder à l’inflation, elle ne doit
pas se résigner à la hausse des prix même avec l’arrière-pensée de la compenser par la
révision des salaires, elle doit garantir la monnaie, elle doit assurer l’équilibre de la balance
extérieure. Sinon, elle se condamne à l’échec et à la faillite ».
(…) Je me suis souvent interrogé pour comprendre les raisons de la méfiance suscitée
en France vis-à-vis des principes énoncé par Pierre Mendès France, et dont on vante en
général les bienfaits quand ils sont appliqués chez nos voisins. Cela tient, me semble-t-il, à
une double confusion que nous rencontrons aujourd’hui encore.
La première confusion vint du vocabulaire : quand on parle rigueur dans la gestion,
beaucoup entendent austérité. De la méthode, on passe ainsi au contenu et on agite
l’épouvantail de l’austérité pour se dispenser d’une gestion rigoureuse. Bien évidemment, le
résultat est le contraire de celui escompté. L’austérité est toujours le prix à payer à
l’imprévoyance et à la facilité. Quand on laisse se creuser les déficits, vient le moment où il
faut les combler. C’est vrai d’un budget familial, d’une entreprise, de la Sécurité Sociale
comme de l’Etat. Ce qui, au prix d’un effort de rigueur autrement dit de bonne gestion eut été
indolore devient alors extrêmement douloureux lorsque les décisions ont trop tardé.
Où est, en effet, l’austérité, quand en maîtrisant l’inflation et en défendant la monnaie,
on garantit le pouvoir d’achat des français et la compétitivité des entreprises ? Où est
l’austérité, quand on contient les déficits pour ne pas être acculé ensuite à augmenter les
impôts ?
Qu’est-ce qu’une gestion rigoureuse ? C’est une politique qui se donne les moyens de
s’adapter en permanence aux évolutions de la conjoncture. Le fait que nous vivions désormais
en économie ouverte rend cette nécessité d’autant plus impérieuse. On le voit bien
actuellement : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne payent aujourd’hui leurs déséquilibres
d’hier.
Mais la récession qu’ils connaissent entraîne un ralentissement mondial qui se
répercute sur l’économie française. Du coup, certaines dépenses s’accélèrent et surtout les
recettes rentrent moins bien. Ne pas s’adapter, conduirait à creuser le déficit et à grever le
budget des prochaines années. On se priverait ainsi de marges d’action au moment où la
croissance repartira. Voilà pourquoi, suivant l’enseignement de Mendès France, je m’attache
à maîtriser le déficit par un effort d’économie qui préserve nos priorités sociales à long terme.
Pierre Mendès France m’a aussi appris qu’il ne fallait pas opposer la politique
monétaire à la politique budgétaire. On ne peut pas tout demander à la politique monétaire, la
Grande Bretagne en fait la triste expérience. On ne peut pas tout attendre non plus de la
politique budgétaire. La dépense publique a ses exigences et ses contraintes. C’est pour cette
raison que nous avons combiné la réduction du déficit, la recherche de la plus basse inflation
possible et la maîtrise de l’évolution des revenus dans un esprit de justice sociale. Parce que
libres du boulet l’inflation ou d’un déficit excessif, nous pouvons donner l’absolue priorité à
la lutte contre le chômage, qui reste la première des inégalités.
La seconde confusion oppose la rigueur au social, une bonne gestion économique
n’empêche pas de mettre en œuvre une bonne politique sociale. C’est le contraire qui s’est
toujours révélé vrai. On ne construit rien de durable sans une économie solide. Les meilleures
mesures sociales ne résistent pas aux inégalités qui creusent l’inflation et aux prélèvements
que provoquent des déficits.
Je crois aussi que trop souvent on accuse la gestion économique d’être trop rigoureuse
pour se dispenser des réformes structurelles qui bousculent les conservatismes. Pierre Mendès
France aimait dire qu’avant de dépenser plus, il fallait s’attacher à dépenser mieux. C’est un
point de vue que je partage. L’augmentation de la dépense publique est parfois illusoire. Si les
contribuables qui sont aussi les usagers des services publics n’en voient pas la traduction
concrète, elle devient alors contre productrice en entretenant un double rejet contre les
prélèvements obligatoires et contre les insuffisances des services publics.
La compétition entre le recours aux services publics et l’appel au secteur privé n’est
pas d’ordre monétaire. Que je sache, le système américain d’écoles privées et d’assurances
sociales privées est plus coûteux que notre système public. La différence tient aux principes
qui régissent l’organisation de ces services : rentabilité pour la droite quitte à prévoir un filet
de sécurité pour les exclus, solidarité et égalité des chances pour les progressistes.
Tels sont les principaux enseignements que je tire personnellement de l’action et de la
réflexion de Pierre Mendès France. Dans l’exercice de mes responsabilités gouvernementales
je m’efforce d’être fidèle aux idées qui furent les siennes.
Comme tous ceux qui avaient connu la grande crise des années trente, Pierre Mendès
France était très attentif au chômage et aux souffrances qu’il crée. Sa doctrine dont il
reconnaissait ce qu’elle devait à Lord Keynes, dont avec son ami Georges Boris il fut l’un des
premiers à introduire les idées en France, n’avait d’autre but que d’y remédier. Il proposait, ce
que l’on appelle aujourd’hui une politique de l’offre et il n’aurait pas désavoué la priorité
qu’accorde notre Premier Ministre, Madame Edith Cresson, au développement industriel
fondé sur un tissu renforcé de PME et PMI actives.
Sa démarche était la même que celle que nous menons aujourd’hui. On ne lutte
efficacement contre le chômage que si l’économie crée suffisamment d’emplois. Et pour cela
il faut investir donc accepter de différer un peu certaines consommations pour épargner. Au
gouvernement de définir les mesures les plus adaptées. Etre rigoureux n’interdit d’être ni
imaginatif, ni audacieux.
En donnant à votre université le nom de Pierre Mendès France, Monsieur le Président,
vous n’honorer pas seulement un grand homme d’Etat, homme de rigueur et de conviction,
vous vous engagez à faire vivre son enseignement, à transmettre aux générations d’étudiantes
et d’étudiants les principes politiques, sociaux, économiques qui l’animaient. Je vous en
remercie vivement sachant combien Mendès France en aurait été heureux.
Mais pour l’homme politique qu’était avant tout Pierre Mendès France, l’action n’est
rien si elle ne s’accompagnait pas d’un travail inlassable d’explication. «Le premier devoir,
disait-il en 1955 dans un discours à Evreux, c’est la franchise. Informer le pays, le
renseigner, ne pas ruser, ne pas dissimuler la vérité ni les difficultés : ne pas éluder ou
ajourner les problèmes, car dans ce cas, ils s’aggravent : les prendre en face et les exposer
loyalement au pays : pour que le pays comprenne l’action du Gouvernement ».
Comme ces propos sonnent justes. Beaucoup d’incompréhension se dissipent quand
l’explication est franche et directe. Il nous faut parler vrai, il nous faut parler clair. Ce n’est
pas toujours facile. Entre l’optimisme excessif et le pessimisme exagéré la voie est étroite. Il
n’est pas simple. Mais aurait répondu Pierre Mendès France, c’est tout l’art de gouverner.
La démocratie n’est pas synonyme de faiblesse. Elle exige autorité et détermination.
Elle exige un Etat fort, conscient de ses responsabilités. L’autorité ne se décrète pas, elle
s’exerce. C’est encore un enseignement de Pierre Mendès France qui aimait à dire que
gouverner, c’est choisir, décider, trancher. En ces temps de troubles et d’espoir, où les
idéologies faites de certitudes sont déboulonnées par le vent de l’histoire, retenons la leçon
d’un homme d’Etat qui sut nous préparer au futur. Pierre Mendès France auquel François
Mitterrand, en lui donnant l’accolade, le 21 Mai 1981 dans la salle des fêtes du Palais de
l’Elysée, a dit ces simples mots « sans vous, rien n’aurait été possible… » Ce jour-là,
l’accession de François Mitterrand à la Présidence de la République ouvrait une nouvelle page
de l’histoire de France, éclairée par la pensée de Mendès.
Grenoble, le 17 juin 1991
Extraits de l’allocution prononcée par M. Jean Louis Quermonne
Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble à l’occasion de l’inauguration de
la dénomination de l’Université Pierre Mendès France
Le bénéfice de l’âge et l’amitié du Président Pouyet me valent l’honneur, aujourd’hui
de témoigner de la présence de Pierre Mendès France à Grenoble et de son attachement à la
recherche scientifique et à l’université.
Trois raisons principales expliquent la rencontre de Mendès France avec Grenoble :
D’abord le lien indéfectible qui fut noué, le 22 juin 1941, sitôt son évasion de la prison
de Clermont-Ferrand, lorsque d’instinct il prit un billet de chemin de fer pour la gare de
Grenoble. Jean Verlhac l’a rappelé de façon émouvante lors du colloque organisé en octobre
1989 par le Département d’Histoire et par le Cercle Bernard Lazare.
Ensuite, l’identité de vue qui s’est progressivement forgée entre Pierre Mendès France
et le « laboratoire d’idées » que fut Grenoble dans les années soixante. Il est naturel que les
préoccupations de l’auteur de La République Moderne et du fondateur des Cahiers de la
République s’accordent avec celles des artisans de la « démocratie au quotidien » qui
s’inscrivaient, alors, sur le terrain dauphinois à travers l’expérience des Unions de quartier, les
projections du Comité d’Expansion Economique, les activités des Groupes d’Action
Municipale qui culminèrent à l’Hôtel de Ville, emportées par l’allant d’Hubert Dubedout !
Pierre Mendès France avait déjà accompagné cette longue marche à la faveur de
plusieurs colloques, dont celui qui eût lieu en mars 1961 à la recherche d’une paix raisonnée
en Algérie et auquel notre collègue Georges Lavau prit une part essentielle. Mais l’étape
décisive de cette convergence fut celle des Rencontres Socialistes du printemps 1966, d’où
devait découler l’année suivante la candidature à Grenoble de Pierre Mendès France,
patronnée par quatre prix Nobel, et son élection à la députation le 12 mars 1967.
La troisième raison de la vocation grenobloise de Mendès France – et non la moindre
– est la priorité donnée au cours de sa carrière d’homme d’Etat à la recherche scientifique et à
l’enseignement supérieur. C’est elle qui nous réunit aujourd’hui.
Dès sa première déclaration d’investiture de 1953, Pierre Mendès France prit d’emblée
position : « la République a besoin de savants ; leurs découvertes, le rayonnement qui s’y
attache et leurs applications contribuent à la grandeur d’un pays ». Et, à peine investi, le 18
juin 1954 – cela fera demain 37 ans – il nomme Henri Longchambon, à qui Jean Zay avait
confié en 1938 la création du CNRS, secrétaire d’Etat à la recherche, renouant ainsi avec le
précédent créé en 1936 par Léon Blum.
Pendant les sept mois et les dix-sept jours de son gouvernement, Pierre Mendès France
lie l’indispensable développement de la recherche à celui –indissociable – de l’enseignement
supérieur. Il dégage 67 milliards qu’il affecte dans le budget de 1955 aux constructions
scolaires et universitaires et prescrit la création à l’Education Nationale de 12 000 nouveaux
postes.
Hors du pouvoir, le président Mendès France poursuivra son action. Non seulement, il
soutient la réforme Billières, mais son activité se déploie à travers une série de colloques qui
le tiennent en contact permanent avec la communauté scientifique. Et il inspire l’Association
d’étude pour l’expansion de la recherche, dont André Lichnérowicz et Crémieux-Brilhac
seront les principaux animateurs.
L’un de ces colloques se tient naturellement à Grenoble à l’automne 1957, à
l’invitation de Louis Weil – le futur bâtisseur du domaine universitaire. Il porte sur les
relations « Université-Industrie ».
Mais les plus célèbres seront les deux colloques de Caen : celui de 1956 réunit plus de
250 parlementaires, universitaires, hauts fonctionnaires, chefs d’entreprises et syndicalistes.
Dans son allocution d’ouverture, Pierre Mendès France proclame l’impératif de la recherche
scientifique et vulgarise l’idée de la recherche-développement.
Dix ans après, au cours de celui de 1966 – dont je conserve personnellement un
souvenir très vivant – Pierre Mendès France apporte sa caution à l’adoption d’une véritable
charte de l’université moderne. Or, celle-ci recommande, deux ans avant la loi Edgar Faure :
Des universités pluridisciplinaires et autonomes, dirigées par des présidents élus et
ordonnées autour de départements d’enseignement et d’instituts de recherche ;
La création d’Instituts Universitaires de Technologie appelés à la fois à accueillir, sans
sélection à l’entrée, la vague démographique et démocratique des bacheliers et à empêcher
la nouvelle université de se trouver submergées ;
Une gestion contractuelle des universités qui les place en situation de partenaire, non
seulement par rapport à l’Etat, mais vis-à-vis des collectivités territoriales et des entreprises.
Pierre Mendès France ajoutera, alors, de manière prémonitoire : « Notre Etat ne gouverne
pas assez, mais il administre trop. Nous ne sommes ni assez planificateurs…, ni assez
décentralisateurs. Si demain nos universités devenaient plus libres de orientation et de leur
organisation, j’accepterais volontiers qu’elles dépendent, pour une fraction de leurs crédits,
de ces autorités et de ces assemblées régionales que je souhaite voir créer depuis si
longtemps ».
(…) Ainsi Pierre Mendès France nous lègue-t-il de grandes leçons. Pour établir la
synthèse, les auteurs du colloque de 1989 sur « Mendès France La Morale en Politique »,
ont choisi de mette en exergue du livre qui en publie les Actes et qu’éditent les Presses
Universitaires de Grenoble, une phrase de l’homme d’Etat dont le nom illustre désormais
notre université. Cette phrase résume sa politique :
« Le devoir d’un responsable, proclamait Mendès France, ne consiste pas à louvoyer,
à ménager les uns et les autres, en sacrifiant ainsi l’intérêt de la collectivité tout entière. Il
existe des choix, des déterminations claires, avec la volonté de s’y tenir, dans l’opposition
comme au pouvoir. Ainsi seulement mûrissent les réformes qui commandent l’avenir vers le
progrès et la justice.
« Je ne crois pas, ajoutait-il, qu’il faille mentir au peuple ou biaiser avec lui, car c’est
lui qui en supportera les conséquences ».
Puisse des paroles dicter notre conduite !
Grenoble, le 17 juin 1991
Pierre Mendès France en héritage
Extraits d’un article de Bertrand Le Gendre paru dans Le Monde en 01/2007
Analyse
Pierre Mendès France aurait eu cent ans le 11 janvier : c’est l’occasion de s’interroger sur
l’héritage de l’ancien président du conseil (1954-1955). Héritage politique et intellectuel,
spirituel aussi. Le culte dont il est l’objet est toujours vivace, comme l’a montré le colloque
« Pierre Mendès France le juste », qui a réuni récemment au Sénat ses proches, des historiens
et d’anciens collaborateurs. « Nous sommes tous mendésistes », leur a dit Michel DreyfusSchmidt, sénateur socialiste du Territoire de Belfort, en les accueillant.
Le Mendès des uns n’est pas forcément celui des autres. C’est la première famille de
« PMF » qui veille aujourd’hui sur l’héritage, en insistant sur les lointaines racines familiales.
(…) Ces racines familiales ont été longuement évoquées lors du colloque au Sénat, organisé
par l’Institut Pierre-Mendès-France. « PMF » était très curieux de ses ancêtres. Toute sa vie,
il a collecté des documents les concernant. (…)
Parmi d’autres épisodes, ils relatent l’histoire de l’aïeul portugais du « PMF », Luiz
Mendès de Franca, un marchand d’étoffes converti au catholicisme qui fût arrêté en 1683 par
l’inquisition. Soumis à la question, il dut avouer qu’il n’avait pas renoncé au judaïsme, avant
de livrer le nom d’une trentaine de ses proches soupçonnés du même «crime ». Réfugié en
France, il mit fin à ses jours à Bordeaux, en 1964. C’est là que sa lignée fit souche sous le
nom francisé de Mendès France, avant de s’établir à Paris à la fin du XIXème siècle. (…)
Un livre récent, Le « Juif » Mendès France (Calmann-Lévy, 370 p.), de l’avocat
Gérard Boulanger, traite lui aussi de ce sujet et de l’antisémitisme qui fut le lot « PMF ». Pas
français, le « juif Mendès » ? Cette accusation, il l’entendra souvent ; d’où sa passion pour la
généalogie.
Cette accusation de ne pas être français est au cœur du procès que lui intente, en 1940,
le régime de Vichy. Le chef d’inculpation est fantaisiste : désertion. Mais le tribunal militaire
de Clermont-Ferrand, celui-là même qui a condamné de Gaule à mort, s’en prend à la
personne du lieutenant Mendès France, ancien ministre de Blum, aux origines « impures »,
une nouvelle proie qu’il ne lâchera pas.
Ce procès en sorcellerie a tout de l’Inquisition, a fait observer le magistrat Denis
Salas. Un procès où, d’avance, « tout acquittement est prohibé », selon l’expression de Me
Georges Kiejman. Mais le descendant de Luiz de Franca sut garder la tête haute. Condamné à
six ans d’emprisonnement, il s’évada et gagna Londres via le Portugal, la terre de ses
ancêtres, l’honneur de son nom intact.
Auteur d’un livre minutieux sur ce procès (Un tribunal au garde-à-vous, Fayard,
2002), Me Jean-Denis Bredin a rappelé l’interminable combat que Mendès France dut mener
pour obtenir la cassation de son procès, qui n’intervint qu’en avril 1954. Le 18 juin de la
même année, Pierre Mendès France est investi Président du conseil. Il gouverna la France
sept mois et dix-sept jours, le temps de faire la paix en Indochine et d’accorder l’autonomie
interne à la Tunisie.
Pour parler de Pierre Mendès France le décolonisateur, deux de ses biographes
avaient été invités : Jean Lacouture (Pierres Mendes France, Le Seuil, 1981) et Eric Roussel,
auteur d’un ouvrage plus récent (Pierre Mendès France, Gallimard, 608 p.).
S’il est facile de s’accorder sur le courage et la lucidité de « PMF » dans ces moments
décisifs, sa réaction au lendemain de l’insurrection algérienne du 1er novembre 1954 prête à
controverse : « Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française
(…). Jamais la France (…) ne cédera sur ce principe fondamental ». Tel fut le premier
mouvement du Président du Conseil.
L’historien Benjamin Stora est enclin à absoudre Mendès France de ce faux pas. La
conviction que l’Algérie et la France ne faisait qu’une était très répandue à l’époque, a-t-il
expliqué. Jean Lacouture en veut pour preuve les articles que le Monde publia
immédiatement après l’insurrection, dans le même ton. Il n’empêche. La perspicacité
légendaire de Mendès avait été prise en défaut. Si Pierre Mendès France a laissé une trace
dans l’Histoire, à l’égal du général de Gaulle et de François Mitterrand, a dit Jean Daniel, ce
n’est pas à l’Algérie qu’il le doit mais à sa foi dans la démocratie.
Faisant allusion à la candidature socialiste Ségolène Royal, le directeur du Nouvel
Observateur s’est demandé ce qu’aurait pensé l’auteur de La République moderne
(Gallimard, 1962) du débat qui s’est installé dans la campagne sur les vertus respectives de la
démocratie participative et de la démocratie représentative. Pierre Mendès France, a-t-il
expliqué, se faisant une haute idée de la fonction d’élu. Il voyait dans les représentants du
peuple des citoyens plus réfléchis que les autres, sacralisés par l’onction du suffrage
universel. A charge pour eux d’informer les électeurs de ce qu’ils comptent faire, sans leur
cacher les difficultés, et de respecter leurs engagements. Dans le cas contraire, la parole doit
revenir au peuple car nul n’est propriétaire de son mandat.
Ce sage principe valait pour la IVème République, laquelle le foulait aux pieds. Il
vaut bien sûr pour aujourd’hui. Ce qu’il faut retenir de l’héritage de Pierre Mendès France, a
dit Stéphane Hessel qui fut son collaborateur à la Présidence du Conseil, c’est la faculté à
inspirer confiance au peuple. « Les jeunes d’aujourd’hui, a-t-il conclu, ne peuvent qu’être
sensibles à ce message, eux qui doutent tant de leurs élus ».
L’exemple de Pierre Mendès France
« Ethique et démocratie : l’exemple de Pierre Mendès France ». : tel était l’intitulé d’un
colloque international qui a été organisé en octobre 1997 par l’Institut Pierre Mendès
France, la ville de Grenoble, et l’Université qui porte son nom depuis 1991.
L’empreinte de Pierre Mendès France est encore bien présente à Grenoble, ville qui l’a élu
député de l’Isère en 1967 : l’empreinte d’un homme, symbole de rigueur et de morale en
politique, l’empreinte d’une pensée qui jeta les bases d’une gauche moderne.
L’Université et les universitaires ont contribué à nouer ces affinités électives existant entre
Pierre Mendès France et Grenoble. Jean Louis Quermonne, professeur de droit
constitutionnel et de science politique était à l’époque directeur de l’Institut d’Etudes
Politiques (IEP) de Grenoble et c’est en universitaire qu’il rencontra Pierre Mendès France :
« … d’abord à l’occasion d’un colloque organisé dans l’esprit de promouvoir la paix en
Algérie, ensuite à propos de la réforme des institutions : c’était un peu mon métier, et c’était
sa préoccupation, et enfin dans différents colloques consacrés à la réforme de l’université ».
Pour Jean-Louis Qermonne, observateur attentif de la vie politique, Pierre Mendès France se
distinguait nettement des autres hommes politiques de l’époque ; « Pour moi, il était évident
que l’avenir politique de cet homme n’en resterait pas là. La paix qu’il avait imposée en
Indochine paraissait l’attester ». « Ce qui m’a frappé, dès les premières années de sa
carrière politique, c’est que contrairement à tous les membres de la classes politique de la
IIIème République, il avait une véritable culture économique. Il avait lu Keynes, était très
marqué par le New Deal et Roosevelt, aimait expliquer, multipliait les conférences. Ce fut
vraiment le premier homme d’Etat à intégrer une vision scientifique de l’économie. Tout cela
fait qu’il ne donnait pas l‘impression d’un politicien. Ce qui le distinguait aussi, c’était la
continuité de sa pensée, notamment en ce qui concerne la décolonisation, sa rigueur morale,
au risque de voir se fermer son avenir politique (il a démissionné deux fois du gouvernement
en 1945 et en 1956). Un autre trait de caractère de sa personnalité, c’est qu’il était
viscéralement parlementaire. Il ne pouvait accepter les principes de la Ve République et tout
particulièrement le fait que le chef de l’Etat ne soit responsable devant personne. Et
pourtant, lorsque j’ai eu l’occasion de le voir en 1968 côte à côte avec le général de Gaulle,
à l’occasion des Jeux olympiques de Grenoble, j’ai perçu comme un aimant entre eux. Les
deux hommes s’estimaient l’un l’autre ».
Pierre Mendès France qui s’est toujours efforcé d’inscrire son action dans la durée, aura eu le
privilège de traverser trois républiques. Il fut l’un des plus jeunes députés de la IIIème, il
incarna l’ouverture pendant la IVème, et il fut le maître à penser de la gauche au début de la
Vème. « Pour moi, poursuit Jean-Louis Quermone, Pierre Mendès France incarne cette
exigence de rigueur financière (il est le père de la comptabilité nationale) et de la gestion
que la gauche a fini par assimiler. Ouvrant la voie à la République moderne, il fut un homme
d’Etat au sens plein du terme».
Comme l’explique Janine Chêne, « il y avait dans ce colloque l’idée que l’exemple de Pierre
Mendès France, son attachement à la tradition républicaine, sa volonté de la moderniser, et
son souci de lier éthique et démocratie peuvent beaucoup nous éclairer pour les problèmes
qui se posent en France et dans le monde aujourd’hui».
Claude Le Charmen (Intercours, 1997)
Pierre Mendès France vu par François Mitterrand
(…) il faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France
fut limitée aux quelques sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête
du gouvernement de la République. Un été, un automne, quelques jours. L’histoire ne fait pas
ces comptes-là. Léon Blum, pour un an. Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour
toujours.
Cet homme qui fut brièvement mais pleinement homme de gouvernement avait pour le
Parlement un respect qui ne fut pas, il faut le dire, payé de retour.
Les témoins se souviennent de la clameur qui couvrit ces propos en ce jour du 5
février 1955, alors qu’abattu par une coalition d’intérêts contraires - et sans doute s’était-il
refusé à compter tous les suffrages qu’il eût pu réunir - il tentait, contre les usages, d’exposer
les sentiments qui étaient les siens et l’ampleur de la tâche qui attendait son successeur.
J’ai vécu avec lui ce moment et j’entends encore son cri « le devoir interdit tout
abandon ».
Tout Mendès France était dans ce double aveu : la peine qu’il ressentait à se voir privé
du moyen de poursuivre la politique qu’il croyait bonne pour le pays, la conviction qu’une
politique juste serait tôt ou tard reprise par d’autres après lui.
J’ai gardé jusqu’ici pour moi le récit de cette scène que nous avons été quelques-uns à
partager. Dans le bureau du Chef du Gouvernement au Palais Bourbon, Pierre Mendès France,
le visage dans les mains, refermé sur lui-même puis nous regardant, creusé de chagrin et
laissant échapper cette plainte à mi-voix : « J’ai fait ce que j’ai pu. Que deviendra la
République ? » (…)
Source : Discours de François Mitterrand, Président de la République, prononcé dans la cour
d’honneur de l’Assemblée nationale, le 27 octobre 1982, à l’ occasion de l’hommage solennel
à la mémoire de Pierre Mendès France. (Extraits)