La téléphonie mobile, l`avenir des transferts de migrants

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La téléphonie mobile, l`avenir des transferts de migrants
Migrations et développement
LA TÉLÉPHONIE MOBILE,
L’AVENIR DES TRANSFERTS D’ARGENT ?
Laura Recuero Virto - Economiste au Centre de développement de l’OCDE1
Même si les transferts d’argent à destination des
pays en développement devraient ralentir en
2009, avant probablement de repartir en 2010,
leur volume considérable de 305 milliards US$
en 2008 fait de ces flux une source financière
prépondérante pour le développement en ces
temps de crise. Les flux à destination d’Afrique
subsaharienne (20 milliards US$ en 2008) devraient décroître de 6,6 % en 2009 ; l’Afrique du
Nord et le Moyen-Orient devraient connaître un
ralentissement moins marqué, estimé à 3,3 % à
partir de 34 milliards US$. Pour ces trois régions,
les flux devraient repartir à la hausse dès 2010.
Pour les gouvernements qui ambitionnent
d’avoir un rôle proactif dans l’accroissement
de ces flux, le paiement par téléphone mobile
constitue un domaine où des progrès importants
peuvent être réalisés. Le potentiel est considérable. Aujourd’hui, il est possible pour un individu d’utiliser son téléphone mobile pour payer
ses achats dans un magasin, régler une note de
restaurant, recevoir des subventions gouvernementales et, ce qui nous préoccupe ici, d’envoyer
et de recevoir de l’argent depuis et vers d’autres
téléphones portables.
Ainsi, le paiement par téléphone portable peut
devenir un instrument essentiel pour les transferts d’argent. D’abord, alors que les services
financiers n’atteignent qu’une faible part de la
population, la téléphonie mobile est fortement
présente. En Afrique subsaharienne, avec des
agences bancaires et des distributeurs de monnaie atteignant moins de 7 % de la population, 4
habitants sur 10 dispose d’une ligne de mobile.
En Afrique du Nord, le fossé est encore plus
large : moins de 4 % de la population a accès aux
systèmes de paiement traditionnels, mais 9 sur
10 ont un téléphone portable. L’élément décisif
du succès du paiement en ligne tient vraiment à
l’étendue de son réseau de distribution. La seconde raison du succès potentiel du paiement par
portable tient au fait que les coûts de transaction,
supérieurs à 10 % en moyenne pour l’envoi de
20 US$ en 2008, peuvent être significativement
réduits par l’intensification de la concurrence
d’une part, et les faibles coûts en capital et en
opération des opérateurs mobile d’autre part.
Le service du paiement par téléphone portable
est fourni par deux types d’opérateurs : les banques et les opérateurs de téléphonie mobile. Mais
l’éventail des services proposés reste modeste.
Par exemple, si des services financiers utilisant
le téléphone mobile sont proposés par des banques dans de nombreux pays d’Amérique latine,
comme le Brésil, le Chili, le Mexique ou l’Argentine, il s’agit le plus souvent d’un accès à des
informations bancaires, et seulement dans de rares cas pour effectuer des paiements (Argentine,
1 Les propos tenus ici sont propres à l’auteur et n’engagent pas l’institution à laquelle il appartient.
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Colombie). En plus, ces services sont proposés
à des utilisateurs disposant déjà d’un compte
bancaire – il s’agit donc de l’ajout d’un nouveau
circuit de distribution à ceux déjà utilisés - succursales bancaires, distributeurs de billets.
Le niveau d’intégration des solutions de télécommunication dans les modèles bancaires en
Afrique et en Amérique latine, va définir la nature des futurs clients. Les banques vont devoir
utiliser la taille des réseaux de téléphonie (ou
d’autres grands réseaux de distribution comme
les supermarchés ou les kiosques de loterie)
pour effectuer paiements et versements, si elles
veulent avoir accès à une large frange de la population non bancarisée. Wizit, en Afrique du
Sud, qui appartient à la Bank of Athens, a été la
première institution à offrir un compte bancaire
lié à un téléphone mobile qui intégrait tous les
réseaux de téléphonie et visait la population non
bancarisée. Suivant une démarche comparable,
on trouve également en Afrique du Sud MTN
Banking, une joint venture entre l’opérateur téléphonique MTN et la Standard Bank.
Mais parallèlement, on rencontre également des
initiatives de paiements par téléphone portable
reposant sur les stratégies des seuls opérateurs
de téléphonie – au Kenya, en Côte d’Ivoire ou
au Mali en Afrique ; en République dominicaine
ou au Venezuela en Amérique latine. Dans ces
schémas, des problèmes apparaissent concernant la conformité avec la régulation financière,
sur les questions de lutte contre le blanchiment
d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme (Anti-Money Laundering et Combating
Financing Terrorism, AML/CFT), la présence
de correspondants non bancaires ou encore
la frontière trouble entre les paiements et les
dépôts.
Il est d’ailleurs important de comprendre que
si on entend beaucoup le terme de « mobile banking » (banque portable/mobile), il s’agit le plus
souvent de services de paiement proxing par téléphone. Avec le mobile banking, qui est un concept
plus large que le mobile payment, les utilisateurs
peuvent non seulement utiliser leurs téléphones
pour effectuer des paiements mais aussi effectuer des dépôts et disposer des services reliés,
tels que la consultation des comptes, le virement
entre comptes, ou la rémunération des comptes
courants, par exemple. En gardant cette définition à l’esprit, les opérateurs de téléphonie sont
des acteurs essentiels du mobile payment pour atteindre le cœur de la population, et les initiatives
privées constituent la norme. Tandis que le mobile
banking nécessite une banque ou autre institution
financière pour abriter les dépôts – et sa faisabilité demeure une question ouverte. Autant les
opérateurs de téléphonie comme les banques
voient dans le mobile payment une activité génératrice de profit, mais aucun des deux ne prend encore les devants pour transformer les paiements
en dépôts. De même, si le principal obstacle au
développement du mobile payment réside dans la
question de la régulation, dans le cas du mobile
banking il est dans la capacité et la volonté des
gouvernements à proposer les incitations adéquates aux acteurs privés pour qu’ils fournissent
ce service.
Taille des réseaux de
distribution
La clé du succès pour le mobile payment est la taille
du réseau de distribution de l’opérateur. En fait,
le mobile payment a plus de chance de se développer dans les pays disposant de peu d’agences
Figure 1
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bancaires et de distributeurs de billets. Les figures
1 et 2 montrent que le taux de pénétration de ces
modes traditionnels de paiement reste extrêmement faible en Afrique subsaharienne, moins de
7 %. Ces réseaux sont fortement plus réduits que
ceux des opérateurs de téléphonie, qui atteignent
déjà 4 consommateurs sur 10 dans la région.
La comparaison entre l’Afrique subsaharienne
(ASS) et l’Amérique latine nous apporte des éléments de réponse sur le potentiel à long terme
du mobile payment. L’ASS est la région du monde
où le mobile payment s’est déployée avec le plus de
réussite en 2009. L’écart entre le nombre d’utilisateurs de téléphones portables et le nombre
d’agences bancaires et de distributeurs de billets
est deux fois plus important qu’en Afrique du
Nord ou en Amérique latine, comme on peut
le constater sur la figure 2. On peut s’attendre
à ce qu’en Afrique du Nord et en Amérique latine, le paiement électronique connaisse un fort
potentiel à court terme. De fait, si les distributeurs automatiques et les succursales bancaires
sont accessibles à seulement 4 % de la population nord-africaine, 9 habitants sur 10 possède
un téléphone portable ; en Amérique latine, le
taux de pénétration des moyens de paiement traditionnels est de 15 % en moyenne, quand les
téléphones portables atteignent déjà 80 % de la
population.
nouveau moyen d’accéder à et de gérer leurs
comptes bancaires. En ASS, le mobile payment vise
principalement ceux qui ne sont pas bancarisés,
et il n’implique pas nécessairement la bancarisation. De fait, des exemples de réussite de mobile
payment sont mis en œuvre par des opérateurs de
téléphonie, comme M-Pesa au Kenya ou MTN
en Afrique du Sud, les deux exemples les plus
significatifs en 2009.
Dans les pays d’Amérique latine, pour l’instant,
le mobile payment a suivi un modèle de développement proche de celui de l’OCDE. Ce type de mobile payment, offert à des clients déjà bancarisés, se
rencontre en Argentine (Red Link), en Colombie
(Redeban Multicolor) et au Mexique (Nipper).
L’utilisation du portable comme moyen de paiement n’en est encore qu’au stade embryonnaire,
quand on la compare à l’utilisation pour recevoir
des alertes ou accéder à des informations bancaires. Pour ce type de services, le Brésil compte
déjà 474 000 utilisateurs, le Mexique 134 000 et
le Chili 87 000.
Quelques initiatives innovantes s’adressent à une
clientèle non encore bancarisée. Certaines sont
lancées pour les virements internationaux, entre
la Grande-Bretagne et le Kenya (M-Pesa), l’Espagne et l’Equateur (Halcash) ou entre les EtatsUnis et la Colombie (Celexpress). Si le potentiel
Figure 2
Dans les pays de l’OCDE, 6 personnes sur 10
ont accès à un moyen de paiement traditionnel
(figure 1), et 90 % de la superficie de ces pays
est couverte par ces services. Cela n’implique pas
que le mobile payment n’y est pas utilisé, mais la
forte présence de ces modes de paiement comparativement à l’ASS et l’Amérique latine entraîne l’application de business models différents.
Dans l’OCDE, le mobile payment est utilisé par
des clients qui sont déjà bancarisés, comme un
du téléphone portable va être complètement exploité dans le cas de M-Pesa, ce n’est pas le cas en
Amérique du Sud. En Equateur et en Colombie,
les utilisateurs sont contactés par téléphone pour
les informer d’un transfert (comme Western
Union le fait déjà), mais ils doivent toujours se
présenter à une agence bancaire ou un distributeur pour retirer l’argent.
Il existe néanmoins des exemples où le principal
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avantage du portable est exploité. C’est le cas
pour certains mobile payment au niveau national : Kenya (M-Pesa), Afrique du Sud (MTN
Banking), Paraguay (Tigo), République dominicaine (Orange), Venezuela (Diemo) et Jamaïque
(Mobile Money). Ces exemples mettent en évidence la différence d’approche du mobile payment
des banques et des opérateurs de téléphonie. Les
premières tendent à ne considérer les nouvelles
technologies que comme un nouveau canal de
distribution, et ainsi n’appliquent pas des solutions exploitant totalement leur principal atout :
la disponibilité d’un réseau étendu pour déposer
et retirer de l’argent.
A l’inverse, les opérateurs de téléphonie visent les
populations qui ne sont pas nécessairement bancarisées, leur permettant de déposer ou de retirer de
l’argent à travers les points d’accès au réseau – n’importe quel kiosque ou n’importe quelle boutique
qui vend des services téléphoniques comme des
cartes prépayées par exemple. Selon l’acceptation
ou le refus d’accepter les dépôts, et selon le temps
durant lequel les sommes transférées passent dans
le réseau, les régulations financières ne sont pas
toujours respectées (lire plus loin).
La chute des coûts de
transaction
Les coûts élevés de transactions pour les transferts peuvent justifier l’utilisation des technologies mobiles. Les graphiques 3 et 4 comparent les
coûts de transaction pour le transfert de 200 US$
vers l’Afrique, pour les sociétés de transferts et
pour les banques. Chaque point sur ces graphes
représente un corridor spécifique – par exemple,
les transferts depuis la Grande-Bretagne vers le
Nigeria ou depuis la France vers le Maroc. Ces
deux graphiques montrent que les coûts de transaction sont élevés : en moyenne 12,3 % pour les
sociétés de transferts, et 9,7 % pour les banques.
Figure 3
Figure 4
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Cette analyse conduit à la conclusion que la compétition entre banques n’entraîne pas de baisse
des coûts de transactions en Afrique, une hypothèse cohérente avec l’expérience en Amérique
latine décrite dans l’encadré 1. En ce qui concerne les opérateurs de transferts, quand un certain
nombre d’opérateurs est présent sur le marché,
alors les coûts peuvent être significativement réduits. Ces deux informations nous permettent
d’anticiper que les technologies de téléphonie
mobile ont plus de chance de se développer dans
des pays où les coûts de transaction sont élevés,
mais en particulier ceux disposant d’une faible
présence d’opérateurs de transferts, mais avec
n’importe quelle structure du marché bancaire.
Nous pouvons donc conclure que les technologies mobiles peuvent faire baisser les coûts à travers l’augmentation de la concurrence non bancaire, et ce même en l’absence de compétition
entre banques.
Les deux graphiques présentent d’autre part une
courbe qui traduit l’évolution des coûts de transaction avec le nombre de sociétés de transferts
ou de banques. Dans la figure 3, la pente n’est
que faiblement en accord avec les principes économiques fondamentaux. L’intensification de la
concurrence par un plus grand nombre d’opérateurs n’influe que très faiblement sur les coûts,
comme le montre la courbe quasiment plate. Il
y a néanmoins deux groupes dans la figure. Le
premier regroupe les pays ayant une faible compétition et des coûts de transaction dispersés,
avec 2 à 5 opérateurs de transferts et un coût qui
s’établit entre 4 et 17 %, et un second combinant
une forte concurrence avec des coûts concentrés,
avec entre 10 et 13 banques pour des coûts s’établissant entre 7 et 13 %. La figure 4 cependant
montre une relation pour le moins étrange entre
le niveau de compétition bancaire et les coûts de
transaction : la courbe est croissante.
Quand l’absence de concurrence bancaire entraîne les
coûts de transaction à la baisse
La comparaison des situations de l’Afrique et de l’Amérique latine, à partir des figures 3, 4 et 5, permet
de tirer des conclusions intéressantes. D’abord, on constate que si la concurrence entre opérateurs de
transferts en Afrique n’a entraîné qu’une faible baisse des coûts de transaction, on peut observer pour
l’Amérique latine (figure 5) que ces mêmes coûts chutent fortement quand cette concurrence s’intensifie. Le nombre moyen d’opérateurs en Amérique latine est de 8,3 par corridor, nettement plus que les
5,1 qu’on trouve en Afrique. Ainsi, les coûts des transferts en Amérique latine sont plus faibles de 2,5
points (pour transférer une somme de 200 US$) : 7,2 % contre 9,7 %.
Ensuite, la concurrence entre banques n’a pas eu pour l’instant d’impact évident sur les coûts de transaction. Si en Afrique il y a en moyenne 4,3 banques par corridor, deux fois plus qu’en Amérique latine
(2,4), les coûts sont les mêmes : 12 % pour 200 US$. Le même constat s’impose pour des transferts
plus importants. Ainsi, en intégrant les données pour les deux continents, on peut conclure que la nonconcurrence bancaire entraîne une baisse des coûts de transaction.
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Où utilise-t-on le paiement
par mobile ? Par pays
d’origine des transferts
Le volume des transferts
Les marchés les plus prometteurs pour le mobile
payment incluent probablement les pays d’Amérique
latine qui reçoivent le plus grand volume de transferts. Même s’ils sont loin derrière le Mexique et
l’Amérique du Sud, qui attirent chacun environ 24
milliards US$, l’Afrique du Nord et de l’Ouest mènent la danse en Afrique avec 17 milliards US$ et
10 milliards US$ respectivement. Conformément
avec ce qui a été avancé plus haut, il y a, à nouveau, absence de relation directe entre le volume
des transferts du pays bénéficiaire et le coût des
transferts. On peut donc en déduire que les corridors où transitent les plus gros volumes attirent
plus d’opérateurs et font ainsi chuter les prix.
Les marchés les plus prometteurs pour les services de paiement par mobiles peuvent être
identifiés à partir des pays d’émission des virements. Il existe en effet une relation étroite entre
le pays d’origine et le choix de l’opérateur. Pour
les migrants envoyant de l’argent vers l’Afrique
depuis l’Afrique du Sud, les Pays-Bas, la France
ou l’Allemagne, le nombre d’opérateurs est systématiquement faible, entre 0 et 4, et les coûts de
transaction élevés, 16,9 % en moyenne pour un
transfert de 200 US$.
Pour les migrants qui envoient de l’argent vers
l’Amérique latine depuis l’Espagne, les EtatsUnis ou la Grande-Bretagne, le contexte est sensiblement différent. Ces corridors se caractérisent
par la présence de 8,4 opérateurs en moyenne, 4
fois plus que pour l’Afrique. En conséquence, les
coûts sont inférieurs de 35 %, avec une moyenne
de 10,4 %. Les données révèlent que les coûts
sont déterminés par le pays d’envoi des transferts, indépendamment de la destination. Ainsi,
les coûts de transaction vers l’Afrique sont dépendants de la structure du marché des transferts
dans les pays émetteurs.
Les données enregistrées pourraient laisser penser que le nombre d’opérateurs de transferts
augmente avec le nombre de transferts émis à
travers un corridor. Ainsi, on pourrait croire que
l’Espagne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
sont les pays aux coûts de transaction les plus
faibles parce qu’ils accueillent un grand nombre
de migrants latino-américains. Mais en comparant ces données avec celles de l’Afrique, il apparaît clairement qu’il n’y a pas de corrélation forte
entre le nombre de migrants dans un pays et le
coût des transactions – ni d’ailleurs avec le degré
de concurrence sur les paiements par téléphone
portable. Certes, l’Espagne, les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne sont présents sur des corridors
alliant grand nombre d’opérateurs de transferts
et faibles coûts de transaction. Mais des pays qui
comportent un grand nombre de migrants africains, comme la France ou l’Afrique du Sud, se
caractérisent par un nombre extrêmement faible
d’opérateurs de transferts et des coûts élevés de
transaction. Ainsi, le nombre d’opérateurs présents apparaît comme le principal facteur déterminant les coûts de transaction. Et ce sont
les corridors dont les pays d’origine, comme la
France ou les Pays-Bas, connaissent le plus faible
nombre d’opérateurs en direction de l’Afrique
et de l’Amérique latine, qui présentent le plus
grand potentiel de développement pour le mobile
payment.
Des petits transferts
ville - campagne
Les figures 6 et 7 révèlent que les coûts de transaction augmentent rapidement, pour les banques comme pour les opérateurs, quand les sommes envoyées sont plus faibles. Cela s’explique
par le fossé qui sépare les courbes représentant
les coûts de transaction : entre des envois de
500 US$ et de 200 US$, il existe un écart systématique d’au moins 2 % pour les opérateurs de
transferts, et de plus de 5 % pour les banques.
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utilisant le réseau téléphonique de M-Pesa que
par un opérateur classique. M-Pesa facture le service 5 %, Western Union 50 %.
Les opérateurs téléphoniques sont particulièrement avantageux grâce au réseau de distribution
déjà en place : les téléphones portables atteignent
40 % des consommateurs finaux qui peuvent
ainsi effectuer des demandes et obtenir des informations ; et les agents (les kiosques, supermarchés, etc., qui vendent notamment les cartes
téléphoniques prépayées) sont disponibles pour
effectuer dépôts et retraits. Ainsi, ce sont non
seulement les coûts en infrastructure qui sont réduits, mais aussi les coûts opérationnels, puisque
les agents gagnent déjà leur vie à travers d’autres
activités et ne reçoivent qu’une commission pour
le service du mobile payment.
Une analyse plus poussée montre que les banques imposent des commissions particulièrement élevées pour les petits virements. Le tableau 3 montre que si les coûts de transaction ne
différent, entre banques et opérateurs, que de 0,2
point pour 500 US$, l’écart dépasse les 3 points
de pourcentage pour des virements de 200 US$.
On rencontre la même situation pour l’Amérique
latine. Quand les coûts de transaction entre banques et opérateurs diffèrent de 1,2 point de pourcentage pour des virements de 500 US$, l’écart
atteint près de 4 points pour 200 US$.
L’explication la plus probable du fait que les banques soient plus chères que les opérateurs résulte
de la concentration de leur activité sur un petit
nombre de clients aisés. Les petits virements
sont le plus souvent réalisés par des consommateurs moins fortunés. Le développement des
petits virements demanderait donc une modification du business model de ces banques, afin qu’ils
deviennent profitables à travers des économies
d’échelle. En principe, ce nouveau modèle ne devrait pas poser de problème de cohabitation avec
le portefeuille de clients existant, qui génère des
marges élevées.
Pour l’instant, plutôt que d’élargir leur portefeuille de « petits » clients (par la standardisation des procédures, la réduction des délais ou
la diminution des coûts), les banques préfèrent
s’engager dans des accords avec les opérateurs de
transferts. L’accord type propose l’utilisation des
infrastructures bancaires contre les procédures
standardisées des opérateurs. La banque retire
une marge supplémentaire sur les coûts imposés
par les opérateurs. La banque peut ainsi conserver
son portefeuille existant et dans le même temps
accéder à des consommateurs moins riches. Le
plus gros exemple de convention de ce type est
celui liant Western Union et La Poste à travers
de nombreux pays africains. Banco Salvadoreño,
la seconde plus grosse banque commerciale au
Salvador, en constitue un autre exemple : elle
est présente dans la plupart des Etats aux EtatsUnis, grâce à des alliances stratégiques avec certains des plus gros opérateurs de transferts, dont
Western Union et Bancomer Transfer Services.
Les coûts de transaction en Afrique restent
autour de 10,1 % pour envoyer 200 US$ en utilisant les opérateurs de transferts mobiles. La
somme habituelle qu’un migrant dans une zone
urbaine envoie à sa famille en zone rurale est en
moyenne encore plus faible que dans les transferts internationaux. Les technologies mobiles
représentent une opportunité pour la réduction
des coûts pour les toutes petites sommes. Si on
prend l’exemple du service de virement par téléphonie portable le plus étendu aujourd’hui, au
Kenya, il est 10 fois moins cher d’envoyer 9 € en
La régulation, principal
goulet d’étranglement
Jusqu’à présent, les modèles de mobile payment qui
se sont développés ont su profiter d’une certaine flexibilité de la régulation. Celle-ci a permis
l’émergence d’une grande variété de solutions
techniques qu’on désigne sous le terme générique
de mobile payment. Certaines de ces solutions peuvent être utilisées sur des téléphones standards,
comme le Unstructured Suplementary Services
Data (USSD) et le SIM toolkit.
Les textos (ou SMS), la voix et l’USSD sont
utilisés en Afrique du Sud par Wizzit, First
National Bank (FNB) et Amalgamated Banks
of South Africa (ABSA). USSD est également
utilisée au Paraguay par Tigo. Ces technologies
permettent de déployer un système ouvert indépendant du réseau de l’opérateur de téléphonie mobile. Les SIM toolkits sont utilisés par
M-Pesa au Kenya et MTN Banking en Afrique
du Sud, et par Banamex et Telcel au Mexique,
par l’ajout d’un menu spécial pour effectuer les
paiements. Ces systèmes ne permettent qu’aux
membres du réseau géré par l’opérateur d’effectuer des virements.
Des technologies plus avancées, comme Wireless
Application Protocol (WAP) et HTTPS, sont utilisées par NedBank, FNB and ABSA en Afrique
du Sud, et par Nipper au Mexique. Mais elles
ne sont utilisables que sur des téléphones appropriés. Les paiements sont également facilités
par le programme Near Sound Data Transfers
(NSDT), développé par Tag Attitude, et qui
est compatible avec des téléphones standards.
NSDT est actuellement testé en Zambie, en
Afrique du Sud, au Congo et en République démocratique du Congo, et est sur le point d’être
lancé au Ghana, au Nigeria et au Mali.
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du mobile payment. La taille du réseau de distribution des opérateurs de téléphonie mobile représente leur principal avantage comparatif. Sans
une régulation qui permette aux agents de ce
réseau (les kiosques, supermarchés et autres) de
recevoir et verser des paiements, l’élément clé
du succès de ces opérateurs demeure inexploité.
Cette régulation devrait établir qui peut être correspondant non bancaire, quel type d’opération il
est autorisé à prendre en charge, s’il est autorisé à
travailler pour plusieurs réseaux, qui est responsable en cas de conflit, où est stockée l’information confidentielle sur les clients, et quelles sont
les mesures de sécurité, pour ne citer que quelques-uns des enjeux.
La troisième question de régulation qui contraint
le développement du mobile payment concerne la
définition précise de ce qu’est un virement et de
ce qu’est un dépôt. La plupart des opérateurs
offrant aujourd’hui le service du mobile payment
soulignent le fait qu’ils n’acceptent pas de dépôts
pour éviter d’avoir à se plier aux normes de la
régulation financière. Cependant, la différence
entre un virement et un dépôt ne repose finalement que sur le délai durant lequel l’argent reste
dans le système.
Tandis que ces nouvelles technologies continuent
de se développer sous la surveillance active à la
fois des autorités de régulation financière et des
télécommunications, la prolifération de structures qui proposent le mobile payment ou le mobile
banking est désormais mise en question. Comme
le montre la figure 8, lors des premiers pas du
mobile payment certaines structures étaient dirigées par des banques – en Afrique du Sud
(Wizzit), au Mexique (Banamex, Telcel, Nipper),
en Equateur (Halcash)-, d’autres directement par
des opérateurs de téléphonie mobile – au Kenya
(M-Pesa), au Paraguay (Tigo)-, et finalement
d’autres encore conjointement par les deux à la
fois – en Afrique du Sud (MTN) et probablement en Jamaïque (IDB). Avec la croissance de
l’activité, il devient de plus en plus important de
pouvoir s’appuyer sur une banque pour limiter
l’incertitude.
Aujourd’hui, les principaux freins au développement du mobile payment est la question de la
conformité avec les régulations financières en
termes de lutte contre le blanchiment de l’argent
et de combat contre le financement du terrorisme (AML/CFT), la présence de correspondants
non bancaire, et la frontière trouble entre le paiement et le dépôt.
Du mobile payment au
mobile banking ?
La bancarisation des ménages demeure un enjeu
pour l’Afrique comme pour l’Amérique latine,
comme le révèle la figure 9. Mais pour l’Afrique
subsaharienne, l’accès aux services financiers demeure faible non seulement pour les ménages,
mais aussi pour les petites entreprises. Seules
13 % des petites entreprises ont des prêts bancaires. Par contraste, le manque d’accès aux services
financiers en Amérique latine concerne essentiellement les ménages. 42 % des petites entreprises
y ont accès au prêt bancaire, un chiffre proche de
celui de l’OCDE (51 %).
En termes d’accès des ménages à un compte
bancaire, les inégalités sont flagrantes. Si dans
l’OCDE plus de 80 % des ménages a un compte
bancaire, ce chiffre tombe à 36 % pour l’Afrique
du Nord et 29 % pour l’Amérique du Sud. Mais
l’Amérique centrale et l’Afrique subsaharienne
connaissent des situations encore plus drastiques,
avec 10 et 7 % respectivement. Si on met en relation ce manque d’accès aux services financiers
avec le fait que le mobile payment concerne principalement cette partie de la population, on peut en
déduire que le téléphone portable peut être un bon
moyen pour augmenter le niveau de bancarisation.
Surtout si l’on considère que 8 personnes sur 10
en Amérique latine, et 4 sur 10 en Afrique subsaharienne, ont accès aux téléphones portables.
Parmi les normes financières destinées à lutter
contre le blanchiment et contre le financement du
terrorisme, certaines dispositions comme « know
your client » (« connaissez votre client, KYC)
exigent que des informations concernant la personne qui fait la transaction soient disponibles, ce
qui n’est pour l’instant pas possible face au haut
niveau d’informalité qui règne parmi les clients. Il
faut également établir des limites sur les montants
quotidiens et mensuels des transactions. Les premiers projets mis en route par M-Pesa, l’opérateur
de téléphonie pionnier au Kenya, pour mettre en
place des paiements depuis la Grande-Bretagne,
ont été abandonnés devant l’impossibilité de se
conformer aux normes AML/CFT.
Les normes concernant les correspondants non
bancaires devraient être favorables à la croissance
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(Part des ménages ayant un compte bancaire)
(Part des PME ayant accès aux banques de prêts)
Un autre élément qui pourra favoriser la bancarisation à travers les technologies mobiles, est la
capacité des mobile payments à conserver la trace
des activités des clients, qui peut être utilisée
par des institutions financières pour délivrer des
prêts sans collatéral ni historique bancaire. Même
si l’historique de paiement peut aider à accorder
les prêts, on peut d’attendre à ce que la décision
finale soit prise lors d’entretiens en tête-à-tête. La
construction d’un réseau de confiance ne permet
pas d’éliminer directement l’interaction physique.
Les prêts sont accordés selon des informations
qualitatives, qui ne peuvent être réunies que par
la rencontre directe, tandis que les paiements enregistrent les informations statistiques (sexe, âge,
montant, fréquence, par exemple).
Reste que l’essentiel de la progression spectaculaire de l’utilisation des téléphones portables à
des fins financières est liée aux paiements. Elle
n’est que marginalement nourrie par la bancarisation. Les virements, les banques comme les
opérateurs de transferts génèrent du profit. Les
banques sont majoritairement restées à l’écart de
la conversion des transferts en dépôts, attitude
qui résulte des coûts de gestion plus élevés et des
marges plus faibles dès qu’on gère des tout petits
dépôts. Certains opérateurs téléphoniques ont
exprimé leurs réticences à passer le cap, ce qui les
obligerait à respecter les régulations financières,
à supporter plus de charges administratives, alors
que les paiements apportent un bénéfice immédiat. Il semble évident que sans les encouragements appropriés par les autorités gouvernementales, les décisions permettant l’augmentation de
la bancarisation ne seront pas prises, au moins
sur une grande échelle, par des acteurs privés.
Quelques pays dotés d’une longue tradition
de migration ont déjà mis en place des politiques incitatives pour favoriser la bancarisation.
C’est le cas par exemple de l’Inde, du Maroc,
des Philippines et du Pakistan, où les banques
ouvrent des agences dans les pays d’origine des
virements, permettant aux migrants de disposer
de comptes bancaires à la fois dans leur pays
d’origine et dans leur pays d’accueil, avec des
mesures incitant les migrants à bancariser leur argent : taux d’intérêt élevés, comptes libellés dans
une monnaie étrangère, exemptions fiscales, faible coût de retrait dans le pays de destination, etc.
(lire l’encadré 2 pour l’exemple du Mexique). En
revanche, 6 pays d’Amérique latine (Argentine,
Bolivie, Brésil, Colombie, Pérou et Venezuela)
viennent d’établir des taxes sur les transactions
financières, qui devaient être temporaires mais
qui ont été prolongées en raison des sommes
importantes qui ont pu être ainsi collectées. La
Colombie notamment taxe les transferts émis,
tandis que la Bolivie et le Brésil taxent ceux qui
entrent sur le territoire.
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TFD 95 - Juin 2009
Le « Programme 3 en 1» pour les transferts des migrants
mexicains
Les transferts à destination du Mexique sont estimés à 8 000 millions US$ chaque année, dont l’essentiel est dépense en consommation finale. Afin d’orienter ces flux vers des investissements productifs, le
gouvernement mexicain a mis en place depuis 1999 le « Programme 3 en 1 ». Pour chaque dollar placé
par un migrant dans le programme, le gouvernement local ajoute 1 US$, et le gouvernement fédéral
et Sedesol (Secretaría de Desarrollo Social) aussi, atteignant ainsi 4 $. Les investissements concernent le
plus souvent des petites maquiladoras, des ateliers, ou plus généralement des projets censés améliorer les
conditions de vie de la communauté dont le migrant est issu. Dès 2001, le programme attirait 7 millions US $.
Des pays comme le Salvador, la Somalie ou les Philippines cherchent à appliquer ce Programme 3
en 1. Depuis l’Italie, des organisations de migrants du Pérou, du Chili et de l’Equateur, encouragent
également l’application de ce modèle pour favoriser la mise en œuvre de projets d’éducation dans leurs
communautés d’origine1.
Bibliographie
• Beck, Thorsten, Asli Demirguc-Kunt and Maria Soledad Martinez Peria, 2005, Reaching Out: Access to and
Use of Banking Services across Countries, World Bank, Policy Research Working Paper 3754, October.
• Fernández de Lis, Santiago, López Sabater, Verónica, Martín Enríquez, Álvaro, Ontiveros Baeza, Emilio
and Ignacio Rodríguez Téubal, 2009, Telefonía Móvil y Desarrollo Financiero en América Latina, Fundación
Telefónica.
1 L’Agence française de développement s’intéresse aussi à cette initiative. Lire à ce propos l’article en fin de dossier.
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