JAZZ ATTITUDE Article - Richard Calleja
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JAZZ ATTITUDE Article - Richard Calleja
Jazz Pulsions, le magazine des danses Jazz N°7, Avril 2009 JAZZ ATTITUDE Richard Calléja Résonances « Le jazz pour moi, même free, n’est pas du tout intellectuel, il est sensuel et très danse. C’est très lié à la peau… » Que ce soit en improvisation, dans les standards du jazz ou dans ses compositions, le musicien toulousain Richard Calléja entre en dialogue avec l’énergie d’un son, la musicalité d’un corps, le bruissement d’un mot. « L’improvisation, c’est une écoute qui se développe. J’ai lu des textes sur ce rapport de la musique et de la danse écrits par Duke Ellington qui était un très bon danseur. En évoquant le Cotton Club, il expliquait que plus les danseurs étaient extraordinaires, meilleurs étaient les musiciens qui jouaient. Cela prouve bien que la danse amène quelque chose au musicien ». Pour Richard Calléja, saxophoniste, clarinettiste et percussionniste, cette rencontre entre le danseur et le musicien résulte d’une alchimie particulière. « Cela fonctionne uniquement quand je sens le rythme que dégage le danseur et donc qu’il y a résonance. C’est cela qui est important. Le danseur qui est avec moi, devient alors un musicien. Il chante avec son corps et je suis son prolongement avec ma musique. Nous sommes dans un espace de dialogue ». A l’écoute du mouvement Richard Calléja développe depuis une dizaine d’années de nombreuses rencontres avec les danseurs. « La première s’est faite en 1983 avec Michel Raji, un danseur d’origine marocaine. Nous avons travaillé ensemble en improvisation dans de petits espaces comme un club de jazz ». Une approche instinctive, immédiate. « Je suis moi-même un très mauvais danseur et je pense que c’est pour cela que j’aime travailler avec des danseurs. » Au début des années 2000, il crée le spectacle Alliance qui donne son nom au groupe. « Je travaillais avec une danseuse métisse et une chanteuse. Un espace de liberté propice à toutes les alliances où fusaient énergie, vibrations, improvisations sur des arrangements de standards de jazz et de compositions originales. » Les relations humaines sont parfois complexes et chacun est reparti de son côté. En 2002, il aborde le spectacle Trois duos avec la compagnie de danse contemporaine Emmanuel Grivet de Tournefeuille. « C’était de l’improvisation avec un scénario. Il y avait deux danseurs et moi, le musicien. J’avais un parcours à suivre pour répondre à une histoire. En fait, je n’avais pas la liberté que j’aurais aimée car je ne devais pas empiéter sur l’espace du danseur. » « J’aime mélanger tous les arts : les textes, la musique et la danse. Il m’est arrivé de faire un concert avec le saxophoniste Steve Potts devant les œuvres peintes d’une amie. Il y a des interconnexions entre ces disciplines qu’il faut trouver. » Avec Désir de peau, en 2005, pour le festival de la francophonie de Toulouse, il ouvre un espace de rencontre avec le danseur Pierre Meurier sur des poèmes et du chant. « Un fabuleux danseur qui a été dix ans au Ballet du Capitole. Je referai sans doute un travail avec lui ». La négritude en quartet En 2006, à l’occasion de sa rencontre avec Lebeau Boumpoutou, chorégraphe du Ballet national de Brazzaville, il improvise un duo, Lisanga qui signifie « union » ou « mélange ». « Lebeau Boumpoutou dégage une grande énergie dans sa danse. Réunis par des influences ethniques communes, nous avons avec une même liberté de mouvement et d'improvisation démontré la symbiose possible de nos arts ». Souhaitant rendre hommage à l’Afrique, à partir de la lecture d’écrivains noirs francophones qui célèbrent la culture africaine, Léopold S.Senghor, Bernard B.Dadié ou Aimé Césaire, il compose un répertoire inédit. Il le propose au quartet de musiques du monde, Jamkaleya, qu’il fonde. « Cet ensemble veut être à la fois prolongation et naissance du mouvement, envie d’échanges entre la musique, la danse et les cultures, voyage, liberté d’improvisation et d’imagination… une recherche de l’expression épurée de l’émotion, une authenticité du son… ». Et d’ajouter : « Cette musique métissée, improvisée et ludique évoque des sonorités comme la kora, les percussions africaines et approche une musique plus saturée aux effluves de rock. » Une approche sensible sur la question de la négritude. « Ce qu’ont vécu les Noirs me touchent profondément et je trouve qu’on n’en parle pas assez. » C’est dans cet esprit qu’il propose à James Carlès de travailler en improvisation entre musique et danse sur des textes d‘auteurs africains, en novembre 2008 : « C’était la première fois que nous travaillions ensemble. Il a posé un scénario et j’ai composé une mélodie avec une introduction swing à la clarinette basse. J’ai enregistré des textes en voix off. » Une construction à l’intérieur de laquelle circulait le duo. « Ce que j’ai trouvé avec James c’est l’écoute, avec beaucoup de liberté et d’échange. Je me suis surpris à danser avec lui. Il y a une énergie qui circule entre nous. Au niveau rythme, nous sommes en phase car je connais aussi les rythmes africains. Même dans l’immobilité, la communication existait ». Un univers riche et d’une grande cohérence pour les spectateurs qui ont partagé ce temps fort. Résonance autant que reconnaissance d’un territoire ouvert à l’adresse de l’autre, une expérience à deux que le musicien souhaiterait renouveler. Le tournant Coltrane « Je suis très touché par un artiste quand je ressens l’authenticité d’une démarche sans artifice. Le summum d’une recherche, pour moi. » Cette expression artistique de l’ordre de l’essentiel et de la nécessité, le musicien la découvrait au cours des années 70, tout d’abord avec les expériences radicales de la musique aléatoire inspirées de Stockhausen. « Un travail d’improvisation que nous menions avec un groupe de copains, mais qui faisait plutôt fuir le public », s’amuse le musicien. « Puis, au début des années 80, on m’a fait écouter des disques de John Coltrane qui m’ont littéralement subjugué, envoûté. J’ai décidé de ne faire que du jazz. J’ai écouté surtout la période modale avec Africa Brass, Miles mode… ces compositions des années 60. Ce qui me fascinait, c’est cette espèce de transe qui existe dans cette musique et cette liberté. Cette musique m’a pris aux tripes. Je me suis dit que c’était cela qu’il fallait que je fasse ». Il rejoint le groupe Tonton quartet, du surnom du batteur. « Nous ne jouions que des morceaux de Coltrane. Il avait un tel investissement dans sa musique… qu’il ne touchait plus terre. Coltrane n’est pas un musicien de free et sa musique ne se prend pas au premier degré. » Le groupe n’a alors que trois ans d’existence, mais l’énergie est telle qu’il se taille déjà une belle renommée. « Je reconnais a posteriori que nous avions des lacunes, mais nous nous étions tellement investis dans cette musique que cela marchait très bien, à tel point qu’on a joué au Festival de Paris ». Le groupe dissout, Richard Calléja fonde son propre quartet pour étudier les standards de jazz, les chansons de Broadway. Il souhaite rendre hommage au saxophoniste et compositeur américain Hank Mobley. « Trop méconnu du grand public, à cause de sa discrétion légendaire il est passé inaperçu dans l’histoire du jazz. Il est pourtant considéré comme une des grandes figures du label Blue Note ». Peu à peu, Richard Calléja devient un spécialiste de la musique jazz. « J’ai beaucoup étudié seul et j’ai commencé à faire de la pédagogie. Et je continue. Je propose par exemple des conférences sur les grands noms du jazz. » Ce musicien passionné intervient depuis douze ans en musicologie, en improvisation, à l’Université du Mirail. Si Richard Calléja se dit volontiers autodidacte, il tire son chapeau au professeur qui a su lui inoculer le virus de la musique, Henri Harlé. « J’ai commencé par la musique classique, en prenant des cours dans une petite école de musique où j’ai eu la chance d’avoir ce professeur extraordinaire. Enfant, il m’a fait découvrir la musique d’orgue. A 83 ans, il est encore organiste. Nous allons enregistrer une compilation de clarinette et orgue ». Si l’autorité parentale n’a pas suivi les recommandations du professeur d’inscrire le jeune Richard au conservatoire, ce dernier a fait ses gammes dans un esprit parfaitement « jazz » plus « populaire » que « savant ». « J’ai fait de la variété. J’ai animé des bals pendant dix ans. Une très bonne école qui apprend la rigueur, la discipline rythmique et l’endurance… » Et c’est encore une fois une histoire de danse ! CHRISTINE BARBEDET http://pagesperso-orange.fr/richard.calleja/ > Mardi 31 mars à Perpignan avec le Big Band 31 ; Vendredi 20 novembre Richard Calléja Quintet à St Sulpice (81) ROY HAYNES : batteur, compositeur américain, né le 13 mars 1926. « Le feeling du Félin » Voici un des derniers géants de l’histoire du Jazz, toujours en activité (avec Sonny Rollins) à écouter et surtout à aller voir. Ce monument de la batterie a traversé presque toute l’histoire du Jazz. Il commence sa carrière en 1945, au moment du déclin de l’ère Swing et en pleine effervescence du Be-Bop. Il joue tout de suite avec les plus grands, Lester Young, Charlie Parker (en 1949), Thelonious Monk, il jouera pendant 5 ans avec la chanteuse Sarah Vaughan. On le trouve aux côtés de Miles Davis, Stan Getz, Sonny Rollins, John Coltrane, etc…C’est aussi un découvreur de jeunes talents, ce qui lui a très certainement permis de rester toujours jeune et d’être toujours à la pointe de nouveaux styles. J’ai découvert son nouveau quartet lors du festival Jazz sur son 31 à Toulouse, en octobre 2008, avec de très jeunes musiciens : Jaleel Shaw (saxes), Martin Berejano (p), David Wong (b). Époustouflant : Roy Haynes 82 ans donne une véritable leçon de musique. Les trois jeunes musiciens qui l’entourent sont obligés de se surpasser. Il les pousse dans leurs derniers retranchements, il sait attendre, se cacher, bondir, il propose sans arrêt. Il s’insinue, tel un félin, dans le jeu du soliste pour dialoguer au plus près avec lui. Il peut avoir un jeu soyeux et se déchaîner par la suite sur ses tambours pour nous rappeler l’Afrique. C’est un véritable magicien qui sait faire circuler l’énergie entre ses musiciens pour nous faire entendre une musique unique. À écouter : Chick Corea trio: « Now he sings now he sobs ». Mars 1991 avec Roy Haynes (dms), Miroslav Vitous (b). Roy Haynes Quartet « Fountain of Youth ». Février 2004. Dreyfus Jazz. Roy Haynes Quartet « Whereas ». Août 2006. Dreyfus Jazz.