LE PRINCIPE DU BIEN COMMUN EN ENTREPRISE
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LE PRINCIPE DU BIEN COMMUN EN ENTREPRISE
LE PRINCIPE DU BIEN COMMUN EN ENTREPRISE Éclairage de la Doctrine Sociale de l’Église sur la responsabilité sociale de l’entreprise Mot de passe : 90PM10 i Présentation Cet essai a pour vocation de faire connaître le principe du Bien Commun, véritable boussole pour les entreprises en quête de sens et de repère. Pour autant, notre but n’est pas d’offrir un remède capable de résoudre tous les maux de la crise actuelle. Comme le rappelle Thibaut Collin, « vouloir une solution miracle au problème est une vision des choses très post-moderne. La seule solution passe par une longue médiation et une réflexion »1. Après avoir défini dans notre essai le principe du bien commun proposé par la Doctrine Sociale de l’Église (DSE)2, il nous a semblé nécessaire de pouvoir aller confronter cette théorie avec la réalité des entreprises. Pour cela, nous avons contacté différents réseaux professionnels travaillant sur la DSE. En interrogeant quatorze responsables sous forme d’interview, nous avons souhaité mettre en lumière les tensions qu’ils pouvaient rencontrer au quotidien dans la traduction concrète du principe de bien commun. En faisant le choix d’étudier la question de l’éthique sous l’angle de la pensée de l’Église, il apparaît naturellement que nous engageons nos propres convictions, formées par nos idées et croyances. Il serait hypocrite d’affirmer le contraire. Cependant, nous avons voulu nous appuyer sur ces interviews pour proposer une série de recommandations destinées à toutes les personnes de bonne volonté désireuses d’approfondir l’exercice de leurs responsabilités au service du bien commun. Résumé C’est le nouveau mot à la mode, il faut remettre de l’éthique dans l’entreprise. Les discours sont beaux, les écarts entre les discours et les actes sont grands. Nous avons fait le choix de préciser notre recherche autour d’un principe méconnu, le bien commun. Il n’est pas recherché pour lui même mais a pour finalité le bien des personnes. En cela il faut le distinguer de l’intérêt général. La pensée dominante dira que le bien commun s’obtient par la recherche des préférences personnelles (autrement dit la somme des intérêts particuliers d’Adam Smith). Or la DSE affirme que le bien commun n’est pas le fruit d’une somme, il existe en soi. Suite aux interviews réalisées, nous pouvons proposer deux recommandations majeures. La première concerne le responsable confronté aux pressions de sa hiérarchie. Pour éviter de tomber dans la désespérance face au ‘système’, nous lui conseillons de faire une analyse réaliste de sa marge de manœuvre afin d’agir avec courage sur son champ d’influence. Dans la situation où le responsable est en situation de décideur, nous l’encourageons à développer un management de responsabilisation reposant sur deux axes. D’abord permettre aux équipes de participer à la construction de leurs objectifs. Ensuite encourager l’autonomie des personnes en limitant les outils de contrôle, encourager la prise de risque en garantissant de ne pas sanctionner l’échec. Bibliographie Benoit XVI, (2009), Caritas in Veritate, Bayard – Cerf, Fleurus-Mame, Paris Marie Pâques, (2012), En quête de sens, Éditions Abbaye de Lérins Bertrand Collomb, Samuel Rouvillois, (2011), L’entreprise humainement responsable, ed. Desclée de Brouwer, Paris Philippe Le Tourneau, (2000), L’éthique des affaires et du management au XXIèmè siècle, Éditions Dalloz, Toulouse Thibaut Collin, (2007), Individu et communauté, une crise sans issue ? Edifa Mame, Paris Jean-Loup Dherse, Dom Hugues Minguet, (1998), L’Éthique ou le Chaos ?, ed Presses de la Renaissance, Paris Pierre-Yves Gomez, (2013), La liberté nous écoute, Éditions Quasar, Paris Conseil pontifical ‘Justice et Paix’, (2005), Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Éditions du Cerf Tanguy Marie Pouliquen, (2009), Mieux vivre ensemble dans un monde en crise, ed. des Béatitudes, Nouan-leFuzelier 1 Rapport public du Conseil d’État, (1999), « Réflexions sur l’intérêt général », Le Conseil d’État, http://www.conseil-etat.fr/fr/rapports-et-etudes/linteret-general-une-notion-centrale-de-la.html 1 2 Thibaut Collin, (2007), Individu et communauté, une crise sans issue ? Edifa Mame, Paris Par souci de commodité, nous utiliserons l’acronyme ‘DSE’ pour ‘Doctrine Sociale de l’Église’. ii 1. INTRODUCTION « La visée exclusive du profit s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté » 3. Benoit XVI n’a pas eu la réputation d’être un pape tiède et quand il aborde des sujets économiques, il ne mâche pas ses mots. Les personnalités politiques, les journalistes, les experts en tout genre, tous s’accordent à dire que la crise que nous connaissons n’est pas seulement économique ou sociale, mais aussi morale. Lors de sa visite au Vatican en octobre 2010, Nicolas Sarkozy rappelait que « dans toutes les crises, il y a une dimension intellectuelle et morale ».4 Le terme ‘morale’ résonnant trop durement aux oreilles de nos contemporains, les médias emploieront volontiers son semblable grec ‘l’éthique’. Dans notre essai, nous emploierons les deux termes, sans les distinguer. Benoit XVI, dans son encyclique Caritas in Veritate, ne condamne pas l’économie mais bien celui qui la gère. Car l’économie en elle-même n’est que le moyen d’une finalité plus grande, ce n’est donc pas l’instrument en lui-même qui est à revoir mais l’homme qui l’utilise à des fins nuisibles. Ce n’est pas la technique qui est à condamner dans la crise que nous traversons mais la responsabilité personnelle de chacun. C’est un examen autrement plus douloureux qui est à faire car il remet en question nos propres comportements plutôt que de s’attarder sur les outils que nous plaçons trop vite en bouc émissaire. Marie-Pâques rejoint Benoit XVI en affirmant : « Que l’on reconnaisse les défaillances du capitalisme, oui, mais ce n’est pas à la finance qu’il faut en attribuer la responsabilité, mais à la … cupidité ».5 Selon lui, le capitalisme, malgré ses limites, demeure le meilleur modèle économique. Samuel Rouvillois reproche à l’idéologie libérale d’absolutiser la liberté comme un progrès, alors qu’elle ne devient « vecteur de bien que chez ceux qui en usent au service du bien commun ».6 Pour Hugues Minguet, le cynisme, les manipulations, la corruption et autres dérives mafieuses sont causés par un individualisme poussé à l’extrême : « Le système de relations est lui-même annexé au profit d’un seul ou de petits groupes au lieu d’être le lieu où tous ensemble peuvent croître. » Finalement la crise nous invite à reconsidérer la gouvernance actuelle des entreprises, pour rejeter les expériences négatives et aller de l’avant en développant les initiatives constructives et responsables. Une crise agit sur la société comme un tremplin : quand nous tombons, naturellement notre bon sens nous pousse à réagir pour relever la tête et commencer un nouveau cycle de croissance. Comment alors concrétiser cette ambition en nous appuyant sur les exigences éthiques qui mûrissent dans notre société ? 1.1. L’éthique, un terme galvaudé L’éthique (de sa racine grec) ou la morale (racine latine) désignent tous deux les principes qui guident les comportements d’une personne. On n’a jamais autant parlé d’éthique, là est peut-être le danger. Le Tourneau citant Tacite dit : « Lorsqu’un peuple n’a plus de mœurs, il légifère » et citant Rousseau à propos des Romains : « Ils s’étaient contentés de pratiquer la vertu, tout fut perdu quand ils commencèrent à l’étudier »7. Faire parler l’éthique, voilà déjà un risque de l’instrumentaliser et la manipuler. D’autant si l’on en croit Benoit XVI qu’on tente « de faire passer sous son couvert des décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de l’homme »8. 3 Benoit XVI, (2009), Caritas in veritate, Bayard – Cerf, Fleurus-Mame, Paris, § 21 Marie Pâques, (2012), En quête de sens, Éditions Abbaye de Lérins, p.116 5 Marie Pâques, (2012), En quête de sens, Éditions Abbaye de Lérins, p.116 6 Bertrand Collomb, Samuel Rouvillois, (2011), L’entreprise humainement responsable, ed. Desclée de Brouwer, Paris, p.33 7 Philippe Le Tourneau, (2000), L’éthique des affaires et du management au XXIèmè siècle, Éditions Dalloz, Toulouse 8 Benoit XVI, (2009), Caritas in veritate, Bayard – Cerf, Fleurus-Mame, Paris, § 45 4 1 1.2. Qu’est-ce que la Doctrine Sociale de l’Église ? Pour répondre aux nombreux enjeux éthiques à laquelle notre société est confrontée, il fallait nous appuyer sur un corpus littéraire bien défini. Les références sur le sujet de l’éthique étant nombreuses, nous avons fait le choix de nous intéresser à ce qu’on appelle la Doctrine Sociale de l’Église. La DSE ne se limite pas à un texte de référence, il s’agit plutôt d’un corpus de textes recueillis depuis des siècles nourris des réflexions de laïcs engagés dans la vie économique. 1.3. Qu’est-ce que le bien commun ? Selon Thibaut Collin, « l’Europe Occidentale vit aujourd’hui une période difficile parce que les valeurs traditionnelles sont en train de laisser place à quelque chose, sans qu’on sache ce que c’est »9. Nous constatons dans nos sociétés le développement de comportements individualistes qui ne respectent plus le vivre ensemble. Or le principe de bien commun vise à rechercher cette unité. Il constitue l’un des cinq piliers de la DSE. Le Compendium le définit ainsi: « Par bien commun, il faut entendre l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée »10. Benoit XVI précise que c’est « un bien lié à la vie en société. C’est le bien du « nous-tous » constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale »11. Hugues Minguet compare l’entreprise à un corps, les salariés étant les membres de ce corps. « Le bien du corps et le bien de chacun des membres sont relations réciproques mais ne sont pas identiques »12. Chaque membre mérite attention et prospérité si il remplit son rôle en vu du bien du corps tout entier. Toujours selon Hugues Minguet, le bien commun ne se définit pas comme un concept scientifique ou une mesure chiffrée mais « il reflète la qualité de l’interaction » entre les salariés et l’entreprise, entre l’entreprise et la société. Ayant considéré ce qui nous permet de vivre ensemble, intéressons-nous maintenant à ce qui nuit aux conditions du vivre ensemble, autrement dit à ce que le bien commun n’est pas. 1.4. Le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels Le bien commun s’oppose à la théorie de la main invisible d’Adam Smith. Cette théorie affirme que la somme des intérêts particuliers conduit au bien-être de tous. De nos jours, cette théorie est devenue la pensée dominante. Ainsi, comme l’explique Pierre-Yves Gomez, « la société occidentale prône une extension illimitée de l’autonomie individuelle, qu’elle définit comme le droit de choisir ce que l’on désire. »13 Or cette vision conduit à une indifférence des hommes les uns envers les autres. Les choix des personnes ne se font plus dans la recherche d’un bien qui est commun à la société mais dans la recherche de leurs préférences personnelles. Le bien commun existe en soi, il n’est pas le fruit d’un hasard ou d’une somme. Il est un bien propre à une communauté, qu’elle soit politique ou économique. Si le bien est commun, il est indivisible et donc impossible à atteindre individuellement. L’entreprise fonctionne avec des collaborateurs ayant différents savoirs, talents et compétences. Cette complémentarité prouve la dimension commune et sociale du bien ou du service à produire. 9 Thibaut Collin, (2007), Individu et communauté, une crise sans issue ? Edifa Mame, Paris Conseil pontifical ‘Justice et Paix’, (2005), Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Éditions du Cerf, p.164 11 Benoit XVI, (2009), Caritas in veritate, Bayard – Cerf, Fleurus-Mame, Paris, § 7 12 Jean-Loup Dherse, Dom Hugues Minguet, (1998), L’Éthique ou le Chaos ?, ed Presses de la Renaissance, Paris, p.184 13 Pierre-Yves Gomez, (2013), La liberté nous écoute, Éditions Quasar, Paris, p.27 10 2 Le bien n’est pas qu’individuel puisque nous venons de démontrer qu’il est atteint à plusieurs. Il est donc commun ! Or poursuivre ensemble le bien commun apporte un bien personnel : il n’y a donc pas d’opposition entre le bien commun et le bien individuel. Dans son récit de vulgarisation de la doctrine sociale, Tanguy Marie Pouliquen résume ainsi l’articulation nécessaire entre le bien des individus et le bien commun : « Si le bien de la personne est premier, celui-ci s’accomplit dans le bien commun qui le finalise, pour autant que le bien commun soit réellement au service du bien des personnes »14. 1.5. Le bien commun n’est pas l’intérêt général Pour autant il ne faudrait pas croire que la DSE porte une vision collectiviste. Le bien commun n’est pas l’intérêt général qui reconnaitrait que certains puissent être lésés au bénéfice de la majorité. Au nom de l’intérêt général, on pourrait en sacrifier quelques uns afin que la société dans son ensemble progresse. La DSE nous rappelle que le bien commun n’est pas recherché pour lui-même : « Le bien commun n’est pas un bien recherché pour luimême, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elles seules peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien »15. Sans affirmer que le bien commun ne doit créer aucun mécontentement, la DSE affirme qu’il ne faut à priori éliminer personne. L’intérêt général a d’ailleurs supplanté la notion de bien commun au XVIII ème siècle, gardant dans l’esprit collectif la même signification alors qu’elles se distinguent. Car l’intérêt général ne vise que l’expression de la volonté générale, sans établir de distinction entre le bien et la volonté. Notre système juridique, garant de l’intérêt général, peut ainsi nous laisser croire que la loi dit ce qui est bon ou mauvais. Or la loi nous dit seulement ce qui est autorisé ou non mais elle n’a, à priori, aucune référence morale. Tout ce qui est permis n’est pas bon. Une note du Conseil d’État à ce sujet nous éclaire : « L’idée d’intérêt général peut évoluer en fonction des besoins sociaux à satisfaire et des nouveaux enjeux auxquels est confrontée la société »16. Il nous apparaît ici que la référence avouée de l’intérêt général serait en fait l’émergence d’enjeux nouveaux. On devine alors la capacité de lobbies économiques ou sociétaux à faire naître ces nouveaux enjeux afin de peser dans les décisions juridiques. Plus loin la note précise : « La représentation de l’intérêt général ne cesse d’évoluer, constituant même un indicateur de l’état de la société. » Telle est la différence fondamentale entre l’intérêt général et le bien commun, l’un s’adaptant aux évolutions et aux aspirations plus ou moins saines de notre société, l’autre gardant un cadre éthique, transcendant les effets de mode. 2. DE LA THEORIE A LA PRATIQUE : INCARNER LE PRINCIPE DE BIEN COMMUN DANS L’ENTREPRISE La tentation d’une recherche sur des questions de morale telle que nous les abordons serait de se limiter à la synthèse de pratiques à suivre pour être un ‘bon’ manager. Mais la chose étant plus complexe, il fallait dans une deuxième étape, avoir l’audace d’aller sur le terrain pour observer comment ce principe s’incarne chez ceux qui disent l’utiliser comme repère dans l’exercice de leurs responsabilités. C’est ainsi que nous avons sollicités des longs entretiens (une heure en moyenne) avec quatorze managers d’entreprises. Voici quelques caractéristiques de nos répondants. Sur 14 interviewés : - 12 connaissent la DSE et le principe du bien commun - 14 travaillent dans le secteur privé - 5 travaillent dans la finance 14 Tanguy Marie Pouliquen, (2009), Mieux vivre ensemble dans un monde en crise, ed. des Béatitudes, Nouan-leFuzelier, p. 40 15 Benoit XVI, (2009), Caritas in veritate, Bayard – Cerf, Fleurus-Mame, Paris, § 7 16 Rapport public du Conseil d’État, (1999), « Réflexions sur l’intérêt général », Le Conseil d’État, http://www.conseil-etat.fr/fr/rapports-et-etudes/linteret-general-une-notion-centrale-de-la.html 3 - 4 sont des femmes 2 sont retraités 2 sont entrepreneurs 2 sont syndicalistes Les interviews menées de façon ouvertes nous ont conduit à catégoriser les échanges en six grands thèmes. Le premier sur lequel les responsables ont largement partagé concerne la question du management. En recherchant le bien commun, les responsables s’interrogent sur la juste place à prendre dans les relations managériales… - Yvon S. : « Je me pose la question : suis-je à ma place ? Soit pour fuir, soit pour être partout ? » - Catherine J. : « Je n’essaye pas de mettre mon petit égo dans les décisions à prendre. C’est important de laisser le chef faire le choix car cela nous donne une plus grande liberté personnelle. » … Ils constatent aussi les problèmes actuels ou les difficultés auxquelles ils sont confrontés : - Fabienne P. : « Un problème est que les objectifs qui viennent d’en haut ne sont pas discutables par les managers. De plus, ils reçoivent des injonctions contraires très régulièrement. - Aude M. : « Au quotidien c’est difficile, parce qu’on a l’impression d’avoir fait les choses correctement, et en fait ce n’est pas le cas. Selon la personnalité, il y a ceux qui viennent dire pourquoi ils ne sont pas d’accord, il y a ceux qui vont faire la gueule et tout d’un coup, on se prend un seau de vomi. » La recherche du bien commun entraine aussi certains responsables à s’interroger sur la place du pauvre dans l’entreprise : - Yvon S. : « Pas seulement le sdf en bas de chez moi mais dans le couloir de mon entreprise : qui est celui qui traverse des difficultés professionnelles ou personnelles ? » - J-E. P. : « Deux personnes de l’équipe sont âgées entre 40 et 60 ans et ne maitrisent pas le métier du contrôle de gestion. Cela signifie que si elles devaient quitter l’entreprise, elles auraient beaucoup de difficulté à retrouver un travail, d’autant plus qu’elles sont restées 15 à 20 ans dans la même entreprise. J’ai fais le choix de les garder et de les former. » - Jean-Paul L. : « Je suis prêt à perdre un peu d’argent pour la rentabilité de l’entreprise à court terme en vu de l’adhésion et motivation de mes employés sur le long terme. Je dis aux actionnaires qui me le reprochent que mes employés savent qu’en cas de coup dur, si un site doit être fermé, l’entreprise les protège. Cela créé un climat de confiance et porte des fruits sur la fécondité du travail. » Le troisième thème qui ressort des échanges est celui de la résistance qu’implique l’engagement en faveur du bien commun : - J-G. L : « J’ai vérifié que j’aurais les mains libres pour orienter vers là où je voulais. Je n’aurais pas pris ce job si je n’avais pas eu la conviction que l’esprit avec lequel je voulais le faire serait permis par mes chefs et l’ensemble du système. » - Yvon S. : « Puis-je m’opposer à un projet qui va contre le bien commun ? Il n’y a pas de réponse oui/non. Il existe le principe de la fuite courageuse. De Gaulle par exemple n’a pas choisi de résister de l’intérieur. » - J-E. P. : « Celui qui m’a embauché me met régulièrement la pression pour que je vire l‘équipe. J’ai fait le pari de leur donner une chance en les formant. » Les responsables sont également nombreux à insister sur l’importance de responsabiliser les personnes. Là où la DSE insiste sur la confiance que le manager doit avoir pour exercer le principe de subsidiarité, les responsables montrent que celui-ci est conditionné à la part d’autonomie qu’un salarié est prêt à prendre : - J-E P. : « J’essaye de leur dire que c’est bon d’apprendre, d’évoluer, de changer en leur donnant les armes pour que ce changement soit possible pour eux. » 4 - J-G L. : « J’essaye de les faire grandir en liberté sur leur propre projet : pas attendre que l’entreprise décide pour eux. Faire grandir leur libre-arbitre. » Jean P. : « Le boss est quelqu’un qui doit donner du sens avant tout, c’est à dire qu’il transforme les objectifs de croissance, les objectifs économiques en leur donnant un sens. » Paul L. : « Maintenant la crise est finie donc on se transforme en profondeur, il faut que ce soit vous les managers qui repreniez les rênes. J’envisage mon rôle de dirigeant dans la manière de responsabiliser les personnes, de leur donner un objectif qui les fasse rêver. » En vu d’incarner le bien commun dans l’exercice de leur responsabilité, les personnes interrogées évoquent l’importance du maintien de l’équilibre entre l’engagement professionnel et la vie privée, équilibre qu’ils ont du mal à trouver : - Jean P. : « Les entreprises ont mis les pieds dans les maisons et les appartements des gens. Je milite pour le droit à la déconnexion. » - Paul L : « Même quand je rentre, il m’arrive de travailler un peu. Le week-end je travaille également 2-3 heures de la maison. » - Yvon S. : « Parfois je dois refuser une réunion le soir ou je dois refuser de partir en voyage un dimanche soir. Ce n’est pas simple de partir à 19h car on est toujours tenté de vouloir faire plus. » Enfin, le dernier grand sujet partagé par une majorité des responsables est celui du sens. Et plus particulièrement comment donner du sens à l’activité de mes équipes. - Yvon S : « Je ne peux pas obéir sans me poser la question du pourquoi. Cette question dérange car le management demande de faire et non de réfléchir. » - Jean P : « Par moment des gens sont virés, sans savoir pourquoi. Il y a des gens qui sortent de l’architecture, il y a des changements de dirigeants, il y a des orientations stratégiques qui sont renouvelées. Il y a des changements d’actionnaires, il y a des acquisitions, il y a des voltes face. » - J-G L : « Les salariés se disent : « Si on se lève le matin, pour faire un milliard de pertes, voir nos rémunérations baissées, et éventuellement se faire virer demain, à quoi bon ? ». » - Jean-Paul L. : « Être au contact des clients permet aux salariés de toucher la raison de l’entreprise, de leur activité. » 3. RECOMMANDATIONS MANAGERIALES 3.1. Comment mettre en pratique le principe du bien commun dans un environnement où le responsable ne maîtrise pas toutes les contraintes ? 3.1.1. Discerner la marge de manœuvre Notre recommandation est d’éviter le pessimisme pour entrer dans le réel. Concrètement, un responsable cherchant à travailler de façon à poursuivre le bien commun doit faire une analyse stratégique de son environnement et une analyse psychologique de sa hiérarchie pour discerner sa marge de manœuvre et agir selon ce qui lui est possible. Il y a deux moyens d’agir : en influençant en amont les décisions, et dans la manière de mettre en œuvre les décisions prises. Cela demande d’accepter de ne pas être tout puissant, de ne pas tout contrôler ; c’est pourquoi nous disons qu’il faut développer la vertu d’humilité. 3.1.2. Prioriser la famille Un des défis majeurs sur lequel nous alertons les responsables et les engageons à une forme de résistance, c’est le surinvestissement de l’engagement professionnel au détriment de l’engagement familial. Il s’agit là d’une observation majeure de notre étude sur lequel nous souhaitons interpeller les responsables. L’enjeu est de taille car la famille est la première cellule de la société et il est vital que les responsables ne négligent pas leur engagement familial, comme c’est le cas actuellement. Notre recommandation vise à 5 encourager les responsables à résister à la tentation de vouloir en faire toujours plus dans leur métier. Cela implique de développer la vertu de courage pour résister à la pression de sa hiérarchie. 3.2. Comment mettre en pratique le principe du bien commun dans un environnement où le responsable est en situation de décideur ? C’est la seconde recommandation et elle s’adresse aux responsables pour les encourager à un management de responsabilisation. C’est le plus grand défi qui ressort de l’étude que nous avons mené, celui de parvenir à responsabiliser les personnes pour qu’elles travaillent de façon autonome et proactive. 3.2.1. Donner du sens Nous recommandons aux responsables d’être capable de transmettre la vision qu’ils portent à leurs équipes. Le discours qui exprime cette vision est extrêmement important puisqu’il va impacter fortement la capacité d’entraîner l’équipe dans cette direction, et donc de ‘doper’ sa motivation. Un moyen concret est la co-construction des objectifs. Il s’agit de demander aux équipes de réfléchir sur leur propre performance et ‘challenger’ les objectifs qu’elles se voient en mesure d’atteindre. Un repère qui peut aider à trouver un juste équilibre dans la définition des objectifs est celui du : un tiers venant de l’entreprise, un tiers venant du manager et un tiers venant de l’équipe. Nous recommandons aussi aux responsables de donner du sens au métier de leurs équipes. Un salarié sert le bien commun parce que l’entreprise où il travaille offre un produit ou un service qui est utile à un client et à la société. Un moyen concret de remettre du sens dans l’entreprise, c’est de rapprocher les équipes du besoin des consommateurs. 3.2.2. Responsabiliser Ne pas sanctionner le salarié en échec ou en difficulté Cela passe concrètement par le fait de ne pas sanctionner l’échec. Il faut considérer qu’une erreur fait parti du processus d’apprentissage et d’autonomie de la personne. Une sanction de l’échec peut entrainer un stress négatif et une peur de prendre des initiatives. L’étude montre que l’entreprise est un lieu où le paraître est très important, et de ce fait les salariés ont tendance à cacher leurs difficultés. Nous recommandons aux managers d’être à l’écoute de leurs salariés car avouer ses faiblesses sans être jugé renforce l’unité de l’équipe. Ne pas multiplier les outils de contrôle Nous recommandons aux responsables de ne pas avoir un recours trop important des outils de contrôle (indicateurs) car ils vont justement dans le sens d’une déresponsabilisation des personnes. L’étude nous montre que la tentation actuelle est au développement des indicateurs. Celles-ci ne voient plus la direction de leur travail mais plutôt des objectifs de court terme à remplir. Il vaut mieux former les personnes à l’analyse plutôt qu’ajouter de nouvelles règles pour les empêcher de faire des erreurs. Dans cette perspective de ne pas contrôler les salariés, nous recommandons aux managers de permettre à leurs équipes d’avoir des temps gratuit, afin que des collègues puissent échanger de façon informelle sur des sujets qui dépassent le cadre professionnel. 6 Matrice de recommandations SITUATION 1: Comment mettre en pratique le principe du bien commun dans un environnement où le responsable ne maîtrise pas toutes les contraintes ? Défi Action possible Vertu sollicitée 1 - Éviter le pessimisme Discerner la marge de manœuvre Humilité 2 - Résister à l'engagement professionnel excessif Prioriser la famille Courage SITUATION 2: Comment mettre en pratique le principe du bien commun dans un environnement où le responsable est en situation de décideur ? Défi Action possible Vertu sollicitée Co-construire les objectifs Écoute 1 - Donner du sens Rapprocher les équipes du besoin des consommateurs Service Ne pas sanctionner le salarié en échec 2 - Responsabiliser ou en difficulté Tempérance Ne pas multiplier les outils de contrôle Confiance 7