Preuve de l`absence de discrimination syndicale

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Preuve de l`absence de discrimination syndicale
Cours d’appel
„ DISCRIMINATION SYNDICALE
Preuve de l’absence de
discrimination syndicale
376-16
CA Bordeaux, 8 oct. 2014, n° 12/03253
Un salarié, cadre de la SNCF depuis 1980 et titulaire de différents mandats syndicaux depuis
1993, sollicite la résiliation judiciaire de son
contrat de travail aux torts de son employeur.
Débouté de ses demandes par le Conseil de
prud’hommes de Bordeaux, il interjette appel de
la décision auprès de la Cour d’appel de Bordeaux
et invoque notamment des faits constitutifs de
discrimination syndicale à l’appui de sa demande.
Les demandes et argumentations
La cour d’appel, sans reprendre en détail l’argumentation des parties aux termes de son arrêt,
va rendre une décision motivée aux termes de
laquelle elle va considérer que les manquements
allégués par le salarié, notamment du fait de discrimination syndicale, ne sont pas établis et va débouter ce dernier de l’intégralité de ses demandes.
La décision, son analyse et sa
portée
Sans doute cette décision est classique sur le fond
du droit, notamment sur l’application faite de
l’article L. 1134-1 du Code du travail. Pour autant,
elle apparaît exemplaire tant sur l’analyse minutieuse des faits et des arguments invoqués de part
et d’autre que sur la cohérence du raisonnement
conduit et la pertinence des réponses apportées.
Fromont Briens
Avocat associé
Fromont Briens
fait laissant supposer l’existence d’une discrimination à son égard et, s’il y parvient, il incombe,
en second lieu, à l’employeur, de justifier d’éléments objectifs qui permettent de démontrer
que sa décision est étrangère à toute discrimination. La preuve de la discrimination syndicale
obéit ainsi à des règles qui dérogent à celles du
droit commun (C. civ., art. 1315).
Le juge du fond, saisi d’un litige relatif à une discrimination, a un devoir de vérification et de contrôle.
Il ne peut ainsi rejeter la demande d’un salarié qui
invoque des agissements de son employeur entravant l’exercice de son mandat, lesquels peuvent
laisser supposer l’existence d’une discrimination
syndicale, sans vérifier ces faits et se prononcer sur
les justifications de l’employeur (Cass. soc., 6 juill.
2011, n° 10-13.960). Le juge du fond dispose, à ce
titre, d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Selon la méthode précisée par la Cour de cassation, le juge doit considérer les faits dans leur
globalité. Il doit regarder si ces éléments, dans
leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une
discrimination et ne peut pas apprécier chaque fait
successivement pour en conclure qu’aucun ne permet d’établir que le salarié a été victime d’une discrimination (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-15.792).
• Une application rigoureuse de
l’article L. 1134-1 du Code du travail
En l’espèce, le salarié soutenait avoir été victime
de discrimination notamment syndicale dans
son évolution professionnelle et invoquait à cet
effet pléthore d’éléments. Étaient notamment
évoqués une absence d’évolution, une décision
irrégulière de mise à la retraite, son retrait du
« vivier des cadres de la SNCF » et même la décision de mise à disposition permanente auprès de
son syndicat, puis sa non-réintégration.
Pour rappel, en application des dispositions de
l’article L. 1134-1 du Code du travail, lorsque les
juges du fond se trouvent confrontés à l’appréciation d’un cas de discrimination allégué par
le salarié, la preuve de l’existence de cette discrimination s’opère en deux temps : en premier
lieu, le salarié doit présenter des éléments de
La Cour d’appel de Bordeaux, au regard des explications et des éléments versés aux débats, a rapidement écarté certains éléments, dont on peut
penser qu’ils n’étaient pas suffisants à constituer
« des éléments de faits », et à l’inverse, retenu la
décision de mise à la retraite et le retrait du salarié du « vivier » de candidatures comme permet-
Nº 376 25 NOVEMBRE 2014
Avocat
Nicolas Chavrier
Dans son arrêt du 8 octobre 2014, la Cour d’appel de Bordeaux prend en considération l’obligation de neutralité et le degré de responsabilité inhérents au poste pour justifier objectivement que l’absence de promotion professionnelle est étrangère à toute discrimination.
Les faits
Sandra Pouilley
Jurisprudence Sociale Lamy
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Cours d’appel
tant de présumer de l’existence d’une discrimination fondée sur
l’activité syndicale du salarié. Il appartenait dès lors à la SNCF, en
application du régime probatoire, de justifier d’éléments objectifs
étrangers à toute discrimination.
• Une décision exemplaire
Les juges ont en effet procédé à une analyse minutieuse des faits
de la cause et des arguments invoqués de part et d’autre, pour
ensuite apporter des réponses pertinentes. La Cour d’appel de
Bordeaux a ainsi pris le soin d’examiner chacune des justifications alléguées. Elle a notamment relevé que la liste du « vivier »
comportait neuf agents, dont le salarié, et que parmi ces derniers, seuls quatre cadres avaient été promus cadres supérieurs,
ce qui signifiait que le salarié n’était pas le seul à ne pas avoir pu
accéder au statut de cadre supérieur auquel il aspirait.
Elle a noté ensuite que la SNCF avait été en mesure de démontrer que l’accès à la catégorie de cadre supérieur n’était pas en
rapport avec l’ancienneté du salarié, mais liée à l’atteinte de
critères qualitatifs. Or, si le salarié avait toujours donné satisfaction s’agissant de ses compétences techniques, il apparaissait
que ses compétences managériales pouvaient être discutées,
sa hiérarchie ayant émis, depuis plusieurs années, des réserves
s’agissant de son caractère très directif.
La SNCF a par ailleurs allégué que le salarié avait un côté provocateur et n’hésitait pas à faire part sur son lieu de travail de ses
opinions politiques en faveur du Front national, argumentaire
que le salarié, en l’espèce, n’avait pas contesté.
La Cour d’appel de Bordeaux a retenu l’argumentaire développé
par la SNCF et a considéré qu’au regard de la neutralité qu’un
employeur est en droit d’attendre d’un cadre supérieur, le caractère provocateur du salarié était incompatible avec le degré de
responsabilité qu’impliquait un poste de cadre supérieur.
La cour d’appel a précisé que : « ces éléments de personnalité
qui sont essentiels pour des cadres supérieurs ont pu légitimement
être pris en compte par la SNCF pour considérer que le potentiel
détecté chez M. X pour occuper un poste à très haute responsabilité ne s’était pas confirmé et ne pas le maintenir sur cette liste
« vivier 1 » dans la perspective, toujours éventuelle, de le nommer
ultérieurement sur un poste de classe 1. Cette première décision de
l’employeur est donc justifiée par des éléments objectifs étrangers
à tout comportement discriminatoire ».
La cour a donc validé les justifications apportées par la SNCF basées sur les traits de personnalité du salarié, et plus particulièrement son absence de neutralité dans ses propos et son comporte-
TEXTE DE L’ARRÊT (EXTRAITS)
(…) S’agissant de la discrimination syndicale
et professionnelle : (…).
M. X... soutient avoir été victime de discrimination, notamment syndicale dans son évolution professionnelle depuis 1995, date depuis
laquelle il n’évolue plus, l’employeur l’ayant
au surplus retiré en 2003 du ‘vivier 1’ permettant d’être affecté sur un poste de cadre
dit supérieur, la SNCF ayant également tenté
de le mettre d’office, et irrégulièrement, à la
retraite en octobre 2006 avant de le mettre
à la disposition permanente de son syndicat à
compter de janvier 2007.
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ment, et a combiné celles-ci au degré de responsabilité inhérent à
la fonction de cadre supérieur, pour considérer que la décision de
retrait de la candidature du salarié, si elle constituait une décision
susceptible de porter atteinte à l’évolution professionnelle du salarié, demeurait étrangère à tout motif discriminatoire.
Dans cet arrêt, sous couvert de l’obligation de neutralité, la Cour
d’appel de Bordeaux a donc retenu comme élément objectif un
élément de la personnalité du salarié, à savoir son caractère provocateur, un critère potentiellement à la frontière de l’atteinte à
la liberté d’expression du salarié, laquelle est naturellement plus
étendue s’agissant d’un représentant du personnel.
Cette décision amène ainsi, indirectement, à s’interroger sur la conciliation entre la liberté d’expression du salarié, que la Chambre sociale
tend à protéger très largement, voire la liberté d’opinion (étant rappelé que l’article L. 1132-1 du Code du travail interdit toute discrimination fondée sur les opinions politiques) et le degré de responsabilité
dont dispose le salarié dans l’exercice de ses fonctions.
Pour autant, la position de la cour d’appel ne nous semble pas
dénuée de sens dès lors que les fonctions d’encadrement et un
niveau de responsabilité élevé peuvent justifier en pratique un
certain devoir de réserve, ou à tout le moins, l’absence de comportement provocateur.
Il est intéressant toutefois de relever que, dans le cas d’espèce,
il avait été proposé au salarié de candidater ultérieurement à un
poste de responsable des ressources humaines, alors même qu’il
s’agit d’une fonction pour laquelle l’obligation de neutralité nous
semble évidente.
On ne peut ici que relever le travail exemplaire des juges dans
l’application de la règle de droit et la pertinence des réponses
apportées.
N’est-il pas opportun de rappeler enfin que, même si certains justifient de la mise en place du régime probatoire aménagé par le fait
qu’il est difficile de prouver l’intention discriminatoire de l’employeur,
ce dernier cherchant à la dissimuler et non à en faire part ouvertement, il est tout aussi difficile pour un employeur de devoir apporter
une justification à chaque événement de la vie professionnelle.
Bien souvent, ces décisions ne sont empreintes d’aucune volonté
discriminatoire de quelque nature que ce soit, mais ne peuvent
être réellement justifiées. La SNCF avait dans cette espèce heureusement pris la peine de tracer chacun des faits en cause. Puisse
cette décision servir de « canevas » (ou de modèle) à nos juges afin
de leur permettre la rédaction de décisions donnant pleinement
satisfaction tant aux professionnels du droit qu’aux justiciables.
Sur ce dernier point, il est pour le moins paradoxal de qualifier de discrimination pour raison
d’appartenance syndicale l’accord donné par
la SNCF à la mise à disposition permanente
du syndicat CFE-CGC de M. X... à compter du
1er janvier 2007, laquelle a supposé, outre un
financement partiel du maintien de salaire par
l’employeur, une acceptation des trois parties
l’employeur, le salarié et la CFE-CGC.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétend
M. X..., ce dernier a connu une progression de
carrière plus rapide que la moyenne pour atteindre le 1er janvier 2003 le plus haut grade
des cadres statutaires au sein de la SNCF, soit
le grade H niveau 2 après avoir été nommé,
dans un délai particulièrement court, au grade
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H niveau 01 le 1er juillet 1995. Il convient d’observer également que M. X... exerçait des mandats syndicaux depuis l’année 1993.
En revanche, il est constant que les entretiens
d’évaluation annuels de M. X... font apparaître
qu’il a été retiré en 2003 du ‘vivier 1’ pour
accéder à la catégorie des cadres de classe 1,
cadres supérieurs, et que par ailleurs par décision en date du 04 octobre 2006 remise en
mains propres le 11 octobre 2006 la SNCF a
placé M. X... d’office à la retraite.
Ces deux éléments permettent de présumer
une discrimination syndicale et il appartient à
l’employeur de justifier des éléments objectifs
ayant fondé ces décisions. (…).
Nº 376 25 NOVEMBRE 2014