L`astronome Benjamin Baillaud et la petite histoire de son buste
Transcription
L`astronome Benjamin Baillaud et la petite histoire de son buste
L’astronome Benjamin Baillaud et la petite histoire de son buste érigé dans un jardin public de Chalon-sur-Saône par Lucien Baillaud C’était en 2001. Mon beau-frère Jean-Marie Rouillard avait rencontré le docteur Ernest Hantz, un médecin militaire qui s’était distingué au printemps de 1954 en se faisant parachuter, volontaire, sur Diên Biên Phu assiégé. Au cours de la conversation, Jean-Marie a appris que son voisin avait passé son enfance à Chalon-sur-Saône ; il lui parla du buste de notre aïeul Benjamin Baillaud. Justement le docteur Hantz a eu souvent l’occasion, dans sa jeunesse, de jouer dans le square du Palais de Justice, autour du « Baillaud » ; il signale que son beau-frère Fernand Nicolas dirige une revue de Saône-et-Loire et apprécierait sans doute un article à propos de mon grand-père ou de ce buste ; il y a aussi la revue chalonnaise de M. Henri Huet. Du beau-frère de l’un au beau-frère de l’autre, voilà comment j’ai été amené à me documenter sur ces thèmes, toutes publications de Saône-et-Loire mises à part. Mon texte contient-il des erreurs ? Si c’est le cas, je prie le lecteur de croire néanmoins à mon souci d’exactitude et de recevoir mes excuses. S’il est trop long, c’est que j’ai pris trop d’intérêt à le faire : puisse l’intérêt être partagé ! Quand on voit un buste dans un jardin public, on peut se demander ce qui s’est passé entre le temps de la vie du personnage et la mise en place de la sculpture. L’auteur de ces pages a été étonné de ce qu’il a appris ; en particulier il ignorait que le point de départ de la confection de ce buste était une affaire purement intérieure à la famille, sans aucun projet d’exposition au regard du public. Jérôme Lamy (2004), dans sa thèse sur l’observatoire de Toulouse, met en garde contre les illusions que peut cacher toute entreprise biographique, s’appuyant notamment sur des nécrologies. On est obligé ou tenté de se mettre plus ou moins à la place du personnage, dans son époque, dans son milieu social : empathie hasardeuse ou même outrecuidante. Puisse le texte de cette deuxième édition s’approcher de la vérité. Origines L’astronome chalonnais Benjamin Baillaud, mon grand-père, est né le 14 février 1848 dans l’étage mansardé d’un immeuble [Figure 1] que ma jeune nièce par alliance Virginie Gaiffe, alors domiciliée à Chalon, a pu identifier grâce à l’aide d’une Chalonnaise de longue date : c’est l’actuel 9, place de l’Obélisque, immeuble au rez-de-chaussée duquel on a longtemps vu la Brasserie du Tonneau d’Or, réputée, me dit M. Henri Huet, pour ses dégustations d’huîtres [Figure 2]. Son père, Joseph Baillaud, était fils d’un vigneron ruiné de Mesnay, près d’Arbois ; jeune, il avait cependant fait des études au collège de Dole. Pour le service militaire il avait tiré un mauvais numéro, il était donc parti sept ans. Après avoir contribué à ce qui a été appelé la « pacification de l’Algérie » il avait épousé une fille d’un capitaine de l’Empire en retraite, pétrie de foi catholique, Zoé Jouvenot-Lefebvre ; il avait acheté à crédit pour 8 000 francs une charge d’huissier à Arbois. Il parvenait à grand-peine et de plus en plus difficilement à régler à son prédécesseur les intérêts très lourds de sa dette. Après cinq ans il fut heureux de revendre sa charge, pour la payer ; il obtint un emploi à la sous-préfecture puis à la mairie de Chalon-sur-Saône. On a dit qu’à Arbois il avait connu Louis Pasteur ; du moins il a connu des Arboisiens qui connaissaient leur illustre concitoyen. Ici, je hasarde des conjectures : du fait de ses propres activités professionnelles il savait que l’instruction est une aide précieuse dans l’existence ; du fait de la carrière de Pasteur, il ne pouvait ignorer que l’École normale supérieure était un excellent tremplin dans l’ascension sociale à cette époque ; sans évoquer ce qu’il y a souvent de malsain dans l’ambition, je veux dire qu’il savait que les études, ce n’était pas du temps perdu ; son fils Benjamin le savait aussi. Le ménage de Joseph eut sept enfants, dont deux moururent jeunes ; les allocations familiales n’existaient pas ; les ressources furent maigrement augmentées par la mère, avec un petit commerce d’épicerie ; il était très opportun que les enfants gagnent leur vie au plus tôt ; Benjamin pensait qu’il devait à la grande activité de sa sœur aînée Emma, institutrice libre, d’avoir pu, lui-même, ne pas prendre de travail salarié dès sa jeunesse. Il affirmait que c’était une grande faveur, pour un enfant, d’avoir une sœur aînée. Des bourses octroyées par la municipalité (elles étaient rarissimes à cette époque) permirent à Benjamin de faire ses études au Collège de Chalon. Après son baccalauréat, ses professeurs lui conseillèrent de demander une place de maître d’études ; ce n’avait jamais été son intention ; il obtint de la municipalité la reconduction de sa bourse, lui permettant d’aller au Lycée de Lyon se préparer à l’École normale supérieure ; elle ne suffisait pourtant pas ; son oncle Louis Baillaud, qui avait un modeste emploi de comptable rue du Châtelet, à Chalon, le quitta et alla s’installer à Lyon où il trouva un travail ; le jeune étudiant vécut chez lui pendant deux ans. On ne pouvait pas prévoir que Benjamin serait plus tard le recours de 1 plusieurs membres de sa famille dans divers cas de nécessité. À vingt et un ans il sortait de l’École de la rue d’Ulm agrégé de mathématiques, professeur au Lycée de Montauban. Pasteur, directeur de l’École, avait remarqué que Baillaud était un peu son compatriote, mais cela n’alla pas plus loin à ma connaissance. L’institution des concours était un des grands outils démocratiques du développement de l’État. Débuts professionnels Une importante retombée positive de son séjour à l’École normale [Figure 3] fut son amitié pour le futur mathématicien Jules Tannery et le futur physicien Edmond Bouty [Figure 4]; en dehors d’un courant de sympathie décisif, tous trois étaient unis par des principes communs, comme le sens du civisme [deletions] ou le goût pour la science ; ils siégèrent plus tard à l’Académie des sciences, mais entre-temps Benjamin avait épousé Hélène Pons, la sœur laissagaise de la femme d’Edmond, et Jules avait épousé Esther Baillaud, la sœur chalonnaise de Benjamin : construction d’un nœud familial solide. Les enfants des uns et des autres, puis les petits-enfants, cousinèrent joyeusement dans une robuste affection mutuelle ; l’un d’eux, Jean Tannery je crois (ou leur cousine Gabrielle Billaudeau ?), parlait plaisamment d’une « société d’admiration mutuelle ». Par ailleurs, le fait de sortir de la vie monacale de l’É.N.S. l’introduisait dans un réseau universitaire amical de premier ordre. 1870-1871, la guerre et la chute de l’Empire. Benjamin était dispensé du service militaire du fait de son engagement décennal dans l’enseignement. Mais une garde nationale fut organisée temporairement : à Montauban il en fut élu lieutenant-colonel, avec, par intérim, la responsabilité de plus de deux mille hommes. La déchéance de l’empereur n’instaurait pas vraiment la République. Benjamin intervint dans les débats électoraux ; il présida à Toulouse une réunion électorale en faveur du républicain Freycinet ; il participa à la fondation d’un journal, Le Républicain de Tarn et Garonne, hostile au député bonapartiste Prax-Paris ; sur la demande de ce dernier il fut muté hors de Montauban ; il fut envoyé au lycée de Saint-Quentin. Le journal continua de paraître ; il parut même sous le gouvernement de Vichy : il termina son existence en 1944. Rien ne me permet de penser que Benjamin ait pris cette mutation, cette sanction, comme une obligation du fonctionnaire à rester neutre en matière politique. Au contraire, un an plus tard il prononça un discours de distribution des prix [c’était souvent au dernier arrivé que l’on demandait ce discours de fin d’année scolaire.] à l’accent vivement républicain et antibonapartiste, qui avait été auparavant censuré par l’administration, mais dont il publia le texte in-extenso à deux reprises. Je n’ai aucune raison de croire qu’il se soit par la suite consciemment soumis à des exigences républicaines de neutralité. Mais il pensait que, comme fonctionnaire de l’État, il ne devait pas critiquer publiquement son employeur, le Gouvernement lui-même ni ses décisions. Les années suivantes, Benjamin fut nommé à Paris dans divers lycées successivement et à l’Observatoire, comme élève puis comme aide astronome. Là, conseillé par Charles Delaunay, Charles Hermite, Victor Puiseux, il envisagea plusieurs sujets de thèse. Il renonça à partir au loin observer le passage de Vénus devant le Soleil en décembre 1874. Il consacra sa thèse aux perturbations des mouvements des comètes ; Le Verrier, directeur très redouté, appréciait Benjamin ; il le choisit pour le suppléer à la Sorbonne. Travailleur acharné, il écrivait à son futur beau-frère Edmond Bouty (22 juin 1872, il avait vingt-quatre ans) : « Je ne peux […] dissimuler que j’ai toujours eu au fond du cœur un peu de vanité et beaucoup d’ambition. […] Je ne manque pas de patience et même d’énergie. […] Je travaillerai […] autant qu’un homme peut le faire, et si l’on a besoin de moi, on me trouvera prêt à mettre mon savoir au service de la science et de mon pays. » Se sentait-il un tempérament de « locomotive » ? S’il n’avait pas été fondamentalement dévoué et désintéressé, on dirait peut-être que c’était un « jeune loup », mais, nuance essentielle, il précisait lui-même (21 avril 1873) : « J’ai toujours été ambitieux, bien que j’aie oublié d’être intrigant. » Aussi, le déroulement de sa carrière me fait penser, sur un plan plus terre à terre, à la parabole évangélique des talents quand je lis ce qu’il écrivait à sa femme, le 13 juin 1875 : « je dois à tous le souci de ma position. Je dois aller aussi loin que faire se pourra. J’en ai la ferme volonté. » M. Brion, professeur du collège de Chalon, auquel il devait beaucoup, lui écrivait (3 janvier 1878) : « Vous avez ce qu’il faut pour réussir, l’intelligence, la persévérance et la santé. » Depuis quelque temps il était question de lui proposer un poste de directeur d’Observatoire à Toulouse ou à Bordeaux. La défaite de 1871 avait marqué les responsables de l’État ; l’Allemagne, riche en Universités florissantes, triomphait ; il devenait urgent de développer les Universités, les établissements scientifiques, de France. C’est une idée que Louis Pasteur a exposée auprès des pouvoirs publics. Benjamin Baillaud l’avait exprimée avec véhémence en 1871 dans son discours de distribution des prix, dont il avait diffusé des tirés à part et qu’il avait fait réimprimer pour en accroître la diffusion. En ce qui le concernait, il fit son possible pour contribuer à ce développement. À l’Observatoire et à la Faculté des sciences de Toulouse En 1878, âgé de trente ans, B. Baillaud est envoyé à Toulouse pour professer l’astronomie à la Faculté des sciences et diriger l’Observatoire. Il sera nommé définitivement l’année suivante. Son foyer comptait quatre enfants, Émile (1874- 2 1945), Jules (1876-1960) et les jumeaux Henri (1877-1939) et Madeleine (1877-1961). Quatre autres s’ajoutèrent : Marthe (1882-1978), les jumeaux Pierre (1885-1906) et René (1885-1977), puis Hélène (1892-1976) [Figure 5]. Pour les enfants d’une famille nombreuse, bénéficier d’un logement de fonction dans un observatoire était une chance incroyable, favorisant la venue des amis et des camarades. Mais revenons au père de famille. Mathématicien de formation il se fit connaître le long de sa carrière par ses recherches de mathématiques, sur le calcul numérique des intégrales définies, sur la surface de l’onde, par ses publications d’astronomie de position et de mécanique céleste sur la théorie des perturbations, sur les quadratures mécaniques ; il éprouvait une très grande joie dans les observations astronomiques proprement dites, qu’il s’efforçait de réaliser avec une précision inhabituelle, sur les taches du Soleil, les comètes, les satellites de Saturne et de Jupiter, les occultations d’étoiles par la Lune, les étoiles doubles, la nébuleuse de la Lyre, etc. Ces travaux étaient excellents tout en étant, fit remarquer son fils Jules, du niveau de ceux de bien d’autres astronomes. Il déploya aussi son activité sur d’autres plans. Durant trente années il développa l’Observatoire de Toulouse, dont il fit le premier observatoire français de province, par l’équipement, par le personnel, par l’activité scientifique et par l’organisation du travail, que l’on a comparée, souligne Jérôme Lamy, à celle d’une usine « minutieusement réglée ». Un grand équatorial visuel et un grand télescope avaient été commandés par Félix Tisserand, son prédécesseur ; il acquit de plus un cercle méridien et un équatorial photographique ; il surveillait personnellement la réalisation des fondations des coupoles, et en particulier la construction des piliers des instruments, gages de la valeur des observations. Il ne négligeait pas les observations météorologiques ni les mesures du magnétisme terrestre. Et n’oublions pas le développement du Pic du Midi, longtemps spécialisé dans la physique du globe. Des Annales de l’Observatoire de Toulouse, recueil de travaux effectués dans l’établissement, avaient été publiées auparavant. En 1880 il les relança en publiant le premier volume d’une nouvelle série, éditée à Paris par Henri GauthierVillars ; cette série continua de paraître jusqu’en 1968. En ce qui concerne la diffusion de la connaissance auprès du public, il donnait des cours d’astronomie populaire illustrés de projections (de photographies et de dessins). Le public était invité à visiter l’observatoire. Son établissement participait à l’Exposition Universelle de 1900, montrant des photographies de la Lune et diverses images du ciel. Il associa très activement son observatoire à l’une des premières œuvres scientifiques internationales, la Carte photographique du Ciel, lancée en 1887 par l’amiral Mouchez, directeur de l’Observatoire de Paris. En matière de sciences, Benjamin Baillaud était un astronome-mathématicien entreprenant, peut-être porté à faire développer surtout, dans son observatoire, les domaines de sa compétence. Utilisant les techniques photographiques modernes de l’époque, créées par les astronomes de Paris Paul et Prosper Henry, c’était une manière nouvelle de concevoir la description du monde des astres, « œuvre capitale, dira plus tard un peu pompeusement Ernest Esclangon, le directeur de l’Observatoire de Paris connu du grand public pour la réalisation de l’horloge parlante, œuvre capitale qui contient en germe d’admirables découvertes, parce qu’elle permettra, dans l’avenir, de mettre en évidence les mouvements stellaires, d’en découvrir les lois d’ensemble [...] » : on pouvait du moins le penser ; que cette anticipation soit vérifiée ou non de manière grandiose, en tout cas à Toulouse la Carte du Ciel demanda à Benjamin Baillaud un gros travail d’organisation, de calculs et de publications ; elle fut un fort stimulant pour le développement des observatoires qui y participèrent et en particulier celui de Toulouse. Huit ou dix dames étaient affectées aux mesures et aux calculs nécessaires [Figure 11]: au XIXe siècle, des femmes (sans qu’apparaissent leurs noms) étaient parfois associées à des activités scientifiques ; l’amiral Mouchez avait fait de même à Paris ; à Toulouse, souligne Lamy, elles travaillaient dans une salle à part. Dix-huit observatoires dans le monde avaient accepté de collaborer à cette œuvre ; il s’agissait de photographier le Ciel en détail et de mesurer la position et la magnitude d’une énorme quantité d’étoiles ; on pouvait penser qu’en cinq ou six ans tous les clichés photographiques seraient pris, qu’en quinze ou vingt ans l’ensemble du travail serait achevé. C’était un piège, il fallut plus d’un demi-siècle ; en 1958 on arrêta la publication des clichés (environ la moitié de l’ensemble) ; en 1964 le catalogue était achevé. Jérôme Lamy pense que le résultat le plus important de cette participation à la Carte du Ciel a été de montrer la voie aux opérations internationales. Après l’avènement de la république, de nombreux cadres administratifs ont été remplacés par de plus jeunes, ralliés aux idées nouvelles. En 1879, le poste de doyen de la Faculté des sciences de Toulouse fut vacant ; je suppose que le doyen sortant, nommé dans les premiers temps de l’Empire, âgé de 66 ans, justifiant de 44 années d’ancienneté, doyen zélé depuis plus de 25 ans, mais passant pour peu ouvert au changement, avait été poliment convié à se retirer ; le choix du nouveau doyen relevait du ministre ; le recteur Chappuis proposa Baillaud : « C’est un homme de grand sens », écrivait-il, « et de caractère le plus ferme […]. C’est un homme fort intelligent et fort laborieux, très-dévoué à l’Université et aux idées libérales, qui par son caractère aura de l’action sur les professeurs, par son dévouement exercera la plus heureuse influence sur les élèves de la Faculté. » Il fut nommé. Le plus jeune de ses collègues avait cinquante-sept ans, il en avait trente et un. Depuis quelques années des rumeurs fâcheuses couraient, le recteur l’avait signalé à la haute administration, mais les preuves manquaient. Baillaud était à peine nommé doyen que le scandale éclata : la pratique des recommandations pour les examens était alors dans les habitudes admises ou tolérées, même si leur efficacité n’était nullement démontrée ; la mère 3 inquiète d’un candidat au baccalauréat voulut recommander son fils au professeur de mathématiques ; c’est l’épouse du professeur qui lui répondit, par écrit : elle avait besoin de mille francs, son mari aurait beaucoup de bienveillance pour le jeune homme et elle pouvait compter sur son succès ; la lettre fut divulguée, elle fut commentée par un journal satirique toulousain, La Guêpe (le 16 novembre 1879, puis encore le 23) ; le nouveau doyen alerta le recteur. Cela conduisit au départ anticipé en retraite du professeur ; cent dix ans plus tard, l’affaire était oubliée, la municipalité donna le nom de ce professeur à une rue de Toulouse, mais, quant à lui, en 1879, Baillaud était stupéfait et violemment indigné, très très violemment. De plus, catholique pratiquant, d’une neutralité sourcilleuse dans l’exercice de sa profession, il était très choqué des relations ostensibles de ce ménage apparemment corrompu avec le clergé toulousain. Ces événements entraînaient la vacance d’une chaire de mathématiques : dans son ardeur, il chercha aussitôt à pourvoir cette chaire, en visant haut. Il n’obtint pas la nomination du jeune Paul Appell (vingt-quatre ans), mais il réussit à faire nommer, contre les usages de la prééminence parisienne de l’époque, un maître de conférences de Paris de très grande réputation, Émile Picard (vingt-trois ans), futur secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Devant l’effectif dérisoire des étudiants et l’insuffisance numérique du personnel de la Faculté (neuf professeurs et maîtres de conférences pour l’ensemble des sciences), il décida le ministère à créer des postes, même si cela devait entraîner des demandes justifiées de la part des autres Facultés des sciences. C’était d’autant plus nécessaire que le gouvernement, à cette époque, développait l’enseignement secondaire et avait besoin de nouveaux professeurs pour ses lycées et collèges. Il fit mettre en place des travaux pratiques (« des manipulations »), innovation à Toulouse. Il organisa une préparation à l’agrégation. Le nombre des étudiants de la Faculté augmenta. Encouragé par la nomination d’Émile Picard, lorsque des postes furent à pourvoir, il fit toujours en sorte d’obtenir des professeurs du plus haut niveau possible, malgré parfois les réticences de ses collègues ; son beau-frère Jules Tannery, en poste à l’École normale supérieure, était un excellent conseiller, pour l’aider à repérer de vraies valeurs ; il bénéficiait aussi des conseils de son autre beau-frère, le physicien Edmond Bouty, ainsi que du mathématicien Gaston Darboux et de Félix Tisserand, avec lesquels il était en confiance. De 1884 à 1902, le directeur de l’enseignement supérieur était Louis Liard, son condisciple de l’École normale. Ce sont alors d’autres personnalités de première grandeur qu’il fit nommer à Toulouse, comme Henri Andoyer, Marcel Brillouin, Eugène Cosserat, Aimé Cotton, Édouard Goursat, Gabriel Kœnigs, Jean Stieltjes ou Ernest Vessiot, Paul Sabatier aussi, futur prix Nobel, en balance avec un honnête universitaire qui avait rendu des services à la Faculté mais qui peut-être ne faisait pas le poids ; les naturalistes ne furent pas oubliés dans ces choix de haut niveau. Plusieurs de ces maîtres retournèrent rapidement à Paris, continuer leur carrière, mais ils donnèrent un éclat exceptionnel et durable à l’établissement. De 1810 à 1879 la Faculté avait décerné une moyenne de 2,75 licences par an ; de 1880 à 1897, une moyenne de 15 par an. Les locaux de la Faculté, rue Lakanal, étaient misérables ; il en fit construire de décents dans les terrains du Jardin des Plantes (1889), sur les allées « Saint-Michel », selon des plans établis en collaboration avec son collègue Sabatier, après un projet préliminaire élaboré à Laissac en 1884 avec Paul Sabatier et Edmond Bouty. Afin d’encourager les travaux scientifiques des Toulousains il créa, en 1887, les Annales de la Faculté des sciences de Toulouse pour les sciences mathématiques et les sciences physiques, encore éditées par Gauthier-Villars ; cette publication plus que centenaire continue de paraître chaque trimestre, spécialisée dans les seules mathématiques. Il projeta de lancer l’équivalent pour les sciences naturelles, en coopération avec l’École vétérinaire ; l’éditeur prévu était Masson ; mais cela n’aboutit pas. Les études médicales manquaient de bases scientifiques. Les Facultés de médecine n’étaient pas en mesure de les fournir. Un remède était d’organiser dans les Facultés des sciences une année d’études scientifiques, à l’issue du baccalauréat, avant l’entrée dans les Facultés de médecine. C’est à Toulouse que fut tentée l’expérience, en 1891. On a dit que c’était la première fois que le Ministère faisait une expérience avant d’inaugurer une réforme. Le système du certificat de sciences physiques, chimiques et naturelles (P.C.N.) dura, avec divers changements, quelque quatre-vingts ans, jusqu’à l’époque où l’évolution des programmes des lycées et l’évolution des Facultés de médecine ont eu permis à ces dernières de revendiquer cet enseignement pour elles-mêmes. À l’ouverture de la Faculté des sciences vers l’agrégation et vers la médecine, réalisée par Benjamin Baillaud, s’ajoutait, commencé dès son décanat, un développement vers les sciences appliquées, sous l’impulsion de Sabatier. Cependant dans la famille de Benjamin on entendit s’exprimer le regret que des responsabilités administratives lui aient été confiées si tôt, dans la force de l’âge, freinant ses travaux personnels. C’était l’avis d’Edmond Bouty, qui avait les confidences de Tisserand, le directeur de l’Observatoire de Paris. Il resta doyen neuf ans. Le gouvernement décida alors que les doyens seraient élus. Si on a le droit de vote, ce n’est pas pour reprendre le chef d’établissement imposé précédemment 4 par l’administration. Je suppose que ses collègues lui reprochaient un caractère autoritaire. Même Sabatier, dit-on, vota contre lui. Un autre doyen fut élu, en 1888, qui démissionna deux ans plus tard sans attendre la fin de son mandat ; pour le remplacer, Benjamin n’était pas candidat, il fut élu quand même, pour trois ans de plus (1890-1893) ; c’est de ce dernier mandat que date la réforme de l’entrée dans les Facultés de Médecine. On plaisante souvent, et parfois à juste raison, sur le « goût du pouvoir », ou même « l’ivresse du pouvoir » de ceux qui assument des responsabilités, à quelque niveau que ce soit, mais on est heureux qu’il y ait des gens pour le faire ; j’espère que mon grand-père y trouvait du plaisir, cependant ses douze ans de décanat lui suffirent. La Faculté des sciences de Toulouse était vraiment refondée. Il passa encore une quinzaine d’années à l’Observatoire de Toulouse, dégagé de la gestion de la Faculté. Mais il avait un tempérament actif. – C’est en 1893 et 1897 qu’il publia les deux volumes de son Cours d’astronomie, huit cents pages, dont je pense que c’était un tout autre travail que la seule reprise de ses notes de cours. – En 1905 les deux volumes de la correspondance d’Hermite et de Stieltjes. – En 1907 il fut choisi comme secrétaire du Conseil des observatoires. – Pendant ses séjours chez ses beaux-parents dans l’Aveyron, il avait été émerveillé par la clarté du ciel étoilé de cette région ; il pensa monter une station astronomique non loin de là, en Lozère, au Massegros ; c’était dans le territoire de l’Académie de Montpellier, il prit des contacts, qui n’aboutirent pas. Mais, sur la suggestion du recteur Perroud, il établit la station astronomique du Pic du Midi, contrairement à l’idée reçue, fondée ou non, selon laquelle les observations sur un pic seraient gênées par les courants ascendants de l’atmosphère ; c’était alors l’observatoire le plus élevé du monde en altitude, les images y étaient d’une beauté exceptionnelle pour l’époque. Je n’insiste pas sur les démarches nécessaires, sur le nombre de fois que mon grand-père monta au Pic du Midi, sur le transport par des chemins malaisés et l’installation des instruments, sur les observations astronomiques auxquelles il participa personnellement, etc. Faire du Pic du Midi un observatoire astronomique ne se réalise pas en un clin d’œil, comme le montrent les ouvrages de E. Davoust et de J.-C. Sanchez. Candidatures à Paris Lorsqu’il fut nommé à Toulouse, en 1878, il venait de participer à l’activité de l’Observatoire de Paris et de la Sorbonne. Trouvait-il qu’il perdait un peu son temps à Toulouse ? À plusieurs reprises il envisagea de continuer sa carrière à Paris, à la Faculté des sciences ou à l’Observatoire ou les deux à la fois ; pour le cas où certains se poseraient la question, je précise que sa correspondance ne permet pas d’attribuer ses visées parisiennes à de simples sentiments de vanité (espoir d’être élu membre de l’Académie) que d’autres lui ont attribués, mais plutôt au souhait d’élargir ses responsabilités. Les nominations dépendaient de divers votes. Quand des postes risquaient d’être vacants, son beau-frère Bouty, dès 1882, se renseignait sur les chances qu’il avait de réussir. Il était d’usage que les postulants aillent personnellement se présenter à chacun de ceux qui auraient à voter. Il arriva à Benjamin de faire, pour un poste à la Sorbonne, une campagne de « visites », qui s’annonçait favorablement mais à laquelle il ne donna pas suite : il aurait voulu que cela s’accompagne d’un poste à l’Observatoire ; par H. Poincaré et E. Bouty il sut que le directeur, Maurice Lœwy, ne faciliterait pas les choses ; et puis, sa famille et lui étaient quand même très attachés à Toulouse. En 1907, une candidature âprement disputée aboutit à sa nomination en 1908 à la tête de l’Observatoire de Paris. Les circonstances de cette nomination ont été l’objet de quelques rebondissements qui surprennent aujourd’hui. Il y avait plusieurs candidats. Le ministre devait demander l’avis de l’Académie des sciences et du Conseil de l’Observatoire de Paris. En dehors de toute considération sur la valeur des hommes, la compétition fut rude entre Baillaud, astronome universitaire qui avait consacré une grande part de son activité à organiser le travail des autres, montrant son expérience de responsable d’établissement scientifique et sa compétence en ce domaine, et Guillaume Bigourdan, astronome à plein temps, qui avait pu exploiter à fond sa compétence dans l’observation des nébuleuses et acquérir sa notoriété par ses travaux personnels ; ou encore entre l’homme de la province, qui, de ce fait, n’était « que » correspondant de l’Académie des sciences, et son concurrent installé à Paris depuis vingt-huit ans, membre (et gendre d’un ancien membre) de l’Académie. Les séances hebdomadaires de l’Académie favorisent les relations d’amitié et de travail. Henri Poincaré lui-même, lié avec Bigourdan, avait très loyalement écrit à Benjamin qu’il voterait pour celui-ci, notamment du fait de telles activités de travail en commun, les différences de qualification (qu’il ne niait pas) entre les deux candidats ne lui paraissant « pas assez fortes » pour « briser l’avenir d’un collaborateur ancien et zélé. (…), pour contrebalancer les raisons que je pourrais avoir de voter pour lui. » [http://www.univ-nancy2.fr/poincare/chp/text/baillaud190712.xml] Il reconnaissait ainsi la supériorité de la candidature de Baillaud. Je ne sais si Poincaré pensait que Baillaud n’aurait pas besoin de sa voix pour obtenir la majorité ; je ne sais s’il lui a envoyé cet avis écrit pour qu’il puisse en faire état à l’appui de sa candidature. Bigourdan, qui ne sortait pas d’une « grande École », était un catholique affiché, on prétendit qu’il était appuyé par une sorte de clan « clérical » comportant Poincaré, polytechnicien ; Baillaud, normalien, catholique pratiquant lui aussi, était soutenu par un autre normalien, Paul Painlevé, mathématicien, radical-socialiste. Il était légitime que des spécialistes se soient faits, auprès de leurs confrères, les avocats de tel ou tel candidat. Plusieurs types de clivages pouvaient agir sur les affinités des membres de l’Académie entre eux. J’ignore s’il y eut des discussions entre tenants d’un clan ou d’un autre, si clans il y a eu. J’ignore s’il y eut des tractations en coulisse. Benjamin Baillaud resta de longues semaines à Paris, 5 demandant instamment à sa femme de le tenir au courant de ce que disait de lui la presse toulousaine. Je ne sais rien des nombreuses visites qu’il a pu faire. Jérôme Lamy (2004, t. II, p. 718) fait état de lettres reçues au Ministère : Baillaud a entendu dire qu’on l’aurait représenté au ministre comme un clérical actif, le bruit courait qu’il était marguillier de sa paroisse. Lamy (p.719) dit que B. Baillaud adopte « une ligne de défense très subtile » : ne pas répondre lui-même à ces insinuations (je ne sais sur quoi il s’appuie) et mobiliser ses amis les plus influents. Il s’en ouvrit à son recteur, qui écrivit (15 déc. 1907) à son sujet au directeur de l’Enseignement supérieur : il l’a toujours vu « se comporter en bon et loyal serviteur de la République » ; « s’il ne cache pas ses croyances religieuses, il ne les étale pas non plus. » Perroud évoque en outre les activités politiques de Baillaud, en montrant la faible portée de sa candidature, 26 ans plus tôt, au Conseil municipal ; je ne sais si c’est pour répondre à des questions de l’administration centrale ou tout simplement pour compléter et équilibrer du côté politique son témoignage sur la discrétion religieuse de mon grand-père. Le docteur Robert Lœwy, fils de Maurice Lœwy, écrivait de son côté (19 déc. 1907, mais j’ignore si c’était sur la suggestion de Benjamin : je ne sais rien de ses relations avec lui) : Bigourdan, est « un clérical actif ». De son côté, Bigourdan écrivait au ministre (23 déc. 1907) : « on m’accuse auprès de vous d’être capable d’actes d’intolérance », ce dont il se défendait. Il est difficile de savoir dans quelle mesure de telles considérations hors sujet ont influencé les votes, secrets, des membres de l’Académie et autres personnalités qui, dans l’ensemble, n’étaient probablement pas des naïfs faciles à manipuler. Mais ces interventions insolites avaient lieu juste avant la réunion du Conseil de l’Observatoire, organisme non indépendant. Et quatre ans plus tôt, par la décision non expliquée du ministre, l’historien des sciences incontesté Paul Tannery (frère de Jules), catholique, avait été évincé d’une chaire au Collège de France, pour laquelle il avait été proposé en première ligne à la fois par l’Assemblée des professeurs puis par l’Académie des sciences. La sérénité pouvait ne pas régner. L’Académie commença par une réunion en « comité secret » des cinq sections des sciences mathématiques, le 9 décembre 1907 ; Baillaud fut présenté en première ligne par 13 voix contre 12 à Bigourdan, ce dernier en seconde ligne par seulement 13 voix contre 12 à un outsider, membre de l’Académie, le général Bassot ; j’ignore tout du déroulement de cette réunion. Le 16 décembre, vote d’ensemble de l’Académie (y compris chimistes, naturalistes, etc.) ; l’Académie était habituée, dit-on, à ne jamais voter contre un confrère : pour la première ligne, Baillaud obtint 31 voix sur 62, Bigourdan, 29 et Bassot 2. Il fallut un deuxième tour, et Bigourdan l’emporta avec 32 voix ; c’est seulement pour la seconde ligne que Baillaud fut présenté, par 42 voix. On affirma que le ministre devrait se rallier au vote de l’Académie ; pressés d’informer leurs lecteurs, certains journaux des 17 et 18 décembre désignèrent prématurément le nouveau directeur, Bigourdan. Le Conseil de l’Observatoire se réunit le 19 décembre ; onze membres présents, dont plusieurs présumés soumis aux désirs du gouvernement : quatre représentants de certaines administrations (le directeur de l’enseignement supérieur et trois « divers ») et sept membres de l’Académie, mathématiciens au sens large, majoritaires, parmi lesquels Painlevé et Poincaré ; le président était le secrétaire perpétuel de l’Académie et le secrétaire le prix Nobel de physique de 1908 ; le vote confirma celui des sections des sciences mathématiques du 9 décembre : Baillaud obtint neuf voix pour la première ligne (et Bigourdan deux) ; vote pour la seconde ligne : Bassot sept voix, Bigourdan trois, et un bulletin blanc ; Bigourdan n’était même pas présenté en seconde ligne : geste d’estime à l’égard de Bassot, ou d’hostilité envers la candidature Bigourdan, ou manœuvre pour forcer la main du ministre ou, au contraire, pour aider le ministre dans son opposition supposée à Bigourdan ? Ce vote était assez cohérent avec celui du comité secret de l’Académie. Dès le 20 décembre, la nomination de Baillaud fut présentée comme probable par les journaux ; elle fut annoncée le 6 janvier 1908 (décret du 2, Journal officiel du 9). Je n’ai pas d’argument pour affirmer si cette décision a ou n’a pas été influencée par l’hostilité de certains aux idées politiques ou religieuses des candidats. Dès février il était élu membre de l’Académie des sciences, devançant largement les autres candidats, geste significatif, même s’il s’adressait au directeur de l’Observatoire plutôt qu’à sa propre personne. Un lot de plus de cent cinquante coupures de journaux provenant de l’Argus de la presse et du Courrier de la presse, collectées (je suppose) par Madeleine Privat, apportent un son de cloche intéressant. Des attaques contre Baillaud avaient commencé avant sa nomination, dès le 17 décembre ; elles ne portaient pas sur son prétendu cléricalisme mais au contraire sur ses prétendues activités politiques de gauche. Voici un aperçu de l’ensemble des critiques que la presse avait pu imaginer contre la nomination de mon grand-père. Pour L’Écho de Paris (6 janvier 1908) « il avait fait carrière comme professeur en divers lycées et collèges. L’astronomie fut en quelque sorte pour lui un violon d’Ingres. » Déjà le 22 décembre 1907, le même Écho de Paris avait écrit : « il s’agit de savoir si M. Baillaud, par exemple très compétent dans les questions des pensums, a ici une véritable compétence. […] M. Baillaud, qui, après une honorable carrière de professeur, avait consacré sa retraite à l’astronomie. » Pour L’Eclair du 23 décembre 1907 : « la science patronne l’un, la politique patronne l’autre. » Quelle politique ? Je n’ai pas trouvé d’articles favorables à Baillaud et accusant les « cléricaux » (peutêtre le prestige de Poincaré le rendait-il intouchable ?) À l’opposé L’Écho de Paris écrit le 22 décembre 1907 : « les radicaux-socialistes de l’Académie, dirigés par M. Painlevé, avaient mené une ardente campagne en faveur de M. Baillaud, grand électeur radical-socialiste de Toulouse. » Pour L’Eclaireur de l’Oise du 9 janvier : « un blocard militant pistonné par 6 les loges. » Légèrement plus nuancés, L’Univers et Le Temps du 8 janvier : « M. Baillaud, en même temps que savant astronome, est excellent blocard […]. » Coïncidence de dernière heure soulignée par L’Intransigeant du 9 janvier : le ministre, Aristide Briand, signa la nomination juste avant l’entrée au gouvernement de M. Cruppi, député de Toulouse ; l’hypothèse d’une intervention de Cruppi égaya la famille. Certains affirmèrent que ce n’était pas la première fois que le gouvernement passait outre à l’indication donnée par l’Académie, la majorité absolue mais de justesse. Plusieurs journaux, qui avaient recopié les prétendues informations de leurs confrères, firent marche arrière : « M. Baillaud, sur qui tout récemment, un correspondant occasionnel nous avait mal documenté […] » (Le Jour et Le Signal du 8 janvier, La Justice du 9 janvier). La polémique était close, du moins celle des journaux… À l’Observatoire de Paris À l’échelle de la France, l’expansion scientifique consécutive à la guerre désastreuse de 1870 était achevée ; par exemple, pour revaloriser de 10 000 à 12 000 francs le traitement annuel des professeurs du Collège de France, le décret du 22 septembre 1913 entraînait la suppression de trois chaires de l’établissement. La décennie qui suivit la guerre de 1914 fut déplorable. Les effectifs scientifiques des universités restèrent stationnaires jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Dans une notice nécrologique un peu acide (Les Nouvelles littéraires, 12e année, 14 juillet 1934), le vulgarisateur Marcel Boll parlait, à propos de l’astronomie française, d’une « période de décadence [...] attribuable à l’exiguïté des crédits rognés avec inconscience. » C’est de 1908 à 1927 que Benjamin Baillaud eut à diriger l’Observatoire de Paris : cette époque, cisaillée par la Grande Guerre, fut particulièrement défavorable au développement des sciences en France. Cette circonstance et son tempérament personnel expliquent que les actions qu’il put entreprendre portèrent surtout sur des coordinations, sur l’organisation du travail. Plusieurs notules biographiques le présentent comme un spécialiste de la mécanique céleste, en omettant les entreprises internationales dont il a stimulé le développement ou qu’il a mises en route : leurs auteurs s’étaient appuyés sur sa brochure de candidature à l’Observatoire de Paris, comme s’il n’avait plus rien fait après. Un de ses premiers objectifs à Paris a été « d’assurer l’achèvement de tous les travaux en cours », catalogue de Lalande et autres. Peut-être du fait de sa participation à la Carte du Ciel et à ses conférences internationales, Benjamin, était, scientifiquement, un internationaliste. Par rapport à son passé toulousain, ses préoccupations changèrent un peu d’échelle. Il tint à ce que sous sa direction l’Observatoire de Paris développe ses relations internationales ainsi qu’une activité, un renom et une importance de niveau mondial. Il organisa en avril 1909 une conférence internationale pour faire avancer plus activement l’exécution de la Carte du Ciel, cette œuvre dont l’un de ses fils astronomes, René Baillaud mon père, dira : « Château en Espagne ? Ce château-là était très grand et très lointain » ; son achèvement demanda plus de temps qu’on ne l’avait supposé au départ ; Benjamin fut élu président du Comité international permanent de la Carte photographique du Ciel et il prit en main l’ouvrage au niveau international. Son fils Jules eut à cœur de lui consacrer une grande part de son énergie. Benjamin Baillaud s’intéressa également aux « éphémérides » astronomiques publiées dans le monde, annuaires destinés aux navigateurs, qui n’avaient que les astres pour se repérer dans les Océans ; une conférence internationale avait eu lieu en 1896. Le Bureau des Longitudes, présidé par Bigourdan, en convoqua une autre, à l’Observatoire, destinée à l’harmonisation des calculs et à la coordination du travail des observatoires impliqués dans cette activité ; elle eut lieu en octobre 1911 : on décida l’adoption généralisée du méridien de Greenwich, le choix des étoiles « fondamentales » et divers autres points nécessaires à l’harmonisation de ces annuaires essentiels publiés par l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, les États-Unis, la France, le Portugal, etc. Depuis 1880, l’Observatoire de Paris distribuait l’heure, manuellement, par la voie des télégraphes. La détermination de l’heure, toujours plus précise, était une préoccupation des astronomes de tous les pays; cela allait de pair avec les déterminations de longitudes ; Benjamin participa aux premières mesures précises de longitudes utilisant le télégraphe et la radio, la « T.S.F. » : 1911, Paris-Bizerte ; 1912, Paris-Uccle, près de Bruxelles… Dès 1908 le Bureau des Longitudes souhaitait l’installation d’un service de signaux horaires à la Tour Eiffel. La coopération de B. Baillaud et du futur général Gustave Ferrié permit l’envoi de signaux horaires depuis le 23 mai 1910. En 1912, c’est sous l’égide du Bureau des Longitudes que se tint une conférence consacrée à la détermination de l’heure, suivie d’une seconde Conférence internationale de l’heure du 20 au 27 octobre 1913 ; cela avait abouti dès 1912 à la création du Bureau international de l’heure, le B.I.H, qui eut son siège à l’Observatoire de Paris, centralisant les données des divers observatoires, et diffusant par radio l’heure la plus exacte possible (on a dit que cela contribua peut-être au non-démontage de la Tour Eiffel, d’où partaient les émissions, mais la question était réglée depuis longtemps). La guerre survint avant la ratification internationale officielle de la création du B.I.H. C’est donc à titre officieux que Benjamin assuma la direction effective et le fonctionnement du B.I.H. de 1912 à 1919 ; il le fit à la force de ses poignets pourrait-on dire. « Chaque jour, 7 écrivit-il, il discutait les marches des pendules pour donner la correction de la pendule directrice nécessaire à l’envoi des signaux. Deux des astronomes restants ont fait à eux seuls pendant toute la guerre les comparaisons de pendules et l’envoi des signaux. » Hélène, son épouse, avait écrit à Benjamin : « Tu me dis que tu vas donner l’heure partout ; ce sera très-bien, mais la dépense sera énorme et la responsabilité très-grande. Pauvre chéri, que n’as-tu 50 ans devant toi, tu ferais de grandes choses. » [Figure 8, Figure 9] Après la Grande Guerre, la « der des ders », la dernière des dernières, qu’on n’appelait pas encore la « Première » guerre mondiale, fut fondé un Conseil international des recherches. Benjamin Baillaud, convaincu de l’importance des actions internationales, prit largement part à cette initiative. Après une réunion à Londres (9-11 octobre 1918) une autre eut lieu en Belgique du 18 au 28 juillet 1919. On y a créé des groupements scientifiques particuliers, les « Unions scientifiques internationales », et d’abord l’Union astronomique internationale, l’U.A.I. L’astronome américain Harlow Shapley m’a écrit (31 mars 1967) : « Baillaud was a man to whom you could apply the adjective “kindly”. He was a natural internationalist and was therefore very effective in the good-will programs of the IAU. » J’ignore si mon grand-père pensait qu’il y avait là une responsabilité à laquelle il ne devait pas se dérober et s’il a manifesté sa candidature. Baillaud fut le premier président élu de l’Union ; il la présida jusqu’au congrès de Rome, en 1922 ; par sens du devoir, il tint alors à s’en retirer. Dès l’origine l’U.A.I. s’était constituée en une trentaine de commissions. C’est lui qui avait proposé à Londres le terme de « Union » largement utilisé par la suite. Après la guerre il s’agissait d’organiser la paix ; il parlait avec quelque grandeur de ces « Unions qui contribuent chaque jour davantage à l’établissement de l’entente, par en haut, entre les peuples » (lettre du 8 septembre 1930). Le « en haut » ne désignait évidemment pas les gouvernements. L’U.A.I. se réunit tous les trois ans, jouant le rôle de la coordination internationale des activités des astronomes. Ainsi, on a parlé plus haut de la conférence des éphémérides de 1911 : actuellement, c’est une division de l’U.A.I. qui coordonne la question. Le nom « Union » a été repris par les groupements des autres domaines scientifiques, actuellement chapeautés par l’UNESCO. Considérant que la présidence de l’Union allait absorber une part prioritaire de son activité, il se déchargea de la responsabilité de la commission de la Carte du Ciel dont la présidence fut confiée à l’Anglais Herbert Hall Turner. Le Bureau international de l’heure, avait fonctionné pendant toute la durée de la guerre avec Benjamin, qui avait prévu une solution de rechange au Parc de la Tête d’Or de Lyon, en liaison avec le poste de T.S.F. de la Doua. Ainsi l’émission de signaux horaires n’a jamais été interrompue, mais elle ne l’aurait même pas été si l’appareillage parisien avait été détruit. La mise en place du service lyonnais a été la seule occasion pour Benjamin, pendant les hostilités, de s’absenter de son poste, trois ou quatre jours. Trop âgé pour être mobilisé, il considérait que l’état de guerre exigeait de chacun, pour son pays, un maximum d’efforts et d’abnégation. En 1919, le B.I.H. a été placé sous la responsabilité de l’U.A.I. C’est comme président de l’Union astronomique que Baillaud en a alors confié la direction à Guillaume Bigourdan, l’astronome avec qui il avait été en compétition pour la direction de l’Observatoire ; ayant montré l’utilité du Bureau de l’heure, c’est toujours par devoir qu’il l’avait fait fonctionner jusqu’en 1919 ; c’est par discrétion, semble-t-il, qu’il a laissé la place à un autre. Bigourdan avait d’ailleurs un goût pour les calculs minutieux qui convenait particulièrement bien à ce travail. Le B.I.H., chargé de l’unification et de la diffusion de l’heure au plan mondial, a fonctionné jusqu’en 1988, époque à laquelle ses activités ont été transférées à Sèvres au Bureau international des poids et mesures, pour la définition atomique de la durée de la seconde, et, à l’Observatoire de Paris, au Service international de la rotation terrestre, dit, en anglais, « I.E.R.S. », qui mesure les déplacements des pôles et qui a la responsabilité de calculer l’heure. Une autre initiative importante, en 1925, fut la mise en place d’un Laboratoire d’optique, dans lequel ont travaillé l’Américain Ritchey et le Français André Couder, laboratoire qui a renouvelé l’équipement des observatoires français jusqu’à la retraite de Couder, en 1968 . Benjamin Baillaud était un homme d’entreprise, et qui voyait loin. Y eut-il des erreurs, des déceptions ? Il avait consacré une grande partie de l’activité de l’Observatoire de Toulouse à la Carte du Ciel. Or, pendant que cette lourde entreprise occupait les astronomes français et utilisait une grande part des crédits disponibles, d’autres domaines de l’astronomie se développaient ailleurs, en Amérique par exemple. On a largement accusé la Carte du Ciel d’en être responsable. Le jeune historien des sciences Jérôme Lamy ou l’astronome Philippe Véron ont des raisons solides pour le penser. Mais certains le contestent. La question n’est peut-être pas simple, parce que de nombreux astronomes français n’étaient pas impliqués dans la Carte du Ciel ; par exemple il y avait à Meudon un observatoire spécialisé dans l’astrophysique, dirigé par Henri Deslandres ; et d’ailleurs, sans la Carte du Ciel, les crédits pour l’astronomie auraient-ils été les mêmes ? Pendant longtemps les Observatoires français n’ont guère eu d’instruments postérieurs à 1890 : les crédits pour le gros équipement semblaient taris. D’autre part il ne faut pas oublier que c’est en France que la Grande Guerre a fait le plus de dégâts : presque tous les domaines de la science ont souffert d’un affaiblissement à cette époque. Enfin, la Carte du Ciel, qu’on pouvait juger nécessaire à la connaissance ultérieure des mouvements des étoiles elles-mêmes, était un travail d’inventaire systématique, comme il s’en fait dans toutes les sciences de la nature et dont, à l’époque, on pouvait penser qu’il méritait d’être fait ; c’était, en soi, l’exploration d’un nouveau palier de la connaissance, actuellement continué par la 8 commission « parallaxes stellaires et mouvements propres » de l’Union astronomique internationale ; le Catalogue de la Carte du Ciel est utilisé aujourd’hui pour la comparaison de la position ancienne des étoiles avec leur position actuelle. Malgré son ancienneté, il n’est pas périmé, c’est au contraire un document extrêmement précieux, bien que moins intéressant que prévu. Pour ce qui est de l’Observatoire de Paris, Benjamin a été frappé par la mauvaise qualité de l’atmosphère (un observatoire est entre autres un lieu où l’on observe) et pendant des années il fit de gros efforts pour obtenir le déplacement de l’établissement ou la création d’une annexe hors de l’agglomération. Il retrouvait là un souci de plusieurs de ses prédécesseurs : l’Observatoire de Paris avait été construit en pleine campagne, il était devenu le seul grand observatoire au monde qui ne soit sur une éminence et assez éloigné de la ville pour observer le ciel dans les meilleures conditions. Il se heurta à des obstacles insurmontables, budgétaires et humains : en particulier, me dit M. Davoust, le fait que les astronomes parisiens avaient l’habitude de compléter leur traitement trop modeste par des activités annexes, qui seraient devenues impossibles si l’Observatoire avait été transféré trop loin de la ville ; en 1913 la décision était sur le point d’être prise ; en 1914 il était question des Rochers de Saulx à Ballainvilliers, près de Corbeil, la guerre remit tout en question ; par la suite Benjamin ne cessa d’œuvrer pour la succursale. Le site retenu était resté secret, sans doute pour éviter les spéculations foncières ; il s’agissait maintenant d’un terrain d’environ six hectares, estimé en 1924 à 245 000 francs, situé à Champlan, au sud de Massy et à l’est de Palaiseau, non loin d’un secteur qui est devenu un haut-lieu de la science. Il était prévu une demande de crédit de cinq millions. Cependant une violente polémique lui fut très pénible : ses efforts aboutissaient à un échec. Il faut bien reconnaître que malgré la pollution atmosphérique parisienne, l’Observatoire de Paris n’a cessé d’être un centre essentiel de la recherche astronomique ; si la pollution diminue sensiblement le nombre des étoiles visibles, elle n’altère pas la précision, excellente, des mesures de position. Rétrospectivement ce projet de transfert paraît dérisoire, compte tenu du développement de l’agglomération parisienne et par rapport aux moyens que donnent aujourd’hui les instruments placés sur orbite extra-terrestre. Mais les vaines tentatives de Benjamin n’ont-elles pas contribué à entretenir l’idée qu’il y avait besoin d’un grand observatoire en dehors de Paris ? et à la décision de construire l’Observatoire de Haute-Provence ? La retraite La limite d’âge pour cette catégorie de fonctionnaires était de soixante-dix ans, soixante-quinze pour les membres de l’Académie. Le choix de son successeur se mêlait au projet gouvernemental de fusion entre l’Observatoire de Paris et celui de Meudon ; ce recentrage permettait une meilleure coordination des travaux et économisait plusieurs postes de fonctionnaires ; il s’agissait alors d’un nouvel établissement, ce qui autorisait le ministre à procéder à une nomination sans aucune consultation préalable. Hésitait-on pour le choix du nouveau directeur ? Je l’ignore totalement. Avant la nomination, en 1929, d’Ernest Esclangon, ce ne pouvait guère être que le directeur de Meudon, Henri Deslandres, de cinq ans plus jeune que Baillaud. Sur la demande expresse du ministre, Benjamin Baillaud fut maintenu dans l’exercice de ses fonctions jusqu’au 31 décembre 1926, à près de soixante-dix-neuf ans. Il avait un enfant à Paris et deux à Toulouse ; en se retirant à Toulouse il se rapprochait de sa sœur Emma ; il prit un logement 4, place Saint-Georges, tout près du 14, rue de la Pomme (où Henri tenait son magasin d’optique) et tout près du 14, rue des Arts, domicile de Madeleine (Privat). Cela ne pouvait l’empêcher d’aller à Paris, Marseille, Nice ou Barcelone voir ses autres enfants. [Figure 6] Il maintint ses relations avec les milieux scientifiques en s’adonnant à une activité d’ordre historique très spéciale, la rédaction d’un ouvrage, Pour l’histoire de l’astronomie stellaire de position, qui ne put être édité par Gauthier-Villars mais qui fut diffusé sous la forme d’un tirage polycopié. Il fonda la Société des Amis de l’Observatoire et Institut de Physique du Globe du Pic du Midi ; il donna sa bibliothèque à cet observatoire. L’amertume due à l’échec de son projet de succursale de l’Observatoire de Paris avait été tempérée par plusieurs marques de considération : l’attribution en 1923 de la médaille américaine Bruce, haute distinction internationale réservée à un astronome, le doctorat honoris causa de l’Université de Cambridge (1925), le titre de Grand-Officier de la Légion d’honneur (1927), annoncé par une lettre personnelle de l’ancien président du Conseil Édouard Herriot, ministre de l’Instruction publique, le félicitant pour les services rendus à la science française et à son rayonnement dans le monde et, ce qui l’a sans doute le plus touché, avant son départ en retraite, la visite chaleureuse de chacun (« sauf l’illustre N ») des fonctionnaires de l’Observatoire. En 1930, ce fut l’annonce qu’une rue de Chalon-sur-Saône portait son nom ; il en fut très ému. [Figure 10] Il mourut à Toulouse, âgé de quatre-vingt-six ans, le 8 juillet 1934. [Figure 7] Lors de ses obsèques, l’ancien doyen nobélisé Paul Sabatier, déclara qu’il « s’est endormi dans les espérances éternelles 9 que sa foi chrétienne n’avait jamais cessé d’envisager. » Avec Alain Alcouffe, je pense que cette affirmation est bien dans la continuité de la « laïcité au bon sens du terme » réalisée à l’Université de Toulouse sous la responsabilité de Perroud. L’homme Benjamin Baillaud Sa correspondance privée le présente, dans sa propre famille, comme conscient de ses devoirs, comme sûr de lui et autoritaire à l’époque de la jeunesse de ses premiers enfants (coléreux même, disait sa fille Marthe, jusqu’à ce que sa sœur Emma lui ait enjoint de se maîtriser). C’était lui le chef de famille. « Il y a des choses, écrivait-il à sa femme (8 mai 1909) qui sont de mon ressort ; où je suis mieux renseigné […] et quand j’insiste pour quelque chose, le mieux est que tu penses que j’ai raison ». Sa femme étant retenue auprès de ses parents, un ami lui prêta des romans : par deux fois elle écrivit à son mari pour lui demander si elle pouvait les lire ; la réponse fut négative : (« ce ne sont pas des livres de style. ») Le temps n’était pas au féminisme triomphant, mais elle savait lui tenir tête. Par exemple elle lui interdit de poser sa candidature au conseil municipal de Toulouse, parce que son métier était dans la science et pas ailleurs (il avait figuré dans une liste d’« Union républicaine » au premier tour des élections du 9 janvier 1881 : il ne s’est pas présenté au second tour). Par la suite, je n’ai pas entendu dire qu’il ait eu des activités d’ordre politique, rien dans sa correspondance ne le laisse penser, en dehors de sa sympathie pour les idées sociales de gauche et de son regret (« quel dommage » écrivait-il) que des hommes politiques aux sentiments si généreux « ne sachent pas faire les additions. » S’il n’a pas cherché d’engagement politique, à ma connaissance ce n’est pas par prudence à l’égard d’exigences implicites du régime, comme on l’a dit, mais pour obéir à sa femme, qui souhaitait qu’il ne se disperse pas. Il était plein de simplicité, d’attention affectueuse et de générosité ; il était volontiers serviable et son foyer exceptionnellement accueillant ; de jeunes Aveyronnais, apparentés ou non, lui durent de pouvoir faire, à Toulouse, des études leur ouvrant des carrières intéressantes ; sa femme dit à l’un d’eux : « Tu seras notre neuvième enfant. » Il était souvent sollicité pour des « recommandations », sans passe-droit. Une fois il a refusé avec colère : on souhaitait qu’il demande à son ami Liard d’appuyer un candidat à un concours officiel ; il était fâché qu’on pense qu’il ait pour ami un homme qu’il croirait capable de cette action indigne. En revanche il était intervenu efficacement auprès du ministre après la mort d’un collègue, père de famille nombreuse, décédé juste avant les trente ans d’ancienneté nécessaires en toute rigueur pour que sa veuve bénéficie d’une pension. Le 12 octobre 1891 il écrivait à son épouse : « Je ne vois que toi au monde, et nos enfants qui sont tiens autant que miens. Je suis heureux de ton amour, de leurs sentiments bons et affectueux. Vous êtes toute ma vie. Tant que j’ai pu paraître m’occuper des affaires qui me sont confiées, je puis dire hautement que ces soucis n’ont été pour moi que secondaires. Ma vie vraie est en toi et en mes enfants qui sont nôtres, et la première forme de notre immortalité. Je suis heureux de te voir contente, douce. Ces enfants sont bons. Ils tiennent cela de leur mère, et nulle qualité n’importe plus. C’est bien le remède à tous les maux, à toutes les difficultés de la vie en ce monde, à toutes les tentations. Gardons-les tels. Ils travailleront, ne fût-ce que par bonté. Ils comprennent, à mesure qu’ils grandissent, combien il y a d’hommes qui souffrent, qui manquent du nécessaire, qui n’ont ni le bien-être qui permet à la vie du corps d’être agréable, ni les joies et les consolations religieuses et morales qui sont la vraie vie, et qui donnent le bonheur vrai. Ils en concluent d’eux-mêmes qu’étant privilégiés, au milieu de tant d’êtres qui souffrent, ils doivent rendre, par leur travail et leur dévouement, aux autres, tout ce qu’ils ont reçu de la société. L’éducation qu’ils reçoivent, ils la doivent à la société qui a récompensé largement les efforts de leur père ; ils la doivent à leur mère qui y a consacré tous ses instants et toutes ses forces, et qui a, elle-même, reçu de la société les sentiments nobles et élevés qui sont le charme le plus enviable. Ils voudront, leur tour venu, être bons pour tous, être en mesure de rendre par leur travail, à leur concitoyens moins heureux, tout ce qu’ils ont reçu de plus qu’eux. J’ai pleine confiance en eux tous. Ils n’oublieront jamais ces sentiments qui paraissent à leur père le plus impérieux devoir ; la dette que j’ai contractée envers les autres, ils continueront à l’acquitter quand je ne serai plus en mesure de le faire. Elle sera accrue de celle qu’ils auront contractée eux-mêmes. » Il se voulait loyal, et, après sa nomination à Paris, ne devant rien aux intrigues ni au favoritisme, ayant le droit de « marcher la tête haute », de se regarder dans la glace, comme on dit maintenant. Il affirmait qu’il devait à sa femme l’essentiel de lui-même. Il souhaitait par-dessus tout voir développer chez ses enfants la « bonté » (terme presque désuet aujourd’hui) et le sens du devoir. Son épouse, éduquée dans un couvent de Rodez, tenait fermement à tout cela. Il s’exprimait avec solennité quand il parlait des devoirs en général, mais il les pratiquait sans en parler, sans ostentation. Comment se comportait-il dans l’exercice de sa profession ? Force est de s’appuyer sur des témoignages : relations empreintes d’autorité sans doute bienveillante et paternelle mais peut-être sans laisser une place suffisante à la discussion ; bonté chaleureuse, simplicité, modestie même ; activité intense soutenue par l’optimisme ; ténacité et fermeté dans l’effort ; malgré l’image classique du mathématicien distrait et de l’astronome dans la lune, c’était un réaliste. 10 Sous l’Empire, à la suite d’un désaccord politique avec les autorités, il s’était associé à la démission collective des élèves de l’É.N.S. ; mais au temps de l’affaire Dreyfus, il regretta, rapportait son fils René, que son beau-frère Jules Tannery ait signé le « manifeste des intellectuels » publié le 14 janvier 1898 à l’appui du « J’accuse » de Zola : un agent de l’État en fonction ne devait pas prendre publiquement parti, même avec raison, contre le gouvernement. C’était, avant la lettre sans doute, la référence au « devoir de réserve ». Rien ne me permet de supposer que cette attitude lui ait été dictée par l’espoir de se faire bien voir en haut lieu. En 1916, durant les débats sur l’instauration de l’heure d’été, il disait que le temps est une réalité indépendante de la volonté de l’homme ; vouloir que midi soit onze heures est un mensonge ; « il ne saurait être sans conséquences funestes, affirmait-il, d’établir la vie des peuples sur un mensonge » : j’espère qu’il ne prévoyait pas une société glissant vers la déliquescence des principes moraux considérés comme intangibles et vers le mépris des interdits. Mais c’était la guerre, plusieurs de ses fils et de ses gendres ont combattu au front, un de ses neveux, plusieurs de ses proches sont morts pour la France. Toutes considérations devaient s’effacer devant les nécessités du moment. Il y avait à cette époque des raisons graves pour économiser l’énergie : quoi qu’on ait dit depuis, il donna à l’Académie des sciences un avis favorable au changement saisonnier de l’heure ; il pratiquait la distinction des plans. Homme d’ordre, il disait à sa fille Marthe qu’il croyait en Dieu parce qu’il préférait l’ordre au désordre : sans doute il simplifiait sa pensée. Il respectait les valeurs traditionnelles et leurs représentants. Ainsi, lorsqu’il reçut à sa table, à Toulouse, un ancien curé de Laissac (le village natal de sa femme) devenu évêque, conformément au protocole classique il lui fit présider le repas. Son petit-fils Alfred Baillaud se fit prêtre ; Alfred m’a confié que son grand-père le vouvoya du jour où, séminariste, il porta la soutane. Mais il n’était pas clérical au sens politique du mot. Dans la Semaine Catholique de Toulouse du 18 mars 1898 on lit la péroraison d’une série de leçons d’astronomie populaire : « l’astronome […] se demande quelle est l’origine première et quelle est la fin dernière de cet univers. […] Ne trouvant aucune réponse […] il devine un autre Être, d’une nature infiniment plus haute. » Cette allusion publique indirecte à sa foi est à rapprocher de la laïcité telle qu’elle régnait à l’Université de Toulouse, laïcité ferme mais tolérante : le recteur, qui fut un temps franc-maçon, avait des relations cordiales avec des enseignants catholiques notoires, comme Emma Baillaud, qu’il fit nommer directrice du lycée de jeunes filles. En 1892, Mme Perroud avait été marraine de la huitième enfant Baillaud. Des relations amicales n’auraient pu durer longtemps si elles avaient reposé sur l’habileté et non sur la sincérité. Dans les circonstances agitées de l’époque, Benjamin a essayé de bien gérer sa carrière. Par habileté ? Était-il habile quand il s’est présenté aux élections municipales ? Puis quand il y a renoncé ? Quand il entretenait de bonnes relations avec le clergé ? Et avec les francs-maçons de la municipalité ? Quand il a demandé à son recteur, en 1907, de témoigner contre les calomnies ? Je n’ai qu’un très vague souvenir visuel de mon grand-père, mais j’ai connu plusieurs de ses enfants, élevés par leurs parents selon des principes rigoureux: je ne prétenes pas qu’ils avaienteu absolument toutes les qualités, mais, ils étaient guidés par le sens du devoir et de la sincérité, par des soucis de générosité et de droiture, mais pas du tout par une volonté d’habileté à naviguer entre écueils et opportunités. C’est la meilleure approximation dont je dispose concernant mes grands-parents. Son rôle de doyen lui avait donné un vaste cercle de relations devenues amicales, parmi les universitaires, quelques hauts fonctionnaires, en plus de quelques voisins de l’observatoire. En revanche, je n’ai pas de données sur des relations avec la bourgeoisie proprement dite, classe sociale qu’il pouvait côtoyer grâce aux sociétés savantes et dont il appréciait les qualités, mais dont il ne partageait pas les moyens ni sans doute les goûts. Édouard Privat et son fils Paul, libraires et imprimeurs de l’Archevêché, faisaient partie des plus proches, du fait de leur parenté aveyronnaise (cousins de cousins) ; c’est par l’intermédiaire de Benjamin que le recteur, historien, fit la connaissance de Paul Privat, jetant les bases d’une collaboration durable avec celui qu’on appela (1897) le « libraire de l’Université ». Ces personnes pouvaient se rencontrer à l’observatoire, ou dans le salon de Mme Perroud, ou chez « tante Emma ». Pauline Kergomard s’y joignait à l’occasion, de famille protestante, féministe ardente, d’un autre bord que les Baillaud, ce qui ne gênait nullement les relations amicales dans ce milieu aux convictions solides mais sans sectarisme. Pour lui, « ce que l’homme a reçu de Dieu et de la Société, il doit le leur rendre ». Son gagne-pain, il le voyait comme une nécessité évidente, on peut supposer comme un plaisir, mais pour lui, c’était surtout un service, à effectuer au mieux, un peu comme le « devoir d’état » dont on parlait autrefois. En 1871 il avait eu l’occasion de honnir publiquement la mentalité de l’époque antérieure, pendant laquelle, écrivait-il, « chacun se mit à compter les jours qui le séparaient encore de celui où il pourrait se retirer [...] c’est-à-dire jouir de son travail sans rendre plus à la société aucun service. » Il ne faisait pas semblant de mépriser les honneurs qui étaient la reconnaissance de ses efforts ; lorsqu’il fut Chevalier de la Légion d’honneur, il écrivit à sa femme : « c’est en définitive une étape franchie de ma carrière ; je n’ai plus qu’à me remettre au travail pour arriver à d’autres, mais surtout pour continuer à rendre quelques services. » Quand il fut élu président de l’Union astronomique internationale, geste de confiance pour la mise en route d’une tâche nouvelle, confiance couronnant 11 une vie de travail, il lui écrivit, « La partie est gagnée ! […] C’est le plus grand honneur que je pusse ambitionner » et il se réjouit de la joie qu’en auraient ses enfants. Il considérait l’ambition comme un « devoir social » à remplir selon les talents de chacun ; cette formule ne s’oppose pas à celle de son beau-frère Edmond Bouty, disant : « méfiez-vous des solutions qui vous arrangent », c’est-à-dire des raisonnements auxquels on a intérêt. Non, Benjamin, qui méprisait les bassesses de l’arrivisme, souhaitait, cela me paraît clair, faire de son mieux pour être aussi utile que possible, de manière à justifier les sacrifices que d’autres avaient faits pour lui. Il avait gardé une grande reconnaissance envers sa ville natale. Il écrivait (8 mai 1909) : « j’ai tout reçu des autres, dans ma vie. Je n’ai pas fait un pas sans être matériellement aidé. Petit enfant, j’ai pu aller au collège parce que la mairie de Chalon m’a donné une bourse ; plus grand, je n’ai pu aller à Lyon que parce qu’elle me l’y a continuée. » Il restait émerveillé par le plaisir qu’éprouvaient ses connaissances chalonnaises à aider les autres. Il considérait comme une forme de socialisme de « rendre aux uns ce qu’on a reçu des autres ». Et il le faisait effectivement. Un témoignage inattendu est venu d’un reporter journaliste : celui-ci avait été chargé de la rubrique « de la température ». Chaque soir il lui fallait gagner l’Observatoire, à l’autre bout de Paris. Baillaud, qu’il rencontrait souvent, lui dit un soir : « – Vous êtes payé pour rédiger cette rubrique ? – On me donne deux francs par jour et le métro est à mon compte ! – C’est bon ! lui dit Baillaud, ne vous dérangez plus, mon ami. À partir de demain vous recevrez les prévisions chaque soir par pneumatique. » Un demi-siècle plus tôt : sculpture d’un buste Quatre ans après sa mort, l’Association amicale des anciens élèves du Collège de Chalon-sur-Saône inaugurait la mise en place d’un buste de bronze de Benjamin Baillaud dans le square du Palais de Justice. Comment les Chalonnais ont-ils eu cette idée ? D’où venait ce buste ? Malgré ses dimensions, il n’avait pas été prévu pour être exposé au public. Il avait été sculpté en octobre 1886, par un professeur de l’école des Beaux-Arts de Toulouse, Henri (dit Henry) Maurette (18341898) ; le recteur Claude Perroud a écrit de ce sculpteur que son style, un peu académique au début, s’était bien élargi dans sa maturité. La sculpture comme art du portrait était en vogue au XIXe siècle ; elle se prêtait à des sourires et à des débats ; le journaliste Henri Rochefort écrivait dans La Lanterne du 11 juillet 1868 : « L’empereur de Russie vient d’envoyer au préfet de la Seine son image en marbre dont il fait hommage à la ville de Paris. Ce cadeau porte à treize le nombre des bustes placés aujourd’hui dans la galerie dite des Souverains. Treize bustes ! Je serais curieux de savoir lequel dégringolera dans l’année. » – Épisode d’une autre sorte : le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux, auteur d’une foule de bustes, imagina de faire une statue de marbre en l’honneur de son concitoyen de Valenciennes, le peintre Antoine Watteau, les pourparlers durèrent vingt-quatre ans pour sa réalisation… en bronze ! Or à cette époque, qui suivait l’Empire, la jeune troisième République avait peut-être besoin de nouveaux responsables et ouvrait la voie à de nouveaux notables, à statufier après leur mort. Il faut dire aussi que la photographie, qui doit tant au célèbre Chalonnais Nicéphore Niepce, était une technique point encore courante : on admirait qu’une photo soit « ressemblante ». Une correspondance énigmatique. Le 16 octobre 1886 Benjamin écrivait à sa femme, qui était chez ses parents : « j’ai commencé à aller chez M. Maurette, qui m’a demandé le secret » ; le 17 : « [...] pour aller chez M. Maurette de 10 h à midi [...]. Ce buste doit rester secret jusqu’à ce qu’il soit fini. » Puis : « je dois aller demain chez M. Maurette ; j’irai les lundi, jeudi et vendredi à 10 h 1/4 et d’autres jours encore. » Le 19 : « [...] de rester une heure et demie chez M. Maurette qui a en cette séance ébauché ma tête. J’y reviendrai jeudi, vendredi et dimanche, pour cette semaine. C’est un aimable causeur et nous sommes faits pour nous entendre. » Le 21 octobre : « [...] déjà le buste se dessine [...] Lundi il avait fait une tête seulement, sans buste habillé. Aujourd’hui, en arrivant, je l’ai trouvé avec des épaules et un paletot ; il a inventé d’y mettre une décoration. » Le 23 : « Il a travaillé hier au côté droit de ma tête ; je pense demain cela va prendre tournure. » Le 24 : « je vais chez M. Maurette, faire une grande séance. » Le 26 : « Mon buste commence à avoir tournure. J’ai mis hier ma robe à cet effet, cela va beaucoup mieux que les minuties des cravates, paletot, etc. [...] Je reviendrai jeudi et vendredi de 2 à 5. Alors il s’avancera et M. Maurette me donnera huit jours de congé. » Le 27 : « demain et après-demain j’irai chez M. Maurette. » Le 28 : « je vais encore de 2 à 5 chez M. Maurette ; mon buste s’avance. Il y travaillera pendant mon absence. » Jacques Baillaud, détenteur actuel du buste de terre cuite, n’y a remarqué ni signature ni date. Voici les dimensions mesurées sur un moulage : socle, 14 cm de hauteur, 44 de plus grande longueur, contre 32 ; buste, respectivement 60, 64 et 37 cm ; tour de tête, environ 75 cm. À voir le résultat final, je suis tenté, à tort, de penser que le sculpteur a vieilli son modèle ; en réalité, la mode du cadre « jeune et dynamique » n’était pas encore venue : au contraire on disait que les jeunes médecins portaient des lunettes inutiles, pour avoir l’air âgés. On est surpris par ce jeune universitaire de province (trente-huit ans), à l’emploi du temps chargé, sacrifiant du temps à de nombreuses séances de pose pour faire sculpter son buste, en grand format. Gloriole d’un arriviste ? L’explication est inattendue ; on la trouve dans la correspondance qu’il a conservée et dont son arrière-petit-fils Henri Didier a entrepris la 12 saisie informatique. Maurette avait deux filles, d’âge scolaire, dont l’une au moins était élève du lycée de jeunes filles ; luimême était professeur de dessin dans ce lycée, dont la fondation et la direction avaient été confiées deux ans auparavant à une forte personnalité née à Chalon, Mlle Emma Baillaud (1843-1934), la sœur aînée de Benjamin. L’artiste souhaitait faire un cadeau à sa directrice. Quel plus beau cadeau lui offrir que le buste de son jeune frère ? C’était ne pas compter avec Hélène, l’épouse de Benjamin. Il n’y avait pas de raison pour que sa belle-sœur ait le buste de son mari et pas elle. « Crois-tu, avait-elle écrit le 20 octobre, qu’Emma pourra faire faire des reproductions de ton buste en terre cuite et qu’elles seront ressemblantes ? Je suis un peu jalouse de voir que je n’aurai pas le mien.» Le 21, son mari lui répondait : « Il me semble qu’il sera très beau : tu seras bien contente. Mais ne te tourmente pas de savoir si tu l’auras en plâtre ou en terre cuite. Le plâtre est plus beau que la terre cuite. » Nous savons maintenant qu’en dehors de la terre cuite il y a eu des répliques en plâtre, en pierre bourguignonne, en marbre et en bronze, mais en 1886 on n’en était pas là. Sans doute y eut-il une promesse, puisque le 28 elle écrivait, par anticipation : « Je suis toute fière d’avoir ton buste. Si le recteur voulait faire quelque chose de bien, il le mettrait à la nouvelle Faculté. J’espère quelque peu qu’il le fera. » Quant à Benjamin, je suis sûr que ce n’était pas par vanité personnelle qu’il admirait l’œuvre de l’artiste. Localisation actuelle (en 2011) des différents bustes Buste original en terre cuite, sculpté par Henry Maurette en1886 : Corneilla-la-Rivière. [Figure 14] Moule en pièces : Ayrinhac. Répliques authentiques en plâtre, datées ou non de 1887 : Chalon (Musée Denon) [Figure 12], Garches, Laissac, Nant, Sévérac-l’Église. Deuxième buste sculpté par Maurette, en marbre, daté de 1890 : Observatoire de Toulouse. [Figure 12] Buste en bronze, moulé en 1937 d’après la terre cuite de 1886 ou un plâtre de 1887 ou le moule déjà fait, avec adjonction de la rosette de la Légion d’Honneur, érigé à Chalon en 1938, disparu pendant l’Occupation. [Figure 13] Moulage du précédent, réalisé par Georges Granger : non conservé. Buste en pierre, sculpté en 1953 par Georges Granger d’après le moulage du bronze : square du Palais de Justice de Chalon-sur-Saône. [Figure 16, Figure 17] * * * Un moule de plâtre fut confectionné, en nombreuses pièces, et quelques répliques en plâtre, le tout, à l’évidence, par le sculpteur lui-même ou sous sa direction immédiate ; ces répliques authentiques portent ou non, gravées à la main dans le plâtre, la signature et la date. Le moule, non signé ni daté, a été longtemps conservé chez Henri Baillaud, fils d’Hélène et de Benjamin, 82, rue des 36 Ponts à Toulouse. Le moule se trouve maintenant à Ayrinhac chez Hélène Boisdon, fille d’Henri. Je me plais à penser que le premier buste de plâtre fut offert à Hélène et qu’il trôna dans le logement des Baillaud. Un autre a été offert au beau-frère de Benjamin, Edmond Bouty, qui écrivait le 31 décembre 1887 : « le pied que vous nous avez envoyé est en parfaite harmonie avec nos meubles : il est vraiment très beau et digne de porter l’œuvre de M. Maurette. Maintenant qu’il y a ton buste et que nous avons mis en face de la cheminée deux appliques de Barbedienne, le salon n’est plus reconnaissable » ; ce buste est aujourd’hui à Nant. Un autre encore a été donné à Léonie et Marie Pons, les sœurs d’Hélène ; il est d’abord resté dans leur maison de Laissac, devenue celle de Marthe, la deuxième fille d’Hélène et de Benjamin ; il est maintenant à Garches, chez Pierre Didier, petit-fils de Marthe. Deux moulages, signés « Hry Maurette 1887 », sont actuellement dans l’Aveyron chez Madeleine et Marie-Thé filles de Paulette Boisdon à Laissac et dans la famille de Marcel Baillaud à Sévérac-l’Église : sans doute mes grands-parents ne les avaient-ils attribués à personne. Un autre était chez Henri Baillaud, au 82, rue des 36 Ponts ; il s’est brisé ; c’était peut-être celui du salon de l’Observatoire de Toulouse. Il en existe un, en plâtre encore, à Chalon-sur-Saône : pourquoi ? Les industriels chalonnais Pinette étaient très liés avec les Baillaud. La jeune institutrice libre Emma Baillaud avait eu, « comme élève tout-petit », Paul Pinette (1865-1932), fils de Gustave (1838-1923). Benjamin écrivait en 1933 : « Gustave Pinette est pour moi ce courageux chef d’atelier qui, il y a soixante ans m’offrit d’être son associé dans ses entreprises. Je ne pouvais accepter, n’étant pas sûr d’avoir les qualités pour cette situation ; mais nous avons vécu parfaits amis. » Les deux familles recherchaient les occasions de se rencontrer, à Chalon, au Pic du Midi ou ailleurs. Un exemplaire en plâtre du buste de Benjamin fut offert à Gustave Pinette ; il était dans les usages d’envoyer sa photo à ses amis ; un buste, c’était plus rare. En 1933, après la mort de Paul Pinette, ce buste, ni signé ni daté, fut offert au Musée Denon, de Chalon, par Gustave Pinette junior (1897-1966), fils de Paul. Il figure dans le catalogue du Musée édité en 1963 sous le numéro 321 (Inv. S. 72). Le 13 catalogue suggère : « c’est peut-être la maquette du buste en bronze exposé au salon de 1894 » ; non, le catalogue du salon de 1894 mentionne ce dernier (numéro 3381, page 289), mais rien ne laisse penser qu’il s’agisse de Benjamin Baillaud, ni que le « Baillaud » de Maurette ait été réalisé en bronze à cette époque. Le 23 février 1887, l’aîné des enfants, Émile, écrivait à son cadet, Jules : « Le buste de papa est magnifique ; il pose avec sa robe. On va le faire en marbre, parce que tante Emma voulait la terre et le plâtre, et Monsieur Maurette a dit que, puisque c’était comme ça, qu’il le ferait en marbre pour papa et qu’on en tirera des plâtres pour chacun de nous quand nous serons grands. » Tout cela ne se réalisa pas, mais un nouveau buste fut effectivement sculpté en marbre, signé « Henry Maurette 1890 » ; je présume qu’il s’est substitué à un buste de plâtre dans le salon d’Hélène et Benjamin. Quand les Baillaud partirent pour l’Observatoire de Paris, les documents relatifs au déménagement font état d’un buste de 200 kilos. Benjamin l’a emporté quand il a pris sa retraite à Toulouse ; je suppose qu’après sa mort ses enfants l’ont donné à l’Observatoire de Toulouse. Il est actuellement dans la bibliothèque de l’Observatoire Midi-Pyrénées de Toulouse, en compagnie de son prédécesseur, le Bourguignon Félix Tisserand (en plâtre), au 14 de l’avenue Édouard Belin ; il porte la mention : « Baillaud Benjamin (1848-1934) Directeur de l’Observatoire de Toulouse (1879-1907). » Dans le catalogue Cinq siècles d’astronomie toulousaine édité par les Archives municipales de Toulouse, on voit, page 184, une photographie de la salle des mesures, la salle des « dames de la carte », c’est-à-dire des dames qui faisaient les mesures et les calculs nécessaires à la Carte photographique du Ciel (ces dames, qui comptaient en énonçant « septante », « huitante » ou « nonante » pour limiter les risques d ’erreurs) ; au milieu de la photo se trouve un buste de Benjamin Baillaud, bien blanc, je suppose en plâtre. On se représenterait mal aujourd’hui le buste d’un chef d’établissement dans une salle de travail ; on parlerait de paternalisme, ou pire ; tellement de choses ont changé depuis cette époque qu’il ne serait pas honnête d’émettre un jugement moral ; en fait l’atmosphère était chaleureuse à l’Observatoire et le personnel avait de l’affection pour son directeur, et puis il faut compter avec le prestige, à Toulouse, de l’habile sculpteur qu’était Maurette. Je veux croire que le buste a été mis là pour la photo. [Image de la lettre manuscrite à Gustave Pinette, 1933] L’hommage de Chalon-sur-Saône Je ne sais à la suite de quelles circonstances (présentation par un professeur du collège ?) Benjamin a reçu à Toulouse un ancien élève du collège de Chalon, Louis Montangerand (1866 – 1943). Le 6 octobre 1883, il écrivait à sa femme : « J’ai trouvé à Toulouse ce jeune Montangerand, qui paraît très bien. Je lui ai donné le lit de sangle parce qu’il n’avait apporté qu’un matelas, une couverture, un traversin et des draps. Pour son régime, le plus simple sera sans doute de lui faire prendre pension en ville, ce qui, en définitive, le forcera à se promener un peu. Écris-moi à ce sujet. » Arrivé à Toulouse à dix-sept ans, Montangerand continua ses études, au Lycée (mathématiques spéciales), puis à la Faculté des sciences ; il effectua avec beaucoup d’activité toute sa carrière d’astronome à l’Observatoire de Toulouse. Après la mort de son ancien directeur, il publia sur lui, dans le Bulletin annuel de l’Association amicale des anciens élèves du Collège de Chalon-sur-Saône, une notice dans laquelle on lit : « le signataire de la présente nécrologie est fier d’avoir été le disciple affectueux du grand Chalonnais dont nous déplorons la perte. » Il ne pouvait pas ignorer l’existence du buste ; les responsables de l’association pouvaient voir celui du Musée Denon. Je ne serais pas étonné que Montangerand ait joué un rôle de déclencheur dans l’initiative de l’Association, en coopération avec les deux chevilles ouvrières du comité Benjamin Baillaud, Émile Dodille et François Tremaux, ancien directeur du Progrès de Saône-et-Loire ; il représentait le comité à Toulouse. L’Association des anciens élèves a chargé une commission d’étudier la question. Le 20 mai 1935, le Conseil de l’Association prenait en considération l’idée de F. Tremaux de fixer une plaque de marbre sur la maison natale, portant l’inscription « Dans cette maison est né Benjamin Baillaud ancien élève du Collège, directeur de l’Observatoire de Paris, membre de l’Institut 1848-1934. » Une circulaire sera adressée à tous les membres de l’Association pour les inviter à souscrire. Une réunion eut lieu le 19 mars 1936 : second projet, un buste de bronze. « Notre camarade Montangerand » ainsi que M. le Principal donneront des listes de personnalités à solliciter en vue d’une souscription. « Notre camarade Gaston Petit, sculpteur de talent », sera consulté ; en 1938 Petit (1890-1984) exposa au Salon des Artistes français le buste en pierre de Pierre Mauchamp, c’était un élève d’Injalbert, il travaillait à Paris ; collaborerait-il ? pourrait-il fournir un devis approximatif ? On parla de 10 000 à 35 000 francs. L’Association lança une souscription pour l’érection d’un buste en bronze dans un jardin public de Chalon ; la municipalité avait donné son accord. Où le travail serait-il fait ? M. Henri Huet a trouvé dans la presse locale de l’époque qu’une fonderie toulousaine fut préférée au Chalonnais Petit. Le buste coûtera 2 500 francs ; la stèle et le socle seront dessinés par un architecte chalonnais. Les documents font défaut pour savoir si le buste de bronze a été obtenu par la méthode de la « fonte au sable », réalisable à partir de l’un ou l’autre des bustes existant à Chalon ou à Toulouse, ou par la méthode de la « cire perdue », qui pouvait se pratiquer directement à partir du moule de plâtre « à pièces » alors conservé à Toulouse. Le Bulletin de 1937 précise que le buste de bronze est l’exacte réplique de celui de l’Observatoire de Toulouse ; 14 on pourrait en conclure qu’il a été moulé à partir de ce dernier (marbre), mais l’examen attentif des documents montre que c’est une erreur : il reproduit fidèlement la première sculpture, de terre cuite, ou ses répliques de plâtre (voir le bouton situé sous la cravate). C’est M. Montangerand qui a résolu « un des problèmes les plus épineux […] l’exécution du buste. » Le 6 décembre 1936, le montant des souscriptions « est de 5 336 francs ; le Conseil Général a voté une somme de 500 francs qui n’est pas encore versée. » L’architecte municipal, M. Boullier, a préparé un projet de stèle, dont le devis s’élèverait à 5 800 francs, or les souscriptions ont permis de recueillir 6 066 francs 25, somme sur laquelle ont été prélevés le coût du buste et de nombreux frais de correspondance. Il reste à recueillir 5 000 francs, pour lesquels les membres de l’Association sont sollicités. Le bronze est « déposé chez M. Et. Simon, président de l’A. » Lors de l’Assemblée générale du 5 décembre 1937, on apprend que la souscription est insuffisante ; on propose de déposer le buste au Musée et on continue la collecte des fonds. Le Conseil municipal de Chalon « a voté […] une somme de 400 francs qui manquait pour faire la somme nécessaire. » Je suis impressionné par les soucis que se sont imposés les responsables de l’Association des anciens élèves en mémoire de leur ancien camarade. Le buste a été inauguré solennellement le dimanche 9 juin 1938. Un compte rendu et une photographie ont paru dans le Courrier de Saône-et-Loire du 20 juin 1938. Le Bulletin annuel de l’Association de 1938 contient le récit de la cérémonie et le texte des cinq discours prononcés à cette occasion, discours au style recherché, adaptés à ce genre de circonstance. Le vice-président de l’Association, Landa, rappela que Baillaud avait été parmi les premiers adhérents de l’Association des anciens élèves du collège ; il remerciait notamment les promoteurs de l’œuvre, L. Montangerand et F. Tremaux, récemment décédé, et la Municipalité, qui avait donné l’autorisation nécessaire. Il avait la certitude que la ville de Chalon assurerait jalousement la conservation de ce monument. Alors tomba le voile qui recouvrait le buste et le piédestal. On apprit que la famille avait souhaité que le buste soit tourné vers la maison natale, l’immeuble qui fait l’angle de la place de l’Obélisque et de la rue de la Citadelle. Voici les inscriptions du devant et des côtés de la stèle, telles qu’on peut les lire aujourd’hui sans ponctuation : Benjamin baillaud, né à chalon, 1848 – 1934, membre de l’institut et du bureau des longitudes, grand officier de la légion d’honneur, directeur de l’observatoire de paris. Doyen de la faculté des sciences de toulouse et président du bureau international de l’heure et de l’union astronomique internationale. Erigé par souscription ouverte par l’association des anciens élèves du collège de chalon, le 19 juin 1938, monsieur nouelle étant maire de chalon. Le maire, Georges Nouelle, rappelle que Benjamin Baillaud, issu d’une famille de sept enfants, fit ses études dans une institution privée, puis à l’école des Frères, puis au Collège à partir de l’âge de neuf ans, puis au lycée de Lyon, grâce à des bourses municipales ; qu’ensuite, tout le long de sa carrière il conserva l’accent bourguignon ; il signale qu’une voie publique de Chalon porte le nom de Benjamin Baillaud. Quant à la ville de Chalon, « pour avoir aidé dans ses débuts l’enfant devenu illustre […] elle s’est illustrée elle-même. » Le recteur de l’Académie de Toulouse, Joseph Deltheil, expose l’œuvre du doyen Baillaud à l’Observatoire et à la Faculté des sciences. Il rappelle par exemple la création du P.C.N., destiné à ce que, avant d’entreprendre la médecine, les étudiants profitent d’une année d’études scientifiques ; c’est à Toulouse que le P.C.N. fut d’abord expérimenté. Le directeur de l’Observatoire de Paris, Ernest Esclangon, expose l’œuvre toulousaine et surtout parisienne de son prédécesseur, par exemple l’installation à Paris d’un service horaire, en 1910, avec les premières émissions de signaux horaires scientifiques par T.S.F. Après ces discours, les invités visitèrent le Musée Denon, puis un repas eut lieu au Royal Hôtel ; le menu ne figure pas dans le Bulletin des anciens élèves, mais il n’est pas indiscret d’en divulguer le libellé , avec tous ses articles définis et toutes ses majuscules : Menu du Déjeuner offert, par l’Association Amicale des Anciens Elèves du Collège de Chalon-sur-Saône, à l’occasion de l’inauguration du buste de Benjamin BAILLAUD. Les Hors-d’Oeuvre variés. Les Filets de Barbue Dugléré. Le Cœur de Filet à la broche, Sauce Béarnaise, garni Renaissance. Le Pâté Maison. Les Cœurs de Laitue Mimosa. La Bombe Elsa. Les Fruits. Les Desserts. Le Bourgogne en carafe, Blanc et Rouge. Le Chambolle-Musigny 1929. Le Rully Mousseux. Le Moka. Les Liqueurs. 19 juin 1938. Royal et Grand-Hôtel. 15 [image du menu] À la fin du repas, on entendit le discours du fils aîné de Benjamin, Émile Baillaud, secrétaire général de l’Institut colonial de Marseille. « J’ai le bonheur, dit-il, de pouvoir me rappeler mon grand-père et ma grand’mère et je les vois très bien dans leur pauvre logis de Chalon » ; il évoquait « cette dignité austère […] qui était le propre des vies sérieuses d’autrefois » ; il pensait que ce n’était pas seulement le savant qui était honoré à cette occasion « mais cette famille de Bourgogne, […] comme un symbole de toutes les vertus de la race. » Il rappelait le souvenir de ses tantes chalonnaises Esther et Emma et par-dessus tout celui de sa mère. La sensibilité d’Émile était foncièrement celle d’un artiste ;il termina son allocution en soulignant le talent du sculpteur Maurette qui « aurait mérité la célébrité que sa modestie a réservée à ses élèves » : il eut en effet de nombreux élèves, parmi lesquels plusieurs prix de Rome et artistes renommés, comme Alexandre Falguière et Antonin Mercier. Des photos de ce buste de bronze figurent dans le Bulletin. On remarque tout de suite ses décorations, les rosettes d’Officier des Palmes académiques et d’Officier de la Légion d’honneur. Une bizarrerie saute aux yeux du lecteur. C’est à l’époque où Maurette a fait sa sculpture, en 1886, que Benjamin fut nommé Chevalier de la Légion d’honneur (décret du 15 octobre 1886). Alors, la rosette d’Officier, usurpation de titre ? port illégal de décoration ? gasconnade anticipatrice du sculpteur ? Point du tout. Retournons aux sources. Non, le buste d’argile, le moule en pièces, les répliques de plâtre, le buste de marbre, tous portent la simple croix de Chevalier de la Légion d’honneur ; pour le buste du Musée Denon, alors dans les réserves, ma nièce par alliance Virginie Gaiffe, sur une échelle perchée, s’en est assurée elle-même. Donc la rosette a été ajoutée après coup, au moment de la confection du buste de bronze destiné au square du Palais de Justice. Le visage est celui que le sculpteur a modelé en 1886, alors que la rosette n’a été attribuée à Benjamin que près de quinze ans plus tard, mais il portait largement son âge. À tant faire, on aurait pu lui mettre la décoration à laquelle il avait eu droit en dernier lieu, à partir de soixante-dix-neuf ans, les insignes de Grand-Officier, mais la substitution de cette décoration aurait été plus difficile et l’on risquait d’aggraver l’anachronisme : quarante ans après le travail du sculpteur, son visage était devenu celui d’un homme âgé. Le buste déboulonné 1939, encore la guerre. 1940, l’invasion allemande. Le dix-sept juin au soir, l’armée allemande entrait dans Chalon-surSaône. C’était le statut de la zone occupée. Les premiers temps, les occupants passèrent pour « corrects » ; cela ne dura pas. Parmi leurs méfaits les plus anodins, il y eut l’enlèvement de nombreuses sculptures de bronze des jardins publics. Les directives générales venant de Vichy sont connues ; mais la consultation de divers dépôts d’archives ne m’a que rarement permis de remonter à des interventions allemandes, comme si ces actes nombreux n’avaient pas été du tout coordonnés par des décisions écrites des occupants. L’impression se dégage de multiples initiatives locales désordonnées, françaises et allemandes, aux motivations diverses. À Colmar, dès le 9 septembre 1940, le service du travail du Reich mit à bas la statue du général Rapp, les fragments n’ont pas été fondus mais remisés, et le 5 juillet 1945, la statue, reconstituée, fut replacée. Kléber, à Strasbourg, a été déboulonné le 30 septembre 1940, acte symbolique encore, mais non fondu ; on l’a remis en place après la guerre. On peut supposer que les Allemands ne voulaient plus voir les statues de leurs adversaires, mais peut-être une solidarité entre hommes d’armes a-t-elle joué pour empêcher leur destruction. À Metz, Faber et Ney sont restés à l’abri des regards dans les jardins des Franciscains, rue Marchant, ce qui a permis leur réapparition après la guerre. Pourtant l’industrie de guerre avait besoin de divers métaux, qu’elle ait eu son siège dans des usines allemandes ou françaises. Du côté prétendument français, le gouvernement organisa la « mobilisation », terme patriotique, des métaux « non ferreux ». Avant même l’instauration de l’impôt-métal (9 février 1943), la loi du 11 octobre 1941 prévoyait l’enlèvement des statues des lieux publics sous le contrôle de commissions départementales. Seules devaient être conservées les statues de gloires nationales incontestables, précisait l’amiral Darlan. Une circulaire aux préfets du 14 novembre 1941 affirmait que le cuivre était nécessaire au traitement de la vigne, le plomb à la lutte contre le doryphore et l’étain à la fabrication des boîtes de conserve ; personne ne savait si une part des métaux collectés serait réellement affectée aux besoins des Français. Les documents officiels que j’ai pu voir mettent les déboulonnages sous l’entière responsabilité des préfectures et des municipalités ; la réalité est sans doute plus compliquée. Je n’ai pas trouvé d’étude rétrospective d’ensemble de ces destructions de sculptures non ferreuses. Je me demande s’il n’est pas arrivé qu’après la guerre on attribue à la main des Allemands ce qui avait été fait par des Français, contraints et forcés. En fait, les occupants surveillaient les opérations et aussi des Français non mandatés pour cela. Ainsi, à Nantes on décida de conserver Jeanne d’Arc et d’enlever le général Cambronne et le colonel de Villebois-Mareuil ; cependant les Allemands firent suspendre la décision concernant Cambronne, célèbre pour avoir dit un gros mot aux Anglais, et remettre en place Villebois-Mareuil, le « Lafayette du Transvaal », tué par les Anglais pendant la guerre des Boers, parce que « le colonel a combattu l’Angleterre, l’ennemi commun de l’Allemagne et de la France ». À Perpignan, la statue de François 16 Arago a été sauvée par le récupérateur chargé de l’envoyer à la fonte, après une collecte équivalente de métal faite auprès de la population. À Rivesaltes, la Minerve prêtée par le Louvre a disparu sans laisser de traces. À Bordeaux, les chevaux du monument des Girondins ont été enlevés, dit-on, par les Allemands et expédiés vers l’Allemagne ; la Résistance aurait arrêté ce transport en faisant dérailler le train ; cependant, la presse locale d’août 1943 précise que les bronzes ont été enlevés par « les services du Commissariat à la mobilisation des métaux non ferreux », pour « l’industrie française » ; la ville toucha une contrepartie de 1 494 450 francs ; les bronzes furent mis de côté par une entreprise d’Angers, ville d’où ils ont été réexpédiés intacts à Bordeaux, dans l’été de 1945. Le Jean-Henri Fabre de Millau a été emporté, mais celui de SaintLéons, en partance pour la fonte, a été intercepté à Neussargues par des cheminots résistants le 22 janvier 1944, caché à Murat, puis rapatrié à Saint-Léons, le moment venu. – Pour Paris une documentation se trouve dans June Hargrove : Les statues de Paris. Albin Michel 1991 ; Yvon Bizardel, « Les statues parisiennes fondues sous l’Occupation », in : Gazette des Beaux-Arts, 1974, p. 130-148 ; Georges Poisson : « Le sort des statues de bronze parisiennes sous l’Occupation », in : Paris et Ile de France, Mémoires, t. 47 (2), 1996, p. 166-198 ; Lin Young Bang : « Les statues de Paris de 1870 à 1940 », dipl. d’ét. sup. de l’Institut d’art et d’archéol., 1961, manuscrit CP 3404 de la Bibl. hist. de la Ville de Paris ; mais pour le déboulonnage il faudrait chercher aux Archives nationales ou aux Archives de Paris. Il y a matière à de nombreuses études ponctuelles. Je n’ai rien pu trouver concernant les modalités de ce qui s’est passé à Chalon-sur-Saône. Disparurent les représentations de François Chabas, un égyptologue du XIXe siècle, du docteur Mauchamp, médecin chalonnais assassiné à Marrakech en 1907, et de Benjamin Baillaud ; admettons sans preuve que c’était en 1941 ; M. Guignardat me souffle : 1942 ; nous reviendrons sur les circonstances, peut-être exceptionnelles, du rapt de ces sculptures ; madame Patricia Sermet me dit que des Chalonnais avaient mis à l’abri la statue de Nicéphore Niepce. Après la guerre, les réactions en France furent diverses. Certains se réjouirent même de la disparition de ces sculptures de square, qu’ils considéraient comme passées de mode. D’autre part il a existé des indemnités de « dommages de guerre » : je n’ai pas entendu dire qu’il y en ait eu pour ce genre de dommages. Dans le square du Palais de Justice, il restait un socle, une stèle qui portait les inscriptions explicatives et qui était surmontée de deux tiges de fer, les restes des boulons qui avaient fixé le buste. L’ensemble était lamentable. Or, m’écrit le journaliste Claude Elly, Chalon est une ville de vieille tradition carnavalesque. Ceux et celles qui se déguisent et aiment à faire des farces dans les rues ont été rebaptisés « goniots », c’est-à-dire mal habillés, mal « gonés » ; ils ont un roi fictif nommé Cabache, servi par les membres d’un ordre royal gôniotique. Maintenant je laisse s’exprimer un acteur essentiel, M. Yves Guignardat. « Nous étions un groupe d’une trentaine de Chalonnais, tous anciens élèves du Collège, étudiants dans des grandes Écoles ou en Fac, à Paris, à Dijon, à Lyon, ou à Grenoble ». Nous avions fondé la “ Société Traditionaliste des Gôlois ” dont j’étais le Vergobret. Mes pôtes, Archidruides, Druides, Gôlois, ont organisé (à l’instar des Copains de Jules Romains) les plus grandes farces qui ont eu lieu à Chalon. Nous nous y retrouvions pour toutes les vacances : Noël, Carnaval, Pâques, Grandes vacances, de la Libération, 1944, à 1952. Et c’était la grande joie. Il y aurait un livre à écrire sur tout ce que nous avons inventé !! Nous avons eu, entre autres, six premiers prix des “ gôniots ” au Carnaval, successivement de 1946 à 1951. Dans nos Écoles respectives, nous étions les “ C.D.O. ” (chefs d’orchestre), c’est-à-dire que c’est nous qui “menions la danse” et qui étions responsables des bizutages. C’est notre bande qui a fondé après 1946 à Chalon le Ciné-Club, le Jazz-Club (j’étais batteur de jazz New Orléans), le Spéléo-Club Archéologique de Bourgogne, puis nous avons animé le Comité des Fêtes (j’étais le “barde” de la confrérie goniotique), le comité des Foires, le Rotary, etc. ; j’étais maire-adjoint de Chalon et j’avais aidé à fonder le Musée Niepce. » [Figure 15] « En ce qui concerne le buste, précise M. Guignardat, une nuit de libations de l’été 1945, il nous est apparu qu’on ne pouvait absolument pas laisser cette stèle vide. Nous étions une vingtaine à escalader les murs et grilles de notre ancien collège et nous avons été voler un très beau buste d’un philosophe barbu dans la classe de notre ancienne professeur de dessin (madame Colliard dite « Mémierte » parce qu’elle était l’épouse du professeur de mathématiques surnommé « Pépierte »). Ce n’était pas un astronome. Nous l’avons promené en grande pompe dans toute la ville en chantant tous les chants d’étudiants, puis nous avons procédé à l’inauguration, avec quelques discours pleins d’humour, dont quelques-uns en latin. Et puis, comme c’était notre habitude, nous avons pris une photo souvenir, avec un appareil énorme en bois, une plaque de verre et une torche de magnésium. » [Figure 15] Yves Guignardat a chez lui cette photo, noir et blanc, 13x19, dans sa collection de 120 000 photos, qui iront après lui au Musée Niepce. Un nouveau buste, en pierre Les enfants de Benjamin avaient tous une vénération profonde pour la mémoire de leurs parents. C’était en particulier le cas du plus âgé de ceux qui restaient, l’astronome parisien Jules Baillaud, directeur honoraire de l’Observatoire du Pic du Midi : celui-ci apprit avec tristesse l’enlèvement du buste et l’état du monument. Il se proposa d’en offrir une copie en « pierre statuaire » ou en marbre, éventuellement à frais communs avec d’autres membres de la famille. Il connaissait à Bagnèresde-Bigorre un sculpteur, Charles Bouget (décédé depuis lors, en 1981), fils de Joseph Bouget, le remarquable botaniste attaché à l’Observatoire du Pic du Midi. Charles Bouget acceptait de faire le travail, cependant il tenait à l’offrir, en 17 souvenir des excellentes relations de son père avec Benjamin et Jules Baillaud. Jules souhaitait néanmoins rémunérer Charles Bouget : quel prix proposer ? Il posa la question au directeur de l’École des Beaux-Arts. « Mais les artistes ne savent pas tenir une plume, ou ne sont pas très polis. Après près de deux mois, je n’ai pas encore de réponse. » Cela n’empêchait pas d’avancer. Pourparlers avec la municipalité de Chalon, avec le maire, Georges Nouelle, qui était déjà en fonction en 1938 lors de l’inauguration du buste de bronze (il conserva son mandat jusqu’en 1965). Justement, répondit le maire, le Conseil municipal, le 25 novembre 1952, avait décidé le « remplacement des bustes et statues dérobés par l’ennemi, par des exemplaires en pierre, établis d’après des moulages conservés au Musée. » Les termes employés accusent assez explicitement les occupants du déboulonnage lui-même. En bon journaliste, M. Claude Elly me signale le Courrier de Saône-et-Loire du 27 novembre 1952. Celui-ci rend compte de la séance du Conseil municipal : « La commission des travaux publics est d’accord pour accepter la réfection en pierre des bustes et statues enlevés par l’ennemi pendant l’Occupation. Mais devant la dépense totale, elle décide d’échelonner les dépenses sur deux années. M. Jean Randé [socialiste comme M. Nouelle], propose de voter la somme de 528 000 Francs pour la remise en place des bustes de [François] Chabas, du docteur Émile Mauchamp et de Benjamin Baillaud. M. Gaudillère confirme sa position en commission des travaux publics. Il ne voit pas l’utilité de remplacer ces bustes. M. Randé insiste et déclare que ces bustes ont une valeur pour les Chalonnais. M. Lecorchey ne veut pas atteindre le souvenir de ces personnes. Mais pour éviter le rappel de cette pénible époque de l’Occupation, il est préférable d’attendre pour remettre ces bustes en place. Le R.P.F. s’abstient : MM. Bavot, Lecorchey, Puget, Dubost, Gaudillère et le docteur Blanc. Le rapport de M. Jean Randé est accepté. » On voit que les deux opposants de la Commission étaient, au Conseil, parmi les abstentionnistes. L’intervention de M. Lecorchey laisse se demander pourquoi ne pas se rappeler l’Occupation. À la date du 10 mai 1953, le maire pouvait écrire à Jules Baillaud que le buste était « actuellement à la sculpture » ; il « sera replacé sur son socle dans un mois au plus tard. » ; « l’exécution de cette œuvre a été confiée à M. Granger, sculpteur chalonnais, auteur des moulages du buste en bronze primitivement érigé. » Quels moulages ? J’ai d’abord pensé à une erreur. Le sculpteur Georges Granger (1989-1975), me dit Mme Patricia Sermet, sa petite-fille, venant de Levallois-Perret, était sorti de l’école Bernard Palissy et de l’école des Arts appliqués ; c’était ce que l’on appellerait un habile artisan d’art, marbrier et sculpteur ; il avait également une activité d’entreprise, réalisant par exemple (mais non comme créateur) le monument aux morts américains de Draguignan ou le monument aux morts de Chalon-sur-Saône. Le nouveau buste qu’il a réalisé est d’une matière toute différente des deux bustes (plâtre et bronze) qu’avait connus Chalon : le sculpteur Robert Rigot, prix de Rome, qui travailla un temps chez Granger, me dit que celui-ci opérait sur du calcaire, la pierre de Buxy, pierre bourguignonne. Sur ce nouveau buste, Benjamin Baillaud se retrouve avec ses deux rosettes. C’est que le sculpteur n’a pas pris modèle sur le buste du Musée. Mme Sermet m’a expliqué qu’après avoir enlevé les trois sculptures chalonnaises, on les avait d’abord portées à M. Granger pour qu’il en fasse des moulages ; ainsi le métal était envoyé à la fonte mais les œuvres des artistes étaient préservées. Le buste de Baillaud sculpté par Georges Granger est bien la reproduction du buste de bronze ; quant à Mauchamp et Chabas, qui n’avaient probablement de répliques nulle part, il en avait également des moulages. Qui avait porté les bustes chez M. Granger ? Sa petite-fille a entendu dire que c’étaient des Allemands, circonstance étonnante, confirmant, si elle est exacte, le rôle présumé des Allemands dans le déboulonnage. La mise en place des nouvelles sculptures a donc dû se faire en mai ou en juin 1953. M. Henri Huet a parcouru les journaux chalonnais ; Mauchamp y est seul mentionné. Pas d’indication de la moindre manifestation officielle. Que sont devenus les moules et moulages exécutés par Georges Granger ? Mme Sermet pense qu’ils ont été détruits ; l’entreprise a été vendue dans les années 1970, l’acheteur est décédé ; les locaux ont été démolis ; des logements ont été construits « avenue Monot prolongée », ne laissant nulle trace du bâtiment précédent. Les années passèrent. Les inscriptions de la stèle devenaient de moins en moins lisibles. Le 20 février 1988, le maire Dominique Perben signalait qu’il demandait aux services techniques de la ville de procéder à une réfection de l’inscription dès que ce serait possible. M. Huet me précise que des plaques nouvelles ont été apposées sur les côtés de la stèle. Aujourd’hui, soumis aux intempéries depuis plus de cinquante ans, c’est le buste lui-même qui commence à se dégrader. Il n’est pas sûr que sa remise en état soit moins coûteuse que la nouvelle fonte d’un buste de bronze. Conclusion? L’idée de retracer l’histoire de cette sculpture me faisait craindre d’avoir à me faire l’écho d’un triomphalisme déplaisant. Je 18 pense que ce n’est pas le cas, même si je risque de passer pour partial en le disant. En effet, depuis l’aide apportée par Chalon à mon grand-père dans sa jeunesse, je suis frappé par la manifestation d’un enchaînement ininterrompu de sentiments et d’attitudes réciproques de générosité, d’admiration, de reconnaissance et d’amitié. Des esprits chagrins diront qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, mais ici il s’agit de sculpture et non pas de littérature, et d’autre part les bons sentiments sont quand même plus agréables que les mauvais. C’est à la chaleur des relations humaines que l’on peut penser quand on voit des bustes dans des jardins publics. Je remercie les personnes qui m’ont apporté des précisions sur l’œuvre même de mon grand-père. En outre, l’amabilité remarquable de nombreuses autres m’a procuré des données que j’ignorais sur divers épisodes qui ont marqué l’histoire de ces bustes ; peut-être certains des plus intéressants me sont-ils restés inconnus. Mon regret principal est de ne pas savoir de quelles conversations, de quels commentaires, ces divers bustes ont été les témoins, peut-être sourds et malheureusement muets. Je sais seulement que, dans une chambre d’enfants, cette grosse tête de plâtre a donné des cauchemars à une arrièrepetite-fille de Benjamin. Mémoire Le 27 septembre 2007, l'astéroïde 11764 a été appelé Benbaillaud par sa co-découvreuse Ingrid van HoutenGroeneveld, sur la suggestion de l'astronome Joseph S.Tenn, de la Sonoma State University. Celui-ci s'était donné pour mission de voir si tous les récipiendaires de la médaille Bruce de l'Astronomical Society of the Pacific étaient ainsi honorés. (On s'est aperçu récemment que lorsque la petite planète 1280 Baillauda, qui a reçu son nom peu après la mort de Benjamin, le découvreur voulut que ce soit en l'honneur de Benjamin. Cependant cette information s'est perdue et Baillauda vint à être considéré par l'Union Astronomique Internationale comme dédié à l'astronome Jules Baillaud, fils de Benjamin.) Le cratère Baillaud, sans prénom, situé dans la région polaire nord de la face visible de la Lune, découvert par l'astronome franco-grec Félix Chemla-Lamech, paraît avoir été dédié à Jules Baillaud, puis (peut-être à l'instigation de ce dernier) transféré à Benjamin. Sa mémoire est rappelée par l’appellation de la coupole Benjamin Baillaud de l’observatoire du Pic du Midi, par plusieurs voies publiques (outre celle de Chalon, la rue Benjamin Baillaud de Toulouse, l’avenue Benjamin et Jules Baillaud de Bagnères-de-Bigorre, la place Benjamin Baillaud de Laissac). Plus récemment (en 2001), l’amphithéâtre Benjamin Baillaud à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Fierté aussi de ses petits-enfants de voir son nom dans divers dictionnaires (et, jusqu’à des années récentes, dans le Petit Larousse). L’observatoire du Pic du Midi a mis en vente un timbre-poste commémorant « 1909-2009 (le) centenaire de la Coupole Baillaud ». Pour l’année mondiale de l’astronomie 2009, la poste de la Guinée a émis un timbre en son honneur. Chronologie statuaire et questions aux curieux et aux chercheurs. Octobre 1886. Premier buste, en argile, sculpté par Maurette, offert (date inconnue) à Mlle Emma Baillaud, puis recueilli (on peut le supposer, mais j’ignore quand) par Henri Baillaud, 82, rue des 36 Ponts à Toulouse, actuellement à Corneilla-laRivière chez Jacques Baillaud, fils de Raymond, fils d’Henri. 1886 ou 1887 ? Confection d’un moule, qui a été entreposé 82, rue des 36 Ponts, actuellement démonté en de multiples pièces, conservé à Ayrinhac chez Hélène Boisdon et ses enfants. 1887. Réalisation de moulages de plâtre, datés ou non 1887, l’un sans aucun doute, pour Hélène Baillaud ; un deuxième, offert à Léonie et Marie Pons, les sœurs d’Hélène, a été conservé dans la maison de Léonie devenue maison « Privat », et se trouve maintenant à Garches chez Pierre Didier ; un autre, offert à Edmond et Émilie Bouty, est actuellement à Nant, un autre encore offert à la famille Pinette est depuis 1933 au Musée Denon, de Chalon ; un moulage conservé un temps 82, rue des 36 Ponts s’est brisé ; c’était peut-être celui d’Hélène. Deux autres sont dans l’Aveyron, chez Madeleine et Marie-Thé, filles de Paulette Boisdon à Laissac et chez les enfants de Marcel Baillaud à Sévérac-l’Église ; peut-être n’avaient-ils pas eu d’affectation initiale ; ils portent, gravée à la main, la signature Hry Maurette 1887. 1890. Un buste de marbre, signé henry Maurette 1890, que je veux croire destiné à Hélène, transporté par la suite à Paris, déposé actuellement à l’Observatoire de Toulouse : je suppose après le décès de Benjamin (ou dès sa retraite, lors de son emménagement à Toulouse ?) 1936. L’Association amicale des anciens élèves du Collège de Chalon-sur-Saône, après avoir pensé à la pose d’une plaque sur la maison natale, lance une souscription. 19 juin 1938. Inauguration d’un buste en bronze dans le square du Palais de justice de Chalon-sur-Saône, identique au 19 premier buste sculpté en argile par Maurette, avec addition (sur l’initiative de qui ?) de la rosette d’Officier de la Légion d’honneur. Réalisé par quelle fonderie ? 1941 ou 1942 ? Déboulonnage du buste, destiné à être fondu sans doute pour l’industrie de guerre allemande. Date exacte ? Par qui ? Par le Génie allemand me suggère-t-on. Même époque. Confection, par Georges Granger, d’un moulage aujourd’hui disparu du buste de bronze. 1945. Fausse inauguration par d’anciens élèves du collège, un jour d’été 1945. 25 novembre 1952. Décision du Conseil municipal de faire refaire les sculptures dérobées par l’ennemi. 6 mai 1953. Jules Baillaud, non tenu au courant de la décision du Conseil municipal, propose d’offrir une reproduction en « pierre statuaire » ou en marbre, qui serait sculptée par Charles Bouget. 10 mai 1953. Réponse du maire (Georges Nouelle) : le buste, sculpté en pierre par le Chalonnais Georges Granger, sera replacé dans un mois au plus tard. Réalisé d’après le moulage du buste de bronze (et non d’après celui des collections du Musée Denon), il porte la rosette de la Légion d’honneur. Date exacte ? Cérémonie ? 20 février 1988. Le maire (Dominique Perben) écrit qu’il demande la réfection de l’inscription dès que possible. Quand cela a-t-il été réalisé ? Sources Plusieurs esprits scientifiques reconnus ont donné des publications qui cernent plus ou moins notre thème et qui soulignent les exigences difficiles de l’objectivité historique : Alain Alcouffe, Emmanuel Davoust, Suzanne Débarbat, Jérôme Lamy, Jean-Christophe Sanchez, etc. Citons d’abord les références de publications concernant Benjamin Baillaud dans sa profession : Distribution des Prix du Lycée de Saint-Quentin. Discours prononcé par M. B. Baillaud, 10 août 1871. Le Glaneur de Saint-Quentin, 15 août 1871 (n° 9) p. 2. Tirage à part, Saint-Quentin, imprimerie Hourdequin. Réimpression : Montauban, imprimerie coopérative. Notice sur les travaux scientifiques de M. B. Baillaud, Privat, Toulouse, 1907, 85 p. Collectif : Discours de la réunion d’adieu de M. B. Baillaud, Privat, Toulouse, 1908, 30 p. Camille Dauzère : « M.B. Baillaud : grand officier de la légion d’honneur ». Bull. de l’Univ. et de l’Acad. de Toulouse, 1927, n°6, p 265-270. Benjamin Baillaud : Mes souvenirs 1848-1880. Dactylographié. Collectif : Benjamin Baillaud 1848-1934, Privat, Toulouse 1937, 176 p. Louis Rascol : « Faculté des sciences », pages 244-252 de Claude-Marie Perroud (1839-1919), Didier, Paris, 1941, 395 p. Robert Deltheil : « Un astronome toulousain : Benjamin Baillaud, 1848-1934 », Bull. mens. Soc. Astron. pop. Toulouse, 51, n° 421, avril 1960, p. 69-85. René Baillaud : « Étapes essentielles dans l’œuvre scientifique de Benjamin Baillaud », p. 3-20 et 56-72 de Baillaud, famille d’astronomes, Besançon, 1967, 106 p. Claude Elly : « Édouard Benjamin Baillaud (1848-1934). Cet astronome chalonnais […] » Courrier de Saône et Loire, édition de Chalon, 29 août 1980. Marie Grivot : « Un Chalonnais oublié, Benjamin Baillaud », Images de Saône et Loire, n° 98, juin 1994, p. 20-21. Fernand Perrin : « Benjamin Baillaud », Chroniques chalonnaises, n° 12, automne 1996, p. 5-7. Sur certaines actions de Benjamin Baillaud et leurs suites, on peut consulter : Collectif : Inauguration par M. Carnot, Président de la République de la Faculté de Médecine et de Pharmacie et des 20 nouveaux bâtiments de la Faculté des sciences de Toulouse. Privat, Toulouse, 1891, 29 p. Benjamin Baillaud : « L’Observatoire de Paris et les Observatoires français », Revue scientifique, 65, 14 et 28 mai 1927, p. 257-267 et 293-302. Collectif : 1229-1929. L’Université de Toulouse, son passé, son présent, Édouard Privat, Toulouse, 1929, XI + 360 p. P. Sabatier : « La Faculté des sciences » p. 189-209 ; L. Montangerand : « L’Observatoire », p. 223-236 ; C. Dauzère : « L’Observatoire du Pic du Midi », p. 237-245. Robert Deltheil : « La Faculté des Sciences de Toulouse il y a un demi-siècle », Bull. de l’Univ. et de l’Acad. de Toulouse, 44 (7), mai 1936, p. 241-254. René Baillaud : « L’insuffisance de la recherche scientifique en France, sous le Second Empire dénoncée par des hommes de science de souche comtoise et ses suites lointaines. » Acad. Sc. B.-L. Arts Besançon, Procès verbaux et Mémoires, 177, 1968, p. 77-96. René Baillaud. Souvenirs. Rodez, Carrère, 1976-1980. Suzanne Débarbat, Solange Grillot et Jacques Lévy. Observatoire de Paris, son histoire 1667-1963. Observatoire de Paris, 1984, 62 p. Théo Weimer. Brève histoire de la Carte du Ciel en France, Observatoire de Paris, 1987, 40 p. Collectif : Le Bureau international de l’heure, 75 ans au service de l’heure universelle, ouvrage publié sous la responsabilité de M. Feissel et de Suzanne Débarbat, dans lequel, entre autres, plus de cinquante « Boisdon » descendant de Benjamin auront plaisir à lire un article de leur cousin Michel Granveaud. Observatoire de Paris, Bureau des Longitudes, 1992, 183 p. Suzanne Débarbat : « Les fondements historiques d’un système de constantes astronomiques unifiées », Observatoire de Paris, département d’astronomie fondamentale, Journées 1994. Systèmes de référence spatio-temporels, Paris 13-14 juin, p. 3-10. Suzanne Débarbat : « Une entreprise internationale d’avant le SIL : la Carte du Ciel. », Atti del Convegno di storia dell’Astronomia, Cagliari 24-25 settembre 1999, p. 115-121. Ilegna Chinnici. La Carte du Ciel, correspondance inédite conservée dans les archives de l’Observatoire de Paris. Observatoire de Paris, Osservatorio astronomico di Palermo, 1999. Jean-Christophe Sanchez. Le Pic du Midi de Bigorre et son observatoire. Pau. Editions Cairn, décembre 1999, 336 p. Emmanuel Davoust. L’Observatoire du Pic du Midi. Cent ans de vie et de science en haute montagne. Paris, C.N.R.S., 2000, 542 p. Suzanne Débarbat. The evolution of the precession and nutation constants over two centuries. Journées 2000, systèmes de référence spatio-temporels, Observatoire de Paris, 18-20 septembre 2000, p. 153-157. Derek Jones : « The scientific value of the Carte du Ciel », Astronomy & Geophysics, vol. 41, issue 5, October 2000, p. 5.16-5.20. Collectif : Cinq siècles d’astronomie toulousaine, “ils observaient les étoiles”, par divers auteurs, particulièrement Jérôme Lamy, Archives municipales de Toulouse, 2002, 259 p. Suzanne Débarbat : « Itinéraire Toulouse-Paris de trois astronomes », Congrès du Comité des Travaux historiques et scientifiques (Toulouse 9-14 avril 2001). Jérôme Lamy. Archéologie d’un espace savant. L’observatoire de Toulouse aux 18e et 19e siècles : lieux, acteurs, pratiques, réseaux. Thèse d’histoire des sciences. École des Hautes Études en sciences Sociales, Centre Alexandre Koyré. Paris, 3 vol., 738-376 p., 2004. Jean-Christophe Sanchez. Astronomie et physique dans le royaume de France aux temps modernes, histoire sociale, culturelle et politique des sciences physiques. Thèse 3e cycle, Univ. Toulouse II. Le Mirail, 2005. [S’arrête à 1793, dissolution des Académies et fermeture des observatoires qu’elles géraient.] 3vol., 1102 p. Alain Alcouffe : « La loi de 1905 et l’université de Toulouse, ou la laïcité au bon sens du terme. » Comm. au colloque Tesr, Toulouse décembre 2005. Les notes du LIRHE, Note n° 433, 2006. [lab. Interdiscipl. de rech. sur les ressources 21 humaines et l’emploi, UMR CNRS/UT1, Univ. des Sc. Sociales, Pl. An. France, 31042 Toulouse cedex]. Jérôme Lamy : L’Observatoire de Toulouse aux XVIIIe et XIXe siècles, Archéologie d’un espace savant. Presses Univ. de Rennes, 572 p., 2007. Jean-Christophe Sanchez. Histoire de l’astronomie dans le Midi de la France, observatoires et astronomes du grand siècle au début du XXe siècle. Portet-sur-Garonne, Loubatières, 319 p., 2008. Sur l’inauguration du buste, un document fondamental est le Bulletin annuel de l’Association amicale des anciens élèves du collège de Chalon-sur-Saône de 1938 ; voir aussi ceux de 1934 (p. 42-50), 35 (p. 34-35), 36 (p. 36), 37 (p. 7-9), et 39 (p. 7). Dr Débarbat m’a demandé si j’écrivais un livre sur Benjamin Baillaud. Non. La voie est libre. Il y aurait lieu aussi, si c’était possible, d’en écrire un sur son épouse. On prétend, ironiquement, que si on tient à ne rien faire d’autre que pour son plaisir et son intérêt personnel, il n’y a qu’à ne jamais se déranger : la femme de Benjamin ne manquait pas les occasions de se déranger. C’était une femme d’une grande douceur, d’une bonté inépuisable, toujours disponible pour aller aider des proches, fortement marquée par une éducation stricte, toujours attachée à sa famille campagnarde, très à l’aise dans les hautes sphères universitaires. Une série de personnes et de services dont la consultation s’imposait avec évidence m’ont aimablement documenté. En outre… ma nièce par alliance Virginie Gaiffe, aidée par une personne résidant à Chalon depuis longtemps a identifié la maison natale, dans laquelle se trouve un cabinet immobilier ; celui-ci, à qui j’avais demandé des précisions sur le bâtiment, m’a mis en relation avec M. Henri Huet, personnalité-clé pour la connaissance de sa ville ; quand les Baillaud ont quitté Chalon en 1880, ils y ont laissé de grands amis, les Pinette ; lorsque mon père, René Baillaud, a voulu écrire et diffuser ses Souvenirs, nous avons repris contact avec cette famille, il y a plus de quarante ans ; nous avions donc les adresses ; j’ai pu poser diverses questions sur le buste à Mme Pinette-Louzeau, qui m’a répondu, tout en me confiant un dossier « Baillaud » ; ce dossier contient entre autres un article de Claude Elly évoquant la « fausse inauguration » dont je n’avais jamais entendu parler ; le minitel donne l’adresse de M. Elly ; celui-ci m’a mis en relation avec M. Guignardat ; lorsque Jules Baillaud, mon oncle, a annoncé au maire de Chalon son souhait de faire refaire le buste, il a donné le double de sa correspondance à mon père, qui l’a conservé ; dans la réponse du maire on trouve le nom du sculpteur Granger, nom très répandu ; sur cet artisan, M. Elly m’a donné des précisions qui auraient dû me conduire à écrire à la Chambre de métiers : par erreur et par chance je me suis adressé à la Chambre de commerce ; là, on a cherché si quelqu’un avait entendu parler de ce sculpteur et justement une personne de cet organisme a pu dire : « c’était mon grand-père ! » ; celle-ci, Mme Sermet, m’a fourni des explications précieuses, ainsi que le conseil de prendre contact avec M. Robert Rigot, qui avait travaillé jadis auprès de Granger ; mais je n’aurais rien compris à l’histoire initiale de ce buste si mes grands-parents ne s’étaient pas souvent déplacés, s’ils n’avaient eu pour règle de s’écrire tous les jours, s’ils n’avaient soigneusement conservé et classé une grande quantité de leur correspondance, que leurs filles Madeleine et Marthe Privat et leurs fils Henri et René ont mise à l’abri dans la maison familiale de Laissac, si mon cousin Henri Didier n’avait pas entrepris le travail insensé de tout saisir dans son ordinateur et si je n’avais commis l’imprudence de lui promettre relecture et correction, avec l’efficace coopération de ma belle-sœur Françoise Boisdon. La même source m’a fait connaître de nombreux détails que j’ignorais concernant la vie de mon grand-père. Ces cascades d’improbabilités m’inquiètent. Je crains que bien des épisodes essentiels manquent à ma documentation, rendus impénétrables par d’autres improbabilités. Place aux explorateurs. Remerciements Parmi les membres de la famille, j’ai bénéficié des suggestions et des renseignements que m’ont donnés notamment Christiane Baillaud, Gabrielle Baillaud, Jacques Baillaud, Marcel Baillaud, Paul Baillaud, Vincent Baillaud, Claude Boisdon, Henri Didier, Marie Didier, Pierre Didier, Hélène Gazeaud, Hélène Lionnet, Jean-Marie Rouillard, Françoise Sauveplane, sans oublier Virginie Gaiffe. Merci à tous ! Que soient également remerciés : la famille chalonnaise Pinette (Mme Marie-Hélène Louzeau), Mmes Lucette Akplogan et Hélène Joannelle, de la Bibliothèque municipale de Chalon, Mmes Juliette Barbarin et Sylvie Taj, du Musée Denon, M. Claude Elly, du Journal (précédemment Courrier) de Saône-et-Loire, Mlle Estelle François, des 22 Archives municipales de Chalon, M. Guerriaud, maire d’Étrigny, M. Yves Guignardat, ancien maire-adjoint de Chalon, M. Henri Huet, de la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon, Mlle Séverine Pozet, de l’Office de tourisme de Chalon, M. Robert Rigot, sculpteur à Buxy, Mme Patricia Sermet, petite-fille du sculpteur Georges Granger, Mme Élisabeth Valot, de la Mairie de Chalon, Mme Isabelle Vernus, des Archives départementales de Saône-et-Loire, M. J. Arlet, de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Mme Dominique Barrère, bibliothécaire de l’Observatoire de Toulouse, M. François Besson, de la Société d’astronomie populaire de Toulouse, M. Gérard Coupinet, responsable scientifique de l’Observatoire du Pic du Midi, M. Emmanuel Davoust, astronome à l’Observatoire de Toulouse, M. Jérôme Lamy, historien des sciences, Mme Maryse Lecq, de l’École des Beaux-Arts de Toulouse, Mme Pascale Marouseau, des Archives de Tarn-et-Garonne, Mlle Françoise Perrutel, de la Bibliothèque interuniversitaire de Toulouse, les Archives municipales de Toulouse, Mmes Annie Accary et Josette Alexandre, bibliothécaires de l’Observatoire de Paris, Mlle Suzanne Débarbat, astronome titulaire honoraire à l’Observatoire de Paris, ancienne présidente du Bureau des Longitudes, M. Marc Loué, maire de Champlan, Mme Isabelle Neuschwander, des Archives de France, Mme Claudine Pouret, documentaliste à l’Académie des Sciences, M. Raymond-Josué Seckel, de la Bibliothèque nationale de France, Mlle Isabelle Vaselle, de la direction des Musées de France, le Musée national de la Légion d’honneur, M. Philippe Véron, astronome à l’Observatoire de Haute Provence, Mlle Jocelyne Barthel, des Archives municipales de Metz, M. Louis Bergès, des Archives départementales de la Gironde, M. Xavier Costes, des Amis de Jean-Henri Fabre, de Saint-Léons, M. Bernard Dubourg, de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, Mlle Maryse Goldenberg, de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Mme Véronique Guitton, des Archives municipales de Nantes, M. Francis Lichtle, des Archives municipales de Colmar, Mme Béatrice Parès, conseillère municipale de Rivesaltes, Mlle Laurence Perry, des Archives de la communauté urbaine de Strasbourg, M. Jean-Michel Tauzin, des Peintures, Mme Agnès Vatican, des Archives municipales de Bordeaux, les Archives départementales du Puy-de-Dôme ; je suis sûr d’en oublier, auxquels je présente mes excuses. Baillaud, 20 rue Audollent, 63000 Clermont-Ferrand 2011 23