La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent

Transcription

La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
La naissance des cégeps :
un exercice rationnel, cohérent et urgent
Martial Dassylva
L
es cégeps ne sont pas le résultat d’une improvisation. En fait, leur naissance
comprend, dans un premier temps, trois étapes qui se concrétisent dans ce que
nous avons appelé trois modèles virtuels : un premier modèle de base proposé par le
rapport Parent, un second configuré par le Comité de planification de l’enseignement
préuniversitaire et professionnel (COPEPP) et, avant l’étape de leur insertion ultime in
situ, celui qui est défendu par la Mission des cégeps. Le résultat final appartiendra au
gouvernement, c’est-à-dire aux autorités politiques, responsables de l’arbitrage ultime.
Les trois modèles s’emboîtent comme des poupées russes, les modèles de la Mission des
cégeps et du COPEPP constituant des extrapolations du modèle original proposé par
la commission Parent1.
S’ils n’ont pas été improvisés au niveau de la table à dessin, les collèges d’enseignement général et professionnel ont, par contre, été créés dans l’urgence, la campagne
électorale de juin 1966, qui ramène l’Union nationale au pouvoir, retardant d’à peine
quelques mois les décisions concernant la réforme déjà enclenchée par le gouvernement
libéral2. Après avoir passé en revue les trois modèles virtuels des cégeps, nous nous pencherons sur les étapes de leur création, entre 1967 et 1971, une période qui a exalté et
épuisé les intervenants ayant participé de près ou de loin à leur naissance.
1.
2.
Cegeps2eEdFinal.indd 19
Le texte qui suit s’inspire du mémoire de maîtrise intitulé La naissance des cégeps, 1967-1971, que j’ai
déposé en août 2004 au Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal.
Contrairement à la légende urbaine voulant que le gouvernement de l’Union nationale ait manifesté
beaucoup d’hésitation à suivre la politique du gouvernement précédent. D’autre part, dans une conférence prononcée en 2003, Yves Martin, ancien sous-ministre adjoint de l’Éducation et successeur
d’Arthur Tremblay comme sous-ministre en titre, a déclaré qu’il n’était pas certain que les libéraux
auraient emprunté la route suivie par les unionistes, certains, comme Jean Lesage notamment, ayant
jonglé avec l’idée de refiler les instituts aux commissions scolaires.
17/04/08 23:58:49
20
Première
partie :
Les débuts de l’aventure collective
Le modèle de l’institut
Le modèle proposé par la commission Parent comporte deux grands volets, le premier concernant le nouvel ordre d’enseignement, et le second, l’insertion de la nouvelle
institution dans une réalité sociale régionale. Disons immédiatement que le premier
modèle de l’institution ne s’appelle pas collège d’enseignement général et professionnel,
mais bien institut, un vocable d’inspiration française3.
L’ordre d’enseignement préuniversitaire et professionnel de l’institut est un ordre
d’enseignement complet en lui-même, indépendant du secondaire et de l’université, mais
faisant le pont entre les deux. Cet enseignement comporte deux grandes avenues, l’une
de formation générale et l’autre de spécialisation. La formation générale débouche sur
l’ordre d’enseignement universitaire, tandis que la formation professionnelle débouche
sur le marché du travail. Cet ordre d’enseignement est polyvalent. Il comprend plusieurs
options réparties entre divers programmes et trois sortes de cours : des cours communs
obligatoires, des cours de spécialité et des cours complémentaires à la spécialité. Détail
à signaler : la durée des études est de deux ans pour tout le monde, mais la commission
Parent donne la possibilité de raccourcir ou d’augmenter cette durée4.
Pour l’insertion de l’institut dans le milieu régional, la commission Parent suggère
la création de véritables campus, à partir d’institutions travaillant déjà au préuniversitaire
(collèges classiques, écoles normales, instituts de technologie) regroupées autour d’un
immeuble existant ou encore, si la chose est nécessaire, d’un immeuble à construire. Le
caractère régional de la nouvelle institution est également inscrit dans la structure juri­
dique prévue, soit celle d’une corporation d’intérêt public, avec un conseil d’administration d’une douzaine de membres où sont représentés les enseignants, les parents, les
groupes sociaux et le gouvernement, mais non les étudiants. Ajoutons que la commission
Parent prévoyait que l’institut devrait accueillir un minimum de 1 500 élèves et qu’il y en
aurait une trentaine pour l’ensemble du Québec5. Les instituts émargeraient totalement
au budget de l’État et la gratuité scolaire était prévue.
Les traits essentiels du modèle virtuel de l’institut du rapport Parent se retrouveront
tels quels dans les cégeps qui verront le jour à partir de septembre 1967.
3.
4.
5.
Voir Martial Dassylva, La naissance des cégeps, 1964-1971…, p. 52-75. Également, idem, « Le modèle
virtuel de l’institut tel que proposé dans le rapport Parent », dans le Bulletin d’histoire politique, vol. 12,
no 2, hiver 2004, p. 49-65.
Rapport Parent, tome II, paragraphe 282.
Pour la commission Parent, 1 500 étudiants est un minimum et non un maximum. Il s’agit d’une
approche tayloriste. Dans l’esprit des commissaires, le modèle de l’institut supposait un bassin de
population à desservir de 150 000 habitants. Cf. Rapport Parent, II, par. 283-293.
Cegeps2eEdFinal.indd 20
17/04/08 23:58:49
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
21
Le modèle du COPEPP
Les deuxième et troisième volumes du rapport Parent sont rendus publics en
­ ovembre et décembre 1964 et Paul Gérin-Lajoie, le ministre de l’Éducation, annonce,
n
dès le début de janvier 1965, la création d’un comité de planification de l’enseignement
préuniversitaire et professionnel (COPEPP) dont le mandat sera de lui faire rapport sur
« les problèmes que pose l’enseignement préuniversitaire et professionnel, à la lumière
des recommandations du rapport Parent 6 ». Composé d’une trentaine de personnes,
appartenant à 24 groupes différents, le comité tiendra 23 réunions entre la fin de janvier
1965 et le 15 avril de 1966. Présidé en principe par Arthur Tremblay, le sous-ministre
en titre de l’Éducation – mais celui-ci n’assistera qu’à trois réunions –, le comité sera
dirigé par son sous-ministre adjoint, Gilles Bergeron.
Après une période de tâtonnements et de rodage au cours de laquelle, à la suggestion
du ministre, on peaufine un projet d’institut-pilote7, le COPEPP clarifie sa méthode
de travail et trouve sa vitesse de croisière. La méthode de travail table avant tout sur
la formule des sous-comités chargés de dossiers particuliers. Le COPEPP a travaillé
principalement sur les structures administratives et juridiques de l’institut, notamment
en faisant la préparation du règlement no 2 [devenu par la suite le règlement no 3] et
en améliorant le projet de loi-cadre des instituts qu’on lui a soumis. Le règlement no 2
avait pour premier objectif de se conformer à l’article 28 de la Loi du Conseil supérieur
de l’éducation sur les pouvoirs réglementaires du ministre de l’Éducation8. Par ailleurs,
les discussions sur le projet de loi-cadre, qui se déroulent à partir du 11 mars 1966,
permettront aux membres du COPEPP d’apporter différentes précisions notamment
sur les modalités de création des instituts, le contenu des chartes, la composition des
conseils d’administration, la réglementation de l’enseignement, ainsi que l’administration
financière et académique. Détail important : dès ses premières réunions, le COPEPP
rejette l’appellation d’institut suggérée par la commission Parent et, par la suite, il propose
qu’elle soit remplacée par le syntagme collège d’enseignement général et professionnel
qui donnera l’acronyme c.e.g.e.p et le nom cégep. Pour la traduction anglaise, on optera
pour regional college. En plus du règlement no 2 et de la loi-cadre des instituts, le COPEPP
6.
7.
8.
Cegeps2eEdFinal.indd 21
« Le ministre de l’Éducation annonce la création prochaine d’un comité de planification de l’enseignement préuniversitaire et professionnel (COPEPP) », Hebdo-Éducation, Québec, 15 janvier 1965,
vol. 1, no 34, p. 163.
La suggestion d’en créer un ou deux sera refusée par le ministre, ce qui causera une première collision
avec celui-ci. PGL avait d’ailleurs prévenu, lors de la première rencontre du 29 janvier 1965, que le
statu quo devrait prévaloir dans l’enseignement postsecondaire pour une période de 15 à 18 mois.
Comme l’ordre d’enseignement envisagé ne conduisait pas à la délivrance de diplômes universitaires,
il s’agissait de bien définir la compétence du ministre. Selon Nocaudie, le gouvernement voulait
également bien cerner la participation ou l’intégration éventuelle d’institutions privées au système
public. Cf. Marie Dominique et Francois Nocaudie, Les collèges d’enseignement général et professionnel
au Québec, thèse de doctorat, Paris, Université de droit, d’économie et de sciences sociales (Paris II),
1972, p. 105, 106.
17/04/08 23:58:50
22
Première
partie :
Les débuts de l’aventure collective
a mené à bonne fin deux autres dossiers, celui de la carte scolaire (nombre d’instituts à
créer en fonction des bassins de population) et celui des instituts de langue anglaise. Le
comité a cependant eu moins de succès dans l’étude de deux autres dossiers, celui des
programmes et des aspects pédagogiques.
La Mission des collèges à l’œuvre
La dernière séance du COPEPP se tient le 15 avril 1966 et, quelques jours plus tard,
une élection générale est annoncée pour le 5 juin. Les libéraux de Jean Lesage perdent le
pouvoir et sont remplacés par l’Union nationale dirigée par Daniel Johnson. Celui-ci ne
s’était pas gêné pour critiquer, pendant la campagne électorale, la réforme de l’éducation
et le rôle joué en particulier par Arthur Tremblay. Une fois au pouvoir, l’Union nationale
le maintiendra à son poste. En tant que nouveau ministre de l’Éducation, Jean-Jacques
Bertrand obtient du Conseil des ministres, le 18 août 1966, le mandat de suivre les visées de son prédécesseur9. Il est autorisé à créer les dispositifs administratifs nécessaires à
l’organisation progressive de l’enseignement préuniversitaire et professionnel et à poursuivre le travail consacré aux programmes d’études, à la loi-cadre et à la carte scolaire. Il
reçoit également le mandat de mettre sur pied une direction générale de l’enseignement
préuniversitaire et professionnel, de même qu’une mission spéciale composée en parts
égales de fonctionnaires et de représentants des institutions intéressées à participer à la
réforme10. Trois mois plus tard, soit en novembre 1966, on annonce la réorganisation du
ministère de l’Éducation et la création d’une mission des collèges. Cette réorganisation
comporte la création d’une direction de l’enseignement préuniversitaire et professionnel.
Le secrétaire général de la Fédération des collèges classiques, Jean-Marie Beauchemin, qui
avait participé aux travaux du COPEPP, en devient le premier responsable. Quant à la
Mission, son mandat sera d’étudier les projets d’instituts ou de collèges préuniversitaires
et professionnels qui lui seront soumis au cours des prochains mois. Elle sera présidée
par le père Gaston Bibeau, supérieur du Séminaire de Joliette11.
  9.
10.
11.
Mémoire du ministre de l’Éducation au Conseil des ministres relatif à l’organisation de l’enseignement
préuniversitaire et professionnel, Québec, le 18 août 1966, 11 p., ANQ-Q, E13/1984-06-001/ chemise
« Règlement no 2 ».
Au début de juillet, le Conseil supérieur de l’Éducation avait publié un avis demandant au ministère
de l’Éducation « d’accorder immédiatement une attention prioritaire à la création et à l’organisation
des instituts de façon à permettre l’ouverture d’au moins quelques-unes de ces écoles en septembre
1967 ». Conseil supérieur de l’Éducation, Rapport 1965/66, 1966/67, « Création, organisation et
ouverture des instituts », Québec, [1968], p. 252.
« Réorganisation des structures du ministère de l’Éducation », Hebdo-Éducation, 2 déc. 1966, IIIe année,
no 19, p. 113-114. Inspirée du fonctionnarisme français, la Mission est un groupe de travail spécial
qui a pour but de faire avancer plus rapidement certains projets jugés primordiaux. Il s’agit d’un organisme consultatif relié directement au ministre et à la haute direction du ministère de l’Éducation.
Voir notre mémoire de maîtrise, p. 101. La Mission était composée d’une douzaine de personnes.
Cegeps2eEdFinal.indd 22
17/04/08 23:58:50
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
23
Entre le 26 janvier et le 8 février 1967, la Mission rencontre vingt-trois groupes
ou comités qui se sont montrés intéressés à implanter des instituts. Ils proviennent de
neuf régions du Québec. Aucun groupe anglophone ne s’est manifesté. Les membres
de la Mission, qui travaillent en équipes restreintes, profitent de ces rencontres pour
exposer aux candidats la loi des cinq unités qui est, à leurs yeux, à la base de la création
des futurs collèges : unité d’administration, unité de direction pédagogique, unité du
corps enseignant, unité du corps étudiant et unité de lieu. Ces unités leur serviront de
paramètres dans les recommandations qu’ils formuleront dans les huit rapports d’étape
qu’ils présenteront au ministre de l’Éducation, entre le mois de février 1967 et le 10 janvier 1969. À ces cinq principes de base s’ajouteront, au fur et à mesure que l’échéancier
se resserra, une bonne quinzaine d’autres conditions12.
La première fournée
Dans son rapport préliminaire daté de février 1967, la Mission retient le mois de
septembre 1968 comme échéance réaliste pour l’ouverture de la plupart des collèges13.
Elle identifie cependant des régions-pilotes où certaines institutions pourraient démarrer
dès septembre 1967. Dans son rapport du 28 mai, elle est en mesure de recommander
l’ouverture de sept cégeps en septembre et estime que le reste de l’année 1967 pourra
être consacré entièrement à la préparation de l’ouverture d’une vingtaine d’autres. Les
sept premiers élus pourraient voir le jour à Chicoutimi, Jonquière, Rouyn, Limoilou
(Saint-Jean-Eudes), Hull, Rimouski et Sainte-Foy14. Aucun collège ne verrait le jour à
12.
13.
14.
Cegeps2eEdFinal.indd 23
Existence d’un bassin de population considérable, concentration démographique dans un pôle urbain,
concentration d’institutions d’enseignement postsecondaire au même endroit, expérience antérieure
de coordination pédagogique et volonté des institutions de participer sans délai à une nouvelle
structure unifiée. Une dizaine d’autres raisons pourront être invoquées : 1) un édifice principal à
la disposition du cégep ; 2) le degré de polyvalence déjà atteint ; 3) la coïncidence du projet avec la
carte du COPEPP ; 4) le nombre d’inscriptions prévisibles en collège I ; 5) la volonté de participation
des professeurs ; 6) les répercussions sur les institutions environnantes ; 7) les dimensions optimum ;
10) la maturité du projet ; 11) la qualité du personnel enseignant. Troisième Rapport de la Mission des
collèges d’enseignement général et professionnel au ministre de l’Éducation, 28 mai 1967, 57 p., p. 11 et
12. Centre de documentation collégiale (CDC) du cégep André-Laurendeau, 718 749, vol. 3. Nous
abrégeons désormais le descriptif en […] Rapport de la Mission des collèges.
Signalons que le projet de loi 21 sur les cégeps a été déposé le 27 janvier 1967 à l’Assemblée législative.
Le projet avait été approuvé par le Conseil des ministres le 13 du même mois. La loi ne sera adoptée et
sanctionnée qu’à la fin de juin 1967. C’est le premier ministre unioniste de l’époque, Daniel Johnson,
qui, dans les derniers mois de 1966, a tranché en faveur de l’appellation « collège d’enseignement
général et professionnel ».
Troisième Rapport de la Mission des collèges, p. 50. CDC 718 749, vol. 3. En plus de préconiser la
création de sept cégeps, la Mission recommande que les étudiants de niveau collège II et collège III
passent sous la juridiction de ces sept cégeps et que la gratuité scolaire soit étendue aux étudiants de
ce niveau relevant de chacun des cégeps.
17/04/08 23:58:50
24
Première
partie :
Les débuts de l’aventure collective
Montréal et dans la région immédiate, les travaux nécessaires à leur implantation n’étant
pas terminés. L’annonce officielle de la création de six des sept cégeps qui entreront en
service a lieu en juillet et celle du septième (Rouyn) a lieu au début du mois d’août.
Le 9 août 1967, Jean-Marie Beauchemin envoie au secrétaire de la Mission une
requête du ministre de l’Éducation visant à explorer la possibilité d’ouvrir quelques
cégeps dans la région métropolitaine, avant le 16 septembre suivant. La demande du
ministre fait suite à différentes manifestations publiques, en particulier dans le quartier
Ahuntsic. Branle-bas de combat du côté de la Mission. Elle cible cinq projets et, en moins
de deux semaines, elle recommande la création de cinq nouveaux cégeps : à Longueuil,
Valleyfield, Sainte-Thérèse, Sainte-Croix (Maisonneuve) et Ahuntsic. Dans tous les cas,
l’implantation coïncide avec les endroits prévus dans la carte présentée par le COPEPP
et, pour Montréal, dans celle qui est en phase de finalisation. Les lettres patentes des
cinq nouveaux cégeps sont émises par des arrêtés en conseil datés du 14 septembre.
Les gens qui ont fait l’histoire du cégep d’Ahuntsic parleront de celui-ci comme d’un
cégep « prématuré » lancé en orbite en moins d’un mois15. Tant pis pour « l’image d’une
démarche systématique et cohérente qui se déroule par étapes » que la Mission cherchait
à donner et à maintenir16.
La deuxième fournée
L’épisode du mois d’août 1967 ne se répétera pas et la Mission pourra consacrer
à la deuxième étape de la création des cégeps tout le temps requis, soit de l’automne
1967 à l’été de 1968. Cela ne signifie pas pour autant que cette deuxième étape ait été
sans douleur.
À l’automne de 1967, la Mission a dans ses cartons 22 projets de cégeps qu’elle
classe en trois groupes. Dans le groupe A, dix projets sont prêts, dont les lettres patentes
peuvent être émises n’importe quand ; dans le groupe B, on retrouve six projets à emplacements certains, dont quatre peuvent obtenir leurs lettres patentes au cours de l’hiver
1967-1968 ; le troisième groupe, le groupe C, comprend six projets dont les sites sont
contestés. Douze cégeps, appartenant au premier et au deuxième groupe, obtiendront
leurs lettres patentes entre le 15 mai et le 3 septembre 1968. De ces douze collèges,
11 recevront des étudiants en septembre 1968, le douzième, le cégep Dawson, n’en accueillant officiellement que l’année suivante (1969). Des douze cégeps, cinq sont situés
à Montréal (Vieux Montréal, Saint-Laurent, Rosemont, Bois-de-Boulogne et Dawson),
trois dans la région métropolitaine de Montréal (Joliette, Saint-Hyacinthe et Saint-Jeansur-Richelieu), deux au Centre-du-Québec (Trois-Rivières et Shawinigan), un autre dans
les Cantons-de-l’Est (Sherbrooke) et le dernier dessert la Gaspésie (Gaspé).
15.
16.
En collaboration, J’ai vingt ans. 1967. Cégep d’Ahuntsic, 1987, p. 5 et suiv.
Quatrième Rapport de la Mission des collèges, 21 juin 1967, p. 23. CDC 718 749, vol. 4.
Cegeps2eEdFinal.indd 24
17/04/08 23:58:51
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
25
Pour certains de ces nouveaux cégeps, la gestation n’a pas été de tout repos. Par
exemple, au cégep du Vieux Montréal, qui devait à l’origine se déployer autour du
collège Sainte-Marie, la solution finale comporte le regroupement des étudiants du
postsecondaire du collège Sainte-Marie, de l’Institut de technologie de Montréal, de
l’Institut des arts appliqués, de l’École des beaux-arts et de Mont-Saint-Louis, soit près de
6 000 étudiants au total. On devra se résoudre à procéder à la construction d’un nouvel
édifice17. Toujours dans la région de Montréal, le lancement de Dawson, le premier cégep
de langue anglaise, pose problème, aucune institution existante n’acceptant de participer
au regroupement nécessaire18. D’ailleurs, la création de cégeps de langue anglaise ne
suscitera pas d’enthousiasme particulier dans le milieu scolaire anglophone, même si
quelques-uns de leurs représentants ont été associés de près aux travaux de la commission
Parent, du COPPEP et de la Mission des collèges. À Sherbrooke et à Trois-Rivières,
les deux séminaires diocésains tenant à conserver leur statut d’institutions privées, les
regroupements initiaux se font autour d’écoles normales et d’instituts de technologie.
En ce qui a trait à Gaspé, la Mission donne son aval en misant sur l’avenir et tout en
étant bien consciente que « les possibilités de développement sont de fait limitées19 ». Les
gens de la Gaspésie ont eu, il est vrai, une importante côte à remonter, compte tenu de
la déclaration faite par Paul Gérin-Lajoie en août 1965, selon laquelle il n’y aurait pas
d’institut à Gaspé et que la région serait desservie à partir de Rimouski20. Le résultat de
la mobilisation qui s’ensuivit démontre que, dans ce cas comme dans quelques autres,
l’arbitrage du gouvernement a joué contre l’avis des technocrates.
Par ailleurs, le dossier de Saint-Hyacinthe pose à la Mission le problème des
cégeps à plusieurs campus, une hérésie par rapport à la loi des cinq unités mentionnée
précédemment. Une quinzaine d’institutions préuniversitaires et professionnelles sont en
cause, réparties sur un territoire englobant, en plus de Saint-Hyacinthe, Sorel et Tracy.
17.
18.
19.
20.
Cegeps2eEdFinal.indd 25
Les Jésuites, propriétaires du collège Sainte-Marie, acceptent de remettre les fonctions d’enseignement
collégial au futur cégep, mais ne veulent pas s’engager en ce qui concerne la location ou la vente de
leurs immeubles, préférant garder ouvertes les fonctions d’enseignement universitaire qu’ils détiennent,
malgré la rebuffade administrée par la commission Parent, au projet de l’Université Sainte-Marie
(Cf. Rapport Parent, II, par. 335-338). De toute façon, plusieurs membres du corps enseignant
de Sainte-Marie participeront activement, quelques mois plus tard, à la création de l’Université du
Québec à Montréal.
Le Conseil supérieur de l’Éducation se mêlera du dossier en publiant deux avis (le premier en date
du 2 mai et le second en date des 11 et 12 juillet 1968) mais, devant l’absence de consensus sur
l’implantation matérielle du cégep, il devait se contenter de recommander fortement que le futur
cégep soit créé dans les plus brefs délais et qu’un budget de préfonctionnement lui soit alloué. Conseil
supérieur de l’éducation, Rapport d’activité, 1967-1968, 1968-1969, 1970, p. 164-170.
Sixième Rapport de la Mission des collèges, 20 déc. 1967, « Dossier du CEGEP de la Gaspésie », non
paginé, 13 p. CDC 718-749, vol. 6.
Cf. Jules Bélanger, Marc Desjardins, Yves Frenette et Pierre Dansereau, Histoire de la Gaspésie, ­Montréal,
Boréal Express et l’Institut québécois de recherche sur la culture, 1981, p. 710-712.
17/04/08 23:58:51
première
26
partie :
Les débuts de l’aventure collective
Coup d’œil historique au cégep de la gaspésie et des Îles
Depuis 1960, la Gaspésie, comme l’ensemble du Québec, a connu une rapide et intense scolarisation. Avec la création du ministère de l’Éducation, on vit naître, en 1964, les
commissions scolaires régionales de la Baie-des-Chaleurs, de la Péninsule, des Monts et Gaspésia, desservant toute la péninsule pour l’enseignement secondaire. Parallèlement
furent mises en place les commissions scolaires locales, responsables de l’enseignement primaire.
En même temps que s’organisaient ces nouvelles commissions scolaires et que l’on construisait tout autour de la Gaspésie un chapelet d’écoles polyvalentes, les Gaspésiens
eurent à livrer bataille pour conserver et développer chez eux l’enseignement collégial.
Le ministère de l’Éducation s’apprêtait alors à organiser à travers le Québec un réseau de collèges publics. À Québec, les fonctionnaires décidèrent qu’il n’y aurait pas de collège
public en Gaspésie et que, pour mieux instruire la jeunesse gaspésienne, il faudrait la confier au collège de Rimouski.
Le 21 août 1965, le ministre de l’Éducation, Paul Gérin-Lajoie, se présenta à Fort-Prével pour annoncer officiellement la nouvelle. L’annonce eut l’effet d’une bombe et, devant
les vives réactions de la population, le gouvernement se ravisa. Les institutions d’enseignement collégial de la Gaspésie s’organisèrent en un comité qui s’appela le Comité
d’organisation du cégep en Gaspésie et aux îles de la Madeleine. Démarches, pourparlers et correspondances se succédèrent et, le 22 novembre 1967, la Mission des cégeps,
création du ministère de l’Éducation, se rendait à Gaspé pour y entendre les Gaspésiens plaider leur cause. À l’issue de la rencontre, la confiance régnait et, le 19 mars 1968, le
nouveau ministre de l’Éducation, Jean-Guy Cardinal, annonçait la création du cégep de la Gaspésie à Gaspé. Cette victoire fut importante. On ne peut raisonnablement penser
que, privée de cégep, la jeunesse gaspésienne aurait pu aussi facilement avoir accès aux études collégiales.
En 1968, était institué, à Gaspé, le cégep de la Gaspésie, avec une section francophone, une section anglophone et un service de l’éducation permanente. Cette institution
d’enseignement général et professionnel intégra les maisons d’éducation suivantes : le Séminaire de Gaspé (agrandi au début des années 1950), l’École des infirmières de
l’Hôtel-Dieu de Gaspé, l’École des pêcheries de Grande-Rivière, l’École des métiers de Gaspé, les Écoles normales anglaises et françaises de Gaspé, Carleton, Sainte-Anne-desMonts et des îles de la Madeleine.
Le cégep de la Gaspésie et des Îles a ainsi pris la relève, d’une tradition d’enseignement postsecondaire et universitaire qui s’était établie en Gaspésie et aux îles de la
Madeleine à coups d’efforts depuis le début du siècle. Il a bien rempli la mission qui lui a été confiée, soit celle d’assurer l’accès aux études supérieures à tous les Gaspésiens
et Madelinots.
En 1970, on instaurait le programme collégial Technique des pêches, à Grande-Rivière.
En 1983, le gouvernement du Québec reconnaissait l’importance du secteur des pêches pour la région et pour le Québec, en créant, à Grande-Rivière, le Centre spécialisé des
pêches.
En 1983, naissait aux îles de la Madeleine un service d’extension de l’enseignement collégial, le Centre des Îles.
En 1989, était créé, dans la baie des Chaleurs, un autre centre d’extension d’enseignement collégial, le Centre de Carleton.
Parallèlement, l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) se préoccupait, dès 1969, de la décentralisation de son enseignement et du développement de programmes à temps
partiel sur un vaste territoire s’étendant de La Pocatière à Gaspé, en plus des îles de la Madeleine et de la région de Hauterive. À cet effet, une première entente était conclue
entre l’université et les services d’éducation permanente des cégeps, dès 1971, dans le but d’établir une collaboration et un partage des clientèles étudiantes adultes. Cependant,
c’est à partir de 1974 que l’UQAR amorce une véritable politique de décentralisation de son enseignement à temps partiel, avec la création de trois bureaux régionaux à Gaspé,
Carleton et Matane. Ces trois sous-centres regroupaient l’ensemble du territoire gaspésien, y compris les îles de la Madeleine.
Source : http://www.cgaspesie.qc.ca/cegep/historique.php
Un ensemble qui pourrait impliquer un total de 5 500 étudiants en 1971. La recommandation d’ouvrir un cégep à Saint-Hyacinthe en 1968, assortie d’une collaboration
avec Sorel et Tracy et même Granby, n’est qu’une solution temporaire et ouvre la voie,
comme on le verra plus loin, à la création des cégeps à plusieurs campus.
Pour la Mission, l’étude du cas de figure que représente Saint-Hyacinthe est l’occasion de signaler aux autorités gouvernementales deux dangers importants, celui de
diminuer l’efficacité du réseau à créer en le satellisant de « pôles » et de « succursales »,
et celui de favoriser l’émiettement du même réseau en succombant à la tentation « de
recueillir la succession de toutes les maisons de la province tant privées que publiques
qui jusqu’à présent administraient un enseignement de niveau collégial21 ». En d’autres
21.
Septième Rapport de la Mission des collèges, 14 mai 1968, dossier « Saint-Hyacinthe, CEGEP à succursales ? », 10 pages, CDC 718 749, vol. 7.
Cegeps2eEdFinal.indd 26
17/04/08 23:58:53
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
27
mots, la réforme de l’enseignement collégial ne signifie pas, en vertu de la théorie des
droits acquis, le regroupement obligatoire de toutes les institutions existantes, plusieurs
d’entre elles devant disparaître ou changer d’orientation. D’autre part, l’accessibilité ou la
démocratisation des services commande non pas l’éparpillement mais plutôt la création
de « centres de qualité22 ». De toute façon, si elle n’écarte pas totalement la formule du
cégep à succursales, la Mission ne l’encourage pas non plus, estimant qu’elle est non
conforme à l’esprit et à la lettre du rapport Parent.
La Troisième fournée
Au moment où il annonçait l’ouverture de neuf nouveaux cégeps en septembre de
1968, qui s’ajoutaient à la douzaine lancés en septembre de 1967, le nouveau ministre de
l’Éducation, Jean-Guy Cardinal, avait laissé entendre que le plan de développement du
réseau comportait la création d’une trentaine d’établissements et qu’une dizaine d’autres
viendraient compléter le réseau d’ici 197123. Aux 24 cégeps en activité en septembre 1968
(23 effectivement, puisque le cégep Dawson est en dormance et n’accueille aucun étudiant) s’en ajouteront huit autres en septembre 1969. Les huit cégeps qui obtiennent leurs
lettres patentes sont André-Laurendeau, Montmorency (Laval), François-Xavier-Garneau
(Québec), La Pocatière, Lévis-Lauzon, Rivière-du-Loup, Thetford Mines et Victoriaville.
Deux de ces cégeps, André-Laurendeau et Montmorency, sont dits inopérants, puisqu’ils
sont en mode d’organisation. André-Laurendeau, qui dessert le sud-ouest de Montréal,
ne proposera des enseignements qu’en 1973 et n’entrera dans un édifice tout neuf qu’en
Coup d’œil historique au cégep de drummondville
Né du regroupement de l’Externat classique Saint-Raphaël, de l’École des infirmières de l’hôpital Sainte-Croix et du secteur technique de l’École d’arts et métiers de Drummondville,
le collège de Drummondville fut le premier établissement à dispenser l’enseignement collégial à Drummondville en 1968, un an après la création des cégeps. Comme le collège
de Drummondville n’avait pas le statut de cégep, le ministère l’invite à s’affilier au cégep de Saint-Hyacinthe en 1970. L’année suivante, le regroupement des établissements
d’enseignement collégial de Drummondville, de Saint-Hyacinthe et de Sorel forme le collège régional Bourgchemin. Celui-ci compte des campus dans les trois villes. De 200
étudiants en 1968, on assiste durant les années suivantes à une croissance soutenue de l’effectif scolaire. À la rentrée de 1980, 1 171 étudiants sont inscrits à l’enseignement
ordinaire et près de 475 à l’éducation des adultes.
L’expérience de la régionalisation prend fin en 1980. Le gouvernement du Québec accorde alors une charte de cégep autonome à Drummondville. Le 13 mai 1980, le conseil
d’administration nomme le premier directeur général. Le nouveau cégep de Drummondville ouvre ses portes au début de l’année scolaire 1980-1981.
Depuis 1968, l’enseignement collégial à Drummondville est offert dans des locaux temporaires. En 1980, le conseil d’administration entreprend un projet de construction
pour regrouper les activités sous un même toit. En décembre 1982, le cégep emménage dans ses nouveaux locaux, situés au 960, rue Saint-Georges. Comme la croissance de
l’effectif étudiant se poursuit, un agrandissement devient vite nécessaire. En janvier 1986, le cégep prend possession de la phase II de son édifice.
Au début des années 1990, la croissance continue de l’effectif scolaire justifie la réalisation d’un troisième agrandissement afin de pouvoir accueillir 1 800 étudiants. Le
dernier agrandissement du cégep fut terminé en 1994. L’année scolaire 1995-1996 marque l’apogée de la croissance de l’effectif scolaire, le nombre maximal d’étudiants
(près de 2 000) étant atteint.
Source : www.cdrummond.qc.ca
22.
23.
Cegeps2eEdFinal.indd 27
Ibidem.
Hebdo-Éducation, Québec, 26 mars 1968, IVe année, no 36, p. 268 et 269.
17/04/08 23:58:55
28
Première
partie :
Les débuts de l’aventure collective
1976. De son côté, le cégep Montmorency ne sera opérationnel qu’après 1973. Parmi
les six autres, quatre font partie des cégeps à sites contestés mentionnés en 196724.
Les demandes de création de cégeps à La Pocatière et Rivière-du-Loup, Drummondville et Victoriaville, Thetford Mines et Saint-Georges de Beauce placent les membres
de la Mission dans une position délicate. On assiste d’ailleurs à des flottements dans les
recommandations. Dans un premier temps, par exemple, elle favorise Drummondville
de préférence à Victoriaville, Thetford Mines plutôt que Saint-Georges, Rivièredu-Loup plutôt que La Pocatière25. Cinq mois plus tard, elle opte pour Thetford Mines
et Rivière-du-Loup. Elle écarte ainsi la candidature de Saint-Georges de Beauce, dont
les prévisions d’effectif lui paraissent insuffisantes ; elle rejette la candidature de SainteAnne-de-la-Pocatière à cause du trop faible bassin de la population à desservir26. Les
comportements des promoteurs de la candidature de Rivière-du-Loup indisposent et
les autorités du ministère et les membres de la Mission, mais le gouvernement acceptera
les recommandations de la Mission à propos de Thetford Mines et de Rivière-du-Loup,
passera outre à celle concernant La Pocatière, et, en optant pour Victoriaville, retardera
de plusieurs années la création d’un cégep à Drummondville.
Mais c’est à Québec, où deux cégeps sont déjà ouverts, celui de Limoilou et celui
de Sainte-Foy, que le combat contre la montre se fait le plus pressant. En effet, le dossier
de Mérici (premier nom du cégep François-Xavier-Garneau) piétine. La formation du
comité d’organisation a été difficile, les institutions participantes (collège des Jésuites,
collège des Ursulines (Mérici) et école normale de Mérici) hésitent à abandonner leur
statut privé. En mai 1968, la Mission recommande l’ouverture du cégep en septembre,
mais l’arrivée dans le décor de l’Institut de technologie maritime du Québec et de l’Institut de marine de Québec vient compliquer la problématique. Les Ursulines ne sont
d’ailleurs pas d’accord avec l’offre faite par le gouvernement concernant le prix d’achat de
l’école normale de Mérici. Le nouveau cégep accueille des étudiants en septembre 1969
dans des locaux appartenant aux Ursulines et aux Jésuites, mais, à la suite de la rupture
des négociations entamées avec les Ursulines pour l’achat de l’école normale de Mérici,
le nouveau cégep doit se replier en catastrophe l’année suivante à l’école normale Laval,
sur le boulevard de l’Entente27.
24.
25.
26.
27.
Sixième Rapport de la Mission des collèges, 20 décembre 1967, pagination discontinue. Cinq annexes.
Plus Rapport complémentaire, 12 p., 20 février 1968. CDC 718 749, vol. 6. Le groupe C comprenait
six projets de cégeps à sites contestés dans trois régions différentes, soit Chaudière-Appalaches, BoisFrancs–Saint-François et Kamouraska–Rivière-du-Loup–Témiscouata. La lutte se faisait concrètement
entre Thetford Mines et Saint-Georges de Beauce, Victoriaville et Drummondville, et Rivière-du-Loup
et La Pocatière. Voir notre mémoire de maîtrise, p. 115.
Ibid., IIIc, « Dossiers des CEGEP à sites contestés dans le milieu ».
Septième Rapport de la Mission, 14 mai 1968, dossiers « Thetford Mines » et « Rivière-du-Loup », CDC
718 749, vol. 7.
La saga des premiers pas du collège François-Xavier-Garneau est racontée en détail dans Yves Tessier,
Le Collège François-Xavier-Garneau. Trente ans d’histoire, Québec, Collège François-Xavier-Garneau,
2000, p. 11-48.
Cegeps2eEdFinal.indd 28
17/04/08 23:58:55
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
29
En 1969, on compte donc 30 cégeps en activité et deux cégeps en formation, soit
31 de langue française et un de langue anglaise. L’année 1970 verra la consolidation du
réseau de langue anglaise avec l’octroi de lettres patentes à Vanier et John Abbott. Vanier
accueillera ses premiers étudiants en septembre 1970, le second, l’année suivante. Du
côté francophone, deux cégeps ouvrent leurs portes en 1970, soit celui de Matane et de
Saint-Jérôme, le premier détaché du cégep de Rimouski et le second du cégep LionelGroulx (Sainte-Thérèse).
L’année 1971 marque l’émergence de trois cégeps régionaux : celui de la CôteNord, qui comprend un campus à Hauterive et à Baie-Comeau, en mars, le Champlain
Regional College, en juillet, destiné aux étudiants de langue anglaise et regroupant trois
campus (Lennoxville, Saint-Lambert et Saint Lawrence à Québec) et le cégep régional
du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui réunit les cégeps de Chicoutimi et de Jonquière, auxquels sont associés les campus de Saint-Félicien et d’Alma. Un quatrième cégep régional
naît en février de 1972, avec la création du Bourgchemin, avec point central au cégep
de Saint-Hyacinthe et des satellites à Sorel-Tracy, Granby et Drummondville28. Cette
première expérience des cégeps régionaux, à l’intérieur du réseau francophone, prendra fin en 1980 avec la création de cégeps indépendants à Drummondville, Granby,
Saint-Félicien, Alma, Hauterive et Sorel-Tracy. Elle sera reprise, en 1998, avec le cégep
régional de Lanaudière.
En 1971, le réseau québécois des cégeps comprend cinq cégeps de langue anglaise
et 34 de langue française. La réforme de 1980 fait grimper leur nombre à 45, auxquels
s’ajouteront le cégep de Beauce-Appalaches (1990), le cégep Marie-Victorin (1993) et
le cégep Gérald-Godin (créé en 1995 et ouvert en 1999). En 1998, le cégep de Joliette
est transformé en cégep régional (Lanaudière) avec l’addition de deux campus, l’un à
Terrebonne et l’autre à L’Assomption. Depuis cette date, le réseau compte 48 collèges,
dont deux collèges régionaux (Champlain et Lanaudière).
En raison du mode d’organisation suivi dans la création du réseau des cégeps, soit la
fusion des fonctions d’enseignement préuniversitaire de collèges classiques, de séminaires,
d’instituts de technologie et d’écoles normales, il a fallu, dans quelques cas, procéder à
l’achat d’immeubles appartenant à des communautés religieuses ou à des diocèses. Les
gouvernements ont procédé de la même façon concernant l’acquisition d’immeubles dans
le secteur de l’enseignement secondaire, ainsi que dans celui de la santé et des services
sociaux. Les négociations se sont faites sur une base volontaire, mais il faut reconnaître
qu’en adoptant une politique d’évaluation des biens meubles en fonction de la valeur
de remplacement plutôt que de la valeur au marché, les négociateurs gouvernementaux
se sont placés en position de force, la plupart des institutions consentantes étant dans
une situation financière difficile. D’après les calculs faits à partir des arrêtés en conseil
(1967-1973), nous estimons que, dans le secteur des cégeps, l’État québécois a consacré
28.
Cegeps2eEdFinal.indd 29
Arrêté en conseil no 412-72, du 9 février 1972 , Bulletin officiel du ministère de l’Éducation, 8/3/1972,
p. 488.
17/04/08 23:58:55
30
Première
partie :
Les débuts de l’aventure collective
Les cégeps fondés en 1967
Côte-Nord
Nord-du-Québec
Saguenay–Lac-Saint-Jean
Gaspésie–
Îles de la Madeleine
Cégep de Rimouski
Cégep de Jonquière
AbitibiTémiscamingue
BasSaint-Laurent
Mauricie
Cégep de Chicoutimi
Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue
CapitaleNationale
Cégep Limoilou
Collège Ahuntsic
Cégep de Sainte-Foy
Laurentides
Outaouais
Cégep de l’Outaouais
Lanaudière
Centre-duQuébec
Collège Lionel-Groulx
Laval
Chaudière–
Appalaches
Montréal
Collège Édouard-Montpetit
Montérégie
Collège de Valleyfield
Collège de Maisonneuve
Estrie
Les cégeps fondés entre 1968 et 1970
Côte-Nord
Cégep de la Gaspésie et des Îles
Nord-du-Québec
Saguenay–Lac-Saint-Jean
Cégep de Matane
Cégep de Rivière-du-Loup
AbitibiTémiscamingue
Mauricie
Cégep
de Lévis-Lauzon
CapitaleNationale
Cégep de Trois-Rivières
Outaouais
Laurentides
Cégep de Sorel-Tracy
Cégep de Saint-Hyacinthe
Cégep de Saint-Jérôme
Cegeps2eEdFinal.indd 30
Collège de Bois-de-Boulogne
Collège Montmorency
Collège de Rosemont
Vanier College
Cégep de Victoriaville
Montérégie
Estrie
Laval
Cégep de Saint-Laurent
Centre-du Cégep de Thetford
Québec
Cégep de Sherbrooke
Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu
Cégep de La Pocatière
BasSaint-Laurent
Collège François-Xavier-Garneau
Collège Shawinigan
Gaspésie–
Îles de la Madeleine
Cégep du Vieux Montréal
Montréal
John Abbott College
Cégep André-Laurendeau
Dawson College
17/04/08 23:58:57
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
31
Les cégeps fondés entre 1971 et 1980
Cégep de Sept-Îles
Côte-Nord
Cégep de Baie-Comeau
Nord-du-Québec
Saguenay–Lac-Saint-Jean
Gaspésie–
Îles de la Madeleine
Cégep de Saint-Félicien
AbitibiTémiscamingue
Collège d’Alma
Mauricie
BasSaint-Laurent
Champlain Regional College
CapitaleCampus - St.Lawrence
Nationale
Outaouais
Laurentides
Laval
Cégep de Granby Haute-Yamaska
Centre-duQuébec
Cégep de Drummondville
Champlain Regional College
Campus - Saint-Lambert
Montérégie
Champlain Regional College
Campus - Lennoxville
Montréal
Estrie
Les cégeps fondés entre 1981 et 2008
Côte-Nord
Nord-du-Québec
Saguenay–Lac-Saint-Jean
Gaspésie–
Îles de la Madeleine
AbitibiTémiscamingue
BasSaint-Laurent
Mauricie
CapitaleNationale
Cégep Marie-Victorin
Cégep régional de Lanaudière
Outaouais
Laurentides
Chaudière–
Appalaches
Lanaudière
Heritage College
Centre-duQuébec
Montréal
Cégep Beauce-Appalaches
Montérégie
Cegeps2eEdFinal.indd 31
Estrie
Laval
Collège Gérald-Godin
17/04/08 23:58:59
32
Première
partie :
Les débuts de l’aventure collective
un montant d’environ 50 millions de dollars, qu’il faudrait porter jusqu’à 70 à 75 millions
de dollars, si l’on tient compte de la prise en charge par les cégeps des dettes existantes. Ce
montant ne tient pas compte évidemment des investissements qu’il a fallu faire pour la
transformation des édifices anciens ou encore pour la construction de nouveaux édifices.
Il faut dire également que, les écoles normales et les écoles techniques appartenant déjà
à l’État, celui-ci a pu de la sorte faire des économies considérables.
CONCLUSION
L’épisode de la création en catastrophe des cinq cégeps au mois d’août 1967 pourrait
sans aucun doute fournir des munitions à ceux qui ont soutenu et qui soutiennent encore
aujourd’hui que la création du réseau des cégeps a été improvisée. En fait, avec le recul,
nous y voyons plutôt un accident de parcours somme toute mineur dans une trajectoire
qui se voulait et a été, dans les faits, le développement progressif, cohérent et rationnel
d’un nouvel ordre d’enseignement se situant entre le secondaire et l’universitaire.
L’épisode est, du reste, exemplaire en ce sens qu’il illustre a fortiori un fait que l’on
oublie trop souvent, à savoir que la réforme des cégeps, comme d’ailleurs l’ensemble
de la réforme de l’éducation des années 1960, est le résultat d’arbitrages et de décisions
politiques. Certes, on a multiplié les commissions d’enquête et les comités, mais les décisions ultimes ont été prises par les gouvernements et les hommes politiques en place.
Ce qui explique que les modèles virtuels élaborés par la commission Parent, le COPEPP
et la Mission des collèges n’ont pas toujours été respectés. De même pour les recommandations formulées. Tous ces organismes n’ont eu, en effet, que des rôles consultatifs
et non exécutifs, d’où la frustration ressentie, à certains moments, par quelques-uns des
participants aux travaux du COPEPP.
Le réseau, tel qu’il existe aujourd’hui, peut sembler pléthorique : dans certaines
régions, les effectifs minimums requis ne sont plus au rendez-vous. C’est là le résultat
de décisions politiques prises en 1980 et même au moment de la naissance des cégeps
entre 1967 et 1971, en faveur de régions n’ayant pas toujours le bassin démographique
nécessaire. En cette matière, certains comités d’organisation ont commis des prévisions
plutôt optimistes et les gouvernements ont alors opté pour l’accessibilité.
Compte tenu de l’immensité de la tâche, des enjeux en cause, des forces, des
intérêts et des aspirations en présence, compte tenu aussi des réticences et des blocages
(notamment en ce qui concerne le monde scolaire anglophone et plusieurs éléments de
l’élite religieuse catholique), compte tenu, enfin, des urgences à affronter, la naissance
des cégeps s’est déroulée globalement d’une façon civilisée, rationnelle et non improvisée.
Aurait-elle pu être étalée sur une plus longue période ? Nous pensons, au contraire, qu’on
n’avait pas le choix. La réforme du secondaire terminée, il fallait impérativement procéder
à l’étape suivante. Des conditions semblables et une conjoncture politique similaire se
répéteront quand viendra le moment de procéder à la réforme de l’ordre universitaire.
Cegeps2eEdFinal.indd 32
17/04/08 23:58:59
La naissance des cégeps : un exercice rationnel, cohérent et urgent
33
La naissance de l’Université du Québec aura lieu, elle aussi, dans un contexte d’urgence,
mais également avec la ferme volonté d’en faire un exercice rationnel et cohérent.
Références bibliographiques
Bélanger, Jules, Marc Desjardins, Yves Frenette et Pierre Dansereau (1981). Histoire de la Gaspésie,
Montréal, Boréal Express et Institut québécois de recherche sur la culture, 803 p.
Conseil supérieur de l’éducation (1968). Rapport 1965-1966, 1966-1967. L’enseignement face à
l’évolution sociale et scolaire, Québec 389 p.
Conseil supérieur de l’éducation (1970). Rapport d’activité, 1967-1968, 1968-1969, Québec,
363 p.
Corriveau, Louise (1991). Les cégeps, question d’avenir, Québec, Institut québécois de recherche
sur la culture, 133 p.
Dassylva, Martial (2004). La naissance des cégeps, 1964-1971, mémoire de maîtrise, présenté au
Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal, 171 p.
Dassylva, Martial (2004). « Le modèle virtuel de l’institut tel que proposé dans le rapport Parent »,
Bulletin d’histoire politique, vol. 12, no 2, hiver, p. 49-65.
Nocaudie, Dominique (1972). Les collèges d’enseignement général et professionnel au Québec, thèse
de doctorat, Paris, Université de droit, d’économie et de sciences sociales Paris II, 432 p.
Province de Québec (1963). Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la
province de Québec, partie ou tome I, Les structures supérieures du système scolaire, Québec,
xiii+ 121 p. [rapport Parent I].
--- Deuxième partie ou tome II (1964). Les structures pédagogiques du systèmes scolaires : A. Les
structures et les niveaux d’enseignement, Québec, ix + 404 p. [rapport Parent II].
--- Deuxième partie ou tome II (1964). (suite), Les structures pédagogiques du système scolaire :
B. Les programmes d’études et les services éducatifs, Québec, 391 p. [rapport Parent III].
Tessier, Yves (2000) Le Collège François-Xavier-Garneau. Trente ans d’histoire, Québec, Collège
François-Xavier-Garneau, 167 p.
Cegeps2eEdFinal.indd 33
17/04/08 23:59:00