Le Miroir aux éléphan Le Miroir aux éléphants
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Le Miroir aux éléphan Le Miroir aux éléphants
François Chaffin Le Miroir aux éléphants Texte écrit à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon contact : François Chaffin — 6, rue d’Orsay — 91140 Villejust — 06 07 49 74 43 francois.chaffi[email protected] “Je suis la voix de celui qui crie dans le désert“ Saint Jean-Baptiste (Evangile selon Saint Mathieu, III, 3) © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. Pour mon poteau-le-Thierry LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 2 ARSENE KLOP : A-B-C-D-E-F-G-H-I-J-K-L-M-N-O-P-Q-R-S-T-U-V-W-X-Y-Z. Et ça y va. Ça y va les mots dans le sac toute la bande au dico de quoi faire des histoires au monde et se prendre la gueule dans les blablabla se tenir le temps qu’il faut même face au vent même au désert on s’en fout parce qu’il y a quelqu’un peut-être une lumière c’est déjà ça tu peux causer il y a quelqu’un peut-être quelque chose qu’est là pour écouter l’histoire. Une histoire deux histoires trois histoires autant que ta bouche autant que ton sac. Tu entends ça charli Bi ! Tu crois que tu peux tenir la distance tu crois que le vent est de ton côté ! Mon homme on se reverra je te trouverai la langue aplatie et ta bouche en creux tu entendras qui je suis charli Bi je saurai tirer encore le sable de ta bouche. © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (…) Tu m’excuses j’ai du boulot. Tout un sac. Suis trafiquant vocabulaire. Je ne sais rien faire quoi d’autre à part vendre les mots. Des bons des gros demi-gros doux d’amour ou derniers j’ai ce qu’il te faut dans le magasin de mon sac et que tu réclames ou pas c’est les affaires on doit pouvoir conclure. Là je vois bien que tu t’intéresses. Ton pas l’est plus lent tu n’arrives plus à te pocher l’œil tu garroches un look bien dans la marchandise tu sais que l’affaire est dans le sac. Et puis le choix ! Si t’es un peu donneux si tu sais jongler les craquants tu peux flamber le dico d’un geste un seul il est à toi si tu veux si t’es de mèche avec l’argent. Enfin ça le gros client c’est le rêve du colporteur une chance sur un million. Toi t’as plutôt l’air du n’importe qui des chalands de la dèche et des jours sans. N’importe. Pas de petit profit ni petit poisson maman disait la mer c’est une addition des gouttes j’ai sûrement ce qu’il te faut. On se tourne autour comme des boxeurs qui vont s’arranger. Moi je laisse venir c’est pas le temps qui manque j’ai de l’expérience et du jeu de jambes un gros sac de mots on doit pouvoir conclure. Sûr que c’est toi qui te découvres. Et voilà te voilà qui avance incomplet bouche boiteuse et mine trouée tu tournes et tu avances les doigts pris dans la caillasse au fond des poches. J’ai de quoi fournir mon homme tu ne seras pas déçu approche approche alors dis-le dis-le ce mot qui te manque ! Il ne parle pas il sue cherche sa respiration cherche sa bouche il coule de partout il trouve sa bouche sa bouche demande : “C’est combien pour un mot ?“ J’en étais sûr je n’ai rien dit tourne et tourne j’ai l’avantage l’expérience le timing ça se joue à domicile je suis sa providence l’affaire est dans le sac. “C’est combien je te demande combien pour un mot est-ce que j’ai assez Arsène tu ne dis rien dis-moi un mot rien qu’un est-ce que j’ai assez d’argent ?!“ Finalement part en vrille se mange au tapis il dit pitié comme compté dix KO pour un mot qui lui manque et sa main s’ouvre sur son fric seule la victoire compte. J’entame le deal. “T’as une bonne tête de client si je t’assure je vais te faire un bon prix.“ L’est ben sonné quand même il ne lâche rien : “J’ai pas de quoi plus l’Arsène juste ça de quoi mais plus ça non je ne peux pas !“ Disent tous ça les salauds pour un peu ils veulent toute la came pour à peine plus que dalle les salauds. À pas de conscience un pauvre. Juste la bouche fissure par où s’écoulent misère et des histoires à gros bides de mal nutris. “Arsène je t’en supplie dis-moi que c’est possible je te donne ce que j’ai me faut ce mot sinon je crève Arsène je te fais ça sur toi t’auras plus que ta sale conscience de dealer de merde en vingt-six lettres !“ Le confus du client qui ne sait même pas ce qu’il est venu m’acheter. Une affaire facile vingt carats si je la joue velours. “ U… UUUUU… U…MAIN ! Humain oui c’est ça le mot qui te manque à la vie c’est pour ça que t’étais seul comme un con humain non mais tu te rends compte si ça va te coûter les bonbons !“ Il respire un air on dirait un clown qui s’est retrouvé la pirouette : “Humain non mais c’est pas croyable tu as su tout de suite un coup de tête et ça t’est sorti direct par l’ébloui non mais comment tu as su ?! Humain je l’achète je ne veux même pas discuter le prix ce mot je l’emporte tel que prends l’argent c’est le tien ! — Halte là client ! Humain ce n’est pas rien il en faut des comme lui pour faire un monde je ne sais pas si tu mérites grosse grosse responsabilité il faut que je réfléchisse. — Arsène tu me… — Silence ! Comment veux-tu que j’y pense si toi tu dégoulines tes stupéfactions comme un vieux robinet ! — Mais… — Tais-toi maintenant tu parles trop j’ai pris une décision humain ça ne marche pas tout seul il faut m’acheter la famille avec les synonymes et les antonymes l’oxymore et l’anacoluthe tout ce qui se conjugue autour c’est à prendre ou à laisser ! LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 3 — Amul xaliss vieux griot ton cœur est en métal c’est comme si mon heure est venue ce que tu fais là ! — Tu jappes du bout des nerfs mais tu n’écoutes pas le prix que j’en demande. Pour l’humain c’est d’accord je prends ton fric tu gardes le mot l’affaire est dans le sac. Pour le reste les accessoires on s’arrange tu dégages c’est crédit. — Hein ? — Tu gardes l’humain et pour le même prix tu te casses avec la bande l’homme et la femme les enfants les sentiments le saint esprit et les animaux de compagnie. Démerde-toi pour le mélange ce n’est pas si facile mais ça vaut le coup. Bon qu’est-ce que tu fous là encore à me regarder la générosité il faut que tu bouges moi je dois faire mon inventaire.“ (…) J’ai fermé les yeux ma bouche la boutique pour me sortir des blablabla et tenir encore un temps même face au vent même au désert. J’ai pensé à mes pieds. (on en est bien là non ?) Quarante-huit heures plus tard l’était parti. J’étais plein de fourmis j’avais envie de marcher. Marcher c’est mon truc. Forcément dans mon boulot c’est un atout. Maman disait que le monde appartient à ceux qui se lèvent n’importe quand et partent n’importe où. À ceux qui se lèvent n’importe où et partent n’importe quand. Je n’sais plus. Moi c’est à pied que je fais le trajet. Un pas suit l’autre et la mécanique me branle dans les hasards. Sans hâte sans fuel sans carte. Si tu crois que c’est facile. Mais pourtant je passe passe le monde en revue de porte-à-porte je vends mon baratin c’est comme ça que ça fonctionne. © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (…) Comme quand on était petits et que parler c’était se dire des histoires. Tu te souviens de ça Charli de quand on était petits de nos histoires sans fin ni orthographe nos histoires à la place des leçons. Tout le temps tout petits on se les racontait comme de grimper aux arbres ça nous prenait l’école et nos cachettes les goûters tous nos secrets on ne se buissonnait plus que dans les patatis-patatas. Le verbe à l’instinct qu’on avait ça dans le sang du plus petit des mots minuscules on se faisait des tonnes de la ritournelle bien tordue balancée comme des couleurs sur les bitumes de la récré ou le gravier du terrain de foot. Et puis un mot remâché bien dans la gueule et ça nous cassait l’ennui aussi sec. Plus fort que la réglisse. D’ A jusque Z au fond des poches à trous toute l’alpha-bête-à-bon-dieu pour se dégourdir des adultes et nous sortir du gentil-poli qui fait les hématomes dans la tête des enfants. Heureusement je suis là tu le sais toi mon Charli-ma-vieille-bille que je vais rendre coup pour coup mot à mot la langue aux inventeurs et tracasser la parole des professeurs ! (des fois j’ai l’impression que c’est inutile… c’est toujours moi qui parle ?) Dring c’est le boulot excuse-moi les affaires tu comprends Charli j’ai faim je trouve une porte j’appuie sur la sonnette. Si tu crois que c’est facile. J’ai sonné une fois j’entends la dame qui me dit par-derrière la porte : “Je m’en fous de vos tapis j’aimerais mieux un mixeur un aspirateur un adaptateur ou un mari qui ne se voit pas mais pas de tapis non ça je ne veux pas entendre parler de vos tapis.“ Je travaille mon grave je ne suis pas du genre qui renonce à la première sonnette : “Madame le tapis je n’en vends pas je fais dans le dico tout le tralala des mots ils sont frais de ce matin. — La belle histoire –qu’elle me répond— ah si vous croyez que j’ai le cœur à la cancane ! Allez-vous-en plutôt revenez avec des fleurs.“ Il y a dans sa voix comme un bruit d’automne je m’enhardis : “Madame vous me semblez si seule vous devriez sortir nous irions déjeuner sur l’herbe. Si vous voulez Charli sera des nôtres il emportera une dame aussi et des cerises pour le dessert.“ Elle n’a plus rien dit le temps passait je me suis assis dos à la porte j’ai fermé les yeux. Songé qu’elle était en déshabillé blanc et songé aussi qu’elle avait bien fait de ne pas me regarder par le trou déformant du judas. LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 4 Le monde est si mal foutu par le judas. (…) Sans me sentir me suis levé je sonne une deuxième fois et la dame hésite à prendre un couteau dans la cuisine je crois qu’elle aurait bien voulu me donner un coup de couteau dans la vie. La porte s’ouvre et il n’y a plus de judas entre nous elle me voit tel que je la reconnais dans les lumières qui dégringolent c’est comme si Gabriel s’était foutu en court-circuit ! C’est sûr elle ne m’est pas une inconnue c’est la femme en déshabillé blanc du pique-nique de la dernière fois que j’ai bien connu l’amour. La peau les yeux l’odeur comment oublier je ne savais pas qu’elle habitait le quartier je ne savais rien pour le mari. Avant qu’étincelles et plumes ne touchent le sol je me suis souvenu de notre escapade en forêt. Je l’ai revue s’accroupissant un peu à l’écart des provisions caressant le sol et retenant l’étoffe transparente qui débordait de son autre main. Nous déjeunions sur l’herbe Charli Bi était accompagné d’une poule qui se mit nue entre la galette et les cerises je ne sais pas pourquoi mais le paysage s’en trouvait changé une sorte d’excitation diffuse les oiseaux en vol tournaient la tête on les entendait qui se brisaient contre les arbres. Il faisait bon sous nos paletots et nous devisions dans les hasards. Moi surtout j’avais l’œil sur elle. Ensuqué de désir je me demandais pourquoi est-ce qu’elle recomptait l’herbe la tête en biais sans un mot ni me dire que j’étais fantastique et que le plus tôt serait l’amour. Les femmes sont une énigme. Comment tant de beauté lâchée dans ma proximité pouvait-elle risquer le silence. Ne lui était-il pas évident le séisme qui nous eût emporté ? Et l’autre femme tellement nue si surprenante et proche de Charli m’avait-elle objectivement regardé ? Et si je lui avais dit que j’étais une option possible ? Enfin pour dire vrai cette poule je m’en foutais je dévidais du sac automatique les mots du bavardage mais je n’avais d’yeux de corps et désir que pour la belle courbée à quelques pas de là. Justement elle venait d’achever l’inventaire du sous-bois sa robe déshabillée de blanc sa peau tachetée de fourmis et de pailles toutes ces petites niaiseries qui font s’énerver les poètes. Ni moi ni ma libido n’en pouvions plus ce fut comme un départ de lapin juste après le coup de feu. J’ai traversé le pique-nique et ravi ma belle sur les kilomètres automobiles qui nous ont emportés à la place où le jour tombe sur la cité. Et là moi l’Arsène des villes j’ai posé mon amour des champs sous la lumière d’un réverbère et j’ai pris du recul pour attraper d’un regard toute la circonférence de cette beauté. (…) Quant à ce que j’ai vu. Ce que j’ai vu là de cette clarté surexposée c’est plus que la nuit révélée plus que mes yeux n’auraient su fixer : un papillon collé sur la rétine une femme de ma vie. © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (…) Le temps est passé sous mes immobiles. Charli Bi rentré à pied était en colère quinze kilomètres à remorquer une poule nue qui jérémiade ses durillons. Il m’a trouvé devant la lumière chauve du réverbère il voulait m’engueuler j’étais seul un métro m’avait repris la belle sans doute j’avais pris trop de recul. Je ne bouge pas je pense à mes pieds je suis triste à faire silence. C’est là que tu sonnes une troisième fois et la dame hésite à prendre un couteau dans la cuisine je crois qu’elle aurait bien voulu me donner un coup de couteau dans la vie. La porte s’ouvre elle ne me tue pas les femmes sont imprévisibles elle me regarde elle oublie le mixeur l’aspirateur l’adaptateur c’est comme deux images qui se retrouvent l’une sur l’autre j’ai un papillon collé sur la rétine. “Vous n’avez pas changé de robe -je lui dis— je voudrais entrer si c’est possible vous montrer le fond de mon sac il vous reste bien quelques petites fourmis ?“ Une femme de ma vie. J’entre comme au pays d’Alice elle marche la première son corps envoie des courbes des étincelles je suis aveugle je marche dans les tangentes je marche sur ses chats un deux et puis trois ils sont tous morts ça ne fait rien elle me demande si je veux du café. Charli sa voix c’est le même bruit que dans nos histoires de gosses de fées ! “Noir“ je lui dis elle me répond que nous le boirons avant de nous embrasser. Je ne me tiens plus me défais par toutes les ouvertures je glisse comme une envie sur la langue d’ailleurs mon LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 5 café je le touille avec la queue d’un chat. “Excusez-moi je suis ridicule j’ai oublié les fleurs vous pourriez me dire le nom du papillon que j’ai sur la rétine ?“ Elle s’approche ça me fait le court-circuit je pars en étincelles Gabriel tente encore de s’interposer je le disjoncte et nous nous enlaçons comme deux boas sans patience. Six jours et sept nuits sans respirer la meute des corps en glissades de muqueuse à muqueuse dans le flux des liquides nous avons arpenté toutes nos dénivelées. La septième nuit le café était froid. Je suis sorti voir dehors s’il y avait toujours du monde mais le temps avait tout emporté. J’ai donc fermé les yeux. Bon sang mon Charli mais dis-moi ce qui m’arrive je ne me sens plus c’est comme si les choses je ne les tenais plus. (…) Ouvert les yeux. La porte en face j’y suis j’y reste. Quatrième coup de sonnette. Et voilà que ça s’ouvre la dame qui n’en peut plus me regarde salement comme si elle voulait me mettre plein de coups de couteau dans la vie. J’ai eu le réflexe du professionnel un élastique me déplie la bouche je souris et je commence : “Madame je vous le dis tout net des tapis ni des mixeurs je n’en ai pas mais il va pleuvoir et j’ai là dans mon sac une marchandise que je voudrais vous montrer.“ Un temps. Elle pose son couteau me laisse entrer la pluie soudain se casse la gueule j’ai eu de la chance. “J’ai très envie de vous parler de l’Y. Prononcez I-G-R-E-K c’est un produit exceptionnel vous n’imaginez pas ce qui est en affaires avec cet oiseau-là : théorie du signal récursivité quantique élasticité et toute la pacotille des infinis mathématiques. N’essayez pas de comprendre je vais vous simplifier la vie : l’Y dans nos existences de corps et d’os c’est le petit nom du chromosome sexuel du garçon et de même chez la fille du serpent mais les anges me direz-vous ça non je ne peux rien vous promettre ils ne veulent pas nous montrer. Suivez-moi bien il pleut votre ménage n’est pas fait nous n’avons plus de temps à perdre. Qui maîtrise l’Y détient les secrets d’une libido caméléon chausse-trappe du missionnaire et source des jouissances venues d’ailleurs. Là Madame là j’ai mis dans le mille et si je ne parlais pas tout le temps vous me demanderiez : c’est combien pour un Y ? Et bien pour vous parce que vous me rappelez quelqu’un c’est paupière et ce n’est pas cher quand on y pense je garde juste le couteau en souvenir de vous. Et puis tenez vous êtes jolie votre mari n’est pas là je vous offre l’X avec l’Y ils vous feront des petits c’est important d’avoir un papillon. Maintenant ne m’en voulez pas je me retire il y a des portes plein les villes j’ai de la route le boulot vous comprenez.“ © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (oui ?) Toujours le va-va qui me reprend. Un peuple de tessons plantés sous mes pieds comment veux-tu que je tienne ma place. Quelles sont ces portes dont je parle et qui ose rire dans mon dos ? Charli tu es là tu es revenu ?! Maudit homme pire qu’une ombre il ne fait rien que me courir les dessous avec ses rats. Mais Charli c’est que j’en expire des ombres et de bien plus poisseuses que toi. Suis comme un ventilateur qui disperse les noirceurs un moulin qui tourne les mots dans les trois cent soixante possibles ! Maman disait “Arsène tais-toi quand tu parles j’entends plus la chanson des avions !“ Sans mentir dans ma bouche il entre et sort la moitié du mistral. Alors imagine si je mens. Ah si seulement. (…) Pourtant ça te gifle une habitude hein marchand de mots !? Ça s’envoie comme un môme qui te dit cosmonaute pas un job pour celui qui s’est enfoncé une huître dans la tête. (…) Tu entends ça Charli ?! Charli Bi arrête de faire ton mime sort du trou c’est moi qui t’écoute maintenant ! Vieux taiseux va tu préfères l’esquive et profiter de mes yeux mon timing mon tabac ! Mais tu es là qui me salive le cerveau quand je regarde les filles et quand je couche tu cries dans les cris de mon plaisir. Tu as toujours soif plus que moi Charli toujours plus que moi ! Mais si un ami la mère ou le frangin tombent au champ de vivre alors tu racontes nada tu restes à la maison LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 6 tu me laisses aller mon dépit les yeux percés de lacrymogène. Vieux rat mon parasite. Crois-tu que sans blessure je passe le chas de mes aiguilles ? Au moins vois-tu que je tiens de moins en moins la distance comme un coureur qui apprend à compter sur ses fractures. (j’ai soif je continue ?) Tu crois qu’il nous reste encore de belles histoires tu crois qu’on a ça en magasin tu crois que ça sert à quelque chose ? © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (…) Demande au Prince noir. Demande-lui si je n’ai pas fait son affaire si je ne suis plus capable si ce n’est pas moi le griot des griots ! C’était hier pas plus lui le type il m’assaille un Africain il faisait trois mètres de haut un géant noir planté sur le trottoir. “Hé mon frère c’est toi le marchand de mots c’est toi qui troques les trucs au fond du sac. Ne dis pas non tu as la tête du blanc qui fait ça les sorciers m’ont parlé de toi j’ai vu ta figure dans le ventre d’un poulet.“ Mais qu’est-ce qu’elle faisait là ma figure pourquoi s’en aller aux poules sans moi sans rien me dire ça me donne la nausée un jour je rentrerai chez moi. Impossible. Il y a ce géant noir qui semble tenir le soleil sur sa tête il m’empêche d’avancer je suis tout petit aux pieds du baobab je suis tout blanc mais j’ai aperçu les éléphants qui broutent le bitume alentour. Pour me donner une contenance j’ai sorti quelques claquettes et poussé de vieux gospels mais ça n’a rien donné je n’avais pas l’air moins blanc lui c’est comme un prince dans le quartier je me suis calmé plus bougé même j’ai fini par me taire. Le baobab s’est plié jusqu’à mon oreille : “Arsène cesse de faire le con tu es mon sauveur les sorciers me l’ont dit.“ Une chance que je comprenne un peu toutes les langues des hommes une chance que je polyglotte d’un peu partout cet homme ce géant dit que je suis son sauveur ça tombe bien je suis disponible en ce moment. “Prince quel est ton problème parle sans crainte je ne ferai pas de mal aux éléphants. — Arsène tu dois comprendre nous devons tellement d’argent aux toubabs j’ai dû m’adapter négocier je parle les dialectes du YEN DOLLAR et d’EURO je paraphe toute la poulaillerie du capital mais les éléphants non ils ne comprennent que l’Afrique ils ne m’obéissent plus. Hier encore au sommet du gros deal ils m’ont échappé z’ont écrasé la limousine et la figure en tôle d’un banquier il y avait du sang jusque sur le cigare. Les dames criaient à la dégoûtation les pachydermes s’énervaient ils n’aiment pas le cri des bijoux ils cognaient dans le tas barrissaient de partout une vraie jungle ruée dans les salons quatre étoiles. Je cherchais au fond de ma mémoire les mots qui les apaisent les mots de la langue maternelle qui parlent aux éléphants mais rien ne m’est venu c’était trop tard ils avaient pilé toute la richesse dans le gâchis des os et stock-options des rides et des rolex. Sauterelles sécheresses et mille ans d’intérêts surfacturés ! Qu’ils m’hurlaient dans l’Afrique les dentiers survécus. Tu comprends Arsène j’ai perdu les mots de la langue de ma mère les éléphants ne parlent pas le pognon ils ne m’obéissent plus ce sont des enfants ils dansent sur la figure des occidents. — Mon prince je fais l’affaire il faut que tu me parles et me dises la forme et le mouvement des lettres le cri de ta mère quand elle appelle tes frères et tes sœurs parce que c’est l’heure de l’école ou d’aller chercher de l’eau. — Arsène tu ne comprends pas les mots que je cherche les mots de ma mère ils s’écrivent sur le sable et c’est le vent qui les soulève jusqu’à nous. — Prince tu ne comprends pas mais tu as vu ma tête dans le poulet je suis professionnel dans le vent et les mots je trouverai ceux qui parlent aux éléphants.“ Si tôt que dit que fait. Nous sommes allés le géant les babars et moi sur le parking d’un centre commercial. Il me fallait place nette les trompes ont empilé les voitures dans un coin et cassé le goudron avec leurs grosses pesanteurs pour qu’on trouve ce qu’il y avait dessous. Du sable du temps jadis que la nature se mettait partout et qu’on écrivait par terre les jours qu’il ne ventait pas. “Voilà mon prince voilà les signes sur le sable toute la parlotte de ta mère qui dormait sous les goudrons. Tu as de la chance le vent ne s’est pas levé les mots sont là tu peux les cueillir. — Arsène merci l’Arsène je parlerai de toi aux éléphants. — Je suis bien heureux mon Prince bien heureux pour toi qui peut dire à de si grandes oreilles la langue de ta mère. — Arsène tu es un bon griot garde un éléphant le petit là c’est cadeau. — Prince c’est gentil l’est bien joli mais je ne peux pas vivre avec quelqu’un qui parle plus fort que ma bouche. Allez mon géant bon vent moi tout est dans le dico je fais des réponses mais je ne suis pas sûr qu’on me pose les questions.“ LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 7 Le Prince est parti les éléphants sont partis le vent hésitait. J’étais fatigué j’aurais voulu rentrer chez moi mais je n’ai pas d’appartement. J’ai tourné le dos à la ville et visé au plus loin que mes yeux s’y jetaient. Coupé par les prés ça fait des milles et des cents que je marche et passe passe d’une bosse à l’autre en traversant les creux mes chaussures pleines de bornes. © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (c’est bien moi qui parle ?) Où j’en suis dans ce charabia ? Un vagabond vrillé dans le colimaçon de sa bouche un porteur d’histoires déjà racontées ? Et quelquefois drôles mais souvent pas. Je sais qu’il y en a qui me ricane dans le dos c’est parce que je n’ai pas l’air conditionné juste une tête qui fait claquer le dico avec son pauvre diable. Ils disent que c’est des histoires mon Charli ne voient donc pas que c’est ça qui leur manque ?! Toi tu sais que jamais je ne mens. Je parle tous les sabirs d’une vérité son flou son bègue je fais du joli dans de sales tournures j’encanaille le style et me brûle dans les langues de bois. La vérité je la renifle sous les bras la déshabille là voilà bien petite et nue la fille ! Là voilà possible la vérité. Et eux autres ils ne me croient pas ! Ils disent que c’est des histoires. Mais pas les enfants. L’enfant il m’ouvre sa porte : “Ta maman est là -je lui demande— ta maman est-ce qu’elle est aussi jolie que sa photo ?“ Je lui montre la photo dans le cadre il ne la regarde pas. “Ta maman est là ?“ Mais pourquoi est-ce que je répète les mots deux fois. Il me répond : “Pourquoi est-ce que tu répètes les mots deux fois tu as des difficultés avec l’intelligence ?“ Moi je ne dis plus rien je veux bien fermer ma gueule quand j’ai affaire avec un petit qui connaît le métier. Je me demande pourquoi il n’est pas à l’école. “Elle a brûlé tu ne savais pas ? Tu devrais entrer il y a des tireurs sur les toits il faut fermer la porte.“ Je me suis mis à l’abri et j’ai pensé à Charli Bi qu’était dehors du mauvais côté. “Maman est à l’hôpital elle travaille c’est une magicienne elle fait disparaître les morceaux de plomb du corps des gens et toi qu’est-ce que tu fais comme métier ? — Je vends des livres avec tous les mots qui s’expliquent dedans si tu veux je te montre il y a des images aussi.“ On s’est installés j’ai sorti mes bouquins l’enfant a pris son temps. Au milieu du Z il s’est arrêté : “Je ne crois pas que maman soit intéressée regarde là cette page il y a le mot du zébu elle dit que la viande maintenant ça la dégoûte. Mais si tu es triste tu peux l’attendre vous bavarderez sans obligation d’achat elle sera contente de parler avec quelqu’un qui n’a pas besoin d’une magicienne.“ Charli tu entends ça qu’est-ce que je peux dire à cet enfant l’est comme une vérité du bon sens je préfère me taire fais gaffe aux tireurs sur les toits. Le petit me plante au bout de ses yeux : “Est-ce que les mots sont comme les médicaments est-ce qu’ils guérissent les gens ? Tu sais faire le chocolat ?“ Dans la cuisine il y avait de quoi le petit buvait je ne trouvais rien à répondre. “Il est bon ?“ Et lui sans attendre : “On s’en fout c’est pas ma réponse les mots je les ai bien regardés tous bien rangés crispés dans les pages comme des cibles faciles rien à voir avec dehors les vrais mots qui paniquent dans les rues !“ J’ai un nouveau coup de silence le gamin me fatigue je prends ma bouche à deux mains et j’explique : “Petit mon petit les mots sont comme les douze massues des jongleurs qui entrent sur la piste. Elles sont rangées crispées dans la valise l’air collé pour des infinis. Mais qu’arrivent les artistes et le chaland qui se tourne en bord de piste alors tu ne les vois plus les massues tellement qu’elles passent de la main à la main des jongleurs triple-sautent et cabriolent d’envers à l’endroit douze abeilles multipliées dans la virevolte sous les bravos du public. Les mots c’est tout comme. Il faut une piste. Une bouche. Des bouches. Et tu ne les vois plus les mots tellement qu’ils se la jonglent facile entre les hauts parleurs et puis l’écho ! C’est de la balle en veux-tu là voilà une vraie voltige d’acrobates sur nos pensées périlleuses. C’est sûr le petit que les mots sont comme des médicaments des filets pour les hommes qui tombent au chagrin. C’est même à ça qu’ils pourraient servir plus souvent. — Et les mots qui parlent aux lions les mots qui parlent aux girafes ils sont dans ton bouquin ?“ Charli tu entends ça il m’énerve le petit pourquoi est-ce qu’il pose des questions comme celles-là. “Tu n’as qu’à les imaginer il te suffit de mélanger les lettres à ta façon. Après tu te trouves un lion tu lui demandes de s’asseoir et tu lui parles avec les mots que tu viens d’inventer. S’il ne te bouffe pas c’est bon signe c’est que tu es sur la bonne voix. — Et pour la girafe ? — On s’en fout de la girafe ! Je n’ai pas envie de parler à une girafe moi ! C’est ta maman qui est sur la photo ? Elle est très jolie. — Et pour la girafe ? — Ecoute petit je crois que pour la girafe il faut que tu inventes d’autres mots que les mots du lion. Ensuite LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 8 tu trouves une échelle qui te grimpe tout près de ses oreilles. Là quand tu es en haut tu fais doucement tu l’appelles madame et tu lui dis vous. Tu peux aussi lui parler de ses yeux qui sont si jolis comme ceux de ta mère. Démerde-toi tu m’as l’air futé ça devrait marcher. Bon maintenant il faut que je m’en aille petit bonjour chez toi je cherche mon copain Charli. — Fais attention au tireur il habite sur les toits il va te tuer quand tu sortiras ! — Ok tu sais ce que je vais faire ? Je vais sortir avec toutes mes jambes à mon cou et je lui gueulerai deux ou trois mots du genre : nonobstant carabistouille ou nyctalope et lui quand il les prendra pleine face le temps qu’il comprenne alors je serai loin.“ Une minute plus tard j’étais loin j’ai entendu un coup de feu dans mon dos mais je n’ai rien senti je ne suis pas tombé je n’ai pas saigné c’est pourquoi j’ai continué ma route et c’est pourquoi je n’étais pas mort. J’ai marché tant que j’ai pu. Tant qu’il me restait de la semelle et de la rage tant que j’ai fini par me sortir des cartes et du paysage. C’était le désert je n’avançais plus je pelletais dans les redites Charli avait disparu. Charli mon Bi quoi me vaut ce gros silence : où sont volés tous les oiseaux de ta bouche ? Dans quel vide tu balades mes os tout le crochu de nos atomes ? Va tu peux toujours esquiver j’entendrai les cris que t’arracheront les rats ! Car ils te feront hurler Charli-Bi-le-taiseux quand ils mangeront ta bouche tu ne dois pas douter de cela. Quoi de pire que les rats hein vieux frère et quoi de plus infecté que le silence. Fais le brave en bouche cousue et serre les dents mais la suture ne tiendra pas. Il y aura toujours un rat plus teigne que les autres et ta bouche explosera ! © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (…) Tu sais ce n’est pas si grave les mauvais jours les portes vides les sonnettes aphones les gens qui se blindent pour l’inconnu ceux qui te claquent un vlan pleine face. Les mauvais jours d’accord mais il y a aussi les bons jours ! C’est quand il ne pleut pas quand le client t’achète n’importe quoi qui fait du bruit entre sa solitude. Et toi tu es un pro c’est un bon jour alors tu as de quoi fournir et faire un bon prix. C’est du bingo comme un soleil de plus comme un matin à n’importe quelle heure ! On le dit que c’est possible et que tout le monde un bon jour peut se tomber sur la grosse affaire. Une chance comme celle-là un bon jour à la bonne porte et tu trouves dans ta main minimum un million. Tu es là tu ne bouges plus tu palpes l’artiche c’est comme si le soleil s’accumulait au-dessus de toi. Un million putain un million qui commence à te flamber l’ordinaire. D’un seul coup tu lâches la rouille des rigueurs et tu entres dans les magasins avec un bruit de trompette tu fais fumer la carte aux crédits sous les enseignes chic tu prends tes désirs pour des pourboires et puis tu bouges sur douze cylindres et d’un cocotier l’autre toujours face au soleil. Ça fini que t’achètes la route enfin que t’achètes le temps de t’arrêter. Le temps d’avoir le temps. Tu fais venir les copains les femmes les histoires on déballe nos sacs de péripéties tu partages la lumière. Bien sûr mon Charli Bi que tu seras des nôtres dans cette Polynésie du verbe ! Ce sera comme un village de beaux parleurs tout nus avec pour seule peine qu’il faudra bien se lever quelquefois pour remettre des glaçons dans le pastis. Un million et je désapprends à compter j’oublie la monnaie je ne sais même plus combien j’ai de doigts. Je les laisse partir en piano sur la peau des femmes ou devenir des ombres qui amusent les enfants. Je suis allongé je me grossis dessus. Je m’ennuie j’ai les fourmis qui me remontent. Alors les femmes et les enfants la tribu des accessoires la jaguar et les lunettes noires toutes les affaires du paraître un million je m’en fous je décroche ! Je ne garde rien qu’on puisse me prendre ni me laisser. Je me dépossède. C’est égal ! Sauf le temps. Je prends perpétuité. Sauf les histoires. Je les ai du temps que je n’avais pas le sou. Je repars au désert. Je retrouve l’allure je me sers de mes pieds je m’en fous s’il pleut je n’ai même pas de parapluie ! Et pas tout seul Charli mais cheminant sous l’escorte des palabres voilà mes histoires qui me précèdent avec des gueules canines échappées du bon sens voilà que nous nous laissons tourner le monde ! Mes fauves m’ont appris à chasser dépecer les étoiles et je parle face au vent avec des scintillements dans la voix. Chaque nuit d’autres animaux nous retrouvent et joignent à nos parlures et le brame et le feulement le sifflet l’aboiement tous les caquets du possible ! LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 9 Peu à peu nous amassons de quoi nous faire un cri digne des commencements un cri dont l’écho même semblerait plus terrifiant que son origine. Nous sommes maintenant une nation remuée entre ciel et terre une ménagerie lâchée sur des silences qui explosent dans les paraboles. Toutes pattes et gueules affamées : une polyphonie tartare ! Vigies en plumes les oiseaux ont ajouté l’aigu à la meute gobant la pétarade des moustiques tandis que sur le sable se motorisaient les sociétés insectueuses et les reptiles qui sonorisent le paysage. Même les poissons n’ont pas manqué l’appel creusant des sillons d’eau douce et de mer ils ont tapé de la queue et tenté des ploufs hystériques pour nous dire qu’ils étaient là ! Tout le bestiaire convergeait au lieu du grand bruit les culs-de-jatte et les mille pattes et d’Orient ou d’Occident tous arrivaient la gueule lancée au désert où se devait pousser le cri des cris la parole qui passerait le chaos. Et les éléphants sont arrivés gerbant l’air et l’eau troupeautant le vacarme en se frottant au ciel et lâchant des gifles énormes aux imbéciles qui se prenaient pour Attila. Et les hommes sont venus à pied en bicyclettes en autocars ils sont entrés comme on entre au stade avec des cris de soldats et des hurlements de canettes les hommes sont venus contribuer au grand tumulte ! Nous y étions tous ne manquait plus que toi Charli Bi !!! Mais qu’est-ce que tu fous tu ne crois plus à mes histoires tu penses que ça vaut moins que du vent ! Et pourtant si tu m’avais vu ! Sur le sable si tu m’avais vu au milieu de ce Babylone des bouches le corps en cris la tête dans les mots perçant la multitude de mes sagaies phonétiques ! Si tu m’avais vu scalpant la prose dans le tournis des bolas ! Si tu savais combien de voyelles j’ai inventées et comme elles sont parties se frotter aux étoiles. (qu’est-ce que je peux dire de plus ?) Bien sûr que tout n’a pas été glorieux. Bien sûr qu’on n’y peut rien que c’est inutile. Quelles que soient nos clameurs c’est le silence qui a gagné. Mais tu ne me crois plus Charli tu dis ça parce que tous les animaux sont repartis et les hommes tous repartis dans les tanières mais pas moi je suis resté la bouche en croix je n’avais plus de salive. Même les étoiles ont filé le jour s’est levé qu’est-ce que je pouvais faire de plus ? J’ai regardé le cri par terre le vent a calé. Les mouches sont revenues enfin le bruit des mouches une sorte de silence. C’était donc ça ce n’était que moi donc. Une perpétuité dans les blablabla une vie fabriquée d’histoires de bric et d’histoires de broc et qui patine sur les charognes des mots et les fumigènes. Charli tu crois que ma bouche parlerait sans moi ? © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. (…) Allez une dernière fois je veux bien t’épater : je vais faire une minute de silence. (…) Et pas pour rire ni tenter le diable non une minute pour te permettre de rentrer à la maison et avant toi la lumière tu verras comme il sera jour dans la demeure. Juste respirer modeste se lâcher dans l’abîme et s’y trouver une apnée de baleine. Compter soixante et plonger à l’envers. Descendre et passer cinquante. S’en remettre à l’horloge. Se mixer dans les chronos. Quarante et puis trente. Lâcher des bulles encore s’ouvrir vider son sac et n’y rien remettre. Vingt secondes et voir de l’intérieur son asphyxie venir en couleur et glouglou paniquer un peu chercher l’issue mais ne trouver qu’une porte sans sonnette. Ne rien dire sinon rien. Nul mot. Une perpétuité de dix secondes. Salive dissoute avaler un dernier soupir comme si l’ampli venait de claquer comme si on t’avait tiré une balle dans la voix. Cinq. LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 10 Partir à l’envers, sentir qu’on saigne sous les habits. Sentir que ça fait mal que c’est pas drôle que le jeu va finir mais sentir qu’on tombe au fond que c’est plus bas que terre. Quatre. Un coup de feu. J’ai du sable plein la gueule. Qu’est-ce qu’il fait là l’enfant me regarde je tombe quelque chose qui me frappe dans le dos mon dico putain mon dico ! Maman je me suis fait mal. C’est bien fait qu’elle me répond. L’enfant un coup de feu. Tout le silence qui me dégringole. Nonobstant carabistouille nyctalope nyctalope !!! Non ce n’est pas ça que je devrais dire le type sur le toit il a compris il épaule carabistouille carabistouille ! Trois. Il tire dans mon dos. Putain mon dico un trou d’A jusque Z tous les mots en profitent ils s’écoulent sous mes habits sales fourmis sales ils sont rouges avec de petites bulles c’est pas vrai je perds les mots petit petit comment ça va toi et le lion et la girafe ta mère ta mère appelle ta mère je veux la magie dans ses bras tous les mots petit regarde ils coulent tu vois bien qu’ils sont vivants regarde le zébu qui se barre ils me sortent tous d’A jusque Z ! Deux. Charli mon Bi tu veux bien me dire quelque chose tu vois bien comme j’ai la bouche sableuse et toute l’histoire en vadrouille tu le vois bien toi toute la place que je t’ai faite. Nonobstant carabistouille nyctalope non c’est pas croyable un sniper qui connaît ces mots-là. Un ancien client peut-être. Hé mon Charli c’est l’Arsène qui te parle plus qui peut plus qu’est tout vide comme un gros sac de vent percé dans son dos Charli les mots tu as vu je ne savais pas qu’ils étaient rouges. Un. T’en fais pas mon Charli ne pleure pas le petit je fais juste un tour dans l’autre monde et je reviens avec un dico marqué tout manuscrit à la plume des anges et des mots qui sentiront bien bon le diable. C’est pas grave c’est rien qu’un petit coup de pompe Maman le petit ta mère Charli mon Prince mes clients les copains mon amour Ecoutez-moi j’en ai pas pour longtemps Ecoutez-moi j’en ai pas pour longtemps Ecoutez-moi j’en ai pas pour longtemps Ecoutez-moi j’en ai pas pour longtemps (…) © François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable. FIN LE MIROIR AUX ÉLÉPHANTS 11