LIT84AL - Département d`études littéraires

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LIT84AL - Département d`études littéraires
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
DÉPARTEMENT D’ÉTUDES LITTÉRAIRES
SIGLES : LIT84AL & LIT905Q
SESSION : Automne 2016
TITRE : Les écritures obsessionnelles
PROFESSEUR : Alexis Lussier
SÉMINAIRE
PROBLÉMATIQUE
Lorsque Freud, dans le cas célèbre de l’Homme aux rats, a voulu rendre compte de la pensée
obsessionnelle, dans sa complexité et sa logique spécifique, il a eu recours aux œuvres de Gœthe,
Shakespeare, Ibsen. Son patient, Ernst Lanzer, n’était d’ailleurs pas indifférent à la littérature (le
roman d’Hermann Sudermann, Le souhait, avait fait sur lui, paraît-il, une grande impression) et Freud
s’est senti libre au cours de son traitement de lui donner à lire un roman de Zola ; précisément La joie
de vivre (cf. S. Freud, L’Homme aux rats. Remarques sur un cas de névrose de contrainte). L’histoire ne dit pas
quels bénéfices Ernst Lanzer, alias « l’Homme aux rats », put tirer des conseils de lecture de son
médecin. Cependant, la place qui est donnée à la littérature dans le cas de l’Homme aux rats n’est pas
tout à fait habituelle. Bien sûr, dans toute son œuvre, Freud ne cesse de s’en remettre aux grands
écrivains — Gœthe, Shakespeare et Ibsen sont souvent cités par Freud — et c’est un fait reconnu
depuis longtemps que la littérature n’a pas seulement une fonction « illustrative » pour l’invention de
la psychanalyse. Cependant, l’Homme aux rats demeure un cas où la littérature est sollicitée avec
beaucoup d’insistance. On y retrouve en filigrane Le jardin des supplices d'Octave Mirbeau ; Jules
César et Hamlet de Shakespeare ; Le Comte de Monte-Cristo de Dumas ; Faust et Poésie et vérité de Gœthe ;
Le souhait d’Hermann Sudermann ; Le petit Eyolf d'Enrik Ibsen ; La joie de vivre d'Émile Zola. Dix ans
plus tard, en 1919, lorsque Freud publie son texte célèbre sur l’inquiétante étrangeté, les superstitions
obsessionnelles de l’Homme aux rats sont mises côte-à-côte avec les textes de Schiller et Hoffmann
(cf. S. Freud, L’inquiétante étrangeté).
Dans l’histoire de la psychanalyse, la rencontre entre littérature et pensée obsessionnelle semble d’ailleurs se
confirmer au moment où Lacan inaugurait les premières années de son séminaire, entre 1951 et 1953,
lorsqu’il proposait de relire le cas d’Ernst Lanzer à la lumière des mémoires de Gœthe, Poésie et vérité,
faisant écho à deux autres textes de Freud : « Un souvenir d’enfance de Poésie et vérité » et « Le roman
familial des névrosés » (cf. J. Lacan, Le mythe individuel du névrosé ou Poésie et vérité dans la névrose). Plus
tard, en 1961, au moment de conclure tout un séminaire dédié à la question de l’identification (cf. Le
Séminaire, livre IX, L’identification, inédit), Lacan lisait devant son auditoire un chapitre quasi entier du
roman de Blanchot, Thomas l’obscur, en prenant pour arrière-plan clinique… l’Homme aux rats.
Faudrait-il donc lire Thomas l’obscur avec l’Homme aux rats? C’est du moins ce qu’il faudrait décider,
si l’on est conséquent, et pour peu que l’on prenne au sérieux une proposition qui, de la part de
Lacan, risque de nous mener beaucoup plus loin qu’une simple intuition de lecture. Donc Blanchot
avec l’Homme aux rats? Et pourquoi pas Blanchot… en obsessionnel? La question mérite d’être
posée — d’abord parce qu’elle ne l’a jamais été — comme si personne n’avait décidé de prendre au
sérieux, jusqu’à maintenant, ce que cela peut bien impliquer que de lire Blanchot en prenant pour
arrière-plan un texte clinique qui n’est rien de moins que le texte paradigmatique pour l’intelligence de
la névrose obsessionnelle. Mais la question ne devrait-elle pas être posée devant chacun des textes qui
sont apparus dans cette histoire? Après tout, lire Hamlet comme un drame obsessionnel — comme le
suggère Lacan (cf. J. Lacan, Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation) — cela ne se fait pas sans
impliquer un certain angle de lecture, un cadre d’analyse, pour ressaisir la logique d’une œuvre
fondatrice de la modernité. Or, le fait que ces textes aient été désignés parmi les œuvres de
Shakespeare, Gœthe, Hoffmann, ou encore Blanchot, nous invite à penser que la névrose
obsessionnelle n’est pas seulement une réalité clinique. Son invention théorique, par Freud, semble
plutôt suivre un itinéraire de lecture qui remonte le cours de la modernité ; et en particulier la
modernité littéraire.
Et si la théorie de la névrose obsessionnelle devait s’inscrire parmi les grandes lectures de la
modernité? Et si la modernité était… obsessionnelle? C’est pour tenter de répondre à cette question que
ce séminaire propose de reconstruire l’arrière-plan littéraire qui sous-tend — de Freud à Lacan —
l’invention théorique de la névrose obsessionnelle. En cela, il s’agit d’être attentif au contexte théorique
qui entoure en psychanalyse la lecture des écrivains ; de façon à nous rendre intelligible la position
subjective de l’obsessionnel et son articulation à une œuvre littéraire. En retour, il s’agit de nous
interroger sur le cadre de lecture qui est impliqué au moment où la psychanalyse nous invite à lire
Hamlet (Shakespeare), Poésie et vérité (Gœthe) ou Les élixirs du diable (Hoffmann) comme l’expression
d’un drame obsessionnel.
Nous verrons que la pensée obsessionnelle n’est pas seulement une anomalie ou une extravagance de
la pensée : elle a quelque chose à voir avec la pensée elle-même. Non seulement parce qu’elle rend
compte de la division du sujet dans ses rapports avec sa propre conscience, mais aussi parce qu’elle
met en valeur, comme disait Lacan, « l’effet du discours à l’intérieur du sujet ». L’obsessionnel est un
penseur ; mais c’est un penseur qui ne se dégage pas de l’angoisse et de la rumination mentale. Il est la
pensée, la cogitation incessante, l’agitation de la conscience. C’est pourquoi il importe de mettre en
valeur l’imaginaire de la pensée obsessionnelle à la lumière des textes littéraires qui accompagnent
l’histoire de la psychanalyse dans son effort théorique pour cerner la logique de la pensée
obsessionnelle, et le caractère spécifique de la détresse que l’obsessionnel met en scène. Enfin, il
s’agit de ressaisir ce que cela implique quant à l’organisation symbolique du drame obsessionnel et
constitue le mobile de son écriture : l’enchevêtrement des pensées superstitieuses et du raisonnement
logique ; la projection d’un imaginaire de la répétition et l’obsession du double ; la division de la
conscience et de l’agir ; le martèlement des remords et des scrupules ; la hantise du crime inconscient
et de la culpabilité ; l’angoisse du sujet et la mort en sursis ; etc.
CALENDRIER & LECTURES OBLIGATOIRES (à venir)
N.B. En plus des textes de Sigmund Freud, Jacques Lacan et Pierre-Henri Castel, qui figurent au
programme, des textes littéraires seront sélectionnés parmi les œuvres de William Shakespeare, J.W.
von Gœthe, E.T.A. Hoffmann, Émile Zola, J.-K. Huysmans, Henry James, Georges Bataille, Maurice
Blanchot, Franz Kafka, Henri Thomas, Jacques Chessex, Thomas Bernhard, etc. Cette liste n’est
donnée pour l’instant qu’à titre indicatif.