Modèle de Mémoire de Recherche

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Modèle de Mémoire de Recherche
Je tiens à dire ma reconnaissance à Manuela de Barros, à qui je dois
d’avoir mené à bien ce travail.
Je remercie également Daniel Danétis, François Jeune,
Chantal Jègues-Wolkiewiez, Marion Laval-Jeantet, ainsi que
les vivants et les morts qui ont investi ces écrits.
« Je pars chasser,
je suis un chasseur.
Je rapporterai les produits [de ma chasse],
j’ignore seulement quand. »
Björk, Hunter 1
1
GUÐMUNDSDÓTTIR Björk, Hunter, album Homogenic, PolyGram, 1997.
1
Illustration 1, Malade I, montage numérique d’un dessin automatique sur photographie, mars 2009.
2
Illustration 2, Docteur Sphinx, vecteur de l’humanose, février 2009.
3
SOMMAIRE
PRELUDE ENTOMOLOGIQUE
PARTIE I
L’animal vecteur d’enchantement : les insectes modèles de constructions symboliques
CHAPITRE I
Assemblages et métamorphoses : ambivalences contemporaines
CHAPITRE II
Naïvetés ornementales et complexité symbolique
CHAPITRE III
Précieux hybrides mortifères et perceptions de l’Ævum
PARTIE II
L’animal catalyseur de métamorphoses : de dualismes en triades
CHAPITRE IV
Le Triptyque Perlé : construction humaine par l’animal hermaphrodite
CHAPITRE V
Le Vieux Piraï emplumé : construction sociale par l’animalité des traditions animistes
CHAPITRE VI
Le Poids du Monstre-plume : construction du corps par le mental et l’environnement
PARTIE III
L’animal porteur de savoirs : protocole d’ensauvagement par les étoiles
CHAPITRE VII
L’art des étoiles de l’ère de la chasse à celle de l’élevage
CHAPITRE VIII
Saint Oleg, patron des domestiques, Saint Joseph, patron des sauvages : histoires de résurrections bestiales
CHAPITRE IX
Rêves, magies et chasse à l’homme : De la Constellation du Renard à la Métamorphose de Monsieur Dame Daim
DENOUEMENTS STELLAIRES
TABLE DES MATIERES
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES ILLUSTRATIONS, INDEX DES NOMS ET DES NOTIONS
4
PRELUDE ENTOMOLOGIQUE
5
Qu’elles s’apparentent à de l’amour, de la haine ou à de l’indifférence,
les relations que les hommes entretiennent avec les animaux sont le lieu
de bien des enjeux. Le travail effectué dans le cadre de mon projet de
détermination2, majoritairement théorique, m’a permis une première
appréhension de cette multitude à travers la confrontation de deux
modèles antagonistes.
Le premier d’entre eux concernait les rapports que les sociétés
traditionnelles, autrement dites premières, entretiennent avec les bêtes.
Ces rapports sont des liens de natures diverses et multiples : l’animal est
côtoyé par la chasse ; de plus, il occupe très souvent une place importante
- voire primordiale - dans les contes et les légendes orales autant que dans
les productions artistiques, qu’elles soient liées à des objets usuels ou à
des pratiques rituelles. En outre, pour ces populations, l’animal est un
médiateur pluriel : il lie les personnes entre elles - aux niveaux individuel
et social - mais aussi les humains et leur environnement, la communauté
et le sacré. Chez les peuples premiers, les hommes, les bêtes et les dieux
forment une communauté aux statuts entremêlés.
Comparativement à ce premier schéma et à la lumière des réflexions
d’Elisabeth de Fontenay 3, la société occidentale se caractérise par un
« non-rapport » aux bêtes, une négation de l’animal. Cette tradition,
portée par la philosophie humaniste, s’est développée à partir de
l’Antiquité grecque et atteint son paroxysme dans la société moderne,
malheureusement toujours contemporaine : les animaux sont exclus de la
terre des hommes, de leur champ de vision, de leur art, sans doute afin
qu’ils puissent être mieux parqués, massacrés, exploités. Or, l’animal
n’est pas le seul être à souffrir de ce dénigrement, car si sa place de
médiateur est aujourd’hui vacante en Occident, rien n’existe plus pour le
relayer dans ses fonctions : en se coupant du monde des bêtes, les
hommes modernes se sont arrachés à la nature, et leur territoire peut être
résumé à l’espace étriqué de leur individualité : l’alliance qu’ils ont pu
former il y a fort longtemps avec les bêtes et le sacré a été rompue.
L’objectif de mon travail est de participer à pallier cette rupture.
2
SALAUD Julien, A la recherche du « rameau d’or », projet de détermination de Master 1 (PdD) dirigé par
Manuela de Barros, septembre 2008
3
Une part importante de mes recherches de Master 1 a concerné le livre de DE FONTENAY Elisabeth, Le
silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité (SdB). Paris, Fayard, 1998.
6
Le travail effectué durant cette année de Master 2 s’inscrit dans la
continuité de celle de Master 1, au point que L’art de la métamorphose
chez l’animal humain : de l’insecte aux étoiles puisse être lu dans la
continuité de A la recherche du « rameau d’or » 4. Si ce projet m’a permis
de progresser sur le plan théorique, son inconvénient majeur est de
n’avoir comporté que peu d’analyses concernant mes productions
plastiques. Aussi ai-je pensé nécessaire de remédier à ce défaut en
ouvrant le présent mémoire sur l’analyse des Insectes étranges.
Cet ensemble a débuté au printemps 2008 avec le Sphinx diamant, un
papillon nocturne portant les ailes d’un oiseau de volière. Outre l’intérêt
que je porte de longue date à l’entomologie, la réalisation de cette série
fût motivée par plusieurs des caractéristiques propres aux insectes :
-
Les insectes ont un exosquelette, ce qui signifie que la structure
soutenant leurs corps donne vers l’extérieur : cette carapace protège et
contient les organes. Une conséquence de cette donnée anatomique est
que les espèces de cette classe animale partagent, avec les mollusques par
exemple, la singularité de prolonger dans la mort l’aspect du vivant. Au
contraire des vertébrés, la naturalisation des insectes consiste simplement
à faire sécher leurs dépouilles ; de plus, de par la rigidité de leurs
exosquelettes, ils ne se déforment pas sous l’effet des processus de
décomposition.
-
Le cycle de vie des papillons et des coléoptères est d’autre part
caractérisé par une phase très mystérieuse : lors de la nymphose, une
larve, immature sexuellement et très souvent vorace, se transforme en
adulte ailé. A la différence des mammifères et des oiseaux, mais comme
les amphibiens, les insectes vivent donc physiologiquement le principe de
métamorphose. Comme nous pourrons le constater, cette image est un
symbole fort pour des artistes comme Jan Fabre, ou des peuples comme
les wayanas de Guyane.
-
Même en Europe où l’état de la faune est pitoyable, les insectes
partagent enfin avec les fleurs et quelques oiseaux les plus belles couleurs
de la nature. La cétoine dorée (cetonia aurata) est iridescente, le paon de
jour (Inachis io) se pare d’ocelles bleus : les insectes sont ornements.
4
Ce travail s’inscrit lui-même dans la continuité du projet tuteuré de Licence : SALAUD Julien, Construction
de l’image, construction de l’individu, petite histoire d’une pratique artistique, projet tuteuré de Licence (PT),
juin 2007.
7
Les Insectes étranges sont nés de ces diverses qualités : leur structure
anatomique est propice à l’assemblage, leurs couleurs à l’ornementation,
mais, surtout, ma problématique générale concerne la métamorphose telle
qu’elle se produit chez l’humain. Aussi, les transformations plastiques du
Titan ondulé, des Précieux Megasomas et des membres des Boîtes m’ont
amené à expérimenter les deux procédés de diverses manières.
Au cours de cette dernière année universitaire, ces techniques ont eu
tendance à se croiser suivant des modes d’interactions de plus en plus
complexes. En outre, leur pratique simultanée s’est étendue à des
moulages d’humains, comme le Triptyque perlé, ainsi qu’à des
taxidermies ou des squelettes de reptiles, d’oiseaux et de mammifères,
tels que le Serpent à Plumes bicéphale et le Poids du Monstre-plume. En
octobre 2008, enfin, j’ai orné de clous et de perles le premier Animal
Stellaire, la Constellation de la Fouine, afin d’interroger les relations
qu’entretenaient nos ancêtres préhistoriques avec les animaux et les
étoiles.
Les sept pièces de cette série peuvent paraître quelque peu hors-champs
par rapport à l’ensemble de mes constructions animales, dans le sens où
l’assemblage semble en avoir disparu. De plus, elles marquent le fait que,
durant un période dont je ne saurais préciser la durée, mon travail
artistique s’est momentanément réduit à l’illustration des théories sur
lesquelles je réfléchissais simultanément. Il ne faut cependant pas sousestimer le pouvoir de la théorie en matière d’art ! Les voies de recherches
ouvertes par les Animaux Stellaires ont abouti à la Métamorphose de
Monsieur Dame Daim : une série photographique présentant - sous la
forme d’un conte imagé - l’hybridation de l’humain-même, de l’animal et
des étoiles, par le biais de son ornementation Stellaire, composée de
clous et de fils perlés.
Je n’aurais sans doute pu parvenir à ce dernier ensemble si Jan Fabre,
Marion Laval-Jeantet, Yuka Uematsu, Beatriz Perrone-Moisès, Nicolas
Césard - pour ne citer qu’eux - ne m’avaient guidé aux portes du domaine
chamanique. Tous m’ont permis d’entrevoir, dans les pratiques magiques
des peuples à chamanes, un processus de déterritorialisation capable de
transformer l’homme en ce que l’imago est à la larve d’insecte
nécrophage.
8
9
PARTIE I
L’animal vecteur d’enchantement :
les insectes modèles de constructions
symboliques
10
En haut : illustration 3, Sans Air, accrochage au Musée Sacaca, février 2008. En bas : illustration 4, deux vues
du Crâne, janvier 2008.
11
Illustration 5, Hallali IV, détail, février 2007.
12
Double page : illustration 6, Madame Paillée (trois détails des deux faces), janvier 2008.
13
14
Les premiers de mes travaux animaux ont été créés dans le courant du
mois de janvier 2008. Le Crâne (illustration 4) et Madame Paillée
(illustration 6) sont deux assemblages placés sous le signe de la
biodiversité. Le premier est composé de bois, de papier ainsi que
d’ossements de poissons, d’oiseaux, de mammifères, et enfin
d’exosquelettes d’organismes marins. Madame Paillée inclue une demicalebasse, une racine de palétuvier, des graines de panacoco, les plumes
et quelques ossements d’un papegeai maillé (Deroptyus accipitrinus), les
fragments d’une mue de varan, d’un corail, et enfin les deux otolithes
d’un poisson de mer. Ces trois éléments marins, sélectionnés pour
représenter le système respiratoire de l’oiseau, me semblent être une
forme d’ornementation autant que d’assemblage.
L’une et l’autre de ces pièces ont été inspirées des objets précieux qui
entraient jadis dans la composition des cabinets de curiosités, mais leur
réalisation coïncide aussi avec la lecture d’un livre de Steve Baker : The
Posmodern Animal 5. Dans cet ouvrage, le philosophe anglais s’est
intéressé à l’émergence de la figure animale à travers la postmodernité :
globalement évincées des arts modernes au profit du formalisme et de
l’abstraction, les bêtes réapparurent dans le courant des années 1970,
notamment par l’intermédiaire de Joseph Beuys et de sa performance de
1974, I like America, America likes me 6. Les résurgences d’une certaine
forme d’animalité se sont alors multipliées, touchant de nombreux
domaines : l’éthologie de Thelma Rowell et Shirley Strum 7 mais aussi,
d’une autre manière, la philosophie de Jacques Derrida, Gilles Deleuze et
Félix Guattari ou encore - avec moins d’exubérance - l’ethnologie d’un
penseur aussi illustre que Claude Lévi-Strauss 8.
Steve Baker s’est appuyé sur plusieurs de ces auteurs-clefs de la fin du
XXe siècle pour élaborer ses théories concernant l’animal postmoderne.
A partir de ses réflexions, il s’est attaché à mettre au point la définition
d’un concept caractérisant une forme d’expression plastique elle aussi
émergente : la botched taxidermy - la « taxidermie bâclée » - est une
image composite fonctionnant sur le principe de l’assemblage, dont
5
BAKER Steve, The Postmodern Animal (PmA). Londres, Reaktion books, Essays in art and culture, 2000.
Supra chapitre VIII.
Ces primatologues ont révélé la structure sociale complexe des babouins, qui jusqu’alors ne servaient qu’à
élaborer des hypothèses simplistes sur nos ancêtres simiens, in BACOT Yolande, DESPRET Vinciane,
MARIETTE Catherine et al. Bêtes et Hommes (B&H). Paris, Gallimard, 2007, p. 27 à 29.
8
Pour la chronologie de cette résurgence animale, voir PdD, deuxième partie, p. 33 à 66.
6
7
15
l’effet est de rendre la présence animale « abrasive » 9. Les Misfits, que
Thomas Grünfeld réalise depuis quelques années, comptent parmi les
exemples choisis par le philosophe pour illustrer ce type d’œuvres.
A partir du mois de mars 2008, j’ai commencé à travailler sur différents
insectes naturalisés, pratiquant l’assemblage à la façon de l’artiste
allemand sur certaines pièces, prolongeant sur d’autres le côté ornemental
de Madame Paillée. Depuis ces débuts, les deux techniques n’ont cessé
d’interagir à l’intérieur de ma démarche, de s’entremêler l’une à l’autre, à
travers des schémas variés et une complexité grandissante. Cette
première partie reprendra la chronologie de ces interactions afin de
dégager ce que l’assemblage et l’ornementation ont mis en jeu dans mes
figures animales.
D’abord, chaque procédé sera analysé pour ses qualités plastiques
intrinsèques, mais aussi dans ce qu’il peut avoir de problématique : les
hybrides taxidermiques s’avèrent ambigus dans la façon dont ils génèrent
des images de métamorphoses ; l’ornement poussé à l’extrême tombe du
côté du « décoratif », un style largement déprécié pendant la Modernité.
L’assemblage et l’ornementation seront ensuite étudiés dans leur
complémentarité. Nous verrons alors de quelle manière la pratique
simultanée de ces deux modes de constructions symboliques s’est
transformée, sous l’influence notable de Jan Fabre, en outil propice au
rassemblement de plusieurs dualismes : l’art et la science, le réel et
l’imaginaire, la vie et l’Ævum. Parallèlement à ces préoccupations
d’ordres plastiques, les pièces abordées au cours des trois chapitres à
venir me fourniront en outre l’occasion de souligner leurs incidences sur
mes réflexions théoriques : la confrontation de leurs multiples sources
d’inspirations a permis de modérer certaines de mes dualités, dont celle
qui oppose le schéma chrétien à celui des peuples premiers. Tout comme
le Crâne et Madame Paillée, les Insectes étranges interrogent presque
exclusivement les traditions sud-américaines. Or, sous l’influence des
collections du Musée de Cluny, des écrits de Michel Pastoureau et des
œuvres de Jan Fabre, ces problématiques se sont transposées du monde
amazonien au Moyen Âge occidental, révélant leurs similitudes plutôt
que leurs divergences.
9
« Abrasive » dans le sens où elle s’impose au début des années 90, dans le paysage de l’art contemporain, par
son coté bâclé, sale ou mal fait. Supra p. 25.
16
En haut : illustration 7, Boîte à hybrides, janvier 2009. En bas : illustration 8, Canard l’ermite, septembre
2008.
17
CHAPITRE I
Assemblages et métamorphoses :
ambivalences contemporaines
18
La Biche sphinx (illustration 9) a été assemblée au mois de mars 2008.
Son corps est celui d’un Lucanidae d’espèce indéterminée10, attrapé en
1998 dans un petit village du centre de la Guyane, Saül. Ses ailes ont été
découpées sur un sphinx chassé en 1989 aux alentours de Montjoly dans
le même département.
Illustration 9, Biche sphinx, mars 2008.
J’ai utilisé le corps du papillon nocturne pour un autre assemblage, le
Sphinx diamant (illustration 10). Les ailes de cette pièce proviennent d’un
oiseau de volière : avec les quelques plumes du thorax, je les ai prélevées
sur une femelle de diamant mandarin (Taeniopygia guttata) récupérée
morte dans une animalerie afin de composer l’hybride.
Illustration 10, Sphinx diamant, mars 2008.
Ces deux travaux ont rapidement été suivis de plusieurs autres,
mélangeant des insectes à d’autres animaux d’embranchements, d’ordres
ou de familles différentes.
10
L’insecte noir de cet assemblage est un des nombreux équivalents Amazoniens du Lucanidae européen :
Lucanus cervus. En France métropolitaine, le mâle de cette espèce est appelé « cerf-volant » à cause de la
taille et de la forme de ses mandibules. Sa femelle est donc une « biche ».
19
Illustration 11, Titan ondulé, étape de réalisation, avril 2008.
Le Titan ondulé (Illustrations 11 et 16) est un mâle de Titanus giganteus,
capturé en 1998 sur la piste Coralie. Il porte les ailes et les plumes d’un
mâle de perruche ondulée (Melopsittacus undulatus) provenant d’une
animalerie.
Pour l’Uranicorne (Illustration 12), j’ai collé au corps d’un autre
longicorne les restes d’une uranie (Urania leilus), frappée comme c’est
souvent le cas par un pare-brise sur la route du Littoral Guyanais, en
décembre dernier.
Illustration 12, Uranicorne, décembre 2008.
20
Ces quatre pièces reflètent les différents critères selon lesquels mes choix
d’assemblages se sont effectués, de manière générale. Trois niveaux de
correspondances me semblent participer à l’unification plastique des
fragments d’animaux croisés, donnant aux entités qu’ils forment une
certaine cohésion visuelle :
-
Le premier niveau est d’ordre fonctionnel, anatomique : des ailes
de papillons ou d’oiseaux ont été substituées à celles originellement
portées par les différents insectes modifiés. Si ces remaniements alaires
sont en général bien remarqués par ceux qui regardent le Sphinx diamant,
ils peuvent passer inaperçus lorsqu’ils ne mélangent que des insectes,
notamment aux yeux des personnes qui ne connaissent pas cette classe
animale. Le Sphingicorne I (illustration 13), constitué du corps d’un
longicorne, de ses élytres ainsi que des ailes supérieures d’un sphinx, est
parfois pris pour une forme entomologique naturelle. Je précise donc que
les coléoptères possèdent deux élytres dont la fonction n’est pas motrice :
en dehors des déplacements en vol, elles servent à protéger deux ailes
translucides et articulées. Les papillons portent quatre ailes, non
articulées et la plupart du temps couvertes d’écailles colorées.
Illustration 13, Sphingicorne I, décembre 2008.
-
Il y a aussi équivalence, dans ces actes de substitution, au niveau
des échelles : pour le Sphinx diamant les ailes du passereau étaient
approximativement de la même longueur que celles portées par le
lépidoptère avant sa transformation plastique. Le Titan ondulé est une
version homothétique du Sphinx diamant, mélangeant des animaux de
tailles plus importantes dans les mêmes rapports proportionnels.
-
La dernière des correspondances entre les éléments assemblés
porte sur le plan chromatique : il y a, dans ces différents travaux, sinon
une véritable homogénéité des tons comme dans le Sphinx diamant, au
moins la volonté d’harmoniser les couleurs dans leurs densités, leurs
saturations, leur brillance, etc.
21
Ces trois axes définissent le protocole selon lequel les ailes des cinq
insectes ont été métamorphosées. Ce sont en quelque sorte les « liants »
de la technique d’assemblage mise en œuvre dans plusieurs autres
travaux. A part le Titan ondulé, les pièces que nous venons d’aborder
font partie des neuf hybrides récemment rassemblés dans la Boîte à
hybrides (illustration 7) : une vitrine entomologique comme celles que
l’on peut voir dans les Muséums d’Histoire Naturelle. Le Canard
l’Ermite (illustration 8) est enfin l’exception de cet ensemble
monstrueux, puisqu’il ne présente aucun élément insecte : pour ce cas, la
coquille d’un nautile (Nautilus macromphalus) a été agrémentée de la
tête et des pattes d’une femelle de colvert (Anas platyrhynchos)11.
Comme expliqué en introduction, ces quelques pièces correspondent aux
premiers pas de la recherche plastique engagée autour de la notion de
botched taxidermy, développée par Steve Baker dans The Postmodern
Animal. Je ne peux d’ailleurs nier le fait que le processus créatif de mes
assemblages ait été directement emprunté à Thomas Grünfeld 12.
L’illustration 14 présente celle des Misfits qui a incontestablement
motivé le travail de Canard l’Ermite : un corps de lapin domestique
assemblé à la tête et aux palmes d’un cygne tuberculé13.
Illustration 14, GRÜNFELD Thomas, Misfits, 1992.
11
Cette cane est l’un des premiers vertébrés naturalisés par mes soins.
PdD p. 95.
13
Nous pouvons constater que pour cette Misfit, l’artiste a pris en compte l’anatomie, les proportions et les
couleurs des fragments animaux assemblés.
12
22
Dans son livre The Postmodern Animal, Steve Baker cite les œuvres de
l’artiste allemand comme exemples de botched taxidermies hybrides 14.
Il dresse d’autre part un parallèle entre la « taxidermie bâclée » et l’un
des concepts développés par Jacques Derrida dans L’animal que donc je
suis : l’animot. Steve Baker souligne alors le fait que le philosophe
français compare ce « corps verbal hétérogène » à la chimère, et qu’il
considère sa « queue de serpent » comme le « génie malin ou astucieux
de l’animal » 15. Puis il poursuit sur cette image : « Il est tentant de lire
ceci comme une tentative délibérée de la part de Derrida de rapprocher le
rôle de cet animal […] et l’identité préférée - fracturée, […] inexperte des artistes et des philosophes contemporains.
[…] La botched taxidermy comme les animots occupent de manière
grotesque un espace au sein duquel il ne sera pas aisé de distinguer l’art
de l’animal. « Ni espèce, ni genre, ni individu » […] chacun [de ces
concepts] est ouvert à la fois à une infinité d’interprétations et,
incontestablement, au refus d’interprétation. Peut-être [la botched
taxidermy et l’animot] sont-ils des créatures avec lesquelles penser plutôt
que des choses à penser. En étant si difficiles à fixer, elles échappent aux
catégories et aux classifications de la pensée experte. » 16
Le rapprochement de ces deux raisonnements nous pousse à conclure que
les Misfits de Thomas Grünfeld sont à l’art ce que l’animot est à la
philosophie de Jacques Derrida : ses chimères sont une tentative de
« traverser la barrière entre les espèces » 17 établie par la « pensée
experte » qui caractérise nos sciences classificatoires.
En 2003, le philosophe anglais a prolongé et approfondi cette association
par le biais de Say it isn’t so !, une œuvre controversée de John Isaacs, et
de Lightness, un essai d’Italo Calvino : Say it isn’t so ! « tente
d’assembler différentes sources d’informations - art, science […] - de
rendre possible leur cohabitation, leur coexistence, le fait qu’elles
14
PmA p. 57, dans le chapitre sur la Botched Taxidermy p. 54 à 74.
La chimère est une créature mythologique traditionnellement composée d’une tête de lion, d’un corps de
caprin et d’une queue de serpent in PmA p. 74.
16
“It is tempting to read this [to call the serpent’s tail of the chimera the evil or artful genius of the animal] as
a wilful attempt on Derrida’s part to bring the role of this botched animal close to the preferred identity – a
fractured, botched, inexpert identity – of contemporary artists and philosophers. […] Both botched taxidermy
and the animots preposterously occupy a space which will not readily distinguish art and the animal. Neither
species, nor genus, nor individual, each one is open both to endless interpretation and, more compellingly still,
to the refusal of interpretation. They are perhaps things with which to think rather than themselves being
things to be thought of. Being so difficult to fix, they are not readily available to the categories and
classifications of the expert-thinking” in PmA p. 74, 75. Texte traduit par mes soins.
17
« Crossing the species barrier », PmA p. 58.
15
23
forment plus une question qu’une réponse ». Un tel dessein se retrouve
dans Lightness, l’essai dans lequel Italo Calvino a noté que pour Ovide
« tout peut être transformé en autre chose, et la connaissance du monde
équivaut à dissoudre la solidité du monde. Il y a aussi pour lui une parité
essentielle dans l’opposition entre tout ce qui existe et la hiérarchisation
des pouvoirs ou des valeurs. »
Il s’agit là d’un principe de collage. Coller, c’est assembler les mauvais
éléments pour le bon résultat. » 18
L’assemblage et le collage 19 pratiqués par les acteurs de la Postmodernité
consisteraient
donc
à
rassembler
des
éléments
« disparates »20,
opposables comme la science et l’art, mais aussi l’homme et la bête.
Aussi, il semble y avoir dans ces procédures une forme du pouvoir
symbolique des métamorphoses 21 que nous ne pourrions cependant
généraliser à toutes les apparitions animales de l’art contemporain. Steve
Baker comme Elisabeth de Fontenay insistent bien sur cette mise en
garde, le premier dans l’article d’ANTENNÆ précédemment cité, la
deuxième dans un ouvrage paru en 2008 : Sans offenser le genre humain.
Dans le sixième chapitre de ce livre 22, la philosophe française dénonce
avec véhémence « les pitoyables facéties de l’art bio » à travers l’analyse
critique des travaux d’Edouardo Kac, notamment son rapport aux
chimères et aux métamorphoses dans des manipulations de laboratoire
telles que la performance Genesis 23. « Sur le plan symbolique », la
traduction d’un passage de la Genèse en un code génétique ensuite
intégré à l’ADN de bactéries est selon Elisabeth de Fontenay « une
infraction [grave car opérante] à l’ordre de la textualité par le passage à
l’acte des métaphores et des métamorphoses. Conversion […] de la
représentation des mots à la représentation des choses qui [….]
caractérise la psychose. »
18
His work “comes from trying to fit together different information sources – art, science, whatever – and
allowing them to cohabit, coexist, to form more of a question than an answer”. A comparable point is made in
an essay entitled “Lightness” by […] Italo Calvino, in which he noted that for Ovid “everything can be
transformed into something else, and knowledge of the world means dissolving the solidity of the world. And
also for him there is an essential parity between everything that exists, as opposed to any sort of hierarchy of
powers or values”. This is […] a collage principle. […] Collage is about putting the wrong things together: to
the right effect.” In BAKER Steve, « Something’s gone wrong again » in ANTENNÆ vol.7, p. 4 à 9. Automne
2008. Texte traduit par mes soins.
19
Steve Baker utilise ces deux termes : il parle notamment d’assemblage au sujet de Pablo Picasso, Robert
Rauschenberg pour les artistes ; Jacques Derrida, Gilles Deleuze et Félix Guattari pour les philosophes, in
PmA p. 62 à 64.
20
BAKER Steve, « Something’s gone wrong again » in ANTENNÆ vol.7, p. 9. Automne 2008.
21
Chapitre II et III.
22
DE FONTENAY Elisabeth, Sans offenser le genre humain (SoGH) p.181 à 199. Paris, Albin Michel, février
2008.
23
Voir descriptif et analyse de la performance d’Edouardo KAC intitulée Genesis, in SoGH p. 188 à 191.
24
Les mutations qui ont ou vont transformer le lapin Alba et le futur chien
K9 en hybrides de chairs et d’os, par le biais de gènes de méduses, sont
tout aussi problématiques. Ces pratiques entraînent selon la philosophe
« la métamorphose d’individus vivants d’une haute complexité » 24, car la
dimension enchantée de ce processus disparaît sous la matérialité des
monstres concrets, vivants que sont les « organismes artistiquement
modifiés » d’Edouardo Kac. Ces cas de manipulations ne sauraient en
effet nous faire oublier qu’aux origines de nos sciences, la zoologie
classificatoire des Grecs a activement participé au démembrement des
conceptions antiques de métempsychose et de métamorphose. N’oublions
pas non plus le rôle qu’ont depuis joué les théories mécanistes dans le
développement de la rupture ontologique entre les hommes et les
animaux25. Le cas échéant, tout rapprochement des arts et des sciences
par le biais de l’animal pourrait servir les dangereux paradigmes
humanistes, sous-tendus par les biotechnologies, plutôt que de les mettre
en questions. De ce point de vue, la métamorphose se révèle être un
phénomène ambivalent.
Les réactions aux premiers de mes hybrides m’ont très rapidement
confronté à la possibilité qu’ils puissent être interprétés non comme des
êtres imaginaires, mais comme les créations expérimentales d’un « savant
fou ». Le fait que certains aient pu me parler du Sphinx diamant et du
Titan ondulé en termes de « maladie » ou de « monstres de laboratoires »
comme « Frankenstein » ne saurait être attribué à leur matérialité :
contrairement à Alba ou aux papillons de Marta de Menezes 26, les
animaux que je manipule sont morts. Cette différence est fondamentale
car si Steve Baker et Elisabeth de Fontenay s’accordent sur les dérives de
« l’art bio », ils se rejoignent aussi quant aux vertus du cadavre animal
dans l’art27 et parce que je partage leurs opinions, il m’a semblé
nécessaire de remédier à l’ambiguïté de mes hybrides. Pour ce faire, j’ai
d’abord dû identifier ses causes. Quelles sont-elles ? Peut-être la réponse
se trouve-t-elle dans ce qui différencie mes travaux des œuvres qu’ils ont
24
SoGH p. 191 à 194.
PdD p. 29 à 32, supra chapitre VIII.
26
Cette artiste modifie le code génétique de papillons. PdD p. 57.
27
Pour Steve Baker, la Botched taxidermy rend l’animal “abrasivement visible” in BAKER Steve,
« Something’s gone wrong again » in ANTENNÆ vol.7; pour Elisabeth de Fontenay, le Boeuf écorché de
Rembrandt, les charognes de Soutine ou Le Cavalier de l’Apocalypse de Fragonard « réparent nos yeux
abîmés », in SoGH p. 193.
25
25
servi à interroger. Les Misfits de Thomas Grünfeld sont littéralement des
« chimères », et celles qui furent influencées par les légendes grecques 28
ne posent aucun doute, pour ceux d’entre nous qui les regardent, quant à
leur dimension mythologique. Or, mes assemblages entomoformes ne
sont inspirés ni des Métamorphoses d’Ovide 29, ni de L’île du Docteur
Moreau 30, ni même de quelque autre classique littéraire du genre. Ils
prennent leurs sources dans un ensemble de rêves présentant un schéma
récurrent31 ; et j’ajouterai que, depuis le projet Imago 32, les papillons
comme les coléoptères ont dans mon travail une fonction bien
particulière : superposer le modèle de leurs nymphoses - étape-clef du
développement physiologique des insectes - et celui de la métamorphose
de l’humain par le mental, afin de mettre en valeur leurs coïncidences.
Aussi, mon objectif n’est de participer ni à la dénaturation des bêtes, ni à
la maîtrise des choses de la nature, mais dans un mouvement totalement
inverse, de servir conjointement et par la poésie des images les humains,
les animaux non-humains et l’environnement au sens large du terme.
De quelle manière ai-je alors choisi de pallier la confusion générée par
mes assemblages sans référents classiques ?
D’abord, j’ai pris la décision en janvier 2009 de présenter neuf de mes
chimères dans la Boîte à hybrides. Enfermés dans leur vitrine, ces
quelques monstres mettent en image toute la dangereuse ambivalence que
prend le concept de métamorphose à l’époque du génie génétique33.
De plus, assez rapidement, mon travail d’hybridation s’est mêlé à des
pratiques ornementales, appliquées en parallèle à d’autres animaux. Les
plumes de diamants mandarins qui couvrent le ventre et les oreilles de la
Pipistrelle diamant (illustration 15) sont par exemple symptomatiques
d’un glissement de la technique d’assemblage vers quelque chose de plus
décoratif. L’ornementation est d’autre part perceptible dans les perles, le
marbre et la côte utilisés pour mettre en valeur cette botched taxidermy34
et accentuer sa dimension onirique, imaginaire.
28
Ou le folklore du Centre de l’Allemagne, in FRANK Eric, « Thomas Grünfeld : the Misfits » in ANTENNÆ,
Vol. 7 p. 22 à 27. Automne 2008.
29
OVIDE, Les Métamorphoses (traduction CHAMONARD Joseph). Malherbes, Flammarion, 2008.
30
WELLS Herbert George, L’île du Docteur Moreau. Paris, Folio, 2002.
31
Dans ce genre de rêves, je me promène dans une forêt luxuriante peuplée d’animaux hybrides.
32
PT p. 24 à 25. Imago était un projet farfelu de performance rituelle.
33
Voir aussi l’interview de Marion Laval-Jeantet, du duo artistique Art Orienté Objet, en Annexes I. Les
enjeux de la métamorphose à l’époque contemporaine ont été abordés.
34
La pipistrelle a été entièrement naturalisée par mes soins. Voir aussi le poisson du Vieux Piraï emplumé,
supra Chapitre V.
26
Illustration 15, Pipistrelle diamant, octobre 2008.
27
En travaillant le Titan ondulé ou le Canard l’Ermite, j’ai pu tester
l’assemblage de fragments taxidermiques, un protocole d’hybridation mis
en œuvre par un nombre croissant d’artistes contemporains. Thomas
Grünfeld est en effet le chef de file d’une mouvance à laquelle participent
activement Deborah Sengl, Katharina Moessinger, Iris Schieferstein35 ou
encore Sarina Brewer. Les œuvres de ces deux dernières assembleuses
(Médusa, Classic Golden Griffin et Two-headed Franken-Squirrel
illustrations 17 à 19) sont notamment intéressantes dans la façon dont
elles confrontent notre patrimoine légendaire à la science moderne.
Interroger cette technique m’a permis de comprendre comment créer des
images animales composites, qui échappent à la pensée logique par la
multitude qu’elles cristallisent. Créer une botched taxidermy hybride,
c’est faire surgir la chimère ou l’animot, mais aussi les métamorphoses
qui les transforment et, ce faisant, les soustraient à toute tentative
d’identification, toute volonté de catégorisation. L’assemblage, le
collage, l’association sont donc des outils propices à une forme de
rassemblement qui agit contre la dualité de notre raison : le réel et
l’imaginaire, l’animal et l’humain, l’art et la science peuvent alors être
envisagés conjointement, dans leur compatibilité plutôt que dans leurs
différences... Je pense que le Sphinx diamant marque le moment à partir
duquel ce mode de construction s’est ancré durablement dans ma
recherche : l’hybride est une tentative plastique de raccorder l’imaginaire
à la raison par le biais de l’art.
Pourtant cette pièce a été interprétée à plusieurs reprises comme une
manipulation du vivant, de l’ordre de celles qui se pratiquent
actuellement dans les laboratoires de recherches en génétique. Cette
possibilité d’interprétation, d’abord fort embarrassante, m’a finalement
permis de comprendre toute l’ambiguïté du concept de métamorphose, à
l’heure des biotechnologies et du « bio-art » d’Edouardo Kac.
Dès mes premiers assemblages entomoformes, une parade à même de
contrer cet épineux problème s’est organisée : en parallèle aux formes
hybrides, j’ai travaillé à l’ornementation d’insectes. Leurs éléments
décoratifs, propices aux histoires merveilleuses, ne laissent aucun doute
quant à leur dimension onirique.
35
Pour ces quatre artistes, voir ULLRICH Jessica, « The taxidermic hybrid » in ANTENNÆ vol. 7, p. 18 à 21.
Automne 2008.
28
Illustration 16, Titan ondulé, deux vues, avril 2008.
29
En haut à gauche : illustration 17, SCHIEFERSTEIN Iris, Medusa, 2002. En haut à droite et en bas :
illustrations 18 et 19, BREWER Sarina, Classic Golden Griffin et Two-headed Franken-Squirrel années 2000.
30
En haut : illustration 20, préparation d’insectes ornés. En bas : illustration 21, Sphinx perlé, avril 2008.
31
CHAPITRE II
Naïvetés ornementales et
complexité symbolique
32
En haut : illustration 22, Longicorne ondulé, mai 2008. En bas : illustration 23, Longiquaire relicorne,
novembre 2008.
33
Lors d’une conférence qui s’est tenue le 20 juin 2008, Christine BuciGlucksmann était à la Galerie du Jeu de Paume pour présenter Esthétique
de l’ornement, d’Orient en Occident36, son dernier ouvrage en date.
Il a été très instructif d’entendre la philosophe dérouler l’histoire de ce
style sur nos terres, notamment lorsqu’elle aborda l’époque Moderne :
Adolf Loos 37 était alors l’un de ceux qui condamnaient l’ornement pour
son caractère à la fois décoratif, féminin, exotique et primitif… Ajoutez
les adjectifs « naïf » et « enfantin », une capacité à stimuler l’imaginaire
ou à générer des rêves, et vous obtiendrez la liste presque exhaustive des
qualités que l’exercice de l’ornementation a permis de développer, dans
mon travail plastique, tout au long des deux années de Master.
Les pièces qui seront abordées au cours de ce deuxième chapitre sont des
insectes parés d’éléments décoratifs qui m’ont permis d’interroger trois
cas d’expressions ornementales :
-
Le carnaval, et plus précisément celui de l’année 2008 à Macapá,
une ville du Nord du Brésil : les costumes et les chars des batucadas qui
défilèrent au sambodrome ont en partie motivé la réalisation de la Boîte à
Carnaval.
-
L’art et ses techniques chez les Amérindiens du Plateau des
Guyanes et d’Amazonie : les parures de perles et de plumes de ces
peuples, leurs pratiques de la peinture corporelle sont l’autre source
d’inspiration de la Boîte à Carnaval.
-
Les collections du Musée National du Moyen Âge, à Paris : le
Précieux Megasoma, la Précieuse Megasoma et la Boîte à Solstices ont
été créés en réaction aux reliquaires exposés à Cluny, autant d’objets qui
expriment les savoirs et la dextérité des artisans médiévaux,
particulièrement dans le domaine de la joaillerie.
La mise en relation de sources aussi variées dans leurs origines
culturelles, spatiales et temporelles peut sembler incongrue. Cependant,
elle apparaîtra finalement dans toute sa fécondité lorsqu’elle permettra,
dans un troisième temps, de comprendre les évolutions de l’ornement
dans mon travail plastique ; notamment lorsque sa pratique sera mêlée à
celle de l’assemblage.
36
BUCI-GLUCKSMANN Christine, Philosophie de l’ornement, d’Orient en Occident. Paris, Galilée, Débats,
2008.
37
LOOS Adolf, Ornement et crime. Paris, Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2003.
34
Le Longicorne diamant est un coléoptère guyanais orné des plumes d’un
couple de diamants mandarins. Je l’ai réalisé quelques jours à peine après
l’assemblage du Sphinx diamant, qui porte les ailes de l’oiseau mâle.
Sur le blog qui me sert de journal de bord, la présentation de cette pièce a
été prétexte à l’écriture d’une petite comptine, imaginée à partir de
l’illustration 24 :
« Alors que je vidais les poissons pêchés durant la nuit sur le bord de
l'eau, un gros nuage trouva le moyen de se placer juste devant le soleil.
C'est ennuyeux les nuages à cette saison... Comme s’il n’y en avait pas eu
assez cet hiver !
Je tends la main : pas une goutte. Un regard au sol et je comprends qu'il
ne s'agit pas d'un phénomène climatique : tant que je sache les cumulus
ne savent pas danser, et l'ombre portée de celui-ci gigote au rythme d'une
samba silencieuse !
Elle est quand même grande cette ombre portée... me dis-je en rentrant
prudemment à l'intérieur de l'appartement... Si c'est une bête, elle doit
être gigantesque. Et si elle aime la viande, j'ai intérêt à me cacher…
Pendant que je réfléchissais à un éventuel moyen de défense, l'ombre
commença à diminuer, à rétrécir, encore et encore... Et encore et encore...
Je sors. Elle diminue encore, et encore... Un œil en l'air. Et encore. Alors
se pose sur mon nez un étrange et minuscule animal.
- Et bien, lui dis-je. Quelle ombre tu m'as fait ! Tout ça pour ça ?
- C'est parce que je suis descendu directement du soleil... me répond
l’insecte. Es-tu déçu que je sois si menu ?
- Non pas du tout, je ne savais même pas que tu me rendrais visite,
d'ailleurs qui es-tu ? On se connaît ?
- A-t-on besoin de se connaître pour que je vienne te voir ? On m’avait
parlé de l'accueil légendaire des gens de ton pays, et il semblerait que tu
aies oublié d'où tu viens !
- Dis-donc bête-à-cornes ! Il commence à m'énerver, cet empêcheur de
vider les poissons en rond. Il faudrait peut-être voir à ne pas agresser ton
hôte, sinon tu risques de retourner dare-dare dans ta chrysalide !
L’insecte me répond : "Je suis né dans un œuf, imbécile ! » 38
38
http://blog.julien-salaud.info/index.php/post/2008/04/01/Le-Printemps-de-mes-reves-4
35
Illustration 24, Longicorne diamant, avril 2008.
36
Le longicorne emplumé partage avec l’histoire de son apparition une
légèreté infantile 39 qui n’est pas sans rapport avec celle qui caractérise
certaines traditions sud-américaines. Au début de l’année 2008, je me
trouvais à Macapá, capitale d’Amapá, l’Etat brésilien qui s’étend de
l’embouchure amazonienne aux Monts Tumucumaque. L’objectif
premier de ce voyage était d’organiser et d’installer plusieurs expositions
de mes travaux à travers la ville 40. Mais par un heureux concours de
dates, il fut surtout l’occasion d’assister aux festivités des jours gras.
L’expérience a été très troublante pour le Français que je suis, et je dois
commencer par préciser en quoi cet angle de vue a pu être révélateur.
L’Amapá est le parent pauvre du Brésil : pauvre en économie comme en
activités culturelles, difficile d’accès par l’avion comme par la route où
trafiquent les bandits, difficile de par son climat équatorial. Aussi, l’Etat
est globalement boudé par les touristes, à l’exception de ceux qui
viennent de la Guyane frontalière. Les blancs européens qui évoluent au
milieu de la population métis de Macapá sont donc principalement
français, et force est de constater que beaucoup sont des hommes mûrs
promenant à leur bras de très belles mais très jeunes personnes,
embarquées parfois dans de sombres histoires à grands renforts de billets
de banque. De ce fait, il a été très instructif que durant mon séjour, le
bleu de mes yeux ou la blancheur de ma peau aient été assimilés à ma
nationalité. Par un jeu de miroir, ces données physiologiques m’ont mis à
mes dépens face à ce que les miens pouvaient avoir d’obscur.
Or, au beau milieu du carnaval, mon identité française s’est effacée
devant celle du danseur, du fan de tamborim, de l’amateur au sens large
du terme : à l’intérieur du sambodrome, j’ai par exemple été touché par la
liesse qui animait les foules de mouvements chorégraphiques similaires à
ceux de ces bancs de poissons qui, par leur synchronisme exemplaire, se
fondent dans les contours d’une forme unique. Je garde aussi les images
fortes d’hommes et de femmes de tous âges dansant aux mêmes rythmes
effrénés qu’un travesti déguisé en papillon, ou encore celles de l’étrange
parade pluvieuse durant laquelle tous les humains présents étaient
habillés en femmes parfois monstrueuses (illustrations 25 et 26).
39
SdB, « Difficiles enfantillages, que nous voulez-vous ? », III, 1, p. 51 à 64.
Les Peintures échographiques, Dessins automatiques et Empressions ont fait l’objet de quatre expositions
toutes intitulées Linhas de Expressão : à la Galerie Antônio Munhoz Lopes du SESC Araxá et au Musée
Saccaca du 1er au 29 février 2008 ; au Théâtre de la Ville et à l’Université de Macapá du 7 mars au 15 avril.
40
37
Illustration 25, homme masqué en robe, Carnaval de rue de Macapá, janvier 2008.
Ces divers ressentis m’ont permis de percevoir une des principales
fonctions traditionnellement attribuées au carnaval 41 : celle de confondre
provisoirement les statuts, d’abolir toute assimilation d’un individu à ses
caractéristiques physiologiques, ethniques, sociales, sexuelles, etc. André
Lucrèce accorde ces effets à plusieurs processus carnavalesques, dont le
dérèglement, l’inversion, l’oubli et enfin, la métamorphose.
Illustration 26, travesti papillon, Sambodrome de Macapá, janvier 2008.
41
LUCRECE André, Société et Modernité. Fort de France, Editions de l’Autre Mer, 1994.
38
Pendant les jours gras de l’année 2008, un vent de folle hilarité a fait
danser hybrides et travestis à travers tout Macapá. Le Longicorne
diamant met ce souffle en relation avec les métamorphoses, de même que
le Longicorne ondulé, orné aux couleurs du drapeau brésilien (illustration
22), ou encore le Sphinx perlé (illustration 21) : trois des neuf pièces
rassemblées dans la Boîte à Carnaval (illustration 27).
Illustration 27, Boîte à Carnaval, janvier 2008.
La naïveté joviale des insectes de cette vitrine est sans aucun doute
inhérente aux éléments décoratifs 42 inspirés des parades brésiliennes,
mais elle est aussi liée aux arts, aux techniques et aux légendes des
peuples premiers d’Amazonie, notamment par les perles - plus encore
lorsqu’elles sont tissées - les plumes 43 ou encore les histoires qui les
accompagnent.
Brésil indien, la magnifique exposition organisée pour l’année du Brésil
au Grand Palais, donnait à voir la diversité et la finesse des objets
produits par les cultures indigènes du Brésil, mais aussi la grande
complexité de leurs interactions avec le domaine des mythologies.
42
Perles de rocaille ou de plastique, plumes de perruches ondulées, de diamants mandarins et de papegeai
maillé, strass et sequins.
43
Surpa, chapitres IV pour les perles, et V pour les plumes.
39
Beatriz Perrone-Moisés s’est penchée sur ce système dans un des articles
du catalogue 44.
« Comme les mythes et avec eux, les objets forment systèmes. […] Ils
conjuguent « des données mythiques, des fonctions sociales et
religieuses, et des expressions plastiques ».
[…] Les objets et les mythes sont entrelacés, et cela de différentes
manières. » Les graphismes wayanas sont par exemple issus d’un
anaconda mythique et « viennent de la nuit des temps. […] Mais les
manifestations que nous qualifions d’artistiques chez les peuples
Amérindiens ne sont pas un simple renvoi au temps immémorial des
mythes ; leur existence est une forme de la continuité, de la contiguïté de
ce temps, que les objets peuvent rendre présent » par leur matérialité mais
aussi dans leurs processus de création. Ils révèlent de plus les « réalités
extrahumaines » - dont celle des morts - qui émanent de ce temps.
D’autre part, « la peinture corporelle et les parures fabriquent des
humains, les modifient et peuvent en faire des non-humains. […] Les
motifs tressés ou peints sur les supports les plus variés ont la capacité
d’attirer des entités non-humaines, de permettre la communication avec
elles, de révéler ce que les yeux humains ne voient pas, ils peuvent même
être la demeure d’esprits. […] Les motifs « décoratifs » font partie
intégrante de la surface sur laquelle ils se trouvent : soit les corps qu’ils
transforment en personnes humaines, soit les objets qu’ils transforment
en communicateurs ou… en « personnes ». L’art amazonien effectue
donc « des processus ontologiques de transformation, de métamorphose,
de conservation et de renouvellement très vigoureux ». « Chaque objet,
même le plus utilitaire, est une sorte de condensé de symboles » 45.
L’ornement amérindien est donc vecteur, révélateur de l’enchantement
des mythes, voire porteur des temps mythiques eux-mêmes. Comment
fonctionne ce système complexe ? Beatriz Perrone-Moisés établit un
rapport entre « la métamorphose », « l’altérité » - deux concepts qui sont
aussi centraux dans les cosmogonies amérindiennes que dans leurs arts et enfin les constructions symboliques par ornementation, appliquées aux
objets comme aux corps. La dernière série d’insectes que je souhaite
44
PERRONE-MOISES Beatriz, « Objets, sujets du mythe, sujets » in DONISETE BENZI GRUPIONI Luis
(dir), Brésil indien (BI), p. 89 à 97. Paris, Editions de la réunion des Musées Nationaux, 2005.
45
CHARBONNIER Georges, LEVI-STRAUSS Claude, Entretien avec Claude Levi-Strauss. Paris, Plon,
1961. In BI p. 89.
40
aborder dans ce chapitre m’a mené à chercher la potentialité de telles
corrélations dans une temporalité plus lointaine mais un lieu plus proche.
Le Précieux Megasoma (illustration 28) et la Précieuse Megasoma
(illustration 29) sont deux lucanes de l’espèce guyanaise Megasoma
acteon, sur les abdomens desquels ont été collés des strass blancs et
noirs. Un strass rouge marque le dos de la femelle, un strass bleu marque
celui du mâle.
En haut : illustration 28, Précieux Megasoma, en bas : illustration 29, Précieuse Megasoma. Décembre 2008.
Dans la Boîte à Solstices (illustration 30), ces deux couleurs sont mises
en relation avec les dates-clefs de notre calendrier solaire : comme
l’indique son nom, le Longicorne d’hiver représente la saison froide et
son jour le plus court, de même qu’Aurora (rangée du haut) ; le
Longiquaire relicorne et le Papillaire relicon (rangée du bas)
correspondent quant à eux au solstice d’été.
41
Ces trois pièces plongent le cours de la présente réflexion dans le passé
de nos terres tempérées : le travail du strass a commencé suite à la visite
du Musée National du Moyen Âge, en octobre 2008.
L’Hôtel de Cluny et les thermes gallo-romains regorgent d’objets d’une
grande beauté, reflétant la virtuosité de ceux qui les ont créés autant que
la complexité de leurs techniques. Les enluminures sont le fruit d’une
coïncidence merveilleuse entre le travail de l’or et celui des pigments, la
Dame à la Licorne met en images le temps qui fut passé au filage et au
tissage de ses six pans. Les nombreux reliquaires ornés d’ivoire,
d’émaux, de pierres, de bois et de métaux précieux m’ont enfin
particulièrement marqué : ils entremêlent des savoirs aussi variés que
l’orfèvrerie, la marqueterie, la joaillerie, ce qui laisse à penser que ces
objets sont passés entre les mains de plusieurs artisans.
Illustration 30, Boîte à Solstices, décembre 2008.
Ma fascination pour les arts du Moyen Âge - et plus particulièrement du
Haut Moyen Âge - est à la base du Longiquaire relicorne (illustration
23). Cette pièce associe un longicorne guyanais, sans ailes, au motif
récurrent des reliquaires : les strass sont organisés en forme de croix.
L’apparition de ce symbole religieux dans mon travail a généré une
véritable confusion : pourquoi avoir lié un animal à l’image de la
crucifixion sachant que, d’après Elisabeth de Fontenay, ce fondement
chrétien peut être considéré comme l’acte inaugural de la rupture
42
ontologique distinguant les Occidentaux des bêtes46 ? L’art mêlé à
l’ethnologie m’a permis de déplacer cette confusion en troublant mon
point de vue - jusqu’alors assez tranché - sur le culte chrétien, et
notamment sur ce qui le différencie des croyances de peuples premiers.
L’anthropologue Danielle Vazeilles incite par exemple à penser la croix
en dehors du thème de la crucifixion lorsqu’elle souligne qu’« avant
l’arrivée des Chrétiens, les Amérindiens croient en un grand esprit du
monde rarement invoqué » « se manifestant dans des décors à base
croix » 47. Un grand esprit se trouve de même dans la cosmogonie des
pygmées du Cameroun : Marion Laval-Jeantet, artiste du duo Art Orienté
Objet et ethnopsychiatre, m’a appris lors d’une récente interview 48 que ce
« dieu » s’appelait Mwanga. Or, si les pygmées croient en cette entité, ils
n’en restent pas moins animistes.
Dans ce contexte ethnographique, la croix du Longiquaire relicorne
devient elle-même ambiguë : l’insecte exotique déforme cette référence
chrétienne, et ses lointaines origines mettent le monothéisme médiéval en
tension avec les animismes des peuples premiers. Que produit un tel
rapprochement ? La révélation de similitudes.
Dans son article pour le catalogue Brésil indien, Beatriz Perrone-Moisés
souligne le fait que Claude Lévi-Strauss a « dévoilé […] par le biais de
l’analyse des mythes […] le dualisme » intrinsèque à l’« idéologie
bipartite des Amérindiens »49. Cette donnée est capitale dans le cadre de
ma recherche, car elle déplace la problématique du dualisme occidental hérité de l’Antiquité - vers les mécanismes de sa fragmentation en
dualités chrétiennes. Michel Pastoureau a consacré la totalité d’Une
histoire symbolique du Moyen Âge occidental à dégager les processus qui
ont permis cette transformation. L’héraldique est par exemple le vecteur
du passage des couleurs liturgiques d’une valeur auparavant symbolique
à une valeur emblématique : dans les églises médiévales, « toutes les
couleurs […] se parlent et se répondent […]. Toute couleur s’adresse
toujours à une autre couleur, et de leur dialogue naît le rituel. […] Sans la
couleur, pas de théâtralité, pas de liturgie, pas de culte. […] Les
premières tentatives véritables pour codifier les couleurs de la liturgie
46
Supra, chapitre VIII. Cette théorie est reprise dans le dernier livre de la philosophe, SoGH p. 188.
Citation complète de Danièle VAZEILLES, supra p. 147.
48
Résumé de l’interview en Annexes I, audible dans son intégralité sur la piste audio AOO1 et 2 du DVD.
49
PERRONE-MOISES Beatriz, « Objets, sujets du mythe, sujets » in BI, p. 90.
47
43
sont contemporaines de la naissance des armoiries, le plus élaboré des
codes sociaux que l’Occident médiéval a construit autour des couleurs.
En un siècle, le XIIe, la messe, comme la guerre, comme le tournoi,
comme la société, comme les images, s’est proprement « héraldisée »
dans la couleur. Comme celles des blasons, les couleurs de la liturgie
n’existent qu’en nombre limité. Comme en héraldique, elles représentent
des catégories pures : ce sont des couleurs abstraites, dont les nuances ne
comptent pas. […] Le rouge de la Pentecôte est un rouge archétypal […].
C’est aussi, comme en héraldique, un rouge uni. » La couleur se pose en
termes de « coloration, et non plus de densité ou de saturation » 50.
Les effets de l’héraldique sur les structures mêmes de l’Eglise incitent à
penser que les dualités chrétiennes se sont construites en même temps
que les emblèmes et aux dépens des symboles. Le cas des reliquaires, et
particulièrement les débats lancés par Luther et Calvin autour de leur
culte, permet de comprendre la façon dont ces processus ont pu s’inscrire
dans la Réforme protestante, puis dans la Contre-réforme catholique51.
Mais ces objets s’avèrent surtout intéressants pour leur style ornemental,
que Michel Pastoureau présente comme une construction symbolique
fonctionnant sur le principe sémiologique de la métonymie. L’idée de
« la partie valant pour le tout […] préside […] l’encodage de nombreuses
images, notamment celles qui accordent une large place à l’ornemental.
Dans un ornement, […] il n’y a en effet jamais de différence entre une
petite et une grande surface : un centimètre carré […] vaut pour un mètre
carré et bien davantage. […] Cette mise en scène de la partie pour le tout
constitue dans beaucoup de domaines le premier degré de la
symbolisation médiévale. Dans le culte des reliques par exemple, un os
ou une dent valent pour le saint entier. […] Le symbole est toujours plus
fort et plus vrai que la personne ou la chose réelle qu’il a pour fonction de
représenter parce que, au Moyen Âge, la vérité se situe toujours hors de
la réalité […]. Le vrai n’est pas le réel. »52 Le symbole « s’adresse plus à
l’imagination qu’à la raison. Ce qui est vrai des nombres […] des formes,
des couleurs, des animaux, des végétaux et de tous les signes. […] Ils
font rêver plus qu’ils ne désignent. Ils font entrer dans cette autre part de
50
PASTOUREAU Michel, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, (HSMA) p.151, 152, 156.
Paris, Seuil, la Librairie du XXIe siècle, février 2004.
51
HSMA, p. 113 à 171
52
HSMA p. 21, 22.
44
la réalité qu’est l’imaginaire »53 et c’est cette fonction onirique, il me
semble, que le Longicorne reliquaire emprunte aux objets sacrés de la
période médiévale.
53
HSMA p. 24.
45
La Boîte à Carnaval, la Boîte à Solstices et les Précieux Megasomas
forment finalement un ensemble qui entremêle les effets des différents
styles ornementaux expérimentés.
Le Sphinx Perlé et le Longicorne ondulé renvoient au temps du Carnaval,
lorsque masques et costumes transforment les habitants d’une ville en
travestis ou en monstres joyeux, annihilant momentanément les
hiérarchies et les règles qui structurent leur société. A cette inspiration
carnavalesque se superpose, dans le Faux Heliconius (illustration 31) et
le Longicorne diamant, un intérêt pour la fonction des parures dans
l’esthétique amérindienne : transformer leurs supports tout en les reliant
aux temps mythiques. Quant au Papillaire relicon et au Longiquaire
relicorne, ils empruntent aux reliquaires et aux ornements médiévaux
leur capacité à confondre l’imaginaire et le réel.
Il est à noter que cette capacité se retrouve dans les trois expressions
ornementales interrogées, et qu’elle s’exprime soit à travers les
métamorphoses soit par l’intermédiaire de la métonymie, deux principes
générateurs de symboles selon Michel Pastoureau et Beatriz PerroneMoisès 54. Aussi pouvons-nous finalement considérer comme des
constructions symboliques non seulement la technique d’ornementation,
mais aussi celle d’assemblage : tout comme la chimère ou l’animot, le
symbole n’est pas exactement l’acte d’assembler les complémentaires
d’un dualisme, il ne se résume pas non plus à leur simple addition, le
symbole est ce qui naît de leur union, de leur mélange diffus.
Que se passe-t-il alors quand les deux procédés sont rapprochés ? J’ai pu
constater lors d’une récente exposition55 que la dimension onirique de
l’ornement est contagieuse : aucun de ceux qui ont regardé les insectes
hybrides à côté des insectes parés (regroupement des Insectes étranges)
n’ont interprété les premiers comme des manipulations scientifiques.
Cependant, cette heureuse compatibilité ne m’a pas seulement servi à
lever l’ambiguïté initiale du Titan ondulé ou du Sphinx diamant ; elle a
soulevé la question qui a permis d’ouvrir le champ de ma pratique
artistique : que se passerait-il si cette compatibilité entre ornementation et
assemblage était poussée jusqu’au mélange ?
54
Sur le plan des couleurs, Michel Pastoureau ne cite pas directement les métamorphoses. Par contre, il aborde
ce thème pour traiter de la perception de l’animal, notamment dans le cas de la chasse. Supra p. 217. Ce lien
entre métamorphoses et symbolisme se retrouve par ailleurs dans les théories de Beatriz Perrone-Moisès.
55
Pour les détails de cette exposition, supra p. 193.
46
Illustration 31, Faux Heliconius, avril 2008.
47
Double page : illustration 32, Messager de Nuit (Grand hibou), deux vues, février 2008.
48
49
Illustration 33, Messager des Rivières (perdrix), décembre 2008.
50
CHAPITRE III
Précieux hybrides mortifères et
perceptions de l’Ævum
51
En haut : illustration 34, Serpent à Plumes bicéphale avant ornementation, avril 2008.
En bas : illustration 35, Cornelia, mai 2008.
52
Depuis les débuts de l’année 2008, l’assemblage et l’ornementation se
sont croisés dans mes travaux de différentes manières. Comme nous
venons de le voir, ces techniques ont été pratiquées séparément sur des
papillons et des coléoptères, par la suite rassemblés dans l’ensemble des
Insectes étranges. Nous allons maintenant porter une attention
particulière à cinq travaux, dont les protocoles de création ont
directement entremêlé les deux procédés : Cornelia, le Serpent à Plumes
bicéphale, le Messager des Rivières (perdrix), le Guerrier des Rivières, et
enfin le Messager de Nuit (Grand Hibou).
Si ces botched taxidermies sont - à une exception près - constituées de
formes renvoyant aux oiseaux 56, elles n’en prolongent pas moins le travail
engagé par le biais des insectes. Elles présentent d’ailleurs toutes une
dimension entomoforme par certaines de leurs caractéristiques : Cornelia
et le Serpent à Plumes bicéphale partagent par exemple avec les
coléoptères la particularité d’avoir un squelette apparent 57 ; quant aux
trois taxidermies dont l’ornement est à base de sequins, elles marquent
l’influence grandissante des œuvres de Jan Fabre sur ma pratique
artistique.
Aussi, afin d’analyser l’évolution de ces cadavres ornés, il sera nécessaire
de décrypter le travail de l’artiste belge, et plus particulièrement son goût
prononcé pour les coléoptères : il les utilise à la fois comme matériaux
d’ornementation et comme éléments d’assemblage. Sur cet usage, les
réflexions de Yuka Uematsu vont s’avérer d’un grand intérêt : cette
commissaire
du
Marugame
Genichiro-Inokuma
Museum
of
Contemporary Art à Kagawa (Japon) s’est en effet interrogée sur les liens
que Jan Fabre crée, à travers le langage plastique de ses figures
composites, entre les humains, les insectes et les anges. L’analyse de ses
enchaînements théoriques permettra de prolonger les problématiques
autour du thème de la mort, soulevées par les œuvres de l’artiste belge
dans le projet de détermination. Nous pourrons alors comprendre de
quelle manière l’assemblage et l’ornement, associés sur des cadavres
animaux, peuvent ajouter aux dualismes art/science et réel/imaginaire,
celle que composent la vie et l’Ævum.
56
L’exception est le longicorne du Guerrier des Rivières.
Chez les insectes, on parle d’exosquelette, car la structure qui les supporte et leur donne forme est visible de
l’extérieur (chez les vertébrés, on parle d’endosquelette).
57
53
Cornelia (illustration 35 et 36) présente le corps squelettique d’une
corneille noire (Corvus corone) dont les ailes sont encore emplumées.
Elle porte entre ses mandibules les cartilages, dorés à la feuille, de son
œsophage et de son syrinx 58.
J’ai entièrement préparé cette pièce à partir d’un cadavre frais, découvert
dans un fossé du Cotentin à la fin du mois de mars 2007. D’abord, les
ailes ont été coupées, traitées avec de l’halin puis mises à sécher au soleil,
pendant que le corps plumé était offert aux processus de décomposition,
plongé dans une bassine à moitié pleine d’eau. Les odeurs générées par
ces différentes étapes ont véritablement joué un rôle dans la construction
de Cornelia : d’un côté, les plumes des ailes ont porté pendant longtemps
le parfum presque imperceptible que dégageait l’oiseau de son vivant ; de
l’autre, la lourdeur et la persistance des effluves produits par la pourriture
et la vermine m’ont accompagné pendant les premières phases de la
préparation de ses os. Ce mélange olfactif me semble être à l’origine du
fait que j’ai choisi d’assembler les ailes de la corneille à son squelette :
durant les premiers mois qui suivirent sa création, Cornelia offrait aux
yeux comme au nez la perception simultanée du vivant et du non-vivant.
Quant au syrinx doré (illustration 36) il donne à entendre non seulement
le silence des bêtes59, mais aussi celui des morts.
Illustration 36, Cornelia, détails du syrinx doré, avril 2008.
58
Le syrinx est l’organe du chant pour les oiseaux. Il se situe à la jonction entre l’œsophage et les deux
bronches. PdD p. 96, 97.
59
Le silence des bêtes est selon Elisabeth de Fontenay conséquent à la rupture ontologique entre les hommes
et les animaux en Occident. PdD, première partie p. 5 à 32 et supra chapitre VIII.
54
Ce rassemblement du vivant et du non-vivant au sein d’une même entité
animale caractérise une autre pièce, réalisée en même temps que
Cornelia. Le Serpent à Plumes bicéphale (illustration 37) est constitué
d’une colonne vertébrale de serpent, récoltée aux alentours de Macapá en
juin 2007, ainsi que des ossements du couple de diamants mandarins déjà
cité au sujet des insectes précédemment abordés. Cet hybride osseux
(illustration 34) a été orné de quelques plumes de diamants, de poils de
porc-épic (Coendou prehensilis), de griffes de papegeai maillé, autant
d’éléments issus d’animaux sauvages guyanais. Deux petites graines de
panacoco, guyanaises elles aussi, figurent enfin les yeux du monstre.
Illustration 37, Serpent à plumes bicéphale, avril 2008.
Dans le Serpent à Plumes bicéphale, l’assemblage des os inspire quelque
chose de la mort, quand son ornementation fait appel au vivant. Par la
suite, les deux techniques plastiques et les deux états qui composent le
dualisme de l’existence se sont croisés, d’une manière plus diffuse, à
travers plusieurs taxidermies.
Le Messager des Rivières (perdrix) (illustrations 33 et 38) est une perdrix
rouge empaillée (Alectoris rufa), partiellement couverte de sequins à
l’aide d’une colle forte. L’organisation de ces éléments décoratifs me
semble être le vecteur d’une certaine forme d’hybridation : dans leurs
tonalités, les disques de plastiques sont répartis en surfaces respectant
globalement les couleurs initiales du plumage de l’oiseau ; de plus, ils ont
été agencés en quinconce, comme les écailles d’un poisson.
55
Illustration 38 : Messager des Rivières (perdrix), détail, décembre 2008. Encart : la taxidermie brute.
56
J’ai affiné cette technique en préparant le Guerrier des Rivières
(illustration
39),
un
longicorne
de
Thaïlande
(Pseudomegges
marmoratus) orné de sequins, mais aussi de perles de rocaille et de
quelques plumes de perruche ondulée.
Illustration 39, Guerrier des Rivières, décembre 2008.
Les procédures d’assemblage de ces deux animaux donneraient presque
l’impression de s’être éclipsées tant elles se sont fondues dans le travail
d’ornementation. Ce fait est très certainement dû à l’émergence d’une
notion particulière dans mon travail : le mimétisme. Le Messager de Nuit
(Grand Hibou) (illustrations 32 et 40) porte sans l’ombre d’un doute sur
ce thème.
Illustration 40, Messager de Nuit (Grand Hibou), février 2009.
57
Le Messager de Nuit (Grand Hibou) est une pièce baroque, peut-être
même kitch : elle cumule jusqu’à l’outrance les attributs décoratifs ainsi
que bon nombre des procédures mises au point tout au long du travail de
Master 60. D’abord, deux sortes de sequins ont été collées sur une
taxidermie de hibou des marais (Asio flammeus), de manière à ce qu’ils
reprennent, le plus fidèlement possible, les couleurs et les motifs de son
plumage. Leurs tonalités brune et beige se retrouvent d’autre part dans les
perles de rocaille enfilées sur un fil de coton, lui-même tendu autour de
clous plantés dans les os et la peau de la bête empaillée. Le brun et le
beige sont enfin les teintes dominantes d’un papillon naturalisé, que j’ai
choisi d’orner de sequins avant de le piquer à la base du bec de l’oiseau.
Comme beaucoup de Saturniidae, cet insecte guyanais présente deux
ocelles sur les ailes du bas. Dans la nature, on n’aperçoit que très
rarement ces motifs. Lorsqu’un paon de nuit 61 est par exemple posé sur
une branche, ses ailes supérieures recouvrent la paire inférieure ; leur
aspect terne permet alors au papillon de se confondre avec l’écorce qui le
porte. Or, lorsque l’un de ses prédateurs s’approche trop près de lui pour
que son camouflage soit encore efficace, le paon réagit en écartant les
ailes de façon brutale. Ainsi, il découvre ses ocelles, et donne au lérot ou
au merle qui voulait le manger l’impression d’être le regard d’un hibou
probablement très affamé. L’effet de surprise est radical : il entraîne
généralement la fuite de l’indésirable.
Parce qu’elle mêle l’insecte imitateur au rapace qu’il imite, l’association
cadavérique du Messager de Nuit (Grand Hibou) me semble renvoyer à
un troisième protagoniste qui aurait, face à l’œuvre, une place similaire à
celle du lérot dans l’histoire du paon de nuit : cet être serait à la fois proie
et prédateur.
Est-il possible d’identifier cet « animal » ? Superposées tel un masque au
regard du hibou, les ocelles de l’insecte désignent l’observateur : qui
tournera autour du Messager de Nuit pourra peut-être se trouver
confronté au principe actif de la stratégie mimétique : le changement
brutal de point de vue (illustration 32, page de droite).
60
On retrouve l’hybridation par assemblage ainsi que divers modes d’ornementations, dont les clous et le
réseau de fil perlé des Animaux Stellaires, supra PARTIE III, chapitre IX.
61
En Europe, il existe deux espèces de Saturniidae : le grand paon de nuit (Saturna piry) et le petit paon de
nuit, (Saturna pavonia).
58
Il est à noter que l’influence des œuvres de Jan Fabre sur ma recherche se
fait grandissante depuis L’ange de la Métamorphose, l’exposition qui
s’est tenue au Louvre, au début de l’été 2008.
Le Messager de Nuit (Grand Hibou) interroge incontestablement Les
Messagers de la Mort décapités 62 (détail en illustration 41). L’installation
présentée dans l’aile Richelieu du Musée était composée de sept
« hiboux » 63, posés sur la nappe blanche d’une grande table rectangulaire.
Ces portraits sans corps étaient affublés de prothèses oculaires, ce qui
leur donnait un aspect humain d’autre part renforcé par des dimensions
correspondant plus à notre échelle qu’à celle des oiseaux 64.
Illustration 41, FABRE Jan, Les Messagers de la Mort décapités, détail d’un hibou, 2006.
L’anthropomorphisme troublant des Messagers de la Mort décapités a
permis l’insinuation du mimétisme dans mon travail plastique. Dans le
Messager de Nuit (Grand Hibou), ce thème s’entremêle à ceux de la mort
et du rapport aux animaux. Ma pièce suggèrerait donc non seulement
d’aborder l’évènement qui clôture une vie du point de vue de l’animal,
mais aussi de « l’imiter », par l’intermédiaire du masque lépidoptère
comme dans la façon dont les ornements se fondent au plumage de la
taxidermie.
62
Une variante est visible en permanence au Musée de la Chasse et de la Nature de Paris.
C’est ainsi que l’œuvre est décrite dans le catalogue de L’ange de la métamorphose. BERNADAC MarieLaure (dir.), Jan Fabre au Louvre, L’Ange de la métamorphose (MdA) p. 218. Paris, Gallimard, Musée du
Louvre édition, 2008. Par conséquent, je ne sais de quelles matières sont constitués ces objets, sinon de
plumes.
64
Les sept têtes étaient à proportions humaines : 33x60x34cm.
63
59
D’autres œuvres de Jan Fabre me semblent avoir joué un rôle crucial
dans le fait que l’assemblage et l’ornement, auparavant relativement
distincts à l’intérieur de ma pratique - et ce, même dans l’acte de création
du Serpent à Plumes bicéphale - se soient confondus dans le travail des
sequins. Tout au long de L’ange de la métamorphose, j’ai pu constater
que chez l’artiste belge, l’insecte est à la fois élément d’assemblage et
ornement, qu’il entre dans la composition du Bousier (illustration 42) ou
dans celle de la Pièce de viande (illustration 43).
Illustration 42, FABRE Jan, Le Bousier, détail de la sphère, 2001.
Durant l’exposition du Louvre, la Pièce de viande était accrochée dans la
même salle que le Bœuf écorché de Rembrandt. L’analyse de cette
confrontation pour le projet de détermination m’avait permis de sentir, à
travers l’œuvre contemporaine, une mise en image de la mort non comme
un état définitif, mais plutôt en tant que passage, du monde des vivants à
une autre dimension : « en rendant la viande du Bœuf écorché aux
insectes pour qu’ils la métabolisent, Jan Fabre a rappelé aux visiteurs du
Louvre que cadavres et bêtes nécrophages sont en cela indispensables à la
vie qu’ils génèrent le terreau fertile nécessaire à son renouvellement.
Mais son assemblage, en transformant une carcasse en multitude animale,
suggère peut-être aussi que la mort n’est « que » la fin de l’individu. »65
65
PdD p. 85.
60
Illustration 43, FABRE Jan, Pièce de viande, 1997.
61
Comme beaucoup des œuvres de Jan Fabre 66, la Pièce de viande et ses
insectes traitent donc avec force de la mort en tant que métamorphose.
Or, si ce phénomène est bien un passage, il est relativement difficile sinon impossible - de le décrire en seulement quelques-uns de nos mots :
nous savons que son point de départ est la vie, mais comment nommer
l’état vers lequel il conduit ? Aujourd’hui, en français comme en anglais,
nous utilisons volontiers « la mort » pour désigner ce domaine, ce qui est
symptomatique du fait que nous ayons élargi le champ sémantique d’un
passage à ce vers quoi il ouvre. De ce fait linguistique, le terme de mort
ne semble pas du tout approprié pour définir notre mystérieux état.
Quelle langue pourrait alors proposer un nom pour la dimension que
touche l’artiste belge dans son travail plastique ? Yuka Uematsu a choisi
le latin. Comparer la métamorphose des insectes de Jan Fabre et celle des
anges dans la littérature médiévale l’a menée à développer la notion
d’Ævum, dans le catalogue d’une exposition personnelle de l’artiste qui
s’est tenue au Japon en 2001 : Jan Fabre: Angels and warriors, strategy
and tactics67.
La commissaire de cette exposition note que Jan Fabre perçoit un « désir
de mort » dans le fait que certaines nations commencent à voter des lois
pour autoriser l’euthanasie68. Il voit ce même désir de mort « chez les
coléoptères, qui […] pour survivre, subissent des mutations ou des
métamorphoses. […] Alors qu’ils refoulent ce désir de mort, ils se
transforment en imagos, [forme adulte de l’insecte] à travers laquelle ils
commencent une nouvelle vie. En particulier dans les œuvres à base de
scarabées, qui représentent la « renaissance » ou la « régénération », et
qui sont utilisés comme une métaphore de la « puissance de vie et de
mort », l'inéluctabilité de la mort est exprimée dans l'idée que « tout ce
qui vit doit être visité par la mort. »
Yuka Uematsu cite alors l’artiste belge : « […] Fabre a dit : « Le vide de
la conscience donne naissance à un type de communication avec les
créatures d'une autre famille, les coléoptères, et ce vide de conscience est
66
Au Louvre, nous avons pu notamment voir la Luge de nuit (2004) et la Table de travail/Lit (2001), ainsi que
la Nature morte avec artiste (2004), etc. voir MdA, et PdD, p. 84 à 85 pour l’Autoportrait en plus grand ver
du monde.
67
UEMATSU Yuka, « The Schemes of Jan Fabre » in UEMATSU Yuka (dir.), Jan Fabre: angel and warrior,
strategy and tactics (JFA), p. 141 à 148. Kagawa, Marugame Genichiro-Inokuma Museum of Contemporary
Art, 2001.
68
Une loi autorisant l’euthanasie a été votée aux Pays-Bas le 28 novembre 2000, peu de temps avant
l’exposition des travaux de Jan Fabre au Japon. JFA p. 143.
62
aussi important pour nous, les êtres humains. Par conséquent, nous avons
appris beaucoup de choses de leur part. » Il y a donc, dans la démarche de
Jan Fabre, le parallèle entre nymphose et métamorphose humaine qui
existe d’autre part dans mon travail : le « vide de conscience » place les
questionnements sur le processus de mort au niveau de l’esprit, du
mental. De ce point de vue, les coléoptères offrent un modèle singulier :
« Les œuvres dans lesquelles Fabre utilise des insectes, [assemblés par]
centaines ou milliers, des insectes à l’intérieur desquels la mémoire n’est
pas scellée, une stratégie peut être vue, incluant jusqu’à l'espace
entourant le travail, le remplissant de mémoire, comme si la société des
insectes y existait. » 69
Yuka Uematsu perçoit une forme de cet « espace » dans les Anges de
l’artiste belge, dont certains ont été créés à partir de coléoptères, d’autres
avec des ossements (illustration 44). A travers la Divine comédie de
Dante, elle réfléchie à ces figures composites : « Les anges sont des êtres
intermédiaires qui se tiennent à la frontière d’un monde divisé en deux
parties - le monde de la réalité matérielle dans lequel vit l'humanité, et le
monde invisible, celui d’avant que le temps et l'espace ne naissent ». Ils
ont la capacité d’aller et venir librement d’une sphère à l’autre, à travers
des mouvements de métamorphoses.
« Saint Thomas d’Aquin a écrit que les anges vivaient dans le temps de
l’Ævum (« sans interruption, sans fin, l'éternité »), […] un lieu éternel,
d’où proviennent le temps et l'espace […], dans lequel entrer et sortir de
l’existence sont [deux actions] constamment répétées [par les anges]. […]
Mu d’un mouvement éternel, de perpétuelles transformations, [ce temps]
ne peut jamais avoir de fin. C'est l’Ævum, dans lequel un nombre infini
d'anges volent. Sans aucun doute, les anges de Jan Fabre vivent […] dans
l’Ævum. Dans cette dimension du milieu, entre non-existence et
existence, qu’est le propre domaine des anges, il n'y a ni vie, ni mort. »70
69
“Fabre saw this “death wish” in beetles, which […] in order to survive, undergo mutation or metamorphosis.
In the end, while suppressing the death wish, they transform themselves into fully adult imagoes, through
which they begin a new life. In particular, in works with scarabs, which representative of “rebirth” or
“regeneration”, and which are used as a metaphor for “the power of life and death”, the inevitability of death
is expressed in the idea that “all that lives must be visited by death. […] Fabre has said: « The emptiness of
consciousness gives birth to one type of communication among creatures of another family, beetles, and this
emptiness of consciousness is also important for us, human beings. Therefore, we have learned many things
from them”. […] In the works in which Fabre utilized insects, through joining together and using hundreds
and thousands of these insects, in each one of which memory is unsealed, a strategy can be seen, even
including the space surrounding the work, filling everything with memory, just as if the insect society existed
there.” in JFA p. 143, 144.
70
“Angels are intermediary beings who stand on the border of the world divided into two parts – this world of
material reality in which humankind lives and the invisible world before time and space were born […].It was
63
La commissaire d’exposition interprète alors la figure de l’ange chez Jan
Fabre comme un « voyage » qui « ne peut être que quelque chose
d'inhérent à l'intérieur de la conscience humaine. [Mais] c'est aussi un
voyage vers le monde extérieur. La Divine Comédie de Dante […] est
[…] une représentation de l'humain sortant de […] la réalité du monde
matériel, un voyage expérimental dans un temps permettant de revenir à
la source de la conscience. » Elle conclut alors : « alors que l’on peut
penser que l’espace et les formes du monde de Dante ont été détruits,
dans notre époque Moderne, Fabre tente de nous conduire […], en
utilisant le thème des anges, dans un espace indestructible qu'il pourra
[…] être en mesure de recréer »71.
Le cours de cette réflexion nous mène à l’étrange dimension que
l’assemblage et l’ornementation par l’insecte génèrent, selon Yuka
Uematsu, dans les œuvres de Jan Fabre. De son point de vue, la mort - ou
« l’absence de conscience » - telle que l’artiste la met en œuvre se révèle
être un processus bien plus complexe que ce à quoi nous le résumons
aujourd’hui. Par les anges du Belge comme dans les écrits de Dante ou de
Saint Thomas d’Aquin, ce passage conduit les vivants vers l’Ævum, une
notion médiévale qui me semble pouvoir être rapprochée du « temps
mythique » cité par Baetriz Perrone-Moisès au sujet des peuples
Amazoniens. Mais surtout, que ce soit à travers le « désir de mort » perçu
par Jan Fabre chez les hommes comme les insectes, ou la capacité des
anges à aller et venir, dans un mouvement incessant, de l’invisible au
visible, la mort apparaît de façon troublante être un processus réversible.
L’art de l’assemblage et de l’ornement, en mélangeant le réel et
l’imaginaire, révèle alors une forme de processus qui pourrait changer
l’humain en ce que l’imago est à la larve d’insecte.
C’est de ce genre de métamorphose que traitent Cornelia, le Serpent à
plume bicéphale, et plus encore le Messager de Nuit (Grand Hibou).
Thomas Aquinas who wrote that angels lived in the time of “Ævum” (uninterrupted, never-ending time,
eternity), an eternal place, from which time and space come into existence, […] in which coming in and out of
existence are constantly repeated [by angels] […]. Filled with an eternally continuous transformation and
movement, [this time] can never have an end. That is “Ævum” in which there are an infinite number of angels
that fly about. Without a doubt, Jan Fabre’s angels […] live in “Ævum”. In that middle dimension, between
non-existence and existence, that is the special sphere of the angels, there is neither life, nor death.” in JFA p.
145, 146.
71
“That voyage cannot be other than something inherent within the human consciousness. [But], it is also a
voyage toward the outer world. Dante’s Divine Comedy is nothing if it is not a depiction of humankind’s
escape from the reality of the material world […]; the journey experimented in a time in which we can return
to the source of consciousness. While the space and forms in Dante’s world can be thought, in our modern
age, to have been destroyed, Fabre attempts to lead us […], through using the theme of angels, into an
indestructible space that he may […] be able to recreate.” in JFA p. 145, 146.
64
Illustration 44, FABRE Jan, Bruges 3004 (ange en os), 2002.
65
A l’issue de cette première partie, nous pouvons conclure sur les effets de
l’assemblage et de l’ornementation appliqués à des animaux naturalisés.
Dans un premier temps, les insectes de la Boîte à hybrides ont permis de
comprendre toute l’ambivalence du concept de métamorphose à l’époque
des recherches en génétique. Cette ambiguïté soulève la question du
rapport des hommes contemporains aux animaux dans les options qui
s’offrent à eux : soit ils persistent dans leurs tentatives de maîtriser le
monde qui les entoure par la science - les bêtes et leurs métamorphoses
en premier lieu - soit, à l’inverse et par un processus qui échappe à la
raison, ils osent s’abandonner à leur environnement. La première
possibilité correspond globalement à la situation actuelle en Occident, la
deuxième pourrait bien être une douce utopie.
Alors se dessine une troisième possibilité : composer un intermédiaire
entre ces deux extrêmes. Celui auquel je travaille n’est pas une
insinuation de la science dans l’art, mais plutôt, dans la lignée de Jan
Fabre 72 ou d’Art Orienté Objet 73, un souffle onirique sur notre pesante
rationalité. L’ornement s’est révélé être un outil particulièrement efficace
pour ce genre d’entreprise : il participe aux processus qui déstructurent,
tout en les unifiant dans une liesse enchantée, les peuples pratiquant le
Carnaval durant les jours gras ; les parures des Amérindiens d’Amazonie
sont quant à elles porteuses du « temps du mythe », mais aussi vectrices
des métamorphoses qui transforment les corps et les objets en véritables
« condensés symboliques ». Selon Michel Pastoureau, l’ornement
médiéval présente enfin une valeur symbolique équivalente, soit la
capacité de rassembler dans une troisième sphère les domaines du visible
et de l’invisible.
Aussi, l’assemblage et l’ornementation s’avèrent finalement bien plus
que deux techniques propices à faire coïncider la science, l’art, le réel et
l’imaginaire dans un ensemble de botched taxidermies tel que celui des
Insectes étranges. Lorsqu’ils se mélangent, de la même façon qu’ils
unissent des composants de parités, ces deux modes de constructions
symboliques s’amplifient mutuellement jusqu’à ouvrir sur quelque chose
de bien plus complexe que leur simple addition.
72
Mirta d’Argenzio considère la performance Concilience de Jan Fabre et Edward O. Wilson (un
entomologiste anglais) comme une tentative réussie de faire coïncider art et science. In D’ARGENZIO Mirta,
« The Ttwo-ways tactical movement of Jan Fabre », in JFA, p. 153, 156.
73
Voir interview de Marion Laval-Jeantet, Annexe I.
66
Les œuvres entomoformes de Jan Fabre sont un exemple parfait pour
comprendre ce que peut induire la fusion des deux pratiques plastiques :
lorsqu’elles s’expriment conjointement à travers les coléoptères
naturalisés dans la Pièce de viande ou leurs élytres dans le Bousier, elles
montrent la vie et la mort sous un angle aussi singulier que troublant pour
les Occidentaux que nous sommes. Force est de constater, grâce à
l’artiste belge, que concernant ces deux moments de l’existence les
images sont bien plus en expressivité que les mots… A moins que
comme Yuka Uematsu, nous ne décidions d’écrire en latin : l’Ævum est
cette sphère qui, par rapport au vivant, se trouve de l’autre coté de la
mort. La mort, enfin, est un passage vers l’Ævum qui pourrait ne pas être
irréversible. C’est du moins ce que semble percevoir la Japonaise dans le
« désir de mort » et le « vide de conscience » que Jan Fabre insuffle à ses
anges formés d’insectes.
Tous les travaux qui m’ont servi à interroger la démarche de cet artiste
n’ont assurément pas la même valeur. Il me semble qu’entre le Messager
des Rivières (perdrix), le Guerrier des Rivières et le Messager de Nuit
(Grand Hibou), ce soit la dernière pièce qui ait réussi à approcher, au
plus près, quelque chose de l’Ævum dans sa continuité avec le vivant. Ce
fait est peut-être dû au protocole de création de l’œuvre, mais j’aurais
aussi tendance à l’attribuer à une caractéristique assez marquée chez le
hibou des marais empaillé qui a servi de base à ce travail : quand leurs
yeux de verre sont particulièrement soignés, les taxidermies mélangent
étrangement les aspects du vivant à l’inerte.
Il faut souligner que cette vertu du cadavre en art est toute aussi
ambivalente aujourd’hui que peut l’être la notion de métamorphose :
quand Jan Fabre assemble des animaux pour montrer la mort comme un
passage, l’anatomiste Gunter Van Hagens dissèque les corps humains,
puis les pétrifie « entre la mort et la décomposition » 74 dans des résines
polymères : ses images présentent la mort comme un état définitif et
irrémédiable, sans point de fuite.
Tous les enjeux du rapport à l’Ævum semblent alors résider dans le
« voyage expérimental dans un temps permettant de revenir à la source
de la conscience ».
74
VAN HAGENS Gunther (dir.), Le monde du corps : expositions anatomiques de corps humains véritables,
Heidelberg, Art et Sciences, 2007.
67
68
PARTIE II
L’animal catalyseur de métamorphoses :
de dualismes en triades
69
Illustration 45, une toile organique en cours de réalisation (Vapeur en tête), mai 2004.
70
Illustration 46, Echographie Natale I, novembre 2006.
71
Le Triptyque perlé, le Vieux Piraï emplumé et le Poids du Monstre-plume
furent tous trois le fruit d’un long labeur. Ce sont les premières pièces à
avoir véritablement bénéficié de mes recherches en Master 1.
Sur le plan pratique, ces œuvres fusionnent les techniques d’assemblage
et d’ornementation de diverses manières. Elles s’inscrivent donc dans le
prolongement du travail des Insectes étranges, notamment en
superposant aux parités mises en évidence en première partie de mémoire
la grande majorité des dualismes occidentaux identifiés dans le projet de
détermination. Le Triptyque perlé traite de l’homme et de la femme, le
Vieux Piraï emplumé met en tension la Modernité et la tradition quand
enfin, le poids du Monstre-plume porte sur le corporel et le mental,
l’individu et son environnement… Il me paraît même fort possible que
ces pièces soient toutes potentiellement porteuses de ces multiples
couples, auxquels nous ne devons oublier d’ajouter l’art et la science, le
réel et l’imaginaire, la vie et l’Ævum.
A travers les chapitres de cette deuxième partie, nous allons pouvoir
remarquer que dans ces trois constructions symboliques, l’animal, sous
des formes différentes, est le vecteur des métamorphoses qui
transforment les dualités en triades. Cependant, du fait de leur complexité
grandissante, ces travaux ne seront analysés que dans leurs aspects les
plus à même de révéler les orientations de ma démarche artistique durant
les deux années de Master.
Le masculin, le féminin et l’animal du Triptyque perlé marquent le
passage de ma pratique de l’autoportrait à la représentation de « l’autre ».
Pour autant, nous constaterons que les problématiques qui sous-tendaient
les séries antérieures n’ont pas disparu de ce premier ensemble.
Les trois genres du triptyque rassemblent d’autre part, en les citant par les
perles, les différents passages que sont la naissance, la mort et les
processus de décomposition. Ils donnent donc sans doute à voir quelque
chose de l’ordre de l’Ævum, mais la figure qui naît de leur union fait
surtout appel à un autre domaine, intéressant parce qu’il n’est pas
rattaché à une culture précise : le chamanisme. Cette notion sera étudiée
sous différents angles tout au long du mémoire, et va se révéler être un
outil efficace à la réalisation de quelques-uns des objectifs de cette
deuxième partie.
72
Dans le cadre de la réflexion autour du Vieux Piraï emplumé, les
pratiques chamaniques permettront par exemple de souligner les
similitudes entre les systèmes rituels des peuples d’Amazonie, le rôle des
insectes dans la construction de leurs cosmogonies et enfin, mes
expériences de visions ou de perception d’une forme de continuité du
monde. La transe - ou l’extase - sera certainement la clef de la mise en
tension de ce système ; elle pourrait en outre constituer un modèle
potentiellement superposable au « voyage expérimental », cette idée
intrinsèque aux anges de Jan Fabre selon Yuka Uematsu.
Si ces deux schémas concordaient, alors les oppositions entre traditions
chrétiennes et animistes ne se poseraient plus seulement en termes de
géographie mais aussi d’histoire, et les problématiques du rapport à
l’animal seraient concentrées sur le Vieux Continent. Assurément, cette
nouvelle configuration inciterait à prolonger une partie du travail engagé
dans le projet de Master 1. Afin de comprendre notre rapport au monde, il
serait nécessaire de revenir sur les évolutions de la triade sacrée
bêtes/hommes/dieux à travers les civilisations qui se sont succédé en
Europe ou autour du Bassin Méditerranéen : les périodes préhistorique et
médiévale n’ont par exemple pas encore été traitées.
Le Poids du Monstre-Plume interroge enfin la Modernité dans son
rapport à l’environnement, et ce par le biais d’un jeu d’équilibre. Si elle
paraît enfantine, cette balance a peut-être le mérite de poser des questions
simples : les choses de la nature ont-elles un prix ? Notre équilibre n’estil pas lié à celui du monde qui nous entoure ? Qu’est-ce qu’un monstre ?
Pour cette dernière construction, les chamanismes permettront encore une
fois de prolonger l’analyse : ils fournissent un point de comparaison au
schéma occidental, générant un changement de point de vue, ouvrant
d’autres perspectives. La transe et les visions ont par exemple des
incidences directes sur le rapport à l’environnement des pratiquants du
Bwiti, comme nous pourrons le lire dans une interview accordée par
Marion Laval-Jeantet au magazine ANTENNÆ.
Aussi pourrons-nous peut-être conclure, à travers le Triptyque perlé, le
Vieux Piraï emplumé et le Poids du Monstre-plume, que les constructions
symboliques mêlant assemblage et ornementation sont des outils
plastiques potentiellement propices à ouvrir au monde.
73
Illustration 47, Triptyque Perlé, septembre 2008.
74
CHAPITRE IV
Le Triptyque Perlé :
Construction humaine par l’animal
hermaphrodite
75
En haut : illustration 48, détail de la Mère des Cascades, étape d’emperlage, septembre 2008. En bas :
illustration 49, crânes d’agneaux siamois, Galerie d’Anatomie Comparée du Jardin des Plantes, février 2007.
76
Le Triptyque Perlé (illustration 47) est constitué de travaux pouvant
fonctionner indépendamment les uns des autres : le Chemin des Larmes
III (Illustration 50), La Mère des Cascades (Illustration 52) et enfin A la
lie ! (Philtre d’animalité) (Illustration 55).
La réalisation de ces trois œuvres s’est étalée sur plus d’un an. Elle a
débuté à la fin de la dernière année de licence (en août 2007) avec le
Chemin des Larmes III et s’est achevée au début de la seconde année de
Master (en septembre 2008) lorsque les dernières perles ont été posées
sur la Mère des Cascades. De ce fait, le décryptage des pièces du
Triptyque Perlé va être l’occasion d’aborder avec précision la façon dont
les découvertes théoriques du Master 1 ont pu interagir avec ma pratique
artistique.
Dans le premier temps de ce chapitre, chacun des trois travaux sera décrit
et analysé indépendamment des autres constituants de l’ensemble, de
façon à ce que leurs différents thèmes puissent être dégagés. Le masculin
du masque, le féminin du buste, et l’animalité des crânes seront alors mis
en relation avec les voies de recherches développées dans le projet de
détermination, mais aussi avec des séries plastiques antérieures, comme
les Toiles Organiques (illustrations 45
et
51),
les Peintures
échographiques (illustrations 3, 5 et 46) et enfin, les photographies
retouchées des Galeries du Jardin des Plantes (illustrations 49).
Les champs sémantiques du Chemin des Larmes III, de la Mère des
Cascades et de A la lie ! (Philtre d’Animalité) seront ensuite entremêlés
de façon à ce que le Triptyque Perlé puisse être envisagé dans toute sa
complexité. Une attention particulière sera alors accordée à la valeur
plastique du mélange de perles qui fédère cette œuvre plurielle.
Les travaux de Danièle Vazeilles ou d’Odon Vallet nous permettront
enfin d’établir un parallèle entre le domaine du chamanisme et l’étrange
figure, mélangeant homme, femme, animal, vivant et mort que
composent les trois pans de cette œuvre composite.
Ce travail théorique, en offrant un cadre anthropologique au Triptyque
perlé, sera propice à une première appréhension de ce en quoi peut
consister l’étrange notion de « voyage expérimental » qui sous-tend cette
triade autant que ses constituants.
77
Le Chemin des Larmes III est un moulage partiel de mon visage.
L’autoportrait grimaçant est constitué de bandes plâtrées ayant été
cousues de perles, par endroits, à l’aide d’un fil de coton et d’une
aiguille fine.
Illustration 50, Chemin des Larmes III, août 2007.
Cette première empreinte en volumes date d’août 2007. Il est important
de noter qu’elle a marqué un tournant dans le travail de deuil que j’ai
engagé par l’art, un an plus tôt, à la suite du décès de mon jeune frère75.
Les peintures réalisées entre les mois de septembre 2006 et 2007 étaient
en effet souvent marquées d’une grande violence, de colère et de
désespoir : Hallali IV ou Sans Air76 (illustrations 5 et 3), deux toiles
travaillées rapidement et avec intensité, ont par exemple été de véritables
exutoires. Or, dans l’acte de sa création, le Chemin des Larmes III me
semble être le fruit d’un autre rapport au temps et à l’espace de création.
D’abord, la réalisation du moulage a impliqué de maintenir une grimace
exprimant la peine et les pleurs pendant un peu plus d’une demi-heure.
L’exercice s’est avéré relativement difficile - même sur une période de
pause aussi courte - et il m’aura fallu y investir une certaine dose de
calme et de concentration : plusieurs tentatives infructueuses ont été
nécessaires à l’obtention d’un résultat satisfaisant et donc exploitable.
75
76
Le moulage marque la fin de mon éveil aux choses de la mort en tant que passage. PT, p. 30 à 44.
Ces deux toiles de la série des Peintures échographiques ont été réalisées en février et septembre 2007.
78
Comme j’ai pu le remarquer par la suite, le travail des perles est propice à
entretenir et développer un certain état d’esprit : au contraire des gestes
amples et physiques des grands formats échographiques, l’emperlage du
masque de plâtre m’a demandé minutie, patience et précision. Ainsi, il
me semble que la fabrication de cette œuvre a eu des effets similaires à
ceux générés par Arbre en tête (illustration 51), le tableau de 2004 qui a
clôturé le douloureux travail des Toiles organiques en instaurant une
sensation durable de sérénité et d’accomplissement 77.
Illustration 51, Arbre en tête, juillet 2004.
Les perles du moulage partagent en effet quelques similitudes avec
l’acrylique argenté utilisé pour la toile : là où la peinture référait à
l’expérience de 2001 - qui m’avait donné à sentir une forme de continuité
entre mon corps et les arbres de la forêt équatoriale 78 - les perles
symbolisent les visions ressenties en mai 2007, concernant cette fois une
continuité entre mon intérieur et le monde des morts 79. Ainsi, tout comme
Arbre en tête, le Chemin des Larmes III représente la cristallisation d’une
expérience traumatisante une fois qu’elle a été surmontée.
77
PT, p. 17 à 22.
Cette expérience s’est déroulée durant la période où j’étudiais la faune sauvage de Guyane pour
l’association Kwata. A ce moment, je vivais seul dans la forêt pendant plusieurs semaines consécutives. Voir
PT p. 12 à 16.
79
Je considère que cet évènement a clôt mon travail de deuil. Voir PT p. 37 à 43.
78
79
Si le très personnel Chemin des Larmes III traitait initialement du chagrin
d’un homme endeuillé, la Mère des Cascades porte sur la grossesse, et
dès le début de son travail, la pièce a été envisagée comme un don : il
s’agit d’un cadeau de naissance. Ces déplacements dans les motivations
comme dans le sujet de l’acte créatif me semblent symptomatiques de la
façon dont ma problématique artistique s’est élargie, et ce dès le début du
Master. Les questions qui entouraient auparavant mon corps et ma propre
condition (notamment dans les Peintures Echographiques 80) ont alors
commencé à s’étendre aux autres, humains d’abord, animaux ensuite.
Illustration 52, Mère des Cascades, septembre 2008.
Pour la Mère des Cascades, c’est donc le moulage du buste d’une femme
enceinte qui a été emperlé, selon la méthode préalablement expérimentée
sur le Chemin des Larmes III. La séance de pose fut rapide : elle s’est
déroulée en une unique après-midi d’août 2007, quelques jours seulement
avant la naissance de l’enfant.
80
Cette série est principalement constituée d’autoportraits. PT p. 29 à 37 ; PdD p. 73 à 76 et p.88.
80
La couture des perles a par contre demandé beaucoup plus de temps,
d’abord parce que j’ai décidé de recouvrir la totalité du moulage de
bandes plâtrées81, ensuite en raison des difficultés d’ordre pratique
apparues au fur et à mesure que le travail avançait 82. Ainsi, cette étape
aura nécessité un peu plus d’une année de labeur : elle s’est étalée de la
prise d’empreinte jusqu’au début du mois de septembre 2008.
Illustration 53, détail de la Mère des Cascades, septembre 2008.
Si la Mère des Cascades est principalement couverte de perles blanches
(Illustration 48) on retrouve dans cette œuvre le mélange utilisé pour citer
l’eau salée des pleurs dans le Chemin des Larmes III : il est constitué des
perles bleues, pourpres et grises présentant des matités, des tonalités et
des opacités différentes (illustration 53) qui ont été enfilées, de manière
aléatoire, sur le fil de coton ayant servi à leur couture.
Que révèle cette même utilisation d’un composant plastique dans une
œuvre de deuil et une œuvre de grossesse ? Sans aucun doute la volonté
de connecter les passages que sont la mort et la naissance, mais aussi de
comprendre la nature d’une des deux sphères qu’ils connectent : celle qui
existe avant la venue au monde et après le décès, depuis identifiée par le
terme d’Ævum. Ainsi, dans le cas du buste féminin, il est moins question
de citer un fluide corporel que de travailler à une image de fluidité : ses
perles cherchent à appréhender le mystère de l’apparition du vivant, de
l’instant premier aux dernières heures de la maternité, tout comme dans
la peinture de 2006 : Echographie Natale I (illustration 46).
81
Au contraire du Chemin des Larmes III où les bandes plâtrées sont restées en grandes parties apparentes.
L’emperlage avançant, les bandes plâtrées percées en de multiples points par l’aiguille sont devenues aussi
souples qu’une feuille de papier. Il m’a donc fallu solidifier le moulage à plusieurs reprises afin que les
manipulations dont il faisait l’objet ne l’altèrent pas de manière irrémédiable.
82
81
Les Vieux Amants (illustration 54) ont été assemblés en mai 2008. Leurs
deux crânes m’ont été offerts par une amie qui les a trouvés côte-à-côte
dans une forêt du Vexin. Ils proviennent sans aucun doute de deux
individus d’une même espèce, peut-être des chats.
Illustration 54, Vieux Amants, mai 2008.
Pour créer cette pièce, les deux crânes ont étés collés l’un à l’autre, par
les arrêtes nasales et les orbites oculaires, puis partiellement couverts du
mélange de perles déjà utilisé dans le Chemin des Larmes III et la Mère
des Cascades. Plus tard, en août de la même année, ils ont été intégrés à
la composition de A la lie ! (Philtre d’Animalité).
Dans ce deuxième temps, j’ai restauré un ancien trophée oxydé - de ceux
qui se distribuent aujourd’hui encore dans toutes sortes de concours et de
compétitions - après l’avoir désolidarisé de son support de marbre 83. La
coupe de métal a ensuite été partiellement remplie du fond de plâtre dans
lequel sont emprisonnés les fils qui en débordent. Ces fils sont couverts
du même mélange de perles que les deux crânes et les autres pièces du
triptyque, mélange d’autre part versé dans le récipient jusqu'à ce qu’il soit
rempli presque complètement. Enfin, les Vieux Amants ont été posés en
haut de la coupe, sur cette couche minérale.
83
Le socle a été utilisé pour la Pipistrelle diamant, infra p. 27.
82
Illustration 55, A la lie ! (Philtre d’Animalité), août 2008.
Quel sens donner aux Vieux Amants ? Ce travail me semble à la fois
porter sur la putréfaction des corps par le moisi et les insectes 84 et sur
l’identité multiple des anomalies gémellaires tels les deux agneaux,
siamois par la tête, dont le crâne est visible à la Galerie d’Anatomie
Comparée du Jardin des Plantes (illustration 49).
Quelle valeur prend la pièce dans A la lie ! (Philtre d’animalité) ? Cette
« potion de sorcière » me semble sonner l’hallali d’un gibier bien
spécifique : l’individu humain. Les ossement perlés ont ainsi à voir avec
le parallèle qu’Elisabeth de Fontenay a tracé, par la relecture de Michel
Foucault, entre animalité et folie : « Les mots de Foucault semblent
s’offrir à un déplacement et à une reprise si convaincants qu’il serait
possible de citer certains passages décisifs de la préface en remplaçant
[…] les mots « fou » et « folie » par « animal » et « animalité ». […]
« Alors et alors seulement pourra apparaître le domaine où l’homme de
folie et l’homme de raison, se séparant, ne sont pas encore séparés et,
dans un langage très originaire, très frustre, bien plus matinal que celui de
la science, entame le dialogue de leur rupture, qui témoigne de façon
fugitive qu’ils se parlent encore. »85
84
Les perles sont en rapport avec le fourmillement magistralement mis en scène dans le film Zoo :
GREENAWAY Peter, Zoo (A Zed and Two Noughts). British Film Institute, 155’, 1985.
85
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique. Folie et déraison. Paris, Plon, 1961, in SdB p.
20.
83
Nous pouvons d’ores et déjà constater au sujet du Triptyque Perlé que ses
œuvres forment une image où les thèmes de l’animal et de l’humain, du
masculin et du féminin, de la naissance et du décès sont présents. Ainsi,
on retrouve dans cet ensemble les principaux dualismes problématisés
dans le projet de détermination, achevé deux semaines avant que les trois
travaux ne soient rapprochés86.
Dans cette composition, le masque de pleurs sort par exemple de son
contexte personnel tout en conservant une dimension masculine. Il me
semble alors avoir une relation forte avec le chapitre 4 du travail de
Master 1, portant sur les hommes modernes, la mort et les horreurs de la
guerre 87 ; et peut-être plus précisément, avec une sculpture de Wilhelm
Lehmbruck, L’homme effondré 88. Il pose en effet la question du rapport
actuel à la mort, à l’absence et à la douleur chez l’occidental de sexe
masculin. Le buste féminin est quant à lui plus en connexion avec le
travail du chapitre 6, dans lequel une attention particulière a été accordée
aux mutations du statut des femmes dans la seconde moitié du XXe
siècle, ainsi qu’à leurs influences sur la pensée postmoderne, qu’elles
concernent les sciences, la philosophie ou bien les arts. Il est aussi le
point d’achèvement des travaux sur la féminité rapidement analysés dans
le chapitre 989. Ce moulage perlé traite donc, à travers son image de
maternité, de la fécondité et des processus de la créativité féminine.
Ainsi, une fois le Chemin des Larmes III pendu au-dessus de la Mère des
Cascades, les deux fragments humains me semblent renvoyer aux
questions soulevées l’an passé par l’excessivité de notre système
patriarcal : « Pourquoi la fonction reproductrice du mâle a-t-elle déteint
sur son rapport au monde ? Les hommes sont-ils jaloux des femmes qui
ont physiologiquement le pouvoir de donner la vie ? Est-ce parce qu’elles
participent dans leurs ventres au cycle du vivant qu’elles sont soumises à
la domination masculine ? Est-ce pour cela, enfin, que les religions du
livre s’acharnent à amenuiser le rôle des femmes dans une mauvaise foi
manifeste ? » 90 Une interprétation du triptyque pourrait alors consister à
lire dans sa verticalité le système hiérarchique occidental qui n’a cessé,
86
La Mère des cascades a été achevée - et donc le Triptyque Perlé assemblé - deux semaines après le rendu de
mon projet de Master 1, début septembre 2008.
PdD, Chapitre 4, p. 35 à 42.
88
PdD p. 40.
89
PdD, Chapitre 6, p. 35 à 42 et Chapitre 9, p. 87 à 90.
90
PdD p. 89.
87
84
depuis l’Antiquité91, de donner le mâle adulte humain comme étant
supérieur à sa femelle et à l’animal.
Cependant, le mélange de perles incite à une deuxième lecture : il est
l’élément fédérateur qui rassemble, dans l’œuvre composite, les six
notions caractérisant nos trois couples duels. Quelle est donc cette entité
qui mélange homme, femme, animal, vivant et mort ? Voici ce qu’a écrit
Danièle Vazeilles au sujet du type d’individu qui caractérise une certaine
forme de cosmogonie : « Inspiré des dieux […] le chamane transgresse
les genres, les sexes et les barrières entre les espèces. Il est un être mihumain mi-animal, un homme femme, ou semble appartenir au tiers
sexe » 92.
Le Triptyque Perlé fait donc émerger la figure du chamane au sein de ma
problématique, ce qui illustre fort bien le fait que toutes les voies de
recherches sur lesquelles je me suis engagé m’ont récemment mené, de
différentes manières, aux portes d’un étrange domaine. Qu’est-ce que le
chamanisme ? Selon Frédéric Lenoir 93, ce terme désigne « diverses
sociétés religieuses traditionnelles qui s’inscrivent dans une conception
holiste et animiste du monde. L’être humain n’est pas conçu comme
radicalement séparé du cosmos et des autres êtres vivants. Il fait partie
intégrante de la nature et il n’existe pas de frontière étanche entre le
monde visible et le monde invisible peuplé de dieux et d’esprits. Certains
individus peuvent ainsi entrer en contact avec les entités supérieures et
les esprits des plantes, des arbres, des animaux. C’est surtout dans des
sociétés de chasseurs que se sont développés les rituels chamaniques. »
A quelles préoccupations répondent ces pratiques rituelles ? Selon Odon
Vallet, « les cultes premiers semblent manifester deux soucis principaux :
[…] : où vont les défunts ? D’où viennent les bébés ? » 94 Chez les peuples
chamaniques, le monde du rêve est une réalité qui se confond bien
souvent avec celui des morts95. Aussi, le chamane est généralement en
charge d’accueillir les âmes des nouveau nés et d’accompagner celles qui
quittent les corps pour l’au-delà 96. D’autre part, il est le dépositaire des
91
SdB, p. 97 à 101.
VAZEILLES Danièle, « Chasseur, guérisseur et devin » in Le Monde des religions, hors-série n°8 (LMR),
p.27. Paris, Groupe LA VIE-LE MONDE, juin 2008.
93
LMR p. 4.
94
VALLET Odon, « Aux origines des croyances et des rites »in LMR p. 6.
95
VAZEILLES Danièle, « Un continuum cosmique », « A la rencontre des esprits » in LMR, p. 21 à 23 et p.
28 à 30.
96
VAZEILLES Danièle, « A la rencontre des esprits » in LMR, p. 28 à 30.
92
85
rites de passages qui accompagnent l’ensemble des individus de sa
communauté97, tout au long de leur vie. Et enfin, le chamane peut
intervenir de manière plus globale en contactant les esprits animaux pour
que la chasse soit bonne, les éléments pour faire tomber la pluie, etc. En
contact avec les forces de la nature, il assure « le renouvellement des
ressources vitales » et protège des « aléas de la nature »98.
La figure du chamane est indéniablement le lien qui unit son groupe à la
fois aux défunts, aux esprits, aux ancêtres, aux animaux, aux végétaux et
aux éléments : il est donc le gardien d’une forme de continuité qui va audelà de notre simple conception du vivant, puisqu’elle concerne un
environnement si large qu’il englobe le monde matériel - jusqu’aux
astres99 - mais aussi le monde invisible…
Le Triptyque perlé peut ainsi être rapproché par ses perles d’une
cosmogonie d’autant plus capitale, dans le cadre de mes recherches,
qu’elle constitue le mode de perception du monde principalement
rencontré chez les « peuples premiers » régulièrement cités tout au long
du projet de détermination, du projet tuteuré ou enfin de la première
partie de ce mémoire… Selon Odon Vallet, « depuis le Paléolithique »,
les sociétés chamanistes animistes « se sont développées aussi bien en
Afrique, en Australie, en Amérique du Nord, en Asie qu’en Orient » et
« malgré la grande diversité de ses déclinaisons, le chamanismeanimisme se présente invariablement comme une religion de la nature. »
De plus, toujours d’après ce spécialiste de l’anthropologie religieuse,
« les religions premières » des « époques préhistoriques » auraient
présenté malgré leur diversité « quelques fortes analogies les distinguant
profondément
des
religions
ultérieures »,
mais
autorisant
un
rapprochement d’avec les cultes animistes actuels. Ainsi, s’il « faut se
garder de croire à une survivance à l’identique de l’ « homme primitif »
ou encore à une « foi unique » telle celle générée par la chrétienté 100, il
m’a semblé percevoir dans les propos des spécialistes du chamanisme la
forme de foi définie à la fin du projet de détermination101 : un rapport au
monde expérimenté par l’individu plutôt qu’imposé par le dogme.
97
LMR, p 5 à 34, p.38 à 43.
LAFITTE Serge, « L’homme, hôte de la nature » in LMR, p. 11.
99
Supra partie III.
100
VALLET Odon, « Aux origines des croyances et des rites » in LMR.
101
PdD, Chapitre 8 p. 77 à 86.
98
86
Tout au long de ce chapitre, l’analyse du Triptyque Perlé aura permis de
replacer le travail de Master 1 à la fois en aval des réflexions passées et
en amont des productions de Master 2.
Ainsi, le Chemin des Larmes III est en rapport avec la Toile Organique
nommée Arbre en Tête, l’acte de surmonter un traumatisme et les
bénéfices de cette procédure pour la création 102. En clôturant le travail de
deuil débuté en septembre 2006, cette œuvre a marqué l’ouverture de ma
pratique artistique : la Mère des Cascades est l’aboutissement d’une
émergence, celle de la créativité féminine à travers les Peintures
Echographiques ; les Vieux Amants comptent quant à eux parmi mes
premiers assemblages de fragments animaux ornés.
Dans le Triptyque Perlé, les références, les thèmes et les problématiques
intrinsèques à chacune de ces trois œuvres s’entrelacent jusqu’à se
confondre dans une construction symbolique aux caractéristiques
indistinctes : la naissance se mêle à la mort, l’humain à l’animal, le
masculin au féminin, et ce par l’intermédiaire des perles dont la fonction
ornementale est capitale. Inspirées du waï-waï ou des Pee Women de Kiki
Smith (illustration 56) elles sont l’élément de fluidité, de continuité qui a
permis l’apparition d’une figure présentant les confusions de genre,
d’espèce et d’état propres à celle du chamane.
Ainsi, le triptyque concentre trois des dualités occidentales autour
desquelles s’est construit le projet de détermination, et renvoie à la
réflexion simultanée sur la foi et le rapport au monde qui y fut faite :
animalité et féminité pourraient rééquilibrer le système patriarcal
moderne et pallier son rapport prédateur au monde103. Tout comme le
travail théorique de Master 1, l’œuvre plurielle compose alors l’image
d’un remède aux maux des mâles occidentaux, en ouvrant vers une des
découvertes du Master 2 : les systèmes chamaniques des « peuples
premiers ». Nous allons maintenant nous attacher à mettre en évidence,
par le biais du Vieux Piraï emplumé, les liens existant entre ces systèmes
et les expériences de visions.
102
Daniel Danétis a expliqué à ses étudiants que selon lui : « l’artiste est celui qui s’est montré capable de
mener un deuil positif » (« La pensée visuelle à l’œuvre dans les processus de création plastique », deuxième
semestre 2009.
103
Quelles sont les origines de cette approche masculine, dominatrice à l’encontre de l’environnement ? Il me
faudra ultérieurement lever cette interrogation. Sans doute devrais-je m’intéresser aux possibilités de relations
liant Eros et Thanatos, dans les schémas freudiens (Au-delà du principe de plaisir, 1919), ceux définis par
Odon Vallet (LMR, p. 9) ou encore à travers l’image du dard chez les peuples d’Amazonie in CESARD,
Nicolas, « Supplices d’insectes en Amazonie indigène », in Insectes, n°136, p. 3 à 6. Paris, INRA/OPIE, 2005.
87
En haut : illustration 56, Kiki SMITH, Untitled III (Upside-DownBody with Beads), 1993. En bas : illustration
57, waï-waï de Yakapine, Antécume Pata, 2007.
88
Illustration 58, Titan ondulé, détail de la queue, mai 2008.
89
Illustration 59, Vieux Piraï emplumé, recto, décembre 2008.
90
CHAPITRE V
Le Vieux Piraï emplumé :
construction sociale par l’animalité des
traditions animistes
91
Illustration 60, Vieux Piraï emplumé, verso, décembre 2008.
92
A l’instar des perles du Triptyque Perlé, les plumes du Vieux Piraï
emplumé ont été travaillées en adaptant les méthodes que m’ont
enseignées depuis quelques années mes amis wayanas de Guyane, Aïku
et Yakapine Alemine, ainsi que certains des membres de leur famille 104.
Aujourd’hui encore, ils utilisent entre autres ces éléments, en association
avec le coton105, pour composer certains des accessoires usités lors d’une
cérémonie très importante à leurs yeux, le Maraké. Le waï-waï
(illustration 57) est par exemple un cache-sexe aux motifs traditionnels
tissés de perles dont la Mère des Cascades est en partie inspirée ; le
kunana couvert de plumes (illustrations 65) propose le modèle technique
à partir duquel le Vieux Piraï emplumé a été construit.
L’analyse de cette deuxième œuvre va permettre, dans ce chapitre,
d’approfondir les correspondances entre mon cheminement artistique, les
problématiques qui se sont affinées tout au long de mon parcours
universitaire et surtout les apprentissages tirés des expériences vers
lesquelles m’ont mené Yakapine, Aïku et enfin le père de ce dernier,
Lipo Lipo. Il me semble en effet regrettable de n’avoir jusqu’à
maintenant cité mes relations avec ces quelques personnes que de
manière anecdotique, car c’est en grande partie sur les réalités auxquelles
elles m’ont donné accès que se fondent mon travail plastique comme mes
orientations théoriques.
La description du Vieux Piraï emplumé va donc être le support d’une
réflexion autour du rapport à l’animal des wayanas, qui par
l’intermédiaire des recherches de Nicolas Césard s’étendra ensuite à la
place de l’insecte dans les traditions amazoniennes. Nous pourrons alors
très certainement établir un parallèle entre le « temps du mythe » cité par
Beatriz Perrone-Moisès au sujet des peuples indigènes du Brésil et le
« temps de l’Ævum » que génèrent, selon Yuka Uematsu, les œuvres de
Jan Fabre.
L’intérêt porté aux cultures chamanistes animistes nous mènera, enfin, à
questionner le Vieux Piraï emplumé dans ce qu’il porte de deux
cosmogonies contradictoires, celle engendrée par les systèmes rituels
chamaniques et celle des occidentaux modernes.
104
Yakapine et son mari Aïku m’ont en quelque sorte intégré à leur famille par un lien de fraternité.
Mais aussi des graines (panacoco), des écorces comme celle du mao cigare ou des plantes tinctoriales tels
le roucou (Bixa orellana) et le génipa (Genipa americana).
105
93
Tout comme le Triptyque Perlé, le Vieux Piraï emplumé a été réalisé en
plusieurs étapes.
Illustration 61, le Vieux Piraï après restauration, juin 2008.
Le poisson qui a servi de base à cette pièce est originaire d’Amazonie.
Il s’agit d’un piranha naturalisé106 offert par un cousin au début du mois
de juin 2008, en même temps que le rapace nocturne de la Vieille
Chouette Emperlée 107. L’une comme l’autre de ces deux taxidermies
ayant été réalisées il y a plus de quarante-cinq ans, il m’a fallu
commencer leur travail par une phase de restauration. Cette première
approche de l’animal naturalisé, lorsque je le transforme, peut paraître
anecdotique ; cependant elle m’est indispensable dans le sens où elle
permet une acclimatation à la bête, une sorte d’apprivoisement
réciproque propice à l’entrée de l’acte de création dans le domaine des
contes et des légendes.
Une fois restauré, le poisson a été partiellement recouvert de plumes de
deux perruches ondulées (Melopsittacus undulatus) : un mâle vert et
jaune, une femelle bleue et violette. J’ai plumé ces oiseaux avant de
préparer leurs ossements afin de pouvoir les utiliser pour d’autres
œuvres 108.
106
Cet individu pêché aux alentours de Belém, au Brésil, est très certainement un spécimen séché de l’espèce
Serrasalmus nattereri. Le nom générique donné en Guyane à ce poisson est « piraï ». J’ai choisi cette
appellation en référence aux wayanas qui utilisent ce terme lorsqu’ils parlent français.
107
Cette pièce n’est toujours pas achevée. PdD, p. 91.
108
Le Titan ondulé (illustration 16) porte les ailes et les plumes du mâle. Le Monstre-plume (Illustration 71)
présente un des crânes et deux pattes, ainsi que des plumes du mâle et de la femelle, d’autre part utilisées pour
certains des Insectes étranges (chapitres I et II).
94
La phase d’emplumage (Illustration 62) a été l’occasion d’un jeu
d’équivalences entre l’anatomie du poisson et celle des oiseaux :
l’agencement naturel des rectrices de la perruche femelle 109 a été par
exemple inversé sur le piraï, de façon à ce qu’elles prennent finalement
la forme d’une queue de poisson. Les rémiges primaires 110 du même
oiseau ont d’autre part servi à la traduction des nageoires ventrales et
dorsales de la taxidermie en ailes.
Illustration 62, emplumage du Vieux Piraï, juin 2008.
Ensuite, les différentes sortes de plumes du ventre, du dos, de la tête ou
bien des couvertures allaires des deux perruches ont été organisées en
surfaces soulignant par endroit les branchies, le contour de l’œil, etc. A
l’issue de ce travail de plusieurs jours, le Vieux Piraï était totalement
recouvert sur son flan droit (à l’exception de l’œil), le gauche n’ayant
fait l’objet d’aucune autre modification que le dégraissage et le
dépoussiérage de la phase de restauration (Illustration 63).
109
110
L’illustration 58 présente cet agencement naturel, reproduit avec les plumes du mâle pour le Titan ondulé.
Les rémiges primaires sont les longues plumes du bout des ailes.
95
Illustration 63, Vieux Piraï emplumé, face sans plume, juin 2008.
96
Quelques mois plus tard, après avoir travaillé aux finitions du Triptyque
Perlé, j’ai commencé à réfléchir sur la façon dont pourrait être achevé
le Vieux Piraï emplumé : jusqu’en novembre 2008, la taxidermie était
fichée sur un pic de bois brut, lui-même fixé sur le couvercle d’une
boîte en bambou, et je dois avouer que ces deux éléments végétaux me
paraissaient alors désespérément vides de sens…
Finalement, l’œuvre a été aboutie en décembre de la même année : j’ai
décidé de recouvrir le pic supportant le poisson à plumes de gouache
dorée, de même qu’une quarantaine de fourmis légionnaires111
prélevées, tuées et séchées en forêt lors d’un séjour de 2007 en Guyane.
Ces insectes « dorés » ont été déposés au fond de la boîte en bambou,
sur un lit de coton sauvage récolté dans l’abattis de Yakapine 112 en
2008, à coté du village d’Antécume Pata (Illustration 64). Enfin, un
bracelet traditionnel wayana, tissé de perles la même année, a été
enroulé autour de la boîte et agrémenté de quelques plumes vertes de
perruche ondulée (illustrations 59 et 60). Les motifs bleus de ce bijou
représentent plusieurs des divinités du peuple amérindien, dont la
chenille venimeuse, seul motif visible dans sa totalité en illustration 59.
Illustration 64, intérieur et extérieur de la boîte du Vieux Piraï emplumé, décembre 2008.
111
Probablement du genre Eciton peut-être de l’espèce burchellii.
Comme tous les gens du village, Aïku et Yakapine pratiquent l’agriculture sur brûlis : l’« abattis » est le
nom que porte la zone de forêt défrichée sur laquelle ils cultivent notamment le manioc.
112
97
L’analyse du Vieux Piraï emplumé génère une cascade de questions…
D’abord, comment interpréter sa figure partiellement hybride, dont on
ne saurait vraiment dire s’il s’agit d’un poisson ou d’un oiseau ? Elle est
sans aucun doute à mettre en relation avec l’analyse du thème de la
métamorphose chez Ovide, faite par Elisabeth de Fontenay, dans Le
silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité 113. Or, dans
ce cas comme pour les Insectes étranges, les références de mon image
de métamorphose sont principalement amazoniennes 114. Sans doute estce dû au fait que le Vieux Piraï emplumé interroge le Maraké 115, un rite
initiatique pratiqué par les wayanas de Guyane et du Brésil : la
taxidermie couverte de plumes sur une de ses faces est ornée à la façon
d’un kunana (Illustration 65). L’ajout ultérieur des fourmis, du coton et
du bracelet pose d’autant plus de questions sur cet objet.
Illustration 65, Kunana en forme de poisson, photographié à Macapá (Brésil) en 2007.
Les kunanas sont des vanneries végétales en formes d’animaux ou de
figures divines comme celles du bracelet intégré au Vieux Piraï
emplumé. Ces tressages sont entièrement parés de plumes et de coton, à
l’exception d’un carré ou d’un rectangle central dans les interstices
duquel des guêpes ou des fourmis venimeuses sont fixées par la taille.
Dans les traditions wayana ou aparaï, ces objets entrent en scène à la fin
du Maraké : la natte est alors appliquée sur le corps des initiés de façon
à ce que les insectes qui y sont piégés puissent les piquer.
113
PdD, Chapitre 2, p. 13 à 22.
A l’exception de la boîte, du pic et des plumes : les deux perruches ondulées appartenaient à une espèce
provenant d’Australie.
115
Une description du grand Maraké, ainsi qu’une grande partie du Kalao – le chant mythique des origines
selon les wayanas, récité pendant plusieurs jours, qui accompagne les étapes de cette complexe cérémonie – se
trouve dans CHAPUIS Jean, RIVIERE Hervé, Wayana eitoponpë, Cayenne, Ibis Rouge, 2005.
114
98
Ainsi on retrouve, dans le traitement de surface et les fourmis du Vieux
Piraï emplumé, les questionnements autour de la peau, de la piqûre et
des pratiques initiatiques qui sous-tendent mon travail depuis la
licence : concernant l’expérience forestière de 2001, j’avais par
exemple souligné dans le projet tuteuré la présence de mycoses, de
champignons et de piqûres de moustiques sur ma peau. J’ai récemment
retrouvé mes carnets de l’époque, et me suis aperçu que la veille de cet
événement, je m’étais fait attaquer par des « mouches à feu »116.
Toujours dans le projet tuteuré, j’avais abordé les hallucinations causées
par une rickettsiose117, de même que les propos d’Aïku suite à la piqûre
d’une raie de rivière, en 2005118. J’avais ensuite identifié l’inoculation
de virus par vaccination comme l’évènement déclencheur de la crise de
visions de 2007 119. Ces intuitions ont enfin été problématisées avec plus
de précision dans le projet de détermination 120 ; et il me semble que le
Vieux Piraï emplumé synthétise l’ensemble de ces questionnements : il
porte à la fois sur les insectes, la métamorphose, le Maraké wayana et
mes expérimentations cutanées.
Comment justifier ces connexions multiples ? Pour ce qui concerne les
trois premiers points, l’ethnologie apporte de précieux éclaircissements.
Au sujet des piqûres douloureuses dans les pratiques rituelles sudaméricaines, Nicolas Césard explique : « L’usage de […] kunanas en
forme d’animaux est associé aux qualités imparties à l’animal : des
fourmis […] insérées de part et d’autre d’une petite pièce de vannerie
de la forme d’un crapaud et figurant l’agilité, sont passées sur […] des
jeunes filles pubères qui, à leur tour, deviennent appliquées et diligentes
dans leurs activités ». « Ces épreuves […] stimulent le système nerveux
et aiguisent les sens, notamment des hommes à la chasse. » Claudius
Henricus de Goeje (1943) « en conclut que les fourmis et les guêpes
[…] permettent d’incorporer l’esprit de l’animal représenté de la même
façon que les hommes et les femmes au cours des cérémonies font
pénétrer
en
eux
l’instinct
des
insectes ».
Walter
Edmund
Roth « souligne en parallèle l’animisme des croyances et des pratiques
116
En Guyane, les « mouches à feu » sont de petites guêpes très craintes par les forestiers, car territoriales,
agressives et très discrètes. Lorsqu’un intrus est identifié, l’ensemble de la ruche l’attaque et le pique.
117
La maladie a été contractée par l’intermédiaire d’une tique de cheval durant l’enfance. Voir PT, p. 41.
118
Lors de cette expérience, je n’ai ressenti que de la douleur. Je suppose que la morphine administrée par
l’infirmier du dispensaire a annihilé les effets qu’aurait pu avoir le venin de poisson. Voir PT, p. 41.
119
Infra p. 78, PT, p. 37 à 41 ; PdD, p. 75.
120
PdD, p. 69 à 76.
99
des Guyanes, en particulier l’idée que les animaux comme les êtres
humains sont capables de parler et d’agir par leur esprit, reliquat des
temps mythologiques où les hommes et les animaux vivaient ensemble
et dans l’unité. » Ainsi, « l’usage d’insectes […] peut être mis en
relation avec la théorie de l’animisme revisitée par Philippe Descola,
qui est la généralisation du constat […] que les Amazoniens tendent à
conférer des propriétés sociales et le statut de personne à l’ensemble des
êtres animés […]. Il faut en effet, pour comprendre les concepts
Amazoniens, dépasser la dichotomie entre la nature et la culture de
l’Occident moderne, entre les choses de l’âme et celles du corps, et voir
dans les systèmes animiques un mode d’identification dans lesquels les
humains imputent aux non-humains, animaux, plantes ou esprits, une
même essence tout en leur reconnaissant une apparence, une forme
différentes. Le point culminant de ces relations entre humains et nonhumains est le changement d’apparence. […] Cette capacité de
métamorphose trouve son expression dans des échanges permanents
d’apparence, où les esprits des morts prennent forme animale et les
humains se retrouvent par inadvertance transformés en animaux, ou
encore lorsqu’un animal incorpore la forme d’un autre animal. »121
Je ne saurai mieux expliquer les liens noués par le Vieux Piraï emplumé
entre les insectes, la métamorphose selon Elisabeth de Fontenay et les
pratiques rituelles des ethnies amazoniennes. Est-il alors possible de
connecter théoriquement cet ensemble à mes expériences de visions ?
Répondre à cette question implique de reprendre les grandes lignes des
traditions chamaniques, et plus précisément sur la métamorphose selon
les chamanes, qui « prétendent voyager dans les autres mondes […] hors
de leur corps (expériences de décorporation) » et « affirment posséder des
pouvoirs pour […] se transformer en animaux, en végétaux. »122
Comment interpréter ces images poétiques ? Quels sont les pouvoirs
métamorphiques capables de déclencher un tel état de « décorporation » ?
Mircéa Eliade a écrit sur « les techniques archaïques de l’extase »123 ;
quant à Jean Clottes, il préfère le terme de « transe » pour émettre ses
121
CESARD, Nicolas, « Supplices d’insectes en Amazonie indigène », in Insectes, n°136, p. 3 à 6. Paris,
INRA/OPIE, 2005.
122
LMR p. 24.
123
ELIADE Mircea, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase. Paris, Payot, 2007 (première
édition en 1957).
100
hypothèses concernant les pratiques rituelles potentielles des chasseurs de
la Préhistoire124. La transe est un « état de conscience altérée » qui se
caractérise globalement par « des hallucinations qui peuvent toucher tous
les sens : la vue, le toucher, l’ouïe, etc. » Il peut être déclenché par divers
facteurs dont « l’absorption de drogues psychotropes, la déprivation
sensorielle, l’isolement social prolongé, la douleur intense ou bien la
danse exténuante accompagnée d’un type de musique particulier » 125.
Mes diverses expériences de perception de la continuité du monde
s’apparenteraient-elles alors aux visions générées par la transe ? Je peux
maintenant argumenter ce qui n’était qu’intuitions à l’issue de la
troisième année de licence. D’abord, il me faut rappeler que l’expérience
qui a débuté le 16 mai 2007 fit suite à toute une initiation au domaine du
rêve et des morts par les wayanas, membres d’une ethnie amérindienne
constituée de chasseurs nomades126 : il s’agit donc d’un peuple de
tradition chamanique. Malheureusement, en Guyane, la sédentarisation
récente dont ils ont fait l’objet127 ainsi que leur introduction au sein de
notre système économique 128 ont récemment commencé à entraîner des
mutations culturelles considérables. Avec la mort du dernier grand
chamane il y a cinq ans, Moloko, certains des savoirs nécessaires au
déroulement de rites initiatiques tels que le Maraké ont par exemple été
perdus… Cette perte est d’autant plus dommageable que la cérémonie, en
initiant tous les wayanas à la transe par le biais du venin d’insectes, fait
de chaque individu de la communauté un visionnaire 129.
Je dois ensuite poser que Yakapine et Aïku 130 ont pris en charge les
funérailles de mon jeune frère décédé en 2006, puis ont accompagné sa
famille sur le chemin du deuil. C’est donc dans ce cadre que s’est
déroulée mon initiation au domaine du rêve et des morts, dont la crise
sensorielle de mai 2007 constitue pour moi le premier aboutissement,
dans le sens où elle m’a offert la vision d’une continuité du monde.
Comment définir cette crise déclenchée par une série de vaccins ? Il me
124
CLOTTES Jean, LEWIS-WILLIAMS David, Les chamanes de la Préhistoire (CP). Londrai, La maison des
roches, mars 2007.
125
CP p. 16.
126
Définition supra Chapitre VII. Je précise que l’agriculture telle que la pratiquent les wayanas est itinérante.
127
Elle remonte à une ou deux générations en général. Lipo Lipo, le père d’Aïku, a fuit les ethnocides
perpétués en Amazonie brésilienne dans les années 1960. Il a participé à fonder le village d’Antécume Pata.
128
Par le biais du RMI notamment.
129
Les visionnaires pratiquent régulièrement les visions, sans pour autant cumuler les multiples fonctions du
chamane (médecin, prêtre, chef spirituel, etc.). in LMR, p. 29.
130
Yakapine Alemine est conteuse et fille du chamane Moloko. Aïku est le petit fils d’un chamane qui semble
avoir été célèbre dans les Tumucumaques brésiliens et a transmis ses savoirs à Lipo Lipo.
101
semble que les vagues de frissons ressenties plusieurs jours durant, ainsi
que les hallucinations visuelles retranscrites dans la série des dessins
automatiques
(illustrations
66
à
68)
présentent
certaines
des
caractéristiques de la transe, que ce soit dans les récits des chamanes euxmêmes ou bien les modèles établis par les neurosciences 131. J’avance
donc l’hypothèse que mes diverses expérimentations étaient une forme
d’extase ou de transe, sans doute de stade 1 ou 2 si je me réfère au
modèle de David Lewis-Williams et Thomas Dowson 132.
Comment, enfin, ce vécu a-t-il été inscrit dans le Vieux Piraï emplumé ?
Sans doute par la façon dont l’œuvre se réfère à la Modernité. Ma
version du Kunana est une botched taxidermy , concept défini par Steve
Baker comme l’outil de prédilection des artistes et des philosophes qui
opposent au « plaisir dans la confusion des frontières [entre hommes et
bêtes] la responsabilité de leur construction » 133. Elisabeth de Fontenay
a consacré Le silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de
l’animalité à décrypter cette érection frontalière qui n’a cessé de se
fortifier, depuis l’Antiquité, à travers les développements du
christianisme, des thèses mécanistes, etc. 134 L’une des conséquences de
ce fondement occidental, le « canonique principe d'individualisation qui
nous fait sujets séparés, maîtres de l'extériorité et de notre intériorité »135
me semble pouvoir être perçue dans le fait que les fourmis, vecteurs de
métamorphoses en Amazonie, sont réduites dans mon œuvre à quelques
cadavres dorés et enfermés à l’intérieur d’une boîte.
Ainsi, le Vieux Piraï emplumé met en tensions le schéma moderne des
occidentaux d’aujourd’hui avec celui des cultures à chamanes,
notamment celles d’Amazonie, plus particulièrement celle des wayanas.
Il est, de plus, porteur de l’idée selon laquelle ces peuples exotiques
détiendraient les remèdes secrets à la chronicité de nos maux,
prolongeant ainsi les hypothèses plastiques du Triptyque Perlé.
131
CP, p. 11 à 41.
CP p.16 à 20.
133
PmA p. 151, 152.
134
Supra, chapitre VIII.
135
SdB p. 29 à 32.
132
102
Ainsi, le Vieux Piraï emplumé est une œuvre qui synthétise l’ensemble de
mes problématiques tournant autour de l’animal tel qu’il existe dans les
sociétés amazoniennes. Il invite à réfléchir de concert les fonctions de la
piqûre d’insecte dans leurs pratiques chamaniques, le thème de la transe
et celui de la métamorphose.
Pour ce qui concerne mes propres expériences, cette réflexion s’est
avérée fructueuse en cela qu’elle m’a fourni un modèle permettant de
mieux comprendre la nature des évènements hors-norme qui ont ponctué
mon existence comme ma démarche artistique. Mais le Vieux Piraï
emplumé me semble surtout avoir le mérite de mettre les systèmes
animistes de communautés - comme celle des wayanas - en relation avec
le modèle occidental, tel qu’il a été questionné sur le plan théorique au
cours du projet de détermination, ou encore sur le plan plastique dans le
troisième chapitre de ce mémoire. Croisons les théories de Beatriz
Perrone-Moisès sur la fonction des parures amérindiennes 136, celles de
Nicolas Césard et enfin les idées de Yuka Uematsu, et tentons
d’interpréter deux flagrants niveaux de similitudes.
Les insectes de Jan Fabre partagent avec ceux des peuples indigènes du
Brésil une capacité à transformer les corps qu’ils parent. Aussi, l’Ævum
apparaît-il être possiblement la forme médiévale du temps immémorial
ou de ce qu’Elisabeth de Fontenay appelle le « temps du mythe » 137.
De ce fait, le « voyage expérimental dans un temps permettant de revenir
à la source de la conscience » que perçoit Yuka Uematsu dans les anges
de l’artiste belge s’inscrit dans un lien de parenté avec les notions de
transe et d’extase. Ce phénomène qui « ne peut être que quelque chose
d'inhérent à l'intérieur de la conscience humaine » mais qui est « aussi un
voyage vers le monde extérieur » ressemble en effet fort à la
« décorporation » que décrivent les chamanes.
Le Vieux Piraï permet donc simultanément de questionner les rapports de
l’humain aux bêtes par le biais de la transe chamanique et de replacer les
travaux animaux dans le cours de ma démarche plastique. Notons enfin
que cette construction symbolique mélange assemblage et ornementation,
tout en reprenant par les plumes du couple de perruches le dualisme de
genre du Triptyque perlé.
136
137
Infra p. 40.
Supra, chapitre VIII.
103
Illustration 66 et 67, dessins automatiques n° 1 et 36, stylo sur papier, 21x29.7 cm, mai et juin 2007.
104
Illustration 68, dessin automatique (la lumière à travers un vitrail de la Basilique de Saint Denis), stylo sur
papier, 21x29.7 cm, 19 mai 2007.
105
Illustration 69, le Poids du Monstre-plume, étape de réalisation, octobre 2008.
106
CHAPITRE VI
Le Poids du Monstre-plume :
construction du corps par le mental et
l’environnement
107
Le Poids du Monstre-plume n’échappe pas à la règle des œuvres traitées
dans le cadre de cette deuxième partie : ce travail composite a été réalisé
en plusieurs fois et sur une longue période, au point que l’ultime étape de
son ornementation ne soit toujours pas achevée. Si, en dépit de ce fait,
j’ai fait le choix de consacrer le sixième chapitre du présent mémoire à
l’analyse de cette pièce, c’est parce qu’elle s’inscrit dans le prolongement
du Triptyque perlé et du Vieux Piraï emplumé.
Le Monstre-plume est « un précieux hybride mortifère » mélangeant des
inspirations exotique et médiévale, une image de métamorphose ornée
des plumes du même couple de perruches que le poisson séché du
chapitre précédent. Cette petite figure avienne n’est qu’une des quatre
parties du Poids du Monstre-plume, qui présente d’autre part une balance
faite d’ossements, de dards de poissons venimeux et de marbre, ainsi que
deux plateaux en matières végétales. Dans cet ensemble plus que dans
tout autre travail, l’assemblage et l’ornementation se superposent et
s’entremêlent sur plusieurs niveaux.
Que ce soit à travers ses fragments d’oiseaux, ses ossements de
mammifères, la calebasse, le coton, l’or, la pierre ou encore les perles, le
Poids du Monstre-plume est constitué d’éléments qu’il partage avec
plusieurs autres travaux : les Insectes étranges, le Titan ondulé, Cornelia,
le Guerrier des Rivières, la Vieille Chouette emperlée, Madame Paillée
ou enfin le Crâne. Aussi, en portant un peu de chacune de ces recherches
plastiques, la construction symbolique multiple soulève des ensembles
problématiques pouvant se résumer en deux questions : de quelle manière
un individu se construit-il ? Notre équilibre est-il lié à celui du monde qui
nous entoure ?
Dans cette analyse, encore une fois, l’ethnologie s’avèrera être une
discipline riche en enseignements : à travers les recherches de Joëlle
Rostkowski, nous pourrons commencer à comprendre en quoi la
cosmogonie des peuples à chamanes peut influer sur leur rapport à la
nature et à ses ressources. Marion Laval-Jeantet, ethnopsychiatre et
artiste du duo Art Orienté Objet, nous éclairera enfin sur la façon dont la
transe peut créer et modeler des liens entre les initiés du Bwiti et leur
environnement, tout en ouvrant sur les capacités de l’art à mettre en
images ce genre de processus.
108
L’idée du Monstre-plume (illustration 70) est née de la forme d’une dent
ramassée durant l’hiver 2007 à la Pointe de la Liberté, une plage proche
de Cayenne dont l’orientation semble propice à ce que marées et courants
concentrent sur son sable de nombreux ossements 138. La dent oblongue et
notamment ses trois racines - une large et deux étroites - m’ont en effet
rappelé les volumes du tronc, du croupion et des cuisses d’un oiseau.
Illustration 70 : Monstre-plume, en cours de réalisation, juillet 2008.
En juillet 2008, j’ai pu remarquer que la correspondance formelle entre
cette dent et la morphologie avienne était compatible, en proportions,
avec les os des perruches fraichement sacrifiées pour le Vieux Piraï
emplumé. Ce constat a lancé le travail d’assemblage du Monstre-plume :
le crâne de l’oiseau femelle a été couvert d’une feuille d’or 12 carats
avant d’être fixé sur le plateau de la dent ; j’ai ensuite collé les tarsométatarses et les phalanges 139 du mâle au bout des deux racines étroites,
puis agencé des plumes provenant des deux membres du couple sur la
racine large pour figurer la queue. Pour ce qui concerne les ailes, mon
choix s’est rapidement porté sur celles d’un mâle de titan (Titanus
giganteus) 140. L’hybride ainsi obtenu (illustrations 71 et 75) a enfin été
orné d’autres plumes de perruches, d’une griffe de corneille noire 141 ainsi
que de perles bleues, d’autre part enfilées sur trois fils de coton.
138
La dent ayant été ramassée sur une plage, je ne sais rien de l’animal dont elle provient, à part qu’il s’agit
d’un ruminant.
139
Ces os correspondent à la partie dénudée des pattes d’un oiseau.
140
Le corps de cet insecte m’a permis de créer le Titan ondulé, infra p. 20.
141
Elle agrémente l’arrête du bec. Le corps de la corneille a servi à la création de Cornelia, infra p. 53.
109
Ces fils perlés servent à ce que le Monstre-plume puisse être suspendu :
ils sont enroulés autour de la queue et des ailes par une de leurs
extrémités, les autres étant rassemblées au-dessus du point de gravité de
la pièce par une longueur supplémentaire qui se termine en boucle.
Illustration 71, Monstre-plume, juillet 2008.
Le Poids du Monstre-plume comporte trois autres éléments. Leur
réalisation s’est pour l’instant étalée de septembre 2008 à février 2009 :
-
J’ai récolté les ossements du premier objet en 2007 et 2008, dans
un bois du Vexin ou sur les plages de Guyane. Ils sont soit imbriqués les
uns dans les autres, soit collés, soit liés avec du fil de coton. La balance
(illustration 72) est donc une construction squelettique, articulée en trois
parties. Le pied est un socle de marbre surmonté d’une tête de fémur et de
ce qui pourrait bien être une phalange de chevreuil (Capreolus
capreolus). Le point d’articulation est constitué d’une vertèbre et d’une
épine dorsale de machoiran142. Deux épines caudales, une mâchoire de
chevreuil et deux fémurs de lapins de garenne (Oryctolagus cuniculus)
forment enfin le balancier, mobile, qui a la particularité de présenter trois
points d’équilibrage : un à l’avant, un à droite, un à gauche.
L’ensemble est prévu à l’ornementation, mais cette étape implique que je
répare d’abord l’articulation qui a rompu lors d’un récent choc… Cet
accident aura finalement été bénéfique puisqu’il va me permettre de
rendre la balance démontable, ce qui facilitera sans doute ses éventuels
transports ultérieurs.
142
Les machoirans sont des poissons de l’ordre des Siluriformes. Communs sur le littoral guyanais, ils sont
particulièrement craints pour les piqûres qu’ils peuvent affliger avec les aiguillons de leurs nageoires. Les
fragments utilisés pour le Poids du Monstre-plume ayant été ramassés sur la plage, je ne suis pas certain de
leur origine : probablement Hexanematichthys proops ou Arius parkeri.
110
Illustration 72, le Poids du Monstre-plume, détail du balancier sans plateau, octobre 2008.
-
Le plateau qui se fixe à l’avant du balancier par un réseau de fils
perlés (illustration 73) est une petite calebasse d’Antécume Pata remplie
de coton. Son rôle est de recueillir des otolithes sagittae de machoirans,
prélevées par paires à l’arrière des boîtes crâniennes ramassées sur la
Pointe de la Liberté.
-
J’ai enfin fabriqué le plateau de droite (illustration 73) en cousant
entre elles des feuilles mortes, récoltées partiellement décomposées sous
des plans d’ibiscus près de Cayenne en 2008. Le lit de coton posé au fond
de ce sac est prévu pour recevoir de petites pièces de monnaie.
Illustration 73, un des deux plateaux du Poids du Monstre-plume, décembre 2008.
111
Le jour éventuel de son exposition, le Poids du Monstre-plume invitera à
un jeu dont le but sera de mettre la balance en équilibre. Pour ce faire, les
joueurs devront trouver la façon de compenser le poids fixe du Monstreplume en remplissant les deux plateaux ; leur premier objectif sera de
placer dans la calebasse la quantité d’otolithes sagittae permettant de
débloquer les mouvements du balancier.
Les otolithes ne sont pas des os, mais des concrétions minérales. Chez
certains poissons, elles forment trois paires dont la sagitta est la plus
importante en volume. Toutes se développent au cours de la croissance
de leur propriétaire, portant en elles les traces de son histoire 143. Pour les
machoirans comme chez les mammifères, les otolithes fonctionnent avec
l’attraction terrestre : elles servent à percevoir l’orientation spatiale du
corps et par conséquent au maintien de son équilibre, qu’il se déplace ou
non. Chez l’humain, ces cristaux ont par exemple été étudiés dans la
station MIR, entre 1998 et 1999, pour comprendre le mal de l’espace 144.
Le jeu du premier plateau soulève donc la question du rapport à
l’environnement en termes d’équilibre, mais aussi et partiellement à tort,
de la façon dont le corps d’un individu communique avec son extérieur :
en Guyane circule une idée fausse, selon laquelle les otolithes permettent
aux poissons de communiquer entre eux145.
Illustration 74 : récolte d’ossements et d’otolithes (en haut à droite) de décembre 2007.
143
Un peu comme la tranche d’un tronc donne des informations sur un arbre.
Dans l’espace, l’apesanteur affecte le système otolithique qui se trouve dans l’oreille interne. Son
dysfonctionnement entraîne des troubles de l’équilibre, des nausées, des vertiges, etc.
145
Les otolithes sont donc une mauvaise image pour le langage des bêtes selon Elisabeth de Fontenay, PdD
Supra chapitre VIII.
144
112
Une fois qu’ils auront réussi à débloquer le balancier, les joueurs devront
poser dans le sac de feuilles la quantité de pièces dont le poids sera
équivalent à celui du Monstre-Plume. Ainsi, la balance atteindra
l’équilibre et l’hybride donnera l’impression de flotter dans les airs… La
monnaie nécessaire à cette finalité est minime, car le Monstre-plume ne
pèse que quelques dizaines de grammes : sept centimes d’euros
suffisaient avant que la balance ne casse.
Que gagne-t-on au jeu de Poids du Monstre-plume ? La vision d’un
équilibre entre l’euro de notre système marchand et une figure hybride.
Que symbolise cette figure ? Tout comme le Crâne (illustration 4) avec
lequel elle partage certaines caractéristiques 146, cette pièce me semble être
une citation de « l’animal total » plotinien, image que j’associe à l’idée
de continuité du vivant, elle-même indissociable de la notion de
métamorphose selon Elisabeth de Fontenay. Tout comme le poisson du
Vieux Piraï emplumé, le monstre soulève donc la problématique du
rapport à l’environnement dans la globalité de sa conception chamanique.
Mais la faible valeur pécuniaire de ce « poids-plume » soumet aussi une
hypothèse à partir de laquelle l’équilibre entre capitalisme et écologie,
dans nos sociétés contemporaines, ne saurait être résumée à une question
de moyens financiers : les otolithes mènent à réfléchir l’environnement
par le biais du corps - et réciproquement, l’intérieur par le biais de
l’extérieur - quand enfin les dards de machoirans ramènent, une fois
encore, à la question du venin animal.
Le Poids du Monstre-plume confronte donc les modèles traditionnel et
moderne dans leurs interactions à l’environnement, et l’ethnologie se
pose à nouveau comme la discipline propice à une analyse plus
approfondie de l’œuvre.
Les recherches de Joëlle Rostkowski permettent par exemple de
comprendre les effets possibles du chamanisme sur la façon dont les
ethnies des Plaines d’Amérique du Nord conçoivent la gestion des
ressources naturelles : « Les Amérindiens placent la notion d’harmonie
cosmique au cœur de leurs systèmes religieux. Il importe de maintenir un
équilibre entre ce qui est pris et ce qui est donné, afin de ne pas perturber
146
Le Crâne et le Poids du Monstre-plume sont des assemblages de fragments animaux et végétaux (poissons,
oiseaux, mammifères, plantes, etc.) de provenances multiples (Amazonie, Europe, etc.). De plus, les deux
œuvres mettent en jeu la notion d’équilibre.
113
l’équilibre du monde. Dans cette perspective, aucune plante et aucun
animal ne doit être détruit sans raison. Car les animaux, les végétaux et
même la matière sont animés d’esprits qui interviennent dans le destin de
l’homme. Les anciens indiens étaient conscients qu’ils encouraient de
grands risques en violant les grands principes édictés par l’éthique de la
réciprocité. Aujourd’hui encore, les prophéties des traditionalistes hopis
mettent en garde contre d’éventuelles catastrophes que pourrait entraîner
la surexploitation des ressources naturelles. » 147
Comment se construit cette forme d’écologie ? Lors de notre récent
entretien pour le prochain numéro d’ANTENNÆ 148, Marion Laval-Jeantet
du duo Art Orienté Objet s’est exprimée sur cette question à travers ses
connaissances du Bwiti : « Aujourd’hui, le Bwiti est un des rares rites qui
essaie de transformer l’homme en s’appuyant sur la nature. Ce rite
consiste à avaler un bois psychotrope très fort (iboga) qui est censé
amener sur le seuil de la mort. Le Bwiti se pratiquant sur le territoire
africain et en forêt, il met en général dans un état de perception de
l’environnement qui est très particulier. […] Il y a beaucoup de pratiques
de cet ordre - tous les rites d’obédience chamanique : […] il s’agit de
s’attaquer à l’homme en le plongeant dans un écosystème. »
La cosmogonie engendrée par le Bwiti « est un rapport au monde
complexe. Ceux qui vont au bout du rite et arrivent au seuil de la mort
vont communiquer avec tout un monde invisible, de la plante à l’animal
d’à-coté jusqu’aux morts […]. Dans le Bwiti les natures humaines,
animales ou végétales sont indifférenciées. L’essentiel est alors la notion
d’âme : à partir du moment où il y a incarnation possible en l’homme il y
a incarnation possible en la nature, qu’elle soit végétale ou animale. On
est donc dans un système qui ne crée pas de discrimination de genre ou
d’espèce. […] Hélas tous ceux qui passent par le Bwiti n’ont pas les
mêmes éveils, certains n’accèdent pas à une perception aigüe de
l’environnement. Ceux qui en ont une sont révoltés par l’état de
souffrance de la nature : la première chose qu’ils entendent, c’est la tuerie
autour des forêts… A titre personnel, je dirais que le Bwiti a confirmé ma
147
ROSTKOWSKI, Joëlle, « La nature, une fête menacée » in LMR, p. 35 à 37.
ANTENNÆ (http://www.antennae.org.uk/) est un webzine anglophone sur la nature dans les arts plastiques
dont le rédacteur en chef, Giovanni ALLOI, est professeur à l’Université Queen Mary de Londres et membre
de la Tate Galery. Le numéro de juin portera sur « l’art et l’environnement », l’interview de Marion LavalJeantet du 29 avril 2009 y sera intégrée.
148
114
conviction en une importance majeure de la biodiversité. J’ai eu
l’impression que l’appauvrissement de l’environnement animal et végétal
était une très grave erreur, comme s’il nous manquait des capacités
thérapeutiques pour survivre en tant qu’humain, comme si tout était lié,
comme si le moindre écrasement de cette biodiversité avait un impact sur
nous : une modification génétique, un maillon cassé dans la chaîne… Sur
un plan mystique, le Bwiti m’a convaincu qu’il y a une raison à tout type
d’existence humaine, nous ne sommes là ni pour en juger ni pour essayer
d’aplanir le tout vers une sorte de normalité. Tout type d’atteinte à une
dimension de la biodiversité (humaine, biologique, des écosystèmes) me
semblait tragique depuis très longtemps… Mais cette conviction s’est
encore aggravée après le Bwiti ! » 149
L’expérimentation directe de ce rite par l’ethnopsychiatre nous éclaire
ainsi sur la façon dont les transes des rituels chamaniques peuvent
impliquer
une conscience écologique particulière chez certains
individus : là où les injections de venins rendent aux Amazoniens la
capacité mythologique de parler avec les animaux par l’esprit 150,
l’ingestion d’iboga ouvre les oreilles des initiés aux lamentations
forestières. Ainsi, les objets de leur empathie ne se restreignent ni aux
hommes, ni même aux animaux, ni même au vivant qui intègre les
plantes151, et il semblerait que c’est la notion même d’altérité qui
s’effondre sous les effets des rituels chamaniques.
Nous pouvons alors nous demander ce qui se passerait, en France
métropolitaine par exemple, si une frange significative de la population
accédait à ce genre de communion 152 avec ses paysages. Que diraient nos
maigres forêts, nos rivières polluées, nos marais asséchés, notre faune
amoindrie ? Quel serait d’abord le moyen de générer cette situation ?
Marion Laval-Jeantet a pensé nécessaire de préciser au sujet de son
initiation au Bwiti : « Une autre chose me semble importante : je n’étais
pas sûre jusque-là du lien très fort qu’il pouvait y avoir entre les notions
d’art et de thérapie. Je suis depuis certaine que les œuvres ont une
149
Ce texte est la transcription résumée de l’interview du 29 avril 2009. Il est accessible dans son intégralité en
Annexe I ; la version anglaise sera publiée dans le numéro 9 d’ANTENNÆ, fin juin 2009.
150
Supra page 98, 99.
151
Selon Marion Laval-Jeantet, certains initiés du Bwiti s’identifient à un fragment d’océan, écouter
l’interview complète, fichier AOO1 du DVD.
152
Dans ce rapport à l’environnement, il y a sans doute un lien avec le mystérieux « langage des bêtes »
d’Elisabeth de Fontenay. Cependant, au fur et à mesure qu’avancent mes recherches, j’aurais tendance à
préférer le terme de « communion » à ceux de « communication » ou de « langage ».
115
dimension thérapeutique pour la société. La conscience qu’un artiste peut
avoir de son environnement - et qu’il peut retranscrire - amène aussi les
gens qui le regardent à se poser des questions supplémentaires. Et c’est
salvateur. »
Enfin, elle a terminé sur les liens entre ses recherches en ethnopsychiatrie
autour du Bwiti et sa pratique artistique : « En fait, je ne dissocie jamais
la création de la recherche. Les découvertes que je fais en temps
qu’ethnologue vont par exemple sortir d’une manière artistique
particulière : Bwiti Turning est une pièce qui reprend le premier principe
de l’hypnose thérapeutique au XVIIIe siècle, à partir de lanternes
magiques, avec une musique Bwiti retravaillée et l’image volontairement
choisie d’un groupe initiatique du Bwiti. […] C’est une œuvre
fonctionnelle à hypnotiser qui m’est apparue dans le rite, et qui ellemême a une fonction rituelle possible : dans la réalité elle fonctionne
assez bien puisqu’elle peut mettre dans des états de méditation ou de
modification de conscience assez profonds. »
Sur ce point, le rôle de l’artiste apparaît dans toute la complexité de ses
liaisons avec le domaine chamanique. Quelle est la place de l’art dans ce
système ? Michel Perrin, ethnologue et directeur de recherche au CNRS,
a proposé son point de vue dans Le Monde des Religions : « le chamane
donne lieu à une production artistique, qui n’est pas uniquement
symbolique, mais active : pour le chamane, ces œuvres d’art sont des
médiateurs entre le monde des hommes et le monde des dieux. » En
d’autres termes, « les chamanes reçoivent de l’autre monde des
révélations pour […] donner forme et pouvoir » 153 à leurs objets.
Ainsi, le Poids du Monstre-plume me semble être le signe que mon
travail s’est engagé petit à petit dans une voie proche de celle dessinée
par le couple d’Art Orienté Objet. A mon humble échelle, cet assemblage
orné synthétise et offre en partage les incidences de mes quelques
expérimentations sur mon rapport à l’environnement. Cependant, un des
objectifs ultérieurs au Master se dessine à la fin de cette analyse : associer
au symbolisme de mes objets animaux une valeur active qui a peut-être
existé dans des séries antérieures.
153
PERRIN Michel, « Le médium esthétique », in LMR, p. 40 à 43.
116
Illustration 75, le Monstre-plume, prises de vues en extérieur, juillet 2008.
117
A l’issue de cette partie se dégage la façon dont trois des constructions
symboliques achevées durant la seconde année de Master ont prolongé,
ouvert et étendu mon travail plastique. Les œuvres qui viennent d’être
abordées ont permis non seulement de replacer les recherches de ces deux
dernières années dans la continuité des séries qui avaient été réalisées
auparavant, mais aussi de comprendre de quelles manières l’ensemble de
mes productions ont pu me mener vers les domaines de la transe et du
chamanisme.
Le Triptyque perlé fait émerger la figure hermaphrodite du chamane au
cœur de mes problématiques concernant les interactions entre l’humain et
l’animal. Le Chemin des Larmes III, la Mère des Cascades et A la lie !
(Philtre d’Animalité) mettent en questions les dualités entre hommes et
bêtes, mâle et femelle, masculin et féminin dans les sociétés occidentales.
L’œuvre composite traite enfin de la naissance et de la mort d’une façon
proche de celle des anges que crée Jan Fabre. Sans doute donne-t-elle
donc à voir quelque chose de la notion d’Ævum ou du terme plus large
des « temps mythiques ».
Le Vieux Piraï emplumé amène à réfléchir les effets des systèmes rituels
que pratiquent les peuples Amazoniens sur leurs modes de vie et
interroge les vertus de la transe, dans la construction de l’individu comme
dans celle de sa société. L’œuvre met de plus en image le fait que, dans
notre Modernité, les bêtes telles que les conçoivent par exemple les
wayanas ont presque totalement disparu des institutions.
Le Poids du Monstre-plume propose enfin un angle de vue sur
l’environnement qui se trouve aux antipodes de celui par lequel nous
l’envisageons globalement aujourd’hui. Aussi pose-t-il un constat qui
incite à repenser notre façon de gérer les ressources naturelles, la faune et
la flore : si les hommes peuvent détruire ce qui les entoure, ce qui les
entoure peut aussi les construire. En d’autres termes, tout comme
l’humain et finalement chaque chose de notre monde, l’animal est à la
fois d’une extrême fragilité et d’une grande puissance. Cette idée n’est
certes pas perceptible dans les photographies de mes travaux, cependant,
elle s’exprime clairement dans le fait qu’ils sont presque tous hautement
cassables : les Insectes étranges, Cornelia, ou encore la balance du Poids
du Monstre-plume rompent au moindre choc.
118
Aux multiples dualismes transformés en triades par le biais de l’animal
s’ajoutent, dans ces trois assemblages ornés, ceux dégagés par l’étude des
travaux de la première partie : le réel et l’imaginaire, la vie et l’Ævum,
l’art et la science. Les ornements de perles, de plumes, d’or ou de
matières végétales donnent aux chimères du Triptyque perlé, du Vieux
Piraï emplumé et du Poids du Monstre-plume toute leur dimension
onirique, imaginaire : ces pièces sont des images de métamorphoses au
sens mythologique du terme. De plus, les crânes, le poisson séché, les
fourmis dorées, les ailes de titan, les os d’oiseaux, de poissons ou de
mammifères, font de ces trois pièces des botched taxidermies oscillant
étrangement entre le vivant et le non vivant 154.
Qu’en est-il enfin de l’art et de la science ? Marion Laval-Jeantet et
Michel Perrin s’accordent sur les liens existant entre l’art et les pratiques
chamaniques. Chacun d’eux a de plus souligné les vertus thérapeutiques
des états de conscience modifiés155 ; et si la transe est un remède potentiel
à certains maux dans les médecines des peuples à chamanes, leurs
pharmacopées sont aussi basées sur des savoirs qui en Occident tiennent
du domaine de la science. Mais l’esthétique et la botanique ne sont pas
les deux seules disciplines maitrisées par le chamane selon Michel
Perrin : « oniromancie, divination, accompagnement des morts dans l’audelà […], en lui, convergent toujours des qualités que notre culture sépare
mais qu’inconsciemment, nous souhaiterions réunies : celle de prêtre,
médecin, devin, savant et artiste ». Il me semble y avoir, dans ce cumul
de fonctions, de quoi occuper une mouvance artistique puis
interdisciplinaire sur plusieurs générations !
Le chamanisme s’avère finalement aussi fécond en perspectives de travail
qu’il l’a été dans les réflexions de cette seconde partie. Pourtant je n’ai
véritablement découvert cette notion anthropologique que bien après
avoir achevé les trois œuvres de cette deuxième partie. Les analyses qui
viennent d’en être faites sont donc teintées d’un certain anachronisme : si
en octobre 2009, l’Ævum m’avait déjà lancé sur les traces des pratiques
sorcières, le chamanisme ne s’est insinué dans mes recherches qu’à partir
des Animaux Stellaires, l’ensemble des travaux qui vont être le sujet des
derniers chapitres de ce mémoire.
154
155
Le Triptyque perlé n’est une botched taxidermy qu’à travers les Vieux amants.
PERRIN Michel, « une conception bipolaire de l’homme et du monde », LMR, p. 20
119
Illustration 76, Malade 2, montage numérique d’un dessin automatique sur photographie, mars 2009.
120
Illustration 77, Monsieur Bouquetin (Eric), montage numérique d’un dessin automatique sur photographie,
mars 2009.
121
122
PARTIE III
L’animal porteur de savoirs :
protocole d’ensauvagement par les
étoiles
123
Illustration 78, GOETGHELUCK Pascal, Grotte de Lascaux II, fresque de la salle des taureaux,
photographie numérique, 2007.
124
Illustration 79, Miadem ad rue, isnomed egal repme, photographie numérique, mars 2007.
125
La grande majorité des travaux réalisés durant l’année 2008 illustrent
mon penchant manifeste pour le monde sauvage. J’avais clos mon
projet tuteuré en exprimant l’envie de travailler sur du gibier ou encore
les poissons d’une pêche, ce à quoi furent consacrées les deux années
de Master : mis à part quatre oiseaux et quelques ossements156, presque
toutes les bêtes mises en œuvre depuis le Crâne ont vécu dans leurs
milieux naturels. Cette récurrence plastique a guidé mon travail
théorique vers les peuples de chasseurs.
Au mois de décembre 2008, bon nombre de mes travaux animaux
convergeaient vers un domaine qui transparaissait, d’autre part, au travers
de mes recherches théoriques sous différentes nominations. Par leurs
sources d’inspiration variées, les Insectes étranges, le Triptyque perlé ou
le Vieux Piraï emplumé renvoyaient soit au « temps de l’Ævum » que
Yuka Uematsu a perçu dans les œuvres entomoformes de Jan Fabre, soit
aux « temps immémoriaux » des peuples Amazoniens étudiés par Beatriz
Perrone-Moisès, soit au « temps du mythe » qu’Elisabeth de Fontenay
cite, au sujet des Métamorphoses d’Ovide, dans Le silence des bête, la
philosophie à l’épreuve de l’animalité. Il fut d’abord troublant de
constater que les schémas traditionnels des peuples de l’Amérique du Sud
contemporaine, de l’Antiquité grecque et de l’Europe médiévale
concordaient sur cette dimension enchantée : les oppositions entre la
chrétienté occidentale et les systèmes animistes ne pouvaient alors plus
être seulement posées en termes de géographie, et tout un travail restait à
faire en termes d’histoire. De par ce constat, mes recherches sur les
rapports de l’homme à l’animal se sont concentrées sur le Vieux
Continent.
Les Animaux Stellaires - des taxidermies ornées de clous et de fils
perlés - se trouvent à la croisée de ces deux faisceaux problématiques.
Les sept pièces me semblent être de bonnes images de la façon dont je
fonctionne en pensées : mes idées sont comme leurs clous, chacune est
reliée à plusieurs autres par un fil réflexif et toutes forment un réseau
qui se tient uniquement dans son ensemble. C’est donc à partir de cette
série que je vous propose de reprendre l’enchaînement théorique par
laquelle le chamanisme a émergé de mes problématiques de recherche.
156
Les couples de diamants mandarins et de perruches ondulées, des os de lapins et de poules. Infra chapitre I.
126
Les Animaux Stellaires ont été réalisés en réaction à une théorie de
Chantal Jègues-Wolkiewiez : d’après l’ethno-astronome, les humains de
la Préhistoire connaissaient les astres et s’inspiraient de leurs savoirs
astronomiques pour créer des peintures rupestres. Travailler sur cette
hypothèse se révéla bénéfique sur de nombreux points. En confrontant
les méthodes de création de deux temps, la Préhistoire et la Modernité,
les Animaux Stellaires ont lancé les interrogations sur les schémas
d’interactions entre art et science, réel et imaginaire qui ont été
développés dans le chapitre I du mémoire ; ils ont de plus imbriqué aux
réflexions de ces dualismes celle du sauvage et du domestique, tout en
creusant du côté de la triade sacrée hommes/bêtes/dieux, auparavant
étudiée par l’intermédiaire d’Elisabeth de Fontenay. Ces recherches sur
la chasse et l’élevage ont permis de préciser le travail de Master 1, qui
consista en partie à dégager les mutations du statut animal, de la Grèce
Antique à aujourd’hui, grâce aux réflexions de la philosophe française.
Dans un deuxième temps, j’ai choisi de prolonger cet axe d’étude en
croisant les parcours artistiques d’Oleg Kulik et de Joseph Beuys avec
les théories d’Elisabeth de Fontenay et de Steve Baker. Ces multiples
rapprochements m’ont servi à repenser la recherche artistique de
« l’animal postmoderne » caractérisée par le philosophe anglais en
termes de familiarité : les problématiques du chapitre III, concernant le
vivant et le non-vivant, sont nées de cette mise en relation. Chacun à sa
manière, ces quatre acteurs de l’après-guerre m’ont incité à ouvrir le
champ de mes réflexions sur le domaine des pratiques chamaniques.
A l’issue de cette rétrospective, nous débuterons l’analyse approfondie
des Animaux Stellaires ainsi que des deux séries qu’ils ont engendrées :
les Histoires Naturelles et la Métamorphose de Monsieur Dame Daim.
Au fur et à mesure de ce travail, nous pourrons comprendre de quelle
manière chacun des thèmes et des problématiques de ce mémoire ont pu
émerger des Animaux Stellaires ; car c’est à travers le décryptage de
cette série que l’ensemble de ma recherche a pris tout le sens qui lui a
été donné au cours des réflexions antérieures à ce chapitre. Enfin, nous
tenterons de comprendre l’influence d’une intrusion consentie : celle de
la figure du chamane dans mon récent travail photographique.
127
Illustration 80, Constellation de la Fouine, octobre 2008, détail.
128
CHAPITRE VII
L’art des étoiles de l’ère de la chasse à
celle de l’élevage
129
En haut : illustration 81, Constellation sans perle, mars 2009. En bas : illustration 82, Masque stellaire de
Monsieur Dame Daim, avril 2009.
130
Les Animaux Stellaires partagent des caractéristiques avec bon nombre
des pièces abordées dans les premières parties de ce mémoire,
notamment le fait de ne comporter que des animaux morts, sauvages et
ornés. Cependant, la série se distingue par au moins trois singularités.
D’abord les bêtes qu’elle présente sont exclusivement issues de la faune
sauvage européenne d’aujourd’hui. Ensuite, les Animaux Stellaires ont
tous été créés à partir de mammifères et d’oiseaux dont je suis certain
qu’ils ont été tués à la chasse 157. Enfin, la série n’est composée que de
spécimens empaillés conformément à la tradition occidentale : pour
chaque pièce, un individu unique a été naturalisé partiellement ou
totalement par un taxidermiste professionnel ; les sept travaux ne
comportent donc aucune forme hybride ou composite.
Les Animaux Stellaires ont été réalisés en réaction à une théorie de
Chantal Jègues-Wolkiewiez : selon l’ethno-astronome, les peintures
zoomorphes de la Salle des Taureaux, dans la Grotte de Lascaux,
correspondraient à une carte de la voûte céleste. Les réflexions de ce
septième chapitre vont donc plonger le cours du présent mémoire dans
la Préhistoire de notre Vieux Continent.
L’analyse de la série taxidermique va nous permettre d’approfondir
plusieurs des problématiques abordés au cours des deux parties
précédentes. Dans un premier temps, les Animaux Stellaires nous
mèneront à comparer les sociétés Solutréennes et modernes dans les
interactions entre arts, sciences, le réel et l’imaginaire ; mais aussi dans
leurs rapports aux animaux. Sur ce deuxième point, une divergence
apparaîtra de manière évidente : les premiers furent chasseurs, les
seconds sont éleveurs. Afin d’étudier les processus qui ont pu mener les
Européens d’un mode de prédation à l’autre, nous nous appuierons sur la
paléontologie pour comprendre les impacts de la domestication naissante
chez les peuples du Néolithique. Ainsi pourrons-nous prolonger le travail
de
Master
1
concernant
les
évolutions
de
la
triade
sacrée
bêtes/hommes/dieux à travers les communautés humaines qui se sont
succédé autour du Bassin Méditerranéen.
L’enjeu de ce chapitre sera donc d’identifier la triade Solutréenne, et
enfin de la replacer chronologiquement en amont de la triade grecque.
157
Le Petit Renard Étoilé est une exception à cette règle mais nous verrons bientôt qu’il s’agit d’un cas
plastique à part dans la série des Animaux Stellaires.
131
Les Animaux Stellaires sont une série de botched taxidermies dont le
travail a débuté en octobre 2008. Sept pièces constituent pour l’instant
les effectifs de cette horde grandissante : la Constellation de la Fouine
(illustration 80) ainsi que celles du Sanglier, du Marcassin (illustration
83), de la Pie et du Renard, forment le sous-groupe des Animaux
Constellations. La Constellation sans perle (Faisan) et enfin le Petit
Renard Etoilé complètent ce premier ensemble. 158
Illustration 83, Constellation du Marcassin avant et après le travail plastique, février 2009.
Pour chacune de ces pièces, le réceptacle du travail plastique est un
animal naturalisé issu de la faune sauvage européenne, soit reçu en don,
soit acheté par le biais d’un site Web : une fouine d’Europe (Martes
foina), un renard roux d’Europe adulte ainsi qu’un renardeau (Vulpes
vulpes), un sanglier d’Europe adulte et un marcassin (Sus scrofa), une
pie bavarde (Pica pica) et enfin, un faisan de Colchide (Phasianus
colchicus).
158
Les Animaux stellaires sont illustrés en annexes II.
132
Les Animaux Constellations ont tous été réalisés en suivant un unique
protocole. D’abord, chaque pièce a été criblée de clous de trois à cinq
tailles différentes. L’illustration 84 présente la façon dont ils furent
répartis sur la Constellation du Renard. D’abord, de petites pointes ont
été posées autour des yeux, des oreilles et du museau de la taxidermie.
A la périphérie de la surface que ces pointes recouvraient fut
superposée celle occupée par des clous de taille supérieure, une
opération répétée plusieurs fois, jusqu’à ce que le corps soit parsemé
des deux longueurs les plus importantes. Les corps du renard et de la
fouine présentent une densité de clous plus faible que leurs têtes.
Sur la Constellation du Marcassin, un alignement de grandes pointes
part du front de l’animal et suit l’emplacement supposé de sa colonne
vertébrale. Des alignements plus discrets peuvent se retrouver sur
d’autres Animaux stellaires, souvent dans un axe qui parcourt la tête du
museau - ou du bec - au sommet du crâne, tout en passant entre les deux
yeux ; c’est le cas pour la pie, le faisan, le sanglier et le renard adultes.
Illustration 84, Constellation du Renard après la pose des clous, octobre 2008.
Pour réaliser l’étape suivante, plusieurs sortes de perles de rocaille ou
de plastique ont été sélectionnées selon différents critères : taille, forme,
couleur, opacité, et enfin matité. En règle générale, le choix des perles
est effectué en fonction des caractéristiques du pelage ou du plumage
des bêtes empaillées : pour la Constellation de la Pie par exemple, le
133
mélange utilisé comprend beaucoup de perles iridescentes aux reflets
bleus ou verts, mais aussi plus de perles sombres que de perles claires.
Pour la Constellation du Renard, le choix des teintes s’est porté sur des
roux et des bruns, avec une forte proportion de perles translucides
(illustration 85).
Illustration 85, perles des Constellation de la Pie et du Renard, détail d’Animal-Médecine I, janvier 2009.
Pour chaque Animal Constellation, les perles ont été enfilées de
manière aléatoire sur un fil de coton, à l’aide d’une aiguille fine, et
enfin ce fil perlé a été tendu entre les têtes des clous, créant ainsi une
sorte de réseau qui épouse plus ou moins les formes de l’animal traité.
Illustration 86, la Constellation du Sanglier en cours d’emperlage, détail, octobre 2008.
Lorsqu’il est associé à des alignements de grands clous comme pour la
Constellation du Marcassin, ce réseau peut modifier les contours
initiaux de l’animal constellé.
134
La Constellation sans perle (faisan) est le fruit d’un travail similaire à
celui des pièces précédemment évoquées, à la différence que ce cas ne
présente aucune perle (illustrations 81 et 87).
Illustration 87, Constellation sans perle (faisan), détail, mars 2009.
Le Petit Renard Etoilé (illustration 88) est un Animal stellaire, mais ce
n’est pas un Animal Constellation : il ne comporte ni perles, ni fil, ni
pointe. Les clous ont été remplacés par une seule sorte d’épingles de
couturière ; de même, une unique sorte de sequins a été substituée aux
perles. Leur aspect est métallique, doré et iridescent.
Dans ce travail il n’y a donc pas de fil, pourtant l’effet de réseau des
Animaux Constellations est présent : il a été traduit. Pour reprendre le
système des clous, des épingles supportant chacune un sequin ont été
plantées à différentes hauteurs, créant ainsi différentes strates qui
épousent les formes de la taxidermie. Dans le cas de ce renardeau
empaillé, le recouvrement est partiel, avec des zones d’interruption au
niveau du train avant.
A l’issue de ces descriptions, les opérations plastiques appliquées aux
différents Animaux stellaires apparaissent comme une procédure qui
serait l’inverse de la sculpture : là où le modeleur soustrait de la matière
pour affiner les formes de son œuvre, les volumes des bêtes empaillées
sont grossis, marqués, amplifiés par le système que constituent les
clous, le fil et les perles.
135
Illustration 88, Petit Renard Etoilé, janvier 2009.
136
Le premier Animal Stellaire a été travaillé en réaction à deux images
mélangeant bêtes et astres. Celle qui a donné l’impulsion à la création
de la Constellation de la Fouine n’a été révélée dans toute sa
complexité que très récemment, et trouble profondément le monde
scientifique. Il s’agit de la Salle des Taureaux, dans la Grotte de
Lascaux (illustration 78), envisagée sous l’éclairage des recherches de
Chantal Jègues-Wolkiewiez. Travailler sur ces figures mi-animales, mistellaires a très rapidement convoqué une deuxième image, celle du
plafond de Main Concourse dans la gare de Grand Central, à New York.
Aborder ces deux fresques nous permettra de comprendre, par la suite,
comment elles ont pu interagir par l’intermédiaire des Animaux Stellaires
et poser question.
Illustration 89, GOETGHELUCK Pascal, Grotte de Lascaux II, aurochs et constellation du Taureau incrustée
par-dessus selon les travaux de Chantal Jégues-Wolkiewiez, photomontage numérique, 2007.
Lors d’une conférence qui s’est tenue le 25 septembre 2008 à
l’Auditorium de la Grande Galerie de l’Evolution du Jardin des
Plantes159, Chantal Jègues-Wolkiewiez a exposé le fruit des recherches
qu’elle mène depuis une quinzaine d’années. Cette femme au parcours
universitaire riche et varié 160 étudie des sites archéologiques ou
historiques de France, afin d’étayer la découverte qui constitue la base de
159
La naissance de l’art, cycle de conférences « Images Naturelles, Films ». Paris, Muséum National
d’Histoire Naturelle, 25 septembre 2008.
160
Docteur ès psychologie et anthropologie (spécialisée en ethno-astronomie), Chantal Jègues-Wolkiewiez
exerce en tant que chercheuse indépendante.
137
son travail : nos ancêtres préhistoriques connaissaient très bien les astres
qui peuplent les cieux.
Les surprises de son exposé ont donc été d’ordre astronomique, au sens
propre comme au figuré. La plus surprenante d’entre elles portait sur la
Salle des Taureaux, dans la Grotte de Lascaux qui a été découverte en
1940 : Chantal Jègues-Wolkiewiez a mis en évidence que les peintures de
cet endroit sont une carte orientée de la voûte céleste telle qu’elle était au
Solutréen supérieur, ère durant laquelle les ornements pariétaux ont été
réalisés. « L’ensemble de la ronde animale de la Rotonde évoque de
façon irréfutable l’ensemble des astérismes (formes animales supposées
dessinées dans le ciel) traversés annuellement par le soleil. »161
Certains points d’un des aurochs de la paroi sud, comme le bout de ses
cornes ou son œil (illustration 89), correspondent par exemple aux
coordonnées spatiales précises qu’avaient certaines étoiles de la
constellation du Taureau dans le ciel de l’époque ; quant aux axes de
son train avant, ils suivent ceux qui se dessinent lorsqu’on relie entre
eux d’autres astres de la constellation. De la même manière, sur la paroi
nord, le troupeau d’aurochs, de chevaux et de cervidés s’inscrit dans les
formes des constellations du Capricorne, du Sagittaire et du Scorpion.
Les représentations d’ongulés sont de plus orientées dans le sens et dans
l’axe de l’écliptique, c'est-à-dire la course que suit le soleil entre l’été et
le printemps162.
L’ensemble de ces données ne fait pas de Lascaux un cas unique : les
grottes du Trou du Bison et de Comarque présentent des ornements
rupestres tout aussi captivants ; et ces multiples cas de croisements
entre art et astronomie impliquent non seulement que les Solutréens
possédaient de grandes connaissances astronomiques, mais aussi qu’ils
étaient capables de reporter des coordonnées stellaires sur une surface
rocheuse.
La série des Animaux Stellaires a sans aucun doute été déclenchée par
la découverte de l’ethno-astronome : les bêtes empaillées ont fonctionné
161
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal, « Lascaux et les astres » in Les dossiers d’archéologie, hors série
n°15, « Lascaux patrimoine de l’humanité ». Dijon, Faton, juin 2008.
162
Ces constellations se retrouvent sans aucun doute à travers les âges et dès la Préhistoire parce qu’elles
s’inscrivent dans l’écliptique, permettant potentiellement de caractériser cet axe. Rappelons que les étoiles
sont stables, au cours du temps, dans le positionnement qu’elles ont les unes par rapport aux autres. Par
contre, l’ensemble de la voûte céleste se déplace dans le ciel dans un mouvement rotatif homogène dont le
centre est Vénus. Ainsi, l’emplacement des douze constellations n’est actuellement pas le même qu’au
Solutréen, même si leur agencement n’a pas changé.
138
comme des équivalents des peintures zoomorphes de la Salle des
Taureaux ; les clous ou épingles supportant perles ou sequins ont quant
à eux été choisis pour symboliser des étoiles. De plus, le fil reprend sur
les taxidermies ce en quoi consiste l’acte de relier mentalement, par un
choix arbitraire, certains des astres de la voûte céleste : créer du repère.
Plusieurs questions ont été sous-jacentes à la création de ces sept
travaux : Qu’est-ce que confondre les animaux et les étoiles dans une
même image ? Comment faire ? Pour quoi faire ? Qu’est-ce que cet acte
implique ? Quelles peuvent en être les conséquences ?
C’est autour de l’agencement des clous en tant que symboles d’étoiles
que s’est mise à tourner, en tout premier lieu, la question des
implications : les Solutréens de Lascaux ont utilisé de concert leurs
capacités artistiques et leurs connaissances en astronomie pour orner la
Salle des Taureaux. Il semble d’ailleurs que ce soit grâce à ce mélange
d’art et de science qu’ils aient pu confondre images animales et images
stellaires. Or, dans le cas des Animaux Constellations, où se trouvent les
images d’étoiles ? Nullement dans le transfert savant de coordonnées
spatiales, car, au moment de réaliser ces travaux, je ne disposais tout
simplement pas des connaissances astronomiques nécessaires à la mise
en place d’une telle procédure… Ce constat de ma propre ignorance en
matière d’astronomie convoqua alors le souvenir du plafond de Main
Concourse et de son histoire.
Grand Central est une gare qui fut construite à New York au début du
siècle dernier, dans un style Beaux Arts alors en vogue suite à
l’Exposition Universelle de Chicago. La construction de ce bâtiment
s’est achevée en 1913 et à l’époque, Grand Central était la plus grande
gare du monde. Ses dimensions sont en effet impressionnantes : le
plafond du hall principal, Main Concourse, culmine à plus de quarante
mètres de hauteur. Il est couvert d’une gigantesque fresque représentant
plusieurs constellations, dont Orion, Pégase, le Chasseur, le Cancer, etc.
(Illustration 90).
Malheureusement, dès l’ouverture du site, une erreur astronomique fut
pointée du doigt par un spécialiste des étoiles venu de New Rochelle...
Paul-César Helleu et Charles Basing, les deux artistes qui ont réalisé la
fresque, avaient malencontreusement interverti l’Est et l’Ouest sur le
139
modèle qui leur a servi à peindre une partie de la voûte céleste. De ce
fait, les quelques étoiles qu’ils ont représentées ne correspondent à
aucune coordonnée stellaire véritable : leur carte est tout bonnement
fausse 163.
Illustration 90, GEERDS Joergen, Grand Central Station, part 3, photographie numérique, janvier 2007.
Ainsi, à la différence des peintres du Solutréen mais comme à Grand
Central, l’emplacement des clous ou des épingles symbolisant les
étoiles des Animaux Stellaires ne corresponde à aucune réalité
astronomique. L’ensemble de ces images d’étoiles souleva alors
plusieurs questions. Quelles sont les différences entre les peintres de la
Salle des Taureaux et ceux de Main Concourse ? Les hypothèses de
Chantal Jègues-Wolkiewiez nous incitent à penser qu’il ne s’agit pas
d’une affaire de savoir : le système que forment les constellations du
Zodiaque serait connu des hominidés depuis au moins 20 000 ans. De
plus, l’espace est l’un des domaines de recherches les plus développés
actuellement ; son étude a même motivé et généré certaines de nos plus
grandes avancées technologiques ou scientifiques. Pourquoi alors ces
erreurs astronomiques au plafond de Main Concourse ? Et si les
différences ne sont pas une question de savoir, de quel ordre sont-elles ?
Sans doute la réponse concerne-t-elle le plan méthodologique. Les
Solutréens étaient à la fois artistes et scientifiques. En se servant des
163
STEWARD John, “Constellations reversed” in The New York Times. New York, 23 mars 1913.
140
étoiles pour représenter des animaux appartenant à la faune de leur
environnement, ils ont mêlé ces savoirs rationnels qu’étaient leurs
connaissances astronomiques et naturalistes au domaine de l’imaginaire
qu’impliquaient leurs pratiques artistiques. Dans leur cas, ces pratiques
ont consisté à confondre, sur une même surface, la voûte céleste
cartographiée sur un plan et les volumes des animaux sauvages. Science
et art, réel et imaginaire semblaient être indistincts chez les hommes du
Paléolithique.
Or, dans le cas du plafond de Main Concourse, ce sont des éléments
mythologiques, astrologiques qui ont été confondus avec la carte du ciel
nocturne : Pégase, Orion, le Chasseur ou le Cancer sont des êtres
imaginaires hérités de l’Antiquité, non des créatures concrètes. De plus,
les deux artistes qui ont réalisé la fresque ne possédaient manifestement
pas le savoir nécessaire à la réalisation d’une carte de la voûte céleste
correctement orientée… La différence majeure entre les deux
temporalités étudiées paraît donc être la suivante : dans la Modernité, la
science et l’art, le réel et l’imaginaire sont des territoires autonomes
alors qu’au Solutréen, ils semblaient confondus.
Quelles peuvent être les origines de cette différence dans la répartition
des domaines réel et imaginaire entre science et art ? Comment ces
dualités se sont-elles construites, quels en furent les enjeux ? L’animal y
a-t-il joué un rôle ? Et enfin, y a-t-il corrélation entre le rapport aux
animaux d’une communauté humaine et la façon dont sont organisées,
utilisées celles de ses connaissances qui concernent son propre
environnement ? Si c’est le cas, comment cela fonctionne-t-il ?
Il est indéniable que, sur ces affaires de territoires, d’hommes et de
savoirs, les Animaux Stellaires posent, voire imposent avec une certaine
violence, la question des incidences du rapport aux bêtes sur la
construction et l’organisation des savoirs d’un peuple. Or, si l’on
compare les Solutréens et les occidentaux modernes sur ce point, une
deuxième divergence apparaît : les premiers sont des chasseurs là où les
seconds sont devenus éleveurs.
141
La chasse et l’élevage sont deux rapports aux bêtes bien différents.
Réfléchir ces modes de prédation du côté de la proie implique
rapidement de porter aussi attention à la distinction entre sauvage et
domestique. Quels sont, dans le rapport à l’animal, les enjeux des
différences entre la chasse et l’élevage, le sauvage et le domestique ?
Pour résoudre ce genre de problématique, une méthode efficace consiste
à identifier puis interroger un élément capable d’articuler entre eux
l’ensemble des concepts interrogés. Dans le cas présent, les notions
d’apprivoisement mais surtout de domestication permettront sans aucun
doute de comprendre ce qui a été modifié d’un mode de prédation à
l’autre, mais aussi ce qu’ont éventuellement perdu les animaux en
devenant domestiques.
C’est encore une fois au Jardin des Plantes que fut découverte la piste à
suivre : le 6 décembre dernier, deux films suivis d’un débat ont été
projetés au Grand Amphithéâtre du Muséum 164. Le premier d’entre eux,
Au début était le loup165, retraçait les différentes étapes de
l’apprivoisement du chien selon les hypothèses actuellement admises en
paléontologie. Jean-Denis Vigne y exposait une théorie intéressante,
reprise à Jacques Cauvin 166 : « dans les sociétés de chasseurs, l'homme
se perçoit en général comme l'égal des animaux, des plantes et des
éléments naturels, dans une conception « horizontale » de l'univers » 167.
Il se considèrerait donc comme un animal parmi les autres animaux,
qu’ils soient proies ou prédateurs ; un vivant parmi les vivants.
Dans le scénario du film, ce type de rapport au monde était illustré par
les Magdaléniens. Le chercheur soulignait au sujet de ces peuples que
« leur art était majoritairement constitué de figures animales », tout
comme les Solutréens dont ils ont prolongé les pratiques pariétales 168.
Or, au moment clef de la domestication, qui apparût sans doute au IXe
siècle avant notre ère, ceux qui s’engagèrent sur la voie de l’élevage
auraient petit à petit tenté d’optimiser les fruits de leur labeur. La
maîtrise impliquant la domination, l’éleveur se serait alors arrogé « le
164
Et l’homme inventa l’animal, cycle de conférences « T’aime Nature, films et débats ». Paris, Muséum
National d’Histoire Naturelle, 6 décembre 2008.
165
ERRECA Jean-Baptiste (réal.), Au début était le loup. Télé Images International, 52’, 2006.
166
CAUVIN Jacques, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture. Paris, CNRS, 1997.
167
VIGNE Jean-Denis, « Chypres et les débuts de l’élevage » in La Recherche n°348. Paris, Sophia
Publications, décembre 2001.
168
AUJOULAT Norbert, « La grotte de Lascaux », in Les dossiers d’archéologie, hors série n°15,
« Lascaux patrimoine de l’humanité ». Dijon, Faton, juin 2008.
142
droit de dominer la nature », instaurant « une hiérarchie « verticale », y
compris avec ses plus proches parents que sont les mammifères ». Par
la suite et dans un premier temps, c’est peut-être le souci de protéger ses
troupeaux des prédateurs naturels qui l’aurait mené à distinguer le
sauvage du domestique, sinon les modifications physiologiques ou
comportementales, conséquentes à leur domestication, constatées chez
certaines espèces. Ces transformations furent rapides chez le chien mais
beaucoup plus lentes chez les ongulés par exemple.
Ainsi, au cours du Néolithique, le chasseur devenu pasteur aurait pu
commencer à organiser la faune qui l’environnait dans une
classification hiérarchisée, au sein de laquelle il aurait occupé une des
places les plus élevées. C’est selon Jean-Denis Vigne à partir de ce
moment que l’humain se serait « autorisé à l’autoreprésentation ».
Voici donc une chronologie du passage de la chasse à l’élevage qui
mêle statut de l’animal, science et art d’une manière tout à fait
intéressante, car elle pose la domestication comme le phénomène ayant
inauguré ce qui semble être la toute première rupture ontologique entre
les hommes et les bêtes 169. Peut-on considérer pour autant qu’il s’agit là
du premier acte de l’enchaînement ayant mené l’animal sauvage hors du
territoire de l’homme ? Le Néolithique est-il la période-source des
processus mis en évidence par Elisabeth de Fontenay dans Le silence
des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité ?
A la lumière de Jean-Denis Vigne, je peux maintenant revenir à un
point de mon projet de détermination, très largement appuyé sur les
idées de la philosophe : le deuxième chapitre cherchait maladroitement
un « point de départ » à la différenciation zoo-anthropologique
développée en Occident tout au long de son histoire, et je ne suis
toujours pas convaincu de sa conclusion :
« L’Antiquité semble bien être un point de départ, une source du
phénomène de séparation des bêtes, des hommes et par conséquent des
dieux ; mais elle ne peut en aucun cas constituer la société témoin que
nous recherchons, du fait des mutations qui l’ont touchée et que nous
venons de citer. Peut-on alors envisager de remonter encore plus le
temps ? Les sources antérieures à l’Antiquité sont sans doute trop
169
Supra, chapitre VIII.
143
éparses et fragmentaires pour cela. De plus, on peut imaginer que cette
hypothétique société, à la fois témoin et originelle, a fonctionné sur le
mode de la tradition orale, ne nous laissant par conséquent aucun
écrit… »170.
Fort heureusement, l’écriture n’est pas l’unique trace qu’une
communauté humaine peut laisser derrière elle ! La paléontologie a mis
au point et affine au fur et à mesure de son évolution un certain nombre
de méthodes de déchiffrage, pouvant parfois être croisées pour donner
sens à un ensemble hétérogène de données. Les paléo-zoologues
s’intéressant à la naissance de la domestication se seront par exemple
appuyés sur des ossements, leurs mesures, leur ADN, leur emplacement
sur site, mais aussi des outils statistiques pour distinguer les animaux
chassés de ceux élevés par les peuples étudiés. De cette manière, ils ont
pu conclure qu’il n’y a pas eu remplacement d’une pratique par une
autre : au commencement de la domestication, les populations humaines
pratiquaient simultanément les deux modes de prédation.
A quelle nécessité non satisfaite par la chasse l’élevage a-t-il bien pu
répondre ? Nous sommes là dans le domaine du ventre. Est-ce donc un
début de sédentarisation consécutif à la naissance de l’agriculture,
quelques siècles plus tôt, qui incita les humains à domestiquer l’animal
sauvage afin de pouvoir l’intégrer à leur territoire naissant ? Est-ce ainsi
que les chasseurs commencèrent à s’éloigner des grands troupeaux
migrateurs composant leur gibier ? Ces questions sont aujourd’hui
encore débattues. Cependant, certains chercheurs émettent l’idée que la
domestication est plutôt le fruit d’un « changement de mentalité » que
la réponse à une nécessité née de quelques bouleversements
environnementaux171… Selon Jean-Denis Vigne encore une fois, cette
modification des paradigmes pourrait être conséquente à une poussée
démographique
elle-même
consécutive
au
développement
de
l’agriculture172.
Dans le cadre d’une problématique se focalisant sur l’animal, ces
questions portant sur le végétal s’avèrent quelque peu hors-champs,
170
PdD p. 21.
VIGNE Jean-Denis, « Chypres et les débuts de l’élevage » in La Recherche n°348. Paris, Sophia
Publications, décembre 2001.
172
VIGNE Jean-Denis, “Zooarchaeological Aspects of the Neolithic Diet Transition in the Near East and
Europe, and Their Putative Relationships with the Neolithic Demographic Transition” in The Neolithic
Demographic Transition and its Consequences. Dordrecht, Springer Netherlands, col. Humanities, Social
Sciences and Law, septembre 2008.
171
144
même si elles permettraient sans aucun doute de placer la rupture
homme/bête dans la continuité d’une série de déchirements qui auraient
successivement séparé l’animal du végétal par le biais de l’agriculture
(le champ), ou bien, encore plus loin dans le temps, le vivant de l’inerte
par le biais de la maîtrise du feu (le foyer).
Ainsi, puisque mes recherches se placent sur le strict plan de l’animal et
à la lumière des propos de Jean-Denis Vigne, il me paraît pertinent de
proposer que la domestication est la première des mutations ayant
affecté les rapports de l’Homo sapiens sapiens à l’animal. Est-il ensuite
possible de raccorder cette théorie en amont de celles qu’Elisabeth de
Fontenay a développées dans son livre ?
Pour ce faire, il est d’abord nécessaire d’identifier la nature d’un
changement de mentalité, dont on ne sait s’il est la cause ou bien la
conséquence de la domestication. Le rôle qu’a joué l’animal dans ce
processus invite à s’interroger sur l’éventuelle existence de la triade
sacrée bêtes/dieux/hommes chez les chasseurs du Paléolithique, celle-là
même qui a permis à la philosophe de dégager ce qu’impliquaient, dans
le rapport à l’animal, les pratiques sacrificielles en usage à l’aube de
l’Antiquité grecque173. Voilà qui rejoint certaines des premières
questions qui ont motivé le travail sur les fresques de Lascaux par le
biais des Animaux stellaires : qu’est-ce que confondre les animaux et
les étoiles dans une même image ? Pour quoi faire ? La Salle des
Taureaux peut-elle être considérée comme une manifestation plastique
de la triade sacrée ?
Tout d’abord, si triade il y a, il doit être possible d’en identifier les
membres. L’humain et l’animal ne posent aucune difficulté : les
premiers étaient artistes, les secondes peintures… Mais pour ce qui est
des dieux, une autre question s’est posée : en quoi les étoiles pourraientelles constituer des figures divines ?
Sur ce point, deux autres découvertes de Chantal Jègues-Wolkiewiez
rentrent en ligne de compte, car fort heureusement l’ethno-astronome
controversée n’a pas restreint ses recherches au site de Lascaux, ni
même aux grottes et abris ornés du Paléolithique. Son intérêt s’est aussi
porté sur des objets et outils préhistoriques, tels ceux conservés au
173
Supra Chapitre VIII.
145
Musée d’Archéologie Nationale, à Saint-Germain-en-Laye : pouvaientils avoir un rapport avec les astres ?
Manifestement oui. Certains attestent d’études concernant la course des
astres dans le ciel, notamment la lune sur son cycle de vingt-huit
jours 174 ; d’autres étaient des moyens simples mais efficaces de
mémoriser ou de transposer un azimut - ce qui permet notamment de
comprendre comment les fresques de la Salle des Taureaux ont pu être
réalisées175 ; certaines pièces, enfin, pouvaient servir à connaître
l’avancement de la journée. Nos ancêtres préhistoriques étaient donc les
détenteurs d’un savoir et d’une technologie qui leur permettaient de
prendre les mesures de l’espace comme du temps, et ce, grâce aux
astres : soleil de jour, lune et étoiles de nuit. Les astres auraient-ils
permis aux humains de se repérer, de se déplacer ? Sont-ils alors à
l’origine de notre perception du temps et de l’espace ? Il est
incontestable que le soleil rythme la vie des animaux, qu’ils soient
nocturnes ou diurnes : cette étoile marque le temps, et quitte à aller
jusqu’au bout de mon idée je dirais même que cette étoile « est » le
temps. Il est tout aussi incontestable que la lune rythme les marées ; et
l’on sait aujourd’hui les interactions liant océans et climat. De ce que la
science actuelle nous a appris ou découvre encore, on peut donc dire de
ces deux astres qu’ils ont tout autant participé à ce qu’est notre monde
que le vivant lui-même… Quant aux étoiles de manière générale, il faut
souligner encore une fois leur relative stabilité dans le temps : le soleil
se lève à l’Est et se couche à l’Ouest, invariablement. De même, il n’a
jamais cessé de traverser dans sa course annuelle le même système
stable d’étoiles alors que les paysages, la faune et la flore sont en
perpétuel mouvement. Utilisée comme point de repère, cette stabilité
spatio-temporelle autorise donc une appréhension de l’espace à grande
échelle. Ainsi, si les astres sont à la source du temps et de l’espace, pour
les humains comme pour d’autres animaux 176, alors il semble tout à fait
plausible qu’ils aient pu être choisis par les Solutréens comme éléments
174
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal, « Aux racines de l'astronomie, ou l'ordre caché d'une œuvre
paléolithique. » in Antiquités nationales no37, p. 43 à 62. Saint Germain en Laye, Musée des antiquités
nationales, 2005.
175
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal, « Lascaux et les astres », in Les dossiers d’archéologie, hors série
n°15, Lascaux patrimoine de l’humanité. Dijon, Faton, juin 2008.
176
SUTHERLAND William (dir.), Bird Ecology and Conservation: a Handbook of Techniques, Oxford,
Oxford University Press, Techniques in Ecology & Conservation, 2004. Selon les auteurs de cet ouvrage,
les oiseaux migrateurs nocturnes s’orienteraient avec les étoiles.
146
divins : une image poétique de ces données rationnelles serait de
présenter les astres comme étant à l’origine du monde…
La dernière des découvertes de Chantal Jègues-Wolkiewiez porte à
persister dans cette voie. Elle concerne les axes spécifiques des grottes
et abris ornés du Paléolithique : la quasi-totalité de ces lieux semblent
avoir été sélectionnés en fonction de leur orientation spatiale. Par
exemple, les Solutréens auraient choisi la Grotte de Lascaux pour son
azimut et son inclinaison propices à ce que le soleil couchant n’y
pénètre qu’une fois l’an : durant la courte période qui s’étale quelques
jours avant et après le solstice d’été177. Si on ajoute à cela que ces
grottes n’étaient absolument pas des lieux d’habitation, on peut
conclure comme l’ethno-astronome le fit de Lascaux qu’elles étaient
dédiées à une forme de culte solaire… Chantal Jègues-Wolkiewiez va
même plus loin : elle établit un parallèle entre la Salle des Taureaux et
le Zodiaque grec, en se basant sur les écrits de Vitruve dans le troisième
des Dix livres d’Architecture178.
C’est précisément sur ce point d’interprétation de son étude que la
chercheuse est vivement contestée au sein du milieu scientifique,
parfois avec une certaine véhémence 179… Son hypothèse est-elle
fantasque, ou bien est-ce parce qu’elle est une atteinte manifeste à leurs
théories évolutionnistes et progressistes que certains scientifiques s’y
opposent avec autant de violence ? De mon point de vue, sa réflexion
semble pertinente : les données astronomiques de la Salle des Taureaux
ont été vérifiées scientifiquement, notamment en modélisant la
configuration de la voûte céleste telle qu’elle était orientée lorsque les
peintures ont été réalisées ; l’azimut de l’entrée de la grotte est une
donnée des plus concrètes et enfin, l’incorporation de savoirs
astronomiques au traité d’architecture de Vitruve est avérée dans toutes
les traductions, que ce soit celle de Claude Perrault, réalisée à la fin du
XVIIe siècle, ou celle plus récente de Pierre Gros 180. Et si, enfin, le
problème réside dans la possibilité que des chasseurs-cueilleurs aient pu
avoir une perception de l’univers aussi complexe que celle de la
177
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal, « Lascaux et les astres » in Les dossiers d’archéologie, hors série
n°15, Lascaux patrimoine de l’humanité. Dijon, Faton, juin 2008.
178
Ibid.
179
Voir le courrier d’Emilia MASSON in La Recherche n°301. Paris, Sophia Publications, septembre 1997.
180
VITRUVE, Les dix livres d’architecture de Vitruve, traduit et commenté par Claude PEYRAULT en
1673, Wavre, Editions Mardaga, 1967 et VITRUVE, De l’architecture, Livre III, traduit et commenté par
Pierre Gros. Paris, Les Belles Lettres, collection des Universités de France Série latine, 1990.
147
civilisation grecque, alors, je ne peux que conseiller la lecture de
Danièle Vazeilles : « Avant l’arrivée des Chrétiens, les Amérindiens
croient en un grand esprit du monde rarement invoqué […] se
manifestant dans des décors à base de croix, forme symbolique
représentant les étoiles et associée aux dieux des quatre vents ou dieux
des saisons habitant aux points cardinaux. Le symbole représentant
toutes les choses est un cercle quadrillé par les axes cardinaux dont le
centre est traversé par l’axe du monde orienté vers la Polaire, seule
étoile fixe. […] Dans les mythologies des chasseurs-cueilleurs, il n’y a
pas vraiment de création du monde. Le grand esprit et le monde ont
toujours existé. Les Sioux croient en une organisation progressive du
monde, à la suite d’un rêve du grand esprit qui, seul dans la nuit
primordiale, s’ennuyait. Il se contracta, ce qui entraîna un gigantesque
éclat de lumière, engendrant la création des dieux : […] le Peuple des
étoiles, dont Lune et Soleil. »181 Voilà qui invite à ne sous-évaluer ni la
qualité des connaissances astronomiques potentielles d’un peuple de
chasseurs-cueilleurs, ni même la complexité avec laquelle ces savoirs
peuvent interagir avec le domaine du mythe…
Que peut-on alors conclure, finalement, de la mise en relation des
peintures Solutréennes et de l’architecture grecque telle qu’elle fut
traitée à l’aube de l’histoire ?
Il me semble y avoir, dans cette chronologie potentielle, un processus
de l’ordre du « continuum chargé de mutations » au cours duquel
l’humanisme antique s’est émancipé de la question animale en
abandonnant, à travers les cultes juif et chrétien, toute pratique
sacrificielle impliquant des animaux182. Dans l’hypothèse de Chantal
Jègues-Wolkiewiez, si la continuité se fait sur le plan des astres, la
rupture intervient sur ce qui est placé dans la « quadrature du
cercle » 183 : des animaux sauvages à Lascaux, un homme chez Vitruve
(Illustration 91). Les étoiles pourraient donc bien avoir été les premiers
enjeux de la problématique territoriale chez l’animal humain.
181
VAZEILLES Danièle, Chamanes et visionnaires Sioux. Paris, Rocher, 1996.
PdD, chapitre 2.
183
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal, « Lascaux et les astres » in Les dossiers d’archéologie, hors série
n°15, Lascaux patrimoine de l’humanité. Dijon, Faton, juin 2008.
182
148
Ce transfert d’image, au sein de la triade, de l’animal vers l’humain
concorde avec l’idée qu’à l’aube de l’ère chrétienne, alors que « la
religion grecque et la religion romaine coexistaient avec la tradition des
Hébreux » 184, le démantèlement du statut privilégié dont jouissait
l’animal durant l’Antiquité était déjà largement réfléchi.
Illustration 91, DE VINCI Léonard, Étude de proportions du corps humain selon Vitruve, vers 1492.
184
SdB, p.217.
149
Il me semble important d’avoir pointé dans ce chapitre les voies de
réflexion que les Animaux Stellaires ont ouvertes en tout premier lieu :
le traitement théorique des questions relatives aux rapports entre l’art et
la science, le réel et l’imaginaire, la chasse et l’élevage ont en effet
permis de repenser le point de départ à la rupture ontologique
hommes/bêtes qui m’aura occupé tout au long du travail théorique de
Master 1. Ainsi, je peux maintenant rectifier la conclusion erronée du
chapitre 2 de mon projet de détermination : la première différence zooanthropologique n’est pas apparue durant l’Antiquité, mais bien au
cours du Néolithique, sous l’effet d’une domestication sans doute
engagée à partir du moment où un chasseur préhistorique décida de tuer
pour le manger le faon de ses deux daims apprivoisés. Cependant, nous
ne saurions oublier le fait que la domestication est la descendante
directe de l’agriculture, apparue quelques siècles plus tôt. Sur ce point,
nous arrivons sans aucun doute à l’orée du domaine animal et pourtant,
prolonger les problématiques de ruptures du côté du végétal pourrait
être propice à éclaircir certains points sombres : est-ce le fait de s’être
approprié un peu de la terre auparavant partagée avec la faune sauvage
pour cultiver des plantes qui a donné lieu aux premiers sacrifices, dont
les légendes grecques ont dit qu’ils concernaient les céréales 185 ? Est-ce
bien sur ce modèle que furent immolés les premiers animaux
domestiques ? Quel était l’objet du sacrifice avant les premières
récoltes ? Le sacrifice était-il seulement pratiqué avant l’agriculture ?
De ce que nous avons mis en évidence tout au long de ce chapitre, il
semble de plus en plus probable que le paganisme antique aient
engendré une cosmogonie radicalement différente de ce que pouvait
être celle des chasseurs Solutréens jusqu’au Néolithique, notamment
dans le rapport à la mort. Le souci de ne pas sortir du champ de la
présente recherche me contraint à laisser pour l’instant ces questions en
suspens. Cependant, le problème agricole devant être réglé au risque de
fausser les réflexions, je propose d’apporter quelques précisions au sujet
des « peuples premiers » qui avaient été choisis l’an passé comme
« point de référence » en matière de rapport à l’animal 186 : les Solutréens
de Lascaux ayant vécu avant la domestication, et même avant
185
186
SdB p. 214.
PdD p.13.
150
l’agriculture, ils paraissent être les plus évidents « témoins » des liens
originels que nos ancêtres d’Occident ont pu entretenir à l’égard des
bêtes, cette « perception horizontale de l’univers » au sein de laquelle
l’humain était un animal comme les autres... Est-il pour autant
nécessaire de substituer ces hommes préhistoriques aux peuples
premiers ? Pas nécessairement, car c’est justement à partir de
populations actuelles de chasseurs-cueilleurs et par le biais de
l’ethnologie que le modèle des Solutréens a été extrapolé : Jean-Denis
Vigne s’inspire par exemple des travaux de Philippe Erikson pour
émettre l’hypothèse qu’avant la domestication, alors que les humains
connaissaient de longue date l’apprivoisement, de jeunes animaux
pouvaient être allaités aux seins des femmes de la même façon que leurs
enfants187. Cette pratique pour le moins troublante est observable
aujourd’hui encore chez les matins d’Amazonie 188. Il n’est donc pas
nécessaire de se désintéresser des peuples animistes pour poursuivre les
réflexions de l’an passé. Il est par contre indispensable de restreindre
leur étude aux communautés nomades qui ne pratiquent ni l’agriculture,
ni l’élevage : les pratiques rituelles et les systèmes de perception de
l’environnement en vigueur avant l’agriculture peuvent être interrogés
par le biais de communautés contemporaines de chasseurs-cueilleurs, ce
qui permet de contourner le problème agricole. Mais nous ne saurions
oublier pour autant que la Salle des Taureaux, interrogée par les
Animaux Stellaires, constitue un précieux témoignage artistique de ce
que pouvait être la triade humain/animal/divin avant le Néolithique ; car
c’est très certainement dans l’entrelacement de ces deux temporalités
que pourront être percés les mystères de la cynégétique…Poursuivons
maintenant l’enchaînement des ruptures ontologiques hommes/bêtes qui
ont mené jusqu’à notre rapport contemporain aux animaux par le biais
de l’art et de la philosophie, de façon à ce que puisse être caractérisée la
démarche artistique propice à révéler les enjeux du rapport chasseur à
l’animal. Comme les ornements des grottes de Lascaux, le sorcerer de
Steve Baker, l’alchimie de Joseph Beuys et la Zoophrénie d’Oleg Kulik
vont nous mener au chamanisme.
187
VIGNE Jean-Denis, « Domestication animale et biodiversité : quand l’homme s’approprie les animaux »
in Qu’est-ce que la diversité de la vie ? Paris, Odile Jacob, coll. Université de tous les savoirs, 2003.
188
ERIKSON Philippe, « Apprivoisement et habitat chez les amérindiens matins (langue Pano, Amazonas,
Brésil) » in Anthropozoologica n°9. Paris, Muséum National d’Histoire Naturelle, 1988.
151
Illustration 92, BEUYS Joseph, I like America, America likes me, 1974.
152
CHAPITRE VIII
Saint Oleg, patron des domestiques,
Saint Joseph, patron des sauvages :
histoires de résurrections bestiales
153
Illustration 93, KULIK Oleg, I bite America, America bites me, 1997.
154
Pourquoi revenir sur Le silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de
l’animalité par le biais de deux artistes contemporains, alors que cet
ouvrage d’Elisabeth de Fontenay a déjà été étudié dans le cadre du projet
de détermination ?
D’abord, parce que ce livre révèle de façon magistrale l’occidentale et
moderne incompatibilité entre territoire des hommes et territoire des
bêtes, ce rapport conflictuel à l’animal qui m’a préoccupé tout au long du
projet de détermination et qui affleure de même à travers les recherches
de Master 2, autant en théorie qu’en pratique. Ensuite parce que la
problématique territoriale dégagée par la philosophe me semble soustendre les travaux de Joseph Beuys, un Allemand de l’Après-guerre qui a
marqué les mémoires en partageant sa cage avec un coyote ; mais aussi
ceux d’Oleg Kulik, le performer russe qui remue actuellement les
opinions avec ses images de bestialité 189.
De plus, après qu’aient été posées les conséquences des premiers
élevages sur le rapport aux bêtes, la relecture de l’ouvrage m’a incité à
prolonger les investigations du côté de l’animal domestique. Il paraissait
alors d’autant plus intéressant de croiser les pensées d’Elisabeth de
Fontenay avec les démarches de ces deux artistes : l’un travailla
principalement avec des cadavres de bêtes sauvages alors que l’autre
batifole dans les champs avec des animaux domestiques ou familiers. De
plus, tous deux se sont fortement intéressés au Moyen Âge - notamment
la vie des saints - ainsi qu’aux peuples nomades d’Eurasie. Vers quels
domaines ces pratiques artistiques à première vue radicalement opposées
du point de vue de la bête ont-elles bien pu mener Oleg Kulik et Joseph
Beuys ? Quelles solutions les deux artistes ont-ils expérimentées pour
désamorcer le conflit territorial opposant l’animal à l’humain ? Se
rejoignent-ils quelque part ? Quelle est la nature de cet endroit ?
Il sera d’autant plus important de répondre à ces questions qu’elles
permettront de revenir, pour mieux la compléter, sur la démarche
artistique que Steve Baker a définie dans son livre The Postmodern
Animal ; celle-là même qui m’a incité à travailler sur l’animal naturalisé
il y a presque deux ans 190.
189
BELLET Harry, « Des flics à la FIAC », in Le Monde, Paris, 28 octobre 2008. Durant la FIAC 2008, les
œuvres d’Oleg Kulik ont été retirées du stand de la galerie Rabouan Moussion par la police. Les images de
bestialité ou de zoophrénie seraient considérées comme une atteinte à la dignité humaine…
190
Infra, chapitre I.
155
Illustration 94, KULIK Oleg, New Serment, 1994.
156
« Nouveau Serment, 15 septembre 1994, Marché Danilov, Moscou.
Kulik, déguisé en un Jésus Christ mutant (avec des pattes à la place des
mains) traversa les allées du marché, grimpa sur la plateforme où les
carcasses de viande étaient débitées et beugla désespérément pendant un
long moment. Ce « nouveau gospel » sur la flagrante imperfection de
l’univers était adressé à toutes les créatures, voire même aux porcelets
abattus plutôt qu’à une audience exclusivement humaine. »191
Si les réflexions d’Elisabeth de Fontenay dans Le silence des bêtes, la
philosophie à l’épreuve de l’animalité devaient être accompagnées
d’images, la performance réalisée par l’artiste russe dans un marché à
viande de Moscou serait presque parfaite pour ce qui concerne la
question du sacrifice animal en Occident. J’écris « presque » parce que le
porcelet n’est pas un agneau, mais à l’exception de ce « détail », le
Nouveau Serment (illustration 94) me semble avoir tout d’une apparition
fantomatique, celle de l’alliance hommes/bêtes/dieux dont la dissolution
inaugura l’ère chrétienne…
Reprenons la chronologie de cette « phagocytose » par le biais des
pratiques sacrificielles et de l’analyse qu’Elisabeth de Fontenay en a fait
dans son livre de 1999 192. Il faut d’abord rappeler que les rituels en usage
au début de l’Antiquité répondaient aux problèmes éthiques soulevés par
la mise à mort d’animaux domestiques et non sauvages, car « un animal
sauvage ne pouvait pas plus être offert en sacrifice qu’un animal
domestique forcé à la chasse » 193. Soulignons ensuite que l’immolation de
bovins fut elle-même motivée par « les besoins nutritionnels de la
nouvelle et conséquente population des cités » 194. Expiatoires, les
premiers sacrifices permirent donc aux Grecs de concilier l’abattage du
bœuf laboureur 195, la consommation de sa chair et enfin, la croyance
mythique en une généalogie commune aux hommes et aux bêtes. Selon
Elisabeth de Fontenay, ces faits impliquent que dans ces rituels, les bêtes
ne perdaient « que la vie » : la Grèce était une « sorte » d’âge d’or pour
191
“Kulik, disguised as a mutant Jesus Christ (with hoofs instead of hands) walked through the market aisles,
climbed the platform where meat carcasses are butchered and mooed there desperately for a long time. This
“new gospel” on the blatant imperfection of the universe was addresses to all creatures, even the slaughtered
piglets, rather than to an exclusive audience of human beings.” in BREDIKHINA Mila (dir), Nihil inhumanum
a me alienum puto, Oleg Kulik (OKC). Bielefeld, Kerber Verlag, 2007, p. 52. Traduit de l’anglais par mes
soins.
192
Les deux prochaines pages sont un condensé du chapitre 3 du projet de détermination.
193
SdB, p. 218.
194
PdD, page 25.
195
SdB, p.217 à 225.
157
l’animal, car il faisait partie intégrante de la communauté en assurant son
rôle de « médiateur entre les hommes et les dieux »196.
Or, ultérieurement, des cérémonies comme les Bouphonies se mirent à
osciller entre expiatoire et communiel : la culpabilité de la mise à mort,
d’abord partagée par la communauté des mangeurs de viande, incombait
à l’issue d’un procès factice au couteau sacrificatoire. Ce transfert de
responsabilités du groupe vers l’outil illustre combien la sacralité des
animaux avait été fragilisée à l’orée du monothéisme : pour Cicéron, les
bêtes muettes et instinctives étaient incapables de contracter quelque
pacte que ce soit, par conséquent il les exclut de l’humanitas, la cité
rassemblant hommes et dieux sous une même « exigence de justice »197.
« Sans injustice », les hommes pouvaient donc « se servir des bêtes dans
leur propre intérêt » 198, conclurent les Stoïciens.
Nous comprendrons ainsi qu’au fil d’un humanisme grec aussi persistant
que grandissant, l’animal finit par perdre son rôle de médiateur sacré : la
triade fut rompue par l’abandon progressif du sacrifice après que Yahvé,
le Dieu unique, ait exprimé simultanément à son peuple son indifférence
aux immolations et sa préférence pour la prière. Toutefois, les bêtes ne
furent pas abandonnées pour autant à l’avidité des hommes : les lois
rabbiniques qui furent substituées aux sacrifices par les Hébreux puis les
Juifs protégeaient encore l’animal, de la souffrance comme de toute
exploitation abusive.
C’est donc au Christianisme qu’il appartint de dispenser finalement et
durablement les hommes de tout égard envers les bêtes. Quel sort fut
réservé à la triade sacrée ? Notons d’abord que Jésus étant « l’agneau de
Dieu », sa crucifixion impliqua « un déplacement solennel de l’animal
vers l’homme » entre les sacrifices païens et celui du Christ. Ajoutons à
ce fait que Dieu lui-même se laissa « immoler pour payer la dette des
hommes »199, après avoir offert son sang et sa chair par l’intermédiaire du
Christ, qui l’incarnait lors de la Cène comme de la crucifixion. Nous
comprendrons alors que la sainte trinité Père, Fils, Saint Esprit s’est
substituée à l’alliance que formaient auparavant les animaux, les dieux et
les hommes.
196
SdB p. 224.
SdB p. 105.
198
SdB p. 106.
199
SdB p. 244.
197
158
Si nous considérons enfin que la crucifixion a été et restera un évènement
unique, qui sera répété par la célébration de l’eucharistie « chaque jour et
en tout lieu, jusqu’à la fin des temps », nous pourrons constater que le
sacrifice spiritualisé des Chrétiens était à la fois expiatoire et communiel :
c’est la souffrance humaine et éternelle qui depuis le Christ rallie dans
une culpabilité infinie la communauté des hommes, mais aussi des bêtes
que l’Agnus Dei avait préalablement permis d’intégrer. La souffrance des
animaux n’était donc plus problématique, d’autant plus que le nouveau
Dieu autorisa toutes leurs espèces à la consommation.
Ainsi débarrassé du frein à son développement que fut l’embarrassante et
épineuse question animale, l’humanisme put alors engager ses troupes,
dans une foulée implacable, sur les chemins de la dévoration du monde.
Et si le dernier aboutissement de cette marche orgiaque fut la « mort de
Dieu »200, il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui encore et malgré sa
destitution, ce sont les paradigmes instaurés par le Christianisme au début
de l’histoire qui constituent, dans leurs bases les plus solidement ancrées,
l’inconséquence de notre rapport prédateur au monde ainsi que notre goût
insatiable pour l’opulence et le gâchis.
Ainsi, parallèlement au développement de l’humanisme, l’initiale triade
sacrée liant les Grecs aux bêtes et aux dieux du monde extérieur est
devenue un monde intérieur à l’humain, où gisent les restes fragmentés
de l’animal et du divin : la crucifixion de Jésus a instauré le « canonique
principe d'individualisation qui nous fait sujets séparés, maîtres de
l'extériorité et de notre intériorité » 201.
Le Nouveau Serment d’Oleg Kulik donne-t-il une image de ce principe ?
Le décryptage des références iconographiques entremêlées par l’artiste
dans cette performance devraient permettre de répondre à cette question.
La couronne d’épines et le rouge du front évoquent à la fois le sacrifice
fondateur du Christianisme (la crucifixion), le sacrifié (Jésus) et enfin le
destinataire de l’offrande qu’il incarna (Dieu). Cependant, cette image de
la sainte trinité est troublée par deux éléments bestiaux : les pattes
d’ongulés, habilement substituées aux bras de l’artiste, font de la figure
christique qu’il propose un hybride entre humain et animal. Représenter
Jésus de la sorte est certes bien inhabituel, cependant le choix de cette
200
201
NIETZSCHE Friedrich, Le gai savoir. Paris, Gallimard, Idées, 2002.
SdB p. 29 à 32.
159
forme « mutante » a le grand mérite de pointer ce que la tradition
chrétienne occulta massivement dans son iconographie 202 : le Christ est
« l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde », imploré en prières
pour qu’il apporte la paix 203. Cette première suspicion d’Agnus Dei se
précise au travers du cadavre de porcelet : la roseur de sa peau glabre et
la façon dont il est tenu évoquent les images de Marie portant son enfant,
l’étable, la Nativité ; la limpidité de son œil témoigne quant à elle de la
mise à mort dont l’animal a fait l’objet peu de temps avant la
performance.
Intéressons-nous ensuite à l’endroit-même où s’est déroulé le Nouveau
Serment, et la présence animale au sein de l’image de trinité se fera
surgissement. D’où vient la viande du marché de Danilov ? Elle est le
fruit de nos élevages industriels, caractérisés par « deux préoccupations
essentielles : maximiser la production et minimiser les coûts », et dont la
fonction est d’exploiter « à grande échelle » des « animaux domestiques
en vue de leur transformation en biens de consommation »204. Or, cette
transformation aujourd’hui anodine ne pourrait être possible si le
sacrifice animal n’avait été aboli il y a deux mille ans, ou bien si Dieu
n’avait pas, au même moment, autorisé sans aucune forme de procédure
la consommation de toutes les espèces. La condition actuelle des bêtes
dans l’industrie illustre combien ce commandement chrétien a été et est
encore suivi 205 !
Enfin, la figure de l’agneau sacré se fait mugissement dans la complainte
désespérée qu’Oleg Kulik a poussée durant « un long moment ». S’agit-il
là de l’expression du langage des bêtes qu’Elisabeth de Fontenay
apparente à celui du peintre206 ? Il me semble que dans cette mise en
scène de renversement entre intériorité et extériorité, où la triade surgit de
la trinité, l’émission de sonorités animales est une évocation de la bête
divine ingérée par le sacrifice chrétien. Peut-être même ce mugissement
primitif est-il, de tout ce qui peut constituer la triade sacrée, ce qui résiste
aux processus digestifs les plus corrosifs…
202
Sauf peut-être dans les objets réservés aux ecclésiastiques…
La prière latine Agnus Dei, qui tollis peccáta mundi : miserere nobis. Agnus Dei, qui tollis peccáta mundi:
dona nobis pacem se traduit en français moderne par : « Agneau de dieu, qui enlève le péché du monde,
prends pitié de nous. Agneau de dieu qui enlève les péchés du monde, donne-nous la paix. »
204
JEANGENE VILMER Jean-Baptiste, Ethique animale (EA). Paris, Presses Universitaires de France, coll.
Ethique et philosophie morale, 2008, p. 170.
205
PdD, p.7.
206
SdB, p.29 à 32.
203
160
Il est nécessaire de préciser que l’intériorisation de la triade, de même
que toutes les ruptures qui s’ensuivirent - comme par exemple la
« problématique monothéiste des rapports tourmentés entre l’âme et le
corps » 207 - n’ont jamais été à proprement parler naturelles, mais plutôt
culturelles. Elles ont donc dû être répétées, pour chaque individu, tout au
long de l’ère chrétienne par le baptême, le catéchisme, la communion, le
mariage, l’eucharistie, l’enterrement, etc. et se sont prolongées à travers
la Modernité dans ce que révéla Louis Althusser de la psychanalyse en
1964. « La psychanalyse […] s’occupe […] de la seule guerre sans
mémoire ni mémoriaux que l’humanité feint de n’avoir jamais livrée,
celle qu’elle pense avoir toujours gagnée d’avance, tout simplement
parce qu’elle n’est que de lui avoir survécu, de vivre et de s’enfanter
comme culture dans la culture humaine : guerre qui, à chaque instant, se
livre en chacun de ses rejetons qui ont, […] chacun pour soi dans la
solitude et contre la mort, à parcourir la longue marche forcée qui, de
larves mammifères, fait des enfants humains des sujets. » 208
Si tout de cette marche est forcé, alors rien de son parcours n’est
irrémédiablement constitutif des individus qui la composent… A la
lumière de cette possibilité, le « nouveau gospel » devient plus que la
résurgence grossière d’une antique triade déchue : ne manifeste-t-il pas la
volonté de restaurer l’alliance qui unissait il y a fort longtemps l’humain,
l’animal et le divin ?
Comment l’artiste russe est-il parvenu à cette représentation pertinente de
la problématique qui entoure aujourd’hui le rapport occidental aux
bêtes ? Selon Oleg Kulik, ce sont les études de savants, de philosophes,
d’écrivains et d’artistes qui l’ont mené à vouloir expérimenter un retour
vers l’état d’« animal originel » : Ivan Pavlov, Karl Marx, Gilles Deleuze
et Félix Guattari, Jaques Derrida, Léon Tolstoï, Kazimir Malevitch sont
autant d’érudits grâce auxquels il a pu construire sa recherche209. Sa
démarche paraît alors intéressante parce qu’elle permet d’inclure à la
question animale les différentes sources culturelles et historiques qui
l’ont générée : il est en effet indispensable de connaître et de comprendre
les origines d’un problème lorsqu’on souhaite réfléchir à sa résolution.
207
SdB p. 52.
ALTHUSSER Louis, La Nouvelle Critique. Paris, Editions sociales, 1964 in SdB p. 346.
209
KULIK Irina, “Oleg Kulik : artificial paradise”, traduit du russe à l’anglais par Andrey Patrikeev in
ANTENNÆ, issue 8, volume 2, Londres, Hiver 2008. p.32.
208
161
Ainsi, c’est à travers l’histoire des bêtes domestiques du Vieux Continent
que le performer s’est lancé sur les traces de son « animal originel ».
Cependant, si Oleg Kulik s’est bien donné pour mission de restaurer
l’alliance avec l’animal sacré, dont il a été établi que la forme originelle
fut antérieure à la domestication, alors la question du sauvage a dû se
poser à lui à un moment de sa carrière.
L’analyse de la démarche kulikienne menée par Victor Misiano pour le
webzine ANTENNÆ210 indique par quels chemins l’artiste russe, reconnu
ou décrié pour son travail sur le domestique et le familier 211, a pu en
arriver à questionner le sauvage.
Illustration 95, KULIK Oleg, Deep into Russia, 1998.
« [Dans Deep into Russia], cette motivation [d’aller au plus profond
d’une chose] apparut pour la première fois : c’était l’initiation à l’élément
naturel primordial réalisé dans l’acte sexuel avec les « enfants de la
nature », c'est-à-dire la bestialité. La photographie [illustration 95 :
version dessinée] de Kulik fourrant sa tête dans le ventre d’une vache
devint l’emblème de Deep into Russia…
Ainsi, la nature guida Kulik vers une autre catégorie importante, peutêtre la plus programmatique de son travail : la zoophrénie. […] Le
programme zoophrénique a logiquement mené Kulik à maîtriser des
composants de l’expérimentation psychique tels que l’affect, le
210
MISIANO Victor, « Oleg Kulik’s animality », in ANTENNÆ, issue 8, volume 2, Londres, Hiver 2008.
Oleg Kulik a beaucoup travaillé sur le chien de Pavlov. Voir KULIK Irina, “Oleg Kulik : artificial
paradise”, traduit du russe à l’anglais par Andrey Patrikeev in ANTENNÆ, issue 8, volume 2, Londres, Hiver
2008 ; et supra page X.
211
162
paroxysme, la transgression. Voilà ce qui sous-tend ses nombreuses
actions provocatrices. Mais c’est la maîtrise de l’expérience de mort qui
complète en toute logique son apologie de la bestialité. Le thème de la
mort l'emporte, bien sûr, dans ses Fenêtres dont l’examen rapproché
révèle que la faune peuplant son monde naturel [sous-entendu sauvage]
est morte, on n'y voit rien d'autre que les animaux empaillés du Musée de
la Nature. L'intérêt pour le domaine de la mort est apparu très tôt dans la
création de Kulik. Peu après son festival animalier, il a envisagé de
produire un autre projet (non réalisé), qu’il a appelé le Festival des
Projets Thanatoïdes. » 212
Les références à l’enfance, la bestialité et l’apparition du dieu grec de la
mort pourraient engager tout un pan de réflexion entremêlant le concept
de néoténie à la dualité du couple destructeur que forment Eros et
Thanatos… Cependant, dans le souci de ne pas perdre le fil de mes idées,
je fais le choix de réserver ce travail pour des recherches ultérieures ; car
c’est au surgissement simultané de la mort elle-même et du monde
sauvage, à travers la série des Fenêtres (2001), que je souhaite porter
attention. Ces œuvres sont des montages photographiques comprenant
trois images superposées en deux étapes. La première superposition
consiste à inclure la photographie d’un animal empaillé (éléphant en
illustration 96, girafe, aigle, etc.) dans celle d’un paysage naturel. A cette
première image sont ajoutés, en filigrane, des portraits de personnes en
pied, de face ou de trois quarts, dont certaines portent des caméras ou des
appareils photographiques.
Comment interpréter ces assemblages photographiques ? Retenons
d’abord que l’animal, sauvage et mort, est superposé à un paysage
naturel. Ajoutons ensuite que les figures humaines en filigrane donnent
une impression de reflet, et enfin que ces mêmes figures ont été mises en
scène comme si elles visitaient un musée.
212
“[In Deep into Russia] this motive [of moving deep into something] appeared for the first time: it was the
initiation to the primordial natural element realized in the act of coition with "children of nature", i.e. in
bestiality. The photograph of Kulik stuffing his head into a cow's belly became the emblem of Deep into
Russia…
Thus nature takes Kulik to another important and, perhaps, the most program-building category of his work: to
zoophrenia. […]The zoophrenic program logically led Kulik to the mastering of such components of psychic
experience as affect, paroxysm, transgression. That is what lies in the bottom of his numerous provocative
actions. But it is the mastering of the experience of death that logically completes his apology of the bestial.
The theme of death triumphs, of course, in his Windows where close examination shows that the fauna
populating his natural world is dead, that it is nothing but stuffed animals from the Museum of Nature. The
interest to the category of death appeared quite early in Kulik's creation. Soon after his animalistic festival he
was planning to produce another, unrealized yet project which he called the Festival of Thanatoid Projects.” in
MISIANO Victor, « Oleg Kulik’s animality », in ANTENNÆ, issue 8, volume 2, Londres, Hiver 2008.
163
Illustration 96, KULIK Oleg, Fenêtres (éléphant), 2001.
Au premier abord, les Fenêtres semblent exprimer une idée à laquelle
j’adhèrerai dans une certaine mesure : à l’heure où beaucoup d’entre nous
font l’erreur de confondre environnement naturel et campagne, force est
de constater qu’au moins sur le vieux continent, il n’est guère plus facile
d’approcher la nature, dans son ampleur, que dans les musées. De plus,
les parcs et réserves nationaux étant des oasis sauvages très récentes dans
nos paysages ruralisés, l’animal du dehors qui peut éventuellement y être
croisé a pour l’instant plus tendance à se cacher qu’à se montrer !
Mais une deuxième lecture incite à questionner le reflet des humains : ne
renvoie-t-il pas à une frontière, invisible et pourtant perceptible, qui nous
séparerait de l’idyllique nature, celle où la bête pait tranquillement à
proximité de l’humain plutôt que de le fuir ? Voilà encore, il me semble,
une occurrence du « canonique principe d'individualisation qui nous fait
sujets séparés, maîtres de l'extériorité et de notre intériorité ». Or, dans ce
cas, l’image de la frontière se précise : elle est aussi nette et translucide
qu’une vitre. Quant à « l’animal originel », il est à la fois extérieur,
sauvage, vivant dans son apparence et mort dans la réalité.
Vers quelles contrées Oleg Kulik est-il parti chercher le moyen de briser
cette frontière entre la culture humaine et la nature animale ? Avançons
164
un peu plus dans son cheminement, et nous pourrons découvrir que suite
à la problématisation de la mort et du sauvage par le biais des Fenêtres,
l’artiste est parti dans le Nord de la Russie, en 2005213, pour observer et
questionner les Mongols sur leur rapport à la nature... Pourquoi avoir
choisi de porter attention à ce peuple nomade ? D’après ses propos, Oleg
Kulik s’est manifestement engagé sur les traces de Joseph Beuys : « Les
Tatares de Crimée qui soignèrent Beuys sont les héritiers directs des
Mongols en Europe » 214.
A observer de près et en parallèle les démarches des deux artistes, nous
remarquerons assez rapidement que la mention de peuples nomades n’est
pas leur unique point de rencontre… Les travaux du Russe et de
l’Allemand pourraient presque paraître liés par une forme de généalogie
si Oleg Kulik ne citait pas Joseph Beuys de manière anecdotique 215. C’est
donc avec prudence que nous allons nous attarder sur ce qui semble être
un « continuum teinté de mutation », comme dans l’évolution du
sacrifice de la Grèce Antique au Christianisme mais, dans ce cas, à la
faveur de l’animal.
Dans tout bon rapport de filiation moderne, le fils ne décide d’accepter
son héritage paternel qu’après y avoir opposé une certaine résistance 216, et
cette résistance est d’autant plus forte lorsque l’ascendance n’est pas
reconnue ! Sur quel plan la confrontation a-t-elle pu s’effectuer dans
notre cas artistique ? Il est à noter que la bête est principalement vivante
et domestique chez Oleg Kulik, morte et sauvage chez Joseph Beuys ; les
exceptions confirmant ces règles étant le cochon - comme dans le
Nouveau Serment 217 - pour l’un et le coyote de I like America, America
likes me (illustrations 92 et 98) pour l’autre. Est-ce par cette opposition
que le Russe a choisi d’interroger les animaux de l’Allemand ?
Avant de répondre à cette question, il me paraît nécessaire de souligner
au sujet de Joseph Beuys combien son œuvre conséquente, complexe et
213
KULIK Oleg (real.), The Gobi Test (Winter). XL Gallery, 57’, 2005.
« The Crimean Tatars who nursed Beuys […] are direct heirs to Mongols in Europe » in OKC p. 310. Les
Tatares auraient sauvé la vie de l’Allemand durant la Seconde Guerre Mondiale.
215
KULIK Irina, “Oleg Kulik : artificial paradise”, traduit du russe à l’anglais par Andrey Patrikeev in
ANTENNÆ, issue 8, volume 2, Londres, Hiver 2008. Au cours de l’interview, Kulik n’a pas cité Beuys dans
ses références philosophiques et artistiques, sauf au sujet de sa performance de 1994.
216
En posant ceci je pense aussi à la façon dont Joseph Beuys s’est lui-même construit en opposition – mais
pas seulement – à Marcel Duchamps qu’il a étudié dès les débuts de sa carrière. Il me semble qu’il serait
fécond d’envisager un rapprochement de ces trois artistes, notamment dans l’émergence de l’animal, le rôle de
l’art et enfin les interactions artiste/œuvre/spectateur. Il y a très certainement dans cette généalogie potentielle
un cheminement inverse à ce que György PALFI a dépeint dans son film Taxidermie (voir PdD, p. 52, 53).
217
D’autres cochons morts apparaissent chez Kulik, notamment dans la performance Piggly-Wiggly making
Presents d’avril 1992.
214
165
ambiguë est aujourd’hui encore très controversée. En me penchant sur cet
artiste dans le cadre du cours de Paul-Louis Rinuy, « Peindre, sculpter,
écrire à l’époque Moderne » j’ai pu comprendre tout ce qui chez lui
pouvait porter à débats218, comme par exemple son appartenance à la
jeunesse hitlérienne, la guérison tatare qui semble tenir plus du mythe
que de la réalité, un intérêt non dissimulé pour l’alchimie et le
chamanisme, ou, bien plus encore, une pratique mêlant ces formes de
sorcellerie à un discours messianique qui peut sembler très chrétien 219.
Nous avons d’ores et déjà dégagé quelle conception de l’animal la
crucifixion de Jésus a pu engendrer. De même avons-nous décrypté, en
deuxième partie de mémoire, le rapport à la nature des peuples animistes.
Posons seulement que, selon Serge Lafitte 220, « les chamanistes […] se
perçoivent comme les « égaux » des animaux dont ils partagent la
mobilité ».
Ainsi, quels risques Joseph Beuys a-t-il encourus en mélangeant deux
systèmes aussi radicalement opposés dans le rapport au monde qu’ils
impliquent ? Modifier les paradigmes soit de l’un, soit de l’autre.
Aujourd’hui encore se posent donc ces épineuses questions : Joseph
Beuys cherchait-il à étendre le territoire de l’homme au-delà de la sphère
domestique lorsqu’il expliquait, dans une langue incompréhensible, des
tableaux à un lièvre mort (illustration 97) 221 ? Se moquait-il de la
primitivité du cerf et de sa sauvagerie lorsqu’il beugla durant dix minutes
devant une assemblée d’étudiants, en 1968 222 ? Ou bien ses performances
dénonçaient-elles ce que l’artiste avait compris du rapport chrétien à
l’animal ? Sur ces questions de langage, il me semble y avoir un certain
rapport avec l’exception qu’est le porcelet mort du Nouveau Serment et le
« nouveau Gospel » d’Oleg Kulik. La performance du Russe ne présentet-elle pas l’avantage de relier chez Joseph Beuys l’animal sauvage et la
problématique chrétienne ? Est-ce un hasard heureux si ces œuvres
allemandes et russes peuvent si bien fonctionner ensemble ?
218
Voir la transcription de l’exposé oral du 19 décembre 2008 en Annexes III.
BARRE François (dir.), Joseph Beuys (JB). Paris, Centre Pompidou, 1994. p. 13 à 32.
220
LAFITTE Serge, « L’homme, hôte de la nature » in LMR.
221
JB p. 31.
222
JB p.30.
219
166
Illustration 97, BEUYS Joseph, Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort, 1965.
Le piège, dans la démarche de Joseph Beuys, est qu’il est possible
d’interpréter son intérêt persistant pour le culte chrétien comme une sorte
d’apologie, d’autant plus que certains des propos de l’artiste ont pu aller
dans ce sens, notamment au début de sa carrière223. Cependant, je
souhaite préciser que, selon Alain Borer, l’approche beuysienne du
dogme qui a conduit à la Modernité tient « plus d’une cathologie » c'est-à-dire une étude critique - « que d’une catholicité »… Toute la force
et l’ambiguïté de l’Allemand résideraient donc dans le fait qu’il ait réussi
à prendre au moins le minimum de recul nécessaire à l’analyse de son
propre système de croyance. Si cela n’avait été le cas, pourquoi aurait-il
décidé d’enfermer la performance I like America, America likes me dans
une cage qui a tout du territoire hermétique que s’est construit l’homme
d’Occident ?
223
JB p. 32.
167
Illustration 98, BEUYS Joseph, I like America, America likes me, 1974.
Nous pourrions au sujet de cette performance tomber dans la polémique
portant sur l’exception beuysienne que fut le coyote vivant : était-il
sauvage ou domestique ? Oleg Kulik ne nie pas s’être posé la question
lors de I bite America, America bites me (illustration 93), même si
l’objectif premier de cet acte artistique était de tenter un état de
zoophrénie par l’intermédiaire du chien - ce qui, à l’époque, occupait le
Russe à plein temps : « […] Un but : être un chien pour un mois lors de
ma performance intitulée I bite America, America bites me. Et cela a
fonctionné. Et cela n’a pas été si facile. Essayez lorsque vous aurez du
temps à perdre. Initialement, cette performance devait lancer une
polémique sur la performance de Joseph Beuys et du coyote dans I like
America, America likes me. Pourtant, le caractère polémique a disparu
dès que je me suis changé en chien… » 224
Si c’est la soi-disant sauvagerie du coyote qui fut mise en question par le
Russe - en parallèle avec les places et rôles de l’artiste et du spectateur
dans la performance de 1974 - Oleg Kulik avoue lui-même que cette
interrogation sur le statut de l’animal disparut dès qu’il se « changea en
chien »… Est-ce donc par cet accident que l’artiste russe a pu interpréter
ce que cherchait Joseph Beuys, dans ses interactions avec le coyote,
224
“[…] One goal: to be a dog for a month in my performance titled I Bite America, America Bites Me. And it
worked. And it wasn’t that easy. Try it when you have time to spare. Initially this performance was a polemic
with the performance of Joseph Beuys and the coyote I Like America, America Likes Me. Yet, this polemic
disappeared as soon as I turned into a dog…” in KULIK Irina, “Oleg Kulik : artificial paradise”, traduit du
russe à l’anglais par Andrey Patrikeev in ANTENNÆ, issue 8, volume 2, p.34, Londres, Hiver 2008. (Traduit
de l’anglais par mes soins).
168
comme l’ensauvagement de l’artiste plutôt que l’apprivoisement de
l’animal ? Si Oleg Kulik s’est décidé à suivre plus tard Joseph Beuys vers
le chamanisme des peuples nomades, il semble probable qu’il ait réussi à
lever toute ambiguïté sur cette question ; sans quoi le Russe n’aurait
jamais pu écrire les quelques mots qui associent la démarche de
l’Allemand à la vie de Gengis Khân :
« Peu de gens sont conscients de la révolution spirituelle lancée par le
Grand Mongol. Sans changer les croyances religieuses et ethniques sur
les territoires occupés, ce premier œcuménique fit vivre le monde en
accord pendant quatre cents ans.
Les historiens supposent que le titre de Gengis donné à l’homme nommé
Temuchin dérivait de genghihu dont la traduction est « j’embrasse »
[dans le sens « j’accepte, j’accueille, j’inclus »]. L’expansion mongole
s’apparentait à l’acceptation chamanique.
Gengis Khân a parlé des Cavaliers Bleus qui viendraient à la fin des
temps pour unifier le monde par leur esprit de paix. Quelle différence par
rapport à notre Apocalypse !
La culture du siècle dernier peut être analysée par l’opposition Joseph
Beuys/Andy Warhol. Le pauvre Andy a perdu son chemin dans le
supermarché contemporain, il ne pouvait trouver la sortie, sauf dans son
ironie. Beuys a atteint un autre niveau de réalité par la force de la naïveté.
Le désastre lui révéla un unisson à la nature vital et vivifiant, et il devint
le pionnier d’un nouveau chamanisme dans l’art.
Les Tatares de Crimée qui soignèrent Beuys, pilote de l’armée de l’air,
sont les héritiers directs des Mongols en Europe. Et le feutre, la graisse
qui constituent la médecine et l’art de Beuys sont la principale production
industrielle
de
Mongolie
aujourd’hui.
Lorsqu'on
regarde
l’art
contemporain des vastes plaines de la steppe mongole, Warhol semble
être un monument à notre peur de vivre quand Beuys est l’ancêtre d’une
potentiel renouveau transcendantal » 225.
225
« Few people have been aware of the revolution of the spirit launched by the Great Mongol. Without
changing religious and ethnic beliefs on the occupied territories, this first ecumenicist made the world live in
concord for 400 years. Historians suppose that the title of Genghis which was given to the man named
Temuchin was derived from “genghihu”, a word translated as “I embrace”. The Mongol expansion was akin
to the shamanic embrace. Genghis Khan spoke of the Blue Riders which were to come at the end of time to
unite the world through their peaceful spirit. What a difference to our Apocalypse! The culture of the last
century can be analyzed as the Joseph Beuys – Andy Warhol opposition. Poor Andy lost his way in the
supermarket of contemporanity, he could not find any way out of it, except in his irony. Beuys achieved a
different level of relationship with reality in the force of naivety. Disaster revealed to him a vital invigorating
unity with nature and functioned as a trailblazer of new shamanism in art. The Crimean Tatars who nursed
169
Je souhaite maintenant mêler les démarches d’Oleg Kulik et de Joseph
Beuys à certaines des théories rassemblées par Steve Baker dans son livre
The Postmodern Animal, d’abord parce que le travail du Russe me
semble une bonne image de la posture artistique pointée par le
philosophe anglais ; ensuite parce que Steve Baker pose lui-même Joseph
Beuys comme l’ancêtre du modèle qui pourrait permettre d’aboutir la
recherche de « l’animal postmoderne » : l’artiste-sorcier.
The Postmodern Animal débute par la distinction de deux démarches
contemporaines concernant la bête dans l’art, définies par Kate Soper
dans What is Nature ? 226 :
-
La démarche « green » ou éco-militante répond uniquement à des
préoccupations environnementales d’ordres « pratiques », comme la
protection de l’environnement et la conservation des espèces. Cette
approche présente le handicap de ne pas porter d’attention particulière à
la « construction culturelle de l’animal », ce qui explique sans doute
pourquoi les bêtes représentées par le couple de peintres-performers Olly
and Suzi (Illustration 99) semblent cruellement manquer de profondeur :
que voir dans ces dessins bruts sinon un fatalisme consécutif aux grands
carnages du XXe siècle qui ont touché les bêtes autant que les hommes ?
L’image d’un animal résumé à sa simple fragilité.
Illustration 99, Olly and Suzi, Deer for Beuys, 1998.
Beuys, a fighter aircraft pilot are direct heirs to Mongols in Europe. And felt and fat as medicine and the
material of Beuys’s art are the main industrial produce of Mongolia today. When one looks at contemporary
art from the vast plains of the Mongolian steppe, Warhol seems to be a monument to our fear of life, while
Beuys is the forbearer of the potential transcendental renewal. […] » in OKC, p. 301.
226
PmA p. 8, 9.
170
Comment ne pas tomber dans le piège de ce fatalisme ? Steve Baker
conseille aux artistes « green » de porter attention à leurs animaux de
compagnie, de façon à ce qu’ils abandonnent leur démarche rationnelle
pour une approche beaucoup plus sensible, et au regard de l’analyse
rapide qui a été faite des travaux d’Oleg Kulik, ce conseil semble fort
avisé !
-
De l’autre côté, l’approche « postmoderne » de l’animal est un
travail « à la fois théorique et pratique » qui s’intéresse à « la façon dont
les relations avec les non-humains ont toujours été façonnées par
l’histoire » et se montre sceptique quant aux « implications culturelles »
d’« une construction et une classification de l’animal dont l’objet serait
de le rendre signifiant pour l’homme ». Les artistes comme les
philosophes de la Postmodernité font donc acte de « résistance à la
dissolution du corps, humain et animal » opposant au « plaisir dans la
confusion des frontières [entre hommes et bêtes] » « la responsabilité de
leur construction »227. La botched taxidermy, qui consiste à travailler sur
des peluches ou bien des animaux naturalisés, est enfin proposée comme
l’outil de résistance privilégié par les artistes postmodernes.
A la lumière des modèles établis par Kate Soper et repris par Steve
Baker, nous pouvons donc assimiler le travail plastique et théorique qui a
mené Oleg Kulik de la « zoophrénie » domestique aux taxidermies
sauvages des Fenêtres à une recherche de l’« animal postmoderne ».
Et pour terminer de croiser les sources théoriques, j’ajouterais que
l’« animal originel » recherché par l’artiste russe pourrait avoir pour
fonction de pallier les problématiques territoriales de l’homme moderne,
c'est-à-dire d’engager ce qu’Elisabeth de Fontenay appelle un processus
de « déterritorialisation ».
Quelle bête pour quel mode opératoire ? Steve Baker relate dans son livre
de 2000 comment Claude Lévi-Strauss ou Jacques Derrida ont pu se
sentir mis à nu par leurs chats228… Si notre animal peut être domestique,
alors pourquoi donc Joseph Beuys et Oleg Kulik sont-ils allés chercher
vers le sauvage de lointaines contrées ? Peut-être parce que la bête
mystérieuse se distingue des fragiles animaux qui nous entourent
227
228
PmA p. 151, 152.
PmA, p. 183 à 190.
171
aujourd’hui, sur les territoires d’Occident, par sa grande puissance ; une
puissance qui a été anéantie tout au long de notre histoire.
Aussi pouvons-nous poser que « l’animal postmoderne » de Steve Baker
est plus une question de rapport à l’animal, d’animalité, que d’animal à
proprement parler. Cette constatation a très certainement motivé des
artistes tels qu’Oleg Kulik et Joseph Beuys à poursuivre leurs recherches
hors des terres d’Occident, et plus précisément auprès de populations
présentant les mêmes caractéristiques que nos ancêtres d’avant la
domestication : des communautés de nomades, chasseurs, au sujet
desquelles nous pouvons souligner qu’elles ont longtemps résisté à la
sédentarisation, l’agriculture et l’élevage. Au contraire de nous et jusqu’à
très récemment, les peuples Tatares et Mongols n’étaient pas plus
propriétaires de leurs terres que de ce qui s’y épanouissait.
Ainsi, l’élément primordial de la pratique artistique du sorcerer apparaît
être le protocole susceptible, simultanément, de déconstruire la
territorialité de l’humain moderne et de réinstaurer l’originelle alliance.
N’est-ce pas ce que Joseph Beuys a tenté en 1974, lorsqu’il s’enferma
avec un coyote dans l’espace clos de la galerie René Block ? C’est en
tout cas ce que pense Steve Baker lorsqu’il réfléchit à la figure du
sorcier ; ou encore ce que semble avoir conclu Oleg Kulik de ses
interrogations sur le travail de l’Allemand.
En ce qui me concerne, je tendrai à une grande prudence vis-à-vis de I
like America, America likes me, car Joseph Beuys n’a pas choisi le coyote
par hasard. Il s’agit d’une figure divine des Sioux Dakotas : auparavant
étoile, Ksan (la sagesse) fut transformée en coyote et exilée sur terre.
Cette entité transgressive est celle qui élimina les monstres des premiers
âges et enseigna la technique aux humains. Elle est aussi celle qui
interrompit la communication entre les hommes et les animaux.229 Il me
semble donc que, dans sa valeur mythologique initiale, le coyote n’était
pas la bête la plus apte à générer quelque procédure de déterritorialisation
que ce soit.
Outre ce fait, la performance de Joseph Beuys et son animal-étoile furent
l’une des principales pistes à m’avoir guidé vers le domaine de la
sorcellerie et des pratiques magiques.
229
LMR, p.22.
172
En haut : illustration 100, Rêve en Léda, décembre 2008. Interprétation d’une performance d’Oleg KULIK :
On my Family, 1996. En bas : illustration 101, Saint Oleg, patron des chevaux, décembre 2008. Interprétation
d’une performance d’Oleg KULIK : On horses, Bretagne, 1998.
173
Les rapprochements d’Oleg Kulik, de Joseph Beuys avec Elisabeth de
Fontenay auront permis, tout au long de ce huitième chapitre, de revenir
sur les caractéristiques de la recherche artistique de « l’animal
postmoderne » définie par Steve Baker, tout en prolongeant son modèle
de quelques hypothèses.
En croisant les parcours de l’artiste russe avec les développements de la
philosophe française, nous avons pu dégager combien il est à la fois
bénéfique et indispensable, dans ce type de démarche, de s’intéresser aux
mutations du statut de l’animal au cours de l’histoire. Un tel travail
théorique consiste non seulement à réfléchir les différents degrés de
proximité entre les humains et les bêtes à travers le temps, mais aussi en
confrontant le schéma moderne à celui de chasseurs-cueilleurs
contemporains. Ces étapes de réflexion présentent deux avantages.
Réfléchir le domestique sous l’ère chrétienne permet de mettre en
évidence les mécanismes complexes et connexes ayant induit,
simultanément, la construction de l’humanisme occidental et ses ruptures
d’avec la sphère animale. Les frontières ontologiques érigées autour du
territoire de l’homme moderne paraissent alors être la problématique
centrale de la démarche qui nous intéresse, dans le sens où elles sont à la
source de notre rapport prédateur au monde.
Penser en parallèle le sauvage des peuples nomades incite à rechercher
l’animal non plus dans sa fragile matérialité - que ce soit dans la nature
ou dans le domaine industriel - mais dans sa puissance symbolique, celle
dont il a été dépossédé en Occident, mais dont il jouit encore chez les
Sioux Dakotas par exemple.
Sur ce deuxième point, Steve Baker a souligné la pertinence de I like
America, America likes me, la performance newyorkaise qui inaugura
selon lui, en 1974, le retour de l’animal dans le domaine de l’art
contemporain. Certes, la cohabitation de Joseph Beuys avec un coyote a
largement marqué les esprits, cependant il ne faut oublier qu’à cette date
l’artiste allemand avait déjà travaillé à plusieurs reprises sur l’animalité.
Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort fut sans doute moins
sensationnel dans la mise en scène, pourtant l’acte artistique traita du
« langage des bêtes » cher à Elisabeth de Fontenay avec une rare
complexité.
174
A l’issue de ce sinueux cheminement théorique se dégage une question
primordiale : comment déconstruire la territorialité moderne ? Les voies
explorées par Elisabeth de Fontenay, Oleg Kulik et Joseph Beuys
pensent, proposent ou mélangent pratique artistique, expérimentation et
manipulation des sphères de la triade sacrée humain/animal/divin. De
même, nos quatre protagonistes penchent tous à leur manière vers une
approche ethnologique des rapports humains à l’animalité, que ce soit par
le biais de Claude Lévi-Strauss et du structuralisme pour la philosophe
française, des Tatares et des Mongols pour les artistes allemand et russe,
ou enfin de la figure du sorcerer pour le penseur anglais.
Les peuples nomades de chasseurs-cueilleurs détiennent-ils dans leurs
pratiques rituelles les secrets de la déterritorialisation ? Est-il possible
que dans la chasse, tout comme dans les sacrifices dionysiaques mais
d’une autre manière, les animaux ne perdent « que » la vie ? Comment
les Solutréens et leurs équivalents contemporains ont-ils pu générer et
entretenir une « perception horizontale de l’univers » au sein de laquelle
l’homme est une bête parmi les autres ?
A ce point de notre réflexion, les problématiques du septième chapitre
convergent, avec celles du huitième, vers quelque chose qui concerne la
prédation sauvage… Quelles sont les interactions entre l’homme et
l’animal dans ce domaine que la majorité d’entre nous ignorent ? Qu’estce qui différencie le chasseur de sa proie ? Le chasseur prend dans la
nature ce qui est nécessaire à sa propre subsistance, sa proie y laisse
littéralement la peau. Or, chez les Solutréens les rôles pouvaient être
inversés. Ce cas de figure est encore possible aujourd’hui dans certaines
régions d’Amazonie, d’Afrique Equatoriale ou de Papouasie-Nouvelle
Guinée. Comment envisage-t-on la bête lorsqu’on peut tout autant être le
chasseur que le gibier ? Quel est le moyen de toucher cette énigme du
doigt ? Enfin se pose une dernière problématique : est-il possible d’être à
la fois le prédateur et sa proie ?
Explorer les conséquences d’une telle symbiose implique d’en passer par
l’identification de ce qui permet de l’instaurer. Pour ce faire, je vous
invite donc à reprendre maintenant l’analyse des Animaux Stellaires, de
façon à comprendre de quelle manière ils m’ont mené à graviter autour
de cet ultime questionnement.
175
Illustration 102, Devenir Daim, montage numérique d’un dessin automatique sur photographie, mars 2009.
176
Illustration 103, Monsieur Daim, (assemblage I), montage numérique, janvier 2009.
177
Illustration 104, Monsieur Daim, (assemblage II), montage numérique, janvier 2009.
178
Illustration 105, Monsieur Daim, (assemblage III), montage numérique, janvier 2009.
179
Illustration 106, Masque stellaire de Monsieur Dame Daim, janvier 2009.
180
CHAPITRE IX
Rêves, magies et chasse à l’homme :
de la Constellation du Renard à la
Métamorphose de Monsieur Dame Daim
181
Illustration 107, Constellation du Renard, octobre 2008.
182
Si j’ai pu approché les questions de territoires de manière intuitive au
cours des années de Licence, ce n’est qu’après avoir croisé les lectures
d’Elisabeth de Fontenay et de Steve Baker que les enjeux soulevés par
cette problématique ont commencé à véritablement modeler mon travail
plastique : les multiples botched taxidermies de l’année 2008 sont autant
d’étapes et de pistes explorées tout au long de ma recherche de « l’animal
postmoderne ».
En outre, il me semble de plus en plus évident que les propositions du
philosophe anglais ont été suivies « presque » à la lettre durant les deux
années de Master. Après m’être intéressé à « la façon dont les relations
avec les non-humains ont toujours été façonnées par l’histoire », la
première véritable incorporation de la question d’espace à la
problématique animale s’est produite au début de cette dernière année
universitaire. Elle se trouve dans les clous et les réseaux perlés des
Animaux Stellaires, travaux pourtant marqués de l’unique résistance
opposée aux incitations de Steve Baker. Pourquoi ai-je persisté dans le
choix de la chasse et du sauvage, alors que le philosophe suggère la
sensibilité envers les animaux familiers ? Pourquoi ai-je, de plus, acheté
des taxidermies d’espèces intégralement protégées comme la fouine, le
héron cendré (Ardea cinerea) ou enfin le hibou des marais, alors que je
connaissais les arrêtés qui les concernent pour avoir travaillé dans la
protection de l’environnement 230 ? La désobéissance à Steve Baker ainsi
que le non-respect de certaines lois m’ont forcé à réfléchir sur
l’implication délibérée, parfois même illégale, d’animaux sauvages dans
mes travaux plastiques.
Ce chapitre va donc être consacré à la reprise des réflexions autour des
Animaux Stellaires, de façon à ce qu’ils puissent s’éclairer de tout ce qui
a été préalablement posé. La persistance du sauvage à l’intérieur de mes
recherches pourra alors sans doute être comprise, de même que la façon
dont ces cadavres « étoilés » et leurs descendants photographiques - les
Histoires Naturelles et les transformations de Monsieur Dame Daim m’ont mené à la découverte du chamanisme, un domaine d’autant plus
important qu’il a permis de relier l’ensemble des thèmes et des
problématiques de ce mémoire.
230
Voir PT pages 12 à 16.
183
Analyser les Animaux Stellaires implique qu’ils soient replacés dans le
cadre du travail engagé suite à la lecture d’Elisabeth de Fontenay et de
Steve Baker. Aussi sera-t-il sans doute productif de rechercher dans ces
pièces les éventualités d’un « animal postmoderne », de la triade sacrée et
enfin d’un protocole de déterritorialisation. Commençons par identifier la
façon dont la série des Stellaires oppose au « plaisir de la confusion des
frontières
[entre
hommes
et
bêtes]
la
responsabilité
de
leur
construction ».
La création des Animaux Stellaires n’a pas uniquement été motivée par
les théories de Chantal Jègues-Wolkiewiez. Ces botched taxidermies
sont aussi une réaction à l’extrait du Traité de taxidermie de Le Roye :
« L’art de naturaliser les animaux se nomme taxidermie, assemblage de
deux mots grecs : taxis (arrangement) et derma (peau). Il s’agit bien, en
effet, d’arranger la peau ou les plumes d’un animal ou d’un oiseau
morts, de façon à leur redonner l’aspect de la vie » 231.
La peau ou les plumes des Animaux Stellaires ont donc été arrangées de
façon à ce qu’ils proposent ma vision de l’animal, qu’il soit vivant ou
mort : cette conception part de l’hypothèse selon laquelle les bêtes,
contrairement aux hommes modernes, ne seraient pas soumises au
« canonique principe d'individualisation qui nous fait sujets séparés,
maîtres de l'extérieur et de notre intériorité ». Ainsi, les pointes
symbolisant des étoiles ont été choisies pour leur capacité à solidariser
en les transperçant des éléments matériaux initialement distincts. Dans
le cas de la Constellation du Renard (illustrations 107 et 108), ce sont
bel et bien le dedans et le dehors de la bête empaillée que j’ai souhaité
unifier par l’intermédiaire des clous, la fonction de ces objets étant alors
de créer une continuité visuelle et métallique entre l’individu animal,
simulé par la taxidermie, et son environnement extérieur.
Le fil de perles enroulé autour des clous participe à cette image de
continuité en troublant les contours de la taxidermie : face aux larges
mailles de ce réseau, le regard ne peut résumer la bête à la frontière de sa
peau. Cette perturbation peut aussi intervenir sur le plan tactile. Si nous
fermions les yeux pour toucher la Constellation du Renard, la première
chose que nous ressentirions serait le froid minéral des clous ou des
231
LE ROYE, Traité de taxidermie ou l’art de naturaliser. Paris, éditions Bornemann, 1967.
184
perles ; un peu comme on détecte la chaleur d’un vivant du bout des
doigts avant même que le contact dermique n’ait été établi. Comment
interpréter ces perles qui participent à troubler les formes des bêtes
empaillées ? Notons que comme pour le Messager de Nuit (Grand
Hibou), les ornements des Animaux Stellaires sont le fruit de plusieurs
protocoles pratiqués simultanément.
D’abord, tout comme dans le Triptyque perlé 232, le hasard joue un rôle
dans la disposition des perles. Leur séquençage aléatoire me semble être
une tentative de transcription, certes simplifiée, du code secret selon
lequel les fluides ou le moisi se déplacent. De leur côté, les sequins
piqués sur le Petit Renard Etoilé ont sans doute à voir avec la façon dont
se développe une colonie de champignons. Ces correspondances
plastiques manifestent la recherche d’une vision de continuité liant le
vivant au non-vivant, mais aussi l’animal au végétal, voire plus largement
aux éléments. Ainsi, les Animaux Stellaires apparaissent être des images
de métamorphoses, de l’ordre de celles qui confondent l’humain, l’animal
et le divin chez Ovide 233 comme dans les contes de certains peuples
d’Afrique 234 ou d’Amérique. Ces pièces interrogent donc la triade sacrée
dans sa configuration Solutréenne.
A la manière des sequins du Messager des Rivières (perdrix), les perles
des Animaux Stellaires ont de plus été choisies en fonction du plumage
ou du pelage de la taxidermie à laquelle elles devaient être associées.
Ainsi, avant même le Messager de Nuit (Grand Hibou), les réseaux de
fils perlés de cette série renvoyaient déjà à la question du mimétisme, que
la vue des Messagers de la Mort décapités avait insinué en juin 2008
dans mon travail 235. Il y a donc dans les Animaux Stellaires, comme dans
les Fenêtres d’Oleg Kulik, la proximité entre le sauvage et la mort qui
m’a mené à envisager les métamorphoses en tant que modes d’accès aux
« temps mythiques ». De plus, travailler à la « confusion des frontières »
sur les Animaux Stellaires m’a permis de prendre pleinement conscience
de la propension qu’ont les animaux empaillés à présenter la mort comme
un passage et non un état. Etrangement, cette capacité semble intrinsèque
à tout ce que produisent nos artisans taxidermistes.
232
Infra Chapitre IV, p. 79.
SdB in PdD, chapitre II.
234
FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane et al. Animal. Paris, édition Dapper, Ouvrages Beaux-arts, 2007.
235
Infra p. 58.
233
185
Double page : illustration 108, Constellation du Renard, octobre
2008. A gauche, le renard avant le travail plastique ; ci-dessus, la
pose des clous ; ci-dessous et à droite, la Constellation du Renard
achevée.
186
187
Tentons dans un deuxième temps d’identifier la façon dont les Animaux
Stellaires dénoncent la « construction des frontières » délimitant le
territoire de l’homme moderne. Pour ce faire, nous devons revenir sur les
questions d’étoiles soulevées dans le cadre du chapitre VII. Je vous invite
à passer outre mon ignorance astronomique car j’y remédie activement.
De plus, une simple carte et un peu d’ingéniosité suffiront à positionner
les clous des productions à venir dans une configuration proche de celle
des astres nocturnes.
Comparer le processus de création de la Salle des Taureaux avec celui
des Animaux Stellaires devrait apporter quelques réponses. Ces quelques
pièces conservent-elles quelque chose de la méthode des peintres de
Lascaux ? Dans le cas préhistorique, ce sont sans aucun doute les
emplacements des coordonnées d’étoiles sur les parois rocheuses qui ont
permis de définir les représentations d’herbivores ; or, dans mes travaux,
ce sont les corps des bêtes naturalisées qui ont servi à figurer les astres.
Cette inversion plastique me semble mettre en tension le rapport moderne
aux bêtes avec celui des chasseurs Solutréens, ce qui renvoie à quelquesunes des interrogations du septième chapitre : qu’est-ce que confondre
animaux et constellations dans une même image ? Comment faire ? Pour
quoi faire ? Qu’est-ce que cet acte implique ? Quelles peuvent en être les
conséquences ? Nous avons posé antérieurement que les peintures de
Lascaux formaient une image de la triade sacrée que composaient les
Solutréens, les ongulés sauvages et les étoiles divines 236. Nous avons
aussi compris que le rapport aux bêtes de nos ancêtres était dénué de
toutes les problématiques qui succédèrent plus tard à la domestication237.
Nous avons enfin émis l’hypothèse que les étoiles pourraient avoir été les
premiers enjeux de la problématique territoriale chez l’animal humain 238.
Dans quelle mesure les ornements de Lascaux auraient-ils permis aux
hommes préhistoriques de remédier à cette initiale fracture ? Les
troupeaux stellaires des parois de cette grotte me semblent être le mode
d’emploi fort bien illustré d’un mystérieux procédé : à travers les
représentations zoomorphes, les chasseurs pouvaient distinguer les
constellations du dehors. Regarder la Salle des Taureaux revenait donc,
236
Infra p. 144 à 145.
Infra p. 141 à 143.
238
Infra p. 147.
237
188
d’une certaine manière, à traverser la roche du regard… Les bêtes qui
furent peintes à l’intérieur de la caverne apparaissent alors avoir été les
motifs possibles d’un processus de déterritorialisation visuelle permettant
de toucher du regard les étoiles du dehors.
Considérons maintenant la Constellation de la Fouine (illustrations 80
et 109) et réfléchissons cette taxidermie en termes d’espace : les clous
symboles d’étoiles sont à l’extérieur de l’animal, de même que le réseau
de fils perlés, qui est une reprise de ce en quoi consiste un astérisme :
créer du repère. Dans cette œuvre, le rapport spatial de l’animal au
stellaire est donc le même que dans les images de Lascaux. Qu’en est-il
enfin de l’humain ? C’est sur ce point qu’intervient l’inversion : les
Solutréens qui contemplaient la Salle des Taureaux étaient à la base
d’un mouvement mental menant de l’intérieur de la grotte vers
l’extérieur. Au contraire, celui qui se tient face à la Constellation de la
Fouine devra accepter de se faire happer par le dedans de la pièce s’il
veut en intégrer l’espace.
De ce fait, avoir choisi d’utiliser les contours des taxidermies pour
figurer les étoiles des Animaux Stellaires, et non l’inverse, me semble
l’expression plastique de l’hypothèse suivante : aujourd’hui, nous
sommes étrangers à l’espace cultuel que généraient les Solutréens en
ornant des cavernes. Cette idée n’implique pas que je nous considère
comme « en dehors » de la nature239, elle suppose seulement que nous
avons perdu ce qui reliait mentalement nos ancêtres à au moins deux de
ses composants : les astres et les bêtes.
Parce qu’elle inverse le schéma de déterritorialisation des Solutréens, la
Constellation de la Fouine peut placer chacun de ses observateurs face
à ses propres frontières, tout en invitant ceux qui le souhaitent à
s’interroger sur la solution qu’utilisaient les chasseurs de Lascaux.
Dans le cadre de mes recherches, les conséquences supposées de la
coïncidence entre l’art et la science à l’ère préhistorique ont focalisé mon
attention sur les similitudes entre l’idée de métamorphose propre aux
légendes, mes propres expériences sensorielles et la déterritorialisation.
De plus, l’éventualité d’un tel processus avant l’histoire a remis en cause
l’origine chrétienne du « canonique principe d’individualisation ».
239
Je refuse l’opposition nature/culture, voir PdD 58, 59.
189
Double page : illustration 109, Constellation de la Fouine, octobre 2008.
A gauche et ci-dessous, la fouine avant le travail plastique. Ci-dessus,
étape intermédiaire de réalisation : pose des clous, du fil et des perles.
A droite, l’œuvre achevée.
190
191
Intéressons-nous pour compléter cette analyse à la triade sacrée
homme/bête/dieu mise en œuvre par les Animaux Stellaires. La
répartition des rôles induite par les Constellation du Renard et de la
Fouine reprend celle des peintures rupestres du Paléolithique : nous en
sommes la part humaine, l’animal est une taxidermie, et enfin les clous
font figures de divines étoiles. Dans quelle mesure cette dernière
correspondance se justifie-t-elle ? Sur ce sujet, il me faut préciser que le
criblage dont les Animaux Stellaires ont fait l’objet fut un acte
prémédité : en faisant converger les arts de la Préhistoire et
l’astronomie, la théorie de Chantal Jègues-Wolkiewiez m’a très
rapidement remémoré un travail, réalisé fin avril 2007 en réponse à l’un
des protocoles de Daniel Danétis240.
L’objectif de Grande Main (Illustration 110) était d’interroger
l’empreinte corporelle en tant que processus de création, ce qui
impliquait de mettre en tension deux occurrences de cette technique
chronologiquement très éloignées : un tableau bleu d’Yves Klein (ANT
170, Anthropométrie sans titre, 1960) et les peintures rupestres de la
grotte Chauvet.
Puisque la main était présente dans ces deux peintures, j’avais choisi de
mener mon investigation plastique à partir de ce motif. Une empreinte a
donc été traduite en lignes de niveaux, grâce à des clous plantés sur une
planche de bois - préalablement peinte en bleu - et à une ficelle tendue
entre leurs têtes. Le but des pointes était alors de « traverser la peau de
l’œuvre » de Klein, et l’une des intuitions de cette construction avait été
de placer ceux des clous qui formaient le poignet dans une
configuration rappelant celle de la Grande Ourse.
La Grande Main a une place particulière dans ma démarche, car elle a
marqué le passage de ma pratique plastique, par le biais du dessin, de la
bidimensionnalité des peintures de Licence à la tridimensionnalité des
pièces de Master. En outre, je retiens aussi cette œuvre parce qu’elle a
précédé de quelques jours les expériences sensorielles de mai 2007 : je
rappelle qu’à la suite d’une série de vaccins, j’ai basculé dans un état au
cours duquel il m’a semblé que la « frontière de ma peau » avait été
abolie. Les aiguilles médicales qui ont généré cette impression
240
« Parler l’image », 2006/2007, protocole n° 12.
192
partageant quelques similitudes matérielles avec les clous, ces derniers
objets sont depuis devenus les références plastiques de ce que je
considère
aujourd’hui
comme
ma
propre
déterritorialisation.
Illustration 110, Grande Main, avril 2007.
193
expérience
de
Il me semble que cette référence confère aux clous de la Constellation
de la Fouine une fonction équivalente à celle des astres dans les
peintures de Lascaux : anéantir la problématique frontalière qui était
naissante chez les Solutréens. A la lumière de ce rapprochement, les
clous apparaissent dans la complexité de ce qu’ils entremêlent : comme
nous l’avons établi précédemment, les pointes des Animaux Stellaires
sont une atteinte directe au principe d’individualisation appliqué aux
bêtes, ce transfert problématique qu’illustrent parfaitement les cadavres
sauvages lorsqu’ils sont naturalisés puis posés en décoration sur un
meuble rustique. Mais enfin, tous les objets métalliques des Animaux
Stellaires me semblent aussi répondre à la volonté de redéfinir les
volumes des taxidermies par l’intermédiaire des astres : l’ajout du fil
perlé, dans un travail inverse à celui du sculpteur241, ne cherche-t-il pas
à rendre aux bêtes empaillées quelque chose de la dimension divine des
étoiles ? Je souhaite ardemment qu’en remaniant l’association d’images
animales et astrales des Solutréens, les opérations plastiques qui ont
construit les Animaux Stellaires aient permis de leur conférer un peu de
sacralité. Dans le cas contraire, les pièces de cette série pourront au
moins être considérées comme des botched taxidermies dénonçant la
« construction des frontières » qui délimitent le territoire de l’homme
moderne… A ce sujet, je trouve intéressant de noter que les réactions
aux Animaux Stellaires, pour l’instant peu nombreuses, varient selon
deux possibilités : les salariés et les clients de l’agence de
communication Awak’it 242 ainsi que les quelques lecteurs de mon blog
d’artiste243 ont majoritairement interprété les réseaux de perles comme
une « cage », éventuellement « dorée » ou encore une « armure ».
Quelques rares personnes ont pu y voir « une sorte d’aura », ou même
une « deuxième peau de perle » (au sujet de la Constellation du
Sanglier pour ce second cas). Une seule, enfin, y a vu les « personnages
étranges d’une vieille légende ». Je suppose que ces interprétations sont
révélatrices des rapports aux animaux de chacun de ces interlocuteurs.
241
Le sculpteur soustrait de la matière à son œuvre pour définir ses formes, alors que le réseau perlé consiste
en une amplification des volumes.
242
Le responsable de cette agence de Boulogne m’a donné l’occasion de faire une petite exposition privée
pour « le Cercle » - un concept évènementiel-, ainsi que deux exposés oraux de vingt minutes (un avec les
collaborateurs, un avec les clients) afin de présenter mes travaux. L’exposition s’est déroulée du 2 au 15 mars
dernier.
243
http://blog.julien-salaud.info/index.php/
194
A l’issue de cette analyse, nous pouvons conclure que les Animaux
Stellaires dénoncent la construction des frontières territoriales de
l’homme moderne autant qu’ils tentent d’y remédier. De plus, ils sont à
la fois une interprétation de la Salle des Taureaux comme image
d’accès à la triade sacrée hommes/bêtes/dieux et une tentative de
restauration de l’alliance qu’elle présuppose. Or, à ce stade de la
réflexion, deux points importants restent à éclaircir. Quel protocole de
déterritorialisation les Animaux Stellaires mettent-ils en œuvre ? Est-il
valide ? Comme nous l’avons établi, le mode d’emploi d’un tel
processus est perceptible à travers les clous des Animaux Stellaires.
Cependant, ces constituants plastiques se réfèrent à mes propres
expériences sensorielles, elles-mêmes basées sur ce que m’ont appris
les wayanas de Guyane. De ce fait, il paraît indispensable que ce
rapprochement des peintures de Lascaux, de mes expérimentations et
des systèmes rituels Amazoniens soit justifié : les deux premières
parties de ce mémoire ont démontré combien ces liens sous-tendent
l’ensemble de mes constructions animales. En outre, il me semble que
les différentes opérations plastiques d’inversion ou d’addition qui ont
construit les Animaux Stellaires ont eu pour effet de mettre en abîme le
protocole de déterritorialisation qu’ils induisent, ce qui peut rendre son
décryptage quelque peu délicat. Enfin, soulignons qu’à la différence des
Solutréens, ceux qui verront ces quelques travaux pourraient ne pas se
reconnaître dans des bêtes empaillées : que nous soyons des animaux
comme les autres ne va plus de soi aujourd’hui.
Ces données paraissent d’autant plus problématiques que, comme nous
l’avons
posée
auparavant,
l’identification
d’un
protocole
de
déterritorialisation « susceptible […] de réinstaurer l’originelle alliance »
est primordiale, en cela que l’alliance est elle-même indispensable à une
restauration de la triade, elle-même indispensable à ce que nous
réintégrions le vivant dans sa continuité. Je pense que l’ensemble de ces
problèmes a été appréhendé, d’une certaine manière, par un travail de
photographie engagé dès les premiers Animaux Stellaires. D’abord basées
sur ces pièces, les Histoires Naturelles sont ensuite devenues un
prolongement autonome des réflexions concernant la Salle des Taureaux.
195
De quelle manière la série photographique confronte-t-elle les mystères
de la déterritorialisation de l’ère contemporaine et de la Préhistoire ? Sans
doute en entremêlant le passé et le présent, l’indigène et l’exotique, la
conscience et l’altérité.
Je ne saurais ignorer le fait que les travaux animaux d’Oleg Kulik ont
inspiré les Histoires Naturelles, dont la première fut « Bonne nuit » (la
Fouine). Cette photographie (Illustration 111) me met en scène avec la
taxidermie de la Constellation de la Fouine, dans le genre de rapport
qu’un parent aurait avec l’enfant qu’il borde chaque soir. Cette filiation
de l’humain à l’animal se retrouve dans d’autres images, comme Feeding
my baby heron (Illustrations 112 et 114).
Illustration 111, « Bonne nuit » (la fouine), photographie numérique, octobre 2008.
Les Histoires naturelles révèlent la manière quelque peu détournée dont
j’ai pu suivre l’un des conseils de Steve Baker : privilégier une approche
sensible des bêtes, de façon à éviter les pièges du rationalisme
scientifique comme le fatalisme des artistes « green ». Cependant, j’ai
privilégié l’usage de taxidermies sauvages au chat préconisé par le
philosophe anglais afin d’indiquer clairement le sens de mon travail : ce
que je cherche à décrypter dans le rapport aux bêtes, ce n’est pas leur
éventuelle domestication, mais bien l’ensauvagement de l’humain.
196
Illustration 112, Feeding my baby heron 244, photographie numérique, janvier 2009.
C’est donc par le biais du sauvage que je me suis engagé, dans les traces
d’Oleg Kulik ou de Joseph Beuys, sur les chemins de l’apprivoisement.
Cela étant, tout comme Steve Baker, je suis d’avis que la familiarité entre
un homme et une bête est indispensable à toute recherche de l’animal
postmoderne : ce processus permet aux protagonistes qu’il concerne
d’élaborer un langage commun, cette forme de communication (ou de
communion) dont le modèle inaltéré perdure à travers les arts et les
légendes de peuples anciens ou exotiques. N’est-ce pas ce que Joseph
Beuys cherchait dans ses interactions avec le coyote d’I like America,
America likes me, ou bien lorsqu’il expliquait l’art à un lièvre mort ? 245
Illustration 113, Secrets (lapin apode et petit renard), photographie numérique, février 2009.
244
J’ai choisi un titre en anglais parce que l’équivalent français « Moi, nourrissant mon bébé héron » me
semblait particulièrement disgracieux…
245
Selon Elisabeth de Fontenay, Comment raconter les tableaux à un lièvre mort fait partie de ces œuvres
animales qui « réparent nos yeux abîmés ». In SoGH, p. 193.
197
Ainsi, les Histoires Naturelles ont inauguré l’entrée de mon travail
plastique dans une sphère mélangeant l’illogisme du rêve, la narration du
conte et le langage de la musique (Illustrations 155 et 116) ; un espace
imaginaire propice à la naissance d’amitiés fraternelles - ou d’amours
filiaux - me liant à des animaux sauvages, morts et pourtant familiers.
Depuis ces quelques images, la photographie me semble être un médium
propice à générer des images du « temps du mythe », de l’Ævum, là où la
matérialité des Animaux Stellaires ne faisait peut-être que dénoncer les
frontières territoriales de l’homme moderne.
Illustration 114, Feeding my baby heron, photographie numérique, janvier 2009.
198
Illustration 115, Autoportrait en petit chanteur du Paradis, photographie numérique, octobre 2008.
199
Illustration 116 : Petit chanteur du Paradis, novembre 2008.
200
Tout comme pour les Insectes étranges 246, mon blog d’artiste a été
l’occasion de prolonger les images narratives des Histoires naturelles par
le texte. Au fur et à mesure que je présentais un Animal Stellaire achevé,
ou encore une bête empaillée fraichement acquise, chacune de ces pièces
devenait un personnage plus ou moins loquace, au caractère de plus en
plus marqué. Toutes les taxidermies voulaient être « constellées », afin
d’être prêtes pour l’arrivée future de Vénus, une hybride à la fois femme,
biche, et voûte céleste, indiscutablement inspirée d’une chanson du
dernier opus d’Alain Bashung 247.
De quelle manière Vénus descendra-t-elle parmi les protagonistes de ce
conte virtuel ? A défaut d’œuvres achevées (Vénus est en cours de
montage), je peux vous présenter le scénario de cette prochaine
apparition par le biais des travaux qui en conteront le déroulement :
-
Passant 1, (les étoiles) (Illustration 118) marque le surgissement
de l’Homo sapiens sapiens dans le processus plastique de Constellation,
auparavant cantonné aux Animaux Stellaires. Ce flagrant déplacement de
l’animal vers l’homme illustre ma volonté de recentrer la problématique
de déterritorialisation sur le plan anthropologique. D’autre part, le
moulage de résine encollé sur une toile de peintre étant un autoportrait, il
me semble réintroduire dans mon travail la figure de l’artiste, sans doute
afin qu’elle puisse être réinterrogée, voire redéfinie.
-
La Métamorphose de Monsieur Dame Daim est un ensemble
constitué de montages numériques (Illustrations 79, 103 à 105, 116, 119 à
122) ainsi que d’une vidéo, Miadem ad rue, isnomed egal repme 248
(inversion de « emperlage de Monsieur Dame Daim ») qui a été diffusée
au Musée de la Chasse et de la Nature de Paris lors de la dernière Nuit
des Musées. Cette série présente une chronologie au cours de laquelle je
me transforme, au fur et à mesure d’une auto-Constellation, en un être
mi-homme mi-daim, mi-masculin mi-féminin, mi-terrestre mi-céleste. La
Métamorphose de Monsieur Dame Daim raconte donc l’histoire de ce qui
arrive à l’artiste, dont je joue le rôle, lorsqu’il décide de se projeter
progressivement dans l’un de ses Animaux Stellaires : il entre dans la
dimension cultuelle présumée de l’œuvre, constituée à partir des
246
Infra p. 35.
Texte en page 219.
248
DVD, Piste MIADEM.
247
201
caractéristiques dégagées de l’étude de Lascaux. L’acte d’autoConstellation qui le mène sur cette voie a pour conséquence de le souder
à l’animal et au stellaire, avec des clous et du fil. Ces deux outils
paraissent alors plus clairement vecteurs de l’instauration d’une alliance
chasseur/gibier/astres au sein de l’individu humain. De ce fait, il me
semble que la Métamorphose de Monsieur Dame Daim met en scène
d’une façon plus lisible le mode d’emploi de la déterritorialisation mis en
images par les Animaux Constellations…
Illustration 117, Monsieur Daim (les clous II), montage numérique, mars 2009.
-
Mars et Vénus concluront enfin, un jour prochain, sur l’arrivée de
l’étoile polaire : une fois sa métamorphose achevée, Monsieur Dame
Daim mettra bas une biche à corps de femme qui sera Constellée à son
tour. Mars, l’artiste-daim redevenu mâle, conservera à jamais les
marques rouges de son enfantement. Vénus se couvrira du bleu de la nuit
pour marquer son origine céleste. Un réseau de fils perlés les rassemblera
à tout jamais dans une entité tentaculaire, englobant des taxidermies et
des fleurs ornées posées aux alentours. Mars et Vénus seront les gardiens
de ce système ; cette dernière image pourrait devenir performance.
202
Illustration 118, Passant 1 (les étoiles), janvier 2009.
203
Illustration 118 : Monsieur Daim (les clous I), montage numérique, mars 2009.
204
Illustrations 119 : Miadem ad rue, isnomed egal repme, captures de la vidéo, mars 2009.
205
Illustration 120, Métamorphose de Monsieur Daim I, montage numérique, avril 2009.
206
Illustration 121, Métamorphose de Monsieur Daim II, montage numérique, avril 2009.
207
Illustration 122, Naissance de Vénus, montage numérique, mai 2009.
208
La Métamorphose de Monsieur Dame Daim est le pivot de toutes ces
histoires flottant entre rêve et imaginaire ; et nous remarquerons que dans
sa multitude ontologique, l’hybride qui en découle rassemble en son sein
l’ensemble des dualismes que présentait déjà la figure composite du
Triptyque perlé249. Pourtant, c’est bien par l’intermédiaire de ces
autoportraits photographiques mélangeant l’humain et l’animal, l’homme
et la femme, le sacré des étoiles et le profane de notre corps, que la figure
du chamane s’est insinuée dans mes travaux, dans sa version
Solutréenne : en parallèle à la création des séries photographiques,
l’ensemble de mes voies de recherches se sont croisées grâce au domaine
du chamanisme.
Par exemple, lors de la conférence organisée le 22 janvier dernier au
Musée du Quai Branly pour la présentation du livre Les étoiles dans la
nuit des temps 250, j’ai pu apprendre de Chantal Jègues-Wolkiewiez que
certains des astronomes présents s’étaient spécialisés sur cette notion.
L’intérêt notoire qu’accordent à ce concept des chercheurs comme Yves
Vadé - ou des paléontologues comme Jean Clottes - apparaît dans toute
sa logique lorsqu’on sait qu’il définit justement les cosmogonies des
chasseurs nomades d’aujourd’hui ; et que c’est à partir de ce modèle
qu’ont été extrapolés les schémas culturels des peuples préhistoriques
comme celui des Solutréens de Lascaux. Ce premier croisement m’aura
permis la mise en relation théorique du travail des Animaux Stellaires
avec le domaine des pratiques magiques.
Les recherches menées en parallèle sur I like America, America likes me
ont permis d’autres recoupements : le coyote de la performance est une
référence à Ksan, l’ancienne étoile bannie du ciel que l’on trouve dans les
légendes de diverses ethnies amérindiennes des Plaines du Nord 251. En
persistant du coté des Sioux, j’ai pu découvrir que les chasseurs Dakotas
n’étaient qu’un des nombreux « peuples à chamanes » pour lesquels les
astres et les animaux avaient une importance primordiale : comme nous
l’avons souligné auparavant, le soleil, la lune et les étoiles sont des
figures divines pour ces Indiens ; et qui plus est, ils possèdent de longue
date d’indéniables connaissances en astronomie. Ces données constituent
249
Infra, chapitre IV..
VADE Yves (dir.), Etoiles dans la nuit des temps. Condé-sur-Noireau, L’Harmattan France, Société des
Etudes euro-asiatiques, novembre 2008.
251
VAZEILLES Danièle, « Un continuum cosmique » in LMR p. 21 à 23.
250
209
la deuxième occurrence d’une triade chamanique réunissant chasseurs,
bêtes et astres.
Ajoutons enfin que la figure du sorcerer de Steve Baker, incarnée pour la
première fois dans la Modernité par Joseph Beuys, n’est autre que l’une
des traductions possible du terme « chamane » en anglais.
Ainsi, les Animaux Stellaires, en passant par l’apprivoisement des
Histoires Naturelles, les hybridations de Monsieur Dame Daim et Vénus,
m’ont amené à envisager la transe chamanistique des chasseurs-cueilleurs
comme un processus de déterritorialisation potentiellement propice à
pallier la problématique territoriale des hommes d’Occident, au niveau
individuel comme au niveau environnemental.
Cependant, il me semble important de rappeler que le chamanisme
regroupe une variété de modèles déroutante, au point que certains
ethnologues proposent de substituer à ce terme la notion plus vague de
« chamaneries »252. En effet, si nous avons porté une attention particulière
au cas des chasseurs-cueilleurs, d’autres formes de ce « culte premier »253
se rencontrent chez des peuples d’agriculteurs, de pasteurs ou encore
dans certaines communautés évangélisées où il cohabite avec le
christianisme254… De plus, le chamanisme tel qu’il a été présenté au
cours de ce mémoire n’est qu’une forme idéalisée : sur le terrain et même
chez les peuples qui nous ont intéressé, il se mêle parfois à des pratiques
tenant de la magie dite « noire ». En Amazonie, les chamanes peuvent
participer aux conflits guerriers en jetant des sorts aux ennemis. De
même, une communauté peut décider de tuer ou d’exiler un chamane
dont les pouvoirs s’avèreraient avoir des effets plus nocifs que
bénéfiques. A cette diversité s’ajoute l’ambivalence de la notion de
transe : celle du chamane ou du visionnaire est voyage extérieur, alors
que le sorcier est possédé par un animal ou un esprit qui pénètre à
l’intérieur de lui ; et enfin, nous ne saurions oublier que l’extase est
constitutive du dogme chrétien : Sainte Thérèse, Saint Jean, Saint Benoît,
ou encore Saint François d’Assise ne sont que quelques-unes des
nombreuses figures chrétiennes inscrites dans cette tradition.
252
LMR p. 14.
VALLET Odon, « Aux origines des croyances et des rites », in LMR, p. 5 à 9.
254
LAUGRAND Frédéric, « Voir, savoir, pouvoir » in LMR, p. 14 à 17.
253
210
Pour les occidentaux qui envisagent d’aborder concrètement le domaine
de la transe, il paraît alors nécessaire de prendre garde aux confusions
possibles dans les interprétations de ces innombrables schémas, car ce
phénomène semble pouvoir mener à une perception holiste du monde
autant qu’à l’apparition du dieu catholique… L’histoire que m’a racontée
l’année dernière une amie de Londres illustre le fait que cette deuxième
possibilité puisse même prendre place dans un contexte chamanique : lors
d’une séance d’ayahuasca 255 qui s’est déroulée à Amsterdam il y a deux
ans, elle s’est étonnée de « voir dieu » dans ses hallucinations, alors
même qu’elle n’est pas croyante. Ce cas me semble révéler toute
l’ambiguïté potentielle des initiations que proposent en Occident le
néochamanisme comme le New Age, et ces rituels ésotériques deviennent
encore plus problématiques lorsqu’on apprend qu’ils peuvent aussi avoir
pour objectif de répondre à des désirs de fortune, de gloire, etc.256
Dans le cadre de ma recherche, j’envisage donc le chamanisme comme
un domaine à explorer avec une extrême prudence. En outre, il me
semble avoir été bénéfique que je prenne conscience, avant d’aborder ce
domaine, des mutations ayant anéanti la triade qui unissait les humains,
les animaux et les dieux dans les schémas ancestraux : c’est en étudiant
les périodes Chrétienne et Moderne que j’ai pu comprendre le danger
encouru à pénétrer l’immense domaine des chamaneries et de la transe
sans s’interroger : réfléchir sur des a priori...
Aussi me reste-t-il beaucoup à comprendre, mais, à l’issue de ce chapitre,
le chamanisme animiste des chasseurs-cueilleurs nomades paraît être la
forme la plus intéressante à étudier dans le cadre d’une réflexion sur
l’homme, l’animal et l’animalité. Voilà sans doute en quoi il a été
fructueux que ma pratique artistique se soit centrée sur l’animal, et plus
particulièrement sur la chasse, le sauvage et la mort. Il m’aura fallu
persister dans ce sens, sur les traces des Solutréens, pour dégager la voie
vers laquelle l’ensemble de ma démarche s’engageait : une forme de
science enchantée aussi efficace à instaurer la continuité entre un humain
et son environnement que les pratiques chamaniques animistes des
chasseurs-cueilleurs nomades d’aujourd’hui.
255
Cette liane est un puissant psychotrope utilisé traditionnellement pour les transes chamaniques dans le
Piémont amazonien, notamment par les Jivaros. Aujourd’hui, l’ayahuasca a très largement débordé sa fonction
traditionnelle : on la retrouve jusqu’en Europe où des séances payantes sont régulièrement organisées.
256
VAZEILLES Danièle, « L’envol du magico-religieux » in LMR, p. 70 à 77
211
Ainsi, au début de cette année de Master 2, les Animaux Stellaires ont
permis de mettre à jour une série de problématiques qui, si elles soustendaient mes travaux antérieurs, n’étaient pas clairement identifiées
jusqu’alors. Ces questions concernent les interactions entre art et science,
réel et imaginaire à travers la Préhistoire et la Modernité.
Comme nous avons pu le constater, l’art et la science ont la possibilité de
fonctionner en tandem autant que de manière autonome, et le rapport aux
animaux comme à l’environnement d’une communauté humaine semble
dépendre de la façon dont elle imbrique ces deux domaines de
connaissances. La réflexion menée en parallèle sur le statut de l’animal
au cours de la domestication a en outre permis de mettre à jour une
certaine forme de réciprocité : dans un mouvement inverse, le rapport aux
bêtes influe directement sur la perception du monde, mais aussi sur le
maniement des savoirs qui permettent de l’appréhender.
Ce faisceau problématique s’est alors mêlé aux axes de recherche,
développés dans le projet de détermination, concernant les systèmes
religieux de l’Occident à l’orée de son histoire : l’humanisme de la
Modernité s’est construit lentement, à partir de l’instauration du
monothéisme chrétien et aux dépens de l’animal. La succession des
ruptures ontologiques qui ponctuèrent ensuite le cours de notre histoire
ont mené à l’érection du « territoire de l’homme » moderne, hautement
problématique dans le sens où son expansion se fait au détriment de tout
ce qui l’entoure.
Comment remédier à cette prédation vis-à-vis de l’environnement ?
Elisabeth de Fontenay, Steve Baker, Oleg Kulik et Joseph Beuys se sont
tous engagés dans la direction d’un certain rapport à la bête, de celui que
l’on rencontre aujourd’hui encore chez les peuples qui se considèrent
comme l’égal de ce qui compose leur monde.
Leurs différentes approches de l’altérité, de l’animalité par le biais de
l’art contemporain et de l’ethnologie ont alors laissé entrevoir, dans
l’entrelacement de ces deux disciplines, la potentialité d’un accès aux
savoirs présumés disparus depuis l’occidentale fracture qui sépara
l’homme des animaux. L’artiste ou le philosophe contemporain
travaillant à la restauration de l’alliance humain/animal partagent
d’ailleurs avec l’ethnologue le devoir d’une certaine objectivité,
212
notamment par rapport à leurs propres fondements culturels. Cette qualité
est indispensable tant à la pertinence de leurs recherche qu’à la légitimité
de leurs démarches.
Le travail plastique des Animaux Stellaires autour des astres et de la
chasse, ainsi que tous ces éléments théoriques m’auront mené à porter
une prudente attention à la notion de chamanisme.
La forme pratiquée par les chasseurs cueilleurs nomades a pour l’instant
retenu mon intérêt, parce qu’elle est l’outil de génération et d’entretien
d’une « perception horizontale de l’univers » au sein de laquelle l’humain
est un animal parmi les autres. De ce fait, les pratiques de ce type de
peuples
me
semblent
être
un
modèle
de
déterritorialisation
potentiellement capable de remédier aux multiples « pathologies »
territoriales de la Modernité : au niveau individuel parce que c’est le
corps-même qui fait l’objet des rituels – et non l’animal des sacrifices
païens ; au niveau social lorsque les rites de passages touchent l’ensemble
de la communauté ; et enfin au niveau environnemental quand le
chamane, en négociant les ressources avec la nature, démontre qu’il est
possible de communiquer avec le non-humain.
Par ailleurs, la transe des chamanistes partage des caractéristiques avec
mon expérience de mai 2007 : les vagues de frissons, les hallucinations
sensorielles, la perte de repères spatio-temporels. Cette crise fut certes
effrayante par son intensité, pourtant elle s’est avérée très bénéfique : j’ai
pu apprendre le deuil et le rêve des morts à partir du moment où j’ai
accédé à une sensation de continuité du vivant, du même ordre que celle
de mes « instructeurs du rêve » wayanas. Il y a, dans cette proximité du
mort et du vivant, le secret noyau de cette symbiose entre prédateur et
proie en quoi consiste la transe. Si comme le suppose Elisabeth de
Fontenay, « c’est l’éventualité de la mort qui a rendu les bêtes
sauvages » 257 alors peut-être faut-il accepter de s’offrir en partie, « mourir
un peu », pour redécouvrir l’étrange sagesse des animaux… Ainsi, si j’ai
persisté dans les restes naturalisés de cadavres sauvages avant d’en
arriver à l’hybridité de Monsieur Dame Daim, c’est qu’il me fallait
d’abord mettre une image sur la continuité qui existe entre la vie et le
domaine dorénavant familier qui s’étend outre la naissance et le décès.
257
SdB, p. X.
213
DENOUEMENTS STELLAIRES
214
Tout au long du Master, les Insectes étranges ont été le support de
transformations plastiques qui ont abouti à l’entremêlement de deux
techniques artistiques : l’assemblage et l’ornementation. Sur le plan
théorique, ces travaux m’ont mené à croiser trois dualismes : l’art et la
science, le réel et l’imaginaire, le vivant et le non-vivant.
Dans un premier temps, la Boîte à hybrides m’a permis de comprendre
que l’assemblage est un outil de confusion capable d’agir contre la
dualité de notre raison : face à la chimère, le réel et l’imaginaire, l’animal
et l’humain, l’art et la science peuvent être envisagés conjointement, dans
leur compatibilité plutôt que dans leurs différences. Cependant, l’analyse
de cette pièce m’a aussi incité à réfléchir aux conséquences possibles de
l’ambivalence contemporaine, concernant le concept de métamorphose,
sur notre rapport aux animaux : nous avons le choix soit de persister dans
notre volonté de maîtriser le monde par la science, en le transformant,
soit, à l’inverse et par une métamorphose qui échappe à la raison, d’oser
nous fondre pleinement dans ce qui nous entoure. La première possibilité
correspond globalement à notre situation actuelle. La seconde n’est pour
l’instant qu’une douce utopie.
Au regard de mon parcours universitaire, il me semble que ma démarche
tente de composer un intermédiaire entre ces deux extrêmes, qui consiste
à insinuer du rêve dans notre rationalité scientifique. L’enchantement que
génère l’ornement est très efficace pour ce type d’initiative : l’ornement
crée des symboles, rassemble le réel et l’imaginaire dans une troisième
sphère.
Ainsi, l’assemblage et l’ornementation s’avèrent finalement être deux
techniques permettant de faire coïncider la science, l’art, le réel et
l’imaginaire. En outre, lorsqu’ils se mélangent, ces deux modes de
constructions symboliques s’amplifient mutuellement jusqu’à ouvrir sur
quelque chose de bien plus complexe que leur simple synergie.
La fusion des deux pratiques plastiques appliquée à des cadavres
d’animaux propose la mort comme le passage de l’état de vivant à
l’espace temporel de l’Ævum, et suggère la possibilité du mouvement
inverse. Tous les enjeux du rapport à l’Ævum semblent alors résider dans
le « voyage expérimental dans un temps permettant de revenir à la source
de la conscience ».
215
Le Triptyque perlé, le Vieux Piraï emplumé et le Poids du Monstre-plume
s’inscrivent dans le prolongement des Insectes étranges comme des
séries antérieures. Ces trois constructions symboliques, fusionnant les
techniques d’assemblage et d’ornementation, ont permis de superposer
aux parités mises en évidence en première partie de mémoire la grande
majorité des dualismes occidentaux identifiés dans le projet de
détermination : le Triptyque perlé traite de l’homme et de la femme, le
Vieux Piraï emplumé met en tension la Modernité et la tradition quand,
enfin, le poids du Monstre-plume porte sur le corporel et le mental,
l’individu et son environnement.
Analyser ces ensembles complexes nous aura permis d’entrevoir la façon
dont l’ensemble de mes productions de Master m’ont doucement guidé
vers le domaine du chamanisme. Le Triptyque perlé est par exemple une
émergence involontaire de la figure du chamane dans mon travail,
assurément conséquente du fait que l’œuvre confond l’humain et
l’animal, le mâle et la femelle, la naissance et la mort. Le Vieux Piraï
emplumé interroge d’autre part les vertus de la transe, dans la
construction de l’individu comme dans celle de sa société. L’analyse de
cette pièce a en outre été l’occasion de souligner les similitudes entre
l’Ævum et le « temps du mythe » dans lequel évolue le chamane en
extase, ce qui aura eu pour effet de me replonger dans la construction de
notre rapport à la nature. Le Poids du Monstre-plume suppose enfin que
si les hommes sont capables de détruire ce qui les entoure, ce qui les
entoure peut aussi les construire. A la lumière de cette possibilité,
l’animal peut être envisagé dans sa grande puissance : dans mes travaux
plastiques comme chez les peuples chamanistes, il est le vecteur des
métamorphoses qui changent les dualismes en triades.
De par ces multiples faits, la figure du chamane a pu être appréhendée
dans la multitude de ses fonctions : artiste, scientifique, conteur de
légendes, médecin, prêtre et devin, en elle « convergent toujours [ces]
qualités que notre culture sépare mais qu’inconsciemment, nous
souhaiterions réunies ».
Si je partage clairement l’opinion de Michel Perrin, je dois avouer que
certaines des capacités qu’il attribue au chamane m’ont dérouté : la
divination est une question que j’ai longtemps pris soin d’éviter.
216
Par certains de ses aspects, le chamanisme transparaissait déjà à travers
d’œuvres comme le Triptyque perlé ou encore le Vieux Piraï emplumé.
Pourtant, la nécessité d’intégrer cette notion à mes recherches ne s’est
faite sentir que très récemment, alors que j’étudiais les interactions entre
art et science, chez les Solutréens, afin d’analyser les Animaux Stellaires.
De ce fait, il m’a semblé important de souligner, dans la dernière partie
de ce mémoire, l’influence de ces quelques botched taxidermies sur le
développement de mes réflexions : le traitement des questions relatives à
l’art et à la science, au réel et à l’imaginaire a débuté dans le cadre de leur
interprétation ; le fait d’avoir persisté à travailler sur la chasse par le biais
de cette série a d’autre part suscité mon intérêt pour la cosmogonie des
chasseurs-cueilleurs. Les Animaux Stellaires ont donc déclenché le
faisceau de problématiques qui nous a permis non seulement d’analyser
l’ensemble des travaux cités dans les deux premières parties de ce
mémoire, mais aussi d’envisager l’Ævum comme le possible équivalent
médiéval des « temps mythiques » grecs ou Amazoniens, de présenter
mes expérimentations sensorielles en termes de transes, ou enfin, de
comprendre que l’extase est peut-être une forme réversible de mort.
Outre le domaine du chamanisme, la troisième partie de ce mémoire a
proposé quelques axes de réflexion que je n’ai malheureusement pu
approfondir. Ils portent sur la domestication, la chasse et l’agriculture.
Dans son ouvrage Règles pour le parc humain, Peter Sloterdijk aborde
une notion que l’on retrouve d’autre par ailleurs dans le dernier livre
d’Elisabeth de Fontenay : la néoténie. Ce terme désigne le fait que des
salamandres ou certains insectes ne se métamorphosent pas en adultes
et développent des capacités de reproduction dans leurs phases
larvaires258. La néoténie est d’autre part admise comme conséquence de
la domestication sur les espèces d’élevage : les chiens conservent par
exemple en permanence les caractéristiques juvéniles du louveteau.
L’hypothèse du philosophe allemand est en rapport avec ce dernier cas
de figure : selon lui, l’homme se serait domestiqué lui-même, en même
temps que ses bêtes. Il serait donc touché de néoténie 259. Cette
supposition semble d’autant plus intéressante à étudier qu’elle
permettrait d’approfondir les réflexions concernant la métamorphoses
258
259
C’est le cas de la salamandre axolotl du Mexique, SoGH, p.79, 80.
SLOTERDIJK Peter, Règles pour le parc humain. Turin, Mille et une Nuits, 2000.
217
de l’homme et de l’insecte, la mort, et la boulimie dont font preuve les
occidentaux lorsqu’ils saccagent les ressources naturelles : à la lumière
de ce concept, le « désir de mort » que Jan Fabre perçoit dans la
nymphose des insectes prend tout son sens.
Au sujet de la chasse telle qu’elle fut pratiquée entre l’Antiquité et la
Renaissance, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental est un
livre très instructif. Michel Pastoureau y analyse les mutations du statut
des animaux durant la période médiévale. Sous sa plume, l’histoire
occidentale de l’ours et du sanglier est particulièrement édifiante : dans
le courant des XIIe et XIIIe siècles, l’église détrôna ce couple proie et
prédateur, symbole de la transe chamanique, pour proclamer le lion
exotique roi des animaux, ou enfin le cerf craintif le plus noble des
gibiers. Cette donnée historique soulève de nombreuses questions quant
aux rapports de la chrétienté aux pratiques sorcières.
Si j’ai fait le choix de ne pas sortir de mon sujet pour interroger le rapport
au monde des agriculteurs, j’envisage enfin de m’intéresser à cette
question ultérieurement. Sans doute devrai-je ensuite porter attention à la
naissance du foyer : il me semble y avoir un lien, au moins dans les
mythes, entre les étoiles et la maîtrise du feu.
Sur le plan pratique, le grand bénéfice de la série des Animaux Stellaires
aura été l’identification des étoiles et de la lune comme figures divines
potentielles. Cette découverte a considérablement transformé ma vie
quotidienne, qu’elle soit nocturne ou diurne. Le protocole de
constellation, en reprenant la valeur du clou de la Grande Main, m’a
d’autre part renvoyé à une question que j’évite avec soin depuis plusieurs
années, celle de l’intuition et de la temporalité dans l’art. Cette
problématique est elle-même en lien avec à la dimension « active » des
productions plastiques dont parlent Marion Laval-Jeantet et Michel
Perrin, ainsi qu’avec certaines conséquences de l’accès aux « temps
immémoriaux ». A ce propos, la série des Histoires Naturelles m’a
permis de travailler sur le mythe et son atemporalité d’une manière plus
intime que ne l’avait auparavant permis l’approche théorique.
Ainsi, au fur et à mesure de la constellation de mes taxidermies, de leur
mise en scène par le biais d’images et de contes, ma démarche a abouti à
une série qui pose le phénomène de déterritorialisation d’une manière qui
218
me semble à la fois enchantée, abrupte et crue : dans l’ensemble
photographique de la Métamorphose de Monsieur Dame Daim, c’est mon
propre corps animal qui devient construction symbolique, par le biais de
l’image, du mythe et des étoiles.
Cette série m’a d’abord paru avoir une valeur programmatique, car j’ai
choisi depuis le début du Master de résister à l’envie de subir les piqûres
de plusieurs guêpes, ou bien de me faire inoculer des vaccins connus
pour leurs effets secondaires puissants. Pourtant, et sans que je puisse
encore en définir la cause, le travail simultané de rédaction du mémoire donc de recherches et de réflexion des images - de production d’Animaux
Stellaires et des photographies de Monsieur Dame Daim sont
concomitants de mon entrée dans un état proche de ce que j’ai vécu
auparavant. Aussi ai-je dû reprendre, à la mi-avril, la forme de pratique
qui auparavant me soulageait. La Constellation gémellaire de l’Anomalie
(chevreuils)
(illustration
123)
est
contraire
à
ma
recherche
d’hermaphrodisme, car elle propose deux crânes de chevreuils mâles,
dont les attributs sexuels présentent une forme anormale. Je suis presque
certain que ce dernier travail va me contraindre à ouvrir mon travail sur
les questions de divination.
Illustration 123, Constellation gémellaire de l’Anomalie (chevreuils), avril 2007.
219
Vénus 260
Là un dard venimeux, là un socle trompeur.
Plus loin, une souche à demi trempée dans un liquide saumâtre, plein de
décoctions, d'acide qui vous rongerait les os.
Et puis, l'inévitable clairière amie.
Vaste, accueillante, les fruits à portée de main, et les délices divers
dissimulés dans les entrailles d'une canopée plus haut que les nue.
Elle est née des caprices,
elle est née des caprices.
Pomme d'or, pêche de diamant,
pomme d'or, pêche de diamant.
Des cerises qui rosissaient, ou grossissaient, lorsque deux doigts s'en
emparaient.
Et leurs feuilles enveloppantes, la pluie et la rosée…
La pluie et la rosée.
La pluie et la rosée, toutes ces choses avec lesquelles il était bon d'aller,
guidé par une étoile, peut-être celle-là, première à éclairer la nuit.
Première à éclairer la nuit.
Vénus
Vénus
Vénus
Vénus
260
MANSET Gérard, MELIES Arman, Vénus, in BASHUNG Alain, album Bleu pétrole, Universal Music,
2008.
220
Illustration 124 : Gestation, montage numérique, mai 2009.
221
222
SOMMAIRE
PRELUDE ENTOMOLOGIQUE ..........................………………………………..…page 5
PARTIE I : L’animal vecteur d’enchantement : les insectes modèles de constructions
symboliques…………………………………………………………………………...page 11
CHAPITRE I : Assemblages et métamorphoses : ambivalences contemporaines….....page 19
CHAPITRE II : Naïvetés ornementales et complexité symbolique…………………...page 33
CHAPITRE III : Précieux hybrides mortifères et perceptions de l’Ævum……………page 51
PARTIE II : L’animal catalyseur de métamorphoses : de dualismes en triades....page 69
CHAPITRE IV : Le Triptyque Perlé : construction humaine par l’animal hermaphrodite
…………………………………………………………………………………………page 75
CHAPITRE V : Le Vieux Piraï emplumé : construction sociale par l’animalité des traditions
animistes ………………………………………………………………………………page 91
CHAPITRE VI : Le Poids du Monstre-plume : construction du corps par le mental et
l’environnement………………………………………………………………………page 107
PARTIE III : L’animal porteur de savoirs : protocole d’ensauvagement par les
étoiles………………………………………………………………………………...page 123
CHAPITRE VII : L’art des étoiles de l’ère de la chasse à celle de l’élevage……….page 129
CHAPITRE VIII : Saint Oleg, patron des domestiques, Saint Joseph, patron des sauvages :
histoires de résurrections bestiales……………………………………………………page 153
CHAPITRE IX : Rêves, magies et chasse à l’homme : De la Constellation du Renard à la
Métamorphose de Monsieur Dame Daim…………………………………………….page 181
DENOUEMENTS STELLAIRES………………………………………………….page 214
TABLE DES MATIERES …………………………………………………………page 222
BIBLIOGRAPHIE………….........................................................................………page 223
LISTE DES ILLUSTRATIONS………................................................……...…….page 227
INDEX DES NOMS………………...………………………………………………page 235
INDEX DES NOTIONS…………………………………………………………….page 137
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nature in visual art. Tous les numéros peuvent être téléchargés sur le
site.
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
•
Illustration 1, Malade I : montage numérique d’un dessin automatique
sur photographie, mars 2009.
•
Illustration 2, Docteur Sphinx, vecteur de l’humanose : sphinx de
Guyane, perles de rocaille, ancienne aiguille de médecine, colle, vitrine
entomologique, 20x26x5.5cm, février 2009.
•
Illustration 3, Sans R : empreintes d'hommes à l'acrylique sur toile de lin
brute sans châssis, 190x220cm, septembre 2007.
•
Illustration 4, deux vues du Crâne : bois, papier, mâchoires de capucin
brun et de piranha, griffe de papegeai maillé, vertèbre de héron cocoï,
ossements de machoirans, exosquelettes d’organismes marins, colle,
19x10x9cm, janvier 2008.
•
Illustration 5, Hallali IV, détail : empreintes de visages à l'acrylique sur
toile, 55x45cm, février 2007.
•
Illustration 6, Madame Paillée : calebasse, palétuvier, graine de
panacoco, plumes et ossements d’un papegeai maillé, mue de varan,
corail, otolithes d’acoupa, clou, colle, 35x29x24cm, janvier 2008.
•
Illustration 7, Boîte à hybrides : boite entomologique avec neuf insectes
naturalisés (papillons et coléoptères de Guyane), plumes et ailes de
diamants mandarins, colle, 26x39x6cm, janvier 2009.
•
Illustration 8, Canard l’ermite : tête et pattes de canard colvert femelle,
coquille de nautile, bois, tige de fer, colle, 13x23x33cm, septembre
2008.
•
Illustration 9, Biche sphinx : lucanidae et sphinx de Guyane, colle,
11x6x1cm, mars 2008.
•
Illustration 10, Sphinx diamant : sphinx de Guyane et ailes de diamant
mandarin, colle, 14x8x1,5cm, mars 2008.
•
Illustration 11, Titan ondulé : étape de réalisation, avril 2008.
•
Illustration 12, Uranicorne : uranie et longicorne de Guyane, colle,
10x9x1cm, décembre 2008.
•
Illustration 13, Sphingicorne I : sphinx et longicorne de Guyane, colle,
5x9x1cm, décembre 2008.
•
Illustration 14, GRUNFELD Thomas, Misfits : tête et palmes de cygne,
corps de lapin, vitrine, 50x89x40 cm, 1992. Commande publique,
Cabinet des Monstres du Château d’Oiron. Photographie de Jean
228
GUILLAUME, in MARTIN Jean-Hubert et al. Le Château d’Oiron et
son cabinet de curiosités. Paris, Editions du Patrimoine, Monum’, 2000.
•
Illustration 15, Pipistrelle diamant : pipistrelle, plumes de diamant
mandarin, côte d’animal indéterminé, coton, perles de rocaille, marbre,
colle, 26x15x9cm, octobre 2008.
•
Illustration 16, Titan ondulé, deux vues : Titanus giganteus de Guyane,
ailes et plumes de perruche ondulée, colle, 23x27x12cm, avril 2008.
•
Illustration 17, SCHIEFERSTEIN Iris, Medusa : matériaux mixtes,
38x51x29,3cm, 2002. Photographie Stefan RABOLD.
•
Illustrations 18 et 19, BREWER Sarina, Classic Golden Griffin et Twoheaded
Franken-Squirrel :
taxidermies,
bois,
dimensions
non
mentionnées, années 2000.
•
Illustration 20 : préparation d’insectes ornés, décembre 2008.
•
Illustration 21, Sphinx perlé : sphinx de Guyane, perles de rocaille,
plumes de diamant mandarin, colle 13x7x1,5cm, avril 2008.
•
Illustration 22, Longicorne ondulé : longicorne de Guyane, plumes de
perruche ondulée, colle, 3x2x1cm, mai 2008.
•
Illustration 23, Longiquaire relicorne : longicorne de Guyane, strass,
colle, 8x6x1cm, novembre 2008.
•
Illustration 24, Longicorne diamant : longicorne de Guyane, plumes de
diamant mandarin, colle, 4x3x1cm, avril 2008.
•
Illustration 25 : homme masqué en robe, Carnaval de rue de Macapá,
janvier 2008.
•
Illustration 26 : travesti papillon, Sambodrome de Macapá, janvier
2008.
•
Illustration 27, Boîte à Carnaval : boîte entomologique avec neuf
insectes naturalisés (deux papillons et six coléoptères de Guyane, une
mante religieuse d’Asie), plumes de perruches ondulées et de diamants
mandarins, perles de rocaille, sequins, paillettes, strass, colle,
20x26x5.5cm, janvier 2008.
•
Illustration 28, Précieux Megasoma : Megasoma acteon mâle, colle,
strass, 20x10.5x4.5cm, décembre 2008.
•
Illustration 29, Précieuse Megasoma : Megasoma acteon femelle, colle,
strass, 21x13x5cm, décembre 2008.décembre 2008.
•
Illustration 30, Boîte à Solstices : boite entomologique avec quatre
insectes naturalisés (deux papillons et deux longicornes de Guyane et
d’Asie), plumes de ara et de diamants mandarins, perles de rocaille,
sequins, strass, colle, 20x26x5.5cm, décembre 2008.
229
•
Illustration 31, Faux Heliconius : papillon de Guyane, plumes de
diamant mandarin, perles de rocaille, colle, 4x5x0,5cm, avril 2008.
•
Illustration 32, Messager de Nuit (Grand hibou), deux vues : taxidermie
de hibou des marais sur socle en bois, paon de nuit de Guyane, perles de
rocaille, sequins, fil de coton, clous, colle, 39x43x40cm, février 2008.
•
Illustration 33, Messager des Rivières (perdrix) : taxidermie de perdrix
rouge, plâtre, sequins, colle, 12x17x34cm, décembre 2008.
•
Illustration 34, Serpent à Plumes bicéphale : photographie numérique
de la pièce avant ornementation, avril 2008.
•
Illustration 35, Cornelia : squelette, œsophage, syrinx, plumes et bec de
corneille noire, feuille d’or, 50x59x19cm, mai 2008.
•
Illustration 36, Cornelia : détails du syrinx doré, avril 2008.
•
Illustration 37, Serpent à plumes bicéphale : colonne vertébrale de
serpent, squelettes et plumes de diamants mandarins, griffes de
papegeai maillé, poils de porc-épic, graines de panacoco, colle,
9x19x16cm, avril 2008.
•
Illustration 38 : Messager des Rivières (perdrix) : détail, décembre
2008. Encart : la taxidermie brute.
•
Illustration 39, Guerrier des Rivières : longicorne de Thaïlande, plumes
de perruche ondulée, sequins, perles de rocaille, colle, vitrine
entomologique, 20x26x5.5cm, décembre 2008.
•
Illustration 40, Messager de Nuit (Grand Hibou) : autre vue, février
2008.
•
février 2009.
•
Illustration 41, FABRE Jan, Les Messagers de la Mort décapités : détail
d’un hibou : sept hiboux, textile, bois, lin et dentelle de Bruges,
450x350x90, 2006.
•
Illustration 42, FABRE Jan, Le Bousier, détail de la sphère : élytres de
scarabées, matelas, os et cheveux d’ange, 515x250x200cm, 2001.
•
Illustration 43, FABRE Jan, Pièce de viande : scarabées sur fil de fer,
160x90x90cm 1997.
•
Illustration 44, FABRE Jan, Bruges 3004 (ange en os) : lamelles d’os
sur armature métallique, 175x85x60cm, 2002.
•
Illustration 45, une toile organique en cours de réalisation (Vapeur en
tête) : photographie numérique, mai 2004.
•
Illustration 46, Echographie Natale I : empreinte de femme enceinte à
l'acrylique sur toile sans châssis, impression numérique d'une
230
échographie de fœtus sur papier calque assemblée avec de l'Urgostrip
(matériel chirurgical de suture), 210x290cm, novembre 2006.
•
Illustration 47, Triptyque Perlé : crânes de chats, coupe de métal,
plâtre, perles, fil de coton, colle, dimensions variables, septembre
2008.
•
Illustration 48, détail de la Mère des Cascades : étape d’emperlage,
septembre 2008.
•
Illustration 49 : crânes d’agneaux siamois, Galerie d’Anatomie
Comparée du Jardin des Plantes, février 2007.
•
Illustration 50, Chemin des Larmes III : plâtre, perles, fil de coton, colle,
dimensions variables, août 2007.
•
Illustration 51, Arbre en tête : acrylique sur toile, 90x75cm, juillet 2004.
•
Illustration 52, Mère des Cascades : plâtre, perles, fil de coton, colle,
dimensions variables, septembre 2008.
•
Illustration 53, la Mère des Cascades : détail, septembre 2008.
•
Illustration 54, les Vieux Amants : crânes de chats, perles, colle,
9x8x4cm, mai 2008.
•
Illustration 55, A la lie ! (Philtre d’Animalité) : crânes de chats, coupe
de métal, plâtre, perles, fil de coton, colle, dimensions variables, août
2008.
•
Illustration 56, SMITH Kiki, Pee woman : bronze, perles de rocaille, fil
de fer, dimensions variables, 1993. Photographie Hellen PAGE
WILSON.
•
Illustration 57 : waï-waï de Yakapine, Antécume Pata, 2007.
•
Illustration 58, Titan ondulé : détail de la queue, mai 2008.
•
Illustration 59, Vieux Piraï emplumé, recto : piranha naturalisé,
plumes d’une femelle (bleue) et d’un mâle (vert et jaune) de perruches
ondulées, fourmis manioc, bois, coton sauvage, fil de coton, feuilles
de cuivre, perles de rocaille, gouache et colle, 27x24x6cm, décembre
2008.
•
Illustration 60, Vieux Piraï emplumé : verso, décembre 2008.
•
Illustration 61 : le Vieux Piraï après restauration, juin 2008
•
Illustration 62 : emplumage du Vieux Piraï, juin 2008.
•
Illustration 63, Vieux Piraï emplumé : face sans plume, juin 2008.
•
Illustration 64 : intérieur et extérieur de la boîte du Vieux Piraï
emplumé, décembre 2008.
•
Illustration 65 : Kunana en forme de poisson, photographié à Macapá
(Brésil) en 2007.
231
•
Illustration 66, dessin automatique n° 1 : stylo sur papier, 21x29.7 cm,
mai 2007.
•
Illustration 67, dessins automatiques n°36, stylo sur papier, 21x29.7 cm,
juin 2007.
•
Illustration 68, dessin automatique (la lumière à travers un vitrail de la
Basilique de Saint Denis) : stylo sur papier, 21x29.7 cm, 19 mai 2007.
•
Illustration 69, le Poids du Monstre-plume : étape de réalisation, octobre
2008.
•
Illustration 70, Monstre-plume : en cours de réalisation, juillet 2008.
•
Illustration 71, Monstre-plume : dent de ruminent, ailes de titan, os et
plumes de perruches ondulées, grille de corneille noire, feuille d’or,
perles, coton, colle, 23x14x5cm, juillet 2008.
•
Illustration 72, le Poids du Monstre-plume : détail du balancier sans
plateau, octobre 2008.
•
Illustration 74 : récolte d’ossements et d’otolithes (en haut à droite) de
décembre 2007.
•
Illustration 75, le Monstre-plume : prises de vues en extérieur, juillet
2008.
•
Illustration 76, Malade 2 : montage numérique d’un dessin automatique
sur photographie, mars 2009.
•
Illustration 77, Monsieur Bouquetin (Eric) : montage numérique d’un
dessin automatique sur photographie, mars 2009.
•
Illustration 78 : GOETGHELUCK Pascal, Grotte de Lascaux II, fresque
de la salle des taureaux, photographie numérique, 2007.
•
Illustration 79, Miadem ad rue, isnomed egal repme : montage
numérique, mars 2007.
•
Illustration 80, Constellation de la Fouine, détail : taxidermie de fouine
sur support de bois, clous, perles de rocaille et de plastique, fil de coton,
colle, 29x21x40cm, octobre 2008.
•
illustration 81, Constellation sans perle : taxidermie de faisan de
Colchide, clous, fil de coton ; 84x57x38cm, mars 2009.
•
illustration 82, Masque stellaire de Monsieur Dame Daim : trophée de
daim, clous, perles de rocaille et de plastique, fil de coton, colle,
105x75x91cm, avril 2009.
•
Illustration 83, Constellation du Marcassin avant et après le travail
plastique : taxidermie de marcassin, clous, perles de rocaille et de
plastique, fil de coton, colle, 36x13x23cm, février 2009.
232
•
Illustration 84, Constellation du Renard : pose des clous, octobre
2008.
•
Illustration 85 : perles des Constellation de la Pie et du Renard, détail
d’Animal-Médecine I, janvier 2009.
•
Illustration 86, la Constellation du Sanglier : étape d’emperlage,
détail, octobre 2008.
•
Illustration 87, Constellation sans perle (faisan) : détail, mars 2009.
•
Illustration 88, Petit Renard Etoilé : taxidermie de renardeau, épingles
de couturière, sequins de plastique, colle ; 39x23x24cm janvier 2009.
•
Illustration 89 : GOETGHELUCK Pascal, Grotte de Lascaux II,
aurochs et constellation du Taureau incrustée par dessus selon les
travaux
de
Chantal
JEGUES-WOLKIEWIEZ,
photomontage
numérique, 2007.
•
Illustration 90, GEERDS Joergen, Grand Central Station, part 3,
photographie numérique, janvier 2007.
•
Illustration 91, DE VINCI Léonard, Étude de proportions du corps
humain selon Vitruve : dessin à la plume, 34,4x24,5 cm, vers 1492.
•
Illustration 92 : la performance de Joseph BEUYS, I like America,
America likes me, New York, 1974. Photographie Caroline TISDALL.
•
Illustration 93 : la performance d’Oleg KULIK, I bite America, America
bites me, New York, 1997. Photographies Janis BULS.
•
Illustration 94 : la performance d’Oleg KULIK, New Serment, Moscou,
1994. Photographie Lev MELIKHOV.
•
Illustration 95, KULIK Oleg, Deep into Russia : gravure sur papier,
20x27cm, 1998.
•
Illustration 96, KULIK Oleg, Fenêtres (éléphant) : tirage C-print,
240x250cm, 2001.
•
Illustration 97 : la performance de Joseph BEUYS, Comment expliquer
les tableaux à un lièvre mort, 1965. Crédit photographique inconnu.
•
Illustration 98 : la performance de Joseph BEUYS, I like America,
America likes me, New York, 1974. Photographie Caroline TISDALL.
•
Illustration 99 : OLLY and SUZI, Deer for Beuys : acrylique et encre
sur papier, dimensions inconnues. 1998.
•
Illustration 100 : Rêve en Léda, feuilles de cuivre encollées sur bristol,
gouaches,
21x29,7
cm,
décembre
2008.
Interprétation
d’une
performance d’Oleg KULIK : On my Family, 1996.
•
Illustration 101 : Saint Oleg, patron des chevaux, feuilles de cuivre
encollées
sur
bristol,
gouaches,
233
24x17cm,
décembre
2008.
Interprétation d’une performance d’Oleg KULIK : On horses, Bretagne,
1998.
•
Illustration 102 : Devenir Daim, montage numérique d’un dessin
automatique sur photographie, mars 2009.
•
Illustration 103, Monsieur Daim, (assemblage I), montage numérique,
janvier 2009.
•
Illustration 104, Monsieur Daim, (assemblage II), montage numérique,
janvier 2009.
•
Illustration 105, Monsieur Daim, (assemblage III), montage numérique,
janvier 2009.
•
Illustration 106 : Masque stellaire de Monsieur Dame Daim, janvier
2009.
•
Illustration 107, Constellation du Renard : taxidermie de renard sur
socle de chêne, clous de fer, fin de coton, perles de rocaille et de
plastique, colle, 56x45x30cm, octobre 2008.
•
illustration 108 : Constellation du Renard, octobre 2008.
•
illustration 109 : Constellation de la Fouine, octobre 2008.
•
Illustration 110, Grande Main : bois, clous, fil, acrylique, 23x60x7,5
cm, avril 2007.
•
Illustration 111, « Bonne nuit » (la fouine) : photographie numérique,
octobre 2008.
•
Illustration 112, Feeding my baby heron : photographie numérique,
janvier 2009.
•
Illustration 113, Secrets (lapin apode et petit renard) : photographie
numérique, février 2009.
•
Illustration 114, Feeding my baby heron : photographie numérique,
janvier 2009.
•
Illustration 115, Autoportrait en petit chanteur du Paradis :
photographie numérique, octobre 2008.
•
Illustration 116, Petit chanteur du Paradis : gouaches et stylo sur feuille
de cuivre, support papier, 17,8x12,8cm, novembre 2008.
•
Illustration 117, Monsieur Daim (les clous II) : montage numérique,
mars 2009.
•
Illustration 118, Passant 1 (les étoiles) : moulage de visage en résine et
bandes plâtrées, clous, fil de coton, perles de rocaille, strass, colle et
acrylique sur toile avec châssis, 61x50x14cm, janvier 2009.
•
Illustration 118 : Monsieur Daim (les clous I) : montage numérique,
mars 2009.
234
•
Illustrations 119 : Miadem ad rue, isnomed egal repme, captures de la
vidéo, mars 2009.
•
Illustration 120, Métamorphose de Monsieur Daim I : montage
numérique, avril 2009.
•
Illustration 121, Métamorphose de Monsieur Daim II : montage
numérique, avril 2009.
•
Illustration 122, Naissance de Vénus, montage numérique : mai 2009.
•
Illustration 123, Constellation gémellaire de l’Anomalie (chevreuils) :
massacres de chevreuils présentant des bois anormaux, clous, fil de
coton, colle, 24x24x14cm, avril 2007.
•
Illustration 124 : Gestation, montage numérique, mai 2009.
235
INDEX DES NOMS
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ALTHUSSER Louis : page 160.
BAKER Steve : pages 15, 16, 22 à 25, 101, 126, 150, 154, 169 à 174,
182, 183, 195, 196, 210, 211.
BASHUNG Alain : page 200, 219.
BASING Charles : pages 137, 138.BEUYS Joseph : pages 15, 126, 150,
153, 154, 164 à 174, 196, 209, 211.
BORER Alain : pages 166, 196.
BREWER Sarina : page 28.
BUCI-GLUCKSMANN Christine : page 34.
CALVIN Jean : page 44.
CALVINO Italo : pages 23 et 24.
CAUVIN Jacques : page 141.
CESARD Nicolas : pages 8, 92, 98, 99, 102.
CLOTTES Jean : pages 99 et 208.
DANETIS Daniel : page 191.
D’AQUIN Thomas : pages 62, 63.
Dante : pages 62, 63.
DE FONTENAY Elisabeth : pages 6, 24, 25, 42, 82, 97, 99, 101, 125,
126, 129, 142, 144, 154, 156 à 158, 159, 170, 173, 174, 182, 183, 211,
212, 216.
DELEUZE Gilles : pages 15, 160.
DE MENESES Marta : page 25.
DERRIDA Jacques : pages 15, 23, 160, 170.
DOWSON Thomas : page 101.
ELIADE Mircéa : page 99.
ERIKSON Philippe : page 150.
FABRE Jan : pages 7, 8, 16, 52, 58 à 66, 72, 92, 102, 117, 125, 217.
FOUCAULT Michel : page 82.
Gengis Khân : page 168.
GROS Pierre : page 146.
GRUNFELD Thomas : pages 16, 22, 23, 26, 28.
GUATTARI Félix : pages 15, 160.
HELLEU Paul-César : pages 137, 138.
ISAACS John : page 23.
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal : page 126, 130, 136 à 139, 144 à
148, 183, 191, 208.
KAC Eduardo : page 24, 25, 28.
KLEIN Yves : page 191.
LAFITTE Serge : page 165.
LAVAL-JEANTET Marion (Art Orienté Objet) : 8, 43, 65, 72, 107, 113
à 118, 217.
LEHMBRUCK Wilhelm : page 83.
LENOIR Frédéric : page 84.
LE ROYE : page 183.
LEVI-STRAUSS Claude : pages 15, 43, 170, 174.
236
•
•
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LEWIS-WILLIAMS David : page 101.
LOOS Adolf : page 34.
LUCRECE André : page 38.
LUTHER Martin : page 44.
MALEVITCH Kazimir : page 160.
MARX Karl : page 160.
MISIANO Victor : page 161, 162.
MOESSINGER Katharina : page 28.
Olly and Suzi : page 169.
Ovide : pages 24, 26, 97, 125, 184.
PASTOUREAU Michel : pages 16, 43 à 45, 65 et 217.
PAVLOV Ivan : page 160.
PERRAULT Claude : page 146.
PERRIN Michel : page 115, 118, 215, 217.
PERRONE-MOISES Beatriz : pages 8, 39, 40, 43 à 45, 63, 92, 102,
125.
Rembrandt : page 59.
RINUY Paul-Louis : page 165.
ROSTKOWSKI Joëlle : pages 107, 112, 113.
ROWELL Thelma : page 15.
SCHIEFERSTEIN Iris : page 28.
SENGL Deborah : page 28.
SLOTERDIJK Peter : page 216, 217.
SMITH Kiki : page 86.
SOPER Kate : page 169, 170.
STRUM Shirley : page 15.
TOLSTOI Léon : page 160.
UEMATSU Yuka : pages 8, 52, 61 à 66, 73, 102, 125.
VADE Yves : page 208.
VALLET Odon : pages 76, 84, 85.
VAN HAGENS Gunter : page 66.
VAZEILLES Danielle : pages 43, 76, 84, 147.
VIGNE Jean-Denis : pages 141 à 144.
Vitruve : pages 146, 147.
WARHOL Andy : page 168.
237
INDEX DES NOTIONS
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Ævum : pages 16, 52, 61 à 63, 66, 71, 80, 92, 102, 117, 118, 125, 197,
214 à 216.
Agriculture : pages 143, 144, 149, 150, 171, 216.
Animalité : pages 15, 76, 82, 86, 171 à 174, 210, 211.
Animal postmoderne : pages 15, 126, 169 à 173, 182, 183, 196.
Animot : pages 23, 28, 45.
Aparaï : page 97.
Assemblage : pages 8, 15, 19, 21 à 26, 28, 34, 35, 45, 52, 54, 56, 59, 63,
65, 71, 72, 86, 102, 107, 108, 115, 118, 162, 176, 183, 214, 215.
Biodiversité : pages 15, 114.
Botched taxidermy : pages 15, 22, 23, 26, 28, 52, 65, 101, 118, 131,
170, 182, 183, 193, 216.
Chasse, chasseur-ceuilleur : pages 6, 84, 85, 98, 100, 125, 126, 130,
138, 140 à 150, 156, 171, 173, 174, 182, 187, 200, 201, 208 à 210, 212,
216, 217.
Chamane, chamanisme, animiste-chamanistes, pratiques chamaniques :
8, 72, 84 à 86, 92, 99, 100 à 102, 107, 112 à 118, 125, 126, 150, 165,
168, 182, 208 à 212, 215 à 217.
Chimère : pages 23, 24, 26, 2845, 118, 214.
Déterritorialisation : pages 8, 170, 171, 174, 183, 188, 192, 194, 195,
200, 201, 209, 212, 215.
Domestication : pages 130, 141 à 144, 149, 150, 161, 171, 187, 195,
211, 216.
Enchantement, enchanté : pages 25, 65, 40, 125, 210, 214, 218.
Elevage : pages 126, 141 à 143, 149, 150, 154, 159, 171, 216.
Extase : pages 72, 99 à 102, 209, 215, 216.
Hybridation, hybride : pages 8, 16, 19, 22, 25 à 28, 39, 45, 54, 97, 107,
130, 158, 108, 112, 200, 208, 209, 214.
Kunana : pages 92, 97, 98, 101.
Légende : pages 6, 26, 39, 93, 149, 188, 193, 196, 208, 215.
Magdalénien : page 141.
Maraké : pages 92, 97, 98, 100.
Métamorphose : pages 7, 8, 16, 24 à 26, 28, 38 à 40, 45, 48, 59 à 66, 71,
997 à 99, 101, 102, 107, 112, 118, 125, 184, 188, 214 à 218.
Modernité : pages 16, 71, 72, 101, 117, 126, 140, 160, 166, 209, 211,
212, 215.
Moyen Âge : pages 16, 34, 41 à 44, 154.
Mythe, temps du mythe, temps mythiques : pages 40, à 43, 45, 60, 63,
92, 102, 117, 125, 147, 156, 165, 184, 197, 215 à 217, 218.
Néolithique : pages 130, 142, 149, 150.
Néoténie : pages 162, 216.
Nymphose : pages 7, 62.
Ornement, ornemental, ornementation : pages 7, 8, 15, 16, 26, 28, 34,
40, 44, 45, 52, 54, 56, 58, 59, 63, 65, 71, 72, 86, 102, 107, 109, 118,
137, 150, 184, 187, 214, 215.
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Peuples premiers : pages 6, 16, 39, 42, 43, 85, 86, 149, 150.
Postmodernité, postmoderne : pages 15, 24, 83, 170.
Pratiques rituelles, rite de passage, rite initiatique : pages 6, 43, 72, 84,
85, 92, 98 à 100, 113 à 117, 150, 156, 174, 194, 210, 212.
Préhistoire : pages 100, 126, 130, 191, 165, 211.
Solutréen : pages 130, 137 à 150, 174, 184, 187, 188, 193, 194, 208,
210, 216.
Sorcerer : pages 150, 171, 174, 209.
Symbole, construction symbolique, symbolisme : pages 7, 16, 24, 40 à
45, 65, 71, 72, 86, 102, 107, 115 à 117, 138, 147, 173, 188, 214 à 218.
Transe : pages 72, 99 à 102, 107, 114, 117 à 118, 209 à 212, 215, 216,
217.
Triade : pages 71, 72, 76, 118, 126, 130, 144, 148, 150, 157 à 160, 174,
183, 184, 187, 191, 194, 209, 210, 215.
Wayana : pages 7, 40, 92, 96 à 98, 100 à 102, 117, 194, 212.
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