Koen Lenaerts, juge à la Cour
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Koen Lenaerts, juge à la Cour
CONNEXION PARCOURS D’ANCIEN KOEN LENAERTS, juge à la Cour de justice de l’UE Koen Lenaerts (candidat en droit, promotion de 1974) est professeur de droit européen à la K.U.Leuven et juge à la Cour de justice de l’Union européenne. Regards croisés entre la Belgique, l’Europe et l’Amérique : un homme curieux des droits des autres. Pourquoi avez-vous choisi de commencer vos études à Namur ? En 1972, lorsque je finissais mes humanités dans un collège de la banlieue anversoise, il y avait encore une tradition : pour des Belges néerlandophones, entamer leurs études en français, en particulier pour ce qui est du droit, était monnaie courante. J’ai suivi le conseil d’un oncle qui fut bâtonnier de l’Ordre des avocats d’Anvers et qui lui-même « avait fait Namur ». Je suis donc arrivé à Namur et je ne l’ai pas regretté. Et deux de nos six filles y ont également, entretemps, fait leur candidature en droit. Comment cet intérêt pour le droit européen a-t-il surgi en vous ? Cet intérêt s’est révélé à Namur, en candidatures, puis a mûri à Leuven. Notre professeur des principes et des sources du droit n’était autre qu’Etienne Cerexhe. Il était déjà une autorité académique en matière de droit européen et, grâce à lui, j’ai pris conscience pour la première fois que le phénomène juridique ne se cantonnait plus entièrement à l’intérieur d’un ordre (national) fermé et que chaque branche du droit est nourrie de sources multiples, originaires d’ordres juridiques différents. Est-ce qu’un autre profesprofe esseur vous a marqué ? Oui, bien sûr, le Père Maon. Il avait une passion inoubliable pour transmettre ses connaissances, ses valeurs, ses vues. C’était beaucoup plus que le droit, c’était en fait de l’humanisme pur qu’il transmettait ! transmettait! Vous passez par Harvard avant de revenir à Leuven pour entamer une thèse. Est-ce que le sujet de celle-ci est le fruit de votre passage dans cette université prestigieuse ? Oui, car j’ai étudié, dans le cadre de ma thèse doctorale, la jurisprudence en matière de droit constitutionnel américain, donc celle de la Cour suprême des États-Unis. Et je l’ai comparée à la jurisprudence de la Cour européenne pour voir si ces deux ordres juridiques utilisaient des mécanismes comparables pour rencontrer leurs fi nalités propres. Or, c’est déjà ce sujet qui me passionnait lors de mon master en droit et sciences politiques à Harvard. J’ai défendu ma thèse en néerlandais en 1982 puis je l’ai retravaillée en français pour publier le livre Le juge et la constitution, aux ÉtatsUnis et en Europe. L’ouvrage L ouvrage a obtenu une reconnaissance internationale qui n’aurait pas été possible en néerlandais. Par ailleurs, le master à Harvard m’a permis d’acquérir une compréhension du système fédéral américain qui est toujours restée ma clé de lecture du système de l’Union européenne. Préférez-vous la théorie ou la pratique du droit ? Même si j’ai une souche académique, parce que c’est comme cela que j’ai entamé ma carrière, je dois franchement admettre que je suis le plus heureux des hommes en tant que praticien du droit. Après la thèse, j’ai eu l’opportunité de devenir assez vite référendaire (collaborateur le plus proche d’un juge) à la Cour de justice de l’Union européenne. J’étais référendaire du juge belge de l’époque : René Joliet, luimême professeur de droit européen à Liège. C’est avec lui que j’ai appris les rouages et la rigueur du métier. Ces années d’écolage m’ont indiqué que j’avais quand même la fibre du patricien. Bien que jeune professeur de retour à Leuven, je me suis tout de suite inscrit au Barreau et j’ai plaidé plusieurs affaires en tant qu’avocat. Le droit, c’est un peu comme co omme la musique : « on ne peut pas être professeur de musique sans jouer de l’instrument ». De plus, comme le droit européen e ropéen est jeune et eu toujours en formation, le pratiquer et le faire évoluer sont deux choses qui, pour moi, n’en font qu’une. L’anecdote Des anecdotes de mon parcours à Namur, il y en a, car j’étais encore très jeune (17 ans) et je quittais le foyer familial pour la première fois… Et puis, au début, j’avais quelques difficultés en français, mais après quelques mois, je parlais de toutes sortes de choses – dont certaines déjà très « belgo-belges » à l’époque – avec mes nouveaux amis qui m’appelaient amicalement « notre Flamand ». Mais je me souviens surtout du déménagement vers le Rempart de la Vierge, en janvier 1973, depuis la rue Hernotte où la Faculté de droit avait des locaux provisoires (la Faculté n’a été créée qu’en 1967, avec la réforme de l’ancien programme de doctorat en droit ; avant cela, le droit faisait plus ou moins partie de la Faculté de philosophie et lettres). Cet évènement correspond à ma première grande guindaille. C’est un beau souvenir ! Que diriez-vous à de jeunes universitaires sensibles à la construction européenne aujourd’hui ? Je leur dirais : « continuez à croire en la plus-value de l’Europe, ne la prenez pas pour évidente ». Je m’explique : s’il y a des facilités pour voyager, étudier, pour profiter de v Le master à Harvard m’a permis d’acquérir une compréhension du système fédéral américain qui est toujours restée ma clé de lecture du système de l’Union européenne l’harmonisation des marchés et des l vertus d’une monnaie unique, s’il y v a une place pour l’Europe dans un monde qui se globalise, etc., il ne faut pas p oublier que tout cela a été acquis au prix de grands efforts et grâce à des esprits visionnaires qui ont opéré au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ne gaspillons pas le crédit qui a été constitué par ces personnes car il est garant d’un avenir paisible, relativement prospère, où la solidarité et la compréhension mutuelle veulent dire quelque chose. Soyons v attentifs car tout cela est plus vulnérable que l’on ne le pense… Et aussi ceci : « c’est à vous de continuer et d’actualiser ces valeurs européennes ». Pour les pères fondateurs des années ’50, la réconciliat tion franco-allemande et le retour à la prospérité économique étaient les deux priorités. La jeune génération doit poursuivre le travail en intégrant l’Europe toute entière, et en particulier celle de l’Est, qui a perdu 40 ans dans un régime dont TRIMESTRIEL N°80 JUIN 2011 elle s’est libérée seule (pendant la guerre froide, l’Europe occidentale ne l’a pas vraiment aidée). Nous devons avoir le courage de partager nos richesses avec ces peuples qui comptent sur l’UE pour consolider la démocratie, lutter contre la corruption, renforcer un État de droit et un système économique corrigé par des critères sociaux et écologiques. Si cette extension se fait convenablement, tout le territoire européen sera un grand espace démocratique, pluraliste et juridique sûr. Voilà, à mon avis, l’idéal que les plus jeunes devraient poursuivre. Propos recueillis par Charles Angelroth Échos de nos anciens PRIMÉ PAR « LE GÉNÉRALISTE » L e docteur Raphaël Papart (candidat en médecine, 2004) a reçu le Prix du magazine « Le Généraliste », pour son travail de fin d’études concernant l’abord de la sexualité des adolescents en médecine générale. Cette distinction salue la qualité et l’originalité du travail, mais aussi son applicabilité sur le terrain. 9