Cancers de l`anus
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Cancers de l’anus J. Girodet Le traitement du cancer du canal anal poursuit un objectif double : non seulement guérir mais aussi préserver la fonction sphinctérienne. Le traitement de référence du cancer du canal anal repose sur une radiothérapie exclusive (T1 et T2) ou sur une association radiothérapie et chimiothérapie (T3 et T4). Les récidives locorégionales surviennent plus de huit fois sur dix dans les deux premières années qui suivent la fin du traitement. Plus de la moitié des personnes traitées d’un cancer du canal anal sont en vie après dix ans de suivi. INTRODUCTION L’anus est la partie terminale du tube digestif faisant suite au rectum. Le canal anal s’étend de la limite supérieure à la limite inférieure du sphincter interne, depuis le rectum jusqu’à la peau périnéale. Il est revêtu successivement par trois types d’épithéliums : – un épithélium cylindrique transitionnel (également appelé épithélium cloacogénique, car situé au niveau de l’ancienne membrane cloacale qui sépare durant l’embryogenèse l’endoderme de l’ectoderme) qui va remplacer la muqueuse glandulaire rectale. L’étendue de cette zone varie de 6 à 15 mm. Les cancers qui en sont issus sont des cancers épidermoïdes d’un type histologique particulier appelé « cancer épidermoïde cloacogénique ou transitionnel » (parfois aussi appelé « cancer basaloïde » en raison de l’agencement particulier des cellules tumorales sur coupes histologiques). Considérés longtemps comme étant d’un pronostic plus péjoratif que le cancer épidermoïde du canal anal, ces tumeurs ont un comportement analogue et doivent donc être traitées de la même façon (1) ; – un épithélium malpighien non kératinisé va ensuite tapisser le canal anal en aval sur environ 2,5 cm. Il va être le point de départ du cancer le plus fréquent : le cancer épidermoïde du canal anal ; – enfin, encore plus en aval, un épithélium malpighien kératinisé associé aux structures cutanées habituelles, follicule pileux, glandes sudoripares…, fait la transition avec la peau au niveau de la ligne anocutanée. Cette région, appelée « marge anale », arbitrairement étendue jusqu’à 5 cm en deçà de l’anus est le siège de tumeurs d’origine cutanée (tableau I). Au sein du canal anal, situées dans les plans profonds, les glandes anales (glandes de Hermann et Desfosses) dont l’abouchement se situe au niveau des cryptes, entre les colonnes de Morgagni, vont donner des adénocarcinomes se présentant essentiellement comme un cancer colloïde très muco-sécrétant (cancer colloïde muqueux). Cancers épidermoïde carcinomes habituellement diffé renciés et kératinisants Mélanomes malins également présents dans le canal anal lui-même Condylomes malins infection virale Tumeur de Buschke- pathologie tumorale d’origine Loewenstei virale à développement locorégional Cancer verruqueux forme rare de cancer épidermoïde très bien différencié Maladie de Bowen prolifération malpighienne intraépithéliale Maladie de Paget prolifération dans l’épithélium de la marge anale de cellules glandulaires muco-sécrétantes Lymphome malin exceptionnel en dehors du SIDA Tableau I – Principales lésions néoplasiques malignes de la marge anale. 440 Pelvi-périnéologie CANCER DU CANAL ANAL (CCA) Les tumeurs de l’anus sont des tumeurs rares (2). Le carcinome épidermoïde du canal est de loin le cancer de l’anus le plus fréquent. Il ne représente cependant que 3 % des tumeurs de la région anorectale. Son incidence était analogue en Europe et dans les pays anglo-saxons et notamment nord-américains. Elle était de l’ordre de 1/100 000 chez la femme et seulement de 0,3/100 000 chez l’homme. Il s’agissait donc d’un cancer essentiellement féminin et qui survient habituellement au cours de la 6e décade. Depuis une dizaine d’années, on voit apparaître, en plus de la population classique de femmes âgées, une population masculine beaucoup plus jeune d’homosexuels où le cancer du canal anal paraît 10 fois plus fréquent et plus particulièrement chez les sujets séropositifs pour le HIV (Human Immuno deficiency Virus). Dans cette population à risque, l’incidence du cancer du canal anal atteint 37/100 000 (3, 4, 5). Cette augmentation serait en grande partie expliquée par l’incidence accrue des infections par les virus du papillome humain (HPV : Human Papilloma Virus). Les infection ano-périnéales à HPV sont majoritairement sexuellement transmissibles. Comme dans le cancer du col utérin chez la femme, certains types de HPV, notamment les types 16 et 18, ont un pouvoir oncogène. La coïnfection par le HIV intervient par le biais d’une immunodépression systémique (6). Une équipe américaine vient de publier des résultats prometteurs sur l’efficacité d’un vaccin expérimental contre le HPV de type 16 chez la femme où ce type de virus est présent dans plus de 50 % des cas de cancer du col (7). Si ces résultats se confirment, on devrait également s’attendre à une diminution de la fréquence des cancers du canal anal chez la femme dans quelques décennies et l’on pourrait alors étendre le bénéfice de cette vaccination à d’autres groupes à risque et plus particulièrement les homosexuels masculins. Présentation clinique La symptomatologie clinique du CCA est parfaitement non spécifique ce qui va souvent expliquer sa banalisation par le patient et va conduire à d’importants retards de diagnostic. Le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est donc souvent long : dans notre expérience, 60 % de patients n’ont consulté que six mois après l’apparition des premiers signes (8). Les rectorragies sont le symptôme le plus fréquent présent chez 30 % des patients puis viennent les douleurs chez 14 %, les troubles du transit chez 10 %, la tumeur elle-même est palpée par 17 % des patients, chez 30 % d’entre eux plusieurs symptômes sont associés. L’aspect macroscopique peut prendre plusieurs aspect lésionnels résumés dans le tableau II. Bourgeonnement extériorisé Fissuration anale Lésion infiltrée Plus ou moins volumineux, par fois ulcéré Souvent à larges bords surélevés pouvant présenter un bourgeonne ment irrégulier dans le fond de la fissure. Cette fissure peut siéger aussi bien au pôle postérieur et antérieur que sur toute la circonférence de l’anus Purement endocanalaire perçue au toucher rectal et confirmé à l’anuscopie Tableau II – Principaux aspects macroscopiques du carcinome épidermoïde du canal anal. La caractéristique commune à toutes ces lésions est leur induration nettement perçue au toucher qui doit impérativement faire suspecter le diagnostic de cancer. La confirmation de ce diagnostic doit être obtenue par une biopsie, le plus souvent facile à réaliser, éventuellement en ayant recours à une anesthésie locale. Cependant certaines tumeurs, surtout de type fissuraire et endocanalaire, peuvent être très douloureuses à l’examen ce qui peut amener à réaliser une courte anesthésie générale permettant un meilleur bilan local et la réalisation des prélèvements. Certains CCA peuvent se présenter sous des aspects trompeurs de lésions a priori bénignes : condylome fibreux, fissure d’allure banale, condylomes et même hémorroïdes dont la surface peut paraître non seulement un peu irrégulière, mais aussi tout à fait normale (9). Il est donc impératif de confier à l’anatomopathologiste toute lésion anale qui fait l’objet d’une exérèse chirurgicale et de biopsier toute lésion indurée ou d’évolution chronique. Cancers de l’anus L’examen clinique à l’œil, au doigt, aidé par l’anuscope, le rectoscope et éventuellement le sigmoïdoscope permet d’apprécier : – le volume de la tumeur ; – le siège de la lésion : canal anal seul ou pouvant « déborder » sur la marge anale vers le bas ou – le rectum vers le haut ; – l’importance de l’envahissement circonférentiel ; – son infiltration en profondeur ; – chez la femme, dans les lésions antérieures, la présence éventuelle d’une fistule recto-vaginale. L’extension ganglionnaire doit s’apprécier d’abord cliniquement : – lors du toucher rectal en recherchant un cordon induré s’étendant vers le haut, et la présence d’adénopathies pararectales. La palpation des creux inguinaux peut révéler des adénopathies dont le caractère métastatique doit être confirmé par ponction cytologique ou par biopsie. Au moment du diagnostic des métastases ganglionnaires sont présentes non seulement dans le pelvis chez environ 30 % des patients, mais aussi au niveau des creux inguinaux chez 15 à 20 % d’entre eux, 80 % de ces métastases n’étant qu’unilatérales (10-12). Le cancer du canal anal est une maladie locorégionale, l’extension métastatique n’excédant pas 10 % lors de la présentation initiale et n’étant habituellement le fait que des grosses tumeurs. Au terme de ce bilan clinique une classification est établie. Actuellement le mode de classement le plus utilisé est le système TNM UICC de 1987 (tableau III). T1 T2 T3 T4 N1 N2 N3 M ≤ 2 cm > 2-5 cm > 5 cm Envahissement aux organes adjacents (vagin, urètre, vessie) Adénomégalies périrectales Adénomégalies inguinales, iliaques internes Adénomégalies périrectales et inguinales Adénomégalies iliaques internes ou Inguinales bilatérales Métastases à distance Tableau III – Classification clinique des cancers du canal anal (TNM UICC). 441 Examens complémentaires L’échoendoscopie en est l’examen de référence. Il précise l’extension de la tumeur vers les sphincters interne puis externe. C’est le meilleur examen pour évaluer l’atteinte ganglionnaire périrectale. Certains ont proposé une classification complémentaire de la classification TNM de l’UICC (13, 14) résumée dans le tableau IV. us T1 : Atteinte de la muqueuse et sous-muqueuse sans infiltration de sphincter interne us T2 : Atteinte du sphincter interne avec respect du sphincter externe us T3 : Atteinte du sphincter externe us T4 : Atteinte d’un organe de voisinage N0 Pas d’adénopathie suspecte périrectale N+ Adénopathie(s) périrectale(s) ayant des critères échoendoscopiques de ganglion malin (rond, hypoéchogène, contours nets) Tableau IV – Classification US (Ultra Sound) des cancers de l’anus. Le scanner abdomino-pelvien n’est pas très performant dans l’évaluation des lésions ano-rectales, mais il peut être utile dans l’étude des ganglions iliaques et lombo-aortiques. Il permet de mettre en évidence des lésions hépatiques dans les cancers volumineux et sera alors complété d’une radiographie du thorax. Les marqueurs sanguins ne sont pas très spécifiques. Le SCC (Squamous Cell Carcinoma) a été employé. Il est d’une sensibilité limitée, sa spécificité est meilleure, mais il ne peut en aucun cas être un élément diagnostique ou pronostique. Lorsqu’il est élevé à la phase initiale de la maladie, il peut être utile comme élément de surveillance. Examen anatomopathologique Le cancer du canal anal est un carcinome épidermoïde. On classe sa dédifférenciation en trois stades selon le degré de kératinisation. Ces distinctions n’ont pas de valeur pronostique dans les études multivariées. Les cancers cloacogéniques n’en sont différents que par leur aspect histologique. Ils représentent 10 à 20 % des cancers du canal anal. Certaines études avaient voulu leur attribuer une valeur pronostique péjorative, mais 442 Pelvi-périnéologie d’une part cette valeur n’est pas retrouvée par tous les auteurs et n’a pas de valeur pronostique significative en analyse multivariée lorsque le stade TNM est pris en compte (1). Traitement Maladie essentiellement locorégionale dans la majorité des cas, le traitement poursuit deux objectifs : guérir les patients et conserver la fonction sphinctérienne. Irradiation C’est le traitement de référence. Elle va stériliser les lésions et tenter de préserver un sphincter fonctionnel. Elle est utilisée chez tous les patients sauf en cas d’irradiation pelvienne antérieure (cancer du col utérin, par exemple), d’incapacité à subir les séances quotidiennes d’irradiation et en cas de refus. Cette irradiation est en règle isolée pour les tumeurs T1 et T2 et associée à une chimiothérapie pour les tumeurs T3 et T4 (15). Les techniques d’irradiation varient peu d’un centre à l’autre aussi bien quant au protocole luimême d’irradiation, qu’en ce qui concerne les appareillages utilisés. À l’Institut Curie, depuis de très nombreuses années, le protocole habituel d’irradiation consiste d’abord en une irradiation externe pelvienne initialement délivrée au télécobalt 60, actuellement fournie par des énergies de 16 ou 25 MeV en photons par accélérateur linéaire (16). Cette technique irradie d’une part la tumeur primitive : la dose délivrée est de 40 à 45 Gy à raison de quatre à cinq jours de traitement par semaine, comportant donc une dose de 2 à 2,5 Gy par séance. La limite supérieure du champ est en règle le plan de L5-S1, mais d’autre part irradie aussi les territoires ganglionnaires inguinaux (40 Gy), même en l’absence d’adénopathie palpable. Cette irradiation ganglionnaire systématique n’est pas réalisée dans d’autres centres qui ne l’effectuent qu’en cas de métastase ganglionnaire prouvée (17). Après cette première séquence de radiothérapie et après une pause de deux à six semaines selon les réaction périnéales, une irradiation complémentaire de surdosage est délivrée le plus souvent par faisceau périnéal direct, parfois par curiethérapie interstitielle en utilisant l’iridium 92 pour obtenir une dose totale de 60 à 65 Gy sur la tumeur. Toutes les grandes séries publiées rapportent des survies analogues de l’ordre de 70 % à cinq ans et de 60 % à dix ans (2). Cette survie est liée à la taille initiale de la tumeur, passant de plus de 70 % de survie à trois ans pour les tumeurs classées T1, à moins de 20 % pour les tumeurs classées T4 (12, 18). La radiothérapie peut entraîner des effets secondaires malgré une dosimétrie de plus en plus précise (19). Ceux-ci se manifestent soit lors de l’irradiation elle-même, ces complications précoces surviennent dans plus de 20 % des cas mais n’imposent que rarement l’arrêt provisoire du traitement. Elles sont le plus souvent rapidement régressives à l’arrêt du traitement. D’autres complications peuvent apparaître plus tardivement dans les semaines, les mois ou années qui suivent l’arrêt de la radiothérapie constituant les véritables complications de la radiothérapie (20, 21). La curiethérapie interstitielle utilisée seule serait responsable d’un taux de nécrose locale plus important que la radiothérapie externe. Grade I survenant dans 20 à 30 % des cas Compatible avec une vie normale marquée par des rectorragies occasionnelles, une fibrose périanale pas ou peu douloureuse, un rétrécissement modéré du canal anal, un œdème modéré de la vulve ou prurit Grade II chez moins de 15 % des patients Déterminée par l’existence d’une incontinence modérée principalement aux gaz, une nécrose cicatrisant sous traitement médical, des modifications du transit intestinal, une fibrose du canal anal, un œdème marqué de la vulve ou des membres inférieurs Grade III chez 5 à 10 % des patients Lésions sévères et invalidantes pouvant conduire un acte chirurgical qui sera le plus souvent une stomie de dérivation du fait d’une nécrose sévère, d’une sténose ou d’une incontinence anale, d’une fistule recto-vaginale Tableau V – Quantification des lésions radiques induites. Les complications tardives sont classées en 3 grades de gravité (tableau V). Chimiothérapie Cette approche thérapeutique a été initiée par Nigro qui employait du 5FU et de la mitomycine avant la radiothérapie (22). De nombreux protocoles se sont développés conjointement avec la radiothérapie, fondés sur l’association de 5FU et Cancers de l’anus de mitomycine, cette dernière drogue étant actuellement remplacée par le cisplatine moins hématotoxique. La plupart des équipes réalisent une véritable association radiothérapie plus chimiothérapie, en donnant un premier cycle en début d’irradiation, un deuxième trois à quatre semaines plus tard, complétés éventuellement par 1 à 3 cycles au décours de l’irradiation. Chirurgie Le traitement chirurgical de première intention a surtout été proposé par les auteurs anglo-saxons qui l’ont cependant abandonné au profit des associations radiothérapies plus chimiothérapies (23). L’intervention réalisée le plus souvent est une amputation abdomino-périnéale (AAP) avec une exérèse large ganglionnaire pelvienne. Si les résultats, en terme de survie sont comparables, les taux de récidives sont beaucoup plus élevés (de l’ordre de 30 %) (24). Les principales indications de la chirurgie du cancer du canal anal sont rapportées dans le tableau VI. Petites lésions de moins de 2 cm Stomie de dérivation transitoire Amputation abdominopérinéale Amputation abdominopérinéale ou colostomie définitive palliative Complétées par une curiethérapie Proposée en début de traitement en cas de destruction sphincté rienne ou en cas de fistule rectovaginale. ou en cas de complications radiques sévères En cas de réponse insuffisante à la première phase de radiothérapie (moins de 50 % de réponse) laissant présumer d’un mauvais contrôle tumoral avec un risque de récidive précoce quasi certain En cas de récidive locale Tableau VI – Principales indications actuelles de la chirurgie du cancer du canal anal. Dans notre expérience à l’Institut Curie, une réponse insuffisante nous a amenés à réaliser une AAP chez 14 % des patients. Cette association radio-chirurgicale a été plus souvent nécessaire pour les grosses tumeurs : 31 % chez les T4 contre 2 % chez les T1 (25). Aucune décision ne doit cependant être prise a priori, car 5 % des T4 ont pu bénéficier d’une irradiation exclusive. 443 Un geste chirurgical d’exérèse est également nécessaire en cas de récidive locale. Dans notre série, comme pour d’autres auteurs, cette éventualité est rencontrée chez 25 % de patients. Chez deux tiers d’entre eux une AAP est réalisable, alors que pour l’autre tiers l’exérèse des lésions n’est pas possible et conduit à une simple colostomie palliative. Chez les malades qui ont pu subir une intervention d’exérèse cette chirurgie de rattrapage donne une survie de 50 % à cinq ans ce qui justifie la réalisation de ces interventions (26, 27). La durée de cicatrisation du périnée après AAP de rattrapage est significativement plus longue (plus de trois mois pour la moitié des patients) et est considérablement améliorée par la réalisation, au niveau de la brèche périnéale, d’une épiplooplastie, d’un lambeau myocutané de grand droit de l’abdomen, mais n’est pas toujours réalisable pour des raisons anatomiques surtout chez les personnes âgées. Surveillance Quel que soit le mode de traitement initial, plus de 80 % des récidives locorégionales et des métastases viscérales vont apparaître dans les deux ans qui suivent le traitement. Pendant cette période la surveillance doit se faire tous les trois mois (ou moins en cas de doute). Cette surveillance est fondée essentiellement sur l’examen clinique et sur l’échoendoscopie. Le toucher rectal est souvent difficile, douloureux (sur un canal anal qui a perdu sa souplesse, porteur de brides fibreuses) et souvent hémorragique. La découverte d’une anomalie doit être évaluée avec prudence, corrélée aux données échoendoscopiques et ce n’est que devant un aspect tumoral net ou une modification clinique patente que des biopsies pourront être réalisées soit directement sur une lésion visible, soit par ponction écho-guidée. En effet, sur les tissus irradiés, la biopsie expose au risque majeur de nécrose. Ce n’est donc que si l’AAP est prévue que la biopsie est possible sans danger fonctionnel. En ce qui concerne les creux inguinaux, la surveillance clinique est souvent difficile, le recours à l’échographie peu utile. La ponction cytologique prend ici toute sa valeur (28, 29). Une radiographie du thorax et un scanner ou une échographie abdominale sont réalisés tous les six mois à la recherche de métastases à distance. Les métastases viscérales, aussi bien au 444 Pelvi-périnéologie moment du diagnostic, qu’au cours de l’évolution ne touchent qu’environ 10 % des patients (18, 25, 30). Lorsque les métastases sont isolées, elles peuvent bénéficier d’une exérèse chirurgicale avec une bonne survie. Le nombre trop faible de malades concernés ne permet pas de définir une attitude de principe, la thérapeutique devant être adaptée cas par cas en fonction de l’état général du patient. AUTRES CANCERS DE L’ANUS Mélanome malin La présentation clinique des mélanomes malins est tout à fait banale : rectorragies le plus souvent, mais aussi prurit, douleur, perception d’une tuméfaction plus rarement troubles du transit. Toute lésion pigmentée bleutée noirâtre de la région anale doit être prélevée, cependant dans plus de 25 % des cas le caractère mélanique est absent, le diagnostic de mélanome malin n’étant affirmé que sur la biopsie (31). Le mélanome est le plus souvent de type lentigineux et son épaisseur est habituellement importante : plus de 7 mm dans la série de Wanebo (32). L’extension régionale initiale est de règle avec métastases inguinales et à distance mais aussi pelviennes confirmées par les constatations peropératoires. Le traitement logique est chirurgical, mais le pronostic est catastrophique : la survie médiane est comprise entre dix et vingt mois avec une survie à cinq ans qui n’est que de 10 %. Il ne paraît pas, dans ces conditions, raisonnable de proposer une AAP, l’exérèse locale ou la radiothérapie palliative, pouvant, dans le contexte, être des options suffisantes. Le pronostic global reste cependant lié à la taille de la tumeur (32). Cancer épidermoïde de la marge anale Le cancer épidermoïde de la marge anale survient au niveau de la jonction ano-cutanée à la partie basse du canal anal et sur la peau de la marge anale. Sa présentation et son évolution beaucoup plus lente que le cancer épidermoïde du canal anal semblent en faire une entité à part. Peu de travaux lui sont cependant spécifiquement consacrés (33). En fait, il faut distinguer : – les cancers de la partie basse du canal anal qui font partie, par « définition anatomique » des cancers du canal anal et dont le traitement doit être identique. Leur évolution est peut être plus lente que les cancers plus haut situés dans le canal anal. Ils métastasent plutôt vers les ganglions inguinaux que vers les ganglions pelviens ; – les cancers de la marge anale qu’il n’est pas toujours possible de distinguer d’autres affections cutanées de la marge susceptible de se transformer en cancer. Ce sont des tumeurs à extension essentiellement locale, superficielle vers le périnée, les fesses, restant confiné à la seule marge anale pendant une longue période. Ils peuvent métastaser vers les ganglions inguinaux et les ganglions iliaques dans 15 à 20 % des cas. Le pronostic de ces tumeurs est plutôt favorable. Pour les lésions de moins de 3 cm l’exérèse chirurgicale seule paraît suffisante, la survie à cinq ans étant proche de 90 % avec cependant près d’un malade sur deux qui va présenter une récidive locale. L’AAP ne paraît pas apporter de bénéfice en terme de survie ou de récidive. De plus, après AAP, la fermeture de la brèche périnéale peut être difficile si la résection cutanée est étendue (33). Les lésions de plus de 3 cm infiltrantes doivent être traitées par radiothérapie aux doses habituelles. Leur pronostic est nettement plus péjoratif. Condylome malin, tumeur de BuschkeLoewenstein, Cancer verruqueux Les condylomes acuminés sont des lésions anales sexuellement transmissibles très fréquentes dont l’agent responsable est le HPV. La progression des condylomes vers la dysplasie ou le cancer invasif a été démontrée (6). Certains génotypes de HPV (HPV 16 et HPV 18) sont plutôt présents en cas de cancérisation (34). Le taux de cancérisation des condylomes est cependant très faible, mais aucun chiffre de fréquence ne peut être avancé, car de nombreux patients porteurs de condylomes bénins ne sont pas enregistrés. La preuve de la cancérisation ne peut être apportée que par l’histologie, il ne faut donc plus traiter les condylomes sans pouvoir en faire l’examen anatomopathologique, surtout en cas de récidive. Les techniques d’électro- ou de photocoagulation ne sont donc pas recommandées pour traiter ce type de lésion. Les tumeurs de Buschke-Lowentein (condylome géant) et le cancer verruqueux ne sont peut être que des aspects macroscopiques particuliers et spectaculaires du même Cancers de l’anus processus de cancérisation (35, 36). Les génotypes 6 et 11 du HPV sont souvent retrouvés dans ces tumeurs (37). Les condylomes malins, comme les condylomes géants ne progressent que lentement. La malignité paraît purement locale, avec un risque de récidive important. Ils peuvent s’ulcérer mais ne produisent habituellement pas de métastases. De rares cas de métastases ganglionnaires inguinales, des années après l’exérèse de la lésion principale, ont cependant été rapportés. Les condylomes géants peuvent s’étendre de façon impressionnante sur le périnée, les fesses et peuvent infiltrer les tissus périrectaux et la fosse ischio-rectale pouvant « engainer » le rectum (35). La radiothérapie et la chimiothérapie n’ont que peu d’efficacité sur ces lésions dont le seul traitement logique est une large résection chirurgicale éventuellement itérative. Le cancer verruqueux qui n’est, pour beaucoup d’auteurs, qu’une variante du condylome géant, se comporte comme un cancer épidermoïde bien différencié. Son évolution est lente, longtemps purement locale, mais des métastases ganglionnaires pelviennes ou inguinales peuvent s’observer. Son traitement est resté longtemps essentiellement chirurgical. Actuellement, et sans qu’il y ait de série publiée, le nombre de cas observés étant trop faible, la tendance est de compléter l’exérèse chirurgicale par une radiothérapie lorsque la tumeur paraît infiltrante. Adénocarcinome du canal anal. Cancer colloïde muqueux Ces cancers se présentent le plus souvent sous forme de pathologies suppuratives très sécrétantes (38). L’abondance de cette sécrétion peut réaliser des formes kystiques de diagnostic étiologique difficile. Ils se développent à partir de l’épithélium des canaux excréteurs et peuvent être favorisés par des fistules préexistantes. Le traitement de ces cancers est chirurgical avec réalisation d’une AAP. Leur pronostic est en général très sombre. La courte série de Beahrs fait état de 25 % de survie à cinq ans (39). Maladie de Bowen La maladie de Bowen est une affection peu fréquente, cutanée, au niveau de la marge dont seulement une centaine de cas ont été publiés (40). 445 Elle se manifeste par un prurit, un suintement, plus rarement des rectorragies. Son aspect peut être superficiel, multifocal : plages érythémateuses, eczématiformes dans plus de la moitié des cas, mais aussi avec des aspects plus exubérants : fissure, tuméfaction, pseudo-papillome. Sa découverte peut être fortuite lors de l’analyse d’une pièce de chirurgie proctologique d’apparence banale (41). Le traitement est chirurgical avec une exérèse locale large. Le caractère invasif est difficile à prévoir cliniquement ce qui rend compte des récidives fréquentes. En cas de récidive, une nouvelle exérèse est nécessaire et sera suivie d’une radiothérapie soit par curiethérapie exclusive à l’iridium si la lésion n’est pas trop proche du sphincter, soit en combinant radiothérapie externe par faisceau périnéal direct avec un complément de curiethérapie si la lésion est juxtasphinctérienne. La curiethérapie seule, dans ce cas, risque d’entraîner une nécrose du sphincter responsable d’une incontinence secondaire. Maladie de Paget Originellement maladie du sein, la maladie de Paget peut se localiser dans la région anale. Cette localisation représente 37 % des localisations extramammaires (42). C’est un cancer de la partie intraépidermique des glandes apocrines. Les cellules pagétiques contiennent une sialomucine PAS positive ce qui permet de les différencier de la maladie de Bowen. Elle survient au cours de la sixième décade avec une légère prédominance masculine. Son aspect est celui d’une lésion érythémateuse eczématiforme parfois ulcérée de coloration gris-blanchâtre surélevée. Cette lésion a une consistance un peu cartonnée, mais sans infiltration en profondeur. Une tumeur sous-jacente locale ou locorégionale peut être associée à la maladie de Paget. Dans une série de 38 cas étudiés par Helwig, environ 30 % des patients avaient des métastases ganglionnaires notamment inguinales. Tous ces malades sont décédés de leur cancer (42). Lorsque la lésion est superficielle, une résection locale permet d’obtenir la guérison. En cas de lésion infiltrante, une AAP doit être réalisée, mais le pronostic est alors beaucoup plus réservé sans aucune survie à cinq ans (39). 446 Pelvi-périnéologie Lymphomes Au cours du syndrome d’immunodéficience acquise (sida) des lymphomes de la marge anale ont été décrits (43, 44). Chez les homosexuels, l’augmentation de fréquence des lymphomes, notamment digestifs a suivi l’expansion de l’épidémie du sida. Le virus d’Epstein Barr est l’agent oncogène présumé de ces lymphomes. Au cours de l’immunodéficience ce virus pourrait jouer le rôle « d’oncogène opportuniste » comme d’autres virus encore non identifiés pourraient être à l’origine du sarcome de Kaposi anal. Références 1. Salmon RJ, Zafrani B, Labib A et al. (1986) Prognosis of cloacogenic and squamous cancer of the anal canal. Dis. Colon Rectum 29: 336-40 2. Girodet J (1996) Les cancers de l’anus. In : J Vilotte, I Sobhani (ed) Proctologie. Estem Paris p 389 3. Daling J, Weiss N, Hislop T et al. (1987) Sexual practices, sexually transmitted diseases and the incidence of anal canal cancer. N. Engl J Med 317: 973-7 4. Carter PS, de Ruiter A, Whatrup C et al. (1995) Human immunodefficiency virus infection and genital warts as a risk factor for anal intra-epithelial neoplasia in homosexual men. Br J Surg 82: 473-4 5. Vatra B, Sobhani I, AparicioT et al. 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