L`archipeL des images - Collection d`Art Contemporain Société
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L`archipeL des images - Collection d`Art Contemporain Société
l e p i h s c e r g a ’ a L m i s e d t ier o eD n ra h nc la eb rt Ca co ire sa is mm F eà de n itio os xp l’e is ço u cq Collection Société Générale L’arc hipel des images 2/3 L’art contemporain est, avec la musique classique, l’un des deux axes de la politique de mécénat culturel du groupe Société Générale. Initiée en 1995, la Collection Société Générale rassemble près de 350 œuvres originales et 700 lithographies, éditions et sérigraphies, constituant l’un des plus importants ensembles d’art contemporain réuni par une banque en France. Structurée autour de trois axes – peinture, sculpture, photographie –, elle conjugue des œuvres d’artistes à la renommée confirmée et des œuvres de nouveaux créateurs. Cette diversité s’est accentuée ces dernières années avec l’ouverture à de jeunes talents issus de scènes artistiques émergentes, en écho à l’internationalisation du Groupe. Intégralement exposée dans les locaux du Groupe, principalement au siège de La Défense, la Collection Société Générale met en résonance le monde de l’art et celui de l’entreprise – interaction favorisée par de nombreuses animations comme la Journée de l’Art. Cette dynamique de partage, en phase avec les valeurs d’esprit d’équipe du Groupe, s’étend aussi à un large public externe, à travers la participation à divers événements artistiques en France et à l’international. Couverture : Aurélie Nemours, Rythme du millimètre 1-21, 1985, portfolio de 21 sérigraphies numérotées, 35,5 x 35,5 cm Gilbert Garcin, 259 - Le collectionneur, 2004, tirage baryté noir et blanc, 54 x 48 cm Braco Dimitrijevik, Malevitch Red Square, série Triptychos Post Historicus, 2005, photographie, 160 x 120 cm La demande était précise et généreuse : faire une exposition à partir d’un choix dans la collection de la Société Générale avec quatre étudiantes issues de la formation Sciences et Techniques de l’Exposition que je dirige au département Arts Plastiques et Sciences de l’Art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Jeanne Barral, Julie Champion, Anaïs Lepage, Sarah Mercadante, formées à cette pratique avec déjà un début de champ d’expériences, avaient pendant plusieurs mois appris à connaître ces œuvres en en faisant la médiation. De nombreux artistes aujourd’hui se reconnaissent dans cette notion de représentation d’un univers mondialisé et de ses champs d’expérience. Chacun, à la manière de Garcin, en propose sa version. À travers plus de quatre-vingts œuvres réparties en quatre sections – la construction d’un récit, les bricolages, la variation des formes et des supports et l’art de la pirouette – l’exposition permet de mieux appréhender ces différentes propositions et de comprendre ce que ces images veulent nous dire. Comme une évidence, les trois photographies de Gilbert Garcin – La dernière ligne droite, Le collectionneur et Le danger des Images – se sont imposées. Garcin, après avoir été marchand de luminaires, a commencé la photographie à 65 ans. Travaillant en noir et blanc, il apparaît dans chacune de ses images et, à l’occasion, y fait figurer sa femme mais toujours sous forme de lilliputiens. Avec ce parcours, il s’agit pour nous de faire découvrir l’acuité des regards portés et la richesse d’une scène nouvelle ouverte à toutes les pratiques de la création, à leurs croisements et à leurs métissages. Garcin est un philosophe spontané qui pose une question simple : dans quel sens va le monde ? Il a ainsi construit un archipel d’images où il joue à plusieurs mains passant de la narration au jeu, à l’illusion et au surréalisme et faisant le grand écart du conceptuel à l’abstraction. À l’image des histoires que racontent Gilbert Garcin, aujourd’hui, les formes de l’art contemporain sont multiples et protéiformes : elles sont regard critique, instrument de distanciation, machine de fiction et de vision, trace, complément de mémoire. L’art prend la forme d’une chronique incisive et souvent ironique. Gilbert Garcin, 147 - La dernière ligne droite, 2000, tirage baryté noir et blanc, 59 x 44 cm Conjonction de la rupture et de l’hybridation, cet archipel d’images agit comme structure fragmentée d’un monde où partout coexistent et se chevauchent le local et le global, le standard international et les particularités culturelles. Il redessine la carte des territoires : ceux de l’imagination dont le regard abolit les limites et que le rêve étend à l’infini. Françoise Docquiert L’arc hipel des images 4/5 L’archipel des images Françoise Docquiert Françoise Docquiert est maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice adjointe du Département Arts et Sciences de l’Art. Elle est responsable d’un Master 2 autour du Commissariat d’exposition (art contemporain et photographie). Ses recherches et publications portent sur l’esthétique de l’art contemporain, la médiation et la photographie. Elle a dirigé en 2011 la revue « Commissariat d’exposition » aux éditions Paradox qui sera suivie en octobre 2013 de « Paroles de galeriste », toutes deux issues d’un séminaire de recherche. Françoise Docquiert dirige le colloque officiel des Rencontres d’Arles depuis dix ans, est commissaire d’exposition (récemment « Ce que le sonore fait au visuel » à Marseille au Château de Servières, octobre 2013 ; « Raphael Dallaporta », à Paris, Les Douches Galerie, septembre 2012) et est l’auteur d’une série documentaire « Enquête d’Art » pour France Télévisions. L’arc hipel des images © FranckRJ 6/7 Commissaire d’exposition « L’archipel des images », choix d’œuvres de la Collection Société Générale a été réalisée avec quatre étudiantes récemment diplômées du master 2 Sciences et Techniques de l’Exposition à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : Jeanne Barral, Julie Champion, Anaïs Lepage et Sarah Mercadante. Victor Burgin, Fiction Film, 1991, série de 9 photographies, 76 x 96 cm Bricolages Lorsqu’on est face à une photographie, on est souvent tenté de la considérer comme une représentation fidèle de la réalité, or une image est forcément une déformation de la réalité, un cadrage sur celle-ci, un point de vue, qui exclut certains pans laissés dans l’ombre voire effacés. L’arc hipel des images 8/9 Les photographies de Gilbert Garcin sont ainsi éminemment trompeuses, trafiquées et mensongères. Son travail, réalisé par photomontages, évoque Tati, Magritte ou encore le surréalisme, brouille les pistes et nous donne à voir un monde trafiqué, une mise en scène d’un personnage qui n’est pas lui mais son double, dans laquelle le décor est primordial. Il joue avec les échelles, photographiant des maquettes, créant l’illusion via des collages. Cet intérêt pour la fabrique des images et le décor, Gilbert Garcin le partage avec Philippe Ramette lorsqu’il brouille nos perceptions en jouant sur les matières et les situations. Ce dernier construit lui aussi des illusions, qu’il place dans un décor bien réel, pour créer la confusion. Traitant elles aussi du décor irréel, Janaina Tschäpe imagine un ciel avec deux lunes, Mélanie Vincent trouble les supports de représentation, en éblouissant notre rétine pour mieux la tromper. Denis Darzacq, quant à lui, sème le doute sur la vraisemblance de ses clichés. S’il opère sans trucage, ses photographies ont tout l’air d’être invraisemblables. Thomas Demand, propose une vision ambiguë de la réalité, créant des maquettes en carton presque parfaites de décors banals et les ramenant au système bidimensionnel de la photographie. Tous ces artistes interrogent le statut de l’image, son pouvoir de créer un autre monde, de mêler fiction et réalité, illusion et évidence et de manipuler ainsi notre regard et notre inconscient. Jeanne Barral Diplômée du Master 2 Sciences et Techniques de l’Exposition Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Philippe Ramette, Contemplation irrationnelle, 2003, photographie, 150 x 120 cm Janaina Tschäpe, Eclipse #4, 2008, photographie, 52 x 78 cm C’était l’histoire… Tout comme Garcin, plusieurs artistes de la collection utilisent le collage, la répétition, l’absurde et les références multiples comme des ouvertures nécessaires à la naissance de la narration. L’artiste slovène Matej Andraz Vogrincic agit directement dans l’espace public. Dans Untitled (Shovels), il envahit la place d’une grande ville sibérienne avec 300 pelles au manche rouge vif disposées sur plusieurs tonnes de charbon. Chemin vers un avenir meilleur, cimetière, hommage aux travailleurs des mines ? La photographie qui en résulte frappe notre imaginaire, ouvrant la voie à tous les récits possibles. L’arc hipel des images 10 / 11 Gilbert Garcin réutilise avec malice un mode narratif contemporain des débuts de la photographie : le tableau vivant. Ses propres photographies reprennent en effet l’idée de la saynète composée de personnages immobiles dans un décor. Jouant dans le registre de l’humour et de l’absurde, Garcin emprunte la technique surréaliste du photomontage pour propulser sa propre silhouette dans l’univers des formes de l’art du xxe siècle. Le personnage du Collectionneur observe attentivement un carré noir à ses pieds tandis qu’il est menacé par un gigantesque carré noir (celui de Malévitch, pionnier de l’abstraction) dangereusement appuyé contre le mur. La petite histoire, en s’immisçant dans la Grande, remet en question la place accordée aux icônes de l’Histoire de l’Art. Eric Rondepierre, Sortie, 2008, photographie, tirage Lifochrome, 50 x 67 cm La construction de récits, réels ou imaginaires, constitue un fil rouge entre plusieurs œuvres de la collection de la Société Générale. Repensant les codes de la narration, les artistes brouillent les pistes spatiales et temporelles. Ce mode opératoire, pouvant être qualifié de récit éclaté ou récit-archipel, nous a tout particulièrement séduites car il reflète aussi la pratique du commissaire d’exposition, proposant un récit à partir d’œuvres multiples. Julie Champion Diplômée du Master 2 Sciences et Techniques de l’Exposition Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Matej Andraz Vogrincic, Untitled (Shovels), 2007, photographie, 136,5 x 134,5 cm « D’une forme l’autre » Les pratiques artistiques se simplifient et se concentrent sur le geste, le procédé, la technique. Comme Gilbert Garcin, les artistes présents dans la collection de la Société Générale nous transmettent, par la peinture, la sculpture et la photographie, leurs recherches sur la forme et nous entraînent dans leurs quêtes artistiques. L’arc hipel des images 12 / 13 C’est le cas de Tom Carr, qui allie le jeu des formes architecturales simples dans l’espace – spirale, disque, polygone – à un questionnement sur la notion d’équilibre et de perspective. Fasciné par les sciences exactes, l’artiste devient ingénieur tout en nous confrontant à des évocations d’un monde réel insaisissable. Ses œuvres résonnent à la manière de souvenirs enfouis, autour d’un objet qui finit par se laisser oublier. La peinture devient répétition d’un geste, recherche d’une matière et expérimentation de la couleur. Chez Philippe Carpentier, on ressent presque physiquement l’étendue d’un paysage, les tumultes d’une mer agitée. Pourtant l’espace de ses tableaux, fait de découpes de papier et d’une peinture nuageuse et très diluée, peut être compris comme la recherche du matériau vrai, du geste authentique, sans se risquer à une quelconque ressemblance avec une scène issue du monde sensible. Le geste s’expose également grâce à la trace qu’il laisse lorsque l’objet disparaît. L’œuvre se révèle à travers sa quasi destruction. L’artiste Toshikatsu Endo réalise ses productions en bois et en acier, et ne considère son travail achevé que lorsqu’il brûle ses sculptures. Ne s’exposent alors que ses « Plans for... » sortes de schémas préparatifs, ainsi que les silhouettes carbonisées de ses travaux, traces tangibles et matérielles de son action. Sarah Mercadante Diplômée du Master 2 Sciences et Techniques de l’Exposition Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Nils Udo, Nid d’eau, 1976, photographie, 67,5 x 107,5 cm Tom Carr, Memory of the Sun, 1995, sculpture, 67 x 300 cm Entre les photographies de Gilbert Garcin et les œuvres présentées ici, c’est donc avant tout une affaire de jeux. Les formes élémentaires de l’art moderne et conceptuel (figures géométriques, lignes et cercles, volumes) sont éparpillées dans ses photographies comme autant d’indices d’un jeu de piste tacite. Mais aussi jeu de perceptions et jeu de dupes : ce qui est représenté est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Les images déroutantes de Philippe Ramette sont le résultat d’un processus de fabrication rudimentaire et artisanal tandis que chez Mathieu Mercier, une simple assiette se mue en motif hypnotique. On flirte avec la triche. Et partout le jeu de mots : le titre est l’instrument d’une fiction, d’un récit mythique ou énigmatique sur les œuvres. Et comme il n’y a pas de jeu sans décompte, l’œuvre est parfois soumise à l’exigence de la série et se démultiplie, ou est une tentative d’énumérer et d’organiser les choses : d’ordonner minutieusement les couleurs chez Sol LeWitt, d’aménager les pleins et les vides pour Aurélie Nemours, de mesurer le temps qu’il reste avant la fin pour Gilbert Garcin. Sol LeWitt, Horizontal color bands & vertical colors bands, 1990, gravures sur papier / série de 7, 61 x 105 cm chacune Des modalités du jeu qui s’apparentent finalement à un certain art de la pirouette. Parfaite maîtrise de la virevolte et de tourner en rond sans en avoir l’air, la pirouette est à la fois amusante et périlleuse, équilibre dans le déséquilibre. Comprenant un tour comme une infinité, elle fait son petit effet sans pour autant sortir le grand jeu. Et proche du mot d’esprit, elle est une façon de se dérober avec grâce, de basculer d’une situation, d’une référence à une autre, d’un univers à un autre. Elle traduit ici l’art de jouer avec les codes de l’histoire de l’art, de l’image, de la photographie et de la sculpture, de la fiction et de la forme, ou comment se tirer de tous ces embarras-là de manière plaisante, légère et spirituelle mais jamais futile. L’arc hipel des images 14 / 15 L’art de la pirouette Anaïs Lepage Diplômée du Master 2 Sciences et Techniques de l’Exposition Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Mathieu Mercier, Assiette et son motif concentrique répété sur une planche, 1994, lithographie, 63 x 63 cm www.collectionsocietegenerale.com © les artistes - courtesy Collection Société Générale - Ref 714247 - 10/13 - Imprimé sur du papier issu de forêts gérées durablement par une entreprise du secteur adapté - ANR Services (Epône). Gilbert Garcin, 394 - Le danger des images, 2009, tirage baryté noir et blanc, 59 x 42 cm