Little Big Man - E
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Little Big Man - E
Little Big Man Arthur Penn 1970 Le film : un devoir de mémoire ? En 1970, alors que la guerre du Vietnam fait rage et soulève les passions, Arthur Penn se lance dans le tournage de ce que l’on appellera un « western de rectification ». Il décide d’adapter à l’écran un roman de Thomas Berger intitulé Mémoires d’un visage Pâle .Il lui faudra six années pour mener à bien son projet, car son film dérange… Dès le départ, Arthur Penn annonce la couleur : il n’est pas question d’accommoder son film à la sauce « John Ford »- LE cinéaste du western classique. En effet, La Chevauchée Fantastique ou autre Poursuite Infernal font la part belle à l’histoire officielle où l’Indien est un bon ou un mauvais « sauvage » entravant souvent la progression du brave pionnier vertueux qui lui apporte la civilisation…et l’eau-de-feu. Certains choisissent parfois un raccourci : un bon Indien est un Indien mort ! Mais Penn affirme qu’il se moque de ce qu’on appelait alors « la véritable histoire de l’Ouest » rendue avec les yeux des Blancs. D’ailleurs, son film portera le nom Indien de ce « visage pâle » -Little Big Man (Petit Grand Homme).incarné à l’écran par Dustin Hoffmann alors tout jeune acteur-connu pour sa petite taille et bientôt révélé par son immense talent. Un authentique chef indien- le Chef Dan George- jouera lui-même le rôle du grand-père adoptif de Jack- Vieilles Peaux de Hutte (Old Lodge Skins). Pour rectifier et faire justice à cette histoire de l’Ouest oubliée, le cinéaste va rassembler une documentation gigantesque sur la mémoire du peuple indien et de leur exploitation par les Blancs. Des recherches seront menées dans les réserves indiennes et l’on recueillera le témoignage de vétérans (indiens ceux-là !) sur la bataille de Little Big Horn (juin 1876).Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, la vérité officielle reposait sur de faux rapports militaires. Il était temps de donner la parole aux autres protagonistes des Guerres Indiennes : les Indiens eux-mêmes...ou plutôt à leur curieux porte- parole – ce visage pâle élevé par des Cheyennes dès l’âge de dix ans. Une mémoire vivante ? Ce visage pâle et ô combien ridée, c’est celui d’un vieillard de 121 ans nommé Jack Crabb (alias Dustin Hoffman, qu’un maquillage époustouflant vieilli de plus de quatre-vingtdix années !) 1 Ce nom, Crab(b) lui va comme un gant (ou un mocassin ?). On pense bien sûr au crustacé qui se déplace à reculons car le vieil homme va s’employer à remonter, à reculer dans le temps. Il nous emmène, nous et le journaliste venu l’interroger, 111 ans en arrière et remonte le fil de sa propre histoire sur fond d’histoire de la Conquête de l’Ouest et de Guerres Indiennes. Tout son travail mémoriel repose sur cette simple affirmation : « Je suis le dernier survivant de la Bataille de Little Big Horn » phrase qu’il lance comme un défi au journaliste venu enquêter sur le mode de vie des Indiens dans les années 1870. Ce dernier croit avoir devant lui un des derniers spécimens de « tueurs d’Indiens »…et ironise sur sa probable participation au génocide des Amérindiens .Mais si le terme « génocide »-trop abstrait et savant pour le vieux Jack le laisse de marbre, les mots« Indian fighter» (combattant/ tueur d’Indiens) font réagir le plus que centenaire et lui font soudain retrouver toute sa détermination d’antan. Il intime l’ordre au reporter qui l’insulte de « faire marcher son truc »son magnétophone à bandes- machine barbare qui va, du coup, devenir dépositaire de la mémoire vivante qu’il incarne. Car il n’y eut nul survivant « blanc » à Little Big Horn…et Crabb ne joue pas aux fanfarons gâteux lorsqu’il se range parmi les survivants : il se met tout simplement dans le camp des Indiens qui ont écrasé « le Général Custer (le « boucher » massacreur de Sioux ou autres Cheyennes). Jack Crabb va revivre avec nous ce mois de juin 1876. Une vie d’oubli(s) ? Curieusement, Jack Crabb, qui a vécu 121 ans, va concentrer son travail de mémoire sur seulement deux décennies à peine de sa vie. Il raconte l’époque où il a été recueilli par les Cheyennes- qui s’appellent eux-mêmes « Human Beings »- les « Etres humains »- et deviendra l’un des leurs sous le nom de Little Big Man. De son éducation blanche ne subsistera qu’un étrange réflexe: inconsciemment, il n’a pas oublié que, chez les Visages Pâles, on frappe un adversaire de son poing…attitude peu conforme aux préceptes d’une éducation indienne fondée sur le respect (de l’environnement naturel, de l’adversaire,…) et la franchise. Penn se plaît à égratigner la culture du Visage Pâle : chez l’Homme Blanc, il faut cogner le premier pour gagner. Puis, lorsque notre visage pâle aura 16 ans, la Cavalerie le récupérera et confiera sa rééducation à un pasteur blanc obsédé par l’heure des repas et à sa sensuelle épouse. Il faudra que Jack oublie ses manières de « sauvage » et se civilise à grand renfort de prières et de cantiques. Mais, là encore, Arthur Penn se déchaîne et jette sur la civilisation des Blancs une lueur glauque : cette nouvelle éducation est pétrie d’hypocrisie (Mrs Pendrake-la femme du pasteur est en fait une sainte-Nitouche dévergondée que l’on retrouvera dans une maison close à la fin du film). Plus tard, lorsque Jack rencontre Merryweather –un charlatan qui fini ligoté à une perche, couvert de plumes et de goudron, il apprend que cette civilisation de l’Homme Blanc à laquelle il faut qu’il appartienne- repose sur le mensonge et le profit à tout prix. Merryweather ne lui affirme-t-il pas que «(le) Commerce et (la) Crédulité sont les deux mamelles des Etats-Unis »…critique sans appel du pays de la libre-entreprise ! 2 Quelque temps après, les événements lui donneront raison car Jack, qui aura épousé la plantureuse Olga, fera banqueroute, victime d’un partenaire financier peu honnête et scrupuleux. Pauvre Jack, il a bel et bien oublié les préceptes empreints de bon sens des « Etres Humains ». Une mémoire de l’Ouest mythique revisitée ? Avec l’histoire individuelle de Jack, c’est la grande histoire de la Légende de l’Ouest qui refait surface et –ô surprise- ce n’est pas celle dont l’ « Establishment » se souvient. Là encore, Arthur Penn donne quelques coups de griffes : -Dans sa période « légende de l’Ouest », Crabb va devenir un tireur d’élite bravache baptisé « Kid Limonade »…on est bien loin de la bravoure et de la modestie de Little Big Man. -Calamity Jane ou son double (la sœur de Jack) est une éternelle célibataire frustrée… -Jack croisera (de loin) Buffalo Bill et conclura que ce dernier n’est trafiquant de peaux de bison. qu’un - Wild Bill Hicock, une véritable légende de l’Ouest, est un héros fatigué qu’un simple gamin finira par descendre d’une balle dans le dos. Rien à voir avec le code d’honneur des Cheyennes, décidément… -Quant au Général Custer, c’est un bellâtre belliciste et narcissique qui aspire à une carrière politique ; c’est surtout un fou sanguinaire et vaniteux qui n’hésite pas à massacrer des femmes et des enfants sans défense sous prétexte qu’ils ne « coopèrent » pas- c'est-à-dire- fuient devant les Tuniques bleues. Mémoire d’un génocide- pour ne pas oublier les massacres à venir ? Oui, le portrait est bien au vitriol. Et le témoignage du visage pâle -et désolé, voire effaré de l’être- n’en a que plus de force…Car ce concentré de mémoire atteint son apogée vers le milieu du film avec le massacre de Whashita River. Jack a retrouvé son identité cheyenne et a épousé une Indienne- Rayon-de-Soleil .Il la rencontrée alors qu’elle accouchait de son premier enfant …et que les soldats du Général Custer attaquait son village. Le film de Penn est jalonné de massacres et la violence de l’Homme Blanc va crescendo. Le scénario va donc se répéter à Washita River, quelques mois plus tard : alors qu’elle a donné naissance au fils de Jack quelques heures plus tôt, Rayon-de Soleil, ses deux tout-petits ainsi que toutes les femmes et les enfants de la tribu sont abattus les uns après les autres sous les yeux de notre héros impuissant. Un acte de barbarie en annonce un autre : Pen a choisi une actrice au type asiatique (elle est d’origine vietnamienne) pour jouer le rôle de Rayon-de-Soleil. Lorsque Jack se remémore le massacre de Washita River, le cinéaste en dénonce un autre, perpétré celui-là le 16 mars 1969 à My-Lai au Vietnam par d’autres Tuniques Bleues… 3 A partir de ce moment, la vie de Jack va basculer. Il ne lui reste plus que la vengeance pour noyer sa douleur. Après maints rebondissements, il croisera à nouveau la route de Custer. Crabb jouera un rôle capital dans la décision fatale que prendra l’officier fou de livrer bataille à Little Big Horn .Pour y parvenir, l’ancien élève de Vieilles Peaux de Hutte suivra l’un des préceptes que le vieux chef lui a inculqués: dire la vérité. Et –ironie du sort- Custer croyant qu’il lui ment, va prendre la décision d’attaquer … La seule victoire de Jack, alors, semble bien celle d’avoir réussi à venger son peuple adoptif en conduisant Custer à un autre massacre- le sien, cette fois. Mais, on l’a dit, il n’y eut aucun rescapé blanc à cette bataille désormais célèbre. Si Jack/ Little Big Man n’y a pas péri, c’est parce qu’un vieux rival Indien qui lui devait « une vie » est intervenu à temps et a payé sa dette d’honneur (car il en a –lui) en tuant Custer et a ramené Jack auprès de Vieilles Peaux de Hutte. …Non, il n’y a eu aucun rescapé blanc à Little Big Horn. Jack Crabb est bien « le dernier survivant », mais c’est au nom des Cheyennes qu’il témoigne et restaure la vérité historique. Le seul fait d’arme de notre plus que centenaire, c’est donc d’avoir survécu à tous ces massacres pendant une centaine d’années encore et d’avoir conservé, intacte, cette mémoire d’un peuple martyr. C’est d’être une mémoire vivante, oubliée de la mort, tout comme Vieilles Peaux de Hutte qui ne réussit pas à mourir à la fin du film et est condamné à survivre à son peuple décimé afin de raconter… …« toute l’histoire des êtres humains à qui on avait promis des terres où ils pourraient vivre en paix, qui seraient à eux tant que l’herbe y pousserait, tant que le vent soufflerai et que le ciel serait bleu ». Oui, Little Big Man a survécu pour raconter l’injustice faite à un peuple et dénoncer les mensonges de l’Homme Blanc. Le dernier cadrage sur le regard douloureux et grave de Jack Crabb fait écho aux paroles du vieux chef…Il se tient la tête et regarde dans le vague comme pour nous dire combien cette mémoire est douloureuse. Mais il n’a jamais oublié et peut désormais mourir en paix, son devoir de mémoire est accompli. Elizabeth Receveur Professeur d’anglais au Lycée Claude Gellée à Epinal 4