Ostéosynthèse d`alignement et montage combiné chez le chien : à

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Ostéosynthèse d`alignement et montage combiné chez le chien : à
CAS CLINIQUE
Ostéosynthèse d'alignement et montage
combiné chez le chien : à propos d'un cas
° D.H. MATHON, °° V. MATHON et °° S. BERNARDI
° UP Chirurgie, École Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23, Chemin des Capelles, F-31076 Toulouse Cedex
°° Clinique Vétérinaire de la Battière, 2717, Route de Tarbes, F-31470 Fonsorbes
RÉSUMÉ
SUMMARY
L'étude d'un cas de fracture du fémur par balle chez un berger allemand
de 32 kg est présenté ici. Il fournit aux auteurs l'opportunité de proposer une
stratégie thérapeutique chirurgicale raisonnée et adaptée à la situation. Les
différentes étapes de ce traitement sont décrites et commentées. Une ostéosynthèse dite "d'alignement" a été réalisée en associant une plaque vissée et
un fixateur externe hémifixant sous la forme d'un montage mixte. Le suivi
clinique et radiologique a montré tout le bien-fondé de ce type d'ostéosynthèse. En effet, en privilégiant la protection du foyer de fracture et en dérigidifiant le montage par la suppression du fixateur externe dès le quarantième jour après l'opération, nous avons pu constater que la récupération fonctionnelle était rapide et que l'image radiologique obtenue permettait de libérer le chien de toute contrainte de confinement dès le soixantième jour après
l'intervention.
Bridging plate combined with and external fixator osteosynthesis in a
dog. By D.H. MATHON, V. MATHON and S. BERNARDI.
MOTS-CLÉS : ostéosynthèse - alignement - fémur - fracture par balle - chien.
KEY-WORDS : osteosynthesis - bridging plate - femur gunshot fracture - dog.
Introduction
soutien au retour d'une fugue de deux jours. Son état général
est légèrement dégradé, mais surtout elle présente une volumineuse tuméfaction de la cuisse droite associée à une mobilité anormale de l'extrémité distale du fémur. On détecte également la présence d'une plaie circulaire de petit diamètre sur
la face latérale de la cuisse. La chienne tient difficilement
debout. L'auscultation révèle une tachycardie (150 batt/mn)
sans trouble du rythme, la fréquence respiratoire est élevée
(42 mouvements par minute) et les muqueuses sont rosées.
La suspicion de fracture est confirmée par l'examen radiologique qui montre une forte comminution médio-diaphysaire
du fémur au voisinage de fragments métalliques multiples
(figure 1 et 2). Nous sommes donc en présence d'une fracture
par projectile de petit calibre, ce dernier s'étant totalement
fragmenté au contact de la diaphyse fémorale. L'examen neurologique des membres postérieurs ne met en évidence
aucune anomalie.
La chienne est ensuite hospitalisée, et placée sous perfusion de Lactate de Ringer. Un bilan hématologique et biochimique est effectué, il ne montre pas de modifications
notables. Nous attribuons la tachypnée et la difficulté de la
Dans l'éventail des fractures rencontrées chez les carnivores domestiques, il en est certaines auxquelles on ne peut
appliquer tous les principes de base de l'ostéosynthèse "classique". Parmi celles-ci, les fractures comminutives en région
diaphysaire des os longs dérogent effectivement à la règle en
ce qu'elles ne permettent pas d'obtenir de réduction, et a fortiori de réduction anatomique. La configuration de ces fractures est en général telle qu'elles requièrent parfois pour les
traiter qu'on "adapte" la ou les techniques d'ostéosynthèse
utilisées dans le but de réaliser un compromis offrant les
meilleures conditions de cicatrisation et de récupération
fonctionnelle. Nous allons pouvoir illustrer cette approche
particulière au travers d'un cas clinique de fracture du fémur
chez un chien.
Anamnèse et examen clinique
Le cas est celui d'une chienne berger allemand de 3 ans,
pesant 32 kg, présentée en consultation pour une boiterie de
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The case of a highly comminuted gunshot fracture of the femur in a
German Shepherd is reported here. Surgical opportunities for the treatment
of this fracture are discussed in order to identify the best procedure. The differents steps of the elicited surgical therapy are described and illustrated.
The authors focused on the concept of the bridging plate osteosynthesis i.e.
to avoid opening and handling the fracture site, and to minimize additional
trauma by setting a plate without direct surgical exposure. The bridging
plate fixation was associated with a half-pin external fixator removed forty
days after surgery. The clinical and radiological follow-up showed the good
results obtained with this "biologic" strategy.
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MATHON (D.H.) ET COLLABORATEURS
FIGURE 1. — Aspect radiologique de la fracture. Incidence médio-latérale.
Noter la comminution, la présence de trois grandes esquilles, et les fragments métalliques.
FIGURE 2. — Aspect radiologique de la fracture. Incidence crânio-caudale.
Le projectile s'est fragmenté au contact de l'os et le plus gros fragment a
poursuivi sa trajectoire et s'est arrêté en région caudo-médiale de la
cuisse( flèches).
station debout à la douleur. Le patient reçoit alors une injection de kétoprofène IV (KétofenND, Merial) à 1 mg/kg et de
chlorhydrate de morphine IM (0,2 mg/kg) à visée analgésique, et une antibiothérapie à base de marbofloxacine IV
(Marbocyl FDND, Vétoquinol) à la posologie de 4 mg/kg. La
plaie de pénétration de la balle est soigneusement désinfectée
et irriguée avant d'être recouverte par un pansement antiseptique. Deux heures plus tard, la chienne ne se lève toujours
pas spontanément. En revanche, sa respiration et sa fréquence cardiaque sont redevenues normales. L'intervention
chirurgicale est envisagée pour le lendemain.
oscillométrique (PressMate BP 8800CND, Colin, Japon) en
complément du tracé électrocardiographique habituel. Un
moniteur de volume (5420ND, Ohmeda, France) permet de
surveiller les valeurs du volume courant, au cas où une hypoventilation surviendrait.
Anesthésie
Deux heures avant l'intervention, la chienne reçoit
0,1 mg/kg d'acépromazine (CalmivetND, Vétoquinol, France)
par voie musculaire. Après une dernière évaluation clinique
de l'animal, on met en œuvre une antibioprévention à base de
marbofloxacine IV (Marbocyl FDND, Vétoquinol, France) à
la posologie de 4 mg/kg. L'anesthésie est induite avec 350 mg
de thiopental (NesdonalND, Merial, France) par voie veineuse. La chienne est intubée et connectée à un circuit circulaire dans lequel elle respire un mélange d'isoflurane
(ForèneND, Abott, France) et d'oxygène. Elle est ensuite placée en décubitus latéral droit (coté de la fracture), et préparée
pour une anesthésie péridurale. Une injection de 5 ml de
bupivacaïne (Marcaïne 0,5 %ND, Astra, France) dans l'espace
péridural entre la sixième et la septième vertèbre lombaire est
ensuite effectuée. Pour prévenir et traiter le cas échéant les
hypotensions associées à l'anesthésie péridurale, la pression
artérielle de la chienne est suivie avec un moniteur de type
Intervention chirurgicale
La zone opératoire est préparée de façon aseptique en vue
de l'intervention. Deux abords chirurgicaux distincts sont
réalisés. Le premier intéresse la hanche et le tiers proximal du
fémur, et le second concerne le tiers distal du fémur et le
condyle fémoral latéral (figure 3). La hanche est abordée par
voie crânio-latérale et le col du fémur visualisé (figure 3,
flèche évidée). Le muscle vaste latéral et le fascia lata sont
réclinés, la diaphyse fémorale proximale exposée. Distalement, une incision d'une longueur similaire permet, après
avoir incisé le fascia lata et récliné les muscles quadriceps et
biceps fémoral, d'aborder le tiers distal de la diaphyse fémorale et la partie proximale du condyle latéral (figure 3, flèche
pleine). Le foyer de fracture n'a pas été exposé. Une plaque
DCP renforcée pour vis de 3,5 mm à 13 trous (Synthes)
modelée auparavant sur un fémur de collection est ensuite
introduite dans la plaie chirurgicale proximale. La plaque est
dirigée entre les plans musculaires et le foyer de fracture jusqu'à la plaie distale (figure 4) où elle est ensuite maintenue au
contact du fémur par un davier à mors crantés. Un effort de
traction modéré permet ensuite de rétablir la longueur initiale
du fémur et de contenir la plaque contre la métaphyse fémorale proximale avec un autre davier. Après avoir vérifié que
le fémur est aligné sans aucune hyperantéversion ou rétroverRevue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 821-828
OSTÉOSYNTHÈSE D’ALIGNEMENT ET MONTAGE COMBINÉ CHEZ LE CHIEN : À PROPOS D’UN CAS
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FIGURE 3. — Photographie per-opératoire. L'abord chirurgical évite le foyer
de fracture sensu stricto ; seules sont abordées la métaphyse proximale
(flèche évidée) et la métaphyse distale (flèche pleine) du fémur.
FIGURE 4 — Photographie per-opératoire. La plaque d'ostéosynthèse (modelée au préalable sur un fémur de collection de taille similaire) est passée
sous les plans musculaires dans le sens proximo-distal. Le foyer de fracture n'est pas visible.
FIGURE 5. — Photographie per-opératoire. La plaque vissée contenue par des
daviers est ensuite fixée proximalement et distalement, après contrôle
visuel de l'anteversion de la tête et du col fémoral.
FIGURE 6. — Photographie per-opératoire. Fin de l'ostéosynthèse par plaque
vissée. Toutes les vis sont resserrées.
FIGURE 7. — Photographie per-opératoire. Après suture des voies d'abord,
deux vis de Schanz (Ø = 4 mm) sont mises en place via deux abords différents, après forage préalable (Ø = 3,2 mm). La vis proximale traverse le
grand trochanter et la base du col fémoral avec une direction légèrement
caudo-latérale - crânio-médiale. La vis distale traverse les condyles, perpendiculairement à l'axe diaphysaire.
FIGURE 8. — Photographie per-opératoire. L'assemblage du fixateur externe
s'achève par la mise en place de deux barres de liaison de 4 mm reliées
aux vis de Schanz par des coapteurs à flasques de J.-A. Meynard.
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OSTÉOSYNTHÈSE D’ALIGNEMENT ET MONTAGE COMBINÉ CHEZ LE CHIEN : À PROPOS D’UN CAS
sion du col, la plaque est fixée proximalement et distalement
(figure 5 et 6). Après irrigation et suture des plans profonds,
une vis de Schanz de diamètre 4 mm (Synthes) est mise en
place dans le col fémoral via le grand trochanter et une autre
dans les condyles fémoraux (figure 7). Les sutures achevées,
les vis de Schanz sont reliées entre elles par deux barres de
liaison de 4 mm avec des coapteurs à flasques de Meynard
(figure 8). La plaie de pénétration de la balle est enfin parée
et fermée.
Un pansement est mis en place sur le fixateur externe. Un
contrôle radiologique postopératoire selon deux incidences
est effectué avant la fin de l'anesthésie générale (figure 9 et
10). L'animal se réveille dans le calme et sans souffrir. La
durée du bloc sensitif obtenu avec la bupivacaïne par voie
péridurale étant habituellement de l'ordre de dix heures,
aucun agent à visée analgésique n' est administré en phase
postopératoire immédiate. Le chien est remis à son propriétaire le lendemain avec un traitement antibiotique à base de
marbofloxacine rendu nécessaire par le risque de contamination profonde associé à la fracture par balle. Des consignes
strictes de confinement sont données au propriétaire.
Suivi postopératoire
La chienne est réexaminée 4 jours après l'intervention. Elle
se déplace sans difficulté sur trois pattes, et s'appuie fréquemment sur son membre opéré. Localement, on peut
constater que la tuméfaction de la cuisse a régressé. Les
coapteurs à flasques sont resserés, et la chienne est équipée
d'une collerette car elle cherche à lécher son fixateur externe.
Au dixième jour, les points cutanés sont retirés. Localement, on ne note aucune anomalie. La chienne se déplace
normalement avec son montage.
Le premier contrôle radiographique est réalisé trois
semaines après l'intervention. Il montre très peu de différences par rapport au cliché postopératoire immédiat.
L'observation attentive des marges du foyer de fracture
montre un cal en début de minéralisation. L'examen des vis
de Schanz et des vis de plaque ne révéle aucune lyse osseuse
péri-implantaire.
Un second contrôle radiologique est effectué 40 jours après
l'intervention (figure 11 et 12). A cette date, l'examen clinique montre une légère amyotrophie de la cuisse. Une
esquille restée en position transverse est palpable à la face
médiale de la cuisse. Elle se révèle être parfaitement immobile lorsque le clinicien tente de la mobiliser par taxis
externe. Au plan radiologique, des modifications importantes
sont relevées : un cal bien développé est en train de ponter le
foyer de fracture; des images de lyse osseuse autour des vis
de Schanz sont aisément décelables alors qu'aucune image
similaire n'est observée à la périphérie des vis de la plaque. Il
est décidé de procéder au retrait du fixateur externe hémifixant. Les consignes de confinement sont renouvelées jusqu'à l'examen radiographique suivant.
La chienne est de nouveau examinée dix semaines après
l'intervention. Le propriétaire signale que, dans la quinzaine
qui a suivi le retrait du fixateur, la chienne s'est remise au
soutien assez fréquemment, mais que depuis, elle récupère
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rapidement. Localement on note encore une légère amyotrophie, mais la locomotion est pratiquement normale. La mobilisation de la hanche et du grasset est non douloureuse et sans
réduction d'amplitude. L'examen radiographique effectué à
cette occasion montre que la minéralisation du cal progresse,
en particulier en face médiale et qu'aucune lyse péri-implantaire n'est présente (figure 13). Le cal ponte également la face
caudale du foyer de fracture sur la vue de profil (figure 14). Il
est décidé de libérer la chienne dans un petit jardin et de la
faire marcher en laisse 45 à 60 minutes par jour pendant un
mois à l'issue duquel l'animal pourra être libéré sans surveillance particulière.
Cinq mois après l'intervention, la chienne est revue en
contrôle. Aucune boiterie n'est perceptible. L'examen radiographique réalisé (figure 15) permet de constater que le cal de
fracture est remanié et se densifie; que l'esquille en position
transverse se déminéralise progressivement; et qu'aucune
image d'ostéolyse péri-implantaire n'est présente.
Discussion
ANALYSE LÉSIONELLE
Les fractures par balle sont des fractures "à haute énergie"
[3]. Cette caractéristique du trauma s'exprime par l'aspect
radiologique de la lésion osseuse. Le foyer de fracture occupe
le tiers moyen de la diaphyse fémorale et la comminution est
importante. Les esquilles sont nombreuses, et l'os cortical est
par endroits "pulvérisé". Le haut degré de comminution
témoigne de l'énergie absorbée par l'os et les tissus avoisinants. Ceci amène à réfléchir sur une stratégie de traitement
qui va intégrer la présence de dommages tissulaires considérables à la périphérie de la fracture. Sur le plan biologique,
l'environnement immédiat d'un tel foyer de fracture est a
priori caractérisé par la contusion, la dévitalisation et la
dévascularisation des tissus mous adjacents.
L'examen clinique ne permet pas d'appréhender les lésions
périphériques avec fiabilité. Les seuls indices pertinents sont
la taille de la tuméfaction de la cuisse et les retentissements
sur l'état général de l'animal. En l'occurrence, la détérioration
de l'état général de cette chienne constatée lors de la consultation initiale était imputable à un choc traumatique et à la
douleur.
ANALYSE DE LA FRACTURE ET STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
L'aspect radiographique de cette fracture du fémur montre
clairement que l'obtention d'une réduction anatomique et
d'une cicatrisation osseuse per primam est impossible à obtenir. De plus, le raccourcissement du segment et le chevauchement des abouts fracturaires apparaissent nettement sur
les clichés. Les zones où la diaphyse est capable de supporter
la fixation d'un dispositif orthopédique (i.e. hors foyer de
fracture) sont limitées aux tiers proximal et distal du fémur.
Enfin il faut prendre en compte les lésions traumatiques des
tissus mous environnants.
Dans ces conditions, l'ostéosynthèse dite "d'alignement"
est une solution intéressante pour traiter cette fracture [2, 8,
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11, 17]. Cette méthode de traitement des fractures, dérivant
d'une technique également appliquée aux fractures du jeune,
justifie que le chirurgien respecte certains principes élémentaires [2] :
— ne pas aborder le foyer de fracture, réduire à foyer fermé
— réaligner les abouts osseux proximal et distal
— rétablir la longueur du segment fracturé
— ne pas modifier l'orientation naturelle des plans articulaires.
Le fait de ne pas aborder chirurgicalement le foyer évite de
le traumatiser une fois de plus, de l'exposer à la contamination aéroportée et à la dessication [19]. De plus, il a été établi
que, 48 heures après la constitution d'une fracture, la multiplication des cellules ostéogéniques (en provenance du périoste essentiellement) est maximale au sein de l'hématome
fracturaire [10, 12] et que leur activité de synthèse va être
intense pendant les cinq jours suivants [1, 13]. Le traumatisme chirurgical est donc susceptible d'affecter considérablement les mécanismes d'ostéogénèse à venir, et de retarder la
cicatrisation osseuse par deuxième intention. Les autres
règles appliquées à l'ostéosynthèse d'alignement visent à
rétablir la géométrie initiale du segment osseux pour conserver à l'os qui va cicatriser et aux articulations adjacentes toute
leur fonctionnalité.
Ces principes ont été suivis pour le traitement de cette fracture du fémur comprenant deux abords distincts, et une agression du foyer de fracture limitée au passage de la plaque entre
les plans musculaires et le site fracturaire. Les clichés radiographiques permettent de vérifier qu'effectivement la longueur du segment est rétablie, les abouts proximal et distal
sont alignés, le grasset est correctement orienté et l'antéversion de la tête et du col du fémur est physiologique.
CHOIX DES IMPLANTS ET DU MONTAGE
Ce volet du traitement doit être également raisonné. Le
choix du matériel utilisé doit tenir compte de la fracture, de sa
localisation et de sa "morphologie", mais également de
contraintes d'ordre anatomiques et mécaniques [2].
Le fémur est fait de telle manière que les forces auquelles il
est soumis ne s'exercent pas de façon axiale sur la diaphyse.
L'appui sur l'articulation de la hanche déjetée médialement
crée un couple de force tendant à provoquer une flexion
médiale de la diaphyse fémorale (figure 15). Compte tenu de
la disparition totale de la continuité de la diaphyse, le matériel d'ostéosynthèse qui sera mis en place va être à vocation
de soutien et devoir supporter les mêmes contraintes.
L'emploi des fixateurs hémifixants (type FESSAND ou
OrthofixND) appliqués sur la face latérale a été rapidement
écarté car le chien supporte mal des fixateurs externes monolatéraux à ancrages multiples sur le fémur [5]. Il fallait donc
choisir une technique de fixation interne, soit une plaque vissée, soit un enclouage verrouillé. Le choix d'une plaque vissée nous a paru plus adapté dans la mesure où sa mise en
place est peu traumatisante et sa position "périphérique" définitive interfère peu avec les mécanismes de cicatrisation
[17], bien qu'elle permette une ostéosynthèse moins rigide
MATHON (D.H.) ET COLLABORATEURS
qu'avec un clou verrouillé. En revanche, la mise en place d'un
clou verrouillé en aveugle nous aurait peut-être exposés à
plus de risques d'agression du foyer par la mobilisation d'esquilles peu déplacées, par des effractions dans l'hématome
fracturaire, et par la position centrale de l'implant. Il faut
reconnaître que ce point de vue peut être discuté dans le cas
des fractures par balle, qui sont ouvertes et potentiellement
infectées [20].
La mise en place de la plaque nous a paru peu traumatisante en peropératoire car elle a glissé facilement entre les
plans musculaires et le foyer sans rencontrer d'obstacle [17].
Le seul traumatisme a été l'élongation progressive de ce foyer
afin de rétablir la longueur initiale du segment osseux. Le
suivi radiologique tend à confirmer notre impression d'avoir
peu agressé le foyer de fracture puisqu'un cal était présent dès
le vingtième jour et qu'il pontait la lésion à quarante jours.
Nous avons signalé que la plaque "de soutien" n'est pas en
mesure de produire la rigidité que procure l'enclouage verrouillé dans la même situation [7]. Dans notre ostéosynthèse
par plaque, sur treize trous de plaque, six trous restaient
"vides" en position intermédiaire. La plaque allait donc être
soumise à des efforts de flexion considérables, susceptibles
d'entraîner prématurément sa rupture [4, 16]. Nous avons
donc décidé d'associer à l'ostéosynthèse par plaque vissée un
fixateur externe hémifixant complémentaire, réalisant ainsi
un montage "mixte" [14]. Cette approche a déjà été décrite
pour des sytèmes associant des plaques vissées et des clous
centromédullaires [9, 19].
Pour limiter les phénomènes d'intolérance que nous avons
évoqués plus haut, cette hémifixation a été réalisée avec deux
points d'ancrage seulement. Si nous n'avons pas pu éviter des
écoulements séreux autour des points d'insertion des vis de
Schanz, nous avons constaté dans le cas particulier de ce
chien, que sa locomotion n'était pas affectée par la présence
du fixateur [19].
Le rôle de ce fixateur était de supporter une partie des
efforts de flexion imposés à l'ensemble du montage [15] et de
"protéger" ainsi l'ostéosynthèse par plaque pendant l'installation du cal. Le suivi radiologique a montré que cette fonction
de protection avait été remplie par l'hémifixation puisqu'à
quarante jours, des signes de lyse osseuse péri-implantaire
témoignaient de la charge supportée par cet appareil (alors
qu'aucune anomalie radiologique concernant la plaque et les
vis n'était décelable). A cette date, nous avons donc pu procéder à son retrait, alors que le cal était déjà formé, mais partiellement minéralisé. Cette dérigidification du montage a
permis ensuite de "dynamiser" le cal, d'accélérer sa minéralisation [6] et d'obtenir une cicatrisation radiologique satisfaisante autorisant la chienne à se déplacer librement soixantedix jours après l'intervention. En effet, à cette date, l'absence
de manifestations radiologiques signant l'existence de micromouvements (lyse péri-implantaire, périostite aux sites de
fixation de la plaque) permettait de conclure à la stabilité du
foyer. Les images radiographiques obtenues 150 jours après
l'intervention ont confirmé l'évolution satisfaisante du cal, et
l'absence d'anomalies à l'interface os-implants.
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OSTÉOSYNTHÈSE D’ALIGNEMENT ET MONTAGE COMBINÉ CHEZ LE CHIEN : À PROPOS D’UN CAS
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FIGURE 9. — Aspect radiologique de la fracture
en post-opératoire. Incidence crânio-caudale.
FIGURE 10. — Aspect radiologique de la fracture
en post-opératoire. Incidence latéro-médiale
FIGURE 11. — Aspect radiologique de la fracture
40 jours après l'intervention. Incidence crâniocaudale. Le cal est présent et commence à se
minéraliser (têtes de flèches blanches). Autour
du filetage des deux vis de Schanz, une image
de lyse osseuse (têtes de flèches noires)
témoigne des contraintes mécaniques supportées par le fixateur externe.
FIGURE 12. — Aspect radiologique de la fracture
40 jours après l'intervention. Incidence latéromédiale qui montre également les images de
lyse péri-implantaire autour des vis de Schanz
distale (têtes de flèches blanches) et proximale
(têtes de flèches noires) où il est possible d'observer une périostite à l'émergence de la vis
(flèche noire). Noter l'anteversion physiologique de la tête et du col fémoral et le fait que
les esquilles se sont rapprochées (par rapport à
la figure 10).
FIGURE 13. — Aspect radiologique de la fracture
70 jours après l'intervention. Incidence crâniocaudale. Le cal est présent et s'organise au
centre et à la périphérie du foyer de fracture
(têtes de flèches blanches). Aucune image de
lyse péri-implantaire n'est décelable à la périphérie des vis de la plaque.
FIGURE 14. — Aspect radiologique de la fracture
70 jours après l'intervention. Incidence latéromédiale. Cette incidence ne fournit pas autant
d'informations que la précedente, toutefois la
présence du cal est manifeste (têtes de flèches
blanches).
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Bibliographie
FIGURE 15. — Aspect radiologique de la fracture 150 jours après l'intervention. Incidence crânio-caudale. Le cal est remanié et se minéralise.
L'image de l'esquille en position transverse a tendance à disparaître.
Conclusion
L'illustration fournie par ce cas de fracture du fémur par
balle est intéressante car elle permet d'envisager simultanément deux approches non conventionnelles de l'ostéosynthèse chez les carnivores, à savoir l'ostéosynthèse d'alignement et la conception de montages mixtes.
Il est probable que dix ans en arrière, on ait pu défendre une
attitude totalement différente où la partie proximale du foyer
aurait été reconstruite à grands renforts de vis de traction et
de cerclages, la partie distale totalement nettoyée de toute
esquille et greffée, le tout soutenu par la mise en place d'une
longue plaque vissée faisant office d'unique tuteur [18]. Il est
vraisemblable, dans ces conditions, que le temps de cicatrisation de cette fracture eût été nettement accru, et le risque de
lâchage d'implants augmenté [11].
La comparaison de l'approche "classique" et de l'ostéosynthèse d'alignement au travers d'études rétrospectives est clairement en faveur de l'ostéosynthèse d'alignement où l'intégrité du foyer fracturaire est préservée et où les aspects biologiques de la cicatrisation sont privilégiés [2]. Le gain en
termes de délai de cicatrisation et en temps de chirurgie est
indéniable et reconnu [11], ce qu'illustre en l'occurrence notre
cas clinique.
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