L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER

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L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
n° 90
L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
QUANTITATIVE EASING :
LES ALÉAS DE LA FACILITÉ
MARCHÉ IMMOBILIER :
L’EMPREINTE DES TERRITOIRES
UNE NOUVELLE APPROCHE
DU RISQUE RÉSIDENTIEL
pour voir la situation
sous le meilleur angle
CONSEIL - EXPERTISE - COMMERCIALISATION
Au contact de nos clients - investisseurs, propriétaires privés et institutionnels, promoteurs et utilisateurs -, nous avons appris
à envisager les questions qui nous sont posées sous tous les angles. Et nous avons forgé cette conviction que nos métiers
impliquent une approche sur-mesure et exigent la plus grande proximité. C’est pourquoi nos 270 collaborateurs ont l'ambition
de conduire leurs missions de conseil, d'expertise et de commercialisation, avec le souci de confronter les points de vue pour
réussir au plus près des objectifs de chacun.
15 implantations,
autant de marques d'attention
Regulated by
www.creditfoncierimmobilier.fr - 24, rue des Capucines - 75002 PARIS - Tél : 01 57 44 58 00
: 06 98 32 44 24 / Crédits photos : Fotolia / iStockphoto / Thinkstock - Crédit Foncier Immobilier - SA au capital de 211 605,07 € - RCS Paris 405 244 492 - Siège social : 19, rue des Capucines - 75001 Paris
Multipliez
les points de vue
ÉDITORIAL
P
our s’informer sur un marché
immobilier, deux voies alternatives se présentent.
La première est de faire appel aux
« sachants », aux professionnels
aguerris qui ont la connaissance du
sujet et n’hésitent pas à la partager, pourvu qu’ils y trouvent
intérêt : les agents immobiliers, les brokers, les promoteurs,
les constructeurs de maisons individuelles communiquent
régulièrement sur leur activité, les comportements individuels des acteurs du marché, les évolutions économiques
et sociologiques. De leur côté, les notaires et les experts
immobiliers sont également très compétents pour délivrer
une information détaillée sur la qualité d’une situation, son
attractivité locale, son potentiel à terme. Tous peuvent donner un conseil sur l’adaptation d’un bien à son marché catégoriel, sur les facteurs endogènes qui favorisent ou limitent
la liquidité des biens.
Mais les meilleurs « sachants » avouent leurs limites dès lors
qu’il s’agit d’effectuer une synthèse régionale, de détecter et
caractériser des tendances longues de marché, de croiser
des données économiques dont ils ne disposent pas toujours.
Leur vision reste, ainsi, subjective et microéconomique.
L’autre voie pour acquérir la connaissance d’un marché est
de l’aborder par la statistique. C’est le terrain favori des économètres : comme les chiffres ne mentent pas, sur la base
des données les plus fiables de la statistique publique ou
privée, des traitements statistiques vont mettre en évidence
des phénomènes de longue période, bâtir des corrélations
éclairantes, construire des modèles prédictifs.
L’approche statistique délivre un discours se parant de
la rigueur scientifique, censément irréfutable, tout autant
qu’elle ambitionne de tout connaître d’un marché par la
construction de tableaux Excel. L’adjonction de graphiques
achèvera de convaincre le lecteur ou l’auditeur, en usant de
la rapidité exceptionnelle du cerveau humain pour la perception géométrique des formes, un acquis datant des tout
débuts de l’évolution.
Mais les statisticiens risquent de se prendre pour des
« experts », alors que les données qu’ils ont retraitées
peuvent parfois être incomplètes ou erronées. Un exemple
récent en a été donné par les statistiques gouvernementales
relatives à la mise en chantier de logements : en début d’année, un changement de méthode d’extrapolation statistique
a fait passer le nombre de logements mis en chantier en 2014
de 297 500 à 356 000 ! Il a même fallu redresser les chiffres
des années précédentes, pour éviter de trop perturber les
tendances annuelles…
À notre sens, la plus complète connaissance du marché
immobilier s’obtient en combinant le meilleur des deux
mondes, c’est-à-dire en rapprochant la compétence de
l’expert de celle du statisticien économètre, pour objectiver
l’information remontée du terrain, et donner un sens aux
statistiques.
Toute information immobilière est donc à accueillir avec
intérêt, mais aussi avec prudence : elle est à regarder d’un
œil critique, en sachant combiner esprit de géométrie et
esprit de finesse !
Je vous souhaite une très bonne lecture de votre revue.
Anne-Marguerite Gascard
Directeur Général
Crédit Foncier Immobilier
4
SOMMAIRE
ÉCONOMIE
L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER
REVUE DU CRÉDIT FONCIER
Crédit Foncier Immobilier
19, rue des Capucines – Paris 1er
Adresse postale : 4, quai de Bercy
94224 Charenton Cedex
Téléphone : 01 57 44 80 00
Télécopie : 01 57 44 86 85
1
Directeur de la publication :
Anne-Marguerite Gascard.
Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études,
Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE.
Il partage avec nous son jugement sur la monétisation de la
dette européenne.
Rédacteur en chef : Emmanuel Ducasse.
Comité de rédaction : Laurent Batsch,
Mirella Blanchard, Éric Buffandeau, Denis Burckel,
François Cusin, Emmanuel Ducasse, Paul Dudouit,
Claire Juillard, Christian de Kerangal, Michel Mouillart,
Nicolas Pécourt.
Abonnements : Sylvie Buisson : 01 57 44 86 61
Mail : [email protected]
Changement d’adresse :
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en nous précisant votre nouvelle adresse.
M
onétisation de la dette européenne :
un processus dangereux ? > P. 8
2
B
anque Centrale Européenne,
quantitive easing et immobilier :
facilités ou exubérance ? > P. 22
Prix abonnement au numéro : 30 €
Prix abonnement 4 numéros : 100 €
Crédit Foncier de France – S. A. au capital
de 1 331 400 718,80 € – 542 029 848 RCS Paris.
Maquette et réalisation : Crédits photo : Photononstop.
Impression : Stipa.
Par Alain Béchade, Professeur titulaire du Cnam,
Directeur de l’ICH.
Dans son article, il nous livre son point de vue sur les
conséquences immobilières de la politique d’assouplissement
quantitatif de la BCE.
Dans le souci du respect
de l’environnement, le présent
document est réalisé par
un imprimeur Imprim’Vert®, avec
des encres bio à base d’huile végétale
sur un papier certifié FSC® fabriqué
à partir de fibres issues de forêts
gérées de façon responsable.
N° de commission paritaire :
2026 AD – ISSN 0767– 6794.
Dépôt légal : juin 2015.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
5
JURIDIQUE
L
e traitement de l’immobilier dans
le cadre de la directive européenne
Solvabilité II > P. 28
6
Prix, liquidités et risques
du marché résidentiel :
une équation à réécrire > P. 52
7
Vers une nouvelle approche
du risque résidentiel > P. 59
Par Arthur Chabrol, Directeur FS Risk, Ernst & Young.
Il revient pour nous sur la directive européenne Solvabilité II
et ses conséquences sur l’immobilier.
Par Emmanuel Ducasse, MRICS, Directeur des Études,
Crédit Foncier Immobilier.
Il propose dans ce numéro une nouvelle méthode
d’analyse objective du risque résidentiel.
RÉSIDENTIEL
4
Marché du logement :
l’empreinte des territoires > P. 36
Par Gilbert Emont, Senior advisor IEIF, Directeur de l’Institut
Palladio, et Soazig Dumont, Analyste senior IEIF.
Ils ont mené ensemble une étude des dynamiques territoriales
du marché du logement français.
5
L
e retour des institutionnels
dans le résidentiel > P. 44
Par Nicolas Tarnaud, MRICS, Docteur en économie, Titulaire
de la chaire immobilier & société, Neoma Business School.
Il étudie les conditions de retour des investisseurs
institutionnels dans le résidentiel.
8
Le marché immobilier résidentiel
en Europe > P. 66
Par Nicolas Pécourt, Directeur Communication externe
et RSE, Crédit Foncier.
Il réalise un tour d’horizon du marché résidentiel européen.
n° 90
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L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
n° 90
7
ÉCONOMIE
MONÉTISATION DE LA DETTE
EUROPÉENNE : UN PROCESSUS
DANGEREUX ?
Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint,
Direction des Études, Veille et Prospective,
Pôle Stratégie - BPCE.
BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE,
QUANTITATIVE EASING ET IMMOBILIER :
FACILITÉS OU EXUBÉRANCE ?
Par Alain Béchade, Professeur titulaire du Cnam,
Directeur de l’ICH.
8
1
MONÉTISATION DE LA
DETTE EUROPÉENNE : UN
PROCESSUS DANGEREUX ?
Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études, Veille et Prospective,
Pôle Stratégie - BPCE. Achevé de rédiger le 10 mars 2015.
1.1 / PRINCIPALES CONCLUSIONS
L
e 22 janvier 2015, par l’annonce d’un programme quasiillimité de rachats mensuels de dettes publiques et privées de 60 milliards d’euros sur au moins 19 mois, la Banque
Centrale Européenne (BCE) a résolument créé de nouveau,
comme le 26 juillet 2012, les conditions historiques d’une véritable « surprise stratégique ». Son objectif principal serait de
sidérer l’émergence éventuelle de comportements véritablement déflationnistes (1), en tentant de modifier l’ancrage des
anticipations inflationnistes. Il s’agirait de les ramener progressivement vers la cible des 2 %, afin d’empêcher la remontée des
taux d’intérêt réels, liée à une inflation négative. Cette politique
de rupture semble privilégier le canal implicite du renforcement de la dépréciation de l’euro, mécanique d’inflation importée et de soutien des exportations, que la désynchronisation
monétaire de part et d’autre de l’Atlantique favorise désormais.
Le canal explicite de la redynamisation progressive du crédit,
moteur de l’investissement, donc de l’activité, serait plus lent
à intervenir, pâtissant notamment des contraintes réglementaires de Bâle 3 et de Solvabilité 2, sans parler de l’impact
défavorable du processus de désendettement privé et de la
mollesse des perspectives de demande. De plus, les taux
d’intérêt sont déjà proches de zéro et l’effet de richesse de la
valorisation des actifs sur la consommation est a priori plutôt
faible en Europe. Le crédit privé devrait cependant profiter
de l’amélioration de la conjoncture européenne (contre-choc
pétrolier, chute de l’euro, austérité budgétaire assouplie, plan
Juncker), du renforcement de la solidité du système bancaire
et de la bonne marche vers l’union bancaire.
La BCE ne s’est-elle pas délibérément placée comme un
preneur de risque en dernier ressort ? C’est une stratégie
que seule peut théoriquement justifier la lutte contre l’émergence d’une déflation ou contre l’implosion d’un système
(1) Cf. Flash n°232 : « L’Europe risque-t-elle la déflation ? », rédigé le 22 septembre 2014 par Eric Buffandeau.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
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économie
bancaire en déshérence, en apportant en urgence la liquidité
nécessaire, tout en s’interdisant de résoudre durablement
les problèmes de solvabilité privée ou publique. Même si
une banque centrale nationale enregistrait des défauts souverains supérieurs à son capital statutaire et à ses réserves,
elle ne ferait certes a priori jamais faillite, du fait de son privilège de création monétaire : elle pourrait toujours recourir
dans ce cas à la planche à billets (entraînant alors l’inflation)
ou à la recapitalisation par l’État, grâce à la hausse de la
pression fiscale (renforçant respectivement la déflation).
Cependant, ce rôle dangereux de monétisation des dettes
publiques doit être temporaire, contextuel et conditionnel.
En effet, il risque d’engendrer la construction artificielle
de bulles d’actifs, une mauvaise allocation permanente du
capital et des incitations perverses liées singulièrement aux
cycles électoraux des différents gouvernements, surtout
dans les pays qui connaissent une tendance maladive aux
déficits jumeaux à la fois publics et extérieurs, symptômes
d’un manque effectif d’offre compétitive. La politique monétaire n’est certainement pas omnipotente. La BCE ne peut
pas se substituer à l’absence de réformes structurelles, qui
visent à accroître la croissance potentielle d’un pays et qui
permettent ultérieurement de profiter plus largement d’un
nouveau cycle d’expansion.
La monnaie fiduciaire, dénuée de valeur intrinsèque depuis
la démonétisation de l’or, est un « bien collectif », qui sert
d’unité de compte, de moyen de règlement et de réserve de
valeur. Son pouvoir d’achat, dont l’érosion peut venir d’une
inflation durable et/ou de la dépréciation tendancielle du
change, repose donc éminemment sur la confiance. Celle-ci
est assurée par la stabilité du système bancaire et financier
et notamment par celle des prix. Celle-ci est garantie par
l’indépendance politique de la Banque centrale, tout comme
la Justice doit l’être dans son domaine d’intervention vis-àvis d’un gouvernement, par principe dans une démocratie.
À terme, si la monétisation de la dette européenne se prolongeait dans l’attente de résultats plus tangibles, même en
l’absence hypothétique d’un rebond de l’inflation traditionnelle, le danger principal se concentrerait surtout sur la perte
de confiance des agents économiques dans la solidité de la
monnaie, dont l’effondrement continu du change serait alors
le signe irréfutable. Cette tentation, assimilable au syndrome
du « passager clandestin (2) », d’exporter à l’extérieur l’incapacité interne à opérer dans chaque pays européen les réformes
structurelles nécessaires et une maîtrise véritable de la
dérive des dépenses publiques, mènerait à l’hyperinflation,
au moins par le biais de la dévaluation compétitive, ou au
développement de monnaies virtuelles ou alternatives. Tout
en incitant à la « guerre des changes », un tel processus produirait finalement une perte irrévocable et hasardeuse d’indépendance politique et de crédibilité de la Banque centrale,
donc une destruction potentielle du système monétaire et
bancaire, source d’incertitudes et d’angoisses permanentes.
(2) Le passager clandestin, proche du resquilleur, cherche à tirer avantage de certaines particularités des marchés, sans en payer le prix. Dans la définition classique,
c’est un agent économique usant d’un bien en général collectif et ne payant pas sa quote-part, qui est alors supportée par les autres usagers.
10 monétisation de la dette européenne
Tel est le nouveau dilemme de crédibilité de la BCE : le
contrôle au fil de l’eau de l’arbitrage entre d’une part, la
perversité probable des incitations, liées au déversement
artificiel de liquidités venues du ciel (« l’helicopter money »,
selon la formule consacrée (3)), et d’autre part, la lutte contre
la déflation, alors même que la Commission européenne a
récemment adouci les règles budgétaires. Cette dernière renforce ainsi de manière détournée la stimulation monétaire,
par un accroissement implicite des déficits publics finançant
directement des investissements en infrastructures, dont
le multiplicateur est certes plutôt naturellement élevé sur
l’activité. Ce risque ultime de perte de valeur de la monnaie,
par une monétisation incontrôlée/quasi-illimitée des dettes
souveraines, serait a priori beaucoup plus important pour
l’euro, qui n’est pas une monnaie de réserve internationale à
l’égal du dollar. Son occurrence dépend non seulement de la
vigilance et de la perspicacité de la BCE mais aussi profondément de la poursuite et du bon déroulement du processus
d’intégration économique, politique et sociale en Europe.
1.2 / UN PROGRAMME MASSIF
ET IMPRESSIONNANT
LE 22 JANVIER, NOUVELLE DATE HISTORIQUE DE
LA BCE
Le 22 janvier 2015 restera une date historique de la politique
monétaire de la zone euro, comme l’avait été le 26 juillet
2012, lorsque la BCE avait annoncé qu’elle défendrait la monnaie unique à tout prix. La BCE, qui cherche à éviter l’émergence d’un processus déflationniste, a résolument créé les
conditions d’une véritable «surprise stratégique», en dépit
des obstacles juridiques et politiques et malgré ses annonces
préalables pourtant réitérées d’une action quasi-certaine, à
la fois sans précédent et imminente. Elle a ainsi réussi à surprendre les attentes des opérateurs de marchés financiers,
qui anticipaient un programme de rachat d’actifs de l’ordre
de 500 à 600 milliards d’euros étalés sur seulement un an.
DES RACHATS QUASI-ILLIMITÉS
Banque Centrale Européenne.
Son programme est en effet massif et impressionnant :
60 milliards d’euros par mois de rachats de dettes publiques
et privées d’une durée de vie de 2 à 30 ans de mars prochain
à septembre 2016 sur le marché secondaire. Cela représentera 1 140 milliards d’euros, soit environ 12 % du PIB de la
(3) La métaphore de l’hélicoptère (« l’helicopter money ») vient de Milton Friedman. Ce dernier utilise l’image d’un hélicoptère, qui passerait au-dessus d’un pays
pour distribuer de la monnaie aux agents, qui subitement verraient leurs avoirs monétaires doublés, sans qu’aucune autre variable n’ait fondamentalement changé.
Cette opération pourrait passer aussi bien par l’État, avec la coopération de la Banque centrale, via une monétisation de la dette, que directement par la Banque
centrale. Dans les deux cas, cela correspondrait à une politique budgétaire expansionniste financée entièrement par la Banque centrale, via une monétisation de la
dette correspondante. Dans une première définition, il s’agirait d’une "distribution" de monnaie et non d’une injection de monnaie avec achat d’actifs en contrepartie,
comme cela est le cas à travers le “quantitative easing” (QE). D’un point de vue bilanciel, cela se traduirait par une augmentation du passif de la banque centrale,
sans augmentation conséquente de son actif. L’autre définition suppose que l’État distribuerait de l’argent aux citoyens (ou diminuerait les impôts, ce qui est
conceptuellement la même chose) dans le cadre d’une politique coordonnée avec la Banque centrale. Maintenant, à quand le «drone monétaire », plus furtif ?
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11
économie
zone euro, 14 % du marché obligataire européen et, sur une
année, 8 % de la dette souveraine de la zone euro. La BCE
achètera ainsi plus de 50 % des émissions annuelles et plus
de 200 % des montants émis annuellement en net. Pour la
France, tout se passera comme si la Banque de France prenait à sa charge une année de déficit public. Ce programme
d’au moins 19 mois est surtout quasi-illimité, puisqu’il
durera tant que le Conseil des gouverneurs n’observera pas
un retour de l’inflation vers la cible des 2 %.
RÔLE IMPORTANT DÉVOLU AUX BCN
Les achats de la BCE intégreront le programme existant de
10 milliards d’euros d’achats de titres adossés à des actifs
(ABS) et d’obligations sécurisées (Covered Bonds). Il s’y
ajoutera désormais 50 milliards d’euros d’achats de dettes
publiques sur le marché secondaire, qu’il s’agisse des États
et des agences. Les 50 milliards d’euros d’achats mensuels
seront répartis entre la BCE et les Banques Centrales Nationales (BCN), avec une répartition des achats en fonction de
la part de capital détenue par chaque État dans la BCE :
12 % seront achetés par les Banques Centrales Nationales,
avec une mutualisation des risques éventuels de pertes sur
ces titres ; 8 % seront achetés par la BCE avec un risque par
nature mutualisé ; les 80 % restants seront achetés par les
Banques Centrales Nationales (BCN), à leur propre risque
sur les titres de leur propre pays.
UNE FAIBLE MUTUALISATION DU PARTAGE DES
RISQUES
Ce partage du risque, à seulement 20 % sous garantie
commune, insinue que la BCE ne serait pas une institution entièrement solidaire. Cela permet de maintenir une
LA BCE ACCEPTE D’ÊTRE
MISE SUR LE MÊME
PIED D’ÉGALITÉ QUE
LES CRÉANCIERS PRIVÉS.
pression sur les pays périphériques. L’objectif est d’éviter
que cette politique de facilités monétaires extrêmes n’incite
finalement certains pays à augmenter encore davantage leur
dette publique, singulièrement parce qu’ils refusent de se
réformer durablement et en profondeur (problème dit de
l’aléa moral (4)). C’est la raison pour laquelle la clé de répartition des achats entre les pays est définie au prorata de
leur part dans le capital de la BCE (14,2 % dans le cas de la
France) et non sur la taille des dettes de chaque pays. Les
achats se feront dans la limite de 33 % par émetteur de dette
et de 25 % par émission. De plus, la BCE accepte d’être
mise sur le même pied d’égalité (définition pari passu) que
les créanciers privés. Son impossibilité de faire porter des
pertes éventuelles sur les investisseurs privés explique aussi
qu’elle limite son exposition directe au risque d’insolvabilité.
UN ACTIF A PRIORI FONGIBLE IN FINE
Le programme de rachat d’actifs ne concerne que les titres
de bonne qualité, sauf si le pays bénéficie d’un programme
d’aide du FMI, ce qui veut dire que l’État concerné s’engage
durablement dans de véritables réformes, à l’exemple du
principe d’utilisation de l’OMT (5), permettant l’achat conditionnel d’obligations souveraines des pays de la zone euro
qui en feraient la demande au Fonds européen de stabilité financière. C’est notamment un moyen de mettre sous
(4) L’aléa moral est la possibilité qu'un agent économique (particulier, entreprise, banque ou État), augmente inconsidérément sa prise de risque, parce qu’il sait qu’il ne
supportera pas entièrement les conséquences négatives de son action, du fait de l’existence même « d’un prêteur ou d’un acheteur en dernier ressort ».
(5) Le programme OMT (opérations monétaires sur titres ou “Outright Monetary Transactions”), compatible avec le droit européen depuis janvier 2015, est une
arme de « prêteur en dernier ressort », qui n’a encore jamais été mise en œuvre. Dans ce cadre, la Banque centrale achèterait directement - sous certaines conditions
(demande d'aide d’un gouvernement en difficulté de refinancement au Fonds européen de stabilité financière (FESF)) - des obligations émises par des États-membres
de l'Eurozone sur les marchés secondaires de la dette souveraine. Ainsi, pour que la BCE intervienne, le pays concerné devrait, d’une part, négocier un plan
d’ajustement macroéconomique avec la Commission européenne et le Conseil Européen et l’appliquer, et surtout d’autre part, ledit pays serait sous surveillance de la
Troïka par la suite. L’OMT est donc un dispositif conditionnel potentiellement efficace qui donne à la BCE le moyen d’intervenir massivement sur la crise des dettes
dans la zone euro pour limiter les écarts de taux d’intérêt sur les obligations publiques dans la zone euro.
12 monétisation de la dette européenne
ELLE SE DONNE MÊME LA
POSSIBILITÉ D’ACHETER
DES OBLIGATIONS DONT
LES TAUX SONT NÉGATIFS, POUR
LIMITER LA HAUSSE DES TAUX RÉELS
EN CAS D’INFLATION NÉGATIVE.
pression la Grèce et de réaffirmer le principe général de
lutte contre l’aléa moral (cf. définition précédente en note
4 page 11). In fine, tout ceci pourrait entraîner une hausse
des primes demandées par les investisseurs pour les obligations de certains pays. Pour autant, ce débat sur le partage
des risques semble relativement inutile, puisque la mutualisation des actifs des banques centrales existe de fait via
l’Eurosystème, dont l’actif est totalement fongible.
UN RÔLE EXPLICITE DE « PRÊTEUR – ACHETEUR
EN DERNIER RESSORT »
La BCE utilise ainsi de manière conjointe (en les multipliant) les grands moyens légaux qui sont à sa disposition,
en se plaçant délibérément dans un rôle explicite mais
probablement temporaire de «prêteur/acheteur en dernier
ressort» : un taux directeur proche de zéro, un programme
de refinancement à moyen terme des banques commerciales ciblés sur la distribution de crédits aux entreprises,
un taux négatif sur les facilités de dépôts, des rachats
d’obligations sécurisées et de titres adossés à des actifs et,
à partir de mars 2015, des achats mensuels d’obligations
publiques et privées sur le marché secondaire pour 60 milliards d’euros. Elle se donne même la possibilité d’acheter
des obligations dont les taux sont négatifs, pour limiter
la hausse des taux réels en cas d’inflation négative. Pour
autant, son bilan ne dépasserait son précédent pic historique qu’à partir de juin 2016. Il atteindrait 3 340 milliards
d’euros en septembre 2016, soit près de 33 % du PIB de la
zone euro, contre 20 % actuellement.
1.3 / LA QUESTION DE L’EFFICIENCE
MONÉTAIRE À COURT TERME
CONTRARIER L’ÉMERGENCE DE
COMPORTEMENTS DÉFLATIONNISTES
La BCE lutte clairement contre le risque déflationniste. Elle
utilise à son tour, après la Réserve fédérale américaine et la
Banque du Japon, une stratégie sans précédent dans l’histoire économique du XXème siècle. Le spectre déflationniste
est en effet le seul risque, avec celui d’une crise bancaire systémique, qui peut justifier la mise en œuvre d’une politique
monétaire quantitative de déversement de liquidités d’une
telle ampleur. Les comportements déflationnistes, dont il
est long et coûteux de s’extirper, se traduisent en effet par
le report continu des décisions de dépenses et d’investissement. Cela conduit à un processus cumulatif de baisse des
prix de tous les actifs et de contraction de l’activité et des
salaires, dans un contexte de désendettement massif (en
correction du surendettement antérieur public et privé) et
d’accroissement mécanique des taux d’intérêts réels, face à
la spirale auto-entretenue de recul des prix. Ce processus
est cependant encore loin d’être complètement avéré dans la
zone euro, même si l’inflation devait être négative au cours
du premier semestre.
DEUX CANAUX DE TRANSMISSION A PRIORI
Plus précisément, la BCE cherche à «ancrer» les anticipations d’inflation à moyen terme vers la cible des 2 %, pour
diminuer durablement les taux d’intérêt réels. Elles visent
conjointement à redonner confiance aux agents privés,
c’est-à-dire à stimuler les décisions de consommation et
d’investissement. Elle intensifie ainsi son rôle « de prêteur
et désormais d’acheteur en dernier ressort », pour donner le
temps aux réformes structurelles de se mettre en place en
douceur. Deux effets spécifiques sont espérés. Le premier
est de relancer le canal du crédit privé, qui est le moteur de
toute expansion. Le second est implicitement de consolider
la dépréciation de l’euro, qui est une mécanique d’inflation
importée et de redynamisation des exportations.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
13
économie
DISTINGUER LE COURT DU MOYEN ET LONG
TERME
Bourse de New-York.
UN SUCCÈS ATTENDU
La politique impressionnante et quasi-illimitée de facilités
monétaires devrait normalement enrayer ce risque de dérive
déflationniste, car elle permettrait de maintenir ou de renforcer la dépréciation de l’euro, de stimuler les actifs risqués et
non-risqués, de changer l’orientation des anticipations d’inflation et, globalement, d’améliorer le climat de confiance,
dans un contexte de reprise modérée de la croissance mondiale, tirée par les États-Unis, par la chute des prix du pétrole
et par la moindre austérité budgétaire en Europe. Dans l’histoire des crises économiques, le rôle de « prêteur en dernier
ressort » des banques centrales apparaît crucial, afin d’éviter
une plus longue période de dépression, voire une déflation.
Il faut distinguer le court terme du moyen/long terme.
À court terme, l’euro et les rendements obligataires ont
chuté, tandis que les actions ont fortement progressé.
D’ailleurs, selon l’expérience passée mais récente, les
marchés boursiers américains et japonais ont singulièrement été les grands bénéficiaires de la mise en œuvre
de la politique monétaire quantitative, indépendamment
des fondamentaux. On en attend des effets positifs de
richesse, de relance des exportations, de réduction des
coûts de financement et de remontée des prix importés.
Ces effets favorables sont appelés à soutenir progressivement l’investissement et la consommation, donc la croissance et l’inflation. Cependant, les taux d’intérêt étaient
déjà proches de zéro, même si l’action de la BCE renforce la pression baissière. De plus, l’impact de la hausse
des prix des actifs sur la consommation est a priori plutôt
faible en Europe.
RECUL DE L’EURO, MÉCANISME LE PLUS
EFFICACE
A contrario, le renforcement de la baisse de l’euro, surtout
en change effectif (6) (associé au recul de l’euro contre toutes
devises), est probablement le mécanisme le plus efficace,
même si ces effets ne doivent pas être surestimés. Une
dépréciation de 10 % du taux de change effectif de la monnaie unique produirait ainsi dans la zone euro entre 0,5 et
0,8 point d’inflation en plus, tout en apportant entre 0,3 et
0,5 point supplémentaire de croissance au bout d’un an. Le
taux de change effectif nominal de l’euro s’est déprécié de
10,8 % en an. Cette baisse s’est d’ailleurs amplifiée depuis le
début de l’année.
(6) Le taux de change effectif (définition INSEE) est « le taux de change d'une zone monétaire, mesuré comme une somme pondérée des taux de change avec les
différents partenaires commerciaux et concurrents. On mesure le taux de change effectif nominal avec les parités nominales (sans prendre en compte les différences
de pouvoir d'achat entre les deux devises), et le taux de change effectif réel, avec la prise en compte pour ce dernier des indices de prix et de leurs évolutions. Par
exemple, pour la France, la pondération du taux de change par rapport à un pays de la zone tient compte de la part de marché de la France dans ce pays et des parts
de marché de ce pays et de la France dans chacun des marchés tiers. Le taux de change effectif réel de l'euro pour la France tient compte, outre le taux de change,
du rapport des prix à l'exportation de la France avec les pays concurrents de la zone considérée. Une hausse du taux de change effectif nominal (respectivement réel)
correspond à une dégradation de la compétitivité change (respectivement prix) ».
14 monétisation de la dette européenne
EFFETS DIFFÉRENTS SUIVANT LES PAYS
EUROPÉENS
La borne haute d’estimation pour l’inflation est probablement
un majorant, dans la mesure où la pression concurrentielle
et les surcapacités mondiales de production se sont accrues
depuis les périodes de référence des travaux économétriques
(2003 et 2007). De plus, s’y ajoute l’effort de marge que les
économies exportant vers la zone euro pourraient être amenées à accomplir, face au renchérissement du coût de leurs
exportations. Enfin, cette dépréciation exerce des effets d’ampleur différente selon les économies de la zone euro. Ce dernier phénomène s’explique d’une part, par la sensibilité spécifique des exportations de chaque pays à l’évolution de leurs
prix, qui dépend notamment de leur niveau de gamme de
production, d’autre part, par l’impact sur l’inflation que peut
exercer cette dépréciation. Ainsi, l’impact sur la croissance en
Espagne du recul du taux de change effectif serait faible, du
fait d’un effet inflationniste plus élevé. A contrario, il serait de
0,4 point en Allemagne et en Italie et de 0,2 point en France.
RISQUE DE GUERRE DES CHANGES ?
Le changement graduel d’orientation monétaire de la Fed
vers un durcissement prudent de sa politique maintiendrait
une pression à la baisse sur l’euro. Pour autant, l’augmentation de l’excédent courant européen devrait limiter ou
interrompre cette dépréciation. De même, la tendance à la
valorisation boursière pourrait attirer des capitaux étrangers
qui s’ajouteraient à cet excédent. L’efficacité de cet objectif
de change «très implicite» de la BCE dépendra vraisemblablement surtout de l’incapacité ou du refus stratégique
des autres zones économiques de provoquer, en rétorsion,
des mécanismes en chaîne de dévaluations compétitives ou
de protectionnisme. D’ailleurs, les politiques monétaires des
différentes zones économiques, notamment aux Etats-Unis
et au Japon, apparaissent d’ores et déjà beaucoup moins coopératives et coordonnées qu’auparavant.
IMPACTS FAVORABLES SUR L’ACTIVITÉ
La lutte contre la déflation passe surtout par la redynamisation de la croissance. Les impacts réunis et généralement
anticipés (cf. le tableau récapitulatif page 15) de la baisse du
prix du pétrole et du recul de l’euro en change effectif seraient
significatifs. Ils apporteraient un surcroît d’activité dans la
zone euro à l’échéance d’un an d’environ un point de PIB
ex-ante. Outre la pression baissière sur les taux d’intérêt, s’y
ajouterait l’effet éventuel et plutôt progressif du plan Juncker,
dans un contexte où l’austérité budgétaire tendrait à s’assouplir nettement en Europe. De plus, la nouvelle Commission
Européenne cherche désormais à faire un meilleur usage de
la flexibilité (7) dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Son objectif est de prendre en compte l’investissement,
les réformes structurelles et le cycle économique dans un sens
plus favorable à la croissance. La complexité du dispositif de
surveillance budgétaire des États (avec notamment la notion
de déficit structurel) s’est donc accrue, en créant de nombreuses exemptions et des marges d’appréciations, en raison
des concepts utilisés et de la multiplicité des cas.
LA TENDANCE À
LA VALORISATION
BOURSIÈRE POURRAIT
ATTIRER DES CAPITAUX ÉTRANGERS
QUI S’AJOUTERAIENT À CET EXCÉDENT.
(7) La nouvelle Commission Européenne (COM 2015, 12 final provisional) a précisé le 13 janvier 2015 la façon dont elle comptait appliquer la marge de « flexibilité »
permise par les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance. Elle a notamment décidé : que les investissements réalisés ou financés dans le cadre du Fonds Européen
d’Investissement Stratégique ne seront pas pris en compte dans le calcul du déficit et de la dette publique ; qu’il sera tenu compte des projets de réforme structurelle
pour évaluer la situation budgétaire ; que la position dans le cycle fera l’objet d’une appréciation dépendant du contexte et des circonstances (matrice des situations).
Cependant, cette flexibilité ne s’applique pas aux Etats en procédure pour déficit excessif (PDE), à l’image de la France. Ils sont alors tenus de réaliser un effort
structurel d’au moins 0,5 point de PIB chaque année en vue d’atteindre leur objectif à moyen terme, l’effort structurel étant le principal instrument sur lequel se fonde
la Commission dans son évaluation des trajectoires budgétaires des Etats.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
15
économie
Tableau. Impacts moyens généralement anticipés
(Source : BPCE, Direction des Études, Veille et Prospective, Pôle Stratégie.)
PIB (*)
Prix
Quand
+ 0,5
0,5 %
2015
+ 0,6 à + 0,8
– 0,6 %
2015
+ 0,4
Positif
2015-2016
Positif
Positif
2015-2016
Recul de l'euro
en change effectif (– 10 %)
Baisse des prix
du pétrole de 40 %
Plan Juncker
Assouplissement de
l'austérité budgétaire
“Quantitative Easing”
de la BCE
des dettes publiques qu’ils doivent conserver, et d’autre part,
des crédits ou des actifs boursiers qui financent l’économie.
Cela est dû aux contraintes assurantielles de Solvency 2
et au ratio bancaire de liquidité de Bâle 3, sans parler du
TLAC (total loss-absorbing capacity) et de l’ajout de coussins supplémentaires exigés par les superviseurs nationaux.
Cependant, après plus de cinq ans de vif recul, les flux de
nouveaux crédits, que ce soit à destination des entreprises
ou des ménages, s’orientent timidement à la hausse (8).
“Ancrage”
Effets euro
anticipations 2015-2016
+ crédits ?
de prix
Total
+ 1,5
Positif
2015-2016
(*) en points de PIB sur 1 ou 2 ans.
REDYNAMISATION DU CRÉDIT ?
À moyen terme, l’impact économique de la politique monétaire quantitative est plus difficile à cerner, surtout pour
que les liquidités déversées se transforment en crédits. La
redynamisation progressive du crédit, moteur de l’investissement, donc de l’activité, devrait certes profiter du renforcement de la solidité du système bancaire et de la bonne
marche vers l’union bancaire. Cela prendra cependant du
temps, car tout dépend de l’amélioration perçue des perspectives économiques et de la confiance des agents privés
à travers la demande de crédits. S’y ajoute la poursuite du
processus de désendettement privé, selon les pays concernés et selon l’ampleur de la correction à apporter au surendettement antérieur des entreprises ou des ménages.
LA QUESTION DES CONTRAINTES
RÉGLEMENTAIRES
De plus, du côté de l’offre, les contraintes réglementaires
imposées aux banques et aux assureurs ne favorisent pas
facilement la substitution dans leurs bilans entre, d’une part,
(8) Le « deleveraging bancaire » semble ainsi ralentir. Alors qu’en 2006, le crédit au secteur privé résident représentait un peu moins de huit fois le montant du capital
et des réserves des institutions financières et monétaires (IFM), ce multiple est tombé à environ 4,6 en 2014, signe du fort recul des crédits au secteur privé résident
dans les bilans des IFM. Depuis trois mois, ce ratio s’est stabilisé sans toutefois s’inverser. Point favorable à remarquer, l’objectif de financement de l’investissement
contribuerait à soutenir la demande de crédit émanant des sociétés non financières.
16 monétisation de la dette européenne
dans les pays développés. La BCE met pourtant à terme
sa crédibilité et son indépendance monétaire en jeu, particulièrement en se plaçant comme un preneur de risque
en dernier ressort, du fait de la fongibilité implicite mais
ultime de l’actif des différentes Banques centrales nationales
(BCN). En cas d’insolvabilité « technique/théorique (9) » de
ces dernières venant de défauts souverains, c’est-à-dire de
pertes avérées non couvertes par leurs capitaux statutaires
et leurs réserves, cette monétisation de la dette publique lui
ferait directement courir un risque à son bilan. Cependant
une banque centrale ne peut a priori jamais faire faillite, du
fait de son privilège exorbitant de création monétaire (capacité à recourir au seigneuriage (10), c’est-à-dire à la « planche
à billets ») ou de la nécessité pour un État de renflouer sa
BCN en levant davantage d’impôts.
UNE QUESTION DE CONFIANCE DANS LA MONNAIE
1.4 / UNE QUESTION DE CRÉDIBILITÉ À
MOYEN/LONG TERME ?
LA BCE, PRENEUR DE RISQUE D’INSOLVABILITÉ
SOUVERAINE ?
Les dangers sont plutôt à moyen/long terme qu’à court
terme, du fait actuellement de l’absence d’anticipation
d’inflation et de la difficulté de voir apparaître une boucle
salaires-prix à ce stade si peu avancé du cycle économique
De même, la BCE ne procède pas à une « pure opération de
monétisation » de la dette publique, puisqu’elle l’achète sur
le marché secondaire et la porte durablement à son bilan. La
solvabilité des États n'est donc pas directement améliorée par
le seigneuriage, car la BCE n’annule pas, en les détruisant,
les titres publics achetés : les États concernés doivent encore
en assurer le service, en payant les intérêts. Seul le risque
de crise de liquidité, c’est-à-dire l’impossibilité de trouver
un acquéreur privé pour cette dette publique, est réduit.
La dette publique n’est pas complètement remplacée par la
monnaie. C’est néanmoins une opération de refinancement
par création monétaire, qui consiste à transformer en actifs
liquides des titres publics (et privés) à échéance lointaine,
donnant ainsi une forme « d’absolution » au laxisme des pays
(9) La notion de capital appliquée aux banques centrales est très éloignée de celle venant de la comptabilité privée. Le capital d’une banque centrale peut devenir
négatif, sans pour autant que son bon fonctionnement soit remis en question.
(10) Le seigneuriage est le privilège par lequel l’émetteur de la monnaie (ou le « faussaire », s’il ne s’agit pas d’une Banque centrale) peut capter une partie des richesses
de manière invisible. Il tend à générer de l’inflation et s’assimile à un impôt sans progressivité possible. Économiquement inefficace (puisqu’il n’est pas le reflet d’une
création de richesse), socialement inégalitaire (avec des gagnants et des perdants) et profondément antidémocratique (sans existence légale, car non voté par un
parlement), il débouche sur une taxation implicite par l’inflation, tout en étant incompatible avec le juste principe de la territorialité de l’impôt dans le cas de l’Union
monétaire. Ainsi, dès lors qu’une monnaie commune est adoptée, un État quelconque pratiquant le financement budgétaire par le seigneuriage lèverait un impôt invisible
sur les citoyens des autres nations. L'usage abusif du pouvoir de création monétaire par l'État/Banque centrale (la Banque centrale et l’Etat étant alors confondus comme
un agent économique unique) accroît l'offre de monnaie. Ceci est alors la cause profonde de la plupart des périodes d'inflation élevée et d'hyper-inflation.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
17
économie
bénéficiaires de ces financements. La différence tient aussi
aux volumes concernés et au fait que les titres souverains
achetés, qui présentent à terme de sérieux risques de décote
et/ou d’illiquidité (par exemple, en cas de nouvelle restructuration de la dette grecque, cette dernière n’étant toujours
pas soutenable à moyen terme : elle représente 175 % du PIB
de 2014, soit 317 milliards d’euros ; elle est détenue à 77 %
par le secteur public, la BCE (11) en ayant 8 %, comme le FMI),
sortent des bilans des institutions financières, à l’inverse
des simples opérations de refinancement où ils sont des
garanties. En conséquence, même en l’absence d’annulation
stricte de la dette publique achetée (volontairement par la
BCE ou subie par défaut souverain d’un ou plusieurs États),
la question de l’indépendance financière de la BCE serait
potentiellement surtout posée à terme à travers la pérennité
de la confiance dans la monnaie, que pourrait traduire un
effondrement continu mais forcément non souhaité de l’euro.
LA NOTION DE VALEUR DE LA MONNAIE, BIEN
COLLECTIF PAR EXCELLENCE
En effet, la valeur de ce « bien collectif » qu’est la monnaie fiduciaire (elle n’a plus de valeur intrinsèque, depuis
la démonétisation de l’or) repose éminemment sur la
confiance. La monnaie assure pratiquement trois fonctions,
celle d’unité de mesure (elle permet de fixer le prix des
biens et services), celle d’intermédiaire des échanges (la
marchandise est acquise par échange contre de la monnaie)
et celle d’instrument de réserve de valeur (la monnaie peut
être thésaurisée, en vue d’achats futurs). Sa solidité ou son
pouvoir d’achat, dont l’érosion peut venir d’une inflation
durable et/ou de la dépréciation tendancielle du change, est
LE SOUHAIT QUE LA
BANQUE CENTRALE
SOIT SOUMISE À L’ÉTAT
EST UNE TRADITION APPAREMMENT
TRÈS FRANÇAISE, QUI RAPPELLE QUE
LA BANQUE DE FRANCE LE FUT AU
COURS DES SIÈCLES PRÉCÉDENTS.
assurée par la stabilité du système bancaire et financier et
notamment par celle des prix. Celle-ci est théoriquement
garantie par l’indépendance politique/économique de la
Banque centrale, tout comme un raisonnement similaire (12)
avait conduit au 18ème siècle à l’idée que la justice devait
l’être dans son domaine d’intervention vis-à-vis d’un gouvernement, par principe dans une démocratie. Cela n’exclut
pas la nécessité du contrôle politique et encore moins l’obligation de rendre des comptes aux citoyens ou à leurs représentants (13). Le souhait que la Banque centrale soit soumise
à l’État est une tradition apparemment très française, qui
rappelle que la Banque de France le fut au cours des siècles
précédents. Il est vrai que Napoléon avait créé cette institution pour financer ses conquêtes. La Banque centrale, qui
est chargée de la politique monétaire à travers la maîtrise de
la masse monétaire, a classiquement trois fonctions principales : émettre la monnaie fiduciaire, assurer la supervision
du système financier et jouer le rôle de prêteur en dernier
ressort en cas de crise systémique.
(11) La BCE, créancier préférentiel comme le FMI, dépasse pour la Grèce sa limite d’intervention de 33 % par émetteur : elle doit attendre le mois de juillet pour
que certains achats dans le cadre du SMP (Securitites Markets Programme) arrivent à échéance, avant de pouvoir acheter de nouveau de la dette grecque. Elle a
donc récemment décidé d’augmenter de 500 millions d'euros le plafond du mécanisme de fourniture de liquidités d’urgence (ELA) versées aux banques grecques,
mécanisme exceptionnel (dont la responsabilité incombe cependant aux BCN concernées) qui revient implicitement à financer directement l’Etat grec via les banques
commerciales, même si les montants sont encore faibles, afin d’éviter de violer le traité européen.
(12) Dans certains domaines, il est considéré que le pouvoir est mieux exercé par des «sages» que par des élus, l’indépendance des sages étant généralement garantie
par des exigences explicites ou implicites de compétence technique et des garanties procédurales comme la collégialité, la pluralité des autorités de désignation, la
longueur du mandat, le fait que ce dernier ne puisse être prorogé.
(13) Sur cette question, la BCE semble faire preuve d’une certaine forme de déficit démocratique, en comparaison de la Réserve fédérale américaine. En effet, si la
FED doit rendre compte annuellement de sa politique devant le Congrès des États-Unis, qui a de plus le pouvoir de modifier ses statuts, la BCE n’a véritablement de
compte à rendre à personne, y compris au Parlement européen.
18 monétisation de la dette européenne
LE RISQUE DU CYCLE ÉLECTORAL
Cette indépendance de la Banque centrale repose fondamentalement sur l’idée que, dans une démocratie, la
compétition électorale peut être un des principaux déterminants de l’inflation, du fait de la tentation de relancer
l’économie réelle par la mise en œuvre d’une politique
monétaire déstabilisante ou simplement inefficace. Dans
ce cas, tout gouvernement serait incité à « tricher » pour se
maintenir au pouvoir, en menant une politique monétaire
plus expansionniste que celle qui lui permettrait de respecter la cible d’inflation annoncée au départ. Dès lors, compte
tenu des anticipations rationnelles et/ou adaptatives des
agents économiques, cette politique « discrétionnaire » ne
marcherait qu’une seule fois. À plus ou moins long terme,
en raison de la neutralité de la monnaie et de l’existence
d’une dichotomie entre sphère réelle et sphère financière,
elle perdrait de son efficacité et se traduirait par un niveau
d’inflation beaucoup plus élevé, pour un taux de chômage
revenu à son niveau naturel. Ainsi, en l’absence de préengagement de l’État quant à une règle stricte de politique
monétaire, les tensions inflationnistes seraient plus importantes et plus fréquentes.
LA NÉCESSITÉ D’UN JEU NON COOPÉRATIF
ENTRE GOUVERNEMENTS ET BANQUE CENTRALE
De plus, cette indépendance politique de la Banque centrale
évite l’autre tentation dramatique du financement continu
des déficits budgétaires par le seigneuriage. Elle permettrait
même de renforcer la discipline budgétaire (14), en introduisant un jeu non-coopératif entre gouvernements et Banque
centrale : cela tendrait à obliger l’État à garantir la soutenabilité de la dette publique et à constituer des « réserves » en
période faste, afin de conserver des marges de manœuvre
en période de récession. La théorie économique prête ainsi à
une Banque centrale indépendante la crédibilité qu’un gouvernement n’a pas concernant la gestion de la monnaie, sauf
peut-être en cas d’équilibre de sous-emploi keynésien (15),
lié à une insuffisance de demande effective. Il en résulte
une séparation claire des objectifs relevant de la politique
monétaire et de la politique budgétaire : à la première, la
lutte contre l’inflation et le risque d’instabilité financière ;
à la seconde, la croissance économique et le plein-emploi.
Ainsi, la BCE, dont le mandat de stabilité des prix est
impératif, contrairement à la non-hiérarchisation de celui
de la Réserve fédérale américaine (16), obéit à une règle de
(14) Agnès Bénassy-Quéré et Jean Pisani-Ferry (1994) ont « cherché à vérifier empiriquement l’impact disciplinant de l’indépendance des banques centrales sur les
finances publiques. En régressant des indicateurs d’indépendance de banque centrale sur le solde primaire (déficit public hors charge d’intérêts), ils confirment a
minima l’influence positive d’une banque centrale indépendante sur les dérapages budgétaires des gouvernements : les pays ayant connu une forte hausse de leur solde
primaire sont ceux dont les banques centrales sont faiblement ou moyennement indépendantes, alors que les pays ayant respecté une certaine discipline budgétaire
sont plutôt ceux côtoyant une banque centrale indépendante (à l’exception du Japon) ».
(15) Cependant, les théories préconisant l’indépendance de la banque centrale comme moyen d’assurer la stabilité des prix supposent que l’inflation serait « toujours
et partout un phénomène monétaire », selon la formule de Milton Friedman (1963), alors que d’autres facteurs d’explication existent : rôle de la demande, des coûts, de
facteurs structurels comme les structures de marché… Derrière cette idée se cache l’hypothèse implicite de plein emploi des facteurs de production, hypothèse qui n’est
pas toujours satisfaite. Par conséquent, dans le cas où une économie n’aurait pas atteint son niveau de croissance potentielle, une politique monétaire discrétionnaire,
qu’elle soit menée par une banque centrale indépendante ou bien même par un gouvernement, pourrait affecter l’économie réelle et réduire le chômage. De même,
une politique de règle monétaire (objectif d’inflation de 2 %) apparaît inefficace face à un choc d’offre, à l’image des deux chocs pétroliers de 1973-74 et 1979-80 (hausse
des coûts de production, donc des prix, réduisant le niveau d’emploi). Elle conduirait à assurer la stabilité des prix au détriment d’une plus grande variabilité de la
production et de l’emploi, entraînant dans ce cas une plus faible adaptabilité de l’économie. A contrario, une politique discrétionnaire entretenant l’ambiguïté sur
la priorité à accorder aux objectifs de croissance économique et de stabilité des prix retrouverait de l’efficacité, même si elle rendait possible l’apparition de cycles
politico-économiques. D’autres limites théoriques peuvent être citées, comme d’une part le problème de coordination des politiques monétaire et budgétaire, et d’autre
part, le manque de souplesse lié à l’attribution ex ante d’un instrument à un seul objectif de stabilité des prix.
(16) La Réserve fédérale américaine peut librement décider de privilégier l’une des quatre missions qui lui ont été confiées : favoriser la croissance, l’emploi, la stabilité
des prix et le bon fonctionnement du secteur bancaire et financier. Son programme de rachat massif de la dette américaine n’est pas inscrit dans ses statuts. Une telle
pratique fait figure d’exception historique plutôt que d’habitude. Elle s’oppose ainsi à l’esprit d’équilibre des pouvoirs, fondement de l’institution, qui implique une
séparation entre la Banque centrale et le gouvernement.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
19
économie
d’inflation importée et durable, menant à l’hyperinflation
et à des bulles d’actifs, c’est-à-dire à des situations d’angoisse permanente, d’injustice sociale et d’incapacité à calculer des projets économiques rentables. S’y ajouterait le
risque d’émergence d’une guerre des monnaies. C’est le
syndrome des Etats « passagers clandestins », qui exportent,
par la dévaluation du change, leurs dérives internes plutôt
que d’opérer les réformes structurelles nécessaires.
UNE STRATÉGIE TEMPORAIRE, CONTEXTUELLE
ET CONDITIONNELLE
Siège bancaire à Francfort.
stricte indépendance à l’égard du politique. Son indépendance, supérieure à celle de la Bundesbank, est une garantie
contre la tendance traditionnelle de certains États-membres
à monétiser la dette publique. Cela renforce sa crédibilité
et celle de la monnaie unique, alors même que la zone euro
n’est pas dotée d’un gouvernement fédéral.
Ce rôle dangereux de monétisation des dettes publiques doit
être temporaire, contextuel et conditionnel. Dans la conception classique, cette stratégie ne peut théoriquement se justifier que pour lutter contre l’émergence d’une déflation ou
contre l’implosion d’un système bancaire en déshérence. Elle
conduit la Banque centrale à apporter en urgence la liquidité
nécessaire, tout en s’interdisant de résoudre durablement
les problèmes de solvabilité privée ou publique. La banque
centrale n’est en effet le prêteur en dernier ressort que des
banques commerciales et non de tout le secteur financier.
Elle n’assure cette fonction que pour pallier le risque d’illiquidité, c'est-à-dire celui de ne pas trouver temporairement
les ressources nécessaires pour payer ses créanciers, et non
celui d’insolvabilité. Au-delà, la crise financière récente a
montré que le système financier bénéficiait d’une garantie
publique implicite. En cas de réalisation de ce risque, les
Etats puisent dans leur matière fiscale pour éviter la faillite
d’institutions financières, surtout si elles sont considérées
comme susceptibles d’entraîner avec elles le reste du système financier.
LE RISQUE DE L’EFFONDREMENT DE L’EURO
Cette fuite en avant monétaire pourrait déboucher à terme
sur une perte de crédibilité de la BCE, si la baisse de l’euro
se prolongeait, sans qu’apparaisse une correction de la dérive
des dépenses publiques des Etats-membres et sans que le
déversement de liquidités conduise à une redynamisation du
crédit, donc de l’investissement. Dans ce cas, il en résulterait un effondrement de l’euro, qui serait alors la traduction
d’une véritable perte de confiance dans la monnaie, donc
NE PAS SE SUBSTITUER À L’ABSENCE DE
RÉFORMES STRUCTURELLES
La politique monétaire n’est pas omnipotente. Elle doit éviter l’aléa moral de l’acceptation coupable de la dérive des
dépenses publiques, dérive qui relève de la tentation implicite
de certains gouvernements européens. Elle ne peut pas se
substituer à l’absence de réformes structurelles, qui visent à
accroître la croissance potentielle d’un pays et qui permettent
20 monétisation de la dette européenne
NOUVEAU DILEMME DÉFLATION/BULLES
SPÉCULATIVES ?
À l’ancien dilemme de court terme inflation/chômage
(courbe de Phillips (17)), auquel les Banques centrales avaient
renoncé pour se concentrer sur l’objectif de stabilité des prix
à moyen terme, se substitue un nouveau : celui de l’arbitrage
entre la lutte contre la déflation à court terme (se résumant
implicitement aussi au soutien de l’emploi, donc à la diminution du chômage) et le risque d’engendrer des bulles spéculatives d’actifs (actions, obligations, immobilier) par un excès
de liquidités, dans lequel la BCE semble désormais engager
sa crédibilité, après la Réserve fédérale américaine, la BOE
(Royaume-Uni) et la BOJ (Japon).
AU MOINS TROIS INCITATIONS PERVERSES
ultérieurement de profiter plus largement d’un nouveau cycle
d’expansion, en rapprochant davantage une offre compétitive
d’une demande solvable. La crédibilité d’une banque centrale
repose non seulement sur la stabilité des prix mais également,
depuis la crise financière de 2008, sur sa capacité à stabiliser
le système financier, c'est-à-dire à éviter les bulles spéculatives et à renoncer aux politiques permissives d’excès de
liquidités, sous couvert de soutenir l’activité, donc l’emploi.
Cette politique extrême de facilités monétaires comporte au
moins trois incitations perverses, outre le fait de ne pas tenir
compte des conditions macroéconomiques disparates entre
les pays membres (risque d’accroissement de la fragmentation entre les pays du centre et ceux du sud). D’abord, cela
peut pousser des États-membres, qui connaissent des déficits jumeaux à la fois extérieurs et publics, à ne pas réformer
leur finance publique, du fait d’un service de la dette rendu
peu coûteux par la répression financière. À terme, cela peut
engendrer une interférence opaque et dangereuse entre politique monétaire et politique budgétaire, par la monétisation
explicite ou implicite des dettes publiques.
ACCROISSEMENT CONSIDÉRABLE DES RISQUES
DE CRÉDIT, DE MATURITÉ OU DE LEVIER
Ensuite, cela peut créer une déconnexion dangereuse entre
les marchés financiers et l’économie réelle, avec l’émergence
corrélée de bulles boursières, obligataires et immobilières,
(17) La courbe de Phillips traduit l’arbitrage qui peut exister à court terme entre chômage et inflation (ou bien entre inflation et inflation anticipée). C’est une relation
empirique négative (relation décroissante) entre le taux de chômage et l'inflation (taux de croissance des salaires nominaux) : au-delà d'un certain niveau de chômage,
les salariés ne sont plus en position de force pour exiger une hausse de salaire, le partage des gains de productivité s'effectuant alors en faveur de l'entreprise. Les
banques centrales, par souci d’indépendance et de crédibilité, ont renoncé à utiliser l'inflation pour réduire à court terme le chômage, de manière à assurer la stabilité
des prix à moyen terme au voisinage de 2 %. Actuellement, même lorsque le chômage devient très faible, l'inflation ne réapparaît pas, du fait de l’accroissement de la
concurrence mondiale par les coûts, de la perte de pouvoir de négociation des salariés et du phénomène des déréglementations.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
21
économie
sans lien avec la croissance économique. Enfin, la chute
drastique des taux réels et l’aplatissement de la courbe des
taux d’intérêt ne favorisent pas une sélection clairvoyante
de projets rentables et risqués à long terme : ces projets
plus ambitieux seraient pourtant susceptibles d’accroître la
croissance potentielle des États-membres. Des taux d’intérêt maintenus très bas pendant une période trop longue
finissent souvent par mettre en danger la stabilité financière, car la recherche de rendement incite les opérateurs
de marchés financiers à prendre trop de risques de crédit,
de maturité ou de levier.
LA BCE, FORCÉMENT VIGILANTE
On peut supposer que la BCE restera vigilante sur tous ces
points, car il s’agit de son indépendance politique et de sa
crédibilité monétaire, dont dépend la poursuite du processus européen d’intégration. La difficulté apparaîtra notamment quand il s’agira de mettre un terme à cette politique
de facilités monétaires extrêmes, à l’exemple du revirement
monétaire en cours de la Réserve fédérale américaine. La
solution passe aussi impérativement par l’élaboration d’une
DES TAUX D’INTÉRÊT
MAINTENUS TRÈS BAS
PENDANT UNE PÉRIODE
TROP LONGUE FINISSENT SOUVENT
PAR METTRE EN DANGER LA
STABILITÉ FINANCIÈRE.
stratégie cohérente et partagée (18) de convergence européenne et par la poursuite des réformes structurelles, sans
lesquelles les risques pris par la BCE n’auraient pas de sens.
Cette stratégie nécessite des avancées supplémentaires en
matière de fédéralisme européen et d’harmonisation économique, ainsi que dans le rapprochement des mécanismes du
marché du travail, qui déterminent la formation des coûts.
Dans le cas contraire, les doutes sur l’avenir de la zone euro
perdureront, avec le risque de remettre en cause, à long
terme, l’existence même de la monnaie unique.
(18) En effet, la configuration institutionnelle de la zone euro, où la politique monétaire unique est gérée par la BCE et les politiques budgétaires menées par les
gouvernements, rend encore plus complexe la question de la coordination des politiques conjoncturelles. La BCE est dans l’obligation de tenir compte des situations
économiques et budgétaires de chaque État-membre pour mettre en œuvre une politique monétaire adéquate.
22
2
BANQUE CENTRALE
EUROPÉENNE, QUANTITATIVE
EASING ET IMMOBILIER :
FACILITÉS OU EXUBÉRANCE ?
Par Alain Béchade, Professeur titulaire du Cnam, Directeur de l’ICH.
2.1 / DE L’ABONDANCE À L’ABUS DE
LIQUIDITÉS : L’ÈRE DE L’EXUBÉRANCE
L a politique de la FED, puis de la BCE, depuis des années,
consiste à créer des liquidités disponibles d’abord pour
relancer l’économie (2008/2010), ensuite pour éviter la déflation (depuis 2010). Nous sommes maintenant dans un monde
de liquidités non maîtrisées, car surabondantes.
L’OCDE évaluait en février 2014 les liquidités disponibles
dans le monde à dix fois le PIB mondial.
Les capitaux disponibles cherchent donc à s’investir dans
des actifs : d’abord les obligations (d’État), puis l’immobilier,
enfin, récemment, les actions.
Banque Centrale Européenne.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
23
économie
Le constat est alors le suivant : la finance ne sert actuellement qu’à financer la finance et non pas l’économie. La
Bourse n’est donc sûrement pas un indicateur avancé de
l’économie, en ce sens.
Les actions sont très probablement surcotées, aujourd’hui,
faute de mieux. Mais elles offrent des dividendes supérieurs
aux OAT/TEC 10 ans. Elles sont recherchées pour leur rendement, ce qui est très paradoxal.
En effet, les obligations, surtout d’État, placements favoris
des investisseurs moyen-long terme, offrent aujourd’hui des
rendements très faibles, voire négatifs (l’abondance de liquidités nuit) en termes déflatés (cf. figure 1 ci-contre).
Cette situation n’est pas sans créer un problème de référentiel de structuration des taux de rendement (placement) en
immobilier. Nous y reviendrons.
Il reste donc l’immobilier, actif tangible, dont la valeur serait
résiliente (plutôt que refuge). Mais est-ce encore vrai dans
le contexte actuel ?
s’ils restent négligeables par rapport aux montants échangés
à la Bourse de Paris (3 à 5 milliards d’euros par jour).
Mais la valeur de l’immobilier étant déterminée par le taux
de rendement, et celui-ci étant le résultat de la concurrence
entre investisseurs compte tenu de la relative rareté de
biens disponibles à la vente (on construit peu) face à l’abondance des capitaux disponibles…, les règles fondamentales
de détermination de cette valeur sont-elles respectées ?
Figure 1. Taux de l’OAT à dix ans – France (en %)
(Source : Banque de France Eurosystème.)
5,50
5,00
4,50
4,00
3,50
3,00
2,50
2,00
1,50
1,00
LA STRUCTURATION DES TAUX
La structuration du taux de rendement en immobilier se
développe à partir du taux pivot de référence (OAT, par
exemple) plus une prime de risque (risque locataire), plus
une prime de liquidité (un immeuble n’est pas facilement ni
rapidement liquide).
Dans ce cadre, si l’on considère l’OAT-TEC 10 à 0,50 %, la
prime de risque à 1,50 % et la prime de liquidité à 1,50 %
(total 3,50 %), le taux de rendement moyen des bureaux à
Paris intra-muros, aux alentours de 5 % et de 6 % en première Couronne, est attractif, en apparence, tout au moins
(cf. figure 2 ci-contre).
Il s’en suit que les montants annuels échangés, et non « investis » au sens économique, dans la catégorie d’immeubles d’entreprises, sont très importants (28 milliards d’euros), même
2015
2014
2013
2011
2012
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2001
2002
1999
2.2 / LE RENDEMENT PAR L’USAGE,
L’UN DES FONDAMENTAUX OUBLIÉS
2000
0,50
Figure 2. Taux de rendement moyen
Bureaux Île-de-France (en %)
(Source : Banque de France Eurosystème.)
10
9
8
7
6,7
6,4
6,2
6,1
6
5
5,1
4,4
4
3
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
2e Couronne
La Défense
1re Couronne
Paris Hors QCA
Croissant Ouest
Paris QCA
24 bce, quantitative easing et immobilier
L’EXULCÉRATION DES RENDEMENTS
Le rendement est en principe l’un des piliers fondateurs de
l’investissement immobilier. On joue le flux plutôt que le
stock (comme en Bourse, normalement). Or, le rendement
dépend de l’usage des biens, c’est-à-dire de la capacité financière du locataire (valeur locative admissible vérifiée par le
marché).
Cependant, depuis 2001 le loyer économique réel déflaté
des bureaux en Île-de-France n’a cessé de baisser (cf. figure 3
ci-dessous).
Figure 3. Loyer moyen des bureaux en Île-de-France
LE REVENU PAR
MÉNAGE, EN FRANCE,
EST PASSÉ DE
30 380 EUROS EN 2009
À 29 500 EUROS À FIN 2013.
LES LOYERS D’HABITATION NE
POUVAIENT QUE BAISSER, LA
CORRÉLATION ÉTANT IMPLACABLE.
(Source : BNP Parisbas Real Estate.)
%
€
25
Prévisions
550
20
500
15
450
10
400
5
313
350
0
300
-5
250
-10
200
-15
150
100
-20
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Variation annuelle
En euros constants, cette baisse réelle est de l’ordre de 60 %
en treize ans.
Économie oblige, le loyer supportable par un locataire est
proportionnel à ses capacités financières. Le loyer est une
valeur relative et non fixe, comme dans une obligation
d’État, par exemple.
En immobilier d’entreprise, le taux de marge des entreprises
non financières est au plus bas, depuis vingt-cinq ans ; il n’y a
donc pas de hausse déflatée de loyers commerciaux possibles.
Pour l’habitation, le revenu par ménage, en France, est passé
de 30 380 euros en 2009 à 29 500 euros à fin 2013 (source
Loyer économique réel (base 2014)
Insee). Les loyers d’habitation ne pouvaient que baisser, la
corrélation étant implacable. Le rendement aussi.
En conséquence de la politique de la BCE de taux très faibles
et de quantitative easing, nous observons trois phénomènes.
LES TROIS INCIDENCES, LE CONJONCTUREL
ET LE STRUCTUREL
◗
L es taux de crédit aux investisseurs et acquéreurs
deviennent très faibles ; or, comme les taux de rendement
baissent et que les liquidités sont abondantes, les valeurs
vénales s’envolent… relativement !
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
25
économie
Car, après les corrections en cours, seuls les logements et
commerces ont une progression déflatée réelle de leur valeur
en seize ans (+ 15 % et 3 % respectivement) – (cf. figures 4
et 5 ci-dessous).
◗ La faiblesse du rendement déflaté en obligations, d’abord,
en immobilier, ensuite, entraîne la recherche de plus-values
Figure 4. Valeurs vénales
(Source : IPD, calculs BNP Parisbas Real Estate.)
Indice (base 100 en 2007)
120
115
110
100
100
103
90
89
80
74
70
60
50
40
2014
2013
2011
2012
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2001
2002
1999
2000
1998
30
Commerce
Bureaux
Résidentiel
Activité/entrepôts
Figure 5. Crédits immobiliers aux particuliers (en %)
(Sources : Crédit logement/CSA – Observatoire du financement des marchés
résidentiels.)
Taux
d’intérêt
7
6
5,07 %
5
4
3
3,06 %
3,27 %
2,42 %
2
1
2014
2013
2012
2011
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
0
sur le stock ; la course à la création de valeur (voir infra) est
purement financière et non fondée économiquement.
Les obligations servant des rendements nets quasi négatifs, les actions sont recherchées pour leur dividende depuis
2008. En ce sens, la Bourse n’est pas un indicateur avancé
de l’économie mais reflète plutôt une fuite en avant devant
la faiblesse du pilier traditionnel du placement qu’est le
rendement.
◗ Ce qui aboutit à la situation de valeurs vénales immobilières probablement surévaluées : la création de valeur
n’est pas, en économie, de la création de richesse.
C’est toute la différence entre la conjoncture et le structurel. La création de valeur relève de la croissance conjoncturelle (opportunités) et la création de richesse relève de la
croissance structurelle (fondamentaux). Or, seule la création
de richesse fonde la création économique de valeur. C’est
l’investissement, et non pas le placement, qui tire le développement économique, en immobilier aussi.
L’immobilier en général est, aujourd’hui, un marché de stock
(parc existant) plutôt que de flux (constructions nouvelles). Il
faut en tirer les conséquences.
La politique des taux nuls et de quantitative easing de
la BCE, après celle de la FED, amène à se demander
si nous ne sommes pas dans un monde de formation de
bulles. « Les cinq bulles » boursière, immobilière, de l’endettement, obligataire, du gaz de schiste…
Le président de J.P Morgan (James Dimon), commentant
la situation actuelle, a récemment déclaré : « Vous avez
aimé la crise de 2008, vous allez adorer la prochaine ! ».
Les taux trop bas, rémunérant trop peu des liquidités,
en trop grande quantité, conduisent à des survaleurs en
stock pour compenser cela. La situation n’est donc pas
optimale pour l’économie immobilière, qui doit raison
garder dans ce contexte et accepter les cycles correction/
reprise en termes de valeur.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
n° 90
27
JURIDIQUE
LE TRAITEMENT DE L’IMMOBILIER
DANS LE CADRE DE LA DIRECTIVE
EUROPÉENNE SOLVABILITÉ II
Par Arthur Chabrol, Directeur FS Risk, Ernst & Young.
28
3
LE TRAITEMENT DE
L’IMMOBILIER DANS LE
CADRE DE LA DIRECTIVE
EUROPÉENNE SOLVABILITÉ II
Par Arthur Chabrol, Directeur FS Risk, Ernst & Young.
3.1 / PRÉAMBULE
L
e traitement de l’immobilier dans le cadre de Solvabilité II fait l’objet d’interrogations récurrentes.
Y répondre exige de s’arrêter sur la diversité des actifs
immobiliers et leurs spécificités.
Dans ce court article, nous reviendrons sur les grands principes de la directive et le traitement des principales classes
d’actifs avant d’analyser en détail le cas de l’immobilier.
3.2 / INTRODUCTION
S
olvabilité II (« Solvency II », en anglais) est une réforme
européenne de la réglementation prudentielle s’appliquant au secteur de l’assurance. Sa date d’entrée en appli-
cation est fixée au 1er janvier 2016. Dans la lignée de Bâle II
pour les banques, son objectif est d’encourager les organismes à mieux connaître et à évaluer leurs risques, notamment en adaptant les exigences réglementaires aux risques
que les entreprises encourent dans leur activité.
Les exigences sont structurées en trois piliers.
◗ Premier pilier : les exigences quantitatives, en particulier
en matière de fonds propres et de calcul des provisions
techniques.
◗ Deuxième pilier : les exigences en matière d’organisation
et de gouvernance.
◗ Troisième pilier : les exigences en matière d’informations
prudentielles et de publication.
Cette réforme introduit des modifications profondes :
Solvabilité II a été conçue pour reposer sur des principes
(« principle-based ») plutôt que sur des règles (« rulebased »). Elle vise à instaurer une concurrence équitable
(« level playing field »), l’harmonisation des principes et
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
29
juridique
des pratiques de contrôle, la mise en place d’un reporting
européen unifié, et à instaurer des normes prudentielles
prenant en compte l’ensemble des risques (selon une
« risk-based approach » et le principe de proportionnalité). De fait, la directive laisse une plus grande liberté
d’appréciation aux organismes d’assurances pour ce qui
concerne :
◗ l’évaluation des provisions techniques ;
◗ le calcul des exigences de capital (SCR – « Solvency Capital Requirement » –, notamment), qui seront déterminées
via une formule standard ou un modèle interne dont l’emploi aura été autorisé par le superviseur ;
◗ la politique de placement, les placements devant être effectués selon le principe de la personne prudente (« prudent
person principle »).
Tableau 1. Calendrier France 2014-2017
(Source : Ernst & Young.)
2014
2015
Exercice de collecte 2014
QRT (partiel)
et narratif RSR
24 septembre
Envoi (partiel)
des états trimestriels
Sur base
des éléments T3 2015
Autorités de contrôle (ACPR)
2016
2017
Entrée en vigueur de Solvabilité II
Enfin, Solvabilité II généralise l’évaluation à la juste valeur
(« fair value », comme en IFRS) pour l’ensemble des éléments du bilan.
La directive-cadre du projet Solvabilité II de 2009 a été
modifiée en 2014 par la directive dite « Omnibus II » reprenant différentes évolutions à la suite des séries de tests
menées auprès de la profession par le régulateur européen
EIOPA.
Les calendriers européens et nationaux se sont fortement
accélérés en 2015 :
◗ publication des actes délégués (texte de niveau 2) de la
Commission européenne en janvier ;
◗ publication de l’ordonnance de transposition de la directive en droit français le 2 avril dernier ;
◗ publication toute récente du décret d’application en date
du 10 mai dernier.
L’année 2015 est un exercice préparatoire très chargé et
marqué par plusieurs dates essentielles de remontée d’informations vers l’ACPR avec, notamment, l’envoi d’une version allégée du rapport régulier qui sera à remettre en même
temps que les données annuelles, soit le 3 juin 2015.
Reporting d’ouverture
États trimestriels
Rapports annuels
(RSR et SFCR)
États trimestriels
Autorités de contrôle (ACPR)
Public
Dans ce calendrier et dans un contexte de marché 2015 marqué par le niveau bas des taux d’intérêt et des primes de
risque, les enjeux en termes de gestion des placements pour
les organismes d’assurances en Europe sont particulièrement importants.
SOLVABILITÉ II
ENTRERA EN VIGUEUR
AU 1ER JANVIER 2016
ET S'APPLIQUERA AU SECTEUR
DE L'ASSURANCE.
30 le traitement de l’immobilier…
3.3 / BESOIN EN CAPITAL ET
TRAITEMENT DES ACTIFS FINANCIERS :
RETOUR SUR LES GRANDS PRINCIPES
DE LA DIRECTIVE
L
e calcul du besoin en capital (« SCR ») est fondé sur
une structure modulaire, qui regroupe tout un panel
de risques permettant une évaluation complète de ce que
pourrait supporter l’entité concernée.
Le principe retenu pour la formule standard est simple : le
capital est calibré pour correspondre aux fonds propres nécessaires à l’assureur pour faire face à ses engagements à un horizon d’un an avec un intervalle de confiance 99,5 %. Le besoin
en capital du module « risque de marché » est calculé à partir
des six principaux sous-modules correspondant aux facteurs
de risque de marché identifiés (taux, actions, immobilier, crédit, concentration et change). À chacun de ces modules cor-
respond un choc (un ou plusieurs scénarios), qui est appliqué
à la fois aux actifs et aux passifs de l’institution concernée.
À titre d’illustration : un capital de 49 % du montant investi
(49 euros pour 100 investis, donc) sera exigé pour un placement en actions non cotées.
Afin de tenir compte des effets de diversification, la formule
standard propose une matrice de variance/covariance entre
les classes d’actifs.
LORS D'UNE DÉTENTION
VIA DES FONDS
D’INVESTISSEMENT, LA
DIRECTIVE FAVORISE LE RECOURS
À UNE APPROCHE TRANSPARENTE
DU CALCUL DU BESOIN EN CAPITAL.
Tableau 2. SCR (1) et classes d’actifs selon la formule standard
(Source : Ernst & Young.)
Actifs
Actions
Besoin en capital
Type 1 : actions cotées sur des marché réglementés dans des pays
de l’OCDE ou de l’EEE, fonds d’investissement européens
de long terme, fonds d’entrepreneuriat social, AIF fermé établi
ou commercialisé dans l’Union européenne (sans effet de levier)
– Clause de « grand-fathering » applicable
– 22 % si achetées avant 2016
Convergence de 22 % à 39 %, de 2016 à 2023
–3
9 % si achetées après 2016
Type 2 : actions cotées dans un pays non-membre de l’OCDE
ou de l’EEE, actions non listées, fonds alternatifs
49 %
– Actions détenues en face d’engagement de retraite
– Participations stratégiques
22 %
Obligations gouvernementales: SCR taux
De 0 % à 20 % en fonction de la maturité
et de la duration
Obligations corporate et titres de créance : SCR spread
majoritairement et SCR taux (en cas de titres à taux)
En fonction de la maturité, de la duration, de la
qualité de crédit des émetteurs, de la présence
de dérivé de crédit et de la présence de collatéral
Immobilier
Immobilier d’exploitation et immobilier de placement
25 %
Titrisation
Type 1 : actifs notés BBB ou mieux, pas de tranches subordonnées, Duration modifiée x 2,1 %
3 %
cotés sur un marché réglementé dans des pays de l’OCDE
Obligations /
titres de
créance
{
Type 2 : ce qui n’est pas de type 1
Si AAA
Sinon
Duration modifiée x bi*
Notation
AAA
AA
A
BBB
BB
B
CCC et moins
x bi*
12,5 %
13,4 %
16,6 %
19,7 %
82 %
100 %
100 %
(1) SCR : Solvency capital requirement (ou exigence de fonds propres).
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
31
juridique
Tableau 3. Matrice de variance/covariance entre classes
d’actifs selon la formule standard
(Source : textes européens de niveau 2.)
Corrélation
des risques
de marché
Intérêt
Action
Immobilier
Spread
Intérêt
1
Action
0,75
1
Spread
0,5 en cas
de hausse
et 0 en cas
de baisse
AA
0,75
0,5
1
Change
0,25
0,25
0,25
0,25
Immobilier
Change
1
1
Le recours à cette dernière permet de réduire le besoin brut
en capital issu de la somme des SCR individuels.
Dans le cas d’une détention via des fonds d’investissement
(OPCVM ou OPCI, par exemple), la directive favorise, enfin,
le recours à une approche par transparence du calcul du
besoin en capital. L’analyse du SCR se fera, ainsi, sur chacune
des lignes présentes à l’actif du fonds.
Tableau 4. SCR et classes d’actifs immobiliers
Il est intéressant de noter le poids prépondérant des risques
de marché dans l’étude publiée par l’ACPR en février 2015 (2) :
il représente, en moyenne, 74 % du besoin brut de capital
(avant les mécanismes d’absorption de type participation aux
bénéfices en vie ou impôts différés) pour les organismes d’assurance, sur le marché français et plus de 80 % pour les seuls
organismes d’assurance-vie !
3.4 / QUEL TRAITEMENT
POUR LES ACTIFS IMMOBILIERS ?
L
es organismes d’assurances sont invités à appliquer un
choc standard de 25 % sur leurs actifs immobiliers. La
nature de ces derniers n’est pas détaillée dans les textes, mais
les organismes ont peu à peu affiné leur approche en veillant
à considérer le plus finement possible la diversité de leurs
actifs immobiliers et les différents risques correspondants.
(Source : Ernst & Young.)
Types d’investissement en immobilier
Actifs
Besoin en capital
ns cotées sur des marché réglementés dans des pays
u de l’EEE, fonds d’investissement européens
e, fonds d’entreprenariat social, AIF fermé établi
alisé dans l’union européenne (sans effet de levier)
– Clause de « grand-fathering » applicable
– 22 % si achetées avant 2016
Convergence de 22 % à 39 %, de 2016 à 2023
– 39 % si achetées après 2016
ns cotées dans un pays non membre de l’OCDE
actions non listées, fonds alternatifs
Actions cotées
et non cotées de foncières
49 %
enues en face d’engagement de retraite
ons stratégiques
22 %
De 0 % à 20 % en fonction de la maturité
et de la duration
ouvernementales: SCR Taux
Obligations hypothécaires,
dette hypothécaire commerciale
En fonction de la maturité, de la duration, de la
qualité de crédit des émetteurs, de la présence
de dérivé de crédit et de la présence de collatéral
Corporate et titres de créances : SCR spread
ent et SCR taux (en cas de titres à taux)
’exploitation et immobilier de placement
25 %
{
notés BBB ou mieux, pas de tranches subordonnées, Duration modifiée x 2,1 %
3 %
marché réglementé dans des pays de l’OCDE
ui n’est pas du type 1
Si AAA
Sinon
Immobilier : direct, sociétés
(SCI) et fonds (OPCI)
Duration modifiée x bi*
AAA
AA
A
BBB
BB
B
CCC et moins
12,5 %
13,4 %
16,6 %
19,7 %
82 %
100 %
100 %
(2) N°41 « Analyses et synthèses ACPR : analyse de l’exercice 2014 de préparation à Solvabilité II ».
Mix (ex-OPCI)
32 le traitement de l’immobilier…
Ainsi :
◗ les actions de sociétés foncières seront traitées comme
des instruments de capital et subiront un choc de 22 % s’il
s’agit de participations, un choc de 39 % si elles font l’objet
d’une cotation sur un marché réglementé de l’OCDE et de
49 % dans les autres cas ;
◗ les obligations et créances hypothécaires commerciales
seront analysées au regard des risques de taux et de crédit ; il en résultera, dans la plupart des cas, un besoin en
capital très nettement inférieur aux 25 % « par défaut » ;
◗ les fonds immobiliers (OPCI, notamment) feront l’objet
d’une vision par transparence permettant de tenir compte
des effets de diversification.
Prenons l’exemple d’un OPCI composé, en valeur de marché,
de 60 % d’immobilier, de 5 % de cash et de 35 % d’obligations
notées A de duration cinq ans.
Figure 1. Exemple d’OPCI testé dans le cadre des calculs
(Source : Ernst & Young.)
5%
Immobilier
35 %
Obligations A
60 %
Cash
À partir de l’approche par transparence évoquée précédemment, on peut obtenir le SCR net par application d’une
matrice de variance/covariance : pour un investissement de
100 dans un tel OPCI, l’assureur en déduit un SCR de marché
net autour de 15 (soit 15 % de l’investissement).
3.5 / CONCLUSION
L
’immobilier présente de nombreux atouts pour les
portefeuilles d’assurance long terme avec l’émergence
d’acteurs spécialisés crédibles et de grande taille en gestion
d’actifs pour le compte des institutionnels. La diversité des
actifs immobiliers constitue, en parallèle, un atout dans une
logique de recherche de diversification.
Dans le cadre de Solvabilité, il ressort que l’approche proposée par défaut (besoin en capital de 25 %) est mal adaptée à cette diversité. En outre, certains aspects des actifs
immobiliers ne sont pas pris en compte : absence de rating
pour la dette hypothécaire commerciale ou profil « obligataire » pour les immeubles résidentiels et non résidentiels.
À l’image de la consultation européenne en cours pour les
investissements et infrastructures, pourquoi ne pas inciter les superviseurs européens à revoir et/ou détailler son
traitement ?
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de la chaire immobilier & société, Neoma Business School.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
35
PRIX, LIQUIDITÉ ET RISQUES DU MARCHÉ
RÉSIDENTIEL : UNE ÉQUATION À RÉÉCRIRE
VERS UNE NOUVELLE APPROCHE
DU RISQUE RÉSIDENTIEL
Par Emmanuel Ducasse, MRICS, Directeur des Études,
Crédit Foncier Immobilier.
LE MARCHÉ IMMOBILIER RÉSIDENTIEL
EN EUROPE
Par Nicolas Pécourt, Directeur Communication externe
et RSE, Crédit Foncier.
36
4
MARCHÉ DU LOGEMENT :
L’EMPREINTE DES
TERRITOIRES (1)
Par Gilbert Emont, Senior advisor IEIF, Directeur de l’Institut Palladio,
et Soazig Dumont, Analyste senior IEIF.
4.1 / LE MARCHÉ DU LOGEMENT
À L’HEURE DE LA NOUVELLE ÉCONOMIE
GÉOGRAPHIQUE
E
n octobre 2012, Laurent Davezies publie, à partir de ses
travaux sur l'économie des territoires, un ouvrage qui
fixe le « cap » de notre réflexion pour tenter de mieux comprendre ce qui organise et spécifie les différents marchés de
l'immobilier résidentiel (2).
Rappelons quelle en est l’inspiration.
◗ En premier lieu, l'émergence des caractéristiques territoriales comme composantes majeures de l’économie : « L’attribution en 2008 du prix Nobel à Paul Krugman (3), notamment pour ses travaux sur la localisation des entreprises,
reflète l’irruption récente des questions territoriales dans les
analyses économiques ». Ces travaux mettent en particulier
en exergue la notion de « métropole » liée au besoin de
regroupement des compétences multiples à mobiliser qui,
associé à la fluidité interne des agglomérations, augmente
l’attractivité territoriale dans l’économie d’aujourd'hui.
◗ En second lieu, la formation des revenus territoriaux, à
la fois liée à la production vendue localement, mais aussi
captée sur la production vendue ailleurs, à la production
non marchande et, enfin, à la redistribution nationale au
titre de la solidarité, induit une circulation croissante des
richesses collectives. Le retour à la théorie de la base (4) permet, en effet, de retenir quatre bases de constitution du
revenu territorial :
1. la base concurrentielle (revenu lié au PIB marchand, y
compris vendu à l’intérieur du territoire) ;
2. la base non marchande (revenu lié au PIB local non
marchand) ;
(1) Ouvrage paru dans la collection « L’immobilier en perspectives », Economica, mars 2015.
(2) Laurent Davezies, La crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale, Le Seuil, octobre 2012.
(3) Prix Nobel d’économie 2008, Paul Krugman a été récompensé à Stockholm le 13 octobre 2008 pour « avoir montré les effets des économies d'échelle sur les modèles
du commerce international et la localisation de l’activité économique ».
(4) Théorie d’économie urbaine développée dans les années 1950 par des auteurs tels qu’Homer Hoyt (1954), Douglass North (1955) et Charles Tiebout
(1956). Elle est une expression particulière liée à l’espace et au développement local ou régional, de la notion d’avantages comparatifs de David Ricardo.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
37
résidentiel
3. la base résidentielle (revenu lié au PIB marchand des
autres territoires, mais capté localement) ;
4. la base sociale (revenu lié à la redistribution effectuée
au titre de la solidarité nationale).
Or, ce sont bien ces revenus qui conditionnent la solvabilité de la demande résidentielle locale et la nature de cette
demande, donc le type de logement souhaité et possible,
puis, en lien avec le patrimoine existant, la réalité du marché
du logement de l'entité économique concernée.
Mais cette réalité économique et le revenu qui peut être
ainsi capté par le territoire local ne déterminent pas
seulement la demande qualitative et sa solvabilité. Ils
constituent avant tout le moteur de la demande quantitative elle-même, résultant des mouvements migratoires
induits par les mêmes bases : la capacité de développement industriel concurrentiel qui draine les actifs nécessaires, les facteurs d’attractivité résidentielle qui captent
des populations même inactives (cas des retraités, en
particulier), les lieux de concentration du PIB non marchand (rôle de l’hôpital et de l’université, par exemple)
et, enfin, les lieux spécifiques d’exercice de la solidarité
publique (cas des départements où le vieillissement et la
faible solvabilité entraînent la distribution de fortes prestations sociales) contribuent à qualifier chaque territoire
de manière spécifique.
La démographie locale n'est plus, dès lors, un facteur endogène de croissance par supériorité des naissances sur les
décès et, au-delà, par la capacité de la pyramide des âges à
engendrer de nouveaux ménages à l’âge de l’autonomisation.
Elle est la résultante de la captation de flux migratoires de
population et de la capacité du marché lui-même à offrir aux
demandeurs potentiels la possibilité de former des ménages
et de trouver le logement propice à leur installation ou leur
évolution.
Le besoin en logement n’est plus directement induit par le
solde démographique naturel et la nécessité de remplacer
les logements inadaptés (ou obsolètes), mais par la capacité
du territoire à attirer une démographie globale par ses performances économiques (que ce soit en termes de population
ou de ménages) et par l’adaptation du parc de logements
pour faire face à cette demande largement exogène. Ces différences de structure marquent profondément la nature de
la demande et sa solvabilité.
4.2 / L'ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE
L
e tableau 1 (cf. page suivante) fait abstraction de la base
sociale redistributrice dont nous n’avons guère trouvé
l’impact dans notre travail qui concerne, il est vrai, les agglomérations de plus de 100 000 habitants, donc en croissance
(phénomène de métropolisation), mais à des vitesses très
diverses. Le poids de la base sociale aurait certainement été
plus apparent si nous nous étions intéressés aux secteurs en
crise industrielle forte ou à des territoires en proie à une
certaine désertification (certains départements à dominante
rurale, en particulier, où le vieillissement et le chômage se
développent rapidement).
Si l’on ne retient que trois moteurs (concurrentiel, non marchand, résidentiel) et en considérant qu’ils sont à l’œuvre
partout mais à des degrés différents, on peut qualifier ainsi
les situations :
◗ les « leaders » ont trois moteurs actifs, dont celui de la
nouvelle économie concurrentielle facilitée par le phénomène de métropolisation ;
◗ les « solaires » ou les « régionales » ont un moteur dominant – le résidentiel pour les premières, le non marchand
pour les secondes ;
◗ les « dynamiques », hors champ d’une structuration politico-administrative marquée, conservent à la fois un
moteur concurrentiel et une attractivité notable ;
◗ les « déclinantes » ne possèdent, en propre, aucun des trois
atouts de manière significative.
38 logement : l'empreinte des territoires
Tableau 1. Expression des dynamiques de base
(Source : auteurs de l’article.)
Base
Concurrentielle
Publique
(PIB non marchand)
Résidentielle
Leaders
XXX
XX
XX
Solaires
X
X
XXX
Régionales
X
XXX
X
XX
X
XX
X
X
X
Dynamiques
Déclinantes
Intensité des dynamiques : X : faible — XX : moyenne — XXX : forte.
Nous pouvons, dès lors, dégager un certain nombre de
familles d’entités urbaines qui semblent à la fois revêtir une
homogénéité suffisante, selon les principales variables les
décrivant, et se différencier les unes des autres au regard des
composantes structurantes de leur nature socio-économique.
◗ La démographie ex post, c’est-à-dire la capacité à retenir
sa démographie naturelle et à attirer celle des autres territoires, la formation de nouveaux ménages, la structure de la
population (en particulier la proportion de jeunes actifs et de
seniors), l’importance des étudiants et des retraités.
◗ L’attractivité résidentielle, notamment l’héliocentrisme
structurant pour la localisation des retraités, mais aussi une
localisation préférentielle pour les entreprises nouvelles et
les cadres.
◗ La nature économique de cette croissance démographique : importance relative de l’économie concurrentielle
ou non marchande, développement de l’économie de services résidentiels.
LES LEADERS
CONNAISSENT UNE
FORTE CROISSANCE
NATURELLE DANS UNE DYNAMIQUE
DÉMOGRAPHIQUE QUI LEUR PERMET
D'OFFRIR DES EMPLOIS AUX JEUNES.
◗ Le poids de l’organisation politico-administrative du
territoire, spécifiquement le rôle de capitale régionale, et
donc le poids et l’impact de l’université, de l’hôpital et des
emplois administratifs.
4.3 / LES FAMILLES
LES LEADERS
Ce terme recouvre des entités dont plusieurs moteurs économiques sont actifs et qui sont l’objet d’un phénomène de
métropolisation accélérée. Il ne s’agit pas, ici, d’une définition administrative a priori (métropole d’équilibre, par
exemple, telle que définie par la Datar) – car le phénomène
de métropolisation s’exerce parfois jusqu’au niveau très local
du canton – mais bien d’une convergence de ce phénomène
d'optimisation des échanges possibles avec la dynamique
économique et/ou politico-administrative locale, voire une
attractivité résidentielle spécifique pour les retraités. On ne
s’étonnera pas du fait que Lille ou Strasbourg ne fassent pas
a priori partie de cette catégorie.
Ces leaders connaissent une forte croissance naturelle (en
raison d’un pourcentage faible de seniors) dans une dynamique démographique qui leur permet, en outre, d’offrir
des emplois aux jeunes et, plus généralement, un taux d’activité important, à la fois en matière de production concurrentielle et de production non marchande. Leur attractivité
leur vaut un solde migratoire fortement positif et équilibré en âge. Le PIB et le revenu sont tous deux importants
et la diversité des emplois assure un niveau de solvabilité a priori et une progression significative des premières
tranches de revenu.
L’investissement immobilier y est très actif, appuyé sur un
marché locatif privé structuré, et les prix sont en progression rapide, tant par rapport aux loyers que par rapport à
des revenus pourtant en croissance notable.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
39
résidentiel
LES SOLAIRES
Ce terme renvoie clairement à l’impact de l’ensoleillement
sur le choix de localisation de nos concitoyens, et plus particulièrement des retraités. Il renvoie plus généralement à
l'attractivité résidentielle exercée sur la catégorie émergente
et importante quantitativement des seniors en pleine possession de leurs moyens (55-79 ans). Comme pour les leaders,
mais à l’inverse, un phénomène de spirale sur le vieillissement tend à faire chuter leur démographie naturelle (d’ores
et déjà très faible), tandis que leur croissance migratoire est
très élevée. Elle induit une économie locale de services et
souvent un transfert patrimonial qui pèse sur les prix locaux
du logement. S’agissant de retraités aisés (les plus modestes
ne migrent guère vers ces entités), le revenu local moyen progresse rapidement, alors que le PIB territorial peut stagner (à
la fois moteur économique et moteur non marchand faibles).
Les prix sont élevés et en forte progression avec un investissement immobilier important, qui attire l’épargne extérieure
et aussi un transfert de patrimoine lié à la retraite. L’interaction avec l’économie touristique est également très notable,
et parfois essentielle dans la base concurrentielle du revenu.
LES RÉGIONALES
Elles sont constituées par les entités qui occupent une place
majeure dans l’organisation politico-administrative du territoire national. Leur moteur public est, la plupart du temps,
essentiel et leurs actifs principaux émargent à la fonction
hospitalière, à l’enseignement supérieur et à la fonction
publique au sens large.
Elles sont aussi des métropoles locales, et connaissent en cela
une certaine croissance migratoire. Elles sont aptes à retenir
une partie de leur croissance démographique naturelle.
Le poids des étudiants et des emplois moyennement rémunérés du secteur public explique un PIB non marchand
dominant et un revenu peu dynamique mais également peu
volatil. Ces entités très exposées à l’évolution de l’emploi
public peuvent, du fait de l’endettement élevé de l’État et
des ressources stagnantes des collectivités territoriales,
connaître un avenir incertain, comme l’a souligné Laurent
Davezies dans son ouvrage La crise qui vient : la nouvelle
fracture territoriale. Le marché immobilier repose sur une
solvabilité modeste, un investissement privé limité et une
part importante du secteur HLM et du logement étudiant.
Les prix progressent, pourtant, car ils sont dopés par un
effet de structure attaché à la population étudiante et à des
ménages qui recherchent des petites surfaces, pour des raisons liées à leurs besoins spécifiques et à leur solvabilité.
LES DYNAMIQUES
Ce terme recouvre une certaine hétérogénéité de situations. Il s’agit d’entités urbaines plus petites mais très dynamiques, et donc génératrices d’un solde migratoire positif
très important, tandis que la démographie naturelle est juste
moyenne. Souvent appuyées sur une base économique spécifique (place dans la nouvelle économie, existence de niches
dont le tourisme, voire même d’une économie non marchande très porteuse), elles enregistrent un PIB important
et une forte progression des revenus médians. La métropolisation territoriale est moins explicative de leur croissance, bien que parfois en germe, alors que leur rôle dans
l’organisation administrative reste mineur. Cette dynamique
s’accompagne d’une évolution rapide des prix immobiliers et
d'une certaine jeunesse de la population active (en revanche,
la présence estudiantine y est souvent faible).
40 logement : l'empreinte des territoires
LES DÉCLINANTES
Cette catégorie rassemble le solde des entités urbaines étudiées, ni en pointe sur le plan économique, ni importantes
sur le plan politico-administratif, ni dotées d’une attractivité
résidentielle majeure. Ces entités ne sont pas forcément en
crise, mais leur démographie est faible, tant parce qu’elles
ne retiennent pas la totalité de leur croissance naturelle que
parce qu’elles attirent peu, ce qui induit un solde migratoire
très faible ou négatif.
Figure 1. Croissance naturelle et croissance migratoire
entre 1999 et 2011
(Source : IEIF sur données Insee Recensement.)
7,1 %
2,2 %
L’investissement immobilier privé y est quasi inexistant,
le parc HLM essentiel, et les prix plus sages que dans les
autres familles.
4.4 / DES DYNAMIQUES
DÉMOGRAPHIQUES QUI TRANCHENT
L
a figure 1 (ci-contre) montre clairement ces dynamiques
démographiques différentielles. Ce sont les leaders,
qui connaissent la plus grande croissance naturelle (pyramide des âges des ménages) et elles continuent à capter
une migration importante venant des autres territoires. Les
dynamiques sont en phase d’émergence de métropolisation
et leur attractivité, essentiellement économique, leur permet
d'accueillir un flux migratoire conséquent, tout en alimentant une démographie naturelle au départ moyenne.
0,0 %
-3,5 %
Dynamiques
Déclinantes
5,2 %
5,8 %
2,5 %
-2,6 %
-5 %
Régionales
4,4 %
5,5 %
TOTAL échantillon province
Paris - aire urbaine
10,8 %
0
Leaders
Solaires
7,5 %
6,6 %
Parfois animées de soubresauts liés à une industrie déclinante, elles sont exposées aux cycles de l’économie concurrentielle et à des revenus instables à distribution asymétrique (entre population bourgeoise et population ouvrière
frappée par la désindustrialisation et le chômage).
Leurs retraités aisés partent, et le départ encore plus important des jeunes vers des marchés de l’emploi plus dynamiques les confronte au vieillissement important de populations devenues plus fragiles et peu solvables.
5,9 %
5%
Croissance naturelle
10 %
15 %
Croissance migratoire
Les solaires se démarquent bien des dynamiques, puisque
leur croissance est marquée par l’attractivité pour les
seniors et les retraités, et s’appuie sur une économie résidentielle de services. En revanche, le vieillissement induit
implique une spirale d’affaiblissement progressif du solde
naturel.
Les régionales, capitales administratives depuis des décennies, et aux emplois souvent accessibles pour les jeunes,
continuent à connaître une croissance naturelle significative,
mais elles sont déjà confrontées à un solde migratoire quasi
nul qui profite aux secteurs plus attractifs (leaders, dynamiques et même solaires pour leurs seniors).
Enfin, les déclinantes sont déjà dans une spirale de vieillissement (affaiblissement du solde naturel), tandis que leur
déficit migratoire se creuse.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
41
résidentiel
4.5 / DES VALEURS PATRIMONIALES
QUI DIVERGENT
L
a figure ci-dessous montre que les prix se démarquent
de manière assez différenciée. Ils flambent chez les
leaders (au-delà de 140 %) : ils s’appuient sur des revenus
en forte progression, mais montent dans des proportions
encore plus importantes. Si les revenus des dynamiques progressent le plus vite, on l’a vu, les prix au mètre carré des
appartements n’augmentent que de 100 %. Dans ces villes
de taille moyenne, l’impact du développement est surtout
visible à l’extérieur de l’agglomération, encore disponible
pour la maison individuelle. De ce fait, la pression sur le
collectif dans la zone agglomérée est moins forte.
Les solaires connaissent une progression de même ordre
(+ 100 %) à partir d’un niveau plus élevé, en particulier dans
les appartements, et souvent du fait d’une phase d’investissement engagée préalablement (résidence secondaire ou
investissement pour un tiers).
Figure 2. Croissance des prix entre 1999 et 2011
et croissance des revenus médians entre 2001 et 2011
(Sources : IEIF sur données Callon et Insee, DGFIP Revenus fiscaux localisés
des ménages.)
Croissance des prix 1999-2011
200 %
180 %
Île-de-France
(zone urbaine)
160 %
Leaders
140 %
120 %
Total échantillon
province
100 %
80 %
Solaires
Dynamiques
Régionales
60 %
Déclinantes
40 %
20 %
0%
15 %
20 %
25 %
30 %
35 %
Croissance des revenus médians
CHEZ LES LEADERS,
LES PRIX FLAMBENT
ET SE DÉMARQUENT
DE MANIÈRE ASSEZ DIFFÉRENCIÉE
DES AUTRES VALEURS
PATRIMONIALES.
Si les régionales progressent rapidement (une hausse des
prix de près de 80 %) eu égard à l’évolution des revenus
(seulement 25 %), on peut y voir l’impact du marché du
logement étudiant aux petites surfaces dominantes. Les
déclinantes, plus sages, ont une solvabilité stagnante à
confronter à un marché qui ne progresse « que » de 58 %,
c’est-à-dire moins que le prix de revient de la construction
sur la période.
La figure 3 (cf. page 34) le démontre : alors que les valeurs
se révèlent plutôt groupées en début de période – de 900
à 1 300 /m2 selon les familles –, elles ont explosé dix ans
plus tard. Les familles se retrouvent, désormais, dans un
ordre logique : les solaires gardent de peu la valeur la plus
élevée du fait d’une progression moyenne et sont rejointes
par les leaders, dont la progression spectaculaire résulte de
leur attractivité générale. Cela concerne le logement collectif, du fait de leur taille métropolitaine et d’une relative
insuffisance de l’offre sur un marché foncier qui a du mal à
fournir les terrains nécessaires. Les dynamiques, plus sages,
profitent d’un marché foncier plus détendu et d’une entité
urbaine où la maison individuelle peut occuper encore une
place importante. Les régionales apparaissent soutenues par
le marché des petites surfaces en zone agglomérée dense (en
raison, notamment, de l’impact du logement étudiant) et les
déclinantes présentent un marché détendu aux prix désormais les plus bas et qui progressent au rythme des prix de
revient du neuf.
42 logement : l'empreinte des territoires
Figure 3. Prix moyens du logement collectif en 2011
(€/m²) et évolution des prix entre 1999 et 2011 (%)
(Sources : IEIF d’après données Callon, Notaires Paris Île-de-France.)
200 %
180 %
Île-de-France
(zone urbaine)
160 %
Leaders
140 %
120 %
Dynamiques
Total échantillon
province
Solaires
100 %
80 %
60 %
Régionales
Déclinantes
40 %
20 %
0%
1 000 € 1 500 € 2 000 € 2 500 € 3 000 € 3 500 € 4 000 € 4 500 € 5 000 €
4.6 / POUR CONCLURE
L
a divergence de ces marchés en une décennie, environ, apparaît spectaculaire. Elle repose sur des écarts
de fondamentaux que nous avons longuement décrits et qui
semblent devoir se creuser encore plus dans l’avenir. La
dérive, de ce fait, semble devoir être durable et renforcer
la pertinence de la typologie des marchés en cinq familles
que nous avons esquissée, et à laquelle il convient d’ajouter
l’agglomération parisienne comme famille spécifique.
Ainsi, une typologie « a priori », largement corrélée à celle
que la théorie de la base économique nous aurait conduits à
construire si nous l’avions appliquée de manière plus systématique, apparaît pertinente pour spécifier les types de marchés
et déboucher sur des groupes homogènes d’entités urbaines.
L’adoption de cette typologie doit nous aider à poursuivre
l'observation du marché du logement autrement qu’à travers
le suivi des moyennes générales ou, à l’opposé, la description
monographique exhaustive de chaque entité urbaine.
Elle constitue, dès lors, un progrès tant pour disposer de
séries intermédiaires au sein d’un même ensemble national,
que pour actualiser sur la base d’indices les valeurs liées à
la réalité socio-économique des agglomérations.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
ECOLE NATIONALE DU FINANCEMENT DE L’IMMOBILIER
keep’n’fi
enfi.fr
®
Formation Crédit Immobilier - Banque
APPRENDRE LE
CRÉDIT IMMOBILIER
AUTREMENT
Connaissances validées
Compétences renforcées
Ecole Nationale du Financement de l’Immobilier ENFI - 4 Quai de Bercy 94224 Charenton Cedex - Siège social : 19, rue des Capucines - 75001 Paris.
SAS au capital de : 410 206 € - 504 381 153 RCS Paris - Déclaration d’activités enregistrée sous le numéro 11 75 44708 75 auprès du préfet de région Ile-de-France.
Cet enregistrement ne vaut pas agrément de l’Etat (article L. 6352-12 du Code du travail).
44
5
LE RETOUR DES
INSTITUTIONNELS
DANS LE RÉSIDENTIEL
Par Nicolas Tarnaud, MRICS, Docteur en économie, Titulaire de la chaire immobilier
& société, Neoma Business School.
5.1 / LE POIDS DE L’ÉCONOMIE
IMMOBILIÈRE
S
elon l’Institut de l’Épargne Immobilière, fin 2011, le
patrimoine immobilier total en France était estimé à
9 606 milliards d’euros, soit environ 27,4 % du patrimoine
global, approchant les 35 000 milliards d’euros, de l’ensemble
des actifs des acteurs économiques. L’immobilier résidentiel constitue une part majeure (7 842 milliards d’euros) du
patrimoine immobilier total. L’immobilier non résidentiel
(immobilier commercial, immobilier appartenant à l’État)
représente 1 763 milliards d’euros. Le résidentiel pèse plus
que l’immobilier commercial dans le PIB. Ce dernier reste
l’indicateur de référence pour mesurer la croissance d’un
pays. Relativisons son résultat. En effet, une croissance du
PIB proche de zéro n’implique pas que le marché immobilier
(résidentiel et tertiaire) l’est également. Malgré l’importance
de l’immobilier dans l’économie française, est-il envisageable
de prévoir le retour des institutionnels dans l’immobilier résidentiel ? Notre relation à la pierre a-t-elle évolué ?
5.2/ NOTRE RELATION À LA PIERRE
N
otre rapport à la pierre a évolué. Historiquement et
culturellement, nous avons une relation passionnée
avec la pierre. Ce rapport a toujours été très fort depuis le
Moyen Âge. Demeure-t-il toujours aussi présent aujourd’hui ?
90 % des locataires aspirent à devenir propriétaires de leur
logement. 58 % des Français possèdent leur résidence principale et trois millions une résidence secondaire. Ces chiffres
n’évoluent pratiquement plus depuis le début des années
2010. Les Français possèdent directement près de 8 000 milliards d’euros (1) d’actifs immobiliers (résidence principale,
secondaire, investissement locatif) et les institutionnels un
peu moins de 1 800 milliards d’euros. L’immobilier est avant
tout un actif tangible qu’on utilise (occupation), qu’on gère
financièrement et fiscalement (investissement). Dans ces
conditions, comment certains investisseurs (personnes physiques et morales) pourraient-ils rester indifférents à ce type
de placement direct ? Les institutionnels ont-ils une relation
à la pierre différente de celle des particuliers ?
(1) Ce chiffre n’intègre pas l’épargne des Français dans les SCPI, OPCI, actions foncières cotées, Sicav immobilières. L’épargne financière des ménages représente
4 000 milliards d’euros.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
45
résidentiel
5.3 / LA RELATION
DES INSTITUTIONNELS À LA PIERRE
P
ar essence, les personnes morales ont une approche
financière et non émotionnelle de leurs investissements. Adossés à des banques, à des assureurs, à des
caisses de retraite, à des fonds souverains (2) ou à des fonds
de pension (3), les fonds immobiliers (sécurisés et opportunistes) ont toujours été présents et le seront encore demain
avec des implications diverses. Les institutionnels possédaient 1,2 million de logements au milieu des années 1980.
Après avoir cédé des immeubles de belle facture et bien
localisés à Paris, Lyon et Marseille, ils ne détiennent plus,
aujourd’hui, qu’environ 200 000 logements. Dans ces conditions, comment ne pas s’interroger sur leur retour dans le
résidentiel ? Est-ce un sujet d’actualité ou une pure fiction ?
Avant d’aborder cette question, revenons aux fondamentaux
pour mieux comprendre la relation que nous entretenons
avec la pierre. Les institutionnels ont investi 16 milliards
d’euros dans l’immobilier de bureaux et 6 milliards d’euros
dans l’immobilier de commerce (centres commerciaux, boutiques), en 2014. Depuis vingt-cinq ans, cet intérêt se porte
principalement sur l’immobilier commercial (bureaux, commerces, centres commerciaux, hôtels, logistique, cliniques,
résidences hôtelières, etc.). L’allocation de l’actif résidentiel
dans leur portefeuille ne fait plus partie de leur stratégie
financière depuis le début des années 1990. La financiarisation de l’économie a réellement modifié la donne. Les
institutionnels ont suivi le modèle anglo-saxon, basé sur le
rendement du capital à court terme (4).
5.4 / LA FINANCIARISATION
DE L’ÉCONOMIE
L
e monde s’est financiarisé, depuis le début des années
1980, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux
États-Unis et de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.
Ces deux pays ont été les locomotives de la dérégulation bancaire et financière. La France a suivi ce modèle au milieu des
années 1980. L’immobilier s’est financiarisé à partir du début
des années 1990, en France. Cette financiarisation a profité
aux investisseurs depuis cette période. La financiarisation a
constitué avant tout la meilleure réponse à l’accélération du
transfert des actifs immobiliers. Nous sommes passés, durant
les années 1990, d’un marché d’investisseurs institutionnels,
qui investissaient avec une logique patrimoniale sur long le
terme (20-30 ans) à un marché de fonds immobiliers ayant une
approche exclusivement financière sur le court terme (maximum 1-5 ans). La financiarisation de l’immobilier a permis une
prise de conscience des acteurs sur la nature du rendement
immobilier (le rendement locatif et le rendement en capital).
(2) En 2014, les actifs sous gestion des fonds souverains atteignent 29 100 milliards de dollars, l’équivalent de 40 % du PIB mondial.
(3) En 2015, les fonds de pension détenaient 36 000 milliards de dollars d’actifs dans le monde.
(4) ROI – return on investment.
46 le retour des institutionnels
LA CAPITALISATION
BOURSIÈRE DE
L’IMMOBILIER A ÉTÉ
MULTIPLIÉE PAR DEUX EN CINQ ANS,
PASSANT DE 300 MILLIARDS
D’EUROS EN 2000 À 600 MILLIARDS
D’EUROS EN 2005.
Ce dernier a pu être considérablement amélioré par une
gestion active des immeubles (asset management) et il est
devenu un outil d’appréciation de la performance des actifs
à court terme. La performance immobilière est donc, depuis
lors, mesurée par l’évolution du rendement global. Elle s’est
traduite par l’augmentation de la capitalisation boursière de
l’immobilier dans le monde. Par exemple, celle-ci a été multipliée par deux en cinq ans, passant de 300 milliards d’euros
en 2000 à 600 milliards d’euros en 2005. La financiarisation
des produits immobiliers a fait diminuer la durée de détention des actifs et a optimisé la gestion immobilière par l’effet
de levier du crédit (5), appelé également « leverage » et de la
fiscalité « statut de foncière ». Le désengagement de l’immobilier résidentiel concerne également les foncières cotées dont
le statut SIIC, adopté en France en 2002, a rendu possible
un arbitrage fiscal exceptionnel. Ainsi, le patrimoine de la
foncière Gecina est passé de 20 000 logements en 2002 à 6 000
logements en 2011. Le groupe Icade a cédé, quant à lui, l’intégralité de son patrimoine résidentiel en 2009 à un groupement
de bailleurs sociaux, soit 32 000 logements, constituant la plus
grande vente de logements en bloc jamais réalisée. Nos institutionnels ont-ils été influencés par les Anglo-Saxons ?
5.5 / L’INFLUENCE ANGLO-SAXONNE
L
es institutionnels se sont désengagés du résidentiel
en faveur de l’immobilier tertiaire depuis une trentaine d’années, comme le souligne Jacques Bonnet (6) : « À
partir de 1970-1971, l’intervention massive d’investisseurs
britanniques et américains (principalement des fonds de
pension) sur le marché des bureaux des métropoles occidentales a conduit à la mise en place d’un produit autonomisé, économiquement, d’abord, par rapport à l’entreprise
(il est devenu la propriété d’investisseurs à plus de 80 %),
puis géographiquement, par rapport aux logiques spatiales
des entreprises (en devenant un actif immobilier, sa localisation géographique a dû correspondre à la meilleure rente
urbaine) ». L’externalisation croissante de la gestion des
biens immobiliers et l’optimisation de cette gestion ont
favorisé le fort développement des métiers de l’asset
management immobilier et du property management. La
financiarisation du patrimoine immobilier a donné de
la liquidité à des actifs qui ne l’étaient pas à la base.
Cette augmentation de la liquidité a eu des effets sur le
prix des actifs et sur la fluidité du marché immobilier
commercial.
La méthode des cash-flows fonctionnant dans l’univers
anglo-saxon avait fait ses preuves durant les années 1980.
La diversification appliquée dans le secteur financier s’est
mise en place rapidement dans le secteur immobilier. Les
investisseurs financiers et immobiliers ont, ainsi, participé
à cette transition en France. Les ménages propriétaires
ont donc vécu cette financiarisation de l’immobilier avec
quelques contrastes : la baisse des prix parisiens durant les
années 1990 et l’augmentation des prix au niveau national
depuis cette décennie.
(5) L’effet de levier « leverage » mesure l’incidence du recours à l’endettement sur la rentabilité des fonds propres de l’investisseur. Il résulte de la différence
entre la rentabilité économique et le coût de la dette. Le principe consiste, alors, à emprunter à un taux d’intérêt de la dette inférieur au retour sur investissement
du placement envisagé.
(6) Jacques Bonnet, « L’évolution de bureau dans l’espace urbain : évolutions des approches théoriques », Géocarrefour, vol. 78 04/2003, (p.269).
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
47
résidentiel
Les banques et les assureurs avaient besoin d’importantes
liquidités pour faire face à la crise qu’ils rencontraient. Ils
se sont désengagés au début des années 1990 en cédant leur
patrimoine résidentiel à des fonds opportunistes essentiellement américains.
5.6 / LE RENDEMENT DE L’ACTIF
IMMOBILIER
E
n retenant la rentabilité globale de l’investissement,
les actifs résidentiels, entre 1998 et 2009, ont procuré
un rendement global annualisé de 8,3 %, contre 10,1 % pour
les bureaux et 14,8 % pour les commerces. Selon IPD, pour
le résidentiel détenu en direct par les institutionnels, c’est
le rendement en capital qui impacte le rendement global.
En 2013, le prix du résidentiel en France (ancien et neuf)
a atteint son niveau le plus élevé dans les zones tendues.
Les derniers chiffres IPD vont dans la même direction.
La France connaît donc une crise du logement à la fois
quantitative (offre) et qualitative (caractéristique et type).
Selon l’OCDE, la France applique les droits de mutation
les plus élevés en Europe, après la Belgique. Ces coûts de
transaction freinent la liquidité et l’attractivité du marché
immobilier auprès des investisseurs privés et institutionnels. Ce sont les privés, qui ont assuré le rôle d’acteur
dans l’investissement locatif neuf en dehors des bailleurs
sociaux pour le logement social et intermédiaire. Depuis
1986, les particuliers aidés d’avantages fiscaux ont investi
dans plus d’un million de logements neufs en France. Que
le support soit Méhaignerie, Besson ou Borloo, une fois la
durée légale atteinte pour bénéficier de l’avantage fiscal, les
particuliers revendent leur investissement locatif dans 90 %
des cas au lieu de le conserver. Les personnes physiques
ne conservent donc pas leur investissement locatif sur le
long terme. Il serait intéressant de savoir si de nouvelles
mesures permettraient à ces bailleurs individuels de conserver leur investissement locatif plus longtemps. Depuis cette
période, en faisant une rapide comparaison internationale,
nous constatons que, dans le monde entier, la propriété des
logements locatifs privés s’est retrouvée également entre les
mains de personnes physiques dont l’objectif a toujours été
fiscal (réduction d’impôts) et patrimonial (préparation de la
retraite). À côté des privés, nous avons les institutionnels.
Mais qui sont-ils réellement ?
5.7 / QUID DES INVESTISSEURS
INSTITUTIONNELS ?
N
ous avons identifié quatre cents investisseurs institutionnels en France. Nous distinguons les institutionnels de premier rang comme la Caisse des Dépôts et les ins-
48 le retour des institutionnels
5.8 / POURQUOI LES INSTITUTIONNELS
SE SONT-ILS DÉSENGAGÉS DU
RÉSIDENTIEL ?
L
es institutionnels se sont désengagés de cette classe
d’actifs pour les raisons suivantes :
◗ des rendements locatifs faibles (2 %, voire 1 % brut pour
les appartements du triangle d’or parisien) ;
◗ réaliser d’importantes plus-values immobilières effectuées
lors des reventes en bloc à des fonds opportunistes comme
celui de Whitehall (filiale de Goldman Sachs). Ces derniers
revendaient lot par lot en réalisant également d’importants
profits ;
◗ des économies d’échelle difficiles à réaliser dans le résidentiel par rapport à l’immobilier commercial. Il revient
moins cher de gérer un immeuble de bureaux de 100 millions d’euros à Paris 8e que de gérer 200 appartements
de 500 000 euros localisés à des dizaines d’adresses différentes ;
◗ des frais de gestion plus élevés dans le résidentiel que
dans l’immobilier commercial (bureaux, commerces, logistique, hôtels…) ;
◗ un cadre juridique plus favorable à l’immobilier commercial qu’au résidentiel avec l’encadrement des loyers et les
contraintes de la vente à la découpe ;
◗ des freins fiscaux avec l’exonération totale des plus-values
immobilières sur trente ans.
titutionnels de second rang comme les SCPI. Quel que soit
leur statut (banque, assurance, caisse de retraite, mutuelle,
SCPI, OPCI, Opci, Sicav foncière…), tous devront s’adapter
aux évolutions macroéconomiques. Demain, les institutionnels non résidents seront de plus en plus nombreux. Les
excédents de liquidités des pays du Golfe et des pays asiatiques seront de plus en plus actifs dans l’immobilier tertiaire et commercial des grandes métropoles européennes
comme Paris (le Grand Paris) ou Londres.
5.9 / LES OPPORTUNITÉS
DU RÉSIDENTIEL
L
e logement est un investissement pérenne, bénéficiant
d’une très forte demande locative, notamment dans
les grandes villes et agglomérations dynamiques économiquement où l’offre demeure insuffisante. Un immeuble de
logements, à la différence d’un actif de bureaux, ne se libère
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
49
résidentiel
jamais en totalité, ce qui assure des cash-flows récurrents et
une protection contre un éventuel retour de l’inflation sur
le long terme.
La grande variété de l’offre de biens proposés sur le marché immobilier fait qu’il ne peut exister de prix unique pour
toutes les variantes composant cet actif comme le mentionne
Rosen (7). Chaque appartement est donc unique quelles que
soient sa date de construction et sa localisation. Qu’il se
trouve dans une zone dense ou pas, il restera singulier dans
tous les cas. Cette singularité pose le problème de l’industrialisation de cette classe d’actifs que l’on ne retrouve pas
dans le cas d’une tour à la Défense.
5.10 / LES INCONVÉNIENTS
DU RÉSIDENTIEL
E
n retenant la rentabilité globale de l’investissement,
les actifs résidentiels entre 1998 et 2009 ont procuré
un rendement global annualisé de 8,3 % contre 10,1 % pour
les bureaux et 14,8 % pour les commerces. Pour le résidentiel détenu en direct par les institutionnels, selon IPD, c’est
le rendement en capital qui impacte le rendement global.
En 2013, le prix du résidentiel en France (ancien et neuf) a
atteint son plus haut niveau dans les zones tendues. Nous
sommes aujourd’hui en haut du cycle. Le résidentiel a atteint
un prix plancher dans toutes les métropoles françaises. Si la
plus-value à long terme demeure aléatoire, comment l’investisseur peut-il accepter une faible rentabilité locative ? Sans
oublier, par ailleurs, les contraintes juridiques et fiscales
spécifiques au résidentiel. Le prix des actifs résidentiels
reste trop élevé pour offrir une rentabilité et une prime de
risque satisfaisantes.
Le prix d’un actif immobilier est équivalent à l’actualisation des flux futurs à un instant T. Dans l’immobilier
commercial, le rendement locatif immédiat sera privilégié par les investisseurs tandis que dans le résidentiel,
c’est le rendement en capital qui sera intégré. En 2015,
les plus-values résidentielles ont été réalisées. Le prix
des actifs reste élevé. Les investisseurs vont privilégier
le rendement locatif sécurisé.
5.11 / LA PRIME DE RISQUE
E
lle représente la rémunération du risque encouru ou
le supplément de rendement exigé par un investisseur
pour assumer le risque de détenir dont la valeur et le rendement sont aléatoires. Afin de faire revenir les institutionnels
vers le logement dans la durée, la rentabilité doit intégrer
une prime de risque cohérente par rapport à un taux sans
risque, de type OAT 10 ans. C’est le benchmark de référence
pour la majorité des investisseurs institutionnels.
On doit intégrer dans cette prime de risque une prime d’illiquidité, une prime fiscale et une prime juridique.
EN 2013, LE PRIX
DU RÉSIDENTIEL
EN FRANCE (ANCIEN
ET NEUF) A ATTEINT SON PLUS
HAUT NIVEAU DANS LES ZONES
TENDUES. NOUS SOMMES
AUJOURD’HUI EN HAUT DU CYCLE.
(7) Sherwin Rosen, « Hedonic prices and implicit markets : product differentiation in perfect competition », Journal of Political Economy, 1974 (p.34-55).
50 le retour des institutionnels
Tableau. La variation de la prime de risque en fonction de l’OAT
(Source : Les freins à l’implication des investisseurs institutionnels et privés dans le viager immobilier – Nicolas Tarnaud 2015.)
Rendement
OAT 1 %
OAT 2 %
OAT 3 %
OAT 4 %
Rendement OAT + 200 bps
3 %
4 %
5 %
6 %
Rendement OAT + 250 bps
3,5 %
4,5 %
5,5 %
6,5 %
5 %
Rendement OAT + 300 bps
4 %
5 %
6 %
7 %
5,5 %
Rendement OAT + 350 bps
4,5 %
5,5 %
6,5 %
7,5 %
6 %
Rendement OAT + 400 bps
5 %
6 %
7 %
8 %
6,5 %
OAT : obligation assimilable au Trésor.
Bps : point de base.
Elle varie de 200 à 400 points de base selon les attentes de
l’investisseur du marché obligataire et du marché immobilier. Selon les investisseurs de notre étude, le rendement
locatif du résidentiel doit rapporter entre 250 et 300 points
de base minimum par rapport à l’OAT 10 ans. Si la prime de
risque n’est pas réalisable, les institutionnels continueront de
délaisser le résidentiel au profit de l’immobilier commercial.
Moyenne
4,5 %
OAT 2,5 %
+ Pr 200 bps = 5 %
OAT 2,5 %
+ Pr 300 bps = 5,5 %
à la demande en logements dans les zones tendues. La location convient mieux que la propriété aux ménages mobiles,
et parce que tous les ménages n’ont pas les moyens et le
désir d’accéder à la propriété en même temps.
Attention à la mise en place d’une politique du tout propriétaire avec les conséquences qui en découleraient au final.
Contrairement à d’autres pays, être propriétaire peut être
un frein à la mobilité résidentielle et professionnelle. Les
5.12 / CONCLUSION
propriétaires sont plus âgés que les locataires et les nonaccédants sont plus âgés que les accédants. Nous savons que
la propension à la mobilité résidentielle décroît avec l’âge.
L
e taux de rendement prime du bureau reste le benchmark de référence pour les investisseurs institutionnels. L’horizon d’investissement se situe entre huit et dix
ans. Il faut généralement s’engager sur une quinzaine d’années pour être présent dans le logement. Depuis la crise de
2008, les investisseurs privilégient le rendement et ont une
approche beaucoup plus financière et sécurisée des investissements immobiliers qu’autrefois. L’effet de taille pénalise
l’investissement résidentiel. Il y a effectivement peu ou pas
de programmes neufs en un même lot à 100 millions d’euros.
Soulignons la remarque d’un investisseur rencontré : « Le
logement, c’est vital, ça va dans le bon sens pour la société et
ça répond à un besoin fondamental qui devrait avoir toute sa
place et ça ne l’a plus aujourd’hui ». L’existence d’un parc
locatif privé de taille suffisante est nécessaire pour répondre
Les locataires sont davantage mobiles que les propriétaires.
Les locataires ont besoin d’immeubles à proximité des zones
économiques attractives. Les investisseurs doivent satisfaire
cette demande. Un immeuble de logements, à la différence
d’un actif de bureaux, ne se libère jamais en totalité, ce qui
LES INVESTISSEURS
INSTITUTIONNELS
ONT UNE APPROCHE
BEAUCOUP PLUS FINANCIÈRE ET
SÉCURISÉE DES INVESTISSEMENTS
IMMOBILIERS QU’AUTREFOIS.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
51
résidentiel
assure des cash-flows récurrents et une protection contre
l’inflation, même si nous ne sommes plus en période inflationniste.
Pour onze millions de locataires, nous comptabilisons seulement cent cinquante mille instances d’impayés.
Ce taux d’incident de paiement est relativement faible et les
grands investisseurs ont les capacités à mutualiser ce risque.
Le problème de l’investissement dans le logement réside
dans sa fiscalité erratique et évolutive, qui est plutôt décourageante que l’inverse. Les investisseurs institutionnels ont
besoin de visibilité sur la fiscalité immobilière. Ce n’est
actuellement pas le cas en France et ce, depuis de nombreuses années. Dans chaque nouveau gouvernement, de
nouvelles mesures fiscales apparaissent.
Les investisseurs sont sans doute prêts à s’orienter vers le
logement, dès lors qu’ils auront une réelle visibilité fiscale
sur le moyen et le long terme. Aujourd’hui, l’immobilier résidentiel n’est pas assez attractif pour attirer dans la durée les
investisseurs institutionnels. Pourquoi ne savons-nous pas
mettre en place des mesures simples, efficaces et durables
pour attirer les institutionnels dans le résidentiel locatif ?
Quelques mesures peuvent modifier cette tendance et les
faire s’intéresser de plus près à l’immobilier résidentiel :
◗ ramener à quinze ans l’exonération des plus-values immobilières au lieu de vingt-deux ans ;
◗ baisser les droits de mutation pour favoriser la liquidité du
marché immobilier ;
◗ supprimer la loi sur l’encadrement des loyers dans les
zones tendues ;
◗ créer la foncière terrain qui porterait le foncier et conclurait des baux emphytéotiques avec les institutionnels,
comme cela se produit en Suède.
Si ces recommandations étaient retenues et appliquées, les
investisseurs institutionnels n’auraient plus qu’à relire la
fameuse phrase de Théodore Roosevelt : « Toute personne
qui investit dans un bien immobilier attentivement sélectionné,
dans un quartier en croissance d’une ville prospère, adopte la
méthode la plus sûre pour devenir indépendante financièrement, parce que l’immobilier est à la base de la richesse ».
52
6
PRIX, LIQUIDITÉ ET RISQUES
DU MARCHÉ RÉSIDENTIEL :
UNE ÉQUATION À RÉÉCRIRE
Par Emmanuel Ducasse, MRICS, Directeur des Études, Crédit Foncier Immobilier.
DEPUIS TROIS ANS,
LE MARCHÉ IMMOBILIER
RÉSIDENTIEL ANCIEN
TOURNE À UN RYTHME RALENTI.
A
vec moins de 700 000 transactions actées en 2014,
l’activité du marché paraît, toutefois, très convenable,
ramenée sur longue période. L’exercice se situe même à 7 %
au-dessus de la moyenne des trente dernières années.
Cependant, l’activité du marché, en 2014, correspond à 86 %
du niveau enregistré dans les années d’avant la crise des
subprimes, soit entre 2000 et 2007, où la moyenne s’établissait à plus de 810 600 ventes annuelles.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
53
résidentiel
Figure 1. Nombre de transactions dans l’ancien en milliers
(Source : CGEDD, Crédit Foncier Immobilier.)
900
800
700
600
500
386
300
428
398
359
689
784
776
559
717
704
700
2012
2014
594
532
508 498 516
466
799
674
658
589
544
400
742
562 577
545
829 821
811 814 823
810
793
crise de
1990/1991
crise
financière
200
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
Figure 2. Taux d’accroissement réel du parc
de logements (Source : Crédit Foncier Immobilier.)
1,25 %
1,25
1,21 %
1,20
1,15
1,10
1,18 %
1,13 %
1,15 %
1,12 %
1,15 %
1,13 %
1,08 %
1,04 %
1,05
1,05 %
1,05 %
1,00
1,01 %
0,95
0,90
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
(Source : Crédit Foncier Immobilier.)
2,9
2,73 %
2,67 %
2,71 %
2,71 %
2,64 %
2,58 %
2,70 %
2,5
2,39 %
2,14 %
2,12 %
2,12 %
2,05 %
1,9
1,85 %
1,7
1,5
2002
2004
2006
2008
2010
Encore ne s’agit-il là que de chiffres absolus. La véritable
mesure de l’activité du marché doit prendre en compte son
volume potentiel, qui s’exprime à partir du parc existant. Ce
dernier n’est évidemment pas constant, et tend à croître au
rythme des constructions nouvelles.
Ce rythme est lui aussi très variable d’une année sur l’autre,
même s’il est tombé, en 2014, à un niveau particulièrement
faible, guère supérieur à 1 %.
Il faut également tenir compte, du fait que, en raison des
démolitions effectuées, le taux de construction sur parc existant n’est pas le taux réel d’accroissement du parc, nécessairement plus faible.
2,43 %
2,3
2,1
2000
C’est donc sur la base du parc existant qu’il faut mesurer
l’activité du marché de l’ancien. Le taux de rotation du parc,
qui rapporte le nombre de ventes constatées chaque année
au volume estimé du parc de logements, donne une courbe
sensiblement différente de celle du seul volume de ventes.
Figure 3. Taux de rotation du parc
2,7
1998
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Fin 2014, le taux de rotation moyen du parc est ainsi tombé à
2,05 %, niveau d’une faiblesse historique, seulement dépassé
par la contre-performance sans précédent de l’année 2009,
qui a conjugué crise financière et credit crunch.
En poussant à l’absurde la logique des chiffres, un taux de
rotation du parc de 2,05 % signifie qu’un logement sur 49 a
été vendu en 2014, et qu’à ce rythme moyen, un logement
54 prix, liquidité et risques du marché
quelconque fait l’objet d’une revente tous les… 49 ans !
Cette étonnante moyenne laisse même penser que la transmission des biens immobiliers par succession, donation ou
partage serait bien plus fréquente, en réalité, que leur cession à titre onéreux, particulièrement en zones rurales ou
sur des marchés secondaires inactifs (1).
Si l’on compare à nouveau ce taux de rotation de 2,05 %,
en 2014, avec celui constaté dans les années d’avant la crise
financière (2001-2007), où il oscillait autour de 2,68 % en
moyenne, la chute de la liquidité du marché est considérable, le taux d’activité reculant de 23 %.
Tout cela caractérise un marché immobilier résidentiel atone et sans dynamisme, du moins observé en
moyenne nationale, présentant de surcroît une liquidité
de plus en plus inquiétante. On comprend mieux, ainsi, le
ressenti du terrain, tel que peuvent l’exprimer vendeurs et
agents immobiliers.
Les causes du ralentissement de l’activité sur le marché de
l’ancien ont été abondamment commentées, et sont multiples : crise économique, peur du chômage, peur de l’avenir, crainte de s’engager sur le remboursement d’un prêt,
instabilité des ménages, niveau élevé des prix et attente
d’une baisse, peur d’arbitrer un actif jugé sécurisant pour
les vendeurs, quasi-suppression des aides à l’acquisition de
logements anciens, niveau de la fiscalité immobilière, etc.
Tous ces facteurs, en grande partie psychologiques, caractérisent l’époque actuelle, où des taux de crédit exceptionnellement bas ne suffisent plus à réanimer le marché, alors que
la reprise reste encore lointaine et subordonnée à l’amélioration de l’économie nationale.
En termes de prix, cette nouvelle donne du marché devrait
logiquement être cause d’une instabilité, voire d’une baisse
sévère. Mais, de façon contre-intuitive, la statistique dément
toute corrélation entre taux de rotation et évolution des prix.
Après une montée irrésistible depuis le début des années
2000, les prix de l’immobilier résidentiel ancien ont connu
l’accident de la crise financière de l’été 2008, pour repartir à la hausse quelques mois plus tard. Cette hausse s’est
enrayée dans le courant de 2011, laissant place à une descente en pente douce, au rythme de 1 % à 2 % l’an jusqu’à
la fin 2014.
Figure 4. Indice des prix dans l’ancien, France entière, données brutes
(Source : CGEDD, Crédit Foncier Immobilier.)
120
Indice 100 T1 2010
107,4
110
111,8
107,2
105,3
110,0
107,4
100,9
100
103,6
90,7
90
97,0
78,5
80
68,0
70
60,9
60
50
55,8
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
(1) S’agissant d’une moyenne, il n’est pas impossible que des logements mettent plus d’un siècle à se revendre ! La durée de la vie humaine, qui limite la période
de détention, reste très inférieure à cet intervalle. On peut donc penser sans crainte de se tromper que nombre de logements changent de propriétaire par voie
successorale, restant dans la même famille génération après génération.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
55
résidentiel
légère hausse, d’autres une légère baisse, d’autres encore
des reculs plus importants.
À y regarder de plus près, la statistique est décevante : sur
les trois années de baisse des prix, on apprend que :
◗P
aris a perdu 4,45 % ;
◗ l’Île-de-France (hors Paris) a reculé de 4,92 % ;
◗M
arseille a reculé de 11,50 % ;
◗L
yon a progressé de 2,32 %.
6.1 / ÉVOLUTION DES PRIX
DANS L’ANCIEN SUR TROIS ANS
EN DONNÉES BRUTES
Rien d’alarmant, donc : le scénario-catastrophe de la bulle
immobilière qui explose et laisse un marché en ruine a fait
long feu. La statistique officielle nous renvoie des évolutions
de prix moyens négatives, mais finalement très modérées, ne
corrigeant absolument pas la hausse des années 2000-2008.
Avec un peu de recul, on a fini par comprendre que la baisse
des prix avait été « absorbée » par la baisse des coûts de
crédit, de l’ordre de 45 % sur la période 2012 à 2014 : l’acquisition d’un logement intégrant, dans la plupart des cas, un
financement par prêt bancaire, le coût global de l’immobilier
doit intégrer celui du crédit. L’acheteur prend donc, en fonction de ses capacités, un « package » prix immobilier + crédit, qui représente sa charge financière (à laquelle il faudrait
également ajouter les frais d’acquisition).
Sur la même période allant du T1 2012 au T4 2014, la baisse
de prix « absorbée » par la baisse des taux de crédit peut
être estimée à 10 %, environ, soit un peu plus de 3 % par an
en moyenne, venant s’ajouter aux 4,95 % de baisse constatée
sur les prix moyens en France sur cette période de trois ans.
La tendance triennale est donc celle d’une baisse des coûts
d’achat d’un logement de près de 15 %, soit 5 % l’an. Même
recalculée ainsi, l’érosion des prix paraît modérée. Il s’agit
de moyennes, couvrant des situations très différentes. Certains marchés affichent une stabilité complète, d’autres une
S
i l’on compare, maintenant, en données brutes ce qui
se passe sur les marchés régionaux, on n’est guère plus
avancé sur le risque de baisse des prix. Sur la dernière
Figure 5. Évolution des prix dans l’ancien
en données brutes sur trois ans
(Source : Crédit Foncier Immobilier.)
Indice 100 T1 2010
110
108
106
104
102
100
98
T1
T2
T3
2011
T4
T1
T2
T3
2012
T4
T1
T2
T3
2013
T4
T1
T2
T3
2014
T4
Province
Agglomérations de + de 10 000 h. - villes centres - appartements
Agglomérations de - de 10 000 h. et rural - appartements
Agglomérations de + de 10 000 h. - appartements
Agglomérations de + de 10 000 h. - banlieues - appartements
56 prix, liquidité et risques du marché
période triennale, les courbes (non corrigées des variations
saisonnières) sont très homogènes, que l’on soit dans les
villes centres ou en banlieue, dans des agglomérations de
plus ou moins 10 000 habitants.
Figure 6. Évolution des prix dans l’ancien sur cinq ans
(Sources : Insee-Notaires et Crédit Foncier Immobilier.)
135
Indice 100 T1 2010
130
130,2
125
120
6.2 / ÉVOLUTION DES PRIX
DANS L’ANCIEN EN DONNÉES CVS
SUR CINQ ANS
116,5
115
113,8
110
109,6
105
100
95
90
À la réflexion, le seul intérêt de ces courbes indiciaires,
qui moyennent des prix sur des régions entières,
quand ce n’est pas sur l’ensemble du territoire, est de montrer une belle régularité, et d’inciter à les prolonger sur le
reste de l’année 2015.
De cette façon, on peut avoir une vision réaliste des prochains mois, mais encore une fois limitée à des valeurs
vénales moyennées.
L’inconvénient de la méthode est que les indices de prix ne
reflètent que… des prix ! Sur un marché ralenti, fonctionnant, comme nous l’avons vu, sur un nombre limité de transactions par an, les prix relevés ne correspondent chaque
année qu’à 2 % du parc.
L’échantillon d’observation est donc minime en soi, et malheureusement non représentatif de l’évolution de valeur
des 98 % de biens qui n’ont pas fait l’objet de transactions.
La raison en est simple : sur un marché ralenti, animé (si
l’on peut dire) par des vendeurs frileux et des acheteurs
timorés, seuls les biens de meilleure liquidité trouvent à
s’échanger.
Le facteur prix paralyse la plupart des ventes potentielles :
l’absence de rationalité des particuliers vendeurs conduit
le plus grand nombre à refuser la réalité du marché, et à se
crisper sur des prix d’affichage irréalistes (qui le deviennent,
en tout cas, au fur et à mesure que le prix moyen du marché
s’écarte du prix de départ quand il a été surévalué).
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4
2010
2011
2012
2013
2014
Paris - appartements CVS
Agglomération de Lyon - appartements CVS
Agglomération de Marseille - appartements CVS
Île-de-France hors Paris - appartements et maisons CVS
Sont particulièrement impactées deux catégories de logements.
◗ Les produits présentant un défaut intrinsèque : situation
défavorable, bruyante, isolée, éloignée des centres économiques et des transports, qualité technique du bâti ou état
délabré appelant des travaux lourds, absence de commodité
ou de fonctionnalité, coûts de chauffage et d’entretien, etc.
◗ Les immeubles de grande taille, ou de standing élevé, affichant un prix unitaire élevé, inaccessible pour la demande
locale : très grands appartements haussmanniens de l’Ouest
parisien, villas de caractère en Grande Couronne, ou en
périphérie de ville en régions, grandes propriétés rurales
en situation isolée sans caractère touristique avéré, etc.
Ces biens, actuellement, se trouvent exclus du marché par
la modification du comportement de la demande solvable.
Pour les premiers, c’est le retour à une (saine) sélectivité des
acquéreurs qui a conduit à une hiérarchisation accrue des
valeurs. En d’autres termes, ces biens pourraient trouver preneur, mais avec une baisse de prix considérable par rapport
à leur valeur des années précédentes : – 15 % à – 30 %, soit
des baisses que les vendeurs ne sont pas disposés à accepter.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
57
résidentiel
Pour les seconds, c’est le relatif retrait des familles françaises fortunées, parallèlement à des mouvements affectant certaines clientèles étrangères, qui est à l’origine de la
contraction de la demande. Le « haut de gamme » peine à se
vendre, même à son prix, même sans défauts avérés. Le coût
énergétique et la hausse de la fiscalité immobilière locale, ne
sont pas étrangers à cette tendance. Enfin, d’un point de vue
purement psychologique, l’exposition et l’immobilisation du
patrimoine familial dans la pierre ne sont plus forcément
souhaitées par ces clientèles aujourd’hui très fiscalisées.
Il en résulte que, de l’avis de la plupart des professionnels,
seuls les biens de bonne liquidité trouvent de nos jours à se
vendre, pourvu qu’ils ne soient pas affichés au départ à un
prix prohibitif. Cette tendance lourde emporte une conséquence qui ne l’est pas moins : une extrapolation d’indices
de prix à l’ensemble du parc n’est pas pertinente.
Au final, on constate que l’information immobilière disponible sur les marchés nationaux du logement cumule une
quantité préoccupante de lacunes :
◗ elle est limitée, sur la plupart des marchés, à des statistiques
qui moyennent les prix d’un petit nombre de transactions ;
◗ les monographies disponibles sur l’appréciation des tendances sont peu nombreuses, et se résument aux études
des notaires et à celles du Crédit Foncier (site internet
www.marche-immo.com) ;
◗ elle ne rend pas compte des fondamentaux propres à
chaque ville ou agglomération ;
◗ elle ne couvre pas les zones rurales.
Et pourtant, le besoin d’une connaissance précise des marchés
du logement existe bien pour tous les acteurs de ces marchés :
◗ pour le particulier, qui se demande s’il fait bien d’acheter sa
résidence principale, et s’il pourra la revendre facilement ;
58 prix, liquidité et risques du marché
◗ pour le bailleur particulier ou institutionnel, qui aimerait
s’assurer d’une demande locative, et d’un marché lui permettant de céder en fin de bail ;
◗ pour la collectivité locale, qui connaît parfois insuffisamment
les mécanismes de son marché local, alors qu’elle en élabore
la réglementation de l’urbanisme et qu’elle agit sur son territoire dans des actions de construction de logements ;
◗ pour les bailleurs et promoteurs publics, qui développent
un parc locatif ou en accession sociale ;
◗ pour le promoteur privé, d’une façon générale, qui se livre
à une étude de concurrence locale sans pouvoir mesurer
tous les fondamentaux de son marché ;
◗ pour le financeur, enfin, qui partage le risque du client,
surtout s’il se garantit par la prise d’une hypothèque ou
d’un privilège sur le bien financé.
Dans ce dernier cas, et surtout si le banquier intervient
en garantie réelle, la mesure du risque des marchés résidentiels prend une acuité particulière.
◗ Le prêteur ne peut déterminer son risque immobilier
(à distinguer du risque personnel client) qu’en faisant
réaliser une expertise du bien financé. Cela se justifie
pour les opérations compliquées d’un montant important, mais ne saurait être systématisé pour des raisons
évidentes de coût d’instruction.
◗ Une fois le prêt mis en place, le suivi du dossier et l’évolution de la mesure du risque dans le temps nécessitent que
l’on compare le capital restant dû avec la valeur actualisée de
la garantie réelle. Sauf à faire refaire des expertises sur l’encours, ce qui paraît bien trop coûteux, les banques utilisent,
généralement, la réévaluation indiciaire du prix d’achat.
◗ En période « post-AQR », les banques européennes seront
contraintes tôt ou tard à une meilleure connaissance de
leurs garanties. Au-delà même des nécessités de provision-
SEULS LES BIENS
DE BONNE LIQUIDITÉ
TROUVENT, DE NOS
JOURS, À SE VENDRE, POURVU
QU’ILS NE SOIENT PAS AFFICHÉS
AU DÉPART À UN PRIX PROHIBITIF.
nement comptable des encours douteux, il est certain que
le besoin de connaissance du risque immobilier sur les dossiers financés va s’accroître dans les années qui viennent
sans que le recours à l’expertise puisse être généralisé.
◗ Pour l’éventuel traitement contentieux du dossier, en
cas d’impayé, le prêteur hypothécaire doit déterminer
une stratégie de recouvrement, et décider s’il va mettre
en jeu sa sûreté réelle, c’est-à-dire provoquer la vente
forcée du bien apporté en garantie, ou tenter une conciliation amiable et un étalement de la créance.
◗ Enfin, si le prêteur est spécialisé dans le financement
immobilier, ou considère le développement d’équipes
dédiées à ce créneau de marché, la connaissance du
risque des marchés résidentiels est un préalable pour le
déploiement d’un réseau commercial : selon le niveau de
risque présenté a priori par chaque région ou chaque secteur, le dimensionnement des forces de vente peut être
affiné et adapté au potentiel de chacun des marchés (2).
Toutes ces raisons militent pour une nouvelle approche résidentielle.
(2) Dans le cas d’un réseau bancaire préexistant ou venant d’être mis en place, la performance de ce réseau ne se limite pas au chiffre de production réalisé, ni même
au PNB engrangé. Sa mesure doit intégrer le taux de contentieux, voire le taux de pertes, ratios qui mettront plusieurs années à être calculés. Ce taux de pertes dépend à
la fois de la qualité et de la profondeur du marché local, mais aussi de la façon dont les critères d’octroi sont définis et respectés par les équipes commerciales. Il semble
donc difficile de juger la qualité du travail fourni par ces dernières, sans avoir une idée précise de la difficulté du marché local, de ses limites et de ses risques.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
7
VERS UNE NOUVELLE
APPROCHE DU RISQUE
RÉSIDENTIEL
Par Emmanuel Ducasse, MRICS, Directeur des Études, Crédit Foncier Immobilier.
P
our la plupart des acteurs du marché, et en particulier
les banquiers, l’appréhension du risque immobilier
(dans tous les sens du terme !) se réduisait historiquement à la crainte d’une baisse des prix, diminuant la profitabilité d’une opération, ou la mettant en perte, réduisant
la garantie du prêteur et augmentant sa prime de risque.
La période actuelle montre, au contraire, que la liquidité
des actifs est davantage à considérer que leur valeur.
Sur les 36 600 communes en France, on peut estimer à un
dixième à peine (guère plus de 3 000 communes) celles qui
présentent un marché résidentiel relativement actif (soit au
minimum 20 à 30 ventes par an).
UN BIEN QUI NE SE
VEND PAS, MÊME
PROPOSÉ À SA VALEUR
DE MARCHÉ, EST UN BIEN FAISANT
COURIR UN RISQUE MAXIMAL
À SON DÉTENTEUR, COMME À
SON FINANCEUR. SANS LIQUIDITÉ,
IL N’Y A PLUS DE MARCHÉ, ET DONC
PLUS DE VALEUR DE MARCHÉ.
59
60 vers une nouvelle approche du risque
En dehors de l’Île-de-France, qui bénéficie de l’attractivité de la capitale, les marchés des métropoles régionales
sont de loin les plus dynamiques : ils cumulent l’activité
économique, synonyme d’emploi, avec toutes les aménités
des grandes villes, propres à attirer les candidats au logement. À l’inverse, les marchés secondaires en zone rurale
connaissent une atonie complète, faute de demande.
Entre grandes villes et campagnes désertifiées, nombre
de villes moyennes offrent des marchés immobiliers
contrastés, sur lesquels on sait, à vrai dire, peu de
choses. Cette lacune prive les acteurs de toute visibilité
sur le risque ou les opportunités qu’ils présentent, n’en
connaissant pas la nature ni la profondeur.
Au terme de ce constat, la nécessité de se doter d’un outil
qui permette enfin de mesurer la qualité des marchés
résidentiels (quand ils existent) est apparue, pour éclairer
l’estimation du risque des opérateurs, sécuriser les opérations réalisées et faciliter l’obtention de crédit bancaire.
La question se pose, alors, de savoir si un tel outil peut
être construit à partir des informations dont on dispose
aujourd’hui, sans recours à un modèle économétrique perfectible, mais en conservant une rigueur d’analyse qui élimine les ressentis et impressions subjectives, voire affectives, que chacun peut éprouver vis-à-vis de telle ou telle
ville ou territoire.
7.1 / RECONSTRUIRE L’ANALYSE DU
RISQUE DES MARCHÉS RÉSIDENTIELS ?
S
i le prix (ou son évolution « molle ») ne doit plus constituer un élément central dans l’analyse du risque, on
peut se douter que la liquidité ne doit pas non plus en être
l’unique critère. Analyser la profondeur d’un marché,
dans une vision raisonnablement prospective, passe par
une analyse multithématique, puisque nombreux sont les
facteurs qui influent sur le marché du logement.
La première bonne question à se poser est de savoir ce
qu’est un marché résilient : c’est celui qui, sur une période
de moyen terme (1) :
◗ est résistant aux aléas de conjoncture, ne s’effondre pas ni
ne connaît une chute de ses prix ;
◗ connaît une demande locative et en accession suffisamment constante ;
◗ garantit que les logements locatifs sans défauts particuliers
seront occupés, et que les biens mis en vente sans surenchère seront vendus ;
◗ assure que ses fondamentaux actuels permettent d’exclure,
à terme, une dégradation économique ou sociologique qui
dégraderait l’équilibre offre/demande ;
◗ présente au-delà de l’image, des critères objectifs d’attractivité qui font penser que la demande solvable de logements sera constante ou en évolution positive.
(1) Impossible de se projeter à long terme, dans la mesure où le marché immobilier est sujet aux contrecoups des chocs économiques extérieurs, qu’il s’agisse,
négativement, d’un crise financière internationale comme celle des années 2008-2009, ou, positivement, d’un afflux de liquidités comme nous en octroie la BCE, par
sa politique de quantitative easing.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
61
résidentiel
A contrario, il faut préciser ce que n’est pas un marché de
bonne profondeur : à l’évidence, un marché profond n’est
pas celui qui :
◗ connaît un équilibre instable entre offre et demande, avec
des périodes de suroffre conjoncturelle, mettant en évidence une demande locale mal mesurée ou insuffisante par
rapport aux réalisations immobilières ;
◗ compte sur un projet de développement urbain (par
exemple : restructuration de friches industrielles, réhabilitation de zones sociales dégradées, écoquartiers structurés
par de nouvelles lignes de transport) pour développer un
tissu économique local encore embryonnaire, et un parc
immobilier diversifié, sans que l’on ait une vision réelle
sur l’évolution des quartiers nouveaux ou des zones de
requalification urbaine ;
◗ présente un marché immobilier peu actif ou atone, avec
des niveaux de prix révélant une suroffre dans l’ancien.
Pour bâtir un outil de mesure, il va nous falloir d’abord lister tous les facteurs qui influent, en bien ou en mal, sur le
marché, puis déterminer de quelle façon ils jouent, en mesurer la portée, en pondérer l’appréciation.
En première analyse, il apparaît que les facteurs démographiques sont prépondérants : sans démographie, pas de
demande de logements, et pas de marché !
La demande en soi ne suffit pas, encore faut-il qu’elle soit
solvable, que la population présente un niveau de vie suffisant pour supporter le coût du logement, qu’il soit exprimé
en loyer ou en coût par mètre carré.
À cette demande solvable, il manque encore la motivation :
pourquoi habiter une ville plutôt qu’une autre ? C’est ici qu’il
faut s’interroger sur les facteurs qui incitent les populations
à privilégier certains marchés, au détriment d’autres villes.
Une fois étudiées la démographie, la richesse, l’attractivité
du territoire, qui forgent la demande, on ne saurait oublier
que l’observation du fonctionnement du marché immobilier
est révélatrice en soi des forces et faiblesses de l’offre. Avec
ce dernier point, le tour d’horizon est-il complet ? Pas tout
à fait, mais nous y reviendrons, après avoir brossé à grands
traits le portrait de chacune de ces familles.
Extrait de la Cotation des marchés résidentiels©.
LA DÉMOGRAPHIE, LA MEILLEURE
OU LA PIRE DES CHOSES ?
Si elle conditionne la demande de logements, la démographie
est révélatrice de bien des choses. Le solde naturel, différence entre naissances et décès, révèle, certes, la fécondité
nataliste observée dans une ville, mais aussi la propension
qu’ont ses habitants à y vivre jusqu’à leur décès ! Un taux de
décès important peut être le signe d’un vieillissement de la
population, comme celui de l’arrivée de seniors venus passer
la dernière partie de leur existence sur le territoire. Un taux
de décès faible peut être, au contraire, le signe d’un exode des
personnes les plus âgées. Reste à en comprendre la raison…
Le solde migratoire, différence entre entrées et sorties, est
un révélateur d’attractivité. Positif, il montre que la ville
attire ; négatif, qu’elle refoule. Le solde migratoire est à
examiner de près : certaines métropoles peuvent attirer des
étudiants, et refouler les jeunes adultes. L’analyse doit être
poussée plus loin.
Tout comme la structure par âges, et par types familiaux,
la composante sociologique de la population locale est
importante pour comprendre la nature de la demande de
logements. Ces informations sont à croiser entre elles pour
62 vers une nouvelle approche du risque
À TERME, LA VITALITÉ
ÉCONOMIQUE EST UN
ÉLÉMENT DE SOUTIEN
DU MARCHÉ, AUTANT QUE
D’ATTRACTIVITÉ. IL VAUDRAIT
MIEUX UNE VILLE POSSÉDANT
UN TISSU D’ENTREPRISES VIVACES
ET DES POPULATIONS À FAIBLES
REVENUS, QUE LE CONTRAIRE.
à faibles revenus, que le contraire, qui serait synonyme de
déclin programmé et d’exode massif.
L’ATTRACTIVITÉ URBAINE, UN ATOUT MAJEUR
DANS LA COMPÉTITION INTERCITÉS
La mobilité des populations est un phénomène encore mal
connu. Elle a été provoquée par le déclin de l’économie
agricole, qui fixait les familles dans leur région d’origine.
Elle a sans doute été favorisée par les évolutions sociales
déterminer à quel type de population on a affaire : familles
nombreuses désargentées, familles moyennes avec un ou
deux enfants, célibataires ou couples sans enfants appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures,
retraités pauvres, etc.
LA RICHESSE, NERF DE LA GUERRE
DU MARCHÉ IMMOBILIER
Si le revenu moyen des ménages est un élément à considérer, il convient, dans une vision prospective, de s’intéresser
davantage à la richesse produite sur le territoire considéré,
à son évolution récente et à ses perspectives en termes de
développement économique.
L’expérience montre, en effet, que la richesse est souvent
inégalement répartie : un territoire riche peut héberger des
populations à faibles revenus, que l’on retrouve souvent
dans les villes centres (2). La structure des revenus est donc
un élément capital pour qualifier la part des populations
locales en capacité d’acheter ou de louer.
À terme, la vitalité économique est un élément de soutien du
marché, autant que d’attractivité. Il vaudrait mieux une ville
possédant un tissu d’entreprises vivaces et des populations
Extrait de la Cotation des marchés résidentiels©.
(2) L’exemple de Toulouse, qui affiche un dynamisme économique non démenti, montre dans son actualité quotidienne que ses quartiers difficiles,
comme celui du Mirail, n’en profitent pas.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
63
résidentiel
L’IMMOBILIER LOCAL, REFLET DES FORCES
ET FAIBLESSES DU TERRITOIRE
du XXe siècle : mécanisation du travail, développement de
l’industrie lourde et travail des femmes.
Si la facilité (relative) à trouver un emploi dans les grandes
villes est devenue récemment un atout majeur pour ces dernières, au détriment des campagnes en voie de désindustrialisation, il n’en reste pas moins que la notion de qualité
de vie est devenue une préoccupation des Français depuis
l’émergence d’une société de consommation et de loisirs :
pas question d’aller habiter dans une ville sans attrait, si l’on
peut opter pour la voisine.
La métropolisation et la proximité d’une grande ville sont
des facteurs dynamisants, avec lesquels l’héliotropisme et
la proximité du littoral maritime rivalisent aisément. À l’inverse, les services publics ont un rôle bien souvent surestimé par rapport à la qualité du marché : nombreuses sont les
communes populaires, cumulant les difficultés sociales, qui
présentent un taux d’équipement supérieur à la moyenne.
L’essentiel des commodités, en dehors des facilités de
transport, sera à examiner par rapport à l’offre de santé
et d’éducation, outre la distribution commerciale qui doit
être adaptée, sans oublier la question de la sécurité des personnes et des biens.
C’est souvent par l’observation du marché immobilier luimême que commence l’analyse prospective de sa profondeur, alors pourquoi l’étudier en dernier ?
Comme un miroir, le marché immobilier reflète la réalité,
mais une partie, seulement, de la réalité : le niveau des prix
et des loyers est un déterminant important de l’équilibre
entre offre et demande. Malheureusement, ce niveau révèle
tout autant la richesse des habitants que la tension réelle
du marché.
Il est bien plus pertinent de s’intéresser à la structure
du parc résidentiel, à sa taille relative, à sa distribution
par types ou par catégories d’occupants, dont on inférera
l’état du besoin de logements, l’adaptation des prix ou des
loyers constatés aux populations concernées, par le calcul
de taux d’effort.
La mesure de la liquidité et celle de la construction
neuve seront des indicateurs complémentaires de la vitalité du marché, étant précisé que la construction peut
être contrainte dans les centres urbains par le manque
de foncier.
L’ensemble doit, ainsi, permettre de juger de chaque
marché, mais en relativisant l’analyse : un taux d’effort
important est normal dans les grandes villes ou les centres
urbains, alors qu’il sera préoccupant ailleurs ; la sousoffre ou la suroffre d’un type de logement par rapport aux
besoins démographiques sera facilement mise en évidence,
mais en gardant à l’esprit que la distribution entre petits et
grands logements dépend plus du niveau des prix que du
besoin des familles.
Bâtie sur ces quatre thématiques – démographie, économie, attractivité et fondamentaux de marché –, l’analyse du
marché résidentiel d’une ville, quelle qu’elle soit, peut être
réalisée avec suffisamment d’éléments pour en déterminer
la profondeur. Mais il manque encore à cette étude sa substantifique moelle : la mesure du risque marché.
64 vers une nouvelle approche du risque
7.2 / POURQUOI ET COMMENT
MESURER LE RISQUE DU MARCHÉ
RÉSIDENTIEL ?
I
l faudrait déjà rappeler que le risque présent sur un marché local résidentiel ne se confond pas avec le risque
immobilier d’une opération.
Le risque inhérent au bien lui-même, lié à sa situation particulière, sa consistance, son état physique, ses conditions
d’occupation locative, sa correspondance avec les attentes et
les prix du marché local, tout cela relève d’une étude à réaliser in situ, plus particulièrement en recourant aux services
d’un expert qualifié.
Le risque du marché résidentiel correspond donc au niveau
de confiance que l’on peut accorder à l’environnement de
l’opération, au « terreau immobilier » sur lequel elle doit
prospérer.
Un « bon » marché résidentiel ne garantit aucunement la
réussite du projet immobilier : meilleur est le marché, plus
fort est, en effet, le risque d’une surévaluation du bien, et
donc d’une perte de valeur en cas de revente. Il est facile
de croire que sur un secteur réputé, aux prix élevés, tout est
bon à prendre, le risque étant nul à la location comme à la
revente, compte tenu de la pression de la demande.
L’erreur d’appréciation vient là de la perte de discernement :
tout marché immobilier a ses prix et ses limites haute et
basse. Si le produit immobilier en soi ne présente pas de
défaut notable, le risque réside dans sa valorisation excessive, fondée sur l’idée d’une plus-value à terme. Plus-value
qui n’a rien d’automatique, surtout sur les segments de marché les plus chers, où la présence d’une clientèle étrangère
peut avoir pour conséquence une certaine volatilité des prix
sur les maisons ou les appartements les plus grands.
À l’inverse, sur les « mauvais » marchés résidentiels, tout n’est
pas à jeter ! Le risque de surévaluation est moins prégnant, et
la question qui est posée est de savoir si l’opération projetée
présente ou non des atouts (de situation, de qualité technique,
etc.) ou un caractère sortant de l’ordinaire, capables de compenser la médiocrité de l’activité immobilière.
Au fond, la question traditionnelle du prix est l’arbre qui
cache la forêt : affiner à l’extrême la valorisation d’un bien
n’a pas de sens sur un marché où le risque réside dans l’absence de liquidité, et donc dans l’impossibilité de récupérer
son prix. Focaliser l’analyse sur les qualités intrinsèques
d’un produit immobilier peut apparaître secondaire, si le
marché est structurellement demandeur.
Commencer par estimer d’abord le risque du marché
semble un préalable logique, avant d’aborder l’analyse de
l’immeuble et la détermination de sa valeur. En fonction de
la connaissance préalable que l’on peut avoir des marchés,
il paraît, ainsi, rationnel d’orienter l’analyse du risque soit
vers la qualité soit vers l’aspect financier, étant entendu que
les deux approches sont toujours complémentaires.
Le besoin de considérer le risque des marchés eux-mêmes,
en plus du risque propre à l’immeuble, n’est guère encore
perçu par beaucoup d’acteurs, mais apparaîtra demain
comme une évidence. Car c’est bien la réunion des deux
risques qui impacte l’acheteur, l’investisseur ou le prêteur.
S’il est usuel de porter un jugement sur l’actif lui-même, au
besoin en recourant à l’expertise ou à l’évaluation, pour en
connaître la valeur de marché, il reste encore peu fréquent
d’élargir le champ d’étude à l’analyse de profondeur du marché immobilier sur lequel se trouve l’immeuble.
Et pourtant, la « sécurité » offerte par le marché résidentiel,
acclamée dans les grandes villes, n’est pas forcément avérée
sur l’ensemble du territoire national, où l’absence de liquidité des actifs est bien plus préoccupante que l’évolution des
prix moyens.
DANS L’IMMÉDIAT,
LA COTATION MARQUE
UNE VOIE D’ANALYSE
ORIGINALE DANS SA CONCEPTION,
OUVRANT LA POSSIBILITÉ DE
MULTIPLES UTILISATIONS.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
65
résidentiel
Le marché résidentiel est toujours bien plus complexe que
ce l’on imagine, même quand on en est un professionnel
averti. Des périodes plus difficiles, comme celle que nous
traversons, sont aussi des périodes de forte mutation, d’où
émergent des idées et des concepts nouveaux : ainsi améliorer l’analyse de risque pour sécuriser les opérations correspond-il à une nécessité d’introduire plus de rationalité dans
l’industrie immobilière, nécessité prégnante pour l’ensemble
des acteurs du marché, qu’ils soient simples particuliers,
promoteurs, investisseurs ou financeurs.
Pour répondre à ces problématiques, les équipes de Crédit
Foncier Immobilier ont travaillé sur la mise au point d’une
cotation, qui est désormais opérationnelle sur environ
3 000 villes, et couvre la quasi-totalité des marchés immobiliers résidentiels réellement actifs du territoire national.
Dans l’immédiat, elle marque une voie d’analyse originale
dans sa conception, ouvrant la possibilité de multiples utilisations, tout à la fois pour mieux anticiper et suivre les
risques des opérations immobilières, et ainsi faciliter les
décisions d’engagement, de gestion et d’arbitrage.
Certains y verront peut-être une nouvelle forme de globalisation de l’économie immobilière locale, une approche désincarnée, théorique et statistique, quand il ne s’agit, au fond, que
d’un retour pratique et très pragmatique à ses fondamentaux.
Si l’expert de terrain et l’analyste financier peuvent y trouver le même bénéfice, le pari est déjà gagné.
66
8
LE MARCHÉ IMMOBILIER
RÉSIDENTIEL EN EUROPE
Par Nicolas Pécourt, Directeur Communication externe et RSE, Crédit Foncier.
8.1 / PRÉAMBULE
À
l’occasion de la conférence annuelle du Crédit Foncier,
qui a réuni le 5 février 2015 plus de 800 participants,
une table ronde a été consacrée au thème de l’immobilier
résidentiel en Europe.
Cet article reprend les principaux enseignements de cette
table ronde, en les complétant d’autres éléments issus,
notamment, de l’étude du Crédit Foncier consacrée au marché européen du crédit immobilier.
Trois thèmes ont été abordés lors de cette conférence et
seront repris par la suite :
1 – le rapport à la propriété dans les différents pays européens ;
2 – les raisons des disparités de prix ;
3 – le crédit immobilier.
Au préalable, il convient de souligner la difficulté d’agréger et de
comparer certaines données nationales relatives au logement,
tant les définitions de certains indicateurs comme les usages
individuels peuvent varier d’un pays à un autre. Afin de donner une vue d’ensemble du marché immobilier résidentiel en
Europe, une approche non détaillée peut parfois être nécessaire.
Cette table ronde réunissait Luca Bertalot (Secrétaire
général de l’European Covered Bond Council), Thierry
Dufour (Directeur Général délégué du Crédit Foncier), Wolfgang Kälberer (The Pfandbrief Bank Associations), Marc Ménagé (Directeur Général de RICS
France) et Laurent Vimont (Président de Century 21).
8.2 / LE RAPPORT À LA PROPRIÉTÉ
L
e rapport des ménages à la propriété immobilière varie
d’une nation européenne à une autre. Le statut de propriétaire peut lui-même différer ; ainsi, le bail emphytéotique
peut être utilisé au Royaume-Uni en lieu et place de la notion
de pleine propriété dans de nombreux pays européens.
Les 28 pays de l’Union européenne comptent 507 millions
d’habitants, répartis en 215 millions de ménages (1) (soit 2,4
individus par ménage). Six pays totalisent 70 % de la population européenne : l’Allemagne (16 % de la population européenne), la France (13 %), le Royaume-Uni (13 %), l’Italie
(12 %), l’Espagne (9 %) et la Pologne (7 %).
(1) C’est en Allemagne (2,0) qu’on compte le moins d’individus par ménage et en Slovaquie (3,0) le plus. De façon générale, les ménages d’Europe de l’Est comptent
2,6 individus par ménage, ceux d’Europe du Sud 2,4 et ceux d’Europe du Nord 2,2.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
67
résidentiel
Figure 1. Population européenne 2014
(Source : Les marchés européens du crédit immobilier 2014 –
étude du Crédit Foncier.)
Tableau 1. Propriétaires vs locataires
Une proportion de propriétaires allant de 53 %
en Allemagne à 96 % en Roumanie.
(Source : Eurostat.)
Taux propriétaires
2013 (en %)
16 %
Allemagne
30 %
Roumanie
95,6
4,4
Royaume-Uni
Lituanie
92,2
7,8
Italie
Slovaquie
90,5
9,5
Espagne
Hongrie
89,6
10,4
Croatie
88,5
11,5
France
13 %
Pologne
7%
13 %
9%
Taux locataires
2013 (en %)
22 autres pays
12 %
La première information utile est celle de la comparaison
entre la proportion de propriétaires et celle de locataires.
Selon les données produites par Eurostat (sans tenir compte
des autres statuts d’occupation des logements), on dénombrait, en 2013, 70 % de propriétaires et 30 % de locataires à
l’échelle européenne.
On observe une légère différence de trois points, en faveur
des locataires (33 %), lorsqu’on ne prend en compte que les
pays de la zone euro.
Si l’on divise l’Europe en trois zones, le nombre moyen de
propriétaires est égal à 87 % en Europe de l’Est (2), 71 % en
Europe du Sud (3) et 60 % en Europe du Nord (4).
Seuls deux pays sont en-dessous du seuil de 60 % de propriétaires : l’Allemagne (53 %) et l’Autriche (57 %). A priori
étonnant, ce constat démontre l’absence totale de corrélation entre le nombre de propriétaires de leur logement et la
richesse du pays. Une preuve éclatante en est apportée hors
de l’Union européenne, par le cas de la Suisse qui, avec 44 %
de propriétaires, est loin derrière l’Allemagne, dernière du
classement.
Bulgarie
85,7
14,3
Pologne
83,8
16,2
Lettonie
81,2
18,8
Estonie
81,1
18,9
Malte
80,3
19,7
République tchèque
80,1
19,9
Espagne
77,7
22,3
Slovénie
76,6
23,4
Grèce
75,8
24,2
Portugal
74,2
25,8
Chypre
74,0
26,0
Finlande
73,6
26,4
Italie
73,0
27,0
Luxembourg
73,0
27,0
Belgique
72,3
27,7
Moyenne Union européenne
70,0
30,0
Irlande
69,9
30,1
Suède
69,6
30,4
Pays-Bas
67,1
32,9
Royaume-Uni
64,6
35,4
France
64,3
35,7
Danemark
63,0
37,0
Autriche
57,3
42,7
Allemagne
52,6
47,4
(2) Europe de l’Est (11 pays ; 20 % de la population européenne) : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie,
Slovaquie et Slovénie.
(3) Europe du Sud (7 pays ; 39 % de la population) : Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte et Portugal.
(4) Europe du Nord (10 pays ; 41 % de la population) : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.
68 le marché immobilier résidentiel en europe
La proportion très élevée de propriétaires en Europe de
l’Est résulte de la vague de privatisations intervenue lors
du passage à l’économie de marché de ces pays au début
des années 1990. Les pouvoirs publics avaient, alors, rétabli
la propriété privée d’immeubles nationalisés sous le pouvoir précédent, à des prix très intéressants, ce qui explique
qu’en moyenne, près de neuf ménages sur dix (87 %) soient
propriétaires en Europe de l’Est. La Roumanie détient le
record de ménages propriétaires en Europe, avec une proportion égale à 96 % ; parmi tous les pays d’Europe centrale et orientale, seule la Slovénie affiche un pourcentage
de propriétaires inférieur à 80 % bien que, près de 77 %, il
soit encore largement au-dessus de la moyenne européenne.
À noter, également, et cela sera abordé dans la troisième
partie, que ces ménages, du fait des prix intéressants dont ils
ont bénéficié, sont actuellement peu nombreux à rembourser
un crédit immobilier.
En Europe du Sud, le taux élevé de propriétaires (71 %, en
moyenne) tient davantage à des raisons culturelles.
Dans ces pays, être propriétaire est synonyme de réussite sociale et de sécurité. L’accession à la propriété est
une étape importante de la vie d’un ménage. Même si
la proportion de ménages propriétaires tend légèrement à s’y amenuiser (de 80 % en 2007 à 78 % en 2013),
l’Espagne affiche la part la plus élevée de propriétaires
des cinq pays européens les plus peuplés. Toujours au
sud du continent, en Grèce, la part de propriétaires est
de 76 %, de 74 % au Portugal et de 73 % en Italie. Dans
ces trois pays, en dépit de la crise, ces chiffres sont restés
quasiment au même niveau entre 2007 et 2013, voire ont
progressé en Italie.
Même s’il est admis que les Français sont très attachés à la
pierre, qu’il s’agisse d’acquérir son logement ou d’investir, la
France se trouve dans les profondeurs du classement, à la 25e
position, uniquement devant le Danemark, l’Autriche et l’Alle-
LA ROUMANIE DÉTIENT
LE RECORD DE MÉNAGES
PROPRIÉTAIRES EN
EUROPE, AVEC UNE PROPORTION
ÉGALE À 96 %.
magne. Bien qu’en progression régulière depuis 2007 (60,5 %),
la proportion de propriétaires est aujourd’hui de 64,3 %.
C’est en Europe du Nord que l’on rencontre le moins de
propriétaires (60 % en moyenne).
Plus forte population européenne, les Allemands se répartissent presque équitablement entre locataires (47 % des
ménages) et propriétaires (53 %). Plusieurs raisons l’expliquent. Historiques, tout d’abord : après la guerre, les
pouvoirs publics et des coopératives se sont engagés dans
la reconstruction et restent, encore aujourd’hui, de grands
propriétaires de logements. À cela s’ajoutent des raisons fiscales et une réglementation favorable aux bailleurs privés.
Enfin, la menace de l’inflation, préoccupation majeure des
Allemands, ayant disparu, il n’est plus besoin de devenir
propriétaire pour s’en protéger.
Deuxième pays de l’Europe du Nord, le Royaume-Uni
affiche, lui, une proportion de propriétaires de 65 %, de
12 points supérieure à celle de l’Allemagne, même si le
Royaume-Uni se positionne également en bas de classement.
Depuis des décennies, les pouvoirs publics y mènent une
politique favorable à l’accession immobilière en fluidifiant
un marché caractérisé par des prix élevés ; récemment, le
marché a été porté par différents programmes (5). Il s’agit, par
ailleurs, d’un marché homogène, où l’essentiel du parc, hors
Londres, est composé de séries de maisons dites « semidetached houses », d’une superficie moyenne de 70 à 80 m2.
(5) Dont « Help to buy Plan » (abondement à partir d’un certain pourcentage d’apport), « Funding for Lending Programm » (garanties de prêts) et la réforme du droit
de timbre (« Stamp Duty Plan »).
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
69
résidentiel
Tableau 2. Parts de propriétaires vs locataires en Europe
(Source : Eurostat, retraitement Crédit Foncier.)
Dénomination
Part propriétaires
Dont propriétaires
accédants (6)
Part locataires
Dont locataires
secteur privé (7)
Europe du Nord
60 %
36 %
40 %
29 %
Europe du Sud
71 %
26 %
29 %
16 %
Europe de l’Est
87 %
9 %
13 %
8 %
Total
70 %
28 %
30 %
19 %
Quels que soient les pays appréhendés, d’autres éléments
sont à prendre en compte dans la compréhension du marché
européen, notamment la fiscalité.
Une récente étude réalisée pour la Fédération des Promoteurs
Immobiliers de France (FPI) par le Cabinet Fidal s’est efforcée
de déterminer le poids de la fiscalité grevant la construction et
l’acquisition (8), puis la détention sur dix ans (9) d’un logement
neuf pour un prix de vente unitaire de 200 000 euros TTC.
Avec un taux global de fiscalité égal à 56 % du coût d’acquisition, la France arrive très loin devant les autres pays. Suivent
le Royaume-Uni (40 %), l’Allemagne (26 %), les Pays-Bas et la
Belgique (20 %), l’Espagne (19 %) et l’Italie (18 %).
L’accession à la propriété repose également sur les conditions de crédit (son coût – la période est de ce point de vue
particulièrement favorable –, sa durée et le niveau d’apport
requis), des mesures incitatives des pouvoirs publics (déduction des intérêts d’emprunt, par exemple aux Pays-Bas et au
Danemark), et également sur les transferts intergénérationnels (donations et héritages).
Si « posséder un toit » n’est plus une protection contre une inflation devenue inexistante, la propriété immobilière conserve un
rôle très protecteur en prévision de l’avenir, en particulier du
passage à la retraite, avec la baisse de revenus qui s’en suit.
8.3 / QUELQUES RAISONS
DE DISPARITÉ DE PRIX
P
remière remarque préalable, les pays de l’Union européenne connaissent des évolutions de prix immobiliers
très différentes, qu’il s’agisse des mouvements observés les
précédentes années, comme des prévisions pour les années
à venir.
Au cours des trois dernières années (2012, 2013, 2014), les
prix immobiliers (10) ont ainsi progressé de 15 % en Irlande
et de 11 % en Allemagne, lorsqu’ils baissaient dans le même
temps de 13 % en Italie et de 16 % en Espagne.
Ces fortes disparités de prix sont soulignées tant par
l’OCDE que par le FMI (site Global Housing Watch).
Deuxième remarque, la notion de prix immobilier n’a que
peu de sens à l’échelon national. L’exemple de la France
métropolitaine le démontre avec ses trois strates que sont
l’Île-de-France, les grandes agglomérations régionales et
enfin, le reste du pays. Entre Paris et le département de la
Creuse, les différences de prix (11) sont de l’ordre de 1 à 10.
Aussi, y compris s’agissant d’une observation européenne,
l’échelon local semble le plus pertinent.
(6) Les propriétaires accédants correspondent à la catégorie « Owner, with mortgage or loan » des données Eurostat.
(7) Les locataires du secteur privé correspondent à la catégorie « Tenant, rent at market price » des données Eurostat.
(8) TVA, droits d’enregistrement, taxes indirectes…
(9) Taxe foncière, impôts et prélèvements sociaux.
(10) Selon l’étude de Standard & Poor’s Ratings Services ; février 2015 ; S. Tahiri et JM Six ; les données publiées pour 2014 dans cette étude reposent sur des estimations.
(11) Selon LPI « bilan de l’année 2014 » ; janvier 2015 ; prix moyen des appartements dans l’ancien : Paris (8 413 euros) ; département de la Creuse (825 euros).
70 le marché immobilier résidentiel en europe
Différents facteurs peuvent expliquer les disparités de prix,
sans qu’on puisse établir pour autant de règle absolue.
Parmi ceux-ci : la densité, la concentration des pouvoirs et
le dynamisme économique.
Au-delà de la mesure de la densité en elle-même, ce qui
paraît essentiel est la concentration d’une partie importante
de la population nationale en un seul lieu.
Alors que les premières agglomérations allemandes (la Ruhr
avec 6 % de la population, Berlin 6 %, Hambourg 4 %…) et
italiennes (Milan 7 %, Rome 7 %, Naples 6 %…) se répartissent de façon relativement homogène la population nationale, les agglomérations de Paris et Londres concentrent de
façon beaucoup plus dense la population du pays, et surtout
la plus active.
L’Île-de-France représente 18 % de la population française (12)
contre seulement 3 % pour Lyon et Marseille. Le grand
Londres représente 19 % de la population du Royaume-Uni
contre 4 % pour l’aire des Midlands de l’Ouest (13) ou celle de
Manchester. Ces deux situations sont uniques en Europe
occidentale.
En Espagne, le poids de l’agglomération de Madrid (14 % de
la population) est contrebalancé par celui de l’agglomération
de Barcelone (10 %).
Il en résulte, à Paris et à Londres, une très forte concentration qui fait augmenter les prix. L’Île-de-France (14) et
la région métropolitaine de Londres affichent une densité
supérieure à 1 000 habitants/km2 avec des maxima à Paris
(21 400) et Londres (10 200) intra-muros. À l’inverse, les
grandes capitales régionales françaises affichent des prix
comparables à ceux des autres grandes agglomérations européennes qui connaissent de moindres tensions immobilières.
On peut une nouvelle fois souligner le non-sens de statistiques nationales : la France affiche tout à la fois la troisième densité nationale la plus faible d’Europe derrière
la Finlande et la Suède (117 habitants/km2 contre 226 en
Allemagne et 326 en Belgique, par exemple) et le record
européen de densité à l’échelle d’une commune, avec Paris.
À cela, il faut naturellement ajouter la concentration des
pouvoirs qui attirent les investissements et les ménages
les plus aisés. Ces pouvoirs peuvent être industriels, financiers, administratifs… À nouveau, Paris et Londres se distinguent de leurs homologues européennes. Les données de
l’investissement tertiaire l’illustrent également : au cours
des quatre dernières années, l’Île-de-France a représenté (15)
plus des trois quarts (77 %) de l’investissement tertiaire total
en France.
(12) Les données de population de ce paragraphe sont issues d’Eurostat.
(13) Son principal district métropolitain est Birmingham.
(14) Rapport de la Cour des comptes « Le logement en Île-de-France » ; avril 2015.
(15) Selon les données du Crédit Foncier Immobilier présentées le 5 février 2015.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
71
résidentiel
Mais la concentration et la densité n’expliquent pas tout,
y compris au sein d’un même ensemble. L’attractivité et le
dynamisme économiques entrent alors en jeu et expliquent
des évolutions de prix qui sont loin d’être les mêmes partout
en Europe, loin s’en faut.
Les prix immobiliers sont également liés à la prospérité et au
dynamisme économique, donc à la création de richesse, ce qui
explique que les prix à Londres, où la densité est inférieure
de moitié à celle de Paris, soient deux à trois fois plus élevés.
Les prix de l’immobilier anglais, portés par Londres et le
Sud-Est, ont atteint en 2014 leur maximum historique enregistré par le National Office Statistics.
Les prix varient également selon le mode d’habitat (16).
Les Européens vivent en majorité dans des maisons isolées (17)
(34 % de la population) ou jumelées (18) (24 %). A contrario,
41 % des ménages européens vivent en appartement.
C’est en Irlande (95 %) et au Royaume-Uni (85 %) que la
part des maisons dans le parc de logements est la plus
importante.
À l’inverse, les Espagnols font le choix d’appartements pour
les deux tiers (65 %) d’entre eux, en particulier dans des
immeubles importants (près d’un ménage espagnol sur deux
vit dans un immeuble qui compte au moins dix habitations).
Le cas de l’Allemagne est plus singulier : si plus de la moitié
de la population vit en appartement, il s’agit, pour les deux
tiers de ces logements, d’appartements dans des immeubles
de moins de dix habitations.
Figure 2. Répartition entre maisons et appartements (en %)
(Source : données Eurostat.)
100
80
60
40
20
Irl
an
Ro
de
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Gr
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Li
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Le
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ni
e
Es
pa
gn
e
0
(16) Données Eurostat.
(17) Detached houses.
(18) Semi-detached houses.
Maison
Appartement dans immeuble de moins de dix habitations
Appartement dans immeuble de dix habitations ou plus
Autres
72 le marché immobilier résidentiel en europe
8.4 / LE CRÉDIT IMMOBILIER
Figure 3. Encours par ménage propriétaire (en €)
(Source : Les marchés européens du crédit immobilier 2014 –
étude du Crédit Foncier)
L
e marché du crédit immobilier résidentiel (19) dans les
vingt-huit pays de l’Union européenne représentait, fin
2014, près de 6 000 milliards d’euros d’encours (5 991 milliards
d’euros). Les encours correspondent aux montants encore
dus (capital et intérêts) par l’ensemble des emprunteurs.
Ce montant global représente 88 % des encours de crédits
des particuliers de l’Union européenne ; les 12 % restants
étant constitués de crédits à la consommation.
Ces 6 000 milliards d’euros d’encours représentent
11 820 euros par habitant de l’Union européenne et 40 320
euros par ménage propriétaire.
Les disparités observées en Europe quant aux pourcentages
de propriétaires et aux prix immobiliers se retrouvent également dans le recours au crédit.
L’encours par ménage propriétaire s’étale, ainsi, de
189 839 euros par habitant au Danemark à 1 472 euros
en Roumanie. Les cinq premiers pays sont le Danemark
(189 839 euros), le Luxembourg (154 164 euros), la Suède
(81 191 euros), le Royaume-Uni (78 061 euros) et les PaysBas (77 722 euros).
C’est en Europe du Nord (20) que les ménages sont, en
moyenne, les plus endettés au titre du crédit immobilier.
L’Europe du Nord, qui n’abrite que 41 % de la population
européenne, représente pourtant 63 % des encours de crédits immobiliers de tout le continent.
Danemark
189 839
Luxembourg
154 164
Suède
81 191
Royaume-Uni
78 061
Pays-Bas
77 722
Irlande
65 742
Chypre
53 527
France
50 015
Allemagne
49 289
Finlande
47 224
Espagne
43 179
Autriche
42 455
Belgique
34 940
Portugal
34 757
Malte
29 563
Grèce
20 825
Italie
18 972
Estonie
13 520
Slovaquie
République
tchèque
Slovénie
10 587
8 175
Pologne
7 203
8 896
Lettonie
7 075
Croatie
5 356
Lituanie
5 021
Hongrie
3 228
Bulgarie
1 923
Roumanie
1 472
0
50 000
100 000
150 000
200 000
(19) Les données de cette troisième partie sont issues de l’étude du Crédit Foncier de mai 2015 réalisée avec le cabinet Asterès : « Les marchés européens du crédit
immobilier résidentiel en 2014 ».
(20) Définition identique : l’Europe du Nord comprend ici dix pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni
et Suède).
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
73
résidentiel
C’EST EN EUROPE
DU NORD QUE LES
MÉNAGES SONT,
EN MOYENNE, LES PLUS ENDETTÉS
AU TITRE DU CRÉDIT IMMOBILIER.
L’encours moyen par ménage propriétaire y est de
65 542 euros, soit 63 % de plus que la moyenne européenne.
Différents facteurs expliquent ce recours beaucoup plus
important au crédit immobilier que dans le reste de l’Europe :
◗ des économies plus dynamiques entraînant une baisse du
taux de chômage et un regain du marché immobilier dans
certains pays ;
◗ une proportion plus élevée de ménages propriétaires remboursant un crédit (cette proportion est deux fois plus élevée en Suède et aux Pays-Bas qu’elle ne l’est en France) ;
◗ une proportion de crédits in fine qui peut être significative :
l’emprunteur ne payant mensuellement que les intérêts du
prêt et remboursant le capital à la dernière échéance, le
niveau d’encours de crédit reste à un niveau élevé pendant
toute la durée du contrat ;
◗ des dispositifs de soutien gouvernementaux, en particulier
aux Pays-Bas et au Danemark avec un mécanisme de
déduction des intérêts des impôts ;
◗ des traditions culturelles avec un recours au crédit plus
important dans les pays d’Europe du Nord.
Les ménages sont globalement moins endettés dans le sud
de l’Europe (21), ce groupe de pays étant par ailleurs le plus
hétérogène des trois.
On y recense 34 % des encours de crédits immobiliers pour
39 % de la population européenne. Le crédit immobilier y
représente 87 % du total des encours de crédits souscrits
par les ménages.
L’encours moyen de crédits immobiliers par ménage propriétaire y est égal à 35 580 euros, soit 12 % de moins que la
moyenne européenne.
Différents facteurs expliquent ce recours inférieur à la
moyenne européenne, tout particulièrement l’impact de la
crise au cours des dernières années avec un effet direct
sur le marché immobilier dans certains pays (Espagne
et Grèce).
En Europe de l’Est (22), les ménages sont bien plus faiblement endettés.
L’Europe de l’Est représente seulement 3 % des encours de
crédits immobiliers et 20 % de la population européenne.
L’encours moyen de crédits immobiliers par ménage propriétaire y est égal à 5 540 euros, soit moins d’un septième
de la moyenne européenne.
Le recours à l’endettement est peu important : moins de 10 %
des ménages, seulement, ont un prêt ou une hypothèque en
cours.
Autre caractéristique : la part du crédit immobilier dans
l’endettement des ménages n’est que de 70 %, à comparer à
une moyenne européenne égale à 88 %, le recours au crédit
à la consommation y étant plus significatif, en proportion.
Les prix de l’immobilier sont faibles. Dans l’immobilier
neuf, l’écart du prix au mètre est de 1 à 3 entre, d’une part, la
Hongrie, la République tchèque et la Pologne et, de l’autre,
l’Europe occidentale (quand l’écart des prix à la consommation est de 1 à 2).
(21) Définition identique : l’Europe du Sud comprend ici sept pays (Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte et Portugal).
(22) Définition identique : l’Europe de l’Est comprend ici onze pays (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie,
Slovaquie et Slovénie).
74 le marché immobilier résidentiel en europe
Depuis plusieurs années, le marché du crédit immobilier
dans l’Union européenne progresse (+ 2,6 % en 2013 et
+ 2,0 % 2014, hors effets de change) dans son ensemble, mais
avec des mouvements assez disparates (+ 3,4 % en 2014 en
Europe du Nord, – 0,6 % en Europe du Sud et + 3,7 % en
Europe de l’Est).
Trois facteurs essentiels ont un impact direct sur l’évolution
des encours de crédits :
◗ amélioration de la conjoncture (hausse du revenu des
ménages, baisse du taux de chômage) ;
◗ baisse des taux d’intérêt (qui stimule la demande de crédit
et incite à s’endetter plus qu’à épargner) ;
◗ hausse du volume de transactions immobilières.
Cependant, l’influence de chacun de ces facteurs varie dans
de très fortes proportions selon les pays. Alors que le prix de
l’argent peut avoir un impact déterminant dans une région,
il sera faible ailleurs où, par exemple, l’amélioration de la
situation économique sera infiniment plus efficace.
En moyenne, en Europe, les encours de crédits immobiliers
représentent :
◗ 67 % du revenu disponible brut des ménages, dont 77 %
en Europe du Nord, 59 % en Europe du Sud et 28 % en
Europe de l’Est ;
◗ 15 % du patrimoine non financier des ménages, dont 20 %
en Europe du Nord, 11 % en Europe du Sud et 15 % en
Europe de l’Est.
Enfin, il existe, en Europe, différentes modalités de tarification. Trois catégories de prêts peuvent en particulier être
distinguées :
◗ les prêts dont le taux est variable, souvent indexé à un
taux de référence du marché avec ou non des limites qui
peuvent être préalablement définies ; en Europe du Sud,
la structure de taux variable est répandue pour des raisons
à la fois historiques et financières (structure traditionnelle
de refinancement) ;
◗ les prêts organisés en périodes successives de taux fixe
(le taux sera revu lors de chaque passage d’une période à
une autre) ;
◗ les prêts dont le taux demeure identique tout au long du
contrat ; avec plus de neuf financements immobiliers sur
dix dont le taux fixe reste le même du début à la fin du
contrat (sauf, bien entendu, renégociation de taux à la
baisse à l’initiative de l’emprunteur), la France est une
exception en Europe.
De façon générale, la proportion de taux fixes tend à augmenter dans l’ensemble de l’Europe pour diverses raisons.
D’une part, la crise des subprimes a montré les limites des
prêts à taux variable, qui peuvent provoquer des impayés
en quantité importante lorsque les taux remontent et augmentent le montant de la mensualité due par l’emprunteur.
D’autre part, il est beaucoup plus intéressant, pour un client,
de souscrire un taux fixe lorsque les taux sont très faibles,
comme c’est le cas depuis plusieurs années. Par ailleurs, en
période d’instabilité économique, les taux fixes apportent
une bien meilleure sécurité.
8.5 / CONCLUSION
E
n conclusion, ces différents éléments illustrent la
grande diversité qui caractérise le marché immobilier
résidentiel en Europe. Un marché du logement qui, en vertu
du principe de subsidiarité, n’est pas du ressort de l’Union
européenne mais de chaque État membre. Pour autant, qu’il
s’agisse de l’accès à la propriété, des moyens de le financer,
ou encore des modes d’habitation et de confort, les aspirations de nombreux Européens convergent et dépassent les
frontières nationales.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90