Les haches

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Les haches
Ce dossier a été réalisé avec Ghislaine Billand, archéologue à l’Inrap, Pierre Pétrequin, directeur de recherche au CNRS, les revues La
Recherche et la Revue archéologique de Picardie et avec le concours du Musée d’archéologie nationale.
Les haches
À l’occasion d’un diagnostic archéologique, à Vendeuil dans l’Aisne, deux haches ont été mises au jour, fichées verticalement,
tranchants vers le haut, à 30 cm l’une de l’autre. Sur place, aucun élément n’a contribué à les dater mais les deux haches ont une
forme très caractéristique qui permet de les comparer à d’autres haches trouvées en contexte et datées du néolithique (vers -4500).
Ces grandes haches polies de forme triangulaire appartiennent au type dit « Altenstadt », du nom d’un site d’Allemagne. Elles sont en
jadéitite, une roche rare de couleur verte dont l’analyse a permis de déterminer leur origine : les Alpes italiennes. De telles haches ont
été découvertes dans toute l’Europe occidentale, jusqu’à plus de mille kilomètres des carrières de jadéitite.
cotes hache 1 : L 18,7cm
l 10,5cm ép 2,3cm poids 540g
cotes hache 2 : L 15,6cm
l 8cm ép 1,6cm
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poids 300g
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Le site de Vendeuil (Aisne)
Depuis plus d’un siècle, la haute vallée de l’Oise, au sud-est de Saint-Quentin, fait l’objet d’extractions de sables et de graviers ; on y
recense de nombreuses carrières exploitant les alluvions anciennes de la rivière. Aujourd’hui la vallée est une zone plane de prairies
humides où le cours de la rivière se divise en plusieurs lits dessinant de petits méandres. Mais il n’en fût pas toujours ainsi… La
campagne de diagnostic archéologique réalisée préalablement à l’extension de la carrière de Vendeuil montre, grâce à l’étude
stratigraphique des sédiments déposés par la rivière, que ce milieu a subi d’importantes modifications au cours des millénaires. Durant
la période néolithique, il faut imaginer un paysage fluvial plus contrasté que celui qui s’offre à nous aujourd’hui. C’est alors un milieu au
relief plus marqué et au couvert végétal boisé, où les chenaux de l’Oise divaguent entre des îles formées par des dômes de grave. C’est
dans cet environnement très particulier de zone basse humide qu’ont été découvertes les deux haches polies, fichées verticalement
tranchant orienté vers le haut, dans les limons argileux.
L’environnement actuel de la haute vallée de l’Oise
© G. Billand, Inrap
Positionnement schématique du dépôt de haches dans des limons témoins d’une ancienne zone humide
© G. Billand, Inrap
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Une des haches lors de sa découverte
© G. Billand, Inrap
Le contexte
Le Néolithique est caractérisé par l’apparition de l’agriculture, de l’élevage, de la poterie permettant progressivement la sédentarisation
des populations. Cette « révolution », née au Proche-Orient vers -9000, touche le sud de la France vers -6000 en passant par la
Méditerranée et le Nord-Est, via le Danube, aux alentours de -5000. Plus tard, de nouvelles techniques comme le métal (le cuivre
apparaît dans nos régions au cours du 3ème millénaire) peuvent coexister avec les derniers outils en pierre, qui servent principalement à
défricher la forêt. Ainsi les deux haches trouvées à Vendeuil présentent une usure du tranchant prouvant leur utilisation comme outil
d’abattage. Mais ces haches n’étaient pas uniquement des outils : la rareté de la roche en fait également des marqueurs d’un statut
social particulier. Au cours du 5ème millénaire, des haches en jadéitite se sont retrouvées entre les mains de personnages importants
dans la région du Golfe du Morbihan ; elles ont parfois aussi été représentées dans des contextes sacrés, comme sur des stèles
monumentales.
Haches polies de Bernon, commune d’Arzon (Morbihan)
Ve IVe mill. av. JC
© Loïc Hamon, MAN ST Germain-en-Laye
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Mode d’exploitation et de diffusion de la jadéïtite
Des analyses spectroradiométriques (analyses non destructrices basées sur la mesure de la réflectance) ont permis de reconnaître la
provenance de la roche utilisée pour ces 2 haches : les Alpes italiennes, et plus précisément le massif du Mont Viso. Là-bas ont été
découvertes des carrières d’extraction de jadéitite datées du Néolithique, vers 2400 m d’altitude. La matière première était
vraisemblablement récoltée sous la forme de blocs ou de plaquettes, pour certains taillés sommairement sur place afin d’obtenir des
ébauches. Blocs et ébauches étaient ensuite descendus en vallée et transformés en haches par polissage, avant d’être entraînés dans
des échanges à longue distance.
Massif du Monviso, Alpes italiennes (alt. 2400 m)
Les populations néolithiques rapportaient des lieux d’exploitation des blocs bruts, des plaquettes ou des préformes.
© P. Pétrequin, CNRS
La matière première pouvait voyager sur plus d’une centaine de kilomètres, comme cette ébauche sciée retrouvée à Lugrin, en HauteSavoie. Musée-château d’Annecy.
© P. Petrequin, CNRS
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Lames de haches polies en jadéitite provenant des Alpes italiennes, découvertes au Danemark. D’autres exemplaires ont été retrouvés
jusqu’en Ecosse.
© P. Pétrequin, CNRS
Diffusion et répartition des grandes haches polies en roche alpine en
Europe occidentale
Des haches en jadéitite tirée des gîtes italiens ont été trouvées dans toute l’Europe nord-occidentale : un premier axe de diffusion
permet le transfert en Suisse, en Allemagne, et au Danemark. Le deuxième axe passe par la France, la Grande-Bretagne, l’Ecosse, et
l’Irlande ; le troisième concerne le sud de la France, la Catalogne et la Bretagne. La diffusion de ces haches s’est vraisemblablement
effectuée sur une très longue période : dans les Alpes, elle commence vers -4900 ; elle atteint la Bretagne vers -4500 / -4300 (soit 800
à 900 kms des carrières d’extraction) ; l’Ecosse ne sera pas touchée avant -4000 (1700 km des carrières) Dans toutes les franges
maritimes de l’Europe, les haches en roche alpine sont restées des objets très rares, à haute valeur sociale.
© carte : P. Petrequin/CNRS
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Les fonctions des haches
Pour comprendre la fonction de ces grandes haches d’origine alpine, les chercheurs se sont tournés vers des cultivateurs de NouvelleGuinée qui, dans les années 1980-1990, utilisaient encore des haches de pierre. Dans ces exemples ethnographiques, les haches
circulent depuis les carrières en direction des utilisateurs lointains et leur fonction est modifiée selon la distance : de façon générale,
près des carrières ce sont des outils pour abattre la forêt, mais avec la rareté, les haches de pierre sont utilisées par les hommes et par
les élites pour afficher les inégalités sociales.
Le jeu des scientifiques a été de comparer ces situations ethnographiques actuelles avec les situations du néolithique, pour en
comprendre le fonctionnement.
En Europe, au Néolithique, la présence de ces haches polies en roche rare, loin de leur lieu d’extraction, correspond probablement à des
échanges entre élites. Certaines de ces haches étaient si longues qu’elles ne pouvaient vraisemblablement plus être utilisées pour
abattre les arbres ; il s’agissait non plus d’outils mais d’objets de grande valeur dont la rareté augmentait avec leur distance aux
carrières. Il est même possible que les haches au poli exceptionnel trouvées en Ecosse ou au Danemark aient été attribuées non plus à
des personnages importants mais dédiées à des puissances sur-humaines.
Il est envisageable, dans cette hypothèse, que les deux haches de Vendeuil, fichées verticalement dans une zone marécageuse,
appartiennent à cette catégorie des objets sacrés.
En Nouvelle-Guinée, la fabrication des haches est exclusivement faite par les hommes, parfois par des spécialistes à temps partiel.
Langda (groupe una, Jayawijaya, Irian Jaya)
© P. Petrequin, CNRS
Taille d'une préforme de lame d'herminette. Langda (Kp Jayawijaya, Papua, Indonésie).
© P. Petrequin, CNRS
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Abattage à la hache à manche monoxyle. Ye-Ineri (Kp Paniai, Papua, Indonésie).
© P. Petrequin, CNRS
Hache à manche monoxyle et mortaise décoré au feu.
Fabrication Tiengen Gire
Lame de pierre entièrement polie à section lenticulaire. Roche à glaucophane
Ye-Ineri, Kp Paniai, Papua Barat. Groupe WANO
© J-G. Berizzi, RMN
Hache à manche monoxyle et mortaise
Fabrication Tiengen Gire. Lame de pierre entièrement polie à section ovalaire
Roche à glaucophane avec inclusions de pyrites, provenant de la rivière en contrebas du village
Ye-Ineri, Kp Paniai, Papua Barat. Groupe WANO
© J-G. Berizzi, RMN
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Certains chefs de lignage se réservent le droit de présenter en public une hache polie qui marque leur statut. Sentani (Kp Sentani,
Papua, Indonésie).
© P. Petrequin, CNRS
Très grande hache d’échange type ye-yao, à décor en fibres d’orchidée tréssées jaunes, et pendentifs : deux défenses de sanglier
refendues, polies et perforées, sept lanières de peau de marsupial arboricole (Kus maculatus et Kus pochon coklat), et treize
enveloppes épineuses de larves, réparties en deux groupes sur les côtés de la hache.
Roche à glaucophane des carrières de Wang-Kob-Me. Probablement Baliem ou Dani de l’ouest, Kp Jayawijaya, Papua Barat. Groupe
Dani. Achat à Wamena et don B. Théry
© J-G. Berizzi, RMN
Grande hache d’échange polie, type Yé-yao femelle, à extrémité distale tranchante ; décorée d’une jupe de femme mariée, en fibres
d’orchidée tressées jaunes, un pendentif en peau de lapin ; une bande longitudinale de peinture ocre sur chaque face.
Roche des carrières d’Awigobi (métabasite à amphibole). Baliem, Kp Jayawijaya, Papua Barat. Groupe Dani. Achat à Wamena
© J-G. Berizzi, RMN
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Longues lames en pierre polie
Baliem, Kp Jayawijaya, Papua Barat.
Groupe Dani
© Hugo Maertens (Bruges), BNP Paribas
Crédits
Auteurs
Ghislaine Billand, archéologue à l’Inrap
et Pierre Petrequin, archéologue, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire de chrono-écologie de Besançon
Conception éditoriale et suivi de production
Marine Dubois, Inrap
Rédaction
Armelle Clorennec, Inrap
Prises de vues et réalisation des Quick Time VR des haches :
Denis Glicksman, La Grange numérique
Conception et réalisation des socles des haches :
Aïnu
Réalisation multimédia : Eclydre
Direction de projet : Thierry Cherpitel
Design : Jean-Philippe Goussot
Développement : Thomas Roy
Remerciements :
M. Errera, S. Cassen et L. Klassen pour leurs travaux de recherches
Service régional de l’archéologie de Picardie
Carrières et ballastières de Picardie (CBP), filiale commune de Holcim Granulats et Morillon-Corvol.
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