Remarques sur les verbes de perception et la sous
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Remarques sur les verbes de perception et la sous
Remarques sur les verbes de perception et la sous-catégorisation Marie Labelle Université du Québec à Montréal Cet article porte essentiellement sur le verbe voir, ce verbe étant, non pas nécessairement le plus typique des verbes de perception en ce qui concerne sa sous-catégorisation, mais probablement celui qui admet le plus large éventail de constructions. Les constructions suivantes seront discutées. (1) a Jean voit que Pierre pleure. b Jean voit Pierre pleurer. c Jean voit pleurer Pierre. d Jean voit Pierre qui pleure. Les propriétés syntaxiques et sémantiques de ces différentes constructions seront étudiées. Poursuivant les hypothèses de Rochette (1988) sur la correspondance syntaxesémantique, il sera montré que les propriétés des différents types de compléments phrastiques du verbe voir semblent compatibles avec les hypothèses suivantes : le complément à temps conjugué (1a) correspond à une PROPOSITION; le complément à l'infinitif (1b, 1c), parfois à un ÉVÉNEMENT parfois à une ACTION; et le NP suivi d'une relative prédicative (1d) correspond à un OBJET. Les définitions qui seront adoptées pour ces différentes catégories sémantiques, ainsi que les hypothèses sur leur réalisation canonique lexicale, fondées sur celles de Rochette (1988), sont les suivantes : – La catégorie sémantique ACTION, dont la réalisation canonique est V, correspond à un événement réduit qui n'a pas d'existence indépendante de l'événement dénoté par le verbe principal (Pierre veut partir). Le complément phrastique correspondant est un VP ; les 2 compléments verbaux dans les constructions dites à restructuration sont de ce type. – La catégorie sémantique ÉVÉNEMENT, dont la réalisation canonique est I — que l'on pourrait traduire par T, si l'on admet une multiplicité de catégories fonctionnelles —, correspond à une Action dont la réalisation est indépendante de l'événement décrit par le verbe principal. Il s'agit d'une description définie d'une action ou d'un état de fait qui n'a pas de valeur de vérité propre. Le complément phrastique correspondant est un IP à l'infinitif ou un C' au subjonctif. – La catégorie sémantique PROPOSITION, dont la réalisation canonique est C, correspond à un Événement dont la valeur de vérité peut être affirmée ou niée indépendamment de celle de la principale. Le complément phrastique correspondant est un CP à l'indicatif. – La catégorie sémantique OBJET a comme réalisation canonique un N. Dans les sections suivantes, les propriétés sémantiques et syntaxiques des constructions (1a-d) sont étudiées en fonction de ces hypothèses. Les difficultés seront notées au fur et à mesure qu'elles se présentent. 1. Complément à temps conjugué vs complément à l'infinitif Presque tous les chercheurs ayant travaillé sur les verbes de perception ont mentionné que le complément à temps conjugué a des caractéristiques sémantiques distinctes de celles du complément à l'infinitif. Ces différences sont rappelées ici, ainsi que des faits moins connus. 1.1. Perception indirecte Si une phrase de type X a vu [ NP VP inf ] implique généralement la perception directe de φ, le type X a vu [ que P] n'implique pas qu'il y a eu perception directe de φ et suggère plutôt au contraire qu'il n'y a pas eu de perception directe (p. ex. Schwarze 1974, Akmajian 1977, Gee 1977, Schepping 1985, Burzio 1986, Guasti 1992b : 236). (2) a J'ai vu à son air que Marie s'est disputée avec son fils. 3 b J'ai vu (*à son air) Marie se disputer avec son fils. Le complément en que P permet d'exprimer, non pas le contenu de perception, mais un fait déduit à partir d'une perception sensible. Ce fait a une valeur de vérité indépendante de celle du verbe principal, ce qui est une caractéristique du type sémantique Proposition. Il est toutefois rarement remarqué que j'ai vu NP V inf n'exige pas nécessairement des compléments directement perceptibles: (3) Ainsi le particulier se connaît d'abord comme force. Nous l'avons vu ensuite se connaître comme image. (Claudel P. 1907. Art poétique, p. 187)1 Ce type de construction se rencontre souvent en contexte littéraire où le verbe voir fait référence à une information donnée quelques pages plus tôt. Elle est aussi observée avec un verbe à temps conjugué. (4) Nous avons vu qu'il est impossible de tracer d'avance à notre parti une tactique valable pour tous les cas. (Jaures J. 1901. Etudes socialistes, P. 63) Bien qu'il ne décrive pas un contenu de perception directe, immédiate, le complément à l'infinitif dans cette construction décrit objectivement le contenu du texte précédent et ne semble pas pouvoir faire référence à une conclusion tirée à partir de ce contenu, ce que permet la construction à temps conjugué. 1.2. Temps Dans X a vu [ que P], φ peut être à un temps différent de celui de la principale (5a). Dans X a vu [ NP VPi nf], il y a nécessairement simultanéité entre la perception et l'action perçue (5b) (cf. Schwarze 1974, Radford 1975, Guasti 1992). (5) a Je vois que Jules a parlé à Pierre hier. b *Je vois Jules parler à Pierre hier. 4 L'indépendance de temps par rapport à la principale caractérise les compléments de type Proposition. 1.3. Présupposition Barwise (1983) a proposé que les compléments infinitifs des verbes de perception (en anglais) aient les propriétés sémantiques décrites par les principes de véridicité et d'exportabilité des quantifieurs, propriétés admises par Higginbotham (1984 : 154) qui en donne les définitions suivantes (où «phrase sans support S» correspond au complément infinitif dans la phrase : John saw [S Mary cry]) : (6) a Principe de véridicité : Si la phrase sans support S ne contient pas de quantificateur, et si S' est la phrase finie au présent qui correspond à S, alors (I) est vraie : (I) b Si John voit S, alors S'. Principe d'exportabilité : Les quantificateurs existentiels qui ont portée large dans la phrase sans support complément d'un verbe de perception sont exportables. En particulier, toutes les conditionnelles du type (I) sont vraies : (I) Si John voit quelqu'un partir, alors il existe quelqu'un que John voit partir. Selon Higginbotham (1983, 1984 : 154), le principe de véridicité est valable non seulement pour les phrases sans quantifieur, mais aussi pour certains compléments quantifiés comme en (7), donné comme ayant une vérité évidente. (7) Si Jean a vu quelqu'un partir, alors quelqu'un est parti. L'inférence en (7) n'est cependant pas valide : Sachant que Jean a vu quelqu'un partir, je suis toujours en mesure de me demander s'il y a vraiment quelqu'un qui est parti, si Jean n'a 5 pas mal interprété ce qu'il voyait (voir aussi Bayer 1986 : 37). On a par exemple : (8) Pierre commence à perdre la tête : hier, il a vu une soucoupe volante atterrir dans son jardin ! En fait, dans la construction avec une proposition à temps conjugué (9a), le locuteur se prononce sur la vérité de la situation perçue ; avec une proposition à l'infinitif (9b), le locuteur ne se prononce pas nécessairement sur la vérité de la situation perçue : (9) a Pierre a vu qu'une soucoupe volante avait atterri dans son jardin. : implique b une soucoupe volante a atterri dans son jardin. Pierre a vu une soucoupe volante atterrir dans son jardin. : n'implique pas une soucoupe volante a atterri dans son jardin. De même, avec la négation dans la principale : (10) a b Pierre n'a pas vu que François est parti. : implique que François est parti Pierre n'a pas vu François partir. : François est peut-être encore là Autrement dit, dans X a vu [ que P], φ est présupposé: sa vérité est assumée par le locuteur et probablement par X. Au contraire, dans X a vu [ NP Vinf], φ n'est pas présupposé ; il est posé comme complément de perception de X. Sa vérité est assumée par X, mais pas nécessairement par le locuteur. En ce sens, sa valeur de vérité n'est pas indépendante de celle de la principale. De même dans (11)-(12) (cf. Higginbotham 1984 : 154) : (11) a b (12) a b Jean a vu que personne n'est parti . : implique que personne n'est parti. Jean n'a vu personne partir. : n'implique pas que personne n'est parti. Jean a vu que peu d'enfants ont joué. : implique que peu d'enfants ont joué. Jean a vu peu d'enfants jouer. : n'implique pas que peu d'enfants ont joué. Bayer (1986 : 10) souligne aussi le contraste suivant, montrant que le complément à temps conjugué implique que le sujet du verbe de perception réalise ce qui se passe, qu'il 6 assume le contenu de cette proposition. (13) a La mère a entendu que son bébé criait (*mais elle n'a pas réalisé que c'était SON bébé). b La mère a entendu son bébé crier (mais elle n'a pas réalisé que c'était SON bébé). 1.4. Dominance Le complément des verbes propositionnels est normalement dominant. On sait qu'un complément est dominant s'il est possible de continuer la phrase en le niant (Paul croit que François est parti, mais ce n'est pas vrai, il est resté ici). Dans le cas des verbes de perception, aucun des deux types de compléments n'est dominant, mais pour des raisons différentes. (14) a b #Pierre a vu que François est parti, mais ce n'est pas vrai, il est resté ici. #Pierre a vu François partir, mais ce n'est pas vrai, il est resté ici. La continuation en (14a) contredit la présupposition inhérente à la principale. En (14b), l'événement décrit par la subordonnée, bien que distinct de celui de la principale, n'a pas de valeur de vérité propre, indépendante de celle de voir. François partir décrit le contenu de perception : je ne peux nier ce contenu de perception, mais je peux me questionner sur l'adéquation de ce contenu de perception avec la réalité. 1.5. Question indirecte Selon Rochette, les verbes émotifs sélectionnent sémantiquement un Evénement. Lorsqu'un verbe émotif se construit avec un complément à temps conjugué, ce complément est au subjonctif (Je souhaite que tu partes) et ce ne peut pas être une question indirecte (*Je souhaite où tu partes/partiras). Rochette suggère que le complément au subjonctif est un C', c'est-à-dire que SpecCP n'est pas projeté. Ceci rend compte de l'exclusion des questions 7 indirectes, puisqu'il n'y a pas de site d'atterrissage possible pour le mot WH. Les verbes propositionnels se distinguent des verbes émotifs en ce que leur complément, à l'indicatif, est un CP 'complet', qui peut être une question indirecte (Il n'a pas dit si elle venait ou non). Puisque le complément à temps conjugué d'un verbe comme voir est à l'indicatif et qu'il peut s'agir d'une question indirecte, on en déduit qu'il s'agit bien d'un CP 'complet'. (15) a j'ai vu à quel point la vie de cet écrivain si bassement calomnié est en harmonie avec ses livres (Bloy, 1900 Journal, 1, p. 305) b …tu as vu de quel air parfois il la regardait (Claudel P. 1901. La J.F. Violaine 2., p. 584) Remarquons toutefois qu'un complément au subjonctif est possible dans un emploi distinct, où la vérité du complément n'est plus présupposée: (16) Je ne vois pas qu'on puisse affirmer cela dans les circonstances actuelles. Cet exemple pourrait être analysé comme dénotant un Événement (un C'), le contexte irrealis illustré par cet exemple étant justement l'un des contextes identifiés par Safir (1993) comme admettant, en anglais, le sujet explétif there en position sujet du verbe infinitif, la présence de there étant prise comme indice de la présence d'une projection IP (au lieu d'un VP nu). Mais, dans ce type d'emploi, où le verbe principal est nié, on trouve des questions indirectes à l'infinitif. (17) Je ne vois pas comment résoudre le problème. Il y a clairement un problème à résoudre ici, en ce qui concerne la correspondance syntaxesémantique des compléments irrealis. 1.6. Restrictions sur le type de verbe subordonnée Dans X a vu [ que P], il ne semble pas y avoir de restriction sémantique sur φ, cette 8 absence de contraintes pouvant être prise comme un signe de l'indépendance de la proposition. Dans X a vu [ NP Vinf ], il y a des restrictions sur le type de verbe possible dans la subordonnée; en particulier, il y de fortes contraintes sur la présence de verbes statifs (Radford 1975). (Mittwoch (1990) suggère en fait que la construction avec infinitif nu en anglais soit limitée aux 'événements' dans le sens restreint de 'procès non statifs'). (18) a b (19) a b J'ai vu qu'il ressemblait à son père #Je l'ai vu ressembler à son père J'ai vu qu'il connaissait la réponse #Je l'ai vu connaître la réponse Cette contrainte sur les verbes statifs n'est cependant pas absolue. On trouve par exemple des verbes statifs en contexte irrealis, les contraintes sur le type sémantique du complément étant moins fortes lorsqu'il ne s'agit pas de perception directe (cf. Achard 1993 : 93 ss, Safir 1993) (voir aussi exemple (3)) : (20) Sauf de très rares exceptions, on n'a jamais vu un français aimer ce dont il ne peut parler. (Lhote A. 1942. Peinture d'abord, p. 139) Dans l'exemple (21), il semble pourtant s'agir d'un cas de perception directe: (21) J'ai vu des os blancs traîner dans les gravats (Colette G. 1900. Claudine à l'école, p. 80) En résumé, il existe des raisons de croire que le complément à l'indicatif d'un verbe comme voir est, sémantiquement, une Proposition et, syntaxiquement, un CP. Par ailleurs, le fait que la valeur de vérité du complément à l'infinitif lorsqu'il décrit un contenu de perception directe n'est pas indépendante de celle du verbe de perception et que son temps n'est pas distinct de celui du verbe de la principale appuie l'hypothèse que ce complément est sémantiquement un Evénement ou une Action, mais pas une Proposition. Les faits sont moins 9 clairs lorsque le complément à l'infinitif ne décrit pas un contenu de perception directe, ce qui soulève le problème de ce type de complément. 2. Le complément infinitif à sujet préverbal Puisque, dans les exemples que nous avons examinés, l'événement décrit dans la proposition infinitive est distinct de celui décrit par le verbe de perception, il semble que l'on doive considérer qu'il s'agit du type sémantique Événement (des arguments supplémentaires pour considérer ce type de complément comme dénotant un Événement sont donnés à la section 4. Voir aussi Bayer 1986, Mittwoch 1990). Si c'est le cas, l'on prédit qu'il devrait s'agir d'une projection de niveau IP. Ceci trouve confirmation dans les faits ci-dessous. 2.1. Placement de clitiques Puisque le sujet du verbe infinitif reçoit un Cas du verbe de perception et qu'il est cliticisable sur lui, il est naturel de considérer qu'il est gouverné par ce verbe dont il reçoit le Cas de manière exceptionnelle, et donc que la proposition infinitive ne projette pas jusqu'à CP (cf. p. ex. Rizzi 1992). (22) Mais on l'avait vu s'arrêter, puis revenir sur ses pas et prendre un autre chemin (Duhamel, G. 1941. Suzanne et les jeunes hommes. Chronique des Pasquier T9, p. 132) 2.2. Négation et quantifieurs flottants Le gouvernement du sujet de la proposition infinitive par le verbe principal rend compte du fait qu'un sujet négatif devant le verbe infinitif déclenche l'apparition du ne de négation sur le verbe principal : (23) a b Nous n'avons vu [personne partir] *Nous avons vu [personne ne partir] 10 Si le sujet négatif est rien, il peut sortir de la proposition infinitive et apparaître devant le participe passé vu. (24) Mais je n'ai jamais rien vu sortir des matériaux de hasard s'ils ne trouvaient point en quelque esprit d'homme leur commune mesure. (Saint-Exupery A. de. 1944. Citadelle, p. 888) Par ailleurs, si le sens le permet, ne peut apparaître sur verbe principal quand il y a un mot négatif en position objet de l'infinitive. D'après Rochette (1988 : 286), ceci est possible seulement si le complément est un IP (c.-à-d. n'est pas un CP). (25) a Nous n'avons vu les policiers arrêter personne = Il n'y a personne tel que nous ayions vu les policiers l'arrêter. b Nous avons vu les policiers n'arrêter personne = Nous avons vu qu'il n'y a personne que les policiers aient arrêté. Enfin, bien que restreinte, la négation est possible sur le verbe subordonné : (26) a J'ai cru voir Pierre ne pas s'arrêter au feu rouge. b J'ai vu Alice ne rien donner à personne c Or, il ne m'est pas arrivé une seule fois de voir réussir les expériences à blanc, comme je n'ai jamais vu l'ensemencement des poussières ne pas fournir de productions organisées. (Rostand J. 1943. La Genese de la Vie, p. 110) Si l'on admet que ne est un indice de la présence de I (au moins de T), la possibilité de trouver la négation de phrase dans cette construction, précédée d'un NP sujet, indique qu'il s'agit au moins d'un IP (c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'un VP nu). (Cette négation n'est pas une négation de constituant. On aurait une négation de constituant (de VP) dans J'ai vu Alice non pas partir, mais arriver.) 11 2.3. Sujet générique pour l'infinitive (proarb) Selon Guasti (1992b : 207 ss), la présence d'un pro en position sujet de l'infinitive signale la présence d'un AGRSP (donc IP) en italien et en espagnol, possibilité qu'elle croit exclue en français (*Je n'ai jamais vu se défendre si habilement; *j'ai même vu nager complètement vêtu; *j'ai vu voler des livres en les cachant sous le manteau), non pas parce que l'infinitive ne projetterait pas jusqu'à AGRSP, mais parce qu'en français, AGRS-1 n'étant pas pronominal, il ne serait pas en mesure de rendre licite un pro. Cependant, les exemples suivants montrent que proarb est possible en français. (Il reste qu'il faut expliquer les différences notées par Guasti (1992b : 205-206) entre le français d'une part et l'italien et l'espagnol d'autre part relativement à la grammaticalité des phrases comportant des proarb). (27) a Je n'ai jamais vu sabler une messe comme ça. (Bloy L. 1907. Journal T. 2, p. 61, 26 avril) b Ce n'est pas que j'aie le goût de la guillotine. J'ai vu guillotiner. (Barres M. 1908. Mes cahiers T. 6 1907-1908, p. 333) c Dans tous ces discours, je n'ai pas entendu ce qui doit faire au-dessus de tout notre souci. Je n'ai point vu chercher, invoquer l'intérêt durable de l'état français. (Barres M. 1907. Mes cahiers T. 5 1906-1907, p. 41) d As-tu vu pétrir la glaise? De correction en correction sort le visage, et le premier coup de pouce déjà était correction au bloc de glaise. (Saint-Exupéry A. de. 1944. Citadelle, p. 792) Selon Zubizarreta (1987 : 108-109) pour les causatives — auxquelles elle semble rattacher les verbes de perception —, le sujet générique est présent lexicalement mais pas syntaxiquement, ce qui veut dire que les exemples ci-dessus pourraient être de purs VP. Mais la présence d'un complément de manière portant sur le sujet dans l'exemple suivant suggère 12 que le sujet générique est bien présent syntaxiquement. (28) On n'a jamais vu [proarb perdre sa cause avec autant d'entrain.] (Rolland R. 1909. J-Ch dans la maison, P. 1051) En résumé, les faits ci-dessus suggèrent que le complément à l'infinitif avec sujet préverbal est un IP. Le cas du passif, discuté immédiatement ci-dessous, soulève toutefois des questions intéressantes. 2 . 4 . Passif Il est souvent affirmé que le complément infinitif ne peut pas être au passif (p. ex. Radford 1975). Si la présence de l'auxiliaire passif est comprise comme indiquant la présence d'un niveau de projection fonctionnelle au-dessus du VP, l'absence de passif avec les compléments à l'infinitif pourrait suggérer que ces compléments sont de purs VP (il faudrait alors expliquer la présence du ne de négation lorsqu'il est observé). En fait, le passif est possible, mais dans le contexte d'un roman, c'est-à-dire dans le contexte où il n'y a pas perception directe de l'événement. Comparer (29a) à (29b): (29) a Nous avons vu François être frappé de terreur à l'annonce de cette nouvelle. b *Je vois François être frappé de terreur/être frappé par Julie. On remarque que, dans ce cas-ci, le complément à l'infinitif partage certaines propriétés avec les compléments à temps conjugués. En particulier, la vérité du complément est présupposée. De plus, on peut observer des cas d'extraction du sujet du verbe infinitif dans des contextes où ce sujet est exclu in situ. Alors que (30a) semble très difficile, même dans le contexte de l'écrit, (30b) est acceptable : (30) a b *Nous avons vu cette solution être impraticable Cette solution que nous avons vu être impraticable… 13 Selon Rochette (1988 : 332), cette propriété est limitée aux verbes propositionnels (cf. Cet homme que je crois être malade). Elle suggère que dans ce cas, il y a peut-être un CP (abstrait) permettant l'extraction. Les compléments infinitifs des verbes de perception pourraient donc ne pas être homogènes, certains étant des IP, d'autres, particulièrement lorsqu'il ne s'agit pas de perception directe, des CP, ce qui soulève la question de la prédiction de leurs propriétés. S'il s'agit d'emplois propositionnels, pourquoi les compléments ci-dessus sont-ils à l'infinitif?2 3. Infinitif à sujet préverbal vs infinitif à sujet post-verbal En ce qui concerne le type X a vu [ Vinf NP], les exemples suivants montrent qu'il s'agit d'une construction à restructuration, puisque lorsque le verbe infinitif est transitif, son sujet apparaît comme complément prépositionnel (Burzio 1986, Kayne 1975, Rizzi 1982, Rouveret et Vergnaud 1980) : (31) a b Je l'ai vu faire à Jean. Je le lui ai vu faire. Parmi les analyses du phénomène de restructuration, certaines (p. ex. Burzio 1986) ont pour effet de déplacer une projection du verbe infinitif hors d'un IP pour le rapprocher du verbe principal. Rochette (1988) propose plutôt que les compléments de verbes à restructuration dénotent sémantiquement des Actions et correspondent syntaxiquement à des VP. Les faits ci-dessous suggèrent qu'en effet, dans le type X a vu [ V inf NP], l'infinitive ne comporte ni Temps, ni sujet structural en SpecIP. Le complément infinitif serait donc soit un VP nu, soit un VP dominé par une projection flexionnelle de type INF(INITIF)'. 3.1. Adverbe portant sur le sujet Un complément adverbial portant sur le sujet peut modifier le sujet du verbe infinitif 14 lorsque celui-ci est préverbal, mais pas lorsqu'il est postverbal. (32) a On a vu Pierre chanter à regret = Pierre a des regrets b On a vu chanter Pierre à regret = "On" a des regrets c On a vu Pierre chanter avec entrain d #On a vu chanter Pierre avec entrain (33) a b Jean a vu les enfants partir sans avoir mangé #Jean a vu partir les enfants sans avoir mangé Les faits s'expliquent si le sujet post-verbal est dominé par V' ou SpecVP, c'est-à-dire s'il se trouve dans une position structurale d'où il ne c-commande pas l'adverbe (ceci suppose bien entendu que l'adverbe portant sur le sujet est au moins adjoint à VP). 3.2. Contrôle dans un complément temporel Si l'on essaie d'ajouter une proposition temporelle à l'infinitif à une phrase comportant un complément de verbe de perception à l'infinitif, on remarque que le sujet implicite du complément temporel ne peut pas être contrôlé par le sujet postverbal du complément de perception. (34) a b J'ai vu Pierre chanter avant de PRO partir. (PRO : je ou Pierre) J'ai vu chanter Pierre avant de PRO partir. (PRO : seulement je) Ces faits s'expliquent si la circonstancielle de temps s'attache à un IP (plus précisément TP), c'est-à-dire à un constituant possédant une valeur temporelle, et si le type [V NP] ne comporte pas de noeud I (ou T). Cette hypothèse est en mesure de rendre compte du contraste suivant, du même type, mais avec un pronom exprimé plutôt qu'un PRO : (35) a b J'ai vu l'avion planer juste avant qu'il n'explose #J'ai vu planer l'avion juste avant qu'il n'explose 15 3.3. Négation Alors que la négation était possible (bien que marginalement) avec le type [NP V], elle est exclue avec le type [V NP]. (36) a b J'ai vu Pierre ne pas chanter. *J'ai vu ne pas chanter Pierre. Ceci s'explique si ne s'attache à une projection de I, et s'il n'existe pas de noeud I dans la construction [Vinf NP]. 3.4. Montée du sujet La montée du sujet est possible avec la construction avec sujet préverbal, mais pas lorsque le sujet est postverbal. (37) a b Je n'ai jamais vu Jean sembler aussi perdu. *Je n'ai jamais vu sembler Jean aussi perdu. (37a) s'explique si le sujet du prédicat le plus enchâssé, Jean, est monté en position sujet (SpecIP) de l'infinitive complément du verbe de perception. Si (37b) était le résultat d'un déplacement ultérieur du verbe infinitif par-dessus ce sujet en SpecIP, on pourrait peut-être s'attendre à ce que la phrase soit acceptable, à condition que le complexe restructuré voir+sembler soit capable de rendre licite le sujet post-verbal (p. ex. de lui donner un Cas). Le fait que (37b) est exclu peut s'expliquer par le fait que la construction avec sujet post-verbal ne comporte pas de position SpecIP susceptible de recevoir Jean. 3.5. Inversion simple et inversion locative Plusieurs chercheurs proposent que la position postverbale du sujet de l'infinitive résulte de l'incorporation du verbe infinitif au verbe principal (p. ex. Guasti 1989, Vet 1987, Zubizarreta 1985, 1987). L'exemple suivant où le complément de manière est un complément 16 du verbe principal, permet d'exclure ce type d'analyse, puisque les deux verbes sont ici séparés par un constituant. (38) Je voyais avec tristesse s'éloigner le moment du départ. L'exemple (39) est semblable au précédent si le complément locatif est un complément du verbe principal. (39) …je voyais à l'horizon s'amonceler les nuages (Gaulle Ch. de. 1959. Mémoires de guerre: le salut, p. 103) Cependant, il semble s'agir d'une construction à inversion locative, parallèle à la phrase simple A l'horizon s'amoncellent les nuages. Si c'est le cas, le complément de temps pourrait être dans SpecIP de l'infinitive et on aurait ici affaire à un IP (si l'on admet cette analyse de l'inversion locative). Ceci suggère la possibilité qu'il y ait (au moins) deux constructions avec sujet postverbal: VP ou IP avec inversion (locative) du sujet. 3.6. VP sans sujet Alors que dans certains cas, comme en (39), la position postverbale du NP semble résulter d'une inversion du sujet, dans d'autres cas, il est plausible d'analyser la construction comme un VP sans sujet, le NP étant en position d'objet direct, SpecVP étant radicalement vide. C'est le cas des exemples suivants : 3.6.1. En complément des verbes de perception, on observe une construction du type faire-par, qui ressemble à un passif sans auxiliaire, le sujet logique du verbe étant réalisé dans un groupe prépositionnel en par. (40) a Il n'eut pas de peine à se diriger à tâtons jusqu'à la petite porte qu'il avait vu percer par les maçons. (Boylesve R. 1902. La leçon d'amour dans un parc, p. 220) b …ce Gonzalo qui ne vit glorifier son nom que par ses bâtards… (T'Serstevens A. 17 1963. L'itineraire espagnol, p. 200) Ces faits sont compatibles avec l'hypothèse que dans le passif sans auxiliaire, l'objet thématique du verbe est dans sa position de base, la position SpecVP étant radicalement vide. C'est l'analyse proposée par Guasti (1992 : 217). Remarquer qu'en l'absence de morphologie passive, le verbe continue de donner le Cas accusatif à son objet. Lorsque l'auxiliaire est présent, l'objet logique du verbe n'apparaît pas en position postverbale (*…la petite porte qu'il avait vu être percée par les maçons). 3.6.2. Les constructions suivantes ressemblent fort à des constructions impersonnelles enchâssées sous le verbe de perception : Il en subsiste encore quelque chose; il y dansait des poussières. (41) a J'ai écrit sur la maison, j'en ai vu subsister encore quelque chose (Barres M. 1907. Mes cahiers T. 5 1906-1907, p. 295) b On y voyait danser des poussières, des fumées (Sartre J.-P. 1964. Les mots, p. 98) Ce type de faits est compatible avec l'hypothèse qu'on a affaire ici à des VP sans sujet. Selon Guasti, les infinitives en (41) sont plutôt des AGRSP comportant un pro explétif rendu licite par AGR. Cette analyse découle bien sûr crucialement d'une hypothèse théorique sur les conditions de légitimation des pro explétifs. 3.6.3. On peut mentionner aussi le fait que dans la construction avec NP postverbal, on retrouve le plus souvent des verbes de changement de lieu ou d'état — donc des verbes susceptibles d'entrer dans une construction inaccusative ; mais on notera que dans ces exemples les sujet postverbaux sont très souvent définis, ce qui constitue un argument contre une analyse inaccusative, à moins que la contrainte de définitude ne joue pas dans ce cas-ci : (42) a Le boer tenait dans sa main fermée la courte pipe dont, lui, Dingley, avait vu briller la braise; (Tharaud J. et J. 1906. Dingley, l'illustre écrivain, p. 150) 18 b …ainsi, chez ces mêmes enfants si indignés contre Mistigris, j'ai vu réapparaître, au bout de peu de temps, l'inclination du peuple envers les brigands. (Frapie L. 1904. La maternelle, p. 146) c … le père Jacques ne serait pas sorti du pavillon pour aller examiner la fenêtre de la chambre jaune, s'il avait vu s'ouvrir la porte et sortir l'assassin. (Leroux G. 1907. Le mystère de la chambre jaune, p. 65) d J'ai vu défiler dans la cathédrale les longues cérémonies de la dévotion… (Barres M. 1908. Mes cahiers T. 6 1907-1908, p. 122) e Enfin, une belle fois, on a vu bouillonner le ciel libre sous la poupe du dernier nuage. (Giono J. 1930. Regain, p. 233) 3 . 7 . Un seul événement Si le complément infinitif de type [V NP] est un VP, il devrait y avoir des différences sémantiques entre ce type de complément, qui correspondrait au type sémantique Action, et celui avec sujet préverbal, qui serait un Evénement (une Action étant un Evénement réduit qui n'a pas de réalisation indépendante de l'événement décrit par le verbe principal). A cet égard, on notera que, selon Hatcher (1944 : 283-84), le type avec NP postverbal sert généralement à décrire l'entrée en scène d'une entité : «with A vit entrer B the "activity" consists merely of (or conditions) B's appearance to view, his becoming visible. […] It is only by virtue of his having appeared that B can be seen at all». L'événement d'apparaître dans le champ de vision et celui de percevoir ne sont pas distincts. (43) a Alors on vit s'avancer sur l'estrade une petite vieille femme de maintien craintif… (cité par Hatcher 1944: 286) b Ils les vident sur la table, devant leur fils Yves, et on voit paraître toutes ces belles 19 pièces d'or et d'argent, marquées d'effigies anciennes. (cité par Hatcher 1944: 389) Ce sera le cas en général avec les verbes inaccusatifs, mais il n'est pas sûr que tous les verbes relevés dans cette construction soient susceptibles d'être analysés de cette façon. 3 . 8 . Emploi de quasi-auxiliaire Le verbe voir a par ailleurs développé un emploi de quasi-auxiliaire illustré dans les exemples suivants (Chocheyras 1968, Bat-Zeev Shyldkrot 1984) : (44) a Paris a vu se multiplier les manifestations contre l'ancien régime. (Bat-Zeev Shyldkrot : 207) b En quelques secondes, un ingénieur se voit proposer le profil d'autoroute ou de pont le mieux adapté. (Bat-Zeev Shyldkrot : 208) Dans cet emploi, le sujet de voir peut être un objet abstrait, incapable de vision (44a). La construction a un sens passif, permettant souvent (44b) de placer en position sujet un complément non passivable (On propose à un ingénieur le profil d'autoroute ou de pont le mieux adapté). Un complément d'agent est aussi possible: (45) Cette attitude s'est vu remettre en cause par la direction. (Bat-Zeev Shyldkrot : 208) Le degré d'intégration de voir et de la proposition infinitive est très grand ; s'il y a un cas où on aimerait parler d'incorporation du verbe infinitif à voir, c'est bien celui-ci. La proposition infinitive ne constituant pas un événement distinct de celui du verbe voir dans cet emploi, il semble qu'il s'agit là d'un exemple parfait du type sémantique Action, et il est naturel que l'on y trouve des sujets postverbaux. Toutefois, on peut trouver des emplois de quasi-auxiliaire à sujet préverbal, ce qui soulève des questions intéressantes quant à la correspondance syntaxe-sémantique dans ce casci. 20 (46) a b Ce produit a vu sa vente cesser il y a deux ans. (Bat-Zeev Shyldkrot : 205) Les journaux voient leurs lecteurs se plaindre de la partialité des éditeurs. (Bat-Zeev Shyldkrot : 206) Il faut cependant mentionner que, dans cet emploi, le sujet du verbe infinitif a nécessairement un déterminant possessif, coréférentiel au sujet de voir. Une analyse plus détaillé de ces constructions reste à faire. En résumé, les faits ci-dessus sont compatibles avec les hypothèses suivantes: (1) la construction avec sujet postverbal (lorsqu'elle n'est pas le résultat d'une construction à inversion locative) ne comporte pas de noeud Temps ou de sujet structural en SpecIP, contrairement à celle avec sujet préverbal, et (2) cette construction correspond au type sémantique Action, contrairement à celle avec sujet préverbal, de type Evénement. 4. L'attributive La construction avec relative attributive (pseudorelative) soulève le problème de la relation entre le NP et la relative elle-même. La possibilité que le NP et l'attributive soient dominés par un noeud NP (Kayne 1981, Taraldsen 1986, Burzio 1986) peut être exclue sur la base du fait que le NP peut être extraposé à droite de l'attributive, les relatives restrictives étant, quant à elles, extraposées avec le NP (on trouvera d'autres arguments dans Guasti 1992a, 1992b : 228 ss) : (47) J'ai vu sur la chaussée qui perdait tout son sang le garçon que tu as hébergé La discussion qui suit contraste les deux possibilités suivantes: 1) le NP et l'attributive constituent une petite proposition dominée par un noeud CP : [CP NP [ CP qui …]] (Guasti 1992a,b 3 , Rizzi 1992); 2) le NP et l'attributive constituent deux constituants distincts de la proposition, le NP étant l'objet de perception et l'attributive, une sorte de prédicat second (Haïk 1985). Guasti (1992a, 1992b) et Rizzi (1992 : 49) argumentent pour la première possibilité sur 21 la base des tests suivants : (48) a Ce que j'ai vu c'est [Marie qui sortait du cinéma]. b C'est [Marie qui sortait du cinéma] que j'ai vu. c Sais-tu ce qu'a vu Luigi? Antonio qui traversait la rue. Néanmoins, les faits qui seront discutés suggèrent qu'une analyse du type de 2) pourrait être préférable à une analyse du type de 1). (Guasti 1992a,b propose une analyse du type de 1), mais suggère que 2) est aussi possible dans certains cas). 4.1. Restrictions de sélection La construction avec attributive est possible avec verbes qui se construisent avec un NP mais pas avec un complément phrastique (cf. Schwarze 1974) : (49) a Nous avons aperçu Jean qui faisait ses devoirs b *Nous avons aperçu Jean faire ses devoirs c *Nous avons aperçu que Jean faisait ses devoirs Pour ce type d'exemples, Guasti (1992a,b) admet une analyse de l'attributive comme prédicat second. 4.2. Non adjacence entre l'attributive et son sujet de prédication Un complément locatif peut intervenir entre le NP et l'attributive. Dans ce cas, il est interprété comme faisant partie de la principale, ce qui suggère que le NP fait aussi partie de la principale. (50) a b J'ai vu ton frère à l'atelier qui empilait des boîtes. Je le voyais sur la chaussée qui perdait tout son sang. En (50), on n'a pas simplement affaire à une extraposition de l'attributive. En effet, l'attributive est sémantiquement subordonnée au complément locatif ; elle répond à la question Que faisait-il là ? L'ordre NP-attributive-locatif n'a pas la même interprétation : 22 (51) a b J'ai vu ton frère qui empilait des boîtes à l'atelier. Je le voyais qui perdait tout son sang sur la chaussée. De même, en (52), on a deux compléments prédicatifs, le second étant sémantiquement subordonné au premier, et il est impossible de changer l'ordre des prédicats sans changer le sens de la phrase : (52) Elle l'aperçut effondré dans un coin qui pleurait comme un enfant. (Sandfeld 1965, §94) 4.3. Coordination La construction avec attributive s'inscrit dans un ensemble de constructions où le NP est suivi d'un prédicat second et la coordination de ces prédicats est possible : (53) a b Quand il avait vu Marguerite seule et qui n'attendait que lui… (Sandfeld 1965, §94) Elle vit Joseph soucieux et qui semblait loin d'elle. (Sandfeld 1965, §94) Si l'attributive et son sujet de prédication formaient une proposition dominée par exemple par CP, on ne voit pas bien comment la coordination pourrait être possible. Elle est impossible entre un infinitif et un XP prédicatif : (54) a b *Quand il avait vu Marguerite seule et l'attendre… *Elle vit Joseph qui semblait loin d'elle et regarder sa montre. 4.4. Portée des quantifieurs Une interprétation possible (bien que difficile) de (55a) donne portée de chaque sur un : pour chaque voiture, j'ai vu un douanier (peut-être différent) la contrôler (cf. Burzio 1986). Cette interprétation est exclue avec l'attributive, ce qui renforce l'idée que l'attributive et l'infinitive ne doivent pas recevoir une analyse commune (contra Abeillé et al 1995; Burzio 1986 : 298). (55) a J'ai vu un douanier contrôler chaque voiture 23 b J'ai vu un douanier qui contrôlait chaque voiture 4.5. Perception de l'événement vs perception de l'objet: Si l'attributive est un prédicat second décrivant un NP objet de perception au moment où il est perçu et que l'infinitive décrit un Evénement ou un ensemble d'Evénements non dominants par rapport au verbe de perception, on s'attend à trouver des indices sémantiques de cette différence. Les faits suivants, mentionnés par Kleiber (1988 : 91-109), constituent des arguments très forts en faveur de cette analyse : 4.5.1. L'infinitive peut décrire un événement prenant place dans un monde possible ; pas celui dénoté par l'attributive, limitée à décrire un objet de perception au moment où il est perçu : (56) a b (57) a b 4.5.2. Tu le verras pleurer *Tu le verras qui pleurera / qui pleure Paul ne l'a pas vu pleurer. *Paul ne l'a pas vu qui pleurait. L'infinitive peut être déjà présente dans l'univers de croyance de l'interlocuteur ; pas l'attributive, qui sert à identifier pour l'interlocuteur l'action effectuée par un objet de perception : (58) Je vois la petite qui pleure. a. *Moi, je ne la vois pas qui pleure. b. Moi, je ne la vois pas pleurer. 4.5.3. L'infinitive est compatible avec la pluralité d'occurrences de l'événement (itération, fréquence, habitualité) ; pas l'attributive, limitée à d'écrire l'objet au moment où il est perçu : (59) a b Je l'ai trois fois / plusieurs fois vu aller au cinéma. *Je l'ai trois fois / plusieurs fois vu qui allait au cinéma. 24 (60) a b (61) a b 4.5.4. Je l'ai encore vu faire du ski. *Je l'ai déjà vu qui faisait du ski. *Habituellement / Généralement, je le vois qui prend le bus. Habituellement / Généralement, je le vois prendre le bus. L'infinitif est compatible avec la mention de la durée de l'événement ; l'attributive est nécessairement imperfective puisqu'elle porte sur l'objet au moment de la perception : (62) a. b 4.5.5. Je l'ai vu pleurer de trois heures à cinq heures. *Je l'ai vu qui pleurait de trois heures à cinq heures. L'infinitive est compatible avec la mention d'un intervalle de référence englobant la situation de perception ; l'attributive doit être vraie de tout l'intervalle de référence, qui ne peut être que le moment de perception : (63) a ?Hier, j'ai vu Paul qui fumait. b A ce moment-là, j'ai vu Paul qui fumait. c Hier, j'ai vu Paul fumer. Mentionnons aussi que selon Hatcher (1944 : 279, 288), le type A voit B qui permet de décrire une situation où A voit d'abord B, puis enregistre l'action qu'il est en train de faire, tandis que le type A voit B verbe infinitif permet d'enregistrer une action perfective, perçue globalement. Dans les exemples suivants, l'infinitif pourrait difficilement être remplacé par une attributive : (64) a Mais il vit à ce mot le buste de Mlle Bernadine se pencher vers lui, et luire ses yeux. (Hatcher 1944 : 289) b On voyait à cet instant-là des têtes de matelots se tourner involontairement vers cette dernière bande de lumière. (Hatcher 1944 : 289) Egalement, en l'absence de sujet de perception directe, l'infinitive est possible, mais l'attributive est (généralement) exclue. 25 (65) a De mon vivant même, j'ai vu l'incroyance faire d'énormes progrès et chaque défection individuelle prend un sens beaucoup plus tragique qu'il y a cinq siècles (Green J. 1950. Journal T. 5, p. 315) b *J'ai vu l'incroyance qui faisait d'énormes progrès c … à l'engager sur une pente où chaque génération le voyait descendre plus bas. (Gaulle Ch. de. 1959. Mémoires de Guerre: le salut, p. 236) d *… à l'engager sur une pente où chaque génération le voyait qui descendait plus bas. Enfin, alors qu'on peut trouver une négation dans l'infinitive, surtout en contexte de rappel de situations, plutôt que de perception directe, les phrases correspondantes avec une attributive sont généralement exclues : (66) a ?J'ai vu la voiture ne pas démarrer (Neale 1988 : 309 I saw the car not start) b J'ai souvent vu la voiture ne pas démarrer (: meilleur) c ??J'ai vu la voiture qui ne démarrait pas d ??J'ai souvent vu la voiture qui ne démarrait pas Toutes ces différences entre l'attributive et l'infinitive s'expliquent si l'infinitive dénote un Événement, tandis que l'attributive est un prédicat second sur un NP objet de perception. 5. Conclusion En résumé, plusieurs faits ont été avancés à l'appui de l'hypothèse que les quatre types de compléments du verbe voir qui ont été étudiés correspondent à des types sémantiques et syntaxiques distincts. Les propriétés relevées appuient dans une large mesure les hypothèses suivantes: Le complément à temps conjugué est un CP correspondant sémantiquement à une Proposition; celui à l'infinitif est un IP correspondant à un Evénement lorsqu'il est à sujet 26 préverbal; il s'agit d'un VP, et sémantiquement d'une Action, lorsque le sujet est postverbal (au moins dans un certain nombre de cas); le NP avec attributive est un objet suivi d'un prédicat second. Si ces hypothèses sont valides, plutôt que de supposer que voir sélectionne parfois une Proposition, parfois un Evénement, parfois une Action et parfois un Objet, il faut admettre que le type de complément sémantique qui est sélectionné par un verbe de perception comme voir est plus général que les types Proposition, Evénement, Action ou Objet. Il doit donc s'agir d'un OBJET DE PERCEPTION. Cela semble nous pousser vers un modèle de grammaire où l'on a d'une part la sélection sémantique, éventuellement sous une forme s'approchant des représentations lexicales conceptuelles, et d'autre part le type sémantique des diverses constructions. Toute construction dont le type sémantique est compatible avec la sélection sémantique d'un verbe donné donné pourra être un complément de ce verbe. Il est clair que ceci ne constitue pas le dernier mot sur le sujet. Plusieurs faits problématiques ont été mentionnés, particulièrement en ce qui concerne les compléments infinitifs lorsqu'ils ne correspondent pas à des compléments de perception visuelle directe. Une analyse plus approfondie de ces cas reste à faire. 27 Références ABEILLÉ, Anne ; GODARD, Danièle ; MILLER, Philip (1995). Causatifs et verbes de perception en français. Dans Labelle, Jacques (éd.) Colloque lexique grammaire comparée. Montréal: UQAM. ACHARD, Michel (1993). Complementation in French: a cognitive perspective. 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Dordrecht : Foris. 30 1 Les exemples littéraires sont tirés du corpus du Trésor de la langue française disponible sur Internet au projet ARTFL (American and Franch Research on the Treasury of the French Language) de l'université de Chicago (http://tuna.uchicago.edu). 2 Ce problème se pose aussi avec croire, verbe propositionnel, mais admettant un complément à l'infinitif ayant les propriétés illustrées en (30). 3 En fait, Guasti (1992b) propose que le NP se trouve dans le specifieur d'une projection AGRCP, intermédiaire entre CP et AGRSP.