Analyse de la FGTB sur les projets discutés par le Sommet
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Analyse de la FGTB sur les projets discutés par le Sommet
Le brusque changement dans la politique européenne: d’une réforme des marchés financiers vers la gouvernance économique et une attaque des salaires A. Contexte • En octobre 2008 – après l’intervention de l’Etat auprès de plusieurs banques – la Commission européenne (CE) développe la position suivante: - La CE tirerait les leçons de la crise en renforçant la régulation et le contrôle des marchés financiers, y compris des banques, autres prêteurs et hedge funds. - Dans ce cadre, deux lignes seraient suivies : o Imposer davantage de responsabilité et de comportement éthique: renforcement des exigences de capital des banques, régulation des agences de notation, plus grande transparence des rémunérations,… o Améliorer la surveillance : vision plus européenne, au lieu de laisser jouer les intérêts nationaux. • Les Etats membres pouvaient ne pas respecter le pacte de stabilité et de croissance, sachant que les dettes publiques augmenteraient, puisque le sauvetage des banques était une ‘situation exceptionnelle’. “CAR”, selon la CE: “A long terme, le fait de ne rien faire coûtera cher aux contribuables ”. Parallèlement, fin 2009, les chefs de gouvernement lançaient, tous azimuts, des appels pour trouver une solution équitable à la crise financière : - Taxation des super bonus des banquiers -> “There is an urgent need for a new compact between global banks and the society they serve” – Brown et Sarkozy Instauration d’une TTF(taxe sur les transactions financières) – Merkel et Sarkozy • Entre-temps, le Conseil européen fixe la stratégie "Europe 2020" en juin 2010, avec 5 objectifs centraux: - Favoriser l’insertion sociale: d’ici 2020, faire sortir 20 millions de personnes de la pauvreté - Porter à 75% la participation au marché du travail dans la catégorie 20-64 ans; - Réduire le décrochage scolaire, améliorer le taux d’instruction; - Objectifs environnementaux: émissions, énergie renouvelable et efficacité énergétique - Porter les investissements publics et privés en R&D à 3% du PIB; En combinant rationnellement ces intentions politiques, l’on en arrive à un plan dans lequel les éléments centraux pourraient être les suivants: o Une politique de relance où l’emploi et la demande intérieure sont centraux o Investissements dans la modernisation de l’économie européenne, en se focalisant sur la R&D et la formation. o Investissements dans des services publics de qualité comme catalyseur pour le reste de l’économie o Ramener le rôle du monde financier à un rôle de soutien de l’économie réelle o Eviter les emplois précaires et lutter contre la pauvreté o Dans le cadre de la crise, s’attaquer au nœud du problème, l’inégalité, en assurant une redistribution durable des moyens (TTF, taxe sur les banques) o … Mais l’UE en arrive à d’autres conclusions. B. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Que reste-t-il des intentions des chefs de gouvernement européens et de la CE plus de 2 ans après l’éclatement de la pire crise financière de ces dernières décennies ? • • • • • • Il y a une réforme limitée et insuffisante de la surveillance des marchés financiers (autorités de surveillance sans moyens pour réussir leur mission); Toujours pas de concrétisation d’une TTF, approbation d’une déclaration d’intention pour son instauration par le Parlement européen. Compte tenu du poids de la droite au Parlement, l’on peut se réjouir de ce fait, mais la pression doit être maintenue jusqu’à l’instauration effective de cette TTF. Toujours pas de réglementation pour la limitation des bonus (pour info: en 2010, les banques belges ont à nouveau engrangé 3,6 milliards d’euros de bénéfices), bien que la Commission ait entamé des consultations à ce sujet ; Pas de régulation des hedge funds ni des agences de notation; Pas de limitation des instruments financiers opaques ; Mais renforcement de la base financière des banques qui sera terminé en 2018 (!); Ces deux dernières années, les politiques – qui avaient de nobles intentions au début de la crise – ont brusquement changé leur politique. Soudainement, la crise n’est plus une crise du secteur privé (bulles dans le secteur financier et immobilier), mais une crise du secteur public. Leur propre analyse du début de la crise, est maintenant oubliée. Les Etats européens qui ont vu leur dette publique augmenter en raison du sauvetage des banques se retrouvent fortement sous pression à partir de mi-2010. Pour que les finances publiques restent viables, il faut, selon l’UE, prendre des mesures drastiques. Ces mesures sont regroupées dans le package ‘gouvernance économique’. Gouvernance économique Renforcement du pacte de stabilité (avec l’instauration de sanctions pour les pays qui ne peuvent pas réduire suffisamment leur dette publique) Instauration du Semestre européen (présentation annuelle des budgets nationaux à la CE) Mesure de la compétitivité des Etats membres à l’aide d’un ‘tableau d’indicateurs’. Un indicateur représente le coût salarial par unité produite. Les évolutions qui portent atteinte à la compétitivité d’un pays font l’objet d’un monitoring. Ces propositions prennent actuellement forme et la CE se focalise en premier lieu sur la compétitivité et donc, sur la formation des salaires. La base pour la concrétisation politique de ces propositions est actuellement sur la table: le pacte de compétitivité, initialement rédigé par Merkel (et Sarkozy) et repris par Van Rompuy-Barroso. C. Pacte de compétitivité Le ton du ‘nouveau’ pacte est plus léger, mais il est aussi poussé dans son exécution. Ce ‘pacte’ est à considérer comme une indication des priorités politiques dans le système proposé de gouvernance économique. Les Etats membres conviendront ‘au plus haut niveau’ (Conseil européen) des résultats qui doivent être obtenus dans les 12 mois. La façon dont ils seront obtenus, est à décider par les Etats membres. Les priorités politiques suivantes sont avancées: 1) Promouvoir la compétitivité Monitoring ULC (unit labour cost, coût unitaire de la main-d’oevre) sur une période : si perte de compétitivité, faire des propositions dans un délai fixé pour résoudre ce ‘problème’ : i. prendre des mesures pour que les coûts salariaux évoluent en ligne avec la productivité (entre autres décentralisation négociations salariales et ‘contenir’ les salaires dans le secteur public) ii. augmenter la productivité (entre autres via libéralisations plus poussées) 2) Stimuler l’emploi (Indicateur : chômage de longue durée et chômage jeunes). - Proposition de solution davantage de flexicurity, Glissement imposition travail vers consommation . 3) Assainir les finances publiques Evaluation de la ‘durée’ du niveau de la dette, points d’attention : régimes de pension et autres allocations sociales. Si pas ‘d’impact durable’ sur le niveau de la dette, réaliser les réformes suivantes: i. Aligner système retraite et espérance de vie ii. Démanteler système prépensions + promouvoir apprentissage tout au long de la vie Etats membres doivent être plus ‘ambitieux’ dans la concrétisation du pacte de stabilité et de croissance. Etats membres autonomes dans le choix de la mesure pour réaliser ceci, mesure qui doit cependant être inscrite dans la législation nationale (promotion explicite d’un frein à la dette). 4) Garantir la stabilité financière Harmonisation de l’assiette fiscale de l’ISOC Etats membres encouragés à prévoir un mécanisme de liquidation des banques. Analyse Syndicale: - - Accent pur sur les salaires comme principal aspect de perte de compétitivité => mènera sans aucun doute à une spirale vers le bas; L’adaptation du mécanisme traditionnel de formation des salaires (augmentation salariale = augmentation de la productivité + inflation) est inacceptable. En ne liant les salaires qu’à la productivité et en ne tenant pas compte de l’évolution des prix (inflation), il y aura une perte réelle de pouvoir d’achat en période d’inflation élevée. En fait, cette proposition va plus loin que la recommandation qui avait été faite de supprimer les mécanismes d’indexation, puisque tout lien avec l’évolution des prix est rejeté. Ces 10 dernières années, ce système a mené à un appauvrissement réel de la population en Allemagne. Quid des investissements en R&D, formation, enseignement …? Salaires dans le secteur public : explicitement cités comme ‘cible’. Flexicurity: reste le maître-mot; Langage ambigu par rapport au dialogue social: appel au respect des traditions nationales et parallèlement appel à la ‘décentralisation de la concertation sociale’. A nouveau, pas de proposition d’harmonisation du taux d’impôt des sociétés (concurrence fiscale par les taux toujours possible, et ceci deviendra encore plus clair une fois l’assiette fiscale harmonisée) D. Conclusions générales • Pour le monde syndical, il est urgent de donner le signal qu’une attaque des salaires et de la formation indépendante des salaires en Europe est un pas trop loin. • Nous ne pouvons pas accepter : o que les salaires et dépenses sociales soient légalement utilisés comme variables d’adaptation lors de problèmes de compétitivité ou en cas de choc externe (prix pétroliers); o la remise en cause de l’autonomie des partenaires sociaux, du dialogue social bien structuré et de la formation indépendante des salaires, pierres angulaires d’une Europe sociale; o l’imposition légale, à un Etat membre, de mesures d’économies drastiques; o que l’Europe ne tienne pas compte des inégalités sociales dans l’évaluation des ‘déséquilibres’; o que L’Europe mène une politique économique uniquement concentrée sur une croissance alimentée par les exportations et néglige la prospérité et la consommation intérieures; o que L’Europe évolue vers un continent où la solidarité mutuelle entre les Etats membres est exclue. • La crise dans laquelle se trouve l’Europe : o N’est pas une crise du secteur public, mais une crise du secteur privé, le prétexte de la crise ayant été utilisé pour avancer un agenda conservateur ; o N’est pas une crise de l’Europe du Sud, mais une crise de toute l’Europe • Répercuter le coût de la crise sur le citoyen européen est donc injuste. Le monde syndical doit donner un signal avant qu’il ne soit trop tard: o Le 11 mars, les chefs de la zone euro discuteront du pacte de compétitivité de Van Rompuy – Barroso ; o Les 24 et 25 mars, les dirigeants de l’UE discuteront du mécanisme de la gouvernance économique.