Le « yen carry trade » : stratégie disparue

Transcription

Le « yen carry trade » : stratégie disparue
N° 92 – 14 avril 2008
Le « yen carry trade » : stratégie disparue ?
 Depuis mi-2005 et jusqu’à l’éclatement de la
crise, la faiblesse du yen a été imputée pour une
large part aux opérations de portage.
 La remontée brutale de l’aversion au risque a
entraîné un débouclage rapide de ces opérations
de carry trade ce qui a alimenté une correction
haussière sur le yen. Cette tendance ne devrait
pas s’interrompre. Le yen, en termes de taux de
change effectif réel, devrait continuer de
s’apprécier d’un peu moins de 5 % sur l’ensemble
de l’année 2008.
Même si le taux de change effectif réel du yen s’est
sensiblement redressé depuis la crise financière de
cet été (+8,4 % depuis août 2007), il reste en
tendance faible. Selon nous, trois facteurs
expliquent la faiblesse de ces dernières années. Le
premier
est
le
changement
récent
du
comportement d’épargne des ménages japonais,
avec une plus grande diversification de leurs
investissements couplée à une recherche d’une
meilleure rentabilité. Le deuxième correspond à la
baisse de la part du yen dans les réserves de
change mondiales. La troisième raison, la plus
couramment invoquée, a trait aux opérations de
portage. C’est l’objet de la présente étude.
Définitions du carry trade
Les stratégies de portage (carry trade) consistent à
tirer parti de l’écart de rendement entre différentes
classes d’actifs, en finançant l’acquisition d’actifs à
rendement relativement élevé par l’emprunt
d’actifs à rendement plus faible. Le carry
correspond alors à l’écart de rendement entre les
actifs empruntés et les actifs investis. La notion de
carry trade recouvre ainsi une très large variété
d’opérations, mais qui toujours tire parti d’un écart
de taux d’intérêt et d’une volatilité peu élevée. La
définition la plus étroite du portage fait référence à
un emprunt dans une devise à bas rendement (dite
monnaie de financement) pour financer des dépôts
dans une devise à rendement élevé (la monnaiecible). Une telle opération de carry trade peut se
monter avec des contrats forward et/ou futures sur
les devises. Un fond spéculatif peut, par exemple,
prendre un contrat forward qui lui permet
d’acheter du dollar contre yen à une date et à un
prix prédéterminés. Le support d’investissement
traditionnel des carry trade reste toutefois les
dépôts bancaires.
Quel est le principe du « yen carry trade » ? Un
investisseur emprunte du yen à un taux d’intérêt
bas. Il vend ensuite le yen et achète une autre
devise, par exemple des dollars américains. Ces
derniers sont alors utilisés pour l’achat d’actifs
américains à haut rendement, une obligation high
yield par exemple. Après l’arrivée à maturation de
cette obligation, l’investisseur récupère le principal
et les intérêts, puis vend les dollars contre du yen,
qui sert à rembourser son prêt initial en yen. Ainsi,
l’investisseur a emprunté du yen à taux bas et l’a
utilisé pour acheter des obligations américaines à
haut rendement. Autrement dit, il profite d’une part
des écarts de taux et peut espérer gagner davantage
si dans l’intervalle la monnaie de financement se
déprécie (sous l’effet de pressions vendeuses) par
rapport à la monnaie d’investissement.
A la recherche du « yen carry trade »…
Compte tenu de la complexité et de la
sophistication de ce type de transactions
financières, les données disponibles ne peuvent
fournir qu’une indication imparfaite sur l’existence
et l’ampleur du « yen carry trade ».
… du côté des investisseurs
Les positions spéculatives du dollar/yen prises sur
le marché monétaire international (Chicago
Mercantile Exchange) sont les indicateurs les plus
couramment utilisés pour traquer les opérations de
« yen carry trade » sur les marchés à terme. Ces
opérations de portage en yen se sont largement
développées entre la mi-2005 et la mi-2007. Les
positions spéculatives courtes sur le yen ont atteint
des niveaux records dans la première moitié de
l’année 2007 (188 000 contrats fin juin 2007).
Avec la crise financière débutée cet été, et la
remontée brutale de l’aversion au risque,
beaucoup de ces positions spéculatives courtes ont
été débouclées. La demande de yens a alors
fortement augmenté pour faire face au
remboursement des sommes empruntées en cette
monnaie. Il s’en est suivi des pressions haussières
sur la devise japonaise (cf. graphique 1).
(Suite page 2)
Sandrine BOYADJIAN
[email protected]
Internet : http://www.credit-agricole.com – Etudes Economiques
Sandrine BOYADJIAN
[email protected]
milliers
contrats
Positions spéculatives - JPY
mm12, trillions de yen
15
YEN
position longue nette = solde positif
100
98
50
103
0
Yen carry trade
03/1973 = 100
90
dépréciation du yen
10
100
5
110
0
108
120
-5
-50
-100
113
-10
118
-15
130
140
00
-150
Achat $
-200
janv-05 juil-05
janv-06 juil-06
Position nette
janv-07 juil-07
Source : CME, Bloomberg, CA
Toutefois, il convient d’interpréter ces chiffres avec
prudence. Tout d’abord, les transactions de nature
spéculative ne sont pas toutes dues à des
opérations de carry trade mais servent aussi à se
couvrir contre des fluctuations de change. Par
ailleurs, seule une infime proportion des activités
de change passe par les marchés organisés. Les
transactions de gré à gré ne sont pas reflétées dans
ces chiffres. C’est pourquoi certains analystes
estiment que le « yen carry trade » est de deux à
cinq fois plus élevé que ne le reflètent les
transactions de la bourse de Chicago. De plus, les
positions spéculatives ne sont mesurées que face à
une seule devise, le dollar. Ainsi, une inversion de
la position courte du yen contre dollar peut être
interprétée comme une réduction du « yen carry
trade » alors même que ces opérations peuvent se
développer avec d’autres devises cibles (euro,
dollar australien ou néo-zélandais…). Néanmoins,
on peut dire, au vu des positions spéculatives
nettes, que le processus de débouclage des
opérations de « yen carry trade » est très avancé.
Les acteurs de ce marché sont actuellement « long
yen » (en position acheteuse de yen).
… du côté des moyens de financement
Un second moyen pour estimer le « yen carry
trade » est d’analyser les comptes bancaires. Les
statistiques bancaires internationales de la BRI
recensent les flux transitant par le système bancaire
international dans les principales monnaies.
Cependant, ces chiffres ne couvrent que les
opérations effectuées au comptant. De plus, ils ne
font pas de distinction entre des prêts octroyés à
des fins de carry trade et des prêts plus
traditionnels aux entreprises et aux ménages.
Comme le « yen carry trade » correspond à un
emprunt en yens par des investisseurs étrangers
auprès des banques japonaises, des indications sur
cette activité peuvent être aussi obtenues via la
balance des paiements japonaise (cf. graphique 2).
02
03
04
05
06
07
08
Source : BoJ, Crédit Agricole S.A.
janv-08
$/YEN (dr. inversée)
01
prêts bancaires octroyés aux étrangers
taux de change effectif réel (éch.dr. inv.)
123
Mais ces séries incluent également des prêts
crossborder que les banques japonaises font, pour
bien d’autres raisons notamment dans le cadre du
financement, du commerce extérieur. Par ailleurs,
les banques japonaises ne sont pas les seules à
pouvoir octroyer des prêts libellés en yens. En
effet, les banques non japonaises peuvent faire des
prêts libellés en yen sur le marché euro-yen. Ces
prêts n’apparaîtront donc pas dans la balance des
paiements.
Même si la taille de ces opérations n’est pas
clairement établie, la présence de ces opérations
est évidente au vu de ces différentes sources
d’informations. Ce sont bien elles qui ont freiné
l’appréciation du yen ces deux dernières années,
la Banque centrale japonaise ayant cessé ses
interventions de change depuis 2004.
Le FMI (juillet 2007) a récemment fait état de cette
difficulté à appréhender ces stratégies. Il a estimé
que le montant des opérations de carry trade
pouvait atteindre entre 100 mds USD et 2 trillions,
soit une fourchette des plus larges. Le diagnostic
sur les opérations de « yen carry trade » apparaît
d’autant plus difficile lors des phases de
retournement de stratégie.
Aujourd’hui, la situation semble claire. L’ensemble de
nos indicateurs suggèrent que les débouclages des
opérations de portage sont importants, en lien avec le
contexte actuel de montée de l’aversion au risque.
Quelles perspectives pour le yen ?
L’incidence des opérations de carry trade sur les
cours de change peut être forte. Leur accumulation
tend à favoriser les monnaies cibles (associées à un
taux d’intérêt élevé) et à affaiblir les monnaies de
financement (associées à une rémunération faible).
Cependant, une montée brutale de l’aversion au
risque, comme celle que l’on connaît depuis l’été,
peut déclencher un débouclage brusque et surtout
cumulatif des positions de carry trade. Les fluctuations de change qui les accompagnent sont en effet
aussi abruptes (monnaie cible vendue et donc en
baisse et inversement, hausse de la monnaie de
financement) et peuvent rapidement annuler tout ou
partie des gains attendus du différentiel de taux1.
1
Différence entre le taux japonais et celui des monnaies cibles
comme le dollar australien ou le dollar néo-zélandais.
N° 92 – 14 avril 2008
2
Sandrine BOYADJIAN
[email protected]
Aujourd’hui, l’ampleur du différentiel de taux
(lequel n’est pas amené à se réduire vu la
prudence de la BoJ) pourrait continuer à motiver
certains acteurs à positions risquées (comme les
hedge fund) à mener des opérations de portage en
yens, avec à la clef de nouvelles pressions
baissières sur la monnaie nippone. Néanmoins,
selon nous, volatilité et aversion au risque vont
prédominer cette année encore et dissuader des
opérations, comme les carry trade, rémunératrices
mais aussi très risquées. C’est pourquoi nous
pensons qu’au total la devise nippone, en terme de
change effectif réel, continuera de s’apprécier. Au
vu de nos prévisions sur les changes bilatéraux, le
taux de change effectif réel du yen progressera
d’un peu moins de 5 % sur l’ensemble de l’année
2008, avec une appréciation du yen relativement
prononcée au deuxième trimestre qui sera
essentiellement le reflet de la faiblesse du dollar
américain à 94 USD/JPY (cette parité bilatérale
représente quasiment 26 % du taux de change
effectif du yen). „
Crédit Agricole S.A. — Direction des Études Économiques
75710 PARIS Cedex 15 — Fax : 01 43 23 58 60
Directeur de la Publication : Jean-Paul Betbèze
Secrétariat de rédaction : Sophie Bigot – Joana Loe Mie
Contact : [email protected]
Internet : http://www.credit-agricole.com – Etudes Economiques
Abonnez-vous gratuitement à nos publications électroniques
Cette publication reflète l’opinion du Crédit Agricole à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est
susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y
sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité du Crédit
Agricole ou de l’une de ses filiales. Le Crédit Agricole ne garantit ni l’exactitude, ni l’exhaustivité de ces opinions comme des sources d’informations à partir
desquelles elles ont été obtenues, bien que ces sources d’informations soient réputées fiables. Le Crédit Agricole ne saurait donc engager sa responsabilité
au titre de la divulgation ou de l’utilisation des informations contenues dans cette publication.
N° 92 – 14 avril 2008
3