Féminisation migrations Afrique

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Féminisation migrations Afrique
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
LA FEMINISATION DES MIGRATIONS CLANDESTINES
EN AFRIQUE NOIRE
Honoré Mimche, Sociologue, Tel. (237) 740.06.46 Mail : [email protected]
Henri Yambéné, Ethno-géographe, Tel. (237) 992.21.35 Mail : [email protected]
Yves Zoa Zoa, Géographe, Tel. (237) 755.98.27 Mail : [email protected]
Chercheurs au CNE-MINRESI
BP 1457 Yaoundé-Cameroun
Résumé :
L’amplification des flux migratoires clandestins entre les pays de l’Afrique noire et les pays
européens est un des traits caractéristiques des processus migratoires de l’époque contemporaine
au point où l’immigration clandestine ne constitue plus aujourd’hui un épiphénomène. Loin de se
réduire à une ‘‘affaire des hommes’’, la migration clandestine est un processus complexe au sein
duquel les femmes sont aussi une composante essentielle et spécifique. Même si l’on reconnaît que
le continent noir a toujours été au cours de l’histoire un vaste territoire de la migration, ce qui
préoccupe de nos jours, ce n’est pas simplement l’émergence de ces flux peu ordinaires, mais bien
plus la diversification et l’entrée des femmes sur la scène migratoire ‘‘illégale’’. Quels sont les
facteurs qui favorisent ce type de migration ? Quels sont les itinéraires de cette mobilité
clandestine ? Quelle est la spécificité de cette migration féminine ? Quels sont les statuts et les
figures des migrantes dans les sociétés travaillées par ces flux ? Voilà des questionnements qui
sous-tendent cette réflexion qui met en exergue une nouvelle dimension des mouvements humains.
Mots clés : Féminisation, Migrations clandestines, Afrique noire, Prostitution, Insertion
Introduction
La mobilité des populations est une constante de l’histoire de l’Afrique (Grégory, 1988).
Elle a été depuis de longues dates travaillée par d’importants flux migratoires internes et
internationaux (migrations de peuplement, migrations forcées des réfugiés et de victimes de guerre,
1
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
etc.) ayant contribué chaque fois à une redistribution de son potentiel démographique et à
l’aménagement des territoires. Du fait qu’elles jouent dans la dynamique socio-économique d’une
société donnée, les migrations intéressent aujourd’hui les chercheurs d’horizons divers :
démographes, géographes, sociologues, anthropologues, économistes, historiens, etc. Toutefois, on
peut observer que la plupart des travaux d’inspiration « économiciste » n’ont pas le plus souvent
pris en compte la mobilité féminine en dehors du cadre familial, en l’associant à celle de ceux dont
elles dépendent, à savoir les hommes (Lututala et Bernèche 1989 ; Hane Ba, 1989). Car, la
migration féminine n’est pas considérée comme significative puisqu’on a longtemps sous-évalué le
travail féminin (Oppong, 1991). On commence à peine à admettre de plus en plus l’importance en
nombre et en effets des migrations féminines. Mais on peut se demander à la suite de Locoh (1999)
s’il s’agit d’un simple effet de mode ou si cette prise de conscience est liée à la pertinence du
problème ‘‘Femme et Développement’’.
Depuis plus d’une décennie, l’Afrique subsaharienne est confrontée à une crise qui a
également eu des effets démographiques importants. Sur le plan migratoire, on peut noter une
intensification et une complexification des pratiques, des stratégies1, des réseaux, des flux
migratoires internes et internationaux avec le développement de l’émigration clandestine. Jusqu’à la
fin des années 1980, l’immigration clandestine en Europe ne connaissait pas une explosion telle
qu’elle puisse apparaître, comme une menace pour les pays d’accueil (Kouamo, 2002). Mais depuis
deux décennies, la mode est au départ en Europe. On note une augmentation des flux d’immigrants
et de demandeurs d’asile dans les pays Européens, dont la plupart sont des clandestins.
La question de la migration vers l’Europe est de ce fait devenue un ingrédient des débats
contemporains tant en Occident qu’en Afrique2 et particulièrement dans les pays travaillés par ces
flux (milieux de départ, pays de transit, pays d’immigration). On assiste à l’émergence d’une
‘‘migration en étapes’’ vers l’Europe, devenue sous l’impulsion du mythe de l’ailleurs, le point de
mire d’une jeunesse désenchantée et désemparée qui rêve d’eldorado. C’est ainsi que de nouveaux
réseaux d’acteurs se tissent à travers le Sahara en reliant désormais l’Afrique subsaharienne et
l’Europe, via les pays sahéliens, sahariens et maghrébins. Dans cette dynamique de construction de
nouveaux bassins migratoires (Claude, 2002), les pays de l’Afrique noire sont à la fois pourvoyeurs
de migrants et ‘‘zones de transit’’ de ce nouveau territoire en réseau. Par ailleurs, on assiste à la
1
Sami Tchak (1999) relève à ce propos que la plupart d’entre eux recherchent un statut de réfugiés politiques et se
présentent comme des persécutés politiques, alors qu’ils sont de parfaits anonymes dans leurs pays d’origine. C’est ce
qui fait dire à Legoux (1995) que les pays occidentaux connaissent depuis deux décennies une crise de l’asile politique
2
C’est face à cette actualité des conséquences socio-démographiques du phénomène que le Ministère camerounais des
Relations Extérieures (MINREX) plaça la célébration de la deuxième édition des journées d’amitié Cameroun-Europe
(décembre 2004) sous le signe de la réflexion autour du thème ‘‘La question de l’immigration dans les relations eurocamerounaises : éléments d’analyse pour une approche concertée’’.
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complexification des configurations migratoires par la féminisation de la circulation migratoire dans
ce bassin de la migration internationale.
Ce qui frappe le plus aujourd’hui, c’est cette diversification des migrations à destination des
pays développés avec une irruption de nouveaux acteurs que sont les femmes sur un chemin dont on
croirait exclusivement masculin au vu de l’endurance qu’il exige de la part des candidats à la
migration clandestine (Lahlou, 2005). Faisant preuve de beaucoup de courage et surtout
d’ingéniosité, des milliers de femmes africaines surpassent des obstacles (Grégoire et Schmitz,
2002) pour se rendre en Europe en quête d’un mieux-être que ne peut plus, selon elles, leur procurer
leur pays d’origine. De plus en plus, elles deviennent des actrices d’une migration en solitaire à
destination du monde développé.
Cet article se propose de réfléchir sur cette féminisation du système migratoire clandestin,
les spécificités de cette forme de mobilité (motivations, réseaux d’acteurs, modalités et stratégies
d’insertion, figures et statuts des migrantes dans les lieux de la migration, etc.). L’analyse montre
que les femmes sont et deviennent, avec la crise, de nouvelles actrices de la migration clandestine
internationale à destination de l’Europe. Les données qui proviennent d’enquêtes documentaire et
biographique3 vont permettre de caractériser ces migrantes, les filières migratoires, les principales
villes relais, les pratiques migratoires des femmes. Seront également explorés, les contours des
territoires construits par les migrantes mais aussi les facteurs qui favorisent ce type de migration
dont les répercussions dépassent le cadre étatique pour s’étendre au niveau sous-régional, régional
et international (Cameroon Tribune du jeudi 02 décembre 2004).
I) La migration clandestine à destination de l’Europe en Afrique noire : un phénomène de plus
en plus préoccupant
- Ampleur d’un phénomène jadis marginal
Les difficultés de la vie quotidienne, le chômage, la pauvreté, et bien d’autres maux mettent
chaque jour sur les routes de l’aventure de nombreux Africains lancés à la recherche de meilleures
conditions de survie. Les mouvements migratoires ont progressivement changé de nature depuis
quelques années en se diversifiant davantage tant dans leur structure que dans leur orientation
(Caselli, 2003). Face à la probabilité hasardeuse d’être un lauréat du système de loterie organisé
chaque année par les Etats-Unis ou encore aux difficultés d’emprunter le chemin d’une immigration
3
L’approche proposée est ethnographique. 20 entretiens ont été menés par nos soins entre le nord du Cameroun, les sud
du Tchad et du Niger avec des migrantes en partance ou de retour. Cette démarche aura facilité l’analyse des différents
réseaux qui participent à l’accomplissement du processus migratoire. L’exploitation de documents personnels (lettres ou
fax envoyées ou reçues des amis, des parents et des tiers tels que des intermédiaires des réseaux) a aussi permis
d’enrichir les biographies pour qu’elles deviennent plus significatives.
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légale (par l’obtention d’un visa), les migrantes africaines ont trouvé une autre trajectoire donnant
accès à l’Europe, continent qui exerce sur ces jeunes désespérés une véritable fascination. De
nombreux ‘‘groupes de clandestins se constituent, s’organisent, financent leur projet, sollicitent de
multiples complicités locales’’
chaque jour (Claude, 2002). Cependant, Il est assez difficile
d’établir avec exactitude l’ampleur réelle du phénomène de la migration clandestine en Afrique
pour plus d’une raison.
De prime abord, le caractère clandestin de ce phénomène fait qu’il se prête difficilement à
une évaluation plus objective, car il suppose une stigmatisation parfois péjorative, discriminante
pouvant conduire à l’exclusion sociale et à la marginalisation. La plupart des recherches sur la
migration clandestine établissent d’ailleurs un amalgame entre cette immigration et les banlieues en
présentant le plus souvent ces personnes comme des pauvres habitants des quartiers ghettoïsés. Ce
répertoire culturel fait qu’on soit tenté de ne les voir que dans de tels espaces. Les clandestins sont
toujours perçus comme des personnes (des étrangers notamment) qui sont venus travailler dans un
pays d’accueil. Dans ce sens, l’immigration clandestine se confond à l’insécurité par abus de
langage. Une construction qui ne permet pas toujours aux migrants de s’identifier comme tel
puisqu’il suscite beaucoup plus la suspicion, la méfiance, le rejet, la xénophobie.
En outre, l’usage collectif de pièces par ces immigrants ne permet pas un décompte proche
de la réalité. Dans le même ordre d’idée, l’usage de faux documents (carte d’identité, passeport,
permis de séjours) est, dans la plupart des pays maghrébins et occidentaux, le principal blocage à
une estimation beaucoup plus proche de la réalité. Autant ce paramètre ne peut permettre une
appréhension des différentes nationalités, autant il fausse les statistiques globales sur le phénomène.
Toutefois, les données disponibles auprès des services de sécurité font état d’une amplification de
ce phénomène dans les différents pays situés sur la trajectoire qu’empruntent ces clandestins :
Algérie, Maroc, Espagne, Libye, Italie, France, etc.
Sur un plan tout autre, on a le plus souvent eu affaire aux données4 assez contrastées pour
désigner la même réalité, une situation qui peut se justifier par le fait que les chiffres habituellement
utilisés ne sont pas exempts de calculs politiques (Thierry, 2002) car ajoute Roché (2002) ‘‘on
n’aime pas les données produites indépendamment des autorités publiques, surtout quand ces
chiffres sont différents de ceux de la police’’. Toutes ces observations montrent à quel point on
n’est pas loin d’une évidente sous-estimation de ce phénomène dans l’ensemble des territoires
travaillés et traversés par ces flux d’immigrants aux allures d’aventuriers. Indépendamment de tous
ces obstacles, l’on s’accorde sur le fait que la migration clandestine est en train de devenir une des
principales préoccupations des pays occidentaux, des forces de sécurités situées aux larges de la
Méditerranée. Comme l’observent Grégoire et Schmitz (2000) ‘‘Ces migrations se diversifient au
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Elles sont dans la plupart des cas issues des chiffres donnant lieu aux arrestations de migrants en situation irrégulière.
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cours des années quatre-vingt : les progrès réalisés en matière de transport permirent à de très
nombreux jeunes de se rendre plus aisément sur l’autre rive du Sahara (Nigérians, Ghanéens,
Togolais, Béninois, Sénégalais, Sierra-Leonais, etc.) mais aussi d’Afrique centrale (Tchadien,
Camerounais, Centrafricains et Gabonais) qui tentent, chaque année, l’aventure au Maghreb où ils
séjournent de très longs mois, voire plusieurs années…’’ avant de rejoindre éventuellement l’autre
rive de la Méditerranée. A titre d’illustration, on peut retenir quelques faits marquants ayant été
relaté par la presse sur des cas d’arrestation des clandestins aux frontières occidentales rapportés par
les travaux de Medhi Lalou (2003).
Tableau n° 1 : Effectifs des immigrés arrêtés dans le Détroit de Gibraltar entre 1993 et 2000 par
nationalités
ZONES DU DETROIT DE GIBRALTAR
Nationalités
Années
Marocains
Algériens
Reste
de
Autres
Total
arrestations
l’Afrique
1993
/
/
/
/
4 952
1994
/
/
/
/
4 189
1995
/
/
/
/
5 287
1996
6 701
815
142
83
7 741
1997
5 911
1 050
113
274
7 348
1998
5 724
1 002
76
229
7 031
1999
5 819
661
148
550
7 178
2000
12 858
253
3 431
343
16 885
Total
37 013
3781
3910
des
1479
60 611
Source : Mehdi Lalou, Le Maghreb : les migrations des Africains du Sud du Sahara, 2003
Tableau n° 2 : Effectifs de migrants subsahariens arrêtés au Maroc en 2001
Pays d’origine de clandestins
Effectifs des arrestations
Congo
149
Ghana
480
Guinée
519
Mali
1 625
Nigeria
798
Sénégal
1 177
Sierra Leone
2 245
Total
6993
Source : Mehdi Lalou, le Maghreb : les migrations des Africains du Sud du Sahara, 2003
-Vers une féminisation de l’immigration clandestine
5
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
De manière générale, la migration clandestine apparaît comme une nouvelle configuration
des mouvements humains contemporains. Les difficultés auxquelles se confrontent les clandestins à
travers le désert et surtout l’endurance qu’exige cette forme de mobilité font qu’on est difficilement
tenté de penser que les femmes peuvent se lancer sur ce chemin risqué de la quête de l’eldorado
européen. Or, l’observation des flux d’immigrants clandestins dans les trajectoires qu’ils
empruntent entre les deux rives du Sahara montre bien cette dimension de la migration clandestine,
un phénomène d’ailleurs mis en exergue par la presse maghrébine et les services sociaux
aujourd’hui confrontés aux effets pervers de ces déplacements (grossesses indésirées, avortements,
exploitation sexuelle, violation du code du travail, etc.).
Dans les localités de transit comme Maradi, Agadez ou Arlit (en territoire nigérien) In
Guezzam, Tamanrasset, In salah, Ghardaïa ou Maghnia (en territoire algérien), Berkane, ou Nador
(en territoire marocain), les ghettos dans lesquels logent les immigrés clandestins subsahariens sont
les repaires des jeunes gens (en majorité) des deux sexes. Depuis quelques années, les dépêches des
agences de presse et de différents média évoquent la présence, dans les flux de migrants clandestins
subsahariens à travers le Sahara, de nombreuses femmes. Si on prend en compte la filière SahelSahara algérien, les migrantes subsahariennes sont dénombrées lors des cas d’arrestation (268
femmes pour le compte de l’année 2002 selon les autorités algériennes5, 40 durant les trois premiers
mois de 20046, 29 durant le mois de mai 20047, 53 durant le premier semestre 20058…) ou de
décès dans le Sahara (2 parmi six subsahariens découverts morts de soif près d’Adrar9….) et mêlées
à des faits divers impliquant des migrants clandestins (3 dans une tentative d’escroquerie d’un
commerçant algérois10…).
Plusieurs témoignages de migrants clandestins nous renseignent sur la présence des femmes
voyageant seules à leurs côtés. Pour vivre (ou mieux survivre) durant la trajectoire migratoire, elles
s’adonnent volontairement à la prostitution ou sont exploitées par « des organisations de type
mafieux » (Lahlou, 2003).
Partout en Afrique subsaharienne, on note une évolution des normes sociales et culturelles
avec pour conséquence une émigration féminine assez remarquable. La contribution des femmes à
la migration internationale augmente notamment au Sénégal (Bonnassieux, 2005). Les mouvements
autonomes des personnes de sexe féminin (mères, femmes, sœurs) sont tolérés voire acceptés ou
encouragés depuis que la crise économique du début des années 80 a détruit les équilibres sociaux
et professionnels de plusieurs familles. La crise a engendré une faillite de la morale et du peu de
5
Cf Lahlou, 2003
El Moudjahid du 18 avril 2004
7
Quotidien d’Oran du 6 juin 2004
8
El Watan du 13 juillet 2005
9
AFP du 5 avril 2004
10
L’Expression du 30 juin 2005 et Le Messager du 5 juillet 2005
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scrupule de certains parents (maris, frères, mères, pères). Laisser ou envoyer les femmes « se
débrouiller » dans des contrées lointaines (en Europe occidentale en particulier) est dit rapporter
beaucoup d’argent dans de nombreux milieux en Afrique subsaharienne. Tout en laissant à
l’observateur le soin de deviner le genre de débrouillement qui est insinué.
Les propos de deux migrantes camerounaises rencontrées respectivement dans les régions de
Bol et Mao au Tchad sont plus parlants. Ils laissent apparaître que nombreuses parmi elles
(étudiantes en cours de formation, filles-mères, diplômées sans ou avec emplois, etc) se sont lancées
sur le chemin de l’Europe poussées subtilement ou ouvertement par leurs familles. Des allusions du
genre « tes formes ont de quoi faire rêver en Europe ou ta cambrure peut faire gaffe chez les
blancs…il faut que tu en fasses profiter la famille » leurs sont assénées régulièrement. Pour
convaincre les plus réticentes on prend pour exemple des familles voisines qui ont acheté des
grosses cylindrées, et édifié des immenses maisons grâce au travail de leurs filles et sœurs qui
« bossent durent là-bas ».
Investir pour le départ d’une fille en Europe est devenu le meilleur capital-risque pour
beaucoup de familles subsahariennes car elles ont espoir de voir cet investissement se traduire en
manne financière. On mise sur les filles car elles peuvent faire des « bons mariages » avec des
conjoints étrangers ou éventuellement faire continuellement « des bonnes rencontres » si elles
restent célibataires. D’où, lorsque toutes les voies légales du déplacement vers le pays de cocagne
sont épuisées, la famille fait recours aux réseaux mafieux de faux passeports ou visas et à terme aux
acteurs des filières de migration clandestine à travers le Sahara. Dans certains cas les familles
remettent jusqu’à 600.000 voire un million de francs CFA (Cameroon Tribune du jeudi 14 juillet
2005 et du mardi 09 août 2005) aux trafiquants de tout genre en vue de voir leurs filles prendre le
chemin de « la terre promise ».
Aujourd’hui, de nombreuses subsahariennes ont en tête d’aller « travailler » en Europe et
d’amasser de nombreux biens matériels quel « qu’en soit le prix » car il faut subvenir aux besoins
de leurs familles et ainsi éteindre leur « dette de vie » pour paraphraser De Latour (2003). Parfois
elles s’en vont en catimini sans toucher un mot à quiconque et sans donner de leurs nouvelles
pendant de nombreuses années. Mais sitôt leurs intentions connues par un échange d’information au
détour d’un entretien téléphonique (à partir d’une des étapes de leur trajectoire migratoire) ou par
l’envoi d’un paquet ou d’une lettre aux bons soins d’un migrant de retour, elles sont glorifiées et
couvertes de bénédiction. Jeunes, transportées par une irascible envie de réussir, prêtes à tout, elles
sont souvent sans le moindre scrupule. C’est ce qui accroît considérablement leur détermination sur
ce difficile et « inhumain » voyage vers l’Europe à travers le Sahara, où il faut vaincre les
conditions climatiques, les sévices, les contrôles policiers et les expulsions entre autres.
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II) Les motivations de la migration clandestine féminine en Afrique noire
Pourquoi partent-elles ? Comment comprendre cette « soif de départ » des migrantes
clandestines qui doit être à ce point intense qu’elle surmonte la brisure de l’exode, les difficultés du
voyage à travers le Sahara et les drames qui parfois l’accompagnent. Comment admettre qu’elle
résiste au rejet et à la relégation auxquels les immigrées sont le plus souvent confrontées dans les
pays où elles s’établissent ? Répondre à ces interrogations n’est pas aisé. La complexité et la
diversité des parcours individuels poussent à s’orienter vers l’explication du contenu subjectif de
chaque expérience migratoire. Les fondements de ces mouvements migratoires de subsahariennes
vers l’Europe sont multiples. La saisie de cette inversion dans les flux migratoires met à la fois en
exergue les motivations aux lieux de départ, celles liées au choix du lieu d’installation, mais
également l’option pour cette trajectoire quasi incertaine, au vu des risques encourus. Dans ce sens,
il existe deux groupes de facteurs qui viendraient expliquer cette migration ‘‘à tout prix’’ et à tous
les prix. L’étude des déterminants sociaux de la migration doit intégrer les contextes de la zone de
départ et de celle d’accueil. La migration clandestine féminine est liée à un environnement global
qu’il faut prendre en considération. Il faut tenir compte de la conjoncture actuelle des pays
d’Afrique subsaharienne : processus démocratique aujourd’hui en faillite, économie formelle au
point mort, crises intrafamiliales, interethniques et militaro-politiques, guerres civiles et
persécutions diverses, ajustement structurel, globalisation mais aussi mutations sociales.
Un contexte de crises particulièrement favorable à l’émigration
Les pays de l’Afrique subsaharienne sont confrontés depuis plus d’une décennie à une crise de
leur économie (Banque mondiale, 1989). La persistance de la crise et de ses effets sur l’avenir
lointain des populations ont parfois fait penser aux thèses afro pessimistes telles que développées
par Dumont (1963), car elle a sapé les perspectives de développement. « Ainsi pour l’ensemble de
l’Afrique, le taux de croissance du PIB qui se situait aux environs de 6% par an entre 1965 et 1970
est passé à près de 0% à la fin des années 1980 et au début des années 1990 » (Lahlou, 2003). Ce
contexte économique, doublé d’une instabilité politique interne, a favorisé une détérioration des
conditions de vie des populations, en accentuant la mobilité des personnes dans ces pays en
développement. Par ailleurs, les mesures d’ajustement structurel prises sous l’instigation des
bailleurs de fonds n’ont guère permis une amélioration du niveau de vie dans les villes comme dans
les campagnes (Duruflé, 1988). C’est ce qui va entraîner une explosion du chômage et un
développement du sous-développement (Giri, 1986).
A cette misère s’ajoute un environnement militaro-politique qui a stoppé toute perspective de
vivre une vie ordinaire et favorisé l’exode de la population. La plupart des originaires des pays tels
que la Guinée-Conakry, la Sierra Léone, le Libéria, la Gambie, le Niger, le Nigeria, le Tchad, et
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Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
récemment encore la Côte d’Ivoire, le Togo, la Guinée-Bissau, le Sénégal, la République
Démocratique du Congo (RDC) ou la République du Congo, ont été poussées à partir pour fuir les
conflits armés, les persécutions politiques, les antagonismes ethniques locaux ou plus précisément
l’état d’insécurité générale. La recherche du statut de réfugié est devenu un principal moyen de se
soustraire de l’impasse dans laquelle se sont plongés tous ces pays depuis environ une décennie.
C’est ce qui explique également la montée de la demande d’asile d’abord dans les pays du Maghreb
et ensuite ceux de l’Europe occidentale.
Ces crises qui ont particulièrement affecté les conditions de vie des populations ont eu sur le
plan socio-démographique un ensemble d’implications négatives (Gendreau, 1998). La transition
s’est parfois opérée dans les domaines où l’on s’attendait le moins. A côté des difficiles conditions
d’accès à la santé, de l’émigration urbaine ou des migrations de retour qui se sont amplifiées
(Mongo Béti, 1993 ; Gubry et al. 1996), c’est la migration internationale d’une population surtout
juvénile qui prend une ampleur considérable et sous des formes les plus variées. C’est la raison pour
laquelle, les ambassades des pays occidentaux et principalement celles des pays faisant partie de
l’espace Schengen sont confrontées depuis le début de la décennie 1990 à une multiplication de la
demande de visas des candidats à la migration vers ces pays pour plusieurs raisons : études,
emploi/travail, demande d’asile, exil, sport, etc. Face à cette forte détermination à émigrer, on
assiste à des rejets des demandes au point où l’obtention du visa pour l’Europe devient de plus en
plus difficile pour les originaires de l’Afrique Noire aujourd’hui. Aussi observe-t-on une tendance
à l’établissement de faux visas, ou le recours à la filière saharienne qui est devenu le défi de la
police des frontières tant au niveau continental qu’international.
C’est dans ce contexte que l’on doit comprendre et inscrire le développement des mouvements
migratoires au départ de l’Afrique subsaharienne et particulièrement celui de cette filière migratoire
à travers le Sahara, une véritable inversion des trajectoires migratoires traditionnelles. Comme a pu
le noter Alain Bonnassieux (2005), ‘‘les frontières sont de plus en plus difficiles à franchir pour les
catégories de migrants qui ne présentent pas de garanties suffisantes de ressources et d’emploi
pour obtenir un visa. L’obtention du visa constitue la première barrière à franchir. Comme les
visas ne sont accordés qu’à une minorité, les systèmes parallèles fondés sur des réseaux
relationnels et la corruption pour obtenir un visa se développent... Les risques sont considérables
du fait de ces contraintes : de nombreux jeunes africains prennent pour entrer en Europe par des
voies détournées. C’est le cas des ressortissants d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale qui
tentent de gagner l’Europe par voie maritime en passant par le Maroc ou la Libye’’.
Ainsi, on assiste depuis lors à l’émergence en ‘‘étapes’’ d’une migration due à la
multiplication des localités de transit, en fonction des facilités ou des difficultés rencontrées lors du
processus migratoire. Avec ces relais, de nouveaux acteurs (transporteurs, employeurs, hôteliers,
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etc.) se mettent en oeuvre à travers le Sahel et le Sahara, pour relier désormais l’Afrique noire et les
pays développés. Les facilités rencontrées au cours de ces déplacements déterminent le choix du
pays d’immigration.
Dans ce sens, il apparaît que les crises multiformes ont intensifié, diversifié et complexifié les
flux, les trajectoires, les réseaux et les stratégies migratoires tant à l’intérieur des pays ou du
continent africain qu’à l’extérieur de celui-ci. Toutefois, même si on est le plus souvent tenté de
penser que les migrations clandestines concernent davantage les populations analphabètes et
masculines, l’analyse des couloirs qui se sont développés entre les deux rives du Sahara met en
relief le profil assez complexe des candidats à cette migration, par une féminisation des circulations
migratoires. Il s’agit de femmes relativement jeunes généralement, lancées à la recherche d’une
occupation plus rémunératrice, quelles que soient la nature de celle-ci et les qualifications
préalables.
Une migration de « travail »
A travers l’analyse de la migration clandestine féminine émerge une autre figure de l’immigrée.
L’émigration/immigration féminine clandestine à travers le Sahara ne doit pas être envisagée du
seul point de vue de la réaction résignée à la misère, à la guerre ou au chaos. Pour parler comme De
Latour (2003), ‘‘la migration n’est pas seulement déterminée par la misère et le danger comme on
le lit souvent, elle appartient aussi à une geste épique portée par des imaginaires collectifs qui font
du Nord un lieu où les héros s’élèvent’’. La migrante clandestine féminine n’est pas forcément une
« déshéritée »
11
qui fuit sa condition mais une personne qui veut devenir actrice de son propre
destin.
Malgré tout, dans le récit des différentes expériences migratoires, la motivation du départ des
femmes est d’abord le désir d’accéder à de meilleures conditions de vie. L’envie de trouver un
emploi plus rémunérateur pousse de nombreuses jeunes africaines à se reconvertir dans des activités
de ‘‘cleaners’’, ‘‘baby sister’’, ‘‘kitchen porter’’. Se déplacer de son milieu d’origine vers un autre
à la recherche du travail constitue la forme de migration la plus répandue et même la plus
importante à travers le monde, car les disparités de ressources favorisent une expansion des
migrations internationales. Les migrantes clandestines vont pour la plupart à destination des grandes
métropoles où, avec plus de facilité, se développent des activités informelles : couture, coiffure,
garde des enfants, travail de domestique... Cette forme de mobilité qui pousse des jeunes
subsahariennes à développer des stratégies diverses de survie, qu’elles soient légales ou non, est
imputable à la pauvreté des ressources locales, à la misère sociale, au sous-emploi criard et à
11
Elles sont nombreuses sur le chemin de la migration clandestine comme Blandine A. (Béninoise) qui a abandonné un
emploi enviable à Ouïda où elle était titularisée depuis plus de dix ans. Décision qu’elle a prise après avoir vainement
tenté d’obtenir un visa. Pour elle, ‘‘ il faut que j’aille en Europe pour voir comment cela se passe’’.
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Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
l’inadéquation entre formation et emploi disponibles. Dans ce sens, l’Afrique noire‘‘joue depuis
quelques années un rôle de plus en plus répulsif sur une partie grandissante de sa population, dont
l’espoir d’une vie meilleure sur son lieu de naissance s’amenuise au fur et à mesure que s’accroît
la pauvreté et le ‘‘mal de vivre’’ ambiants.’’ (Lalhou, 2003).
Une jeunesse désemparée et travaillée par le mythe de l’ailleurs…
Si la vague de migrantes clandestines a pris une ampleur considérable en Europe, ce n’est pas
seulement pour des raisons économiques. Comme le fait remarquer De Latour (2003) qui a observé
quelques clandestins ivoiriens en Angleterre, ‘‘la causalité de la pauvreté a également été évoquée,
mais elle m’a paru nettement moins ‘‘forte’’ comparée au besoin vital de valorisation personnelle
et d’indépendance, de la recherche d’exploits nécessaire à l’accomplissement de soi, du goût du
risque et de la splendeur pour finalement … avoir un petit ‘‘chez-soi’’. Le recours à la voie
terrestre pour atteindre ‘‘absolument’’ les pays européens relèvent justement d’un risque que prend
la migrante au départ du pays d’origine.
Depuis une dizaine d’années, le rêve du départ s’est généralisé chez les jeunes africains. « On
croyait jusqu’ici que cette obsession de départ n’habitait que ceux qui, ayant fini leurs études et ne
trouvant pas de travail ou aussi, étant à la recherche de débouchés scolaires, pensent qu’il n’y a
rien de mieux que l’étranger. Que non. Toutes les catégories sociales sont désormais habitées par
cette envie morbide de partir » (Ndachi Tagne, 2005). C’est dire qu’ « on veut en effet y aller parce
que d’autres y sont allés, parce que d’autres y vivent, parce que d’autres y ont réussi, parce que
rien n’interdit que si d’autres n’ont pas réussi, que la réussite ne soit pas une idée généreuse et
charnue » (Godong, 2005).
Le désir de l’émigration est entretenu par l’illusion due à une image d’opulence collée à
l’Occident et dévorée sur les écrans de télévision, de vidéoclubs ou de cinémas. « Lorsque vous
voyez la vie dans ces pays à la télévision, c’est vraiment le paradis. On se demande ce que nous
faisons ici. C’est pour cela que par tous les moyens, il faut que je parte » nous confessa Sandrine Y.
jeune congolaise de RDC rencontrée à Nguigmi au sud du Niger. Plus que par le passé, les jeunes
générations sont travaillées dans leurs consciences par la crise que connaît le sous continent. Face à
l’incertitude de l’entrée sur le marché du travail, le monde occidental exerce un attrait sur les
consciences juvéniles au point où plusieurs d’entre elles pensent toujours que ‘‘l’avenir n’est plus
au pays, mais ailleurs’’, c’est-à-dire en Amérique du nord (Etats-Unis, Canada), en Europe
(Espagne, France, Italie, Allemagne, Belgique, Grande Bretagne) et récemment en Asie (Koweït,
Liban, Arabie Saoudite, Yémen, etc.) ou en Afrique du sud. On comprend dès lors pourquoi le
Sociologue Camerounais Ela (1994) a pu dire que ‘‘face aux impasses du développement et à la
11
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
crise actuelle des sociétés africaines, se manifestent des sentiments de découragement, de
désillusion et de scepticisme’’.
La grande fluidité des frontières nationales en Afrique et particulièrement au Sahel
La dynamique migratoire est encore plus complexe à saisir dans les anciens territoires coloniaux
d’Afrique noire où le ‘‘partage de l’Afrique’’ en territoires souverains n’a pas tenu compte de
l’homogénéité des groupes ethniques. Ricca (1990) observe à ce propos que ‘‘les connaisseurs de la
réalité africaine s’accordent pour reconnaître que des centaines de milliers de personnes traversent
tous les jours sans formalités les frontières terrestres de pratiquement tous les pays d’Afrique au
sud du sahara. Ces intenses mouvements transfrontaliers ne sont en fait, dans leur majorité, que les
déplacements naturels de personnes appartenant au même groupe ethnique car –le phénomène est
désormais bien connu- les frontières politiques recoupent partout en Afrique les territoires de
groupes homogènes de population. Il n’y a pas de pays du continent qui n’ait en commun avec un
pays limitrophe au moins une de ses ethnies’’. C’est justement à la faveur des affinités ethnique,
culturelle, confrérique que se déploient d’importants systèmes migratoires au sahel. Les migrantes
profitent ainsi de ces atouts identitaires pour se déplacer sur de longues distances, sans papiers, et au
besoin avec la complicité de proxénètes. C’est ce qui fait aussi la spécificité de cette forme
migratoire aux transits qui durent.
III Une mobilité pleine d’incertitudes
Une autre spécificité des migrations clandestines en général réside dans le caractère
périlleux de cette forme de mobilité qui, de par son caractère illégal, impose aux actrices de la
migration de nouveaux statuts en plus des statuts traditionnels. Dans ce sens, la migration
s’accompagne de changements permanents de figures dans les zones de transit et les lieux
d’immigration, en rapport avec la dynamique de leur insertion économique et sociale.
La multiplication des localités de transit comme une stratégie migratoire
Le développement des migrations clandestines a favorisé dans les pays du Sahara, du Sahel
et du Maghreb la naissance de nombreuses villes devenues des relais dans les trajectoires
migratoires, c’est-à-dire des‘‘espaces de rebondissement’’ (Claude, 2002) qui servent d’escale et où
s’entrecroisent les flux de départ et ceux de retour, les migrants temporaires et définitifs, les
nationaux et les étrangers. L’exploitation des biographies migratoires met en exergue l’intérêt qu’il
faudrait accorder aux villes et localités de transit dans l’analyse de cette dynamique migratoire et
surtout de ce type de phénomène. Elles sont des espaces sociaux multifonctionnels travaillés en
profondeur par les acteurs de la migration transsaharienne. Le désir et l’obligation de transiter par
12
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
une localité sont à la fois une réponse aux systèmes de répression, une stratégie de contournement
des tracasseries policières, une stratégie d’accumulation, une contrainte d’alimentation et de
ravitaillement pour les migrants, les conducteurs et les guides de ces derniers.
Dans l’ensemble, les renseignements et les documents que reçoit le candidat à la migration
au départ du pays d’origine font ressortir différentes localités à traverser tout au long de ce périple
transsaharien. Ces lieux de transit sont socialement significatifs à plus d’un titre :
•
ils peuvent d’une part résulter de l’existence, à un point et à un moment donnés d’un réseau
de passeurs installé périodiquement pour assurer l’écoulement12 des colonies migratoires
vers les destinations magrébines ou occidentales. Ce sont également les lieux de
ravitaillement en produits alimentaires lorsque le trajet est assez long. Ces bidonvilles qui
accueillent ces migrantes peu ordinaires, avec les risques de ségrégation socio-spatiale
peuvent se lire dans les pratiques d’insertion dans ces localités. Parfois, les transits
apparaissent davantage comme le terminus d’un réseau intra ou transfrontalier qui fait la
passe à un autre. C’est également le lieu où se fait le change pour ceux qui en désirent.
•
Les transits permettent aux actrices de cette forme de migration de chercher une occupation
bien que temporaire13, de faire une épargne afin de pouvoir poursuivre leur trajectoire. Le
développement des activités informelles justifie par ailleurs l’importance du transit dans la
migration clandestine féminine. Il s’agit d’un espace d’accueil transitoire en vue d’assurer la
continuité de la mobilité. Comme le souligne Lahlou (2003), le transit est mis à profit pour
arrondir les économies emportées dès le pays d’origine, par l’accès à une activité
rémunératrice. C’est le cas des villes de Sardalas, Mourzouk, Awbari, Ghadamès, Derji ou
encore Ouaddan en Lybie ou de Tamanrasset, Djanet, In Guezzam et In Salah dans le sud
de l’Algérie ; Kano au Nigeria pour les anglophones. Les villes de transit deviennent
d’importants lieux de recrutement des prostituées par les proxénètes. En outre, les migrantes
se livrent à de nombreuses activités telles que la couture, les travaux domestiques, la garde
des enfants afin de supporter leur loyer, leur alimentation et surtout obtenir de l’argent
nécessaire pour se faire établir des faux documents de voyages : visas, passeport, etc. Mais
la spécificité de Tamanrasset pour les migrantes réside dans le fait qu’il s’agit d’un espace
de sélection et de tri selon des critères linguistiques ou les options migratoires (migration de
travail, migration définitive, etc.). En effet, c’est ici que les anglophones ont plus tendance à
s’orienter vers la Libye alors que le Maroc reste une filière à majorité francophone. En
outre, le choix de la Libye ou du Maroc est aussi déterminé par le pays d’immigration
12
Le terme écoulement nous a été inspiré d’une biographie. En fait plusieurs des candidats à la migration internationale sont comme
des colis rangés dans les camions bâchés pour parfois contourner les tracasseries policières.
13
Lorsque l’on sait que le nord du continent n’est pas au départ du pays d’origine la destination désirée ou projetée.
13
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sollicité (Italie, France ou Espagne) et les facilités que procurent ces deux pays d’après les
informations obtenues dès le départ du pays.
• Les localités de transit constituent par ailleurs les terminus des différents systèmes de
transporteurs soit à l’intérieur d’un pays, soit à l’extérieur. Elles sont une ‘‘étape qui peut
constituer une simple halte, comme elle peut devenir durable, pour se transformer en
objectif ultime de la migration’’, ajoute Lahlou (2003).
Une expérience migratoire entachée de nombreux problèmes
On ne peut véritablement réfléchir sur la migration féminine dans un contexte de précarité
comme celui de l’Afrique noire, en mettant de côté les activités et le vécu de ces femmes en
migration. Le développement des migrations féminines s’est accompagné du développement des
réseaux d’exploitation sexuelle et d’aide à la prostitution à travers le proxénétisme que l’on peut ici
concevoir comme le fait ‘‘de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à
la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui’’ (Ouvrard, 2000). Cette
pratique prend des formes assez diversifiées car à côté des proxénètes, il existe des personnes qui
mettent en contact ces derniers avec les prostituées. C’est généralement d’autres clandestins qui
recourent à ces activités pour assurer leur survie et surtout accumuler des ressources afin de
poursuivre la migration vers les pays occidentaux. C’est au regard de ces écueils qu’une migrante
affirme : ‘’Sur la route de cette migration clandestine vers l’Europe, les femmes ont beaucoup de
difficultés. Par exemple, In Guezzam, c’est une ville dangereuse pour les femmes. Toutes les femmes
qui y passent sont violées par les gendarmes et militaires algériens. Quand ils viennent au contrôle,
ils savent qu’il y a les femmes. Elles sont violées avant que vous ne continuiez. Quand il y a les
femmes, çà facilite le voyage, mais c’est traumatisant. Au désert, c’est le viol ; dans les grandes
villes c’est la prostitution. Elles vont le faire, sauf si elles sont soutenues par un africain qui met en
jeu des moyens et finit par l’épouser. Sinon c’est la prostitution pour survivre’’ (Angèle, 33 ans,
Camerounaise). Comme a pu le dire le sociologue burkinabé Tcha-Koura (1988), on ne peut rester
indifférent à ce sort misérable qui est fait à ces femmes. En effet, les femmes en migration
clandestine sont soumises à de sévices corporels liés soit à leurs stratégies d’insertion (occupations
temporaires), soit à leurs stratégies migratoires. Les données que nous avons recueillies depuis cinq
ans sur le phénomène de la migration clandestine entre les deux rives du Sahara mettent
suffisamment en exergue cette dimension de la migration féminine clandestine. Car d’un bout à
l’autre des circuits migratoires elles sont au centre des enjeux masculins, à la fois des autres
clandestins mais également des autorités policières et des employeurs.
La féminisation des mouvements migratoires clandestins s’accompagne d’une nouvelle
forme d’esclavage sexuel, à travers le trafic des femmes dans les réseaux de prostitution,
14
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
d’homosexualité et de proxénétisme. Dans le cadre de la prostitution, de nombreux travaux
d’auteurs ont mis en exergue la croissance des immigrées sur ce chemin de l’exil et la montée du
commerce sexuel dans les rues des principales villes de l’Afrique du Nord et même en Occident
(Koh Bela, 2004). Le corps est en passe de devenir un capital économique mis à contribution dans
la lutte pour la survie à travers un usage vénal de leur sexualité (Sami Tchak, 1999). Un élément qui
permet de comprendre cette pratique est la condition financière des migrants clandestins en général
et surtout la grande vulnérabilité des femmes décidées aussi à rejoindre l’Europe ‘‘malgré tout’’. En
dehors des cas de prostitution volontaire, les violences sexuelles subies par les femmes en migration
clandestine ne sont pas un phénomène nouveau, mais le statut juridique des acteurs qui en sont
victimes ne leur permet pas de porter publiquement les sévices dont elles sont l’objet. Sur le terrain,
nos entretiens révèlent de nombreux cas de violences sexuelles à l’égard des femmes. Le trafic des
femmes s’organise à travers un réseau qui associe certains migrants clandestins, les forces de
l’ordre, des prétendus employeurs et même des hôteliers et des aubergistes qui par ailleurs facilitent
l’établissement des documents officiels. Elles sont ‘‘cédées’’ pour une somme dérisoire à des
intermédiaires qui assurent leur immigration dans les villes européennes et même celles du
Maghreb (Grégoire et Schmitz, 2002).
D’importants réseaux de personnes se constituent et s’organisent pour faciliter ce commerce
du sexe. Ainsi, on peut distinguer selon la typologie proposée par Ouvrard (2000) :
•
le proxénétisme de contrainte : dans ce cas, ce sont des gens qui se proposent de favoriser
l’entrée des femmes dans la prostitution ou l’exploitation des migrantes. Le profit consiste
soit en la réception des subsides ou en partage des produits/capitaux que génère cette
activité, soit parce qu’il s’agit d’une stratégie migratoire puisque ceci leur permet d’obtenir
des faveurs des services de l’ordre. Les proxénètes deviennent de véritables courtiers en
quête de ressources soit pour survivre, soit pour poursuivre leur voyage. Qualifiés de
‘‘runners’’14, ces intermédiaires assurent le placement des femmes prostituées aux hommes
dans les auberges, dans les lieux de loisirs et les débits de boisson. Il s’agit pour d’autres
clandestins des formes d’occupation qui leur procurent des ressources pour poursuivre leur
migration vers leur « terre promise », à savoir l’Occident. C’est à ce sujet que décrivant le
mécanisme, une migrante clandestine rencontrée à Agadez nous a dit : ‘‘Tu viens, tu es une
femme, il te garde à la maison ; il cherche les hommes. Il négocie avec la femme et ils se
partagent 50% de la paye. C’est comme cela qu’ils se font du sous pour voyager’’.
•
le proxénétisme de soutien : Comme le souligne Ouvrard (2000), ‘‘ce type de proxénétisme
désigne l’attitude de celui qui se contente d’aider, de protéger ou de profiter de la
prostitution d’autrui, sans exercer ni pression ni violence sur la personne prostituée et sans
14
Terme utilisé dans les villes de transit par les personnes interrogées.
15
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
en organiser l’exploitation. L’aide peut notamment consister à permettre aux personnes
prostituées et aux clients de se rencontrer, soit en leur fournissant un lieu, soit en les
mettant en contact’’. Les données recueillies montrent que ces réseaux facilitent la
cohabitation ou la constitution d’un proxénétisme hôtelier dans les ghettos habités par les
immigrantes ou dans d’autres quartiers. Dans les villes comme Kousseri, N’Djaména,
Agadez, In Guezzam, et Tamanrasset, de nombreux établissements sont créés dans ce sens
pour soutenir, financer la prostitution en drainant de nombreuses migrantes où elles espèrent
par ailleurs ‘‘avoir la chance de trouver des personnes pouvant les aider dans leurs projets
migratoires’’.
C’est ainsi que l’on a vu émerger dans certaines villes sahéliennes, sahariennes et maghrébines
des lieux de prostitution appelés des ‘‘connexion house’’, c’est-à-dire des espaces d’intenses
activités sexuelles à des fins essentiellement commerciales qui sont parfois connues dès le départ de
leurs pays d’origine par ces clandestines. Ce régime de sexualité n’est pas sans incidence sur la vie
génésique et reproductive de ces reconverties au commerce du sexe. ‘‘En témoigne, le nombre
d’accouchements de femmes subsahariennes constatés dans le hôpitaux marocains, ainsi que le
nombre de migrantes enceintes ou voyageant, seules, avec des nourrissons ou des enfants en bas
âge’’ (Lalhou, 2003). En plus de nombreux risques de contamination aux IST/SIDA, ce sont les
grossesses involontaires qui surviennent souvent les conduisant soit à une migration de retour, soit à
une installation définitive au lieu de transit, lorsqu’elles ne décident pas de recourir aux pratiques
abortives.
Par ailleurs, on ne peut laisser de côté l’exploitation économique dont sont victimes ces
nouvelles actrices du marché du travail dans la plupart des pays traversés par ces flux migratoires.
Le caractère clandestin de cette mobilité ne permet pas toujours une insertion professionnelle en
conformité aux dispositions réglementaires. C’est généralement en violation au code du travail que
les employeurs recourent à cette main d’œuvre peu onéreuse et parois mal rémunérée. C’est ce qui
justifie la grande vulnérabilité des femmes migrantes, puisqu’elles disposent de peu de moyens
(physique, économiques) pour que soit respecté leur droit.
IV Une mobilité et une insertion facilitées par divers acteurs
Les migrations clandestines entre l’Afrique noire et l’Europe, via le Sahara, disposent de
nombreuses ramifications déployées dans les différentes localités de départ, de transit et d’accueil
situées entre les deux rives du Sahara et l’Europe. Celles-ci fonctionnent comme des structures
d’information, d’accueil, d’insertion (provisoire ou définitive) et de relais depuis l’Afrique
subsaharienne jusqu’au sud de l’Europe. Ces ramifications dont sont tributaires les réseaux de
facilitation de la migration ne se présentent pas toujours comme un continuum, c’est-à-dire des
16
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
organisations transfrontalières en connexion permanente d’un bout à l’autre des chemins
migratoires. C’est ce qui justifie par ailleurs la multiplication des relais dans la trajectoire
migratoire et surtout la longue durée de séjour dans une ville de transit. ‘‘Une fois les migrants sur
le départ vers l’Europe passés au nord du Sahel, observe Mehdi Lahlou, plusieurs filières de
‘‘convoyage’’ se mettent [encore] en place, selon les axes sud-nord, sud-nord-ouest, en Algérie,
puis entre l’Algérie et le Maroc, puis au Maroc même, et entre le Maroc et l’Espagne et les autres
pays d’accueil, principalement la France et l’Italie’’.
Quelles que soient les formes qu’il prend, le réseau social apparaît comme un cadre permettant
la circulation des biens, des personnes et des services, c’est-à-dire un moyen privilégié ‘‘pour
entretenir les migrations et réciproquement faciliter l’insertion urbaine en s’accommodant aux
réalités de la ville’’ (Fall, 1991) . Il s’agit d’un espace de sociabilités, de réciprocités, d’échanges,
de dons, d’assistance et de soutien mutuel. Comme le rappelle Fall (1994), leur intérêt réside dans
le croisement de différents domaines du social et dans la dynamique économique qui en résulte. Le
facteur de succès de ces constellations relationnelles qui se constituent en faveur de la migration
clandestine est qu’il repose sur un sentiment fort de solidarité, cette dernière reposant sur des liens
aussi bien religieux, ethniques, familiaux que professionnels. A ce titre, tous les acteurs de la filière
(passeurs, transporteurs, mafias locale ou internationale, employeurs, pouvoirs publics, etc.) seront
animés par cet esprit de solidarité pour le fonctionnement et la réussite de la migration vers
l’Eldorado européen.
Les confréries
La multiplication des courants religieux et particulièrement islamiques ces dernières années
dans les pays de l’Afrique subsaharienne facilitent en quelque sorte la mobilité des personnes, une
mobilité conditionnée par une reconversion religieuse. ‘‘A la limite du Maghreb et du Sahara,
écrivent Grégoire et Schmitz (2000), ces groupes sont organisés en zwiyya, ‘‘maisons’’ ou marchés
associés à un lieu de pèlerinage confrérique, comme ceux qui sont situés sur les contreforts de
l’anti-Atlas marocain et qui contrôlent des points de passages des caravanes, réinvestissant, dans
des oasis alentour, les bénéfices du commerce transsaharien’’.
Les observations faites auprès de la filière tchado-libyenne montrent que les liens confrériques
assurent, par principe de solidarité religieuse, une adoption voire une facile insertion migratoire des
étrangers. C’est ici que les relais sont plus visibles d’un pays à l’autre. Le rôle des espaces religieux
(mosquée, cours de prière) dans l’insertion des migrantes dans les villes sahéliennes ou sahariennes
est important. Par ailleurs, certaines confréries (intégristes) facilitent l’immigration afin de recruter
de nouvelles adeptes ou des personnes à convertir. Le fait qu’elles procurent à la migrante une
sécurité résidentielle, alimentaire et de citoyenneté (avec l’établissement de la nationalité dans
17
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
certains pays maghrébins) accroît les effectifs des candidates qui choisissent cette filière, puisque
celles qui réussissent à s’intégrer deviennent des actrices de nouvelles filières migratoires à travers
les contacts entretenus avec les milieux d’origine.
L’appartenance à ce type de groupe social n’est plus seulement liée à l’origine ethnique, cela
peut tout aussi bien résulter d’option personnelle et individuelle. D’une manière ou une autre, les
leaders des confréries font jouer leur crédit moral et spirituel en sollicitant l’indulgence des
pouvoirs publics en faveur de ces couches sociales dites modestes et défavorisées. On ne peut
cependant pas oublier de relever le rôle des relations ethniques dans le développement des
processus migratoires.
Les regroupements ethniques et de nationalité
Lors de leur premier séjour dans une localité de transit, les migrantes développent le réflexe de
solliciter une assistance auprès de personnes avec qui elles ont une certaine filiation non pas
seulement religieuse, mais communautaire, ethnique, familiale, linguistique, de nationalité, etc. Les
réseaux familiaux en tant que cellules primaires ont ceci de particulier qu’ils procurent à toute
personne étrangère à la localité, le sentiment de sécurité, de protection sociale et de prévision du
risque. Tout en exerçant de moins en moins cette fonction de contrôle social, les liens familiaux
demeurent un moyen de maintenir les institutions sociales de telle sorte que la famille est présentée
encore comme une référence de l’identité d’un peuple, même en milieu urbain. Si la migrante
prolonge son séjour dans cette ville de transit, elle développera par la même occasion ses pôles
relationnels. C’est fort de ce constat que Grégoire et Schmitz (2000) relèvent que depuis bientôt
deux décennies, le nombre de jeunes migrants venant de l’Afrique noire ne cesse d’augmenter ‘‘si
bien qu’ils forment en Afrique du Nord de véritables petites communautés. On les retrouve dans les
villes comme Tamanrrasset, Djanet, Ghât, Sabba, Brak, Misrata, Syrte, Benghazi et même Tripoli,
où des familles résident depuis déjà longtemps, constituant ainsi autant de structures d’accueil
pour les nouveaux arrivants’’. Dans ces localités, les immigrantes s’emploient le plus souvent à
occuper en communauté des habitations pour assurer une certaine solidarité villageoise. Cette
référence identitaire peut se lire dans les pratiques d’insertion urbaine car à l’arrivée, les migrantes
recourent le plus souvent à des chefs de leurs communautés d’origine pour choisir le milieu de
résidence qui peut aussi leur procurer le plus de sécurité. Au-delà des facilités d’accès au logement
que peuvent procurer les membres du groupe ethnique ou des compatriotes aux migrantes, c’est
dans la recherche d’un emploi rémunérateur que cette assistance est également mise à contribution.
C’est ce qui justifie l’usage collectif de pièces (autorisation de travail, passeport, etc.)
Par ailleurs, les immigrantes déjà installées en Espagne (Malaga, Ceuta) ou dans les villes
sahariennes et méditerranéennes (Alger, Maradi, Tamanrasset, Oujda, Marrakech, Rabat, Zinder,)
18
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
sont au cœur de cette mobilité des personnes à travers les informations qu’elles livrent aux autres
potentiels migrantes restées au pays. Ce sont des actrices de la circulation de l’information sur les
dispositions en place pour faciliter l’immigration clandestine.
Les transporteurs et les hôteliers
La connaissance des modes de transport et des facilités d’accès à un logement est un
déterminant essentiel de l’émigration au départ de l’Afrique subsaharienne. Elle permet une
préparation préalable en logistique (types de vêtements appropriés, approvisionnement en eau …)
par rapport aux difficultés à rencontrer au cours du voyage transsaharien. C’est à ce titre que les
documents obtenus de diverses personnes impliquées dans ces mouvements humains mettent en
relief les modes de transports (Land Rover, Land Cruiser, pateras ou petites barques de pêcheurs)
dont se servent les clandestins pour traverser respectivement le Sahel, le Sahara, le Maghreb et la
méditerranée.
Le développement de ces flux migratoires a vu en conséquence émerger des activités
informelles dans le secteur hôtelier et dans celui des transports. De Agadez à Tamanrasset par
exemple, les Touareg ont fait du transport des migrants clandestins une source importante de
revenu, dans un contexte où la pauvreté a des impacts importants. Les maisons familiales sont dans
le même ordre d’idées transformées en lieux d’accueil payants. Ce sont en outre des espaces de
rencontre avec les passeurs, ou des lieux de médiation entre ces derniers et les forces de l’ordre. Ces
derniers sont fortement impliqués dans les circuits qu’empruntent les candidats à la migration
clandestine. Ils interviennent beaucoup plus dans les facilitations des conditions d’entrée ou de
sortie des frontières nationales sous forme d’escorte. De l’avis d’un de nos informateurs, c’est sous
escorte policière que les clandestins traversent certaines frontières sans grande difficulté.
En somme, les transporteurs jouent un rôle fondamental dans cette circulation illégale des
personnes et des biens. Le transport, le guide des migrants, le change sont des activités qui génèrent
d’importants revenus dans des zones aussi touchées par la pauvreté et où l’insécurité est plus que
jamais permanente. Jouer le rôle de passeur, fournir des renseignements, jouer au traducteur, sont
autant de moyens de survie au désert.
Conclusion
La question de l’émigration entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe se pose en termes
complexes. A l’émigration régulière ou légale s’oppose depuis deux décennies une émigration
clandestine sous-tendue par de faux visas, de nombreuses falsifications ou fausses déclarations dans
les consulats et des trajectoires peu rectilignes. Dans cette logique du ‘‘tout pour l’Europe’’ la
19
Mobilités au féminin – Tanger, 15-19 novembre 2005
migration par ‘‘étapes’’ à travers le Sahara est adoptée par les migrantes d’Afrique subsaharienne à
l’image de leurs compatriotes masculins. La filière saharienne offre l’opportunité après la rude
traversée du désert de se retrouver sur les côtes africaines de la Méditerranée et donc tout proche de
l’Europe. Les migrantes sont aidées dans leur processus migratoire par un réseau de sociabilité qui
facilite leur mobilité et leur intégration. Entre les deux rives du Sahara l’espace est maillé de
‘‘bonnes adresses’’ qui offrent le logis, favorisent le change, indiquent le chemin et accordent des
petits boulots rémunérateurs.
La migration clandestine féminine préoccupe aujourd’hui par ses multiples conséquences
tant sur les statuts féminins que dans les zones de transit. En effet, la migration s’accompagne
d’une mobilité des femmes qui optent volontairement ou par contrainte à la pratique d’une activité
procurant parfois de meilleurs revenus, malgré son caractère immoral. Le développement des
migrations féminines clandestines est plus ou moins en relation étroite avec l’amplification de la
prostitution dans les villes travaillées par cette forme de mobilité. Prostitution qui tourne à la
criminalisation (Koh Bela, 2004) car elle se décline parfois en scatologie, ondinisme ou zoophilie
autant dans les pays maghrébins traversés que de ceux de l’Europe (l’éventuel point de chute).
Aussi, la migration clandestine féminine au départ de l’Afrique est en voie d’être un nouvel
enjeu des relations internationales avec les pays du Nord au vu des fortes proportions qu’elle prend
depuis plus d’une décennie. De par ses conséquences dans les lieux de départ que dans ceux de
transit et d’accueil, elle devient un nouveau défi de développement social. C’est d’ailleurs tout ce
qui fait de l’immigration clandestine en provenance de l’Afrique subsaharienne une question d’une
actualité brûlante, alimentant sans cesse les débats politiques euro-méditerranéens. Entre de simples
acteurs sociaux, qui condamnent cette immigration en développant à l’égard de ces ‘‘étrangers’’ un
corpus de stéréotypes raciaux, et ceux qui les exploitent à des fins électoralistes, ce sont des ONG et
des associations de défense des droits de l’Homme (féministes notamment) qui se penchent sur cette
question pour stigmatiser les multiples atteintes dont sont victimes ces migrants peu ordinaires,
notamment l’exploitation sexuelle ä laquelle sont soumises ces migrantes en lutte permanente pour
leur survie.
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