Sabazios - Semestra

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Sabazios
Stella Wenger
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Archäologie
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1. Introduction aux religions orientales
Parce que les religions orientales forment un sujet extrêmement complexe et
varié, j’aimerais me contenter, ici, d’en expliquer brièvement la problématique.
Nous avons déjà vu au cours des leçons précédentes que la religion romaine
est plutôt éclectique, qu’elle est en somme formée de nombreuses autres
religions plus ou moins adaptées au monde occidental.
Il n’est pas simple de résumer en quelques mots ce que sont les religions
venues d’Orient, ce que sont leurs caractéristiques ou leurs spécificités. Pour
en donner une définition complète, il faudrait procéder à des comparaisons et
évoquer de nombreuses hypothèses, ce qui n’est pas le but ici. J’aimerais, pour
ce séminaire, me limiter à la définition de F. Cumont, aujourd’hui communément
utilisée, mais en la relativisant en y apportant aussi les critiques de R. Turcan1.
Depuis F. Cumont2, on entend par «religions orientales» les cultes égyptiens,
syriens ou anatoliens dont la diffusion est attestée à Rome et dans l’Occident
romain. Cependant, cette définition des «religions orientales» est aujourd’hui
remise en question, puisqu’elle suppose certaines idées qu’il nous faut
relativiser. Par exemple, le fait que ces religions ont été importées telles quelles
de leur lieu d’origine, c’est-à-dire, sans subir de modifications dans le monde
occidental. De plus, on serait tenté de croire que ces «liturgies à mystères»3
sont homogènes. En réalité, la majorité des informations concernant la
migration de ces cultes nous échappe. Ce qui est certain, c’est qu’en s’insérant
dans le monde romain, ces cultes ont acquis une forme nouvelle qui mélange
éléments orientaux et éléments romains. Nous savons que certains cultes
avaient déjà été diffusés en Afrique du Nord, en Sicile, en Espagne ou en Gaule
avant la conquête romaine de ces régions.
Les cultes de provenance orientale ne sont pas des religions exclusives,
c’est-à-dire qu’ils n’affirment pas l’existence d’un seul dieu. De nombreux cultes
cohabitent entre eux.
Chaque culte témoigne d’une migration différente. Des raisons purement
géographiques expliquent au départ une hellénisation préliminaire de certains
cultes orientaux. Dès l’époque classique par exemple, le thraco-phrygien
Sabazios avait à Athènes ses adeptes frénétiques et ses mystères nocturnes.
1
M. L. Freyburger-Galland et al., Sectes religieuses en Grèce et à Rome, Paris, 1986, introduction.
Franz Cumont (1868-1947) fut historien des religions de l'Antiquité, philologue, archéologue et
épigraphiste.
3
On appelle «religions à mystères» des cultes réservés à des communautés qui se sont développés,
dans l'Antiquité gréco-romaine, à côté de la religion officielle et publique de la cité. Les membres de
ces religions plus ou moins clandestines cherchaient, au-delà de la liturgie civique, le sens de
l'existence humaine et de leur destin personnel. Le christianisme devait triompher de ces «religions à
mystères», sans toutefois apaiser définitivement l'inquiétude qui les avait fait naître. Parmi les cultes à
mystères les plus connus, on peut citer ceux d‘Eleusis, de Mithra ou de Cybèle.
2
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Il est donc important de souligner que les cultes n’arrivaient pas à l’état pur
de leur pays d’origine. R. Turcan propose de parler de «religions d’origine
orientale», expression qui permet une certaine marge quant à la définition
exacte de ces religions.
F. Cumont toujours, dans sa définition des religions orientales, laisse penser
que ces religions forment un tout, qu’elles sont espèces d’un même genre : les
religions à mystères. Les cultes orientaux étaient avant tout étrangers à l’esprit
et au tempérament des romains, ils contribuaient à altérer l’attachement à la
coutume des ancêtres. La majorité de ces cultes arrivaient dans les grandes
maisons par des esclaves venus d’ailleurs et restés fidèles à leur religion
ancestrale. La multiplication des communautés à mystères satisfait à la
préoccupation des migrants qui cherchent à retrouver une famille, une identité
en marge de la société romaine. Ainsi, les Grecs ou les Orientaux hellénisés
ont su les déplacer avec eux, les adapter, en assouplir la diffusion et la
célébration pour répondre aux aspirations de tous ces déracinés.
1.1 Quelles sont les caractéristiques des religions orientales?
1.2 Comment les religions orientales s’adaptent-elles au
monde romain?
2. Le dieu Sabazios
Dans le contexte des mains votives, j’aimerais aujourd’hui vous présenter
celles dédiées au dieu Sabazios. Je vais consacrer un premier chapitre au dieu
lui-même, aux nombreuses associations dont il fait l’objet et à ses principales
caractéristiques. Dans un second chapitre j’aimerais faire une introduction sur
les mains votives en général et finalement parler de celle d’Avenches en
particulier, et qui me semble bien résumer toutes les particularités du dieu
Sabazios et de son culte.
Les origines de Sabazios sont aujourd’hui encore incertaines. Aristophane
est un des premiers écrivains à citer le culte sabaziaque. Il place les origines de
Sabazios en Phrygie et les plus anciens documents attestent également d’une
provenance d’Asie Mineure. Ce ne serait qu’au Ier siècle avant que le culte
serait arrivé dans les Balkans. De nombreux textes le définissent comme étant
un dieu thraco-phrygien.
Le nom «Sabazios» vient peut-être du terme saba ou sapa qui signifie «jus»
ou «bière». Par cette définition, il s’apparenterait à Dionysos, dieu du vin.
En Asie Mineure Sabazios a noué des liens particuliers avec les dieux Attis
et Mên, le dieu Lune. Il portait comme eux le bonnet phrygien ou du moins un
pilos à profil conique. Il avait comme attribut le thyrse et la pomme de pin. On le
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représentait mettant le pied sur une tête de bélier (comme Mên sur une tête de
taureau). C’était un dieu souverain, «seigneur», identifié avec Zeus (parfois
avec Hélios) et associé à la Grande Mère aussi. On redoutait le courroux du
Seigneur Sabazios, et plusieurs stèles de «confession» nous conservent le
témoignage de fidèles repentis, souvent frappés par une maladie des yeux ou
d’autres épreuves physiques pour avoir, par exemple, coupé les arbres d’un
bois sacré ou fait enlever un hiérodule (hiéros = sacré ; doulos = esclave.
Esclave attaché au service d’un temple).
Les deux courants dionysiaque et sabaziaque se sont souvent croisés, voire
unis ou même confondus dans l’imaginaire artistique et mythico-cultuel, mais
sans s’identifier partout uniformément. Ils font tous deux partie des religions
dénoncées par les Pères de l’Église comme polluant le monde romain.
Sabazios possède de nombreuses appellations, que ce soit en grec ou en
latin. On trouve principalement Σαβαζιοξ en grec et Sabazius en latin. Mais
dans les deux langues, on trouve encore une multitude de variantes, dues
probablement à des fautes d’orthographe ou a des tentatives de transposer le
mot phonétiquement à la prononciation de l’époque4. J’utilise, ici le nom grec
sous forme latine que j’ai fréquemment vu dans les ouvrages que j’ai consulté,
c’est-à-dire, Sabazios.
Sabazios est fréquemment associé à des divinités, dont il adopte les
spécificités qui s’ajoutent alors aux siennes. Le dieu avec lequel il est
définitivement identifié par les témoignages épigraphiques est Zeus. De
nombreuses inscriptions découvertes en Thrace, en Asie Mineure, à Délos, en
Dalmatie, en Italie et en Gaule attestent de cette apparenté5. De ces
témoignages, nous pouvons conclure que les fidèles de Sabazios, tous comme
ceux de Zeus, considéraient leur dieu comme une divinité suprême. D’autres
inscriptions identifient le dieu à Jupiter Optimus Maximus (Jupiter très grand et
très bon), la plus haute appellation divine dans l’Empire romain.
Sabazios est parfois apparenté à Hermès, qui apparaît en buste sur un
certain nombre de mains votives dédiées à la divinité6. Sa présence peut aussi
être indiquée par le caducée. Nous allons rencontrer les deux cas cités sur des
exemples que je vais vous présenter tout bientôt.
Alors que de nombreux textes anciens relatent des parallèles entre les cultes
de Sabazios et de Dionysos, seule une main, celle d’Avenches (I, 47), porte en
attribut un buste qui pourrait être identifié à Dionysos, et cinq autres objets
votifs portent un attribut identifiable à un thyrse, le bâton entouré de feuilles de
lierre ou de vigne, attribut de Dionysos et surmonté d’une pomme de pin. (II, 85)
Par exemple sur une plaque de bronze découverte dans la tombe d’un enfant
4
E. N. Lane, Corpus Cultus Iovis Sabazii. Conclusions, Leiden, 1989, p. 38.
Voir E. N. Lane, Corpus Cultus Iovis Sabazii. The Other Monuments and Literary Evidence, Leiden,
1985.
6
C’est par exemple le cas pour la main votive d’Avenches (inv. 447 [597]) que je vais étudier plus en
détail dans un chapitre suivant.
5
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de la nécropole d’Ampurias en Espagne. Au centre de la plaque se tient
Sabazios, barbu, en vêtements phrygiens et la main droite levée en signe de
bénédiction. Son pied droit repose sur la tête d’un bélier, une des
caractéristiques du dieu, comme je vais le montrer par la suite. À droite de
Sabazios se trouve un arbre, autour duquel s’enroule un serpent et au sommet
duquel émerge le buste de Dionysos. Deux thyrses croisés et desquels pendent
des cloches et un tambourin, sont représentés appuyés à l’arbre. Tous ces
attributs peuvent être l’affirmation d’une correspondance entre les cultes
dionysiaques et sabaziaques.
Sabazios, comme Asclépios, le dieu grec de la Médecine, a fréquemment
comme attribut le serpent. L’importance de ce caractère commun est souligné
par la découverte d’une main votive (I, 5) dans l’Asclépieion au Sud de
l’Acropole
d’Athènes
et
qui
porte
l’inscription
suivante :
Αθηναιοξ / αναθεµα / ∆ιι Ζαβαζι / ω. Sabazios, en compagnie d’Asclépios,
possède, en plus de sa fonction personnelle, aussi la fonction de guérisseur,
spécifique au dieu médecin.
D’autres divinités encore, qui sont de près ou de loin associées à Sabazios
sont Apollon, Mithra, Attis, les Dioscures, Hercule, ou Mars. Les Dioscures, par
exemple, sont présents sur plusieurs plaques (II, 80+85) et sur une main votive
(I, 45) par leur symbole, l’étoile à quatre pointes, puis plus tard à six branches.
Cybèle est une des rares divinités féminines associées à Sabazios. La
déesse-mère est une divinité phrygienne, tout comme Sabazios. Elle est
vénérée pour sa force reproductrice. Deux plaques de bronze (II, 81+82) la
représentent siégeant sur un trône flanqué de lions alors qu’un troisième fauve
se trouve sur ses genoux. Elle tient dans la main un pavot et deux personnages
portent une couronne au-dessus de sa tête. Attis, le dieu phrygien de la fertilité,
se tient à sa gauche et Hermès à sa droite. Sur le fronton est représenté
Sabazios. Cybèle est présente aussi sur la main d’Avenches comme nous
allons le voir plus en détail par la suite. À part Cybèle, il n’y a pas beaucoup
d’autres divinités féminines mentionnées en corrélation avec Sabazios. Peutêtre parfois Artémis ou Déméter.
En plus de toutes ces divinités auxquels Sabazios est plus ou moins
fréquemment associé, le dieu possède de nombreux attributs, qui symbolisent
ses pouvoirs. Cinq animaux sont particulièrement importants pour
l’iconographie sabaziaque ; il s’agit du serpent, de la grenouille (ou du crapaud),
du lézard, de la tortue et du bélier. La signification des ces animaux reste
parfois mystérieuse, mais ils sont souvent considéré comme étant
apotropaïques. Le serpent a nettement un caractère protecteur. Le lézard a des
capacités régénératrices et est ainsi un symbole de renaissance, de mort et de
résurrection. La grenouille, par son développement de l’œuf au têtard et à la
grenouille est une métaphore des divers âges de la vie que traverse l’homme
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pour atteindre la perfection. Selon Claudius Aelianus7, le crapaud à deux
caractéristiques : une mortelle et une porteuse de guérison. Pour les égyptiens,
la grenouille était symbole de naissance, et le dieu des naissances même,
Héqet, est représenté avec une tête de grenouille. La tortue est présente sur
certaines mains votives principalement en raison de l’association de Sabazios à
Hermès qui, lui, est associé aux tortues dans les Hymnes homériques. Le
bélier, ou néanmoins sa tête, est à maintes reprises représenté sous les pieds
du dieu ou comme attribut sur les mains (I, 51 ; II, 87). Symbole de
masculinité, il est également possible que le bélier ait été l’animal de sacrifice
par excellence du culte sabaziaque.
En ce qui concerne les autres présences humaines sur les objets votifs
relatifs à Sabazios, on observe fréquemment celle d’une femme allaitant un
enfant dans une grotte. La première interprétation pour cet élément a été qu’il
s’agissait d’un remerciement pour un accouchement réussit ; cette hypothèse
implique cependant, que la divinité ait eu une fonction protectrice pour les
femmes enceintes. Elle accorderait à Sabazios un rôle très important dans le
domaine de l’accouchement et de la naissance et ferait de lui un dieu au culte
essentiellement féminin. La présence d’un oiseau (peut-être un aigle) audessus de la grotte dans laquelle est couchée la femme allaitant, mène certains
chercheurs à émettre l’hypothèse suivante : nous serions ici en présence d’un
épisode du mythe de la naissance divine du dieu lui-même. L’oiseau serait dans
ce cas un symbole de mauvais augure, et la mère de Sabazios aurait donné
naissance au dieu en dépit de cette mauvaise annonce. Si c’est le cas, le
serpent est alors symbole de pouvoir, qui combat le mauvais augure.
Nous pouvons nous faire une idée du culte du dieu par quelques plaques
conservées et qui semblent montrer des scènes de rituel et des processions.
II, 41 : à gauche du registre supérieur se trouve Sabazios lui-même dans un
char accompagné du serpent et d’un aigle qui indique ici son association à
Zeus. Il est mené par Hermès, reconnaissable à son caducée et son pétase. Au
centre du registre supérieur se trouve probablement encore une fois Sabazios,
sur un podium et exerçant une libation. À droite se tiennent trois fidèles avec les
mains levées en signe d’adoration. Au centre du registre inférieur se trouve à
nouveau un autel, à gauche se tiennent sept fidèles et à droite six. L’inscription
au dessous donne une date pendant la période du règne de Sulla. L’arbre,
derrière l’autel, est un élément récurrent de l’iconographie sabaziaque.
Qu’en est-il du monde végétal dans le cadre de l’iconographie
sabaziaque ? L’attribut le plus important pour le dieu Sabazios est la pomme de
pin. Elle est présente (ou l’était à l’origine) sur 95 objets relatifs à Sabazios.
Cependant, la pomme de pin n’est pas exclusive de cette divinité, et elle se
rencontre en présence d’autres dieux aussi, comme par exemple, Mên.
Symbole de fertilité et de renaissance, fréquent sur les tombes romaines. Cette
7
Claudius Aelianus, La personnalité des animaux…
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symbolique correspond aussi à la signification des animaux attribués au dieu et
cités précédemment. Les arbres sont relativement fréquents, mais difficiles à
identifier. Ils sont parfois indiqués par des branches ou des feuilles. On observe
aussi des vases de toute sorte (canthare, amphore, cratère, hydrie). On les
trouve sur presque toutes les mains et les plaques. (II, 85). Est-ce ici aussi un
indice sur le lien entre Sabazios et Dionysos ? Ils sont de toute manière une
preuve que les fidèles buvaient en commun du vin lors du culte sabaziaque. On
trouve également comme attributs des instruments de musique, tels que des
flûtes (tibiae, cornua), des cymbales, des cloches, des tambours, des
tambourins ou un triangle. On remarque des échelles, représentant
possiblement les divers niveaux de l’initiation sabaziaque ainsi que des
balances, utilisées peut-être pour la pesée des âmes des fidèles. (II, 78 ; I, 8).
Cependant, notre manque de connaissance concernant ce culte initiatique ne
nous permet pas de déterminer un nombre exact de niveaux. L’échelle peut
être un simple symbole d’élévation.
Par la présence des vases, nous pouvons conclure que les communiants
recevaient du vin lors des cultes. Nous ne pouvons dire avec certitude si ils
mangeaient aussi la viande de leurs sacrifices. Mais la présence des autels et
de couteaux nous assure le rituel du sacrifice. Une part du rite constituait à faire
de la musique sur des instruments à vent et des percussions. Les sanctuaires
étaient peut-être emplis de symboles du dieu, tels que des balances, des
pommes de pin et des mains votives. Les mains étaient portées durant les
processions (II, 78 et 79a). Il s’agit d’un fait important sur lequel nous allons
revenir. De l’eau était probablement nécessaire pour le culte (II, 60), et aussi
des oiseaux qui volaient librement dans les sanctuaires. Les plaques étaient
peut-être portées par les prêtres des cultes sabaziaques, pour se distinguer des
autres fidèles8. (II, 58, 59, 60).
Une large partie des fidèles de Sabazios ont peut-être été des militaires de la
garde prétorienne ou des membres de légions. Cependant, les quelques
inscriptions trouvées et attestant de ce fait ne permettent pas de dire que
Sabazios était une divinité spécifiquement militaire, au contraire de Jupiter
Dolichenus. Mais ce qu’on peut tiré des sources épigraphiques est que la
majorité des fidèles est masculine. Apparemment, Sabazios devait
fréquemment partager un sanctuaire avec d’autres dieux (à Pergame avec
Athéna). Sanctuaires de Sabazios même peut-être à Rhodes, Teos et au Pirée.
En Thrace romaine, des temple du dieu se trouvaient à Serdica (II, 1) et à
Augusta Traiana (II, 10). En Italie, des documents (II, 58-60) nous indiquent la
présence au IIIe siècle ap. d’un sanctuaire commun à Sabazios et à Caelestis
sur les pentes du Capitole.
Cependant, le plus grand sanctuaire attesté de Sabazios devait se trouver
dans une maison de Pompéi (Reg II, ins 1-12), où furent découvertes deux
8
E. N. Lane, Corpus Cultus Iovis Sabazii. Conclusions, Leiden, 1989, chap. «les symboles de
Sabazios ; les pratiques de son culte».
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mains (I, 14-15) et un cratère (I, 15bis a-b). Probablement pour un culte privé
(I, p.8 plan)9. La maison est située au sud-est de la ville et possède une cour
intérieure entourée d’un portique et de longs corridors. Cette maison est assez
typique des formes nouvelles que prend la piété païenne à l’époque impériale
pour qu’on s’y arrête un instant. Il s’agit d’une demeure relativement éloignée
du centre civique de la colonie, à l’écart en tout cas des cultes officiels et
publics. Elle n’a qu’une ouverture plutôt étroite sur la rue et des murs quasiment
aveugles. On y pénétrait par une allée au bout de laquelle on trouvait à gauche
une petite salle à manger, mais qui aboutissait à une grande cour à portique.
Dans l’axe de l’entrée était érigé un autel tout simple en briques maçonnées et
muni d’anneaux de fer sur lesquels on pouvait fixer les hampes supportant des
mains «panthées». Face à l’autel s’ouvrait une pièce couverte, dans laquelle
était aménagé un podium suffisamment profond pour avoir pu servir à des
représentations théâtrales. Autour de la cour ou en relation avec la cour,
s’ouvrait l’accès à des pièces dont la destination nous échappe. L’une d’elles,
entourée de grands murs pleins, avait assez de capacité pour abriter des
rassemblements initiatiques ; une autre avec son foyer et son évier a pu servir
de cuisine. D’autres on dû fonctionner comme des chambres. À l’entrée de la
salle couverte munie d’un podium, sur le pilier de gauche, on a déchiffré en
graffito le neutre antru ; sur le pilier de droite étaient gravés les dessins d’un ibis
(avec une inscription en démotique – ancienne langue et écriture des égyptiens
– désignant le dieu Thot10) et d’un danseur nu, ithyphallique, tenant un
tambourin. Près de l’autel on a dégagé deux amphores à vin : l’une décorée de
grappes, de serpents, de pains ronds et d’autres motifs analogues à ceux dont
les mains «panthées» sont surchargées : l’autre portant, outre les serpents, des
médaillons à sujets érotiques. La façade de la maison montrait peints sur fond
blanc un Mercure (l’équivalent du Thot égyptien), un Bacchus et une Vénus.
Sur la face interne du pied-droit de la porte, un Priape semblait convier les
habitués du lieu à certaines activités particulières… qui, comme les médaillons
à sujets érotiques et comme le danseur ithyphallique, confirmaient le
témoignage de Diodore sur la «honte» des cérémonies clandestines chères aux
sabaziastes. En dehors de deux mains «panthées», on a retrouvé entre l’autel
et le sacellum, une sorte de petit sanctuaire, toute une série de lampes qui ont
évidemment servi à leurs réunions nocturnes. Le graffito antru nous autorise à
supposer qu’il s’agit en fait d’antrum, qui signifie antre ou grotte. Il pourrait y
avoir ici un rapport avec l’antre que l’on voit sur les mains de bronze et qui
abritent la naissance de Sabazios, allaité par sa mère Perséphone en présence
de l’aigle jovien. Ce qu’on sait sur les cultes sabaziaques ne laisse aucune
hésitation sur les dévergondages que résume à sa manière le vieillard lubrique
9
E. N. Lane, Corpus Cultus Iovis Sabazii. Conclusions, Leiden, 1989, chap. «le culte dans l’Empire
romain».
10
Thot est le dieu égyptien du Savoir. Il est considéré comme l'inventeur de l'écriture, des arts et des
sciences et on lui attribuait tout un ensemble d'ouvrages qui constituaient l'encyclopédie religieuse et
scientifique de l'Égypte antique. On le représentait sous la forme d'un homme à tête de babouin ou
d'ibis; on lui rendait principalement un culte à Hermopolis. Il fut identifié par les Grecs à Hermès.
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figuré à l’entrée de l’antre sacré. Après avoir assisté à la réactualisation
scénique du mythe, le candidat aux mystères devait participer à un banquet,
boire et danser dans la cour, autour de l’autel sur lequel on faisait des libations
de vin, avant de sacrifier un bélier. Le néophyte s’intégrait au club par une sorte
de bacchanale qui avait aussi mauvaise presse que les orgies de Bacchus. Le
Priape de la porte d’entrée incarnait à lui seul tout un programme.
Les chercheurs tendent à penser que le culte de Sabazios était un culte à
caractère majoritairement privé.
2.1 Le culte de Sabazios
C’est Dionysos qui, le premier, secoue Rome au lendemain de la seconde
guerre punique11. Les associations à mystères se multiplient dans l’Anatolie
romaine, comme en témoignent aussi bien la numismatique locale des cités
que l’épigraphie. Irruption à Rome en 186 av. J.-C. avec l’affaire des
Bacchanales. L’affaire des Bacchanales éclate en 186 av. J.-C. et les autorités
se donnent l’air de découvrir brusquement l’existence d’un mouvement
subversif dont il y a beau temps que les Romains ont perçu les manifestations
nocturnes et bruyantes, dans leur voisinage ou dans leur famille. Naguère, un
Grec obscur, sacrificateur et devin, s’est insinué dans l’Urbs pour s’y faire
l’instigateur de cérémonies nocturnes et clandestines. Les mystes ne se
contentaient pas de participer, paraît-il, à des orgies où le vin, la bonne chair et
la mixité encourageaient la débauche. Leur secte abritait les pires délits :
falsification de sceaux et de testaments, empoisonnements, meurtres
diligemment exécutés dans le fracas des cymbales et des tambourins qui
couvraient la voix des victimes, art de faire disparaître proprement les cadavres.
Mais dans l’Urbs, le dionysisme est interdit et fortement réprimé.
À partir de l’époque de César, les témoignages de l’archéologie figurée et de
la tradition littéraire concernant les mystères dionysiaques deviennent plus
nombreux. Grande frise de la Villa des Mystères à Pompéi, datée des années
60 av. J.-C. (IIe style). Des scènes d’initiation apparaissent sur les voûtes
stuquées et les parois peintes des petits salons de la Farnésine, cette villa
transtibérine peut-être occupée par Agrippa et Julie, la fille même d’Auguste.
Puis, durant les trois premiers siècles de notre ère, l’imagerie des mystères se
diffuse et se divulgue dans la céramique, la glyptique, la mosaïque et l’art
funéraire. Les initiations se font en principe la nuit, tous les deux ans à l’origine.
Les bacchants se réunissaient le plus souvent en marge des cultes officiels et
publics, dans des propriétés privées, parcs ou bois sacralisés par des chapelles
et des idoles de toute sorte. À l’origine aussi, les candidats s’imposaient un
castus, un temps de continence et d’abstinence. Des sacrifices de porc ou de
11
La deuxième guerre punique s’est déroulée entre 218 et 201 avant J.-C.
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coq préludaient à la consécration du myste. L’initiant prêtait serment et on lui
ajustait une peau de faon ou de bouquetin. On le couronnait peut-être de lierre,
de myrte ou d’autres feuillages sacrés et sacralisants. On communiquait au
myste des «symboles» ou mots de passe, justement pour franchir les obstacles
au bonheur éternel dans l’au-delà et pour neutraliser les démons infernaux.
L’initiation s’achevait par une liturgie de l’ivresse et de la danse. D’une
association à l’autre, la liturgie variait plus ou moins sensiblement, car aucun
organe central n’en réglementait le rituel, ce qui facilitait la diffusion et
l’implantation des thiases, mais risquait d’en affaiblir l’ardeur et la rigueur
cultuelles.
CULTE
Au début du IVe siècle avant notre ère déjà, les participants des cultes
sabaziaques faisaient, dans les quartiers d’Athènes, un tapage nocturne dont
témoignent avec une hostilité sarcastique Aristophane et Démosthène. Dans
son Discours sur la couronne (259-260), ce dernier décrit la liturgie des fidèles
de Sabazios en des termes qui préfigurent assez curieusement celle des
mystères dionysiaques, tels qu’ils se manifestent dans l’épigraphie et
l’iconographie du monde gréco-romain. La cérémonie durait toute une nuit et
s’achevait le lendemain par des danses où l’on brandissait des «serpents
joufflus» et où l’on portait le van (panier à fond plat et muni de deux anses)
mystique en criant.
De jours, les adeptes de Sabazios forment des processions dans les rues. Ils
sont couronnés de fenouil et de peuplier blanc, plantes consacrées aux divinités
chtoniennes (forces chtoniennes = source de vie, victorieuses de la mort,
purification des fautes originelles). Rôle symbolique important des «serpents
joufflus». Cérémonies nocturnes : purification et initiation. Sorte de baptême.
Aucun culte hellénique ne recourt à ce genre de pratiques -> provenance
barbare. Révélation finale sous la forme d’un drame mystique. Le culte de
Sabazios ne semble pas avoir été interdit. Réponse à une attente spirituelle du
peuple12.
Pendant la période hellénistique, Sabazios à surtout fait sentir sa présence
sur le pourtour de la mer Égée. Peu avant l’établissement officiel de Sabazios à
Pergame, le culte atteint Rome. Les preuves nous viennent de l’historien Valère
Maxime13 qui vécu durant le règne de Tibère14. Ce témoignage a cependant
deux inconvénients : l’historien n’est pas contemporains de l’introduction du
culte à Rome et le texte qu’il nous a livré est incomplet (erreurs de transcription
possibles). L’historien rapporte qu’en 139 av. des personnes voulant nuire aux
morales romaines par le culte de Jupiter Sabazios avaient été expulsées de
12
Sectes religieuses en Grèce et à Rome. P. 80. Sabazios ou le Dionysos thrace.
er
er
L’historien latin Valère Maxime vécu du I s. av. J.-C. au I s. apr. J.-C. Son recueil de Faits et Dits
mémorables est dédié à l’empereur Tibère.
14
Tiberius Julius Caesar est né à Rome aux environs de 42 av. J.-C. et est décédé à Misène en 37
apr. J.-C. Il fut empereur romain de 14 à 37 apr. J.-C.
13
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Rome par le préteur pérégrin, c’est-à-dire, le magistrat civil chargé d’arbitrer les
conflits entre étrangers ou entre citoyens et étrangers (II, T. 12).
Nous constatons donc qu’aux alentours de 100 av., la vénération de
Sabazios se répand et s’établit. Depuis son origine anatolienne, Sabazios
passe par la Thrace vers la fin du Ier siècle av. et le début du Ier siècle ap.
Le premier document archéologique attestant de l’existence du culte de
Sabazios est une main de bronze provenant du camp romain de Dangstetten
en Suisse (Denges, entre Renens et Saint-Sulpice), en fonction entre 15 et 9
av.15 (I, 49).
Sabazios semble s’être établi même jusque sur le Capitole à Rome, non loin
de Jupiter Optimus Maximus dont il porte parfois les noms sur les dédicaces
latines. Sur les pentes de l’Arx, là où Junon Moneta protégeait l’antique atelier
monétaire, la déesse punique Caelestis16 avait un sanctuaire qui semble avoir
abrité aussi certains cultes sabaziaques pendant l’époque impériale, à en juger
du moins par trois inscriptions trouvées dans ce secteur. La Tanit carthaginoise,
invoquée comme Triumphalis (ce qui s’accordait bien avec un culte capitolin), y
donnait asile à un Sabazios Inuictus. La construction du Monument de VictorEmmanuel II17, sur le sommet du Capitole, avait occasionné, voici moins d’un
siècle, la découverte de la statuette en marbre d’une déesse assise dédiée
Sancto deo Sabazi et révélant d’un lien avec un culte de Mithra. Cette trouvaille
près de l’Arx nous y confirme l’implantation de Sabazios en liaison avec un
autre culte.
Document attestant l’implantation du culte de Sabazios à Pergame :
Inscription d’Attalus III datée de 135/4 av. Il y est mentionné que la mère
d’Attalus était particulièrement reconnaissante envers Zeus Sabazios et qu’elle
l’avait introduit dans le pays en tant que divinité traditionnelle des ancêtres.
Sabazios fut honoré dans le temple d’Athéna Nikephoros (de la victoire ?) en
tant qu’ami et sauveur en moments de danger. (The Attalids of Pergamum,
Ithaca, E. Hansen. Fouilles d’Amyzon en Carie, I, Paris, L. Robert).
Cependant, le culte de Sabazios ne survécu pas à l’invasion romaine.
Nombreux témoignages épigraphique du culte de Sabazios à Pergame,
mentionnant le dieu comme divinité officielle ou identifié à Zeus.
1.2 Le déroulement de la liturgie sabaziaque
Le syncrétisme de la religion sabaziaque se caractèrise par le fait qu’elle
réunit de nombreuses divinités. Les bustes de Jupiter-Sabazios et Bacchus
15
Lane, Conclusions. L’histoire du culte avant la période augustéenne.
Dea Caelestis est le nom romain de la déesse Tanit, une divinité carthaginoise appelée aussi Bal’al
ou Astarté Son culte, exporté par les marins carthaginois, se répandit sur toute la méditerranée.
17
La construction du Monument de Victor-Emmanuel II, dit aussi "il vittoriano", commence en 1885,
mais l'inauguration n’a lieu que 26 ans plus tard, en 1911. Aujourd'hui, le monument abrite le musée
historique du Risorgimento.
16
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dominent la main. Le culte de Sabazios était aussi lié au culte de Cybèle. La
pomme de pin est un symbole de fertilité. Le bélier, qui est normalement
rattaché au culte de Bacchus, peut être ici représenté en tant qu’animal de
sacrifice. Le culte de Sabazios a probablement été pratiqué entre le Ve siècle
av. et le IIIe siècle ap18.
1.3 Les objets votifs relatifs au culte sabaziaque
Le buste de Bolsena nous montre bien que la connexion des cultes
sabaziaques et mithriaques ne constitue pas une exception proprement
romaine. À Ostie aussi, un Sabazeum lié (comme sur le Capitole) au culte de
Caelestis a finalement servi de Mithraeum. L’épigraphie du site nous démontre
que Mithra en tant que «Invisible Soleil Omnipotent» y avait les mêmes fidèles
que Jupiter Sabazios. Cependant, les témoignages en Italie restent plutôt
sporadiques.
On invoquait Sabazios comme un dieu sauveur, conservator (C’est-à-dire
sauveur, comme on peut le lire sur un autel consacré à Mayence par un soldat
originaire de Pannonie). La sauvegarde de la santé physique relevait de son
omnipotence qu’illustrent des plaques en bronze où ce Jupiter est accosté de
multiples symboles : outre le Soleil et la Lune, le foudre et le caducée, les
bonnets des Dioscures et autres attributs cosmiques. On le trouve associé sur
des triptyques en bronze à Castor et Pollux, à Cybèle, Attis et Mercure. En
Gaule, son culte s’est greffé sur certains sanctuaires de sources, où des
migrants venus de l’Orient méditerranéen côtoyaient les indigènes. Dans une
ville d’eau comme Vichy, on a recueilli quelque 80 ex-voto. Il s’agit le plus
souvent de plaques en argent : lamelles parfois triangulaires comme celles du
culte dolichénien19, en forme de palmes trilobées ou de branches stylisées
portant l’image en repoussé du foudre ou de Jupiter Sabazios en son temple,
accompagné de l’aigle. Les motifs végétaux évoquent (outre la palme du
triomphe) la vigne bacchique – et donc le vin d’immortalité – ou le lierre
dionysiaque, mais plus généralement la toute-puissance du dieu sur la flore et
la fructification, si étroitement solidaires des eaux salutaires. Sabazios n’avait
pas de temple attitré, ni en Occident, ni à Rome. Il avait une clientèle ambulante
de pèlerins et de déracinés, comme d’autres déités gréco-orientales. Triptyques
portables retrouvés à Rome et à Ampurias et rassemblant les «icônes» de
Sabazios, de Cybèle et d’Attis. On les repliait en pliant bagages pour les
transporter commodément et les offrir à l’adoration des dévots occasionnels,
dans un de ces sanctuaires mithriaques à l’ombre desquels on honorait les
dieux nomades ou mal dotés. Les indices les plus significatifs de ces cultes
sont les mains de bronze qui font le geste de la benedictio latina, avec les trois
premiers doigts dressés, du pouce au majeur, les deux autres étant repliés. Ces
18
A. Leibundgut, die römischen Bronzen der Schweiz, II, Avenches, Mainz, 1976.
Le dieu Jupiter Dolichenus possède un culte à mystères amené en Occident par les soldats de la cité syrienne de
Doliche, aujourd’hui Dülük au sud.est de la Turquie, et dont il était le patron.
19
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mains nous sont présentées fréquemment sur un socle, mais on en connaît qui
sont creuses et faites apparemment pour être fixées sur un manche de bois. La
plaque médiane du triptyque découvert à Ampurias nous montre un autel
flanqué de deux mains dressées sur des supports de ce type. Plusieurs de ces
mains portent au-dessus de la paume une image de Sabazios en buste ou en
pied, outre une multiplicité de motifs qui illustrent le culte du dieu et la pluralité
de ses compétences : balance, caducée, serpent, lézard, grenouille ou
crapaud, arbre, pomme de pin, amphore ou cratère, flûtes droite et courbe, tête
de bélier, pain rond, table d’offrande, etc… Surtout, beaucoup d’exemplaires
nous montrent une femme allaitant son bébé dans une caverne. La tête de
bélier, les vases à vin, le pain, le serpent, les instruments de musique nous
réfèrent aux rites sacrificiels et aux symposiums des sabaziastes. Mais la mère
nourricière dans sa grotte ? On la trouve quelquefois accompagnée d’un aigle
qui fait évidemment songer à Jupiter. Mythe : Sabazios passait pour être le fruit
des amours de Zeus et de Perséphone. Clément d’Alexandrie et Arnobe s’en
gaussent ou s’en indignent à propos justement des mystères sabaziaques.
Mais Sabazios s’est annexé les pouvoirs de Zeus, et sur plusieurs mains
votives on voit l’aigle serrant le foudre du souverain céleste. Sabazios devient
Jupiter Sabazios. Zeus passait pour s’être uni à Perséphone sous la forme d’un
dragon. Aussi, l’initiation aux mystères sabaziaques comportait-elle un rite
d’hiérogamie (hiéros = sacré ; gamos = mariage ; mariage entre les dieux). On
faisait passer contre la poitrine du myste un serpent de métal20.
3. Les mains votives
J’arrive maintenant au chapitre sur les mains votives dédiées au dieu
Sabazios.
Il existe 97 mains sabaziaques, dont seuls deux tiers ont une provenance
assurée. On en a relevé en Thrace et en Asie Mineure, dans les provinces
danubiennes, en Gaule et en Germanie, mais surtout en Italie et dans les îles
avoisinantes, en Sicile et en Sardaigne, où une trentaine d’exemplaires
géographiquement bien situés sont attestés.
Il existe toute une étude très intéressante sur la symbolique du signe de la
main. Selon Blinkenberg, il s’agirait d’une bénédiction magique. Dans le
Mythologisches Lexikon21, on trouve la définition suivante «ce geste est une
caractéristique spécifique au culte de Sabazios et qui a peut-être engendré la
benedictio latina dans l’Église chrétienne». Ce geste est en effet caractéristique
des statuettes (I, 36 ; II, 86a) représentant le dieu ou bien des amulettes en
forme de mains, mais il n’est pas pour autant spécifique à son culte. Au
contraire, ce geste était répandu dans tout le monde antique. La main du dieu
en général incarne un pouvoir sauveur. Pour les Chrétiens et les non-Chrétiens,
20
21
R. Turcan, les cultes orientaux dans le monde romain. Chap.: Dionysos et Sabazios.
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la main peut avoir une signification apotropaïque ; et la main de Sabazios est
même renforcée dans ce caractère par d’autres attributs apotropaïques, tel que
la grenouille.
Mais ce geste, avec les trois premiers doigts levés et les deux autres repliés
peut aussi être synonyme de parole, il signifie le mot parlé. Mais attention : le
geste seul signifie la parole, il n’a rien à voir avec une bénédiction. Il s’agit
d’une bénédiction seulement si le geste est accompagné d’une formule. La
conception du pouvoir de dieu incarné en sa main droite est familière au monde
entier22. Cumont écrit : «le geste de lever la main est proprement une menace,
et il a prit ainsi très naturellement une signification apotropaïque : la main droite
ouverte a conservé ce caractère jusqu’à nos jours dans tous les pays
occidentaux en Asie comme au Nord de l’Afrique. Lorsqu’il est fait par le dieu, il
protège ses serviteurs contre toutes les influences malignes et les esprits
mauvais et devient ainsi un signe tutélaire, un symbole de bénédiction. Quand
c’est le fidèle qui le fait, il renforce ainsi sa prière ou son incantation et l’action
de la main s’ajoute à celle des paroles consacrées pour écarter de lui tous les
maux»23.
Les dimensions des mains votives varient entre 5 et 20 cm, mais la plupart
des mains ont entre 10 et 13 cm de hauteur.
On remarque divers types de bases :
-
Avec petit rebord.
-
Avec «pieds», c’est-à-dire un petit socle qui surélève la main.
-
Avec un grand socle massif.
Les peintures ornant le tombeau d’un prêtre et d’un fidèle sabaziastes dans
la Catacombe de Prétextat (près de la Voie Appienne) nous éclairent.
Découvertes au XVIIIe siècle, ces fresques avaient déjà surpris, sinon choqué,
et la publication en a tardé jusqu’en 1852. En effet, il s’agit d’un catacombe
initialement chrétienne, mais où, vers la fin du IIIe siècle peut-être ou au IVe
siècle en tout cas, des païens – notamment sabaziastes et mithriastes – ont
occupé sépulcralement quatre acrosolia. On comprenait mal le décor crûment
profane de ces tombes voisinant avec les sépultures chrétiennes, en particulier
la présence d’une Vénus auersa que le Père R. Garrucci interprétait comme
l’image indécente de «l’impure Cotytto». On connaît et conçoit mieux
aujourd’hui la complexité des cohabitations religieuses dans l’Antiquité tardive,
à une époque où les chrétiens gardaient des liens familiaux et socioprofessionnels avec les païens. D’autres catacombes nous ont livré des
exemples d’une hospitalité funéraire offerte aux idolâtres. Non loin d’un
tombeau abritant les restes de deux prêtres mithriaques, face à celui dont la
voûte porte à son sommet la Vénus impudique, était enseveli un prêtre de
22
H. P. L’Orange, Studies on the Iconography of Cosmic Kingship in the Ancient World, New
Rochelle, 1982, pp. 153-159.
23
F. Cumont, Fouilles de Doura Europos, Paris, 1926, p. 70.
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Sabazios dont l’épitaphe résume ainsi la doctrine et la vie : «Mange, bois,
amuse-toi et viens à moi. Tant que tu vivras, donne-toi du bon temps : tu
l’emporteras avec toi ! Ici est Vincentius, prêtre du dieu Sabazios, qui d’un cœur
pieux a célébré les saintes cérémonies divines». Ce mélange de dévotion
sacerdotale et d’épicurisme jouisseur peut déconcerter. Il étonne beaucoup
moins quand on tient compte de Diodore et des indices pompéiens. Mais,
apparemment, Vincentius n’envisageait rien d’autre que les plaisirs de sa vie
passée. Dans ce même tombeau cependant, une dévote de Sabazios, Vibia,
s’est fait représenter dans un au-delà où Vincentius participe à un banquet
d’immortalité. Elle figure d’abord enlevée comme Proserpine par Pluton et
guidée par Mercure en compagnie d’Alceste jusqu’au tribunal du souverain
d’En-Bas (Dis Pater) et d’Aeracura (transcription possible de Héra Corè ou
Junon Infernale), devant les trois déités du Destin, Fata diuina. Après quoi, un
«bon ange» (angelus bonus) prend Vibia par la main pour l’associer aux
convives couronnés de feuillage qu’a sélectionnés le «jugement des bons»
(bonorum iudicio iudicati) : attablés en demi-cercle parmi les fleurs, ils vont
boire et manger, servis par d’aimables garçonnets, comme des princes. À côté
de ce paradis figure celui où, sous des guirlandes florales, festoient sept prêtres
de Sabazios (et de Mithra ?). On reconnaît parmi eux Vincentius, nommément
signalé par une inscription et coiffé du même bonnet phrygien que son dieu. Sur
cette table sacerdotale, à côté des plats contenant poisson, gibier, pâtisserie,
on discerne plusieurs pains ronds compartimentés comme ceux que portent en
relief les mains «panthées» et l’amphore précitée du local pompéien. Le paradis
est, dans ce cas, un prolongement des plaisirs d’ici bas.
3.1 Les caractéristiques des mains votives
3.2 Quelle est la fonction des mains votives?
Un trou à la base de certaines mains, comme par exemple sur celle de
Columbia (I, 65), montre qu’elles pouvaient être portée au bout d’un bâton lors
de processions. Ce fait est aussi attesté par quelques plaques sur lesquelles
des fidèles portent les mains au bout de hampes. Il est aussi probable que les
mains étaient posées partout dans les sanctuaires des dieux.
3.3 Quelle est la symbolique des mains votives?
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3.4 La main votive du musée d’Avenches
La vénération de divinités orientales à Avenches est attestée par la
découverte de la main de Sabazios, par un Abraxas, une divinité avec jambe en
serpent et tête de coq (Nr. 21) et peut-être par un buste (Nr. 69). Les bronzes
d’Avenches sont de très haute qualité. Les découvertes les plus anciennes
remontent à la période augustéenne. Aventicum fut détruit en 260 ap. J.-C.
Aucun bronze ne peut être daté avec certitude.
La main de bronze a été découverte le 24 janvier 1845 dans la région de
Conches-Dessous, proche d’Avenches24. Elle est aujourd’hui au Musée romain
d’Avenches et porte le numéro d’inventaire 447 (597).
La main a une hauteur de 11, 5 cm ; la base mesure 2,9 cm de hauteur et a
un diamètre de 7 à 8,2 cm.
Cet objet votif d’Avenches est la plus belle pièce d’un groupe de mains
votives que Blinkenberg attribue au culte du dieu thraco-phrygien Sabazios.
Rien n’est connu sur la fonction de ces mains. Il s’agissait probablement
d’offrandes votives ou d’objets de culte.
La datation reste imprécise et se situe entre la seconde moitié du Ier siècle et
la première moitié du IIe siècle après J.-C25.
3.4.1
Description
Il s’agit d’une main droite en geste de bénédiction, c’est-à-dire, avec le
pouce, l’index et le majeur levé et l’auriculaire et l’annulaire repliés dans la
paume. Sur le pouce tendu se trouve une pomme de pin. Dans la paume, entre
l’index et le majeur dressés, on remarque un buste masculin barbu qui porte un
bonnet phrygien. Cette figure a été identifiée comme étant celle du dieu
Sabazios lui-même. Sous le buste se trouve un morceau de pain ou de gâteau.
Sur l’auriculaire et l’annulaire repliés on observe un buste de Mercure, identifié
grâce à son pétase. Bacchus est représenté sur le dos de la main, entre l’index
et le majeur, avec un bras levé au dessus de la tête et de la vigne autour des
oreilles. Un dernier buste, sous le pouce, représente la déesse Cybèle qui est
reconnaissable à sa couronne murée. Au-dessus de cette divinité est placé un
tympanon, un instrument composé de cordes tendues sur une caisse
trapézoïdale, dont on joue en frappant sur les cordes avec deux petits maillets.
Sur le reste du dos de la main sont dispersés les attributs suivants : une tête de
bélier, un lézard, un canthare, une tortue, une grenouille et une branche de
24
25
Voir illustration XX.
Vermaseren, Corpus Cultus Iovis Sabazii, The Hands.
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chêne. Autour du poignet s’enroule un serpent et au-dessus de lui se trouve
une clochette. Sur le début du bras est couché une femme qui allaite son
nourrisson.
Tous les attributs et les bustes sont ciselés avec une très grande précision.
On retrouve sur cette main, tous les attributs essentiels du dieu Sabazios
ainsi que de nombreuses divinités auxquels il est parfois associé. Cet objet
résume ainsi en quelque sorte, tout ce qui a été dit auparavant sur le dieu, son
culte et ses caractéristiques.
4.
Conclusion
Quelle est la raison de l’échec des cultes orientaux face au christianisme ?
(Le christianisme est également une religion orientale qui finit par s’imposer).
L’époque sévérienne26 marque l’apogée de la montée des cultes orientaux.
Déclin pendant la seconde moitié du IIIe siècle Concurrence véhémente entre
chrétiens et païens. Sans doute, les dévotions d’origine étrangère tendaientelles chacune pour leur compte à une sorte d’hénothéisme plus ou moins
prononcé. Un dieu païen n’a de véritable souveraineté que par rapport à
d’autres dieux. Mais ce libéralisme risquait aussi de diluer la personnalité des
dieux. -> Syncrétisme : combinaison peu cohérente, mélange de doctrines et de
systèmes. Appréhension globale et plus ou moins confuse d’un tout. La
bigarrure même des liturgies païennes – et notamment orientales – en
compromettait la crédibilité, bien loin d’assouvir un besoin fondamental d’entrer
en contact avec le divin. Le contexte historique semble avoir renforcé les
conditions psychologiques favorables à une religion unique et exclusive de
toutes les autres. Défaite de Valérien (empereur romain de 253 à 260 ap.).
Arrivée des Goths. Le peuple pense que les dieux les ont délaissés. La crise
économique à des conséquences sur l’exercice des cultes païens. La notion de
péché, et surtout de péché collectif, était étrangère même aux paganismes
orientaux, où les pénitences sanctionnaient des fautes rituelles envers la
divinité. Mais elle a pu, face aux misères de ce temps, faire son chemin dans la
conscience des Romains déçus par l’indifférence ou l’impuissance de leurs
dieux «sauveurs». De plus, le monothéisme intransigeant du christianisme
concordait avec la monarchie constantinienne. Le loyalisme monarchique
impliquait l’obéissance à un seul Dieu. Parallélisme théologico-politique. La
restauration de l’unité impériale commandait logiquement la conversion à
l’unique roi du ciel qui l’avait favorisée. Élaboration de la trinité chrétienne au IIIe
siècle ; concile de Nicée en 325. La théologie trinitaire consacrait l’homme dans
26
Dynastie romaine (193-235), fondée par Septime Sévère et continuée par Geta, Caracalla, Élagabal et Sévère
Alexandre.
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une totalité mystique et cosmique, comme individu en même temps que comme
membre d’une nouvelle cité préfigurant la Cité de Dieu27.
27
R. Turcan, les cultes orientaux dans le monde romain. Épilogue
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