Régine Le Jan (Hg.), La royauté et les élites dans l`Europe

Transcription

Régine Le Jan (Hg.), La royauté et les élites dans l`Europe
Régine Le Jan (Hg.), La royauté et les élites
dans l'Europe carolingienne (du début au IXe
aux environs de 920) (Centre d'Histoire de l'
Europe du Nord-Ouest, 1998)
LA CITE VALERIE CAROLINGIENNE
Prelude au A'Ie siecle
:
Dominique BARTHELEMY
Universile de Paris 171- Va! de 4iFarne, EPHE
,
C'est presque un lieu commun, que de faire naitre la clievalerie vers le
XI` siecle, moment oii l'aristocratie se militarise et oü l'Eglise entreprend de christianiser cette chevalerie. Pourtant, l'aristocratie du 1X` siecle n'etait-elle pas en armes, et cliretienne ? Le bon sens comme l'etude des textes aident ä combattre ces
chimeres ou ces imprecisions du discours historique routinier. Les choses sont, ä
certains egards, d'une simplicite biblique, et Pon s'etonne de les voir inutilement
compliquees ! Une gerbe de remarques historiographiques et metltodologiques precedera ici des developpements rapides sur le symbolisme social des armes
« franques» et sur l'ideologie des clercs carolingiens.
1. Une chevaleric entrevue en filigrane
Notker le Begue a restitue, z travers ses anecdotes,un Charlemagned'une
grande autorite. 11commandaitaux clercs de sa chapelle de se tenir toujours prets ä
chanter au mieux ; on mesureplusieurs fois la vive emulation qu'il maintenait et excitait entreeux. Mais on entrevoit aussi,pres de lui, une autreecole (scola), celle de
la « milice» laique, deployce ä part de 1'« armeepopulaire» en face des Lombards
atterres'. Chez Notker comme chez les autres biographesou chroniqueurs du tx°
siecle, l'ordre laic est beaucoupmoins eclaire que I'autre, clerical et monastique.
Nous demeuronsdonc un peu hesitants sur cette scola tyroarum: quelles furent
exactement ses ideaux et ses pratiques? Furent-ils ceux et celles d'une chevalerie
carolingienne ?
Cette expressionmeme effraie les historiens. A I'exception recente de Janet
Nelson 2,nul ne se risque 3 camperune pure « chevalerie» des le IX' siecle. Ce sont
1. NOT}:ERLEBtGUE, Gesia Karoli tlagni Imperatoris, 11,17, dd. H.P. HnEFELE,MGH,
.
Scriptores rerum germanicarunr. nova series. 12, Berlin, 1959 11,17, p. 80-84 ; cf. aussi 1,
26, p. 35.
2. J: L. NELSON, u Ninth-centur), Knighthood, the evidence of Nithard », dans
C. I IARPER-BILL,
C. IioLnswoRnt et J: L. NELSONcd., Studies in Medieval History presented
160
Dominique BARTHELEVY
plutöt les « commencements' ou la « prehistoire » de la chevalerie medievale. 11y
a une « fonction chevaleresque»du roi dans les capitulaires' et, ii travers des modules ou citations bibliques, nail «ce qu'on appellera plus LardI'ideal chevaleresque»'. Quant aux remises d'armes, Regine Le Jan les met au nombre de ces
pratiques anciennesdans lesquellesla chevalerie classiques'enracine'. Ce faisant,
eile confirme avec eclat les vues paradigmatiquesde Francois Guizot, maitre de la
vicille ecole'. Les tempscarolingiensne sont pas tout 3 fait chevaleresques...
Cesreservesne me paraissentni inutiles, ni tout it fait justifiers. Elles ne sont
inutiles,
parce que, tout dc mcme, Ics « jeux militaires » decrit par Nithard
pas
n'equivalent pas a des toumois : ce sont les mana:uvres, les exercices,de deux ärmeesen attentedont on veut maintenir la forme. En ce ballet regle, peu d'hommes
de
duels et dc prisonniers, il ya une
montent un cheval', et il ne s'agit pas vrais
equestres
du X11'siecle, vraies batailles et
les
Brandstournois
nette difference avec
d'armes
definies.
Les
institutions nettement
remises
ne sont attestees,malheureusement, que dans la famille royale', et elles ne component apparcmmentni colee ni
veillee de prieres ; moms encoreon Wen connait l'ordo liturgique. lI manquc enfin,
dans les textes, un titre ou une designation incontestablementccchevaleresque»,
teile que miles le deviendraA partir du X` siecle to.
to R.Allen Brown, Woodbridge, 1989, p. 255-266. Cf. dgalementD. BARWEI.EAtY,it Qu'cstcc quc la chcvalcric, en Franceaux Xe et Xie siecles? », BansRevuehistorique. 290,1994,
p. 15-74 (notammcntp. 36-37 et p. 56-57).
3. K. LEYSER,« Early Medieval Canon Law and the Beginnings of Knighthood », dans
W. ROSENER
L. FENSKE,
ct T. ZoTz dd., Institutionen. Kultur und Gesellschaftim .1littelalter.
Festschriftfür Josef Fleckenstein,Sigmaringen,1984,p. 549-566.
4. J. FI.0RI, L'iddologie du glaive. Prehistoire de la cheraleric, Gcneve, 1983, p. 79-82.
5. P. RICiIE, «La Bible et la vie politique dans le haut Moycn Age)), dans P. RICIiE ct
G. LonRtclloN dir., Le Mayen Age et la Bible, Paris, 1984,p. 385-100(notammcnt p. 398).
6. R. LE JAN, «Apprcntissagcs militaires, rites dc passagect remises d'armcs nu haut
Moyen Age)), dans Initiation, Apprentissage.Education au tloº"en Age, Montpellier, 1993,
p. 211-232.
7. F. GuizoT, Histoire de la civilisation en France. depuis In chute de /'empire ronrain,
t. III, Paris, 1846, p. 352: La chcvalcrie proctde a des mo:urs gcrmaniqueset des relations
fitodales». Autrc formulation : il ya unc premierechevalcrie,qui est cn sommc la sociahilitd
fdodale, ct ensuite l'dlaboration d'unc chevalcrie classiquc, au Xllc siecle, par Ic travail de
l'Gglise et de la podsie(p. 354).
8. NiTIIARD,Iistoire desfrls de Louis le Picus, III, 6, dd. ct trad. P. LAUER Paris, 1926,
p. 110-112.
9. J.-B. DE LA CURNEDE SAINTE-PALAYE,.tldmoires sur 1ancienne chevalcrie considdrde
1. Paris, 1759, p. 67-68, suggerc quc Charcomme un dtablissement politique et militaire, t.
lemagne a confdrd A son Pils Louis, par la rcmisc des armes, unc sorte dc chcvalcric ; mnis
1'cmprise du paradigmc dune rupture dynastiquc ct constitutionncllc dc 987 Ic conduit 1 faire
dc la chcvalcric une elaboration capdticnne : apes Ic chaos de la « fin dc In scconde race »,
tout a dO Otte reconstruit.
10. C'est pourquoi I'an mil cst valorisecn tant que it prise dc conscience», par cc mot, dc
La chei"alerie carolingienne : prelude au, l'le siecle
161
Neanmoins, les reticences ii l'egard d'une chevalerie
carolingienne sont excessives. C'est surtout, en effet, de la joute romanesque et de I'adoubement sophistique du XI11` siecle que different les pratiques entrevues au 1X` siecle. Les XI`
et
XIl` siccles ont connu, dans les faits, des tournois collectifs et des
remises d'armes
assez peu stereotypees, centrees sur le glaive que Pon ceint. Le mot meme de miles
ne s'est diffuse qu'en cohabitant avec vassus, avant de I'evincer des chartes et notices "; il en a herite les Sens essentiels, et notamment celui de cavalier socialement
consacre. Au reste, le mot nest pas la seule chose importante. Pour restituer des
rcalites historiques, il faut elaborer des concepts, qui assemblent une serie de traits
empiriques et peuvent ne pas coincider exactement avec le lexique des sources. On
ne decrit pas la vassalite uniquement Iii o6 il ya des vassi ; eile concerne aussi des
fideles, hontines, milites, et eile prend en compte des rites et des normes de comportement. Pourquoi reduire toure cltevalerie ä la presence de milites ? Si, dans les societes du haut Moyen Age, les armes nobles (epee notamment), associees au destrier
furent un symbole de statut, alors on peut sans doute appeler chevalerie ce statut,
precisentent, que symbolisaient les armes et les chevaux. Leur importance, pour les
rois, les comtes et meme bien des prelats, tous superieurs aux simples vassi ou milites, fait alors de ceux-ci des chevaliers - les chevaliers de reference, comme aux X`
et XI` sii Iles.
insister ainsi sur le symbolisme, la parure, permet d'utiliser la distinction entre une chevalerie et une cavalerie- la seconde, prise en un sens plus technique,
« militaire» et « professionnelle». Attention car, trop souvent, depuis qu'on a renonce aux propos un peu idealistessur la « civilisation desmo:urs », I'essor de « la
cltevalerie» est quasimentconfondu avec celui des combattantsit cheval, dans les
armeeset les « banden» du monde carolingien ou « feodal ». Dans les recits de la
« mutation de l'an mil », c'est plutdt une classe cavaliere qui surgit soudain des
chateaux ii mottes, qu'une chevalerie raffinee ! Dans ceux de la « revolution de
I'etrier» au \'111`siecle'=, liee aux beneficesconstitues par Charles Martel ä ses
vassaux,c'est aussi 1'aspecttechnique qui predomine. La cavaleriecarolingienne a
bien existe : voyez ces caballarii de Saint-Benin ", prets ii faire le service de militia
« trois faits d'ancicnnetc» (In sup6riorite technique.symbolique et institutionnelle des cavaliers), par G. Dunv', « Les origines de In chevalerie». 1968. repris dans Hommeset structures
dtr tioyen Age, Paris. 1973,p. 331.
.
11. D. BARVIELE.
%IY,« Note sur Ie « titre chevaleresque», en Franceau XIC siecle». dans
Journal desSavants, 1994,p. 101-134.
12. L'expression est dc L. 1VtinE, Technologic nrcdievale et transformations sociales, Paris et La Faye, 1969, p. 1-53 , eile donne unc vigucur nouvelle aux idles sur I'essor de la cavalerie lourde et de In vassalitr, di veloppces par H. BRUNNER. « Der Reiterdienst und die
Anfinge des Lehmwesens », dans Zeitschrift der Savignv-Stiflung für Rechlsgeschichle,
Germ. Abteilen', 1887,8. p. 1-38, ni cettc cavalerie ni cette vassalit6 n'etant dites « chevaleresqucs ». A tout prcndre, In diffusion d'un amtemcnt (d'oit mutation de l'an 732) pi serait
plus, pout-i: tre. quc cello d'un mot comme miles (d'oü mutation de I'an 1000).
13. F.L. GANSHOF.
Le polyptique de I'abbmr de Saint-Bertin.(844-859). Edition
critique
162
Dominique BARThfELF.tfY
de lour eglise14.On peut discuterde son poids relatif dans les guerresdu temps ",
mais non pas, me semble-t-il, de son importancetendanciellementcroissante10.Eile
n'ira jamais jusqu'i monopoliser la fonction militaire ; simplement, il ya des auteurs qui ne voient ni ne font voir les fantassins,tout fascinesqu'ils sont par les cavaliers lesplus prestigieux.Pour nous, de toure maniere,I'etude de u la chcvalerie»
commenceIA o6 le prestige prime I'efficacite immediate,et I3 oü le symbolismedes
armeset des chevaux s'attache ä la superiorite sociale en general. Iaquelle n'a jamais pu reposer seulementsur la force des armes. Or, les tresors d'Evrard et
d'Eccard ", a l'instar de cclui de Louis le Picux ", comportaientautantde livres que
d'epees. Charlemagneetait un chef de guerre, en effet, mais qui oserait dire qu'il
n'etait quc cela ?
Les historiensmodernesont eu tendance3 confondre deux choses: In presentation guerriere des elites de I'epoque franque ou feodalc, et leur vie, Ieurs
mccurs,dans un monde que ]cur violence aurait maintenu en barbaric. Les livres
d'histoire sont done hantespar des personnagescomme le Soldatde fortune 19,que
et canmentaire, Paris, 1975, p. 14,16,19,20,21,22 (evocation des biens de tel ou tel caballarius, hommc qui caballica:). Reste ii savoir si ces hommes avaient des epees. C.E.
PERRINles appelait « sergents3 cheval » (Recherchesstir la seigneurie rurale en Lorraine
d'apres les plus anciens censiers,Paris. 1935. p. 28) - mais cc termc pouvait suggt:rcr tin
profession-nalismc» tin peu anachronique.«Cavaliers de secondezone» sernit petit-eire
mcillcur.
14. J.-L. NELSON,
« The Church's military service in the ninth century :a contemporary
comparativeview)), 1983,repris dansPolitics and Ritual in Earle'tfedieval Europe, London
et Ronceverte,1986,p. 117-132
15. Critique dc L. Wilm:, par B.S. i3ACIIRACII,
«Charles Martel, Mounted Shock Combat, the Stirrup and Feudalism)), 1970 et « Charlemagne'sCavalry : Myth and Reality)),
1983,repris dansArmies and Politics in the Early Medieval West(i ariorunt), n° XII et XIV,
Aldershot et Brookfield, 1993.
16. Diagnosticjudicicux en favour dune evolution graduelle, dans P. CONTAAMINE,
La
guerre au MayenAge, Paris, 1992,3e t:d., p. 315-319.
17. Cf. le testament d'Evrard dc Frioul (867), Ed. I. dc COUSSEAiAKE:
R. Cartulaire dc
l'abbaye de Cysoing et de ses dependances.Lille. 1883. n° I (repartition entre ses ills des
Iivres comme des armeset autrcs elementsdc paramentum). M. PROUet A. \'tDIER ed., Recueil des charles de Saint-IJenoit-sur-Loire,Paris, 1907,1. I. (Documentspublics par la Socield hislorique el archcologique du Gdfinais, 5), n° 28 (testamentd'Eccard, vors 876) : IA
aussi, plusieurs epeeset baudriers. voisinant avec les livres antiquesdc religion. dc droit,
d'art militairc... C'cst tout ccla, le tresor chevaleresquc!
18. Cf. Ics indications de I'ASTRONot1E. ed. et trad. E. TREMP. npres Tlti`GAN.. 1fGil
Scrip/ores rerun: gern: anicarunr in tuum scholarum. 64.1lannover. 1995, cl:. 63. p. 5.18.
19. L'cxploit d'un premier anci:tre a fait pantiedes legendesfamilialcs de families nobles
du Me siecle, mais il s'agissait d'insister sur son autochionieou stir son merite propre (aux
depensdu don royal), non sur sesorigines pldbeiennes! iI n'y a quo des montccs d'un cram
pour Ingon, Ic signifer valcurcux dc RICItER.Histoire de France (888-995), U. et trad.
R. LATOUCIIE,
Paris, 1930et 1937,2 vol.. 1.1.p. 25-31, qui estei mediocribus et pour Robert
La cheralerie carolingienne : prehrde au, l'le siecle
163
son exploit tire vers le haut de In societe comme s'il prefigurait Moreau ou Murat,
ou comme le vassal de convention 20,non hereditaire, entre au service de son seigneur de maniere complete et exclusive. Or les textes medievaux ne nous obligent
pas de tracer des profils aussi sclrematiques,voire chimeriques! Les progres des
etudes prosopographiques,depuis un demi-siecle, devraient meme nous orienter
vers une elite remarquablementstable et polymorphe ; meme, selon K. P. Werner,
]'articulation entre nobilitas et militia serait encore toute romaine, au ixe siecle 21.
Attention tout do meme de ne pas substituer, aux vassaux instables de la vieille
ecole, ]'image d'unc noblessemarmoreenne,et de ne pas faire un Charlemagnetrop
romain ! Fit-il regner la paix romaine, 3 l'interieur? Les capitulaires montrent les
grands Carolingiens peinant ä interdire les suites armeeset les faides, dont In chronique de Reginon de Prüm suggereensuite la virulence, passe888 22.
Toutefois, dans les societesanciennes,In vengeanceou la guerre vicinale ne
signifient ni vrai desordre,ni vraie depravationdes mmurs. Et, compareesä In croisadeou ä In guerrenationale,sont-elles,dans les principes,plus barbareset, dans les
faits, plus mcurtrieres? Le christianismemedieval brode sur le theme biblique de.la
vengeance.
Donc il n'y a pas de raison d'exclure a priori toute especede raffinement et
d'ideal chretien, dans cette elite carolingienneen costumeguerrier ! C'est ainsi que
Ic Fort (ibid., p. 16)e-requestri ordinc.
20. Cc sonssurtout des vassauxet des fiefs de convention que vise ct touche la critique dc
S. REYNOLDS,
Fiefs and 1'assals.The Medieval Evidence reinterpreted, Oxford, 1994; critique suggestivedc la « Bandegcrmanique», p. 24-25.
21. Sur cells-ci, cf. K. F. WERNER,« Du nouveau sur un vicux theme. Les origines de la
noblessect dc la ehevalerie », dans Comptesrendus de 1Academic des Inscriptions et Belles
Letires, 1985, p. 186-200.11cite la Piro sancti Ermenlandi, rsdigse sur fordre d'Angilram
(cf. infra, note 84), en omcttant pout-arc d'cn dire Ic classicismeun pcu artificiel. Car
l'auteur fait n1emploidune phrascologieromaine, cn parlant d'un saint du Vile siCcle,peutctrc dans Ic d it (vors 800) dc restaurerune militia antique. De taute manibre, la carribre
idsaliseecorrespond3 I'exigcnce tout A fait durable, et posseen des contexteshistoriques varies, qu'un noble fasseI'effort (militia) d'stre ä la hauteur de sa naissanceet d'agir A I'schclle
d'un royaumc. Serailau contraireplus « noble» que « chevaleresque»tout cc qui touche A la
parents : vie dans I'alleu, guerreprivice...
22. R. LEJAN, « Satellites ct bandesarmsecdans le monde franc (VIIe-Xc siCcle)», dans
Le conºbatrant au tlor n 'tge, Paris, 1991 (Societe des Historiens Aledievistes de
.
l'Enseigncment Superieur Public), p. 97-105 ; on volt bien qu'ils pcincnt, par la rsitsration
des mesures.REGION DEPROM,Cluortica, sei.F. KURZE,AIGII Scriptores rerum germanicarum in usumscholanum,l lannovcr, 1890, p. 145 ;3 I'annse 897. Rsginon dc Prom svoque
IcedCgCtsd'unc gucrrc dc nobles : innumcrabiles cx utraqueparse gladio pereunt, truncationes manuum ac pedumfrunt. regiones illis subjectaerapinis et incendiis solotenus devastantur ; il ya pcut-eire ICun certain grossisscment.Le plus interessantdans cc passage(comme
Ic remarque hl. AURELL,La noblesseen Occident (i-e-,t'1'ß's.), Paris, 1996, p. 37) est sans
doutc cc qui vient avant, et qui pcrmct d'identificr Iss ressortslignagers et les enjeux de puissanceet d'honncur.
164
Dominique BARTHELEVY
Pon trouve, dans le corpus des sourcescarolingiennes,bien des valeurs, bien des
formules et bien despratiquesappartenantau repertoirejuge « typiquement chevaleresque» des epoquesulterieures. Cc qu'on appelle generalement« In chevalerie»,
c'est en effet un systeme=', ou un agregat; les raffinementset les prejugesde classe
d'une aristocratic cohabitentavecdesjustifications moraleset socialesde son pouvoir, l'exploit esthetise,avec In defensedes faibles ou de In foi. « Un contrastesingulier de religion et de galanterie», disait en 1759 La Curne de Sainte-Palaye='...
Quelquechose de trCscomposite,en tout temps,et qu'on serail bien en peine do definir tr&s precisement- it y aurait meme erreur ä ne pas voir combien le symbole
fort des armesavait In propriete d'assemblerä lui des developpementslogiquerttent
divergents.
Les quelqueslignes qui suivent ne sont rien d'autre qu'unc variation stir des
themeset sur des sourcesdejä utilisers par d'autres historiens2'. Les grandesbiographiesde Charlemagneet de Louis le Pieux sont sollicitees pour In representation
que leurs auteursdonnentdu royaumeet de In societe, interessantemeine Iorsqu'ils
embellissent un episodeou corsent une anecdote.Ne cherchonspas d'emblee In
chevalerie dans une militia ou chez des milites. Allons au milieu des « Francs)),
avant d'evoquer In theorie des deux « milices ».
2. Rois et Francs
Charlemagnea pratique assidümentI'equitation et In chasse, exercices en
lesquels les Francs etaient passesmaitres'a. Hors de Rome, if se montrait cn costume franc, I'epee A la main. Eginhard nous I'assure', et le rapprochementavec
Sue'tonene va pasjusqu'au glaive, bien medieval; mais en cette simplicite augusteenne,1'importantest d'etrc un roi qui se conforme aux usagesdc son «peuple» et
se maintient en son sein. Notker le ßegueaussi Ic decrit en grandc tenuede guerrier
franc, juste un peu desucte='. La tradition est le fond memede I'autorite royale, qui
23. Cf. « I't'.tablisscmcnt poliliquc cl militaire n qu'cst In chcvalcric, pour J. 13. nE LA
CURNE DE SAINTE-PALAYE,.: Irnnoires... II avoulu en faire In rCdccouvertc hisrarique, :1
I'cncontrc du « syst6mc dc romancicrs n- mais if n'a reussi qu'cn panic i Sa conception inspire celle dc Guizot.
24. Ibid., p. viii.
25. Outrc ceux citds supra, cf. Ics dcvcloppcmcntsdc R. LE JAN,FamiUe er pouº"air thins
le mondeJrane (V11e-Xe
siecle). Fssai d änrhropologie sociale, Paris, 1995,p. 65-65 (stir Ics
c'pc'csdc cdrdmonic) ct p. 147-152 (stir I'cntrcc dans unc militia qu'cllc fait pcut-ctre trop
abstraite,ou trop militairc).
26. GGINIIARD,Vie de Charlemagne, cd. ei trad. Louis IIAI.PIIEN,Paris, 1938, cit. 22
(p. 68). Cf. aussi Notkcr Ic 13i:
guc, 11.9(p. 63-64): I'exccllrncc des chiens ct des cltasscttrs
francs,dEmontrdcen PerscI
27. Ibid., cit. 23 (p. 68-70). La constructionat aussicclic d'unc antithýscdc Caligttla.
28. NOTKt':
R I.E i3eGUE,I. 34 (p. 46-48). Cf. aussi un Charlcmagnc tout A fait rutilant.
If. 17 (p. 83).
La cht-rrt! erie caro! iitgieiir., - frriludc au. V2 siMc
165
s'appuic sur cite ei so sent tenue dc la respecter. Ne nous y trompons pas, pourtant ;
la tradition dins les mondes anciens est flexible et evolutive, sans compter In plasticite des peuples et des ro aumes I L'important est que In monarchic franque ne
chcrche pas trop 3 s'ahstrairc dc la societe, c'est-3-dire de ('aristocratic ntais plutöt 3
faire corps avcc eile''.
l_'cpee cst l'un des prineipaux insignes rovaux, I'cmblente d'un pouvoir qui
fait
salutairement eraindre. Les .arrrra!cs Berriniani soulignent que, par eile (cello
Sc
dc saint Pierre. 3 double iranchant). Charles to Chauve fait investir Louis Ic Beýýuein. on 8771.Lui-memo on avail re(;u une de son pore en 838, w"ec In couronne, en
tine triple accession 3 la royaute, 3 l'5ge d'homme, 3 un statut de guerrier". On
connait aussi to moment ('QI) oü Charlemagne avait ceint dc I'dpec Louis Ic Picux.
L'Astronome to signale. comme ('une des diverses etapes de I'nccomplissement de
Louis, commence 3 tmis ans avcc to dia&me, puls to cheval et Ies premieres armes,
appropriees 3 son 3ge'', ct acheve on sonne 3 trente-cinq ans, en 813... Rites
royaux, ou rites ehevaleresques " Ne posons pas le dilemme en ternres trop vifs, car
Ies rituels ont la propriete d'etrc polysemiques. Et l'absence dc teilcs attestations
pour d'auires que le.s rois pout tenir 3 cc que nous n'avons pas de biographic asscz
detaillcc dc Brands aristocntcs. `Mais peu des Vies dc rois eloquent la remise de
Tepee - oü est I'adoubement dc Charlemagne? L'Astronomc, qui scut en parle pour
Louis to Picux. a dü titre sensibilise par la destitution penitentielle de cot entpercur, 3
la Saint-Martin de 833. et c'est pout-Ctrc cc qui to fait revenir aux prises d'annes de
jeunesse. Celles-ci n'ont pas to relief que prendront au \III` siCclc les adoubentents
dc Pils de rois. C'esi 13tin rite dcmultiplic. riitenble, enchasse avcc d'autres, ob In
qualite de « I'adoubcur iý campte par-dessus tout...
Dans 1'aristocratie,les armessanssvrboles de statut ; Ies remiseset lesdons
qu'on en fait intportent beaucoup,mais elles fortifient des relationsstatutairesplutöt
qu'elles ne les cl *cnt vraimcnt. Les testamentsd'Cvrard de Frioul et d'Eccard
d'Autun moment l'importancc de (cursepees,qu'ils repartissentavec tout lour paramentunr,entre (curs Pils,(curs vassaux,et scion qu'elles ont plus Ott moins de va-
29. C'cs, it dans sa constitution mcmc scion K. F. WFRNFRit BedeutendeAdelsfamilien
im Reich Karls des GroRrn M.dans 11.BFt'%t.,\-1,'cd., Karl tier Grosse, D(isscldorf, 1965, t. 1,
p. 83.
30.. armclrs de C.:irr"Rfrrirt,
p. 218.
31.
cid. F. GRAT. J. VIFLI. I.ARD ct S. CLthIFNCGT, Paris, 1964,
ch. P). p. 526 : en 538. Louis rlitrnt suunt Karolum armis virilibus, -id
est case ca; rrr. Corona rrt;: 'r cYput irsigr, irrr. Charles a dix-scpt ans ; cf. I'allusion de Nithard" 1.6. (p. 36). Non; Fr LF IIIGt'F. 11.12(p. 74). adreüsc :i Charles Ic Gros Ic vcLU que suit
Ilrrr. hardufum lrstr.. "r; sNra Jr r, t: r r.rrin: tum : il s'agit d'un jcune b:itard :1 pousser vcrs In
,
ro)-tute.
32. L ': 'lsixrn: ol. tF. ch. 4. p. 291 :3 cinq ans, cn 782, Louis, d6jý couronn6 du diadbnc,
cst conl; rucr. tibur eis n"o crr.. ir c, rir:: tus. et cquo inposilus ; puls A quatorze ans, en 791,
au temps oir il eommrnae 3 a, ir en mi, er:sr. lam aP,rr"llerts adolescenlie tentnorrr, aceineltts
est (eh. 6. p. 300).
166
DominiqueBARTHELEVY
leur, ä chacun selon son rang ou sa proximite du legataire". Louis le Pieux donne
une epee A son filleul, le roi danois Harald Klak, au milieu de toute une sequence
ceremonielle qu'on peut appeler,de la messeä In chasse,christiano-guerriere,ou,
mieux, christiano-franque"... Mais c'est pour Iui une coutumeque de donner A des
Normands convertis, In chevalerie en sus du Christ, et une anecdotede Notker le
Begue suggereque c'est eile surtout qui les attire"! Les grandsdes quatre coins de
l'empire se retrouventdans un goüt commun pour lesarmesd'apparat,symboics de
statut ; ainsi I'Aquitain Datus", I'Espagnol Jean", ou le noble represcntdpar In
fresque de San Benedettode Malles. Chaquen peuple» pout elaborer son costume
et ses exercices- du moins nous evoque-t-onceux des Gasconset des Goths ". Its
se ressemblenttout de memeun peu, s'entre-influencent,se renouvellentau gre des
modes- un peu commes'apparententet se transformentIcs lois, avec leurs esprits
lignager, aristocratique,chretien...
Le costumeet les armesde type franc ou, disons proto-chevaleresque,peut
titre plus ou moins brillant et complet. II sied 3 tous ceux qui exercentune fonetion
d'autorite, memepar delegationet vasselage.Tel capitulaire evoque, ea efl'et, ceux,
33. Cf. supra, notes 17 ct 18.
34. ERMOLDLE NOIR,Poeme sur Louis le Pieur et epitres au roi Pt-pin, cd. et trad.
E. FARAL,Paris, 1932,p. 166-190(Poeme,v. 2164-2499); dans cc recit. Ic baptemeest premier et central, suivi de la remise des armes (p. 172, v. 2255-2265), qui sons line marque
franque specifique (v. 2255). Le ills et le ncvcu d'Harald resicnt au palais apes Ic depart dc
ce dernier, pour y servir cn armesct y apprendrcIa loi franque (p. 190). Les armes sont'Ic
symboled'une culture aussiCthicojuridique que a purcmcntgucrriCre».
35. NOTKERLEBtGUE11.19(p. 89-90) : if s'agit dc recevoir I'habitum Francorunl in v,stibus preciosis et armis ceterisqueornatibus ; dc 13,allegeance3 I'empcrcur, en !rr s dCvoues
vassal!!.On a retrouve dansIc sol sucdois unc ep& franque avcc sur sa gardeun verse! grave
du Psaunte144,1 (Ic Seigneur,maitre de guerre): cf. S. COUPLAND,
a Money and Coinage
dans
Francia.
1990,17,
1,
23-34.
Louis
Pious)),
the
n`
p.
under
36. L'Aquitain Datus,avant de fonder Conques,a gucrroyCcentre lcs Sarrasins; somme
par un Sarrasindc livrer son chcval, en echangcde la vie de sa mere, it refuse... avantdc sc
revCtird'armes meillcures,en se faisant moine (ERItoLDLE\OIR, p. 24-26, v. 2.14-289).
37. Ayant combattuen region barcclonaisc,it au obtenu» do Louis le Picux, jeunc roi
d'Aquitaine, un cheval, une broigne et une epee, sous trois du haul dc garttmc: pour cola
comme pour le villare de Fontjoncouse,Ic don des Carolingiens cst pcut-etrc un artifice, tine
IIGll Diplomata Karolinorum. tome 1. Hannover,
regularisation: ed. E. MOIILBACHER
, .
1906, n° 179, p. 241-242. Mais beaucoupde a benefices pcuvcnt suscitcr la mcme remarque !
38. Costumegascon,adoptCun moment par le jcunc Louis Ic Picux (l Astronome. ci). 4,
296,
p.
avcc des details sur IesCperonset lejavelot), Landisquc Charlemagnene rcvCtjamais,
scion Eginhard, dc parures non franqucs (ch. 23, p. 70). Maniarc 6otllique dc sc hattrc cn
duel : ERMOLDLENOIR,p. 140 (v. 1859-1865),la presentepourtan! seulementcomme line
mode nouvelle (arte nova), inconnueaux Francs.donsIc duel est une tradition. On saisit Men
ici, comme dans Notkcr Ic BCguc,que Iescostumesdes pcuplcs changentdc temps en temps,
et que Iesmodesnouvclles (ou Icur rcfus) son! intcrprctCcsen Icrmesd'cthniciles.
La chevalcric carolingiauw : prilude au, l'IL'siýcle
167
mime serfs qui « honorati beneficia et ministeria tenent vet in bassallatico honorati
Bunt cum donri»i sui et eahallos, arnra et scuto el lancea spala et senespasiohabere
possuntn ". Dej3 les viais-faux chevaliersdont les mesaventures,relates par des
notices proches dc 1100, serontun rigal sociologique ? II le semble tin peu, car le
costumeet Ies armesont, dis le lit` siele, une valeur socialementdistinctive, dont
timoigne bien un passagede PaschaseRadherr". Et pourtant, une dthique ou, pour
mieux dire, une idiologie, opposela fidelite et le courage des grands, t I'inftdelite
des serfs". II y aurait mime ces deux bltards, di sireux de s'illustrcr dans la
guerre
saxonne,mais que Charlemagneveut confiner au service de sa chambre. Alors, ils
s'enfuient et racltitent kur tache de servitude par une mort hiroYquefl... Oit
]'exception tonfirme In regle : ]'episode, ainsi relate, ne ditruit pas l'antitltese dc
Principe entre heroismenoble et Uchete servile. 11est bien fait pour nous rappeler
que le ccsoldat de fortune» nest jamais present dans Ies sourcescarolingiennes.
IJotker Ic Beguene signalede promotion au merite que dans1'Ccoledescleres" et
encore ('invective de Th gan contre Ebbon de Reims nous Iaisse-t-ellemesurer In
vulnerabilitc: des promus". Ces sources n'accriditent pas In these d'un
ccpacifismeu'} officiel, qui supposeraitun recul des valeurs ou des signes de type
guerrier. dais cites attestent-6 combien - d'un dlitisme carolingien, favorable ä
des families qu'clles nc disent jamais nouvelles et dons In rechercheprosopographique monire I'anciennctC.
Ainsi Abbon peut-il chanter,dans un Poeme,In defensede Paris, en 885, par
les miracles de saint Germain mais aussi,tout de mime, par I'hCroIsmedesproceres 46.C'est cn tux que se trouvc a proprementparler la chevalerie,plus que dans les
milites, vassauxqui luttent et meurent dans l'ombre des comtes,evCques,abbes".
39. td. A. BORFTIus,Capiru!aria Regum Frar,corum, tonic 1, A(Gl! Legum Scclio (!),
I iannovcr, ISS3.n° 25, p. 67.
40. Cite ct commcntd par K. LE'vstR, R Early Medieval Canon Law... », p. 555 (Epiiaphium drser.ii. M. E. pt.b. tsnm, Berlin, 1900,p. 28-29). Eginhardch. 23 (p. 70) aftirme que,
lesjours autresque dc rte, J:rbirus cius (il s'agit de Charlemagne)parum a communi ac plebcio abhorrcbat - mais, en ccttc phrase inspirte de Sudtonc, ne s'agirait-il pas encore du
eommundesFrar.cs ? Et d'aillcurs, les rtes impartent-ellessi peu?
41. NrTTiARD
11.3(p. 44) : c!egcrrr:t potius mom sen"orunrfrdem omillcre.
4? rOn: tR t.FBect.T, 11.4(p. 52).
43. Aid., 1.3. p. 4.
44. TIitGAN. 6d. E TtE. tP,cit6c supra, note 18,ch. 44, p. 232-238.
45. Cf. les rrmarqucs dc I. -L Ntx.sow, a Ninth-century knighthood... », en contrepoint
de J. DFVtssr,Hir-r, rr, an1:ctit que de Reims(S4S-SS2),Gentl-,
vc, 1975, t. 1, p. 498-499.
46. AnUO::, Le siege de Paris per Its Normanis, M. et trad. 1-1.NVAQuLT, Paris, 1942,
p. 26.1. v. 137 (ca privcrrs sont le comic Eudcs et I'abbd Eblcs, qua leur hdroTsme distingue
des autrcs comhatt: stts: v. 94-112), p. 34, v. 242-24S (ici, on ne voit qu'cua, du «pcuple»
franc vct6ro-tat: mrnuirc), It. v. 109-217 (p. S0-S21, morts hLlroTques),ct v. 456 (p. 100 Ic
:
comic dc Meaux, : u! ligcrluras).
47..tlilu dcisignele sassal,dc rangsub-comial: ibid., 1,v. 66-71(p. 20), 443-444(p. 48)
168
DominiqueBARTHELEMIY
Eudes, « le plus noble », passe pour le plus valeureux {', lui dons Ics exploits appellent la royaute future (888). Autour de lui, on sent ici Ics proceres reunis par la solidarite « regnale» chore ä Susan Reynolds" et, mieux meme, tout bouillants de cette
sorte d'energie « regnale » qu'est et sera toujours « la chevalerie» '° ! Juste en dessous d'cux, se detaclhe tel ou tel miles, dons la renommee rapporte Ic nom et la mon
heroIque, mais dont le statut social n'est sans douse pas Ic plus bas. Voyez la belle
mort d'Herve, dernier defenseur d'une tour: il ya en lui du Roland epique. A In
face des palfens, « rex, quoniam facie splendens formaque VCnustur. credirur» "...
Tout de meme, ce type de heros, dont on trouve I'equivalcnt dans Ic Cosltts
d'Ermold le Noir S2ne semble avoir la reconnaissance de sa clhevalene qu'au prix de
la mort. Ces soldats d'infortune different donc peu des bätards serviles morts en
Saxe... comme si souls des rois et des comics etaient autorises a survivre :1
l'exploit !
Beaute guerriere du roi. Sa stature equestre et son glaive reveillent pour noes
divers ethos historiques (« romain », «germanique ») et noes voulons l'analyse
spectrale de son pouvoir (A composante « legislatrice », « chrctienne », « chevaleresque »), mais les contemporains n'avaient pas de ces complications. Its trouvaient
ou voulaient dans le roi present, modele des Francs, la replique exacte de ceux que
representaient en action les fresques d'Ingelheim : Alexandre, Clharlenmagne". II ya
li un symbolisme de longue duree (Jacques Le Goff aime :i parler d'un « millenaire
du glaive ») et nous n'avons besoin d'inventer nulle « revolution feodale », ni en
877-888, ni vers l'an mil afin que la noblesse se « militarise ». Et loin d'unc sousclasse de reitres, dont bizarrement eile prendrait les manicres ! Car les valcurs chcvaleresques n'ont rien de « purement militaire ». Toujours l'epee est aussi justiciLlre,
et le pouvoir qu'elle symbolise, noble, royal, est vraiment regulateur et maitrisC,
dans une certaine mesure du moins, par une morale.
Cesnormes de comportement,il me sembleen discernerIn trace chaquefois
qu'il est question,chez les rois commechez leurs fideles, dune conformite aux usagesdes Francs.C'est peut-eirece mot qui connote le mieux, dans Ics sources,cc que
nous rattachonstous, peu ou prou, ä noire «chevalerie» de reference.Bien entendu,
et 11,v. 565 (p. 108) ; mais nrilites d6signeaussi chez Abbon Ies eomhaltantsen ghdral (I,
v. 469,551 ct 557,617... ), qui sont cavaliersou fantassins(I1.v. 492-193... ).
48. Ibid., 1, v. 246 (nobilior), 11,v. 196(armiporens)ct parsim.
49. S. REYNOLDS,
Kingdoms and Communities im Western Europe. 900-1300. Oxford,
1984.
50. L'apostrophe finale d'Abbon 3 la France,11,v. 596-614 (p. 112). pcul ctrc luc comme
une injonction 3 In virilit6 chcvalcresque.
51. ADDON,I, v. 566 (p. 558).
52. ERMOLDLE NOIR, v. 1687-1723 (p. 128-130). pcrsonnagcd'originc franque, mais
non generosa(cn sommc, il cst d6clar6 libre, quoiquc pas noble) Cl qui a tout dc ttthtc a%-cc
Iui unc Sortedc vassal-dcuycr(pucr).
53. Ibid., v. 2126-2163 (p. 162-164), et Ics mcmcs formules pour cc clue doit ctrc 1'cpin
d'Aquitainc : L`p'rtreII, p. 228.
La chcralcric caroli»ricnna
: prelude au. llC sicclc
169
ces usages sons les institutions ntemes du royaumc (:t ('echelon supcrieur) :
('election du roi t` (c'est-3-dirt aussi I'allegeancecollective des Francs), les rites de
recommandation", le don d'amtes ct de chcvaux `6, le duel S', la chasse`g et, on I'a
vu, la tenue de guerre ou d'apparat. Ces usages evoluent sans doute, mais
('important est qu'on en ait ioujours evoquetin certain nombre, propresii caracteriser une communauteavec sesvaleurs et sa destinee,et que les serfs en constituent
(pour toujours. pratiquentent) Ic repoussoir ideologique indispensable.Pour finir,
ces Francssoni-ils plutot un peuple,ou plutöt une classe? Oit en est-on, au IX` siecle, dans 1'evolution qui fit, scion 'Marc Bloch, de l'adoubenient germanique, a rite
d'acces3 un peuple», un adoubementchevaleresque,« rite d'acces ä une classe» t9,
ii la noblesse'' Attention tout de meme 3 cettc problentatique,et ä ces conceptsque
la vicille ecole ne raflinait pasasset Au IX` siccle, it me sembie n'y avoir, scion Ic
mot do Fusselde Coulanges,que des « families nobles» fi0,se detachantavec plus
ou mains de nettered'une classe franque qui fait peupleo1.C'est do la meme nianierc qu'aux X` ct Xl` sircles, la noblessebrillera sur fond do chevaleric, I'unc et
I'autre formant une mature de royaume franc. 11ne s'agit ü aucun moment de deux
sous-classesaniagonisicsou vraiment distinctes. r\ ('image du roi, le noble est arnriporcns,ensiporenset son cloge, 3 la manierede Sedulius Scotus,conjoint ton ours
In victoire et la sagesse°=. la naissancepredisposeit ('exploit et ('obligation de
s'evertucr dans le rovaume ne signifie pas une competition vraiment ouverte avec
les « ntediocres». Peude dossiersdu IX` sii cle suggerenttine veritable rnobilitc sociale ". Tout au plus le groupedes Francsconserve-t-il tine profondeur et tine unite
apparentesqui dcdouaneles families vraiment puissantes.
54. E:GIt:ItaRD. ch. I cl 3 (p. S-12): . Innalcs n, Gdi Francorunt, dd. P. KURZE, ,IIGH
Scriplores rtrunr g. rmauicartrnt tit usum sclrolarrnn 6. I lannovcr, 1895. p. S.
55. I. 'ASTROKQmt: ch. 21 (p. 346) ct 24 (p. 356).
56.r_Rrlot.
nl.r.lcolR, v.24SS(p.I SS).
57. Ibid..
v. 1796 (p. 136).
58.L'AsTUmow ch. 29 (p. 380).ct 35 (p. 41o).
59. hl. 1.
)LOCIt,I.a So: icn*Fralalc (1939-19401,3ecd., Paris, 1968,p. 436.
60. N. D. Pt.'sTT't.01-COUt,aNGrS.La nronaºchiCfranque, Paris. 1888. p. 85. A dcf auf dc
caste,dc classestatutaire.ecla fait tout dc mcmc unenoblesse« dc fait)) ! Mais Pustel, s'il en
percevait le earacti-rrmmano-franc. mesestimaitla dur>4:de ceslignces, no families p6riodiqucrncnt recomposncs.La vicillc ccolc nc sný-aitI'hcrcdite des titmilles. que lit oü nous diagnostiquons In structure lignagere- cf. IL I.F AN. Familie el pouvoir.... p. 414-426.
61. Cf. Ic passagedc I'ASTROao`.
tE; ch.56. oü il est question de ntortaliti-Idins « Ic peuple u (p. 512) attache3 1.othaim c'est-i-dire parmi Ics puissants: alors on petit dvoquer In
Francia nohiliran" orb: aa. Ic spectred'un myaumedepcupl6et sansforces.
62. Srni"t. u'S Soon''i. Carnrir:a, M. J. \IrvFRS. Turnhout. 1991 (Corpus Cltrislianortun.
Conrintrotio tifrc:itwtii:lis. II'). n° 12 (un mi. it In fois armipofcns et pacifiýr), n° 25 (le roi,
noble et inchius c:rrr::porrr: s). n° 2S (Ie mi. picux. sage el bcllipotens), n° 38 (I: vrnrd de
Prioul. noble fils d'un rr: ripo: cr:s. rnch-sietutor cl entraincurdes FrancsA Ia faFond'un roi).
63. On 1'a dtt. Ics Frana ° m6dic..
-res topaient de Icur vie le droit it I'exploit ! Cf. aussiIn
170
Dominique BARTHELEIIY
Entre les nobles ainsi actifs, les texten disent la solidarite verticale (de miles
ou vassal/us A senior), mais aussi horizontale : Dhuoda prevoit cc que scront les
commililones de son fits ', hommes de meme age et de meme rang. Celle double
orientation des liens vassaliques francs est bien sensible, ii travers une anecdote de
Notkar le Begue :« Quando, inquiets, vester cram vassal/us, post vos, ut oportuit,
inter commililones moos steterem» 6'. D'oir une sociabilitc entre vassaux, dans une
ambiance protocolaire qu'on peut imaginer proto-chevaleresque.
Mais, dira-t-on, les Carolingiens ou leur aristocratic, n'ont pas organise ces
Brandstournois, cesjoules fastucuses,sanslesquelson n'imagine pas la chevaleric !
Certes. Tournons tout de meme noire regardsvers ces chassesde Louis lc Picux,
« selon l'usage des Francs», surtout celle decrite par Ermold le Noir, oil
s'accomplissent la parade et la prouesse,oü se lie une sorte de compagnonnage
d'armes entre Francs et Danois'. Sansparler de celle oh Charlemagnemechamment facctieux aurait invite les nobles lombardsit vcnir en beauxvetements... pour
Ies exposer A des ronces6' ! N'avons-nouspas un dossierdes Brandeschassescertmonicuses,assumantune fonction plus lard devolueaux tournois ?
Cependantles Carolingiens ou leur aristocratic n'ont pas fait de croisade!
Tout de meme, ('ambiancede la guerrerainte est souvent lä, des que paraisscntIes
Saxons,Normands ou Sarrasins.Comme d'autres peuplesdu haut Mayen Age, les
Francsse veulent un nouvel lsrat!I. Une abondancede phrasesvctCro.testametitaires
fait surgir des nouveauxJosue,des GCdeon,desJudashlaccaWc
avec le roi David.
L'epde de guerre et dejustice exalte la fonction protectrice du
chef, craignant Dieu
et averti par sespretres,dont les vassauxsont commedes a capitaines» bibliqucs G1.
Les institutions de croisadeelaboreesit partir de 1095 ne doit pas faire oublier sur
quelle base antdrieurealles viennent s'etablir. Le Charlemagneet les barons francs
desepopdesdu XI1` siecle ne sont dvidemmentpas ceux «dc I'histoire
», mais pas
non plus de simplesfictions !
phasedo Tlt1gan (cll. 44, p. 232) qui lance 3 un serf d'elitc, affranchi et promu archcvCquc:
« feed to liberunt, non nobilent, quod impossibileest n, qui tout 3 la fois rapproclic ct distinguc la franchisede la noblesse(d'oü descommentairesdans Ics dcux sans,au XVIIIc sicclc).
64. DIIUODA,Manuel pour monfils, cd. P. RICaIFParis, 1975,p. 166 (III. 8
: allusion au
service du roi, son seigneur,cunt commilitonibus infra aulam regalem atque imperiah"nt), el
p. 174(11).10) ct 212 (iV. 4). Cf. aussicc mot dansNilhard, 11.8(p. 62) ct dansAdrevald, ch.8
el 11des Miracula. aides infra, n. 78 (p. 28 cl 32. s'agissanidu combat spirituel des moines).
65. Non: ER LE BEGUE, II, 10 (p. 66). C'cst Ic jcunc Louis Ic Gcrmaniquc qui s'adrcsse
ainsi ä son pare et ajoute que, devenu vassal dc son aTeul. it pout marcher aux cites dc lui
(ccnunc aulent vester socius el commilito non inmerilo me vobis eoequo n).
66. ERMOLD
I.r NoIR, v. 2381-2437 (p. 182-184): it ya mime 13les dames, la tr s helle
Judith...
67. NOTKC"R
LE Recut:, 11.17(p. 85-88): 3 cctte samptuositc s'opposc la simpliciti des
artrra milicie.
68. DIIUODA,p. 166 (111.8).Beaux developpcmcntssur Ics royaumcs bibliqucs dans
P. BROWN,Lessor du cltristianismeoccidental,200-! 0130.Paris, 1997.
La cheraleric earOliirgicnr. e : prilude au. 17c!sijcle
171
La s}rtbiosc entre « I'Eglise et I'Etat» dans un royaurnc « cltcvalcresque»
ä
la
fois bonneet difficile 3 penser.On le volt avec la question de la
est
militia, ou
desmilitie...
3. Ia thiorie des deux Elites
Pour rcndrc i I'histoirc des idiýescarolingiennessa relative simplicite, il faut
s'arracher A In fascination de certains mots. Cc nest pas dans milites ou militia
qu'on trouvc cxactcmentou Ic plus nettementI'etltique cltevaleresque.Jean Flori le
dit lui-meme: il }" a tine « fonction chevalercsque»du roi dans les
capitulaires, enire autres sources,et sous In plume de saint 13oniface,on trouve rcunis «ä propos
des poteate.s In plupart des 0ements constitutifs de In future etltique cltevaleresque iº 4D,souci dc justice et vocation 3 defendrc les faibles. Chez Agobard de Lyon,
c'cst I'ethiquc dc In militia qui, de fait, «se fond dans I'etltique royale» 70.Jonas
d'Orleans attribue au laicus ordo une mission de type royal, en des termes qui annoncent le XI' sii:'cle :« (ut) laicus ordo jtatitiac deserviret, atque armis pacenr
sanctae Ecclesiao dcjcaderet» ". A cc moment (833), cc mot est en progression
pour d6signer I'ordo laic, et militan" est dej3 tri:s polysemiquechez Dltuoda''- : il y
a en lui rcgir ct scrvir, du devouententvassaliqueavec de la dignite aulique, etc.
Cette polysemic me sentble I'une des raisons du succýs des mots de In fantille de
miles, qui triompheront vers I'an mil dans les charteset notices'j, en memetemps
quc lout un systemedc representationcarolingien : In vision rigoriste et intperialiste
du tempsde Louis le Picux, portec:alors par le monachismer6forntateur.
hloraliscr I'elitc laiquc en est evidemntent un point important : il s'agit de
justifier et de maitriser In pridontinance de ces puissantsFrancs,dont I'allure et les
cerc`monicsde gucrriers accontpagnentles autres fonctions, depuis qu'il n'existe
plus dc service proprentcnt « civil ». Mais cc point n'est pas le scul : il ya un lien
organiquc entre « 1'rthique chevaleresque»et 1'affirmation de la dualite des elites.
Nous trouvons celle-ci des Ies debutsde I'histoire carolingienne,quand le pape Zacharie, ecrivant 3 Pepin le Bref en 748, dit Ic role de C\toi'se,qui priait, 3 cote de Josue,qui contbattait,dans In lutte contre les Amaldcites(Exode 17,9)". Un royaume
vete'ro-testamentairc,tel qu'on Ic comprendavec un esprit gelasien,est un royaume
dans Icquel Ic combat par In priere compte autant que lea arntes's. A celles-ci, un
69. J. Ft.ORt.L'iL..calogic du g! aire.... p. 44. note S.
70. lhid_ p. 4S.
71 Jor: xs o'ORuL
s. Ifisforia trarulationis sa,: cti : luberti. PL 106, col. 389.
72.1. FLoRu.L' id &ogie du glaire.... p. 51. note S.
73.1). BART11C1.
t7.11',a Note... v. art cit. supra. note 11.
74. Codex Cärolinur. 3. M. W. Gtn: ot_{Cit,daps l(Gll Epistolae, tonic III, Berlin, 1892,
.
p. 4S0.
75. CcIa nc va pas dc soi I Cf. la phrasedc Notker Ic Btgue, 11.10(p. 66) : la
res publico
rcrrcna nc subsisicpas sins le rnariageet I'usagedes amtes (done la naissanceet I'effort des
nobles).
172
Do riniquc BARTHELESIY
clerge est done ä la fois etranger((cNemo militans Dei implicat se negociis secularibus II Timothee, 2.4) et supericur (puisque ni ses armes ni sa noblessene sont
plus « de chair)), materielles). Encore Dhuoda proteste-t-elleque la distinction des
deux indices n'est pasune vraie separation; if n'est que de coordonnerentreelles ?°.
La distinction Westpastoujours si nette, dans une histoire carolingienne qui
commenceavec Savary d'Auxerre, evequetrop temporel". et qui se Termineavec
Hugues I'Abbe ; cc dernier se bat pour la juste cause et sous In protection de saint
Benoit, mais pas ä coup de psaumes"! Entre-tempssurtout, mains prelat (eve;que
ou abbe) succombeaux attraits de la chasseet la parure franques.Charlemagnele
Icur interdit en certains do ses capitulaires''> - assez vainement semble-t-il.
L'Astronome, biographe apologetique de Louis le Pieux, relate son action pour
exalter I'Eglise, en Aquitaine puis dans I'Empire. Chaquefois, elle a pour eITetun
mouvementimportant de renoncementaux armes,dans le haut clergt ".
Le renoncementä la militia mundanaest un lieu commun de I'Antiquite tardive : c'est au profit de « meilleuresacmes»", de l'autre militia... Les iscttcs sont
tout specialementcc que saint Paul appelle des« athletesdu Christ ». La richesseet
la perennitedu themedesserviceset combatsspirituals ne doivent pourtant pas faire
oublier quc la referenceest toujours l'institution seculiCrc,de laquellc des ecclesiastiques veulent excuseretjustifier leur exemption ! SousLouis le Pieux,cela ressemble memo ä une exclusion theorique que dement cependant la continuation du
service dans Ic royaume.
Mais cette separationplace sous le coniröle moral et canoniquedes eveques
les armesdes vrais guerriers. L'empercur lui-meme les quitte sur kur ordre, I In
Saint-Martin de 833, pour les reprendrede lours mains ä P;iqucs 834 ". A partir do
76. DiIUODA,p. 212 (IV. 4) : et volo ut talem to inter comilitonestemporaliter servientium
satagerestudeas,qualifier in frnenr. cunrfantulis ct militibus Christi. non sequestratesed p! uraliler militando, liber cum liberis nrcrearisfungi in regnum sinefine maruurunt.
77. Ld. L. M. DURU,Gestapontificum. lutissiodorensium,dans Bibliodtique historique de
! 'Yonne,Auxerre, 1850, t. I, ch. 26. p. 347. C'est sa noblessed'origine qui. scion setts biographic critique, Ic pousseaux armes.
78. Cct abbe lui aussitrýs tcmporcl Sc bat, setts fois, pour In bonne cause(comme Ehle.,
do Saint-Germain-des-Pres.D'oir l'aidc do saint Benoit : C"d.E. or CrRrAiN. Les tliraclt's de
.
saint Benoit, Paris, 1858,I. I, Appcndiced'Adclierau livre I d'Adrevald. p. 84-85.
79. AMG!!Capil. I, n° 19 (769 au plus Lard,oit Charlemagnes'intitulc rector du rovaunre
franc et devolussanclac Ecclesiacdefensor),an. 2: pas d'armurc pour les serer Dei. dispense
Waller A I'armdc et chasscintcrditc (p. 44) : cl n° 33 (802. o6 I'an. I1 interdit aux prelats
toute polentiva dontinatio ou tyrannic sur Ieurssujets).art. II: chasscintcrdite.
80. L'ASTRONOntt:
ch. 19 (p. 336) ct ch. 29 (p. 378). Mcmcs dcsadouhetncnts(parfois de
dune)
de In trcvc de Dicu.
temps
au
courts
81. ERMOLDLE.NOW, v. 288 (p. 26).
82. L'ASTRONOME
ch. 49 (p. 482) ct 51 (p. 488). A notcr que cc depdt d'arntcs Iui dvite
pout-titre une tonsure. Tout de mcmc. Ics elementsse dfehatncnt sur Ic pays. pendantcet hivcr d'impuissancc royale !
La cheº"alcrie carolingicnne : prilude au. 17t'siýclc
173
833. le theme do la militia fait furcur. La renaissancedu droit canon fait redecouvrir
le cingulum militie : c'rst do lui qu'on prive des penitents nobles ". Attention ii
ne
pas imaginer ici ('expulsion hors d'un « grand corps de I'Etat », car cette militia ne
se deploie pasa la romaine, en positif: Hincmar do Reims ne decrit pas, par exempie. tine militia palatine et sa discipline ou son protocole stricts ; fordo palatii est
fait, pour lui, d'usagcs x restaurer,en attribuant un räle A tine serie de
ministri ".
Karl Leyser a raison do paraphrasermilitia en «train do vie noble» ajoutons-y,
pout-i tre, I'activite des dirigeants ct I'lionneur ! Revenu en force dins les textes du
IX` siecle, militia pent du moins agglutiner, des lors, des elaborations theoriques
et
rituelles.
Au IX` sickle. Ic depot de la coma capitis, c'est-ä-dire la tonsure pour entrer
au ntonasi4c. va do pair avec le depot des armes". N'est-ce pas autant de gagne
pour la theorie des dcux milices ? Elle commente le rite, non comme tin adieu aux
armes. mais comme tin cllangcment d'armes. La nouvelle militia est superieure ä
I'ancienne.comme la loi de graceI'est ä cello dc hlolsc.
Celle theorie appelle air fond militia tout 1'effort des elites, ce sans quoi In
noblessedegenCrescion la formule de Bocce (Consolation, 111.11).Or, ajoutez aux
deux milices le travail de la terry, ei vous avez les trois ordres « l'onctionnels», des
les annees870''" cc modCle forme par combinaison de binonies ne ressemble,au
,
demeurani,ä rien moins qu'a une triode indo-europeenne!
83.1.'ASTT;Oxo!.tl' ch. 45 (p. 460) et les cxentplcs foumis par K. LEYSFR,« Mcdicval Canon law... u, p. 555-556, qui eomprend la miliria coninie « train dc vie noble» parcc que
]*expressiondc cirigulun; mtlitiac r.'epa; cm cst synongmed'arnta dcpatere, et en observant
que sur tous le pointsti la loi romaine taniivc fait 1'objct au iXe sit'--cle,d'une comprehension
quclque peu dir. tl&
84. i iI1;Ct.tAR. A* onlir; e pm!atii, rd. et trad. M. PROU,Paris, 138"1.II faut aussicommcntcr la I'ita sanctr F.rn:cr.!ar.:ft, cd. W. LE\'iso`:, 1IG11Scriptores rennt ntcrovingicarmrt 5,
Hannover et 1.rip71F- 1910, p. 6sa-686, plutdt . que dc la laisscr « parlor d'ellc-mcmc »,
comme le voudrait K. F. wt-R.uým(eitc supra. note 21)" La carriL,re de saint Ernteland(fin du
VIIe sikIc), dans laqucllc Ics armes ne sont pas explicitement cit6es, sentblc tin t»odblc de
militia palatina, gtiitt6c pour I'autrc, au scr,,"icc du Christ. Alais, si on In transposaitvers 800,
se d6roulcrait-elIc dans tine eapitale urhainc ct hureaucratiquc? Oü est le rýgletttent strict de
cctte a milicc y^1. 'aºanccmcnt ticnt 3 I'affcction du roi. Ensuitc comme saint Martin, Ermcland dolt demander I'autorisation dc sc retirer, mais il I'obticnt vite, d'un roi qui craint
Dieu (et riuvc ainsi Ia face).
85. Coupe des che%
cux ct d6p3t des armes, par Gulfard, en 785 : acte analysd par
E. MAnn.t.l, a 1_apancartc noire dc Saint-Martin de Tour>>), dans tlentoires dc la Societe
.
arcJtrologiquc dr Tourair.r 17.1865, n° 37. De mcmc, avcc I'cxpression cing"ulrnumiliciac :
cd. G. TrsstM Rce;uil des actes de Chirles 11lc Chauve. roi de France, Paris, 1943, t. I,
n° 84 (846). Texte postcricurs. dans D. 13.
>,RT1tiX.
fmY, « Qu'est-cc que In chevalerie?... »,
p. 55.
86. D. locý: ý-1'ItnT, a Ix a bapthnc v du schemades trois ordres fonctionnels. L'apport
dc I'6colc d'Auxcnr dartsla srcondc ntoitie du IXc sicclc u, dans. lu, rales ESC. 1986, 101p.
126, cite cl commentc les tcues, sanstoutefois s'cmanciper assczdu theme indo-europcen
;
174
DominiqueBARTNELEifY
Surtout, la theorie des deux milices permet un certain ascendant des
hommes
«
spirituels »: ils prient pour les combattants" et Ieur dispenscntClogeset
blames dans 1'exercicememede leurs diversesfonctions. Evrard de Frioul est ainsi
loud, par SeduliusScotus,commeun vainqueurdes!Mures, defenscurdes Cglises,n
I'epCcrutilante et quasiroyale ". Et saint Gall aide le bon gent Eiskcr, son devot, a
se tirer avec son cheval des tumultes de In Doire''. Saint Benoit et saint Germain,
surtout, luttent avec lesproceres regni contre ies Normands.Au rebours, il ya Ics
maledictions contre les ennemisdes biens d'Eglise. Adrevald de Fleury foumit dej3
un rCcit modele : l'avoud Etienne, « non ignoble)) de naissance,qui a dC(ic saint
Benoit par l'CpCevoit son cheval se cabrer s"... Les continuateursdes ,Sliracula le
reprendront souvent,dans In periode « fCodale»(X' et XI' siecles).
« L'ordre laic)) a die soumisall IX' siecle 3 In ferule de I'Eglise, et les mutations politiques de 890-920 n'entrainent aucunedCchristianisationdes nobles. Leur
foi dans le pouvoir des reliques. leur allCgeanccreligicuse aux ntonastCresdemeurent vigoureusesall tempsdesincursionspalenneset des chateauxnouveaux.Cc que
les historiensmodernesappe!lent, des fors, « christianisationde In chevalerie», ou
de In sociCtCentiCre,n'cst all fond que In mise all point de formules chrCtiennesqui
les dCpaysentun peu moins ! Ainsi des rituels d'adoubementpar I'Mque, nil X111'
siecle, contemporainsde In prise en charged'un autre grand rite de passage: le maringe.
Toutefois, de Louis le Pieux a In paix de Dieu, les mots vom cheminer. La
theorie desdeux Clitesprendra une importancecroissante,a In mesurede sa simplicite commode,et de In vigueur des ambitionsmonastiques.On est frappe, en cffet,
all IX' siecle, par In relative imprdvision des rangs,parmi Ics Francs dc ('ordre lalque, ces regniproceres qui font face en 822 all spiritales viri 91.II ya bien les conttes, qui sont Ic pendant des Cvequeset font equipe avcc eux dans des tachcs de
direction. En dessousdesevtques, lesabbes.Mais en dessousdes comics ? D'autres
proceres, desvassi (notamment)dominici ý=,desministri... Le vocabulairenest pas
I'cxigcncc memc dc GeorgesDumfzil pour reconnaitrcunc vraie triade nest pas rcmplic par
cesschdmasmfdifvaux qui se formcnt ct se dffonncnt par combinaisonsdc hinüntcs, cl par
une sericdc remaniements.
87. Cf. 1'oratio super nrilitantes, du prftendu w missel dc I.fofric u. N. F. WARREN,
Leofric Missal, Oxford, 1883, p. 230.
88.SEDULIUS
SCOTUS,
Carmina,n° 38ct 39.
89. NOTI:E"R
LEIItGUE 11.12(p. 75). 11dvoque Ia proceritas d'Eisker, qui sc lie 3 I'idfc dc
famille noble, meme si e'est par une comparaison avcc unc race biblique (Ueutýrcutome,
2.10).
90. ADREVALD, M. E. DECERTAIN,citf supra, note 78,1.38. p. 80.82.
91. L'AsTRONOnIE ch. 35 (p. 406).
92. Le cortegefunfrairc dc Louis Ic Picux est conduit par Drogon dc Alctz cum aliis epistE. ch.frl p. 554). Mfntc fttuntfracopis, abbatibus, canitibus, vassisdominicis (I'ASTRON'os.
de
d'honores,
dans
Ic
dc
Charles
lc Chauveprfvoyant Ic tribut attx
titulaircs
tion
capitulairc
Normands (877) : MGIi Capitularia /I. dd. V. KRAUSE,
354.
En 863, unc asscntblfc confp.
La chcti"ale.rie caro! ingiuu: e : prilud,. - au. 11c!sicclc
175
toujours Ic mime, scion qu'on se trouve au plaid, ä la guerre, au palais, et d'auteur ä
auleur. Mais il prcnd peu ä peu plus de consistanceapes 860, et I'image d'une tnilitia, comies et milites entourant le roi progrcssedans les temps mimes du declin carolingien. Elle se degagenettemenidans I'Histoire de Richer dc Reims (en dcpit de
quclquesdistorsionsd'idecs, dc la notion d'un cquesterordo distinct dc la haute noblesse").
Effeciivcmeni combattante autour du presque roi Eudes, dins le poeme
d'Abbon, la militia rani se deploie ensuitesurtout lors de grands rites royaux : Ies
sacres, les funcrailles, los u electionsnºdu X` siecle. Des grinds apparaissentalors,
en haut des chartcs, commeseculari militia dedittts, ou militari gladio accinctus :
d'oü nous ne devons pas deduire Icur militarisation, ni mime un eclat symbolique
nouveauqu'auraicnt acquis lours armes,mais bien I'obedieneedes redacteursde ces
chartes ä la tltcorie des dcux milices, des deux glaives. Et ce en un moment oü les
exigences,les mots et les modtles du tempsde Louis Ic Pieux triomphent dans ]es
monasteres.
so$*$
Car, vers I'an mil, dans un contexte politique et dans un pays-zige
passablement transformes,I'-flitisme post-carolingien se porte bien. Les puissantslaics prýtendent 3 une excellence pluridisciplinaire, que symbolisent leurs dpdes et leurs
chevaux ainsi que tout cc qui les apparente3 des rois, et le royaumedes Francssurvit dans l'idEe mcme dc leur chevalerie.Quant aux moines, ils pr6tendentplus que
jamais aux privil&gcs dc I'autre chevalcrie !
pone des 61qucs cl des ahb4sclcriquc cercri orrlinis, puls des comics ct dcs vassi dominici,
Cartulaire dc Saint-Calais du Hans,
en ouirc compluribut r. obiliury ý:mr, rm (Ed. L FFltOGER.
hiamcrs, 1888,n° 28).
93. fttatrA, tomc I, p. 16. Expressionss-non}-mcdc militaris ordo, ct qui dLsigne tout cc
qui nest pas dc f: millc royalc, au srns itroit (fits ct fillcs dc roi). Pasdc contrndiction nvcc In
noblesse(i. lI, p. 51).