Pygmalion - Frédéric Brunet
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Pygmalion - Frédéric Brunet
qwertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwerty uiopasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopas dfghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfghjkl zxcvbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbn Pygmalion mqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwer « L’art se dissimule grâce à son art même » tyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopa sdfghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfghjk lzxcvbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbn mqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwer tyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopa sdfghjklzxcvbnmqwertyuiopasdfghjk lzxcvbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbn mqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwer tyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyuiopa sdfghjklzxcvbnmrtyuiopasdfghjklzxc vbnmqwertyuiopasdfghjklzxcvbnmq wertyuiopasdfghjklzxcvbnmqwertyui 29/12/2010 Frédéric Brunet Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 1 P ygmalion, pour les avoir vues mener une existence vouée au crime, plein d’horreur pour les vices que la nature a prodigalement départis à la femme, vivait sans épouse, célibataire, et se passa longtemps d’une compagne partageant sa couche. Cependant, avec un art et un succès merveilleux, il sculpta dans l’ivoire à la blancheur de neige un corps auquel il donna une beauté qu’aucune femme ne peut tenir de la nature ; et il conçut de l’amour pour son œuvre. Elle avait toute l’apparence d’une véritable vierge, que l’on eût crue vivante et, si la pudeur ne l’en empêchait, désireuse de se mouvoir : tant l’art se dissimule grâce à son art même. Pygmalion s’émerveille, et tout son corps s’enflamme pour ce simulacre de corps. Souvent il palpe des mains son œuvre pour se rendre compte si c’est de la chair ou de l’ivoire, et il ne s’avoue pas encore que c’est de l’ivoire. Il lui donne des baisers et s’imagine qu’ils lui sont rendus ; il lui parle, il la serre contre lui et croit sentir céder sous ses doigts la chair des membres qu’ils touchent ; la crainte le prit même que ces membres, sous la pression, ne gardassent une marque livide. Tantôt il lui prodigue les caresses, tantôt il lui apporte les présents qui sont bienvenus des jeunes filles, des coquillages, des cailloux polis, de petits oiseaux et des fleurs de mille couleurs, des lis, des balles peintes et des larmes tombées de l’arbre des Héliades. Il la pare aussi de vêtements, passe à ses doigts des bagues de pierres précieuses, à son cou de longs colliers ; à ses oreilles pendent de légères perles, des chaînettes sur sa poitrine. Tout lui sied, et, nue, elle ne paraît pas moins belle. Il la place sur des coussins teints avec du murex de Sidon, il lui décerne le nom de compagne de sa couche, il fait reposer son cou incliné sur un mol amas de plumes, comme si le contact devait lui en être sensible. « Le jour de la fête de Vénus, que tout Cypre célébrait en foule, était venu ; les génisses au cou de neige, l’arc de leurs cornes tout revêtu d’or, étaient tombées sous le couteau, et l’encens fumait à cette occasion ; Pygmalion, les rites accomplis, se tint debout devant les autel et, d’un ton craintif : « s’il est vrai, ô dieux, que vous pouvez tout accorder, je forme le vœu que mon épouse soit – et comme il n’ose dire : la vierge d’ivoire – semblable à la vierge d’ivoire », dit-il. Vénus, qui assistait en personne, resplendissante d’or, aux fêtes données en son honneur, compris ce que voulait dire ce souhait et, présage de l’amitié de la déesse, la flamme trois fois se raviva et une langue de feu en jaillit dans l’air. « Rentré chez lui, Pygmalion se rend auprès de sa statue de jeune fille et, se penchant sur le lit, il lui donna des baisers. Il lui sembla que sa chair devenait tiède. Il approche de nouveau sa bouche ; de ses mains il tâte aussi la poitrine : au toucher, l’ivoire s’amollit, et, perdant sa dureté, il s’enfonce sous les doigts et cède, comme la cire de l’Hymette redevient molle au soleil et prend docilement sous le pouce qui la travaille toutes les formes, d’autant plus propre à l’usage qu’on use d’elle. Frappé de stupeur, plein d’une joie mêlée d’appréhension et craignant de se tromper, l’amant palpe de nouveau de la main et repalpe encore l’objet de ses vœux. C’était un corps vivant : les veines battent au contact du pouce. Alors le héros de Paphos, en paroles débordantes de reconnaissance, rend grâce à Vénus et presse enfin de sa bouche une bouche qui n’est pas trompeuse. La vierge sentit les baisers qu’il lui donnait et rougit ; et, levant un regard timide vers la lumière, en même temps que le ciel, elle vit celui qui l’aimait. A leur union, qui est son ouvrage, Vénus est présente. Et quand, pour la neuvième fois, le croissant de la lune se referma sur son disque plein, la jeune fille mit au monde Paphos, de laquelle l’île tient son nom. Ovide, Les métamorphoses, Pygmalion, § X, trad. Joseph Chamonard Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 2 Pygmalion, sur l’art de l’art Avant-propos : le mythe de Pygmalion La mythologie grecque veut que Pygmalion, roi de Chypre déçu par les femmes, préférait le célibat. Sculpteur de renom, il s’avisa un jour de créer la statue de la « femme de ses rêves » : la statue d’ivoire de Pygmalion. Par « statue d’ivoire », il faut entendre qu’il la réalisa avec les matériaux les plus nobles de l’époque, selon la technique dites « chryséléphantine », c’est-à-dire sur bois plaqué d’ivoire pour représenter la peau, et d’or pour les vêtements. Galatée, cependant, n’avait que la blancheur de neige de l’ivoire – d’où son nom. Elle était donc nue et devint, de surcroît, et soudainement, l’objet du désir de l’artiste. Lorsque Aphrodite devina la passion que Pygmalion nourrissait pour une femme qui ressemblerait à sa Galatée, elle décida de donner vie à la statue elle-même, « présage de l’amitié de la déesse » dit Ovide. Le recueil d’Ovide, Les métamorphoses, reprend les mythes grecs et romains et les inscrit dans le dire du poème, tout comme Homère l’épopée d’Ulysse dans celui du chant, sans parler encore d’Hésiode et des nombreuses tragédies. L’intérêt de ce recueil latin est certes qu’il porte sur le pouvoir divin des métamorphoses que l’écriture conserve. Mais il est aussi qu’il porte le mythe au poétique, la mythologie à l’art. Or Pygmalion présente précisément l’intérêt, à lire ses lignes et entre elles, ainsi qu’avec un certain recul de l’histoire, de produire une théorie de l’art et de la création en tant que tels. Le poème d’Ovide s’entend ici comme œuvre d’art. Or cette œuvre, à un second degré, et par mise en abyme, traite de l’art sous la figure de la sculpture en l’occurrence. En troisième lieu, il sublime l’art aux confins de la création divine. C’est pourquoi la réflexion présente se divise en trois parties : Le poème d’Ovide, La sculpture de Pygmalion et La métamorphose de Galatée. Les quelques difficultés concernant l’art et la technique, qui sont mentionnées plus bas, le sont certainement par trop allusivement. Mais il convient de faire remarquer que deux réflexions primordiales le sont à l’excès : sur l’amour et sur la naissance, qui sont ici laissées à toutes interprétations silencieuses. Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 3 I- Le poème d’Ovide Introduction Pensée et poésie sont essentiellement Dichtung. Le mot allemand « Dichten » veut dire : conter, raconter, exposer par la langue. Or, ex-poser, c’est aussi montrer. C’est pourquoi la musique, la peinture, la sculpture sont encore poésie. Aussi pensée et art, selon Martin Heidegger, révèlent, manifestent la vérité ; ce qu’un Platon n’aurait jamais ne seraitce qu’osé imaginer. En effet, Platon n’aurait jamais osé imaginer que pensée – en tout cas philosophie – et art puissent être assimilés ; ni, surtout, que l’art manifeste la vérité. Dans la République, il va jusqu’à poser qu’il ne relève pas seulement des copies, mais copie les copies, déjà « dégradées », des modèles d’origine – les archétypes. Pourtant, si l’art a davantage à voir avec la vérité, selon Heidegger, qu’avec le sensible, selon Platon, c’est tout de même que beauté et vérité sont liées. Or Platon est aussi l’un des premiers à l’avoir paradoxalement pensé et exposé par la langue : chanté1. Mais que nous chante-t-on là ? Que nous raconte-t-on encore ? Une histoire. Des sornettes. Balivernes. Car « dichten », « erdichten », signifiaient jadis : tromper. Le poète Ovide le dit lui-même si bien lorsque, précisément, il parle de l’art de Pygmalion : « […] l’art se dissimule grâce à son art même. » L’art a l’art de se cacher pour cacher que « ce n’est que de l’art ». Il y a un art de l’art qui consiste à dissimuler l’art, le voiler, couvrir, etc. Un art de l’art comme « l’art et la manière », une technique, qui illusionne et trompe, fait prendre et tenir le faux pour le vrai. Et, certes, comment penser l’art sans la technique ? L’art sans la manière ? L’art de l’art Soit ! Mais il s’impose alors d’étudier cette relation de l’art et de la technique. S’il y a un art de l’art, si cet art est la manière d’être de l’art, alors cette technique d’illusion et de tromperie consiste à la fois en la modalité – le comment – et l’essence – le quoi – de l’art. L’histoire d’Ovide, réunissant ainsi le comment et le quoi de la sculpture, expose par la langue la vérité de l’art et s’expose proprement en tant que vérité de cette vérité. La sculpture fait apparaître son montrer, qui consiste à se dissimuler. L’art, c’est ce qui sait se faire oublier pour faire sortir de l’ombre – alèthéia. Le reste n’est qu’ « art du dimanche » – et malheureusement des autres jours, criard et trop visible : art sans art. Mais que fait donc voir la sculpture en cause ? Que montre le sculpteur Pygmalion, et non plus le conteur Ovide ? 1 Cf Platon, Le banquet Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 4 II- La sculpture de Pygmalion Galatée. Beauté d’ivoire et objet d’amour. Contrairement aux Propétides, ces femmes que Pygmalion a « vues mener une existence vouée au crime », celle-ci est pudique. C’est en effet ce que veut la mythologie. Mais Ovide l’entend d’une autre oreille : « Elle avait toute l’apparence d’une véritable vierge, que l’on eût crue vivante et, si la pudeur ne l’en empêchait, désireuse de se mouvoir […] » La pudeur de Galatée est le retrait de la beauté – la beauté comme retrait – qui la rend désirable et lui donne l’apparence de vivre. Là où d’aucuns ne trouvent en l’art qu’illusion et tromperie, il faut voir l’apparition du Beau comme exposition du Vrai. Ce qui se voile dévoile. L’art et la technique Or seul un art sait s’effacer de la sorte. L’art sans art est tenace et insistant. Quant à la technique, il faut y revenir : la laideur la connote le plus souvent, mais parce que la beauté n’entre pas dans son projet. D’une certaine façon, l’art sans art, c’est elle. Cela mériterait d’être développé longuement, car plusieurs difficultés se posent. Tout d’abord, si la technique et le « mauvais art » se rencontrent en l’art sans art, ce n’est pas sans quelque différence : celle du projet et de sa réussite. Lorsque l’art qui vise le Beau échoue, il caricature désespérément son propre échec. Par contre, la laideur technique s’identifie à une simple absence de beauté, qui n’est pas manque et ne laisse pas à désirer. Si la technique peut s’avérer invivable, elle n’est pas non-viable ni abortive, voire avortée. Une seconde difficulté demanderait attention : technique et art font tous deux apparaître. Cela-dit, alors que la première produit – pro-duit – l’autre crée. La vérité technique se donne comme efficacité du fonctionnement. Ça marche. Mais la beauté, elle, est vivante : vérité qui tend à s’incarner, s’éveiller, respirer. Sensible esquisse de mouvement. Façon de dire que le Beau serait peut-être premier ? Mais l’intention du propos ne prétend pas l’approfondir. Qu’il soit juste permis d’arguer, par l’allusion au mythe, que Galatée se fait désirer et que son cœur semble bientôt battre. Il convient de revenir à la relation du Beau et du Vrai. Le Beau et le Vrai Si Platon donne le sentiment de mépriser l’art, il connaît toutefois cette relation du Beau et du Vrai ; il reconnaît même l’importance du Beau en philosophie. Comment ne pas, d’ailleurs… puisque la philosophie est désir de savoir, et puisque le Beau fait l’objet du désir ? C’est dit dans l’œuvre Le banquet. Eros, fils de Poros et de Pénia, c’est-à-dire de la richesse et de la pauvreté, est, brièvement dit, riche d’espérance car manquant de l’essentiel Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 5 – les essences – et mendiant comme sa mère. Il fut conçu le jour précis où se tint la fête de la naissance d’Aphrodite, déesse, notamment, du plaisir et de la beauté, et désirable entre toutes. Selon Platon, Eros n’est pas pleinement un dieu. Il naquit du divin et du non-divin. Il représente donc un demi-dieu ou, plus précisément, un daimon. En d’autres termes, il se situe, par sa nature, entre les dieux et les hommes. Mais cela signifie aussi qu’il tient une fonction médiane et médiate entre eux : il relie les hommes à la divinité. C’est ce que la prêtresse Diotime aurait enseigné à Socrate lorsqu’il était jeune. Eros est un guide. Il oriente dès le jeune âge vers la beauté corporelle et conduit, dans l’élan du désir, à former de beaux discours. Puis il mène à rencontrer la beauté dans l’âme et à enfanter en sa présence de semblables discours. Enfin, il guide vers les connaissances ; en quoi il cesse d’être misérable – Pénia – et un diseur de pauvretés, pour enfanter de magnifiques discours. Cette connaissance a pour objet le Beau lui-même, reconnu dans son unité. Autant dire qu’Eros, guidant vers l’unité et l’unicité du Beau, fait accéder à la connaissance de l’Un, des idées, essences, valeurs. Il achemine philosophiquement vers l’intelligible et la vérité. Le désir du beau est donc sage. Qui l’aurait cru de Platon ? et le platonisme ne saurait tant faire abstraction de l’art. III- La métamorphose de Galatée Cependant, le mythe de Pygmalion inspire que c’est Aphrodite qui décide et métamorphose Galatée, la trans-forme, la transporte de la forme de l’art à celle de la vie. Eros, en quelque sorte, suscite le désir de Pygmalion et lui fait voir la femme dans la splendeur d’une vérité qui la rend quasiment « plus belle que nature ». (La forme onirique de la femme comme objet de désir, plutôt que l’ivresse dionysiaque d’une fusion vive ?) Mais Aphrodite exauce Pygmalion dans l’intimité du pudique secret (elle « comprit ce que voulait dire ce souhait ») et rend Galatée pleinement « naturelle ». Par la Grâce de la beauté, Galatée vit. Elle ouvre les yeux sous les caresses de Pygmalion. Et la statue d’ivoire est « […] d’autant plus propre à l’usage qu’on use d’elle. » Toujours plus belle, désirable et vivante. Elle ouvre les yeux et « […] levant un regard timide vers la lumière, en même temps que le ciel, elle vit celui qui l’aimait. » Elle voit donc Pygmalion parce qu’elle regarde la lumière et le ciel, la vérité et la divinité qui lui donnent autant la vue que la vie. Elle voit Pygmalion par la Grâce. Elle regarde la lumière à l’instar de la chouette fixant la vérité dans la nuit. Or l’œil d’Athéna, dit Heidegger, « est l’œil qui éclaire et resplendit. C’est pourquoi lui appartient, comme un signe de ce qu’elle est, la chouette. Son œil n’a pas Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 6 seulement l’ardeur de la braise, il traverse aussi la nuit et rend visible ce qui serait, autrement, invisible. »2 Mais c’est un « regard timide » que Galatée lève vers la vérité et les dieux. Elle devient peut-être aussi humble de vivre qu’elle était pudique d’être belle, parce qu’elle n’est plus maintenant, ni le bois plaqué de noble ivoire, ni l’œuvre d’art. Elle voit, en même temps que Pygmalion, par les mêmes yeux que lui. Elle ne peut que suivre le regard de la chouette, louer Aphrodite et se laisser guider par Eros. La présence des dieux dans la mythologie tout comme l’importance du mythe dans la pensée grecque antique semblent nouer et sceller pour longtemps le lien de l’art et du sacré. L’amour lui-même ne saurait en faire abstraction. Le mot « dieu », d’ailleurs, ainsi que « Zeus » et le latin « dia » signifient : par. C’est ce par quoi. Dans l’amour, ce par quoi deux s’unissent est un troisième, bien que logiquement premier, qui rend l’union possible et même, chez les Grecs, permis. Conclusion La métamorphose de Galatée pense donc la naissance. La sculpture de Pygmalion, l’art. Et le poème d’Ovide, la vérité de l’art et de la naissance. La vérité de la naissance n’est pas « créationniste » dans ce poème, qui dit seulement que la divinité entend le désir de l’homme et le réalise selon son art propre : la métamorphose ; cela-dit elle crée dans la mesure où l’originalité du don de la vie lui revient. Celle de l’art, l’œuvre d’art, le poème la veut révélation sur le mode de la beauté. Mais la révélation suppose une occultation de l’art en tant qu’art ; ce que fait justement Ovide puisque son poème s’éclipse devant la vérité dont il est la parole. Dans tous les cas, c’est ce qui se retire qui crée, œuvre et origine3. Dans tous les cas aussi, l’homme est en présence du divin. Eros guide Pygmalion vers Galatée, puis vers Aphrodite. Il ne serait pas faux de dire, à cet égard, que Pygmalion a par deux fois « enfanté dans le beau »4: sa statue a présentifié la vérité et Galatée lui a donné son fils Paphos. Lorsqu’il conceptualise l’étonnement, Aristote observe, entre parenthèses, que « […] même l’amour des mythes est en quelque manière amour de la sagesse »5. En peu de mots, il signifie que la mythologie, voire la religion, bien qu’irrationnelles, partagent avec la philosophie, sinon la quête de la vérité, du moins celle du sens. « Car le mythe [ajoute-t-il] est un assemblage de merveilleux [d’étonnant].»6 Le recueil entier d’Ovide en témoigne, à preuve la métamorphose de Galatée7. Mais l’étonnement au sens philosophique constitue 2 Martin Heidegger, La provenance de l’art et la destination de la pensée, in Cahiers de l’Herne Même Pygmalion se retire dans le célibat… 4 Platon, Le banquet 5 Aristote, Métaphysique, Livre A 6 Id. 7 Ovide dit déjà de Pygmalion contemplant sa statue : « Pygmalion s’émerveille, et tout son corps s’enflamme pour ce simulacre de corps. » 3 Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 7 surtout l’origine de l’amour de la sagesse comme désir de savoir, puisque tout étonnement se définit comme prise de conscience d’un manque sans laquelle ne saurait naître aucun désir de combler ce manque. L’étonnement appellerait Eros. En art, il est alors nécessairement consubstantiel de la création et de l’œuvre. Dans l’existence, enfin, être émerveillé et amoureux entrent peut-être dans ce que Heidegger nomme « habiter en poète ». Mais cette dernière interprétation ne semble plus tant donner d’apparenter, comme le fait Heidegger, l’habiter – wohnen – à l’habitué – gewöhnt, qu’à une existence où le plus simple et le plus commun sort de l’ordinaire ; à moins que l’étonnant ne se distingue tout au contraire en cela du surprenant et du curieux. La Dichtung fait rayonner l’être comme il est, et laisse briller – scheinen – cette étonnante et merveilleuse façon qu’il a d’être, le tirant de l’ombre-même de l’a-lèthéia. Dichten est le fait du « berger de l’être », entre les dieux, les hommes, le ciel et la terre – quadriparti, tous les jours, même le dimanche, mais avec art. Frédéric Brunet Frédéric Brunet, Troyes, le lundi 29 décembre 2010 8