Cours de biologie moléculaire

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Cours de biologie moléculaire
Cours de biologie moléculaire
26 Septembre 2003
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Objectifs du cours
• Donner une introduction à la biologie
moléculaire
• Montrer l’importance des idées issues de
la physique pour la compréhension du
vivant
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Schrödinger « What is life? » (1944)
Homo liber nulla de re minus quam de morte cogitat; et ejus sapientia non
mortis sed vitae meditatio est. Spinoza Ethique, IV, proposition 67
L'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une
méditation, non de la mort, mais de la vie
• How can the events in space and time
which take place within the spatial
boundary of a living organism be accounted
for by physics and chemistry?
Ce livre est un ouvrage classique: des lectures répétées ne l’épuisent pas.
Schrödinger pose une question « large, important and very much
discussed ». Cette question n’a qu’une réponse partielle aujourd’hui. En
revanche, certaines des questions plus spécifiques qu’il soulève ont reçu des
réponses plus satisfaisantes. La principale question concerne la structure du
gène, et j’y consacrerai la première séance.
Remarque sur les citations choisies par Schrödinger: elles méritent d’être
examinées de près. Spinoza est un philosophe de la joie (des émotions en
général). Spinoza nous dit que l’étude de la vie est une source de joie. Je
tâcherai de ne pas le démentir !
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LE GENE
• Le gène, unité de l’hérédité :
• « base matérielle d’un caractère héritable »
(Johannsen, 1909)
Unités définies, responsables de la
production des caractères héréditaires
(Robert)
Il s’agit d’une définition fonctionnelle
La notion de gène a une histoire très longue (voir le livre d’Ernst Mayr sur
l’histoire de la biologie, Fayard 1989). Le mot lui même est récent (1909)
avec ce sens. Je mentionnerai ici les concepts platoniciens d’eidos et
d’essence, et de l’essentialisme du Moyen-âge. Une discussion sérieuse de
ces notions passionnantes dépasse mes connaissances et nous entraînerait
trop loin de notre sujet .
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De la fonction à la structure
• 1) existe-t-il une structure possédant cette fonction ?
• 2) la solution est-elle unique ? Si l’on trouve de la
vie ailleurs que sur terre, quelle sera la structure des
gènes?
• 1) l’ADN
• 2) ?
A la question 1) Watson et Crick en 1953 on répondu positivement. C’est
un « théorème d’existence ».
2) Le problème de l’unicité de la structure est bien sûr plus difficile. L’ARN
convient aussi, on peut penser à des argiles, des micelles.
Voir la citation d’Einstein dans l’article d’Eschenmoser intitulé Chemical
etiology of nucleic acid structure, Science, 1989, 284, pp2118-2124) :
« Nous voulons non seulement savoir comment est la nature (et comment
elle opère), mais nous voulons aussi atteindre un but qui peut sembler
utopique et présomptueux, qui est de comprendre pourquoi la nature est
ainsi et non autrement »
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Le gène : propriétés souhaitées
• 1) Une structure qui contient de
l’information
• 2) Une structure suffisamment stable pour
rendre compte de la permanence des
structures biologiques
• 3) Une structure qui puisse être reproduite à
l’identique
•
Cf Schrödinger « some kind of a code script »
2) Cf la lèvre des Habsbourg (Schrödinger )
3) Lors de la division cellulaire usuelle ‘la mitose), chaque cellule fille
reçoit un exemplaire identique des gènes parentaux.
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2) ? Le gène est une molécule
• Permanence ? utilisation de liaisons
covalentes (les plus solides)
Schrödinger distingue les deux types de la matière :
Solide= cristal= molécule
Gaz= liquide= amorphe
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1) ? Le gène est une
macromolécule
• The gene is an aperiodic solid/crystal, a
complicated organic molecule in which
every group of atoms plays an individual
role, not entirely equivalent to that of others
Une petite molécule ne contient pas assez d’information
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Le gène est un hétéropolymère
• La structure macromoléculaire la plus
simple est celle d’un polymère linéaire.
• Un homopolymère (constitué par la
polymérisation de monomères identiques)
ne contient pas d’information. Il faut au
moins deux types de monomères différents
pour cela.
Cf Schrödinger: For illustration, think of the Morse code. With two different
signs of dots and dash…
Problème de l’état supposé colloïdal des polymères biologiques; plus
généralement de la difficulté à accepter la notion de polymère (Staudinger)
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Polymère ? hélice
• Il existe des machines qui peuvent se
déplacer le long du polymère pour le lire ou
le copier.
• On veut pouvoir passer d’un monomère au
suivant en faisant toujours le même
déplacement dans l’espace (principe
d’équivalence).
Il faut se mettre à la place de la cellule !
L’information contenue dans le polymère doit pouvoir être lue.
Elle doit aussi pouvoir être dupliquée.
Il existe des petites machines qui servent à cela. On peut le faire sans mais
ça marchera moins bien.
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hélice ? squelette commun +
chaînes latérales
• Chaque monomère comprend un
groupement identique qui sert de lieu
d’ancrage pour les machines.
• Ces groupements identiques lient les
monomères entre eux en adoptant une
structure en hélice
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Machines et hélices (1)
Pourquoi une machine ?
On s’est donné un but. C’est un problème pour
un ingénieur.
Norbert Wiener (Cybernetics, 1948):
“Today we are coming to realize that the body is very far
from a conservative system, and that its components
parts work in an environment where the available power
is much less limited than we have taken it to be. The
electronic tube has shown us that a system with an
outside source of energy, almost all of which is wasted,
may be a very effective agency for performing desired
operations.”
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Machines et hélices (2)
Propriétés des surfaces hélicoïdales, des sphères, des
cylindres et des plans: seules surfaces capables de
glisser sur elles-mêmes.
“These four surfaces will always play a dominant
role in the structure of machines.”
Steinhaus, Mathematical Snapshots
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Hélice moléculaire: l’hélice alpha
dans les polypeptides
• Pauling, Corey et Branson (1951) :
« The problem that we have set ourselves is that of finding
structures in which the residues are equivalent (except for
the differences in the side chains). The general operation of
conversion of one residue of a single chain into a second
residue equivalent to the first is a rotation about an axis
accompanied by a translation along the axis. Hence the
only configurations compatible with our postulate of
equivalence are helical configurations. For rotational angle
180° the helical configurations may degenerate to a simple
chain with all of the principal atoms in the same plane. »
Voilà un exemple magnifique d’intuition
Remarque : dans ce cas on savait qu’il existe un squelette + des chaînes
latérales.
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Duplication de l’hélice
• Structure plectonémique
?????? ????enlacé, tressé
• Structure paranémique
? ? ? ? ???le long de
Fil : ? ? ? ? ?(nématique, nématode)
? ??????mitose)
La structure doit pouvoir être dupliquée : essayons !
Deux structures possibles :
Structure paranémique : irrégulière
Structure plectonémique : régulière (pour les squelettes), avec un problème
posé par l’enchevêtrement des deux chaînes.
C’est la structure la plus simple à construire en faisant un petit déplacement
à partir de la première hélice
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3) ? Le gène contient son propre
complémentaire
• “The detailed mechanism by means of which a gene
produces replicas of itself is not yet known. In general,
the use of a gene as a template would lead to the
formation of a molecule not with identical structure but
with complementary structure. It might happen, of
course, that a molecule could be at the same time
identical with and complementary to the template on
which it is molded. However, this case seems to me to
be too unlikely to be valid in general, except in the
following way.”
Cerise sur le gâteau : l’argument de Pauling (1948) !
Reproduit par Pauling en 1974 dans le numéro de Nature consacré au 21
ans de l’ADN (26 avril 1974, pp 769-776).
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• “If the structure that serves as a template (the gene
molecule) consists of, say, two parts, which are
themselves complementary in structure, then each of
these parts can serve as the mold for the production of
a replica of the other part, and the complex of two
complementary parts thus can serve as the mold for the
production of duplicates of itself.”
On va appliquer l’argument de Pauling à notre double hélice, qui se trouve
être le gène (la simple hélice est un hémi-gène). Cette double hélice doit
avoir une structure régulière, ce qui nous conduit à choisir la structure
plectonémique
Pauling propose une réplication semi-conservative: le nouveau complexe
aura un ancien et un nouveau brin. Ce mécanisme se traduit par une
séparation des brins complémentaires enchevêtrés, à la différence de la
copie d’un simple brin.
Les liaisons qui sont mises en jeu dans la reconnaissance des structures
complémentaires ne sont pas des liaisons covalentes (on veut pouvoir les
briser) mais des liaisons plus faibles (interaction électrostatique, liaison
hydrogène, force de van der Waals).
Les deux brins complémentaires seront tenus ensemble par une multitude de
liaisons faibles plutôt que par quelques liaisons fortes (argument donné par
Crane en 1950)
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Structure du gène
• Structure en hélice
• Double hélice plectonémique, constituée de deux chaînes
d’hétéropolymères complémentaires l’une de l’autre.
• Les monomères qui forment ces chaînes sont constitués 1)
des groupes identiques qui lient les monomères entre eux
en adoptant une structure en hélice; 2) de groupes latéraux
spécifiques.
• La complémentarité entre les deux chaînes résulte de
liaisons faibles en les groupes latéraux spécifiques.
• La réplication du gène est un processus semi-conservatif,
dans lequel chacune des deux chaînes sert de matrice pour
la synthèse de chaînes complémentaires.
• L’ordre des monomères définit une séquence qui contient
l’information génétique.
Résumé de notre approche: une structure plausible pour le gène
Illustrations avec l’ADN quelques figures extraites des articles de Watson et
Crick :
Nature, 1953, 171 737-738.
Cold Spring Harbor Symp. Quant. Biol. 1953, 18, pp 123-131.
Proc; Roy. Soc Lond. Ser. A 1954, 223, pp 80-96.
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Nature de notre approche
• On a « construit » la structure pour la décrire (state
description/process description)
• Nous n’avons pas utilisé d’information détaillée
concernant l’ADN: tous les arguments avancés se
trouvent dans des écrits datant de 1950 ou avant:
Schrödinger (1944), Pauling (1948), Crane (1950)
(Physical principles and problems of biological growth. The
scientific monthly. Juin 1950, volume 70, pages 376-389).
Crane discute les notions de structure en hélice/groupe latéral, de liaisons
faibles et bien d’autres choses… L’argument d’hélice moléculaire a été
donné par Pauling pour l’alpha hélice en 1951.
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Limitations de cette approche
• Pas détails moléculaires
• On a construit seulement une structure
« plausible ».
• La découverte de la structure de l’ADN
s’est faite différemment.
Les détails ont une importance extrême en biochimie !
Plausible et non nécessairement réelle !
La découverte de la structure de l’ADN : une histoire complexe racontée par
Watson en 1968 dans son livre « La double hélice », un ouvrage classique
dont je recommande la lecture. Le rôle joué par Rosalind Franklin dans cette
découverte reste aujourd’hui sous-estimé (par la faute et de Watson et de
Crick).
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La découverte de la structure de
l’ADN (1)
• L’ADN support de
l’hérédité:
Morgan (localisation ? )
Griffith (1928)
Avery et al. (1944)
Boivin et al. (1948)
Hershey et Chase (1952)
• Chimie de l’ADN :
Miescher (1868)
Levene, Sevag
Todd et al.
Gulland et al. (1946)
Chargaff (1950-2)
A = T, G = C
Donohue (1952) tautomérie
des bases
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La découverte de la structure de
l’ADN (2)
Théorie
• Notion d’hélice
Pauling et al. (1951)
• Radiocristallographie
des hélices
Cochran, Crick et Sand
(1952)
Expériences
• Astbury (1947)
• Wilkins et al. (1951-)
• Franklin et Gosling
1952 (ADN en forme B)
1953-4
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L’ADN: taille
• Avery (1944) N ? 104
• Davison (1959) le cisaillement casse l’ADN
• Kavenoff, Klotz et Zimm (1972) N ? 108
Hypothèse mononème ou uninème: il y a une seule
molécule d’ADN dans un chromosome non
répliqué
(espèce humaine :
Chromosome 1: N ? 3 ? 108, L ? 10 cm)
N = 4 Levene (années 1910-1930)
N ? 104 entre 1940 et 1960
La taille n’a été connue que récemment (pour les physiciens).
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L’ADN : stabilité
• L’ADN est chimiquement instable dans l’eau
(hydrolyse): dépurination, cassure des liaisons
phosphodiester k ? 10-11 s-1
• Les rayonnements et les radicaux libres
contribuent à casser l’ADN
• Existence d’un système de réparation qui utilise la
redondance en information dans l’ADN double
brin
Sur la stabilité de l’ADN dans l’eau voir T. Lindahl, Nature (1993) 362, pp
709-715.
Sans eau l’ADN peut être très stable. Deux exemples:
ADN d’insectes dans l’ambre
bactéries dans des mines de sel (200 millions d’années)
Virus avec ADN ou ARN simple brin : taille limitée inférieure à 10 000
bases
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L’ADN: forme
• Linéaire/circulaire:
• Chromosomes circulaires décrits dès 1930
(Barbara McClintock, Morgan)
Escherichia coli : Cairns 1963
• ADN circulaire :
simple brin 1962
double brin 1963
Topologie de l’ADN: Lk nombre d’enlacement
.
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Transfert de l’information (1)
• ADN —> ADN Réplication
• ADN —> ARN Transcription
• ARN —> ADN ReverseTranscription
Utilisent les règles de complémentarité WC
• ARN —> Protéine
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Transfert de l’information (2)
• Code génétique:
Tableau de correspondance entre des triplets
de base et un acide aminé
43 = 64 triplets, codant pour 20 acides aminés
et trois codons stop
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Conclusions
La matière est faite d’atomes
Le gène est fait d’ADN
Notions introduites : polymère, principe
d’équivalence, séquence, hélice (ordre
biologique) complémentarité, redondance,
topologie, machines moléculaires.
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Bibliographie
• Lehninger Principles of Biochemistry
• Alberts et al Molecular Biology of the Cell
sont deux excellents livres de cours (traduits en
français)
• Le principe d’équivalence et son extension pour
analyser les virus icosaédriques est examiné par
Caspar et Klug :
Cold Spring Harbor Symp Quant Biol (1962), 27,
pp 1-24.
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