Traduction Knack

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Traduction Knack
Traduction de l’article paru dans le Knack. Voici le lien
Assita KANKO, coming lady du MR
“Tout ce qu’un humain peut faire sur terre, je peux le faire aussi”
Elle est le prototype du Bruxellois du 21ème siècle: bien intégrée et parlant couramment le
néerlandais, le français et l’anglais. Née au Burkina Faso, Assita KANKO, étoile montante du
MR est dans ses pensées et ses actes plus belge que la plupart des belges. "Je lis la presse
flamande et francophone. Je tweete au sujet des émissions De Zevende Dag et Mise au Point.
Avec la vision d’une seule partie du pays, je ne me sens pas assez bien informée." Entretien à
la maison, chez Assita KANKO.
Par Elke Lahousse – photos Saskia Vanderstichele
Elle pesait treize kilos et était remplie de ce dont elle avait besoin pour une nouvelle vie : la
valise grise aux fleurs rouges avec laquelle Assita KANKO (32) a quitté son pays natal le
Burkina Faso en été 2001 pour l’Europe.
"Je n’aime pas avoir trop de bagages quand je voyage", dit-elle. Donc elle n’avait pris que
l’essentiel: des photos de famille, quelques livres (le Rouge et le Noir de Stendhal et Jacques
le fataliste et son maître de Diderot, un cadeau de son père), des chaussures d’été aux talons
hauts et quelques robes "qui ne s’avérèrent malheureusement pas assez chaudes". Il y avait
aussi une robe et un pagne de sa mère, "pour son odeur et comme souvenir, c’était la
première fois que je la quittais". Son père lui donna 150.000 francs CFA, la monnaie Ouest
Africaine, l’équivalent de 230 euros. "Il ne voulait pas que je meure de faim et de froid. Mon
papa ne voyait pas l’Europe du tout comme un eldorado. 230 euros c’est vraiment beaucoup
d’argent pour un instituteur burkinabé."
Elle n’a pas simplement quitté un des pays les plus pauvres du monde. Elle avait 21 ans et
avait des projets. Comme jeune étudiante en journalisme au Burkina Faso, Assita KANKO
était invitée par une de ses amies aux Pays-Bas. Elles s’étaient rencontrées en Afrique lorsque
Kanko en tant qu’étudiante jobiste pouvait guider un groupe de journalistes et d’artistes
hollandais qui ne parlaient pas le français. "Ma connaissance de l’anglais était bonne. Avec
mon amie nous avions des discussions vives au sujet de la vie, de la politique et de la
solidarité. Nous avions des opinions opposées mais nous avions tout de suite eu beaucoup
d’admiration l’une pour l’autre". Pour son amie il y’avait aussi quelque chose dans la valise :
une robe africaine assez spéciale. L’objectif était de rester au Pays-Bas un moment afin d’y
poursuivre ses études de journalisme, en néerlandais, pour ensuite retourner au Ghana, en
Afrique afin de se former en relations internationales. "Koffie Annan était un exemple pour
moi. Grâce à son travail, je me suis convaincue qu’un africain pouvait avoir un impact au
niveau international".
"Mon plan de carrière était clair dans ma tête mais c’était sans compter avec ce belge
sympathique qui était de passage. Je suis tombée amoureuse d’un belge. Collaborateur chez
Ernst &Young, il était aux Pays-Bas pour son travail. Il ne voulait pas que je retourne seule
en Afrique mais ne voulait pas non plus y aller avec moi. En fin de compte j’ai abandonné
mon projet d’aller au Ghana pour partir avec lui en Belgique. Nous nous sommes mariés"
Nous sommes dans son appartement à Ixelles, près du quartier de Matong. On peut parfois
croiser Assita Kanko dans un des nombreux bars ou restaurants où elle aime par exemple
déguster du poulet aux noix de cajou. Pendant l’entretien elle rit beaucoup et evoque d’une
voix douce les sujets qui sont si importants pour elle. En buvant le café elle nous raconte
comment la décision de venir en Belgique fut compliquée au départ mais après tout cadre bien
dans sa quête de liberté. "Nous sommes partis au Burkina Faso chez mes parents, nous nous
sommes d’abord mariés là-bas puis ensuite une deuxième fois en Belgique. C’est dans le
château de Harzé que nos photos de mariage avaient été prises."
Comment étaient vos premiers mois en Belgique ?
Assita KANKO : "Solitaires. Mon conjoint travaillait beaucoup et je ne connaissais personne
ici. Je suis normalement une femme très indépendante, mais au départ je ne pouvais rien : ni
travailler, ni conduire une voiture. Je devais régler toutes sortes de papiers, mettre des tas de
choses en ordre. Je me sentais dépendante et je déteste cela. Mes premiers jobs étaient
réceptionniste, femme de ménage, secrétaire. Tout poste intérimaire était bon, tant que je
pouvais éviter d’être la "femme de" qui ne travaillait pas. Mon mari ne comprenait pas
pourquoi je pouvais être aussi hystérique au sujet de l’importance de trouver du
travail puisque nous avions assez d’argent selon lui. Mais pour moi c’était une question de
principe et d’autonomie. Je ne trouvais pas cela marrant de tendre la main quand je souhaitais
m’acheter quelque chose. Au bout d’un an j’obtins mon premier vrai job comme assistante
dans le département juridique d’International Paper Europe.
Pourquoi vouliez-vous tant quitter le Burkina Faso ?
Kanko : quand vous naissez femme au Burkina Faso, votre destin est déjà tout tracé. La seule
certitude que vous avez c’est que vous êtes inférieures, que vous n’êtes pas libre de faire ce
que vous voulez de votre vie. Je ne voulais pas de cela. Je ne voulais pas mourir en faisant la
lessive.
Enfant, j’étais très curieuse. Mon père qui était instituteur discutait de l’actualité avec moi et
m’a donné l’occasion de lire des livres : Rousseau, Voltaire, Simone de Beauvoir. Quand
Norbert Zongo, un journaliste qui était aussi mon mentor fut assassiné, je réalisai
concrètement à quel point la liberté était importante. J’avais dix huit ans. Suite à sa mort, je
suis devenue une activiste des droits de l’homme et je suis allée étudier la communication
pour devenir journaliste. C’est ainsi que des concepts comme la démocratie et la liberté
d’expression ont commencé à mûrir dans mon esprit. J’ai projeté cela sur l’Europe et quand
une amie néerlandaise m’a invitée, j’ai préparé un plan pour y poursuivre mes études.
Et finalement ce fut la Belgique. Notre pays correspond-t-il à l’idéal de liberté que vous
aviez au départ?
Kanko : Pas vraiment. En Afrique j’avais une vision tellement romantique de l’Europe. Je
pensais : waow, des élections qui se déroulent dans la transparence et en toute honnêteté, des
gens qui ont le droit d’avoir des avis divergents, des femmes qui portent encore des pantalons
jeans après être devenus mamans, ça doit être le paradis! J’ai été très déçue en découvrant que
la liberté d’expression n’allait pas forcement de pair avec le respect et la justice et qu’on se
concentre parfois davantage sur la forme que sur le fond. J’ai vu l’impossibilité pour
quelqu’un comme Ayaan Hirsi Ali de s’exprimer librement au sujet de l’islam sans être
menacée de mort. Progressivement j’ai découvert qu’ici aussi il restait beaucoup à faire.
Qu’ici aussi des aspects de la liberté d’expression, de la diversité, de l’intégration et des droits
de la femme sont encore à conquérir. Et que l’homme européen n’est finalement pas si
moderne que ça, tout comme Sofie Peeters l’a démontré dans son film Femme de la rue.
Qu’ici le sexisme existe et que des femmes subissent encore des violences.
Quand avez-vous été confrontée au sexisme pour la première fois en Belgique ?
Kanko : Quand je suis rentrée en contact avec la politique. J’avais dit à mon mari que je
voulais bien emménager avec lui en Belgique à condition de pouvoir y poursuivre et
concrétiser mon engagement politique. Je veux participer activement à la société afin de
pouvoir changer mon monde et peut-être changer le monde de quelqu’un d’autre, comme
Voltaire et de Beauvoir avaient changé le mien.
Mais avant il fallait tout apprendre sur la politique belge. J’ai donc imprimé les informations
relatives à toutes les reformes de l’Etat et j’ai demandé à un homme politique que je
connaissais de me guider à travers le labyrinthe politique belge.
Malheureusement son seul intérêt était de me séduire. Comment cela est-il possible! Pensai-je.
Au Burkina Faso j’étais habituée à ce type de comportement. C’était une grande déception
moi qu’un homme, belge, deux fois plus vieux que moi, veuille abuser de sa position en me
sortant "je suis quand-même député…" Mince alors, pensai-je, moi aussi je peux devenir
députée ! Tout ce qu’un être humain peut faire sur terre, moi aussi je peux le faire. (Rires).
Lors des dernières élections communales vous étiez candidate sur la liste du MR à
Ixelles. En termes de voix de préférence vous êtes passée de la vingt et une nième place à
la neuvième. Pourquoi avez-vous choisi le parti libéral ?
Kanko : après avoir regardé les projets des différents partis politiques, j’ai constaté que le
projet libéral était celui qui correspondait le mieux à ma conception de la société. L’approche
de l’être comme individu libre est très important pour moi. J’ai trouvé le livre "Pleidooi voor
individualisme" (Plaidoyer pour l’individualisme) de Dirk Verhofstadt vraiment excellent.
L’individualisme sauve votre vie et en même temps nous vivons ensemble en société. J’ai
beaucoup d’admiration pour la philosophie derrière le libéralisme social de Louis Michel et
de Guy Verhofstadt. Pendant mes premières années de vie en Belgique, j’ai lu des textes
reprenant leurs idées jusqu’aux petites heures de la nuit. Après cela j’ai travaillé pendant un
an comme collaboratrice parlementaire pour l’Open VLD (parti libéral flamand) au parlement
Bruxellois et depuis l’année passée je siège au conseil communal d’Ixelles.
Souhaiteriez-vous devenir une femme politique à plein-temps ?
Kanko : On ne peut pas vivre d’un premier mandat comme conseiller communal. Et j’ai un
faible pour les chaussures rouges, donc il faut quand même que je gagne bien ma vie (Rires).
Je travaille pour une grande banque, où je gère surtout les budgets. Je trouve cela important en
tant que femme politique d’avoir un autre emploi. Je ne veux pas dire aux gens comment ils
doivent travailler, sans savoir moi-même ce que c’est que de travailler en dehors de la
politique. Pour l’instant je vis très bien le cumul de ces deux jobs. Cela me fait un agenda
chargé et j’ai une fille de cinq ans. Mais le dimanche est sacré. Ce jour là est réservé à ma
famille et à moi-même.
Que faites-vous un dimanche par exemple ?
Kanko : Je regarde surtout la télé (rires). Je commence par De Zevende Dag, je tweete s’il le
faut au sujet de ce qui est dit, mais je n’arrive jamais à regarder le programme jusqu’à la fin
car avant midi commence aussi Mise Au Point sur la RTBF, suivi par les infos. Après je
regarde l’invité de Vrebos sur RTL puis je lis les réactions sur Twitter pour voir ce que j’ai
raté comme débat pendant De Zevende Dag. Ma fille sait qu’entre onze et quatorze heures
elle doit me laisser un peu tranquille. Car alors maman est devant la télé avec des cubes de
fromage, des chips à la paprika et une kriek. (Rires).
Je trouve cela important de suivre aussi bien les médias francophones que les médias
flamands. Je lis Le Soir et la Libre mais aussi De Morgen et De Standaard par exemple. Je
vois la Belgique comme un tout et avec la vision partielle d’une seule partie du pays je ne suis
pas suffisamment informée.
Vous vivez depuis quelques années à Bruxelles. Comment vivez-vous les tensions dans la
ville ?
Kanko : Au début je ne voyais pas les problèmes. Mais au fil de l’eau les disparités
Bruxelloises m’ont frappée. Le fait que certains quartiers soient si délabrés avec un retard
important en termes de cohésion sociale; le fait que les femmes aient des raisons de se faire
du souci quand elles se promènent seules dans la rue. Mon expérience personnelle m’a
également mise face au manque de places dans les écoles. Des centaines d’enfants Bruxellois,
dont ma propre fille, sont encore sur des listes d’attente pour l’école primaire. J’ai pu constaté
que ce ne sont pas tous les immigrés qui font l’effort de s’intégrer. Vraiment bizarre. Quand
quelqu’un quitte son pays d’origine parce qu’il pense que c’est mieux en Belgique, il/elle
devrait faire de son mieux pour s’intégrer non ?
Au sujet des problèmes d’intégration, vous avez déclaré ceci récemment dans l’émission
télévisée Reyers Laat : "nous ne sommes pas assez exigeants, pas assez ouverts et pas
assez créatifs". Que vouliez-vous dire par là ?
Kanko : Pas assez ouvert : je veux dire par là que malgré le fait que nous soyons tous
conscients des problèmes actuels, qui by the way ne sont pas typiquement Bruxellois, nous ne
sommes pas capables de mettre ouvertement le doigt sur ce qui ne va pas, par crainte de
recevoir l’étiquette "raciste". C’est de la lâcheté politique. Et c’est aussi un abandon de
certaines femmes musulmanes opprimées par les radicaux. Pas assez exigeants : ce n’est pas
parce qu’en Belgique nous ouvrons la porte aux immigrés, ce qui me fait d’ailleurs plaisir car
j’en fais aussi partie, que nous devons oublier d’être exigeants en ce qui concerne le devoir
d’intégration par exemple. Certaines choses sont complètement inacceptables. Cependant,
nous devons également rester assez ouverts pour croire que les gens peuvent changer. Je
reproche à certains politiques le fait de baser leur existence politique uniquement sur l’échec
de l’intégration – et ils ne voudraient de toute façon que ce soit un succès – pour continuer à
assurer leur réélection. Et enfin "pas assez créatifs", c’est pour dire que nous ne devons pas
toujours répéter la même chose. J’entends la même chose depuis des années. Nous devons
être plus créatifs et venir avec un nouveau message.
Quelle est selon vous la solution aux problèmes d’intégration ?
Kanko : D’une part l’enseignement. Cela doit être une vraie priorité à Bruxelles. Le fait que
des jeunes atterrissent dans la rue au lieu d’être dans une classe pour construire leur avenir
traduit un échec du système scolaire. A Bruxelles de nombreux enfants sont sur le chemin de
l’école pendant trop longtemps avant d’arriver à destination. Et nous devons également revoir
ce qu’ils apprennent à l’école. L’école doit avoir un impact durable sur les enfants et sur la
société afin qu’à l’âge de dix huit ans ils puissent effectivement se défendre et réfléchir de
manière critique. Surtout les filles.
D’autre part les parents ont aussi leur responsabilité. Je suis d’accord avec Rousseau quand il
dit que "nous ne parviendrons jamais à faire des sages faire d'abord des polissons." (Emile ou
de l’éducation).
Récemment, ma fille m’a demandé : "maman, tu vas travailler chaque jour tout comme moi je
vais à l’école" ? J’ai trouvé cette remarque formidable. Que pense un enfant d’une personne
qui ne va jamais travailler ? Les parents doivent donner l’exemple. Une allocation de
chômage est bien pour toute personne qui, temporairement, en a vraiment besoin. Mais
l’emploi c’est aussi un moyen de conquérir son indépendance ; et maintenir une personne en
permanence dans l’assistanat ne l’aidera pas à avancer.
Bien sûr que la société et la politique doivent faire en sorte qu’il y ait assez d’emplois. C’est
pour cela qu’il est également important que la Belgique devienne fiscalement plus attractive
tant pour ses travailleurs que pour les entreprises qui souhaitent s’installent chez nous et créer
de l’emploi. La pression fiscale ne peur que les chasser.
L’intégration va de pair avec une bonne connaissance des langues. Vous êtes parfaite
trilingue, pourtant la proposition du ministre Pascal Smet pour faire de l’anglais une
troisième langue officielle ne vous dit rien.
Kanko : Je pense simplement que l’enseignement est aujourd’hui face à des défis beaucoup
plus importants. Toute personne dotée de bon sens sait que l’anglais est une langue
importante, mais nous avons déjà tellement de difficultés avec le français et le néerlandais
comme langues officielles. Je pense qu’en faisant cette proposition, le ministre Smet essaye
surtout de détourner l’attention d’autres problèmes qui réapparaitrons après les vacances de
Pacques : le manque de places dans les écoles.
Comment avez-vous appris le néerlandais ?
Kanko : j’ai commencé avec Jip et Janneke. Les premiers mots que j’ai appris étaient egeltje
(hérisson) et winterslaap (hibernation). J’ai beaucoup amélioré ma diction notamment en
imitant des présentatrices de télé et en osant prendre le risque de faire des fautes j’ai beaucoup
appris. Au début par exemple, pour dire au revoir aux gens que je venais à peine de
rencontrer je disais "ik vond het een fijne gemeenschap". Pour moi cela voulait dire qu’ils
m’avaient été d’une agréable compagnie. J’ai continué à le dire jusqu’à ce qu’un jour des
amis pliés de rires m’expliquent que je venais juste de complimenter quelqu’un pour
"l’agréable rapport sexuel" (rires).
Vous écrivez entre autre des textes d’opinion en néerlandais, aussi bien pour les
journaux que pour le Think Tank Liberales dont vous êtes membre.
Kanko : en effet. Maintenant je me sens assez sûre de mon néerlandais. Au début c’était
différent. Améliorer sa connaissance des langues est un bel exemple de la façon dont on peut
se donner des chances en tant que migrant. A Bruxelles, c’est un moyen qui ouvre toujours
des portes. Je trouve dommage que certains ne prennent pas la peine d’apprendre les langues.
En plus d’être ennuyeux, c’est une perte d’opportunités. Je n’ai pas appris le néerlandais pour
faire plaisir aux belges mais pour me faire un cadeau à moi-même. Je ne pourrais pas vivre
dans un environnement où je ne peux pas communiquer avec les gens. Et je ne dis pas que
tout le monde a la même facilité d’apprentissage des langues, mais il y a quand même
quelques mots qu’on peut toujours apprendre par respect et par curiosité pour son pays
d’accueil.
Vous êtes l’aînée d’une famille de six enfants. Partez-vous souvent au Burkina Faso ?
Kanko : La dernière fois c’était il y a trois ans. Un de mes frères vit maintenant aux Pays-Bas
et un autre en France. Mais c’était vraiment étrange de revoir ma sœur et mes deux autres
frères. Les garçons avaient tellement grandi et mentalement nous avions tous changé. Ils me
trouvaient trop européenne, trop directe. Alors que eux sont tellement plus polis et plus
diplomates comme il se doit en Afrique. Un de mes frères ne comprend d’ailleurs pas
pourquoi je tiens à vivre dans un pays où il fait si froid. Malgré tout nous nous aimons tous
toujours comme avant.
Quelle est votre relation aujourd’hui avec votre père qui, en nourrissant la curiosité de
sa fille l’a finalement vue partir ?
Kanko : Notre relation est plus distante qu’avant. Quand ma mère est venue s’installer en
Belgique, il a refusé de me parler pendant au moins un an, alors qu’avant nous nous
téléphonions souvent pour parler d’actualité, discuter. Je trouve cela dommage, mais le fait
qu’il vive difficilement certains de mes choix ne m’étonne pas. Dès que j’ai eu les moyens
juridiques et financiers nécessaires pour aider ma mère je lui ai donné la possibilité de choisir
entre une vie en Afrique ou en Belgique. Entre-temps elle habite Auderghem et travaille
comme femme de ménage via les titres services.
Je reste optimiste. Je crois qu’avec le temps, mon père finira bien par comprendre et accepter
les choix que j’ai faits.
En fin de compte, en revoyant votre parcours de l’Afrique à la Belgique, quels étaient
selon vous deux exemples marquants de hauts et de bas ?
Kanko : Quand j’avais cinq ans, j’ai été excisée. Et quoique cela fût extrêmement douloureux,
le pire arriva des années plus tard. C’est quand je suis tombée amoureuse d’un homme et ne
savais pas si je devais me comporter autrement à cause de mon excision. Devais-je compenser
ma mutilation en étant davantage gentille et flexible ? La petite fille apeurée refit alors surface.
Heureusement, j’ai découvert peu à peu que ce que j’ai vécu ne me définit pas. J’ai également
réalisé que l’excision n’était pas seulement violente physiquement mais aussi dangereuse
socialement, car elle contribue à faire croire aux femmes qu’elles sont inférieures parce qu’on
leur à retirer quelque chose. En Belgique on estime le nombre de petites filles qui risquent
d’être excisées à 2000. Le plus grand défi dans ce cadre est de pouvoir convaincre les parents
du fait que leurs traditions où leurs croyances donne une mauvaise définition du mot femme.
Mon plus beau souvenir c’est quand je suis devenue maman. D’un enfant métisse, ma fille.
C’est tellement symbolique pour moi de savoir qu’elle est un mélange de deux races. J’ai tenu
absolument à ce qu’elle aille à l’école néerlandophone afin qu’elle devienne une vraie
brusseleir bilingue. Récemment elle avait l’autorisation de choisir un film pour le partager
avec les enfants de sa classe. Elle me demanda un DVD sur lequel il serait possible de choisir
les langues afin de s’assurer que tous les enfants de sa classe puissent comprendre le film.
J’ai pensé "Mon Dieu, nous sommes vraiment en Belgique" (rires).
Knack du 24 avril 2013.