Le casse-tête de la citoyenneté par droit de naissance

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Le casse-tête de la citoyenneté par droit de naissance
Article
« Le casse-tête de la citoyenneté par droit de naissance »
Ayelet Shachar
Les ateliers de l’éthique / The Ethics Forum, vol. 7, n° 2, 2012, p. 89-116.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/1012999ar
DOI: 10.7202/1012999ar
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LE CASSE-TÊTE DE LA CITOYENNETÉ
PAR DROIT DE NAISSANCE1
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VOLUME 7 NUMÉRO 2
AU TO M N E / FA L L
2012
AYELET SHACHAR
UNIVERSITY OF TORONTO
ABSTRACT
This paper is the French translation of Ayelet Shachar's introduction, "The Puzzle of Birthright Citizenship", digitally reproduced by permission of the publisher from The Birthright Lottery : Citizenship and Global Inequality, Cambridge, Mass.: Harvard University
Press, pp.1-18. © 2009 by the President and Fellows of Harvard College. Translation by Martin Provencher.
RÉSUMÉ
Cet article est la traduction française de l'introduction du livre d'Ayelet Shachar,
"The Puzzle of Birthright Citizenship", avec la permission de l'éditeur, tirée de The Birthright
Lottery : Citizenship and Global Inequality, Cambridge, Mass.: Harvard University Press,
pp.1-18. © 2009 President and Fellows of Harvard College. Traduction de Martin Provencher.
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Donnez-moi vos pauvres, vos exténués
Vos masses recroquevillées aspirant à respirer libres,
Les épaves rejetées de vos plages surpeuplées,
Envoyez-les moi, les sans-abris, que la tempête m'apporte
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or !
Emma Lazarus, Le Nouveau Colosse (1883)
En 2003, cinq hommes originaires de la République Dominicaine se sont cachés dans un bateau à destination de Houston, Texas, à la recherche de la « Porte
d’or ». Quand le bateau a été rendu à mi-parcours de Houston, l’un des clandestins est tombé malade. Les cinq hommes ont décidé de faire appel à la compassion humaine de l’équipage et ils ont révélé leur présence. L’équipage du
bateau savait qu’il était tenu par les règles de l’Organisation Maritime Internationale de « protéger, nourrir et rapatrier les clandestins ». Mais il savait aussi
qu’il obtiendrait également des bonus spéciaux du propriétaire du bateau s’il atteignait les côtes des États-Unis sans passager clandestin. La politique d’immigration actuelle des États-Unis impose des amendes financières salées aux
bateaux qui arrivent avec des migrants indésirables et sans papiers, comme les
cinq hommes de notre histoire, qui étaient du « mauvais côté des rails » de la
prospérité et de la sécurité. Alors les membres de l’équipage ont agi rapidement.
Ne montrant aucun signe de compassion, ils balancèrent deux des clandestins par
dessus bord et ils abandonnèrent les trois autres sur un radeau en pleine mer.
Après quatre heures de navigation dangereuse, les trois hommes ont été recueillis
par un autre bateau. Les deux autres furent moins fortunés. Leurs corps, mordus
par les requins, ont été retrouvés quelque temps plus tard2.
Les clandestins croyaient apparemment qu’embarquer dans un bateau à destination des États-Unis, sans aucune documentation appropriée, ni permission
d’entrée, était leur seul espoir de réaliser le rêve américain. Comme la cour du
Texas qui a entendu la poursuite légale des survivants contre le propriétaire du
vaisseau (la personne responsable d’avoir offert la récompense bonus pour une
arrivée sans passager clandestin) remarqua de manière sympathique, la croyance
des cinq hommes était partagée en réalité par « d’innombrables immigrants qui
sont — légalement et illégalement — entrés dans notre grand pays presque depuis
qu’il a gagné son indépendance »3. Le problème aujourd’hui, pour ceux qui entretiennent toujours cette croyance, est que la porte d’or n’est pas laissée souvent
entre-ouverte. De fait, elle est de plus en plus fermée à double clé. Cela est vrai aux
États-Unis, mais également dans la plupart des autres nations prospères4.
Quand nous replaçons la triste histoire des clandestins dans ce contexte plus
large, nous réalisons rapidement qu’en dépit des prédictions jubilatoires des
postnationalistes selon lesquelles la disparition de la citoyenneté serait imminente, la distinction légale entre membres et étrangers est, c’est le moins qu’on
puisse dire, de retour comme pour se venger5. Cette distinction a reçu un sens
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nouveau, et par moment draconien, dans les années qui ont suivi la tragédie
du 11 septembre 2001. C’est ce constat qui informe ma thèse dans ce livre que
nous devons prendre du recul et rendre compte de l’importance persistante de
la citoyenneté, surtout à l’ère actuelle de la globalisation. Ce dernier point exige
un peu plus de développement. Il ne fait aucun doute que les flux transnationaux croissant d’individus qui traversent les frontières ont créé de nouveaux niveaux d’appartenance et d’affiliations fort riches, opérant à l’intérieur et par-delà
les frontières territoriales, comme au-dessus et au-dessous du cadre organisationnel traditionnel de l’État-nation6. De telles sources d’identité et d’autorité à
couches multiples et qui peuvent se recouper fournissent des droits et des obligations qui fonctionnent à différents niveaux. Mais elles correspondent difficilement à l’importance de la citoyenneté en tant que membre à part entière d’une
communauté politique d’égaux et elles ne l’effacent pas non plus. Comme un auteur le remarquait éloquemment, nous pourrions utiliser « le terme citoyen dans
d’autres contextes, mais seulement en tant que métaphore. (...) Les villes, les
provinces et les territoires ont des résidents ; (...) les corporations et les communs ont des actionnaires ; le village global a ses cosmopolites et ses humanistes qui rêvent du jour où il n’y aura plus de divisions territoriales. Mais seul
les [États-]nations ont des citoyens »7.
Cette situation peut, évidemment, évoluer dans le futur. Mais dans le monde
d’aujourd’hui, comme je vais l’expliquer dans les pages suivantes, il y a de puissantes forces qui expliquent non seulement la persistance de l’appartenance délimitée (au niveau national ou supranational) mais aussi la préservation de son
mécanisme archaïque d’attribution de la citoyenneté en fonction du droit de naissance. En effet, nous ne pouvons pas comprendre la résilience de l’appartenance
délimitée (bounded membership) — qui défie la vogue de prédictions de sa disparition — sans revisiter l’institution politique et légale de la citoyenneté par
droit de naissance. Cette institution fournit un appareil soutenu par l’État pour
transmettre de génération en génération la sécurité et l’opportunité sans prix
liées à l’appartenance dans une société de droit, stable et riche. Elle offre aussi
aux membres des communautés nanties une enclave à l’intérieur de laquelle ces
dernières peuvent préserver leur richesse accumulée et leur pouvoir à travers le
temps. Si nous nous concentrons sur ces mécanismes de transfert, nous nous
apercevons avec étonnement que les lois sur la citoyenneté par droit de naissance ressemblent aux anciens régimes de propriété qui formaient des règles de
transmission des successions (estate) régulées de manière serrée et rigide. La
citoyenneté par droit de naissance ne fonctionne pas seulement comme s’il
s’agissait de n’importe quel autre type de propriété héritée ; elle se transmet aussi
de génération en génération comme une forme d’entaille, de propriété héritée
non taxée8. Aujourd’hui un tel transfert « entaille » de propriété est profondément discrédité : il est banni dans la plupart des juridictions et il est, à juste titre,
largement associé à un système féodal désuet. Pourtant, nous faisons encore
strictement appel à la transmission de titre (entitlement) par droit de naissance
pour attribuer le bien précieux de l’appartenance politique.
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Ce n’est nul autre qu’Alexis Tocqueville qui, dans La démocratie en Amérique,
nous prévenait de manière fameuse des dangers politiques et sociaux de la propriété héritée devenue la base d’un privilège durable. Il vaut la peine de raconter une histoire similaire pour inciter à la prudence à propos de la citoyenneté par
droit de naissance dans un monde inégal comme le nôtre. Ce livre fait exactement cela : en affrontant la complexité du système actuel de transfert de
citoyenneté, je me propose de présenter une nouvelle manière de penser l’appartenance politique en m’appuyant sur une analogie conceptuelle entre la citoyenneté par droit de naissance et la propriété héritée. Cette perspective crée un
espace pour explorer le titre d’appartenance dans le contexte plus large des débats urgents d’aujourd’hui sur la justice globale et la distribution d’opportunité.
Pour ceux qui ont obtenu une longueur d’avance au départ simplement parce
qu’ils sont nés dans une communauté politique florissante, il peut être difficile
d’apprécier l’étendue du désavantage des autres en raison de la loterie du droit
de naissance. Mais les statistiques globales sont révélatrices. Les enfants nés
dans les nations les plus pauvres ont cinq fois plus de risques de mourir avant
l’âge de cinq ans. Ceux qui survivent à leurs premières années, selon toute vraisemblance, manqueront d’accès aux services de subsistance de base comme
l’eau potable et l’abri, et ils sont dix fois plus à risque de souffrir de malnutrition que les enfants des pays riches. Plusieurs d’entre eux ne jouiront pas même
pas d’une éducation de base, et ceux qui n’auront pas accès à l’école risquent
d’être davantage des filles que des garçons9. Le risque qu’ils soient témoins ou
qu’ils subissent eux-mêmes des violations de droits humains est également significativement augmenté. Qui plus est, ces disparités liées à la citoyenneté par
droit de naissance ne sont pas une affaire de mérite ou de faute individuelle ; ce
sont plutôt des patterns structurels et systémiques. Dans un tel monde, les lois
sur la citoyenneté qui attribuent l’appartenance politique par droit de naissance
jouent un rôle crucial dans la distribution des conditions sociales de base et des
opportunités de vie à l’échelle globale10.
Mon intention n’est pas de reprendre l’argument familier selon lequel des inégalités de chances de vie aussi extrêmes sont troublantes d’un point de vue moral
et éthique. Mon argument ici est plus subtil : en me concentrant sur l’angle souvent négligé du transfert d’appartenance, je souhaite attirer l’attention sur le rôle
crucial que jouent les régimes légaux actuels qui allouent le titre d’appartenance
politique (en fonction du droit de naissance) dans la restriction de l’accès aux
communautés bien nanties et dans le soutien du privilège d’un titre hérité. Je
souhaite aussi déstabiliser l’idée qu’un tel appel est « naturel » et, en ce sens,
apolitique. Cette dernière idée sert à légitimer (et à rendre invisible) les importants transferts intergénérationnels de richesse et de pouvoir, mais aussi de sécurité et d’opportunité, qui sont présentement maintenus sous le sceau du régime
d’allocation d’appartenance par droit de naissance. En mettant en évidence l’analogie avec les régimes de propriété héritée, il devient possible d’attirer l’attention sur les multiples façons dont l’appel à la naissance dans l’attribution de la
citoyenneté régularise, naturalise et légitime des distinctions non seulement entre
des juridictions, mais aussi entre des héritages grandement inégaux. Dans un tel
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cadre, nous pouvons commencer à reconnaître les implications massives et protectrices des successions des régimes de citoyenneté héritée tels qu’ils existent
aujourd’hui. En s’appuyant sur le riche corpus de la théorie démocratique et la
jurisprudence sur la propriété, ce livre se propose d’exposer — et de remettre en
question — le problème moral de la transmission intergénérationnelle de la citoyenneté non taxée.
Il semble incroyable que les circonstances de la naissance servent encore aujourd’hui de principal déterminant du titre de pleine et égale appartenance au
corps des citoyens, étant donné l’étendue selon laquelle ce critère a été rejeté
dans plusieurs autres domaines de la vie publique11. Et pourtant, l’appel à l’accident du droit de naissance est inscrit dans les lois de tous les États modernes
et appliqué partout. De fait, la grande majorité de la population globale n’a aucun
moyen d’acquérir la citoyenneté sauf par les circonstances de la naissance12.
Pour autant que la citoyenneté est une ressource précieuse, elle est couramment
garantie sur la base d’un ensemble de critères moralement arbitraires. Le principe de l’appartenance par droit de naissance qui sanctionne une telle distribution mérite la même analyse critique judicieuse que n’importe quelle autre
institution sociale qui bloque la réalisation des opportunités égales. Une telle
analyse, cependant, brille par son absence. L’acceptation presque habituelle de
l’attribution (ascription) comme base pour conférer l’appartenance politique est
tellement prédominante que nous avons simplement tendance à la tenir pour acquise13. Même ceux qui proposent de resserrer le cercle de l’appartenance ne
contestent pas le principe de base d’un titre héréditaire; au lieu de cela, ils ergotent sur la portée de son application. Ce qui demeure non questionné, et de manière remarquable, c’est le présupposé très arrêté que l’appel à la naissance est
en quelque sorte un élément non questionnable de l’attribution de l’appartenance
politique. C’est ce présupposé (mal inspiré) qui explique le peu d’attention qu’a
reçu le casse-tête de la citoyenneté même chez les chercheurs progressifs intéressés à « repenser » la communauté politique14.
C’est une omission sérieuse : la plus grande partie de la population mondiale acquiert la citoyenneté sur la base de la transmission à la naissance fondée sur les
liens de parenté ou la localisation territoriale à l’heure de la naissance. Les faits
sont tels que la plupart des individus vivant aujourd’hui, surtout les masses recroquevillées aspirant à respirer libres, demeurent largement « emprisonnés »
par la loterie de leur naissance15. Cette reconnaissance motive (plus loin dans
les chapitres du livre) la tâche difficile de considérer des possibilités réalistes et
viables pour réformer le système actuel d’allocation par droit de naissance. Ces
possibilités impliquent l’élargissement de la portée de notre analyse au-delà des
comptes rendus standard de l’appartenance politique en tant que dépositaire des
statuts légaux, des droits et de l’identité collective16. Bien que chacun de ces aspects constitue une partie vitale du domaine de la citoyenneté, ensemble, ils ne
saisissent pas la pleine portée de sa finalité. Au lieu de m’appuyer sur ces catégories familières, je me propose d’étendre notre compréhension de la citoyenneté en lui ajoutant un aspect qui manquait jusqu’à maintenant : penser l’accès
à la citoyenneté par droit de naissance en tant que distributeur, ou négateur, de
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la sécurité et de l’opportunité à l’échelle globale. Pour découvrir les fonctions
plus complexes et multidimensionnelle de la citoyenneté par droit de naissance,
nous avons besoin de jeter un regard sans complaisance sur les liens légaux imbriqués entre la naissance et l’appartenance politique.
Une illustration hypothétique plante le décor pour notre enquête. Imaginons un
monde dans lequel il n’y a pas de variations politiques, ni de richesses significatives entre les unités d’appartenance délimitée (bounded). Il n’y a aucune rareté dans les ressources quelles qu’elles soient et il n’y a pas de conflit fondé sur
des facteurs sociaux comme la classe, l’ethnicité ou la nationalité. Dans un tel
monde, on ne peut rien gagner en trafiquant les structures d’appartenance existantes. Dans ce système mondial imaginaire et pleinement stable, il n’y a
aucune motivation pour le changement ou la migration. Chaque entité politique
offre un espace sécuritaire et accueillant dans lequel les individus vivent,
aiment, travaillent et, éventuellement, meurent. Si nous présupposons qu’il n’y
a pas de désastres naturels dus à l’activité humaine, les enfants et les petits
enfants peuvent bien poursuivre la même voie d’appartenance que leurs géniteurs. Plus important encore, l’ensemble spécifique auquel appartient un enfant
n’a pas d’importance; des opportunités à peu près égales sont liées au titre de la
citoyenneté peu importe la communauté politique dans laquelle il nait.
Quand nous relâchons ces présupposés afin de les ajuster plus étroitement à la
réalité de notre monde, avec ses combats et ses conflits omniprésents — un
monde dans lequel l’instabilité politique, la mobilité humaine et l’inégalité matérielle continuent de persister — les choses commencent à nous apparaître sous
un angle très différent. Dans notre monde, l’appartenance à un État particulier
(avec son niveau spécifique de richesse, son degré de stabilité et son bilan des
droits humains) a un impact significatif sur notre identité, notre sécurité, notre
bien-être, et sur la gamme des opportunités disponibles qui nous est accessible
de manière réaliste. Quand on l’analyse dans ce contexte plus large, la pleine
appartenance dans une société riche apparaît comme une forme complexe de
propriété héritée : un titre de valeur qui est transmis, par le droit, à un groupe restreint de récipiendaires dans des conditions qui perpétuent le transfert de ce précieux titre à « leurs corps », précisément, leurs héritiers. Cet héritage apporte
avec lui un immense et précieux faisceau de droits, de bénéfices et d’opportunités.
Bien qu’ils aient un effet pernicieux sur la distribution des perspectives de vie
et sur la sécurité humaine, les titres de naissance dominent encore nos lois quand
il s’agit de l’allocation de l’appartenance politique dans un État donné. De fait,
la richesse matérielle et l’appartenance politique (qui pour plusieurs sont les
deux biens distribuables les plus importants) sont les seules ressources importantes pour lesquelles le transfert intergénérationnel est encore largement dominé par les principes de l’hérédité17. Alors que les fondements normatifs de ces
principes ont été discutés de part en part du point de vue de la transmission intergénérationnelle de la propriété, ils ont rarement été considérés du point de
vue de la citoyenneté. Cette omission est aussi étonnante que dérangeante : les
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universitaires et les décideurs politiques accordent beaucoup d’attention à la citoyenneté, à l’immigration, aux revendications des groupes minoritaires, aux
préoccupations relatives à l’intégration civique et à la manière de rendre l’appartenance politique significative dans un monde d’affiliations qui se recoupent
et se font concurrence. Ces vifs débats portent surtout sur la trilogie des statuts,
des droits et de l’identité. Ce qui demeure remarquablement absent de ces discussions, toutefois, c’est une analyse sérieuse des implications distributives globales des normes en vigueur et de la pratique légale qui consiste à attribuer
l’appartenance sur la base du pedigree ou du lieu de naissance, et des protections
et des bénéfices qui l’accompagnent18. Lorsqu’il est question de n’importe quel
autre titre légal généré et distribué par l’État, l’appel au statut de naissance a été
profondément discrédité. Jusqu’à maintenant, toutefois, les lois sur la citoyenneté par droit de naissance ont largement échappé à une telle analyse minutieuse.
Je suis convaincue qu’il est temps de réparer ce déséquilibre : nous devons commencer à examiner de manière critique le lien entre la naissance, la définition du
demos, et la distribution inégale de voix et d’opportunité à l’échelle globale.
Bien qu’il y ait eu de nombreux efforts sérieux pour problématiser la citoyenneté
et contrer les problèmes de l’inégalité globale et du déficit de légitimité démocratique, la stratégie typique a été de se concentrer presque exclusivement sur la
situation des non-membres, de trimer dur pour étendre leurs droits et d’ouvrir les
régimes qui permettent aux nouveaux membres de rejoindre le cercle des membres19. Il est indéniable que ces objectifs sont importants et qu’ils sont devenus
encore plus urgents récemment. Les années qui ont suivi la tragédie du 11 septembre 2001 ont vu les gouvernements à travers le monde étendre et approfondir leur contrôle régulateur sur l’accès au territoire et l’admission de membres
en tant que partie d’une stratégie plus large qui consistait à reprendre le contrôle
des frontières20. Pourtant, d’un point de vue analytique, poser la question de l’appartenance politique de cette manière est omettre quelque chose d’important. Il
ne suffit pas de se concentrer uniquement sur la situation de ceux qui n’ont pas
d’appartenance; il faut aussi examiner le fondement du titre de ceux qui sont
« naturellement » membres. Comment la pleine citoyenneté est-elle acquise en
l’absence de migration ? Sur quelle base le titre convoité de la citoyenneté estil conféré à certains, alors qu’il est dénié à d’autres ? Qui gagne et qui perd quand
les principes du droit de naissance sont implantés dans les lois sur la citoyenneté ? Ce sont les questions fondamentales qui m’occuperont dans la discussion
qui suit. Pour y répondre, nous devons déplacer notre attention de l’immigrant
vers le citoyen et étendre la discussion sur l’appartenance au-delà de la lentille
familière de l’identité et de l’appartenance (belonging) pour rendre compte du
mécanisme de transfert de la citoyenneté par droit de naissance avec ses effets
pernicieux sur la distribution de voix et d’opportunité à l’échelle globale.
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L’ATTRIBUTION DU DROIT DE NAISSANCE : LE CADRE LÉGAL DE LA
CITOYENNETÉ ET DE LA PROPRIÉTÉ
Quand nous parlons de la naissance comme source de citoyenneté, nous devons
distinguer entre deux principes qui définissent l’appartenance dans un État à
l’ère moderne : le jus soli (« le droit du sol ») et le jus sanguinis (« le droit du
sang »). Bien que le jus soli et le jus sanguinis soient typiquement présentés
comme des contraires, il est important de noter qu’ils reposent tous les deux sur
une conception de l’appartenance délimitée et qu’ils la soutiennent. Ils partagent le présupposé fondamental de la rareté : seul un nombre limité d’individus
peuvent acquérir automatiquement la citoyenneté dans une communauté donnée. Une fois introduite l’idée de la rareté, nous nous heurtons au dilemme de
l’allocation ou de la définition des frontières : autrement dit, comment déterminons-nous qui sera inclus dans le cercle des membres et qui sera laissé à l’extérieur de ses paramètres ? Les deux principes résolvent ce dilemme de la même
manière : en faisant appel au transfert de titre par droit de naissance. La différence entre eux tient au facteur liant utilisé pour délimiter les frontières de leur
communauté d’appartenance respective : le jus soli repose sur le lieu de naissance; le jus sanguinis sur le lien de parenté. Il est tentant de penser qu’une règle
qui fait reposer la citoyenneté sur « la contingence du lieu de naissance de l’enfant est en quelque sorte plus égalitaire qu’une règle qui ferait dépendre la citoyenneté par droit de naissance du statut légal des parents de l’enfant »21. Mais
cette distinction peut facilement nous égarer. Les deux critères pour l’attribution de l’appartenance à la naissance sont arbitraires : l’un est fondé sur l’accident de la naissance à l’intérieur de frontières géographiques particulières alors
que l’autre est fondé sur la pure chance de la descendance.
En se concentrant de manière sélective sur l’événement de la naissance en tant
qu’unique critère pour allouer automatiquement l’appartenance, les lois existantes en matière de citoyenneté contribuent à masquer le fait que cette attribution n’est rien de plus qu’un acte apolitique de démarcation en matière
d’appartenance. C’est de cette manière que les implications distributives potentielles sont cachées de notre vue22. En pratique, toutefois, les règles d’attribution
par droit de naissance font beaucoup plus que démarquer qui peut être inclus
dans la communauté. À l’instar des autres régimes de propriété, ils définissent
l’accès à certaines ressources, aux bénéfices, aux protections, aux processus de
prise de décision et aux institutions qui améliorent les opportunités et cet accès
est réservé d’abord à ceux qui tombent sous la définition des détenteurs de droits.
De ce point de vue, la citoyenneté par droit de naissance présente les caractéristiques définitives d’un régime de propriété qui peut largement être caractérisé
comme un système de règles qui gouvernent l’accès à, et le contrôle sur, des ressources qui sont rares compte tenu des demandes que les êtres humains ont par
rapport à elles23.
Comme William Blackstone l’avait déjà remarqué il y a plus de 200 ans, « il n’y
a rien qui frappe plus généralement l’imagination, ni qui suscite davantage les
affections de l’humanité que le droit de propriété »24. Invoquer une analogie
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conceptuelle avec la propriété et l’héritage exige par conséquent une vigilance
et une clarification quand à l’usage que nous entendons faire de ces concepts,
tâche que j’entreprends dans le chapitre suivant ; pour le moment, il suffit de
dire que la citoyenneté diffère nettement de la conception de la propriété étroite
et atomiste (« blackstonienne » pourrait-on dire) qui est devenue synonyme des
valeurs d’échange, d’aliénation, ou de propriété « unique et despotique »25. Je
souhaite mettre de l’avant une vision différente de la propriété dans le contexte
de la citoyenneté, qui met l’accent sur l’intendance (stewardship) et la responsabilité mutuelle. En tant que bien généré collectivement, la citoyenneté créée
un ensemble complexe de titres et d’obligations légaux parmi différents acteurs
sociaux et elle constitue un excellent exemple d’interprétations plus contemporaines de la propriété comme réseau de relations sociales et politiques comportant l’obligation de promouvoir le bien public et pas uniquement de satisfaire les
préférences individuelles26 . Cette perspective plus large nous permet de concevoir les régimes de citoyenneté non seulement comme générateurs de règles intrinsèques qui définissent l’allocation de l’appartenance, mais aussi comme
porteurs d’effets considérables sur la distribution du pouvoir, de la richesse et de
l’opportunité. Ces dernières implications sont particulièrement dérangeantes
étant donné que l’accès aux biens dits sociaux est déterminé exclusivement par
des circonstances en dehors de notre contrôle. Établir l’analogie avec la propriété héritée et reconnaître le titre de citoyenneté par droit de naissance comme
une construction humaine qui n’est pas à l’abri du changement, c’est ouvrir le
système actuel de distribution à l’évaluation critique. Une fois certaines relations rangées sous la rubrique de la propriété et de l’héritage, les questions classiques de la justice distributive — c’est-à-dire qui possède quoi, et sur quelle
base, — deviennent incontournables.
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LA CITOYENNETÉ PAR DROIT DE NAISSANCE
ET L’INÉGALITÉ GLOBALE
La citoyenneté par droit de naissance fait plus que définir les limites (boundaries) formelles de l’appartenance. Elle correspond aussi étroitement aux perspectives de vie très différentes des individus en matière de bien-être, de sécurité
et de liberté individuelle. La plupart des chercheurs en droit (et aussi la majorité
des philosophes politiques) considèrent toutefois comme étant largement non
pertinente la question de savoir quel État doit garantir son appartenance à un individu particulier. De ce point de vue, comme le notait Benedict Kingsbury, « le
système de la souveraineté des États a eu pour effet de fragmenter et dévier les
demandes que le droit international s’attaque mieux à l’inégalité »27. Ceci peut
expliquer pourquoi les théories du droit et de la morale ont été trop longtemps
aveugles aux conséquences dramatiques en termes d’opportunité et de voix inégales de la citoyenneté par droit de naissance ; mais cela fait peu pour la justifier.
Même les penseurs qui défendent un droit moral ou un droit humain fondamental à l’appartenance le font typiquement à un niveau général, abstrait, et relèguent « le contenu spécifique du droit de citoyenneté dans une communauté
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spécifique... [à] la législation spécifique en matière de citoyenneté de ce paysci ou de ce pays-là »28. Cette division du travail peut bien être motivée par l’idée
d’autonomie souveraine ou celle de l’autodétermination démocratique. Hélas,
cela a surtout pour effet de renforcer involontairement l’idée que la seule chose
qui importe est d’obtenir un droit d’accès à la citoyenneté « dans ce pays-ci ou
ce pays-là » au lieu d’explorer les perspectives de vie dramatiquement inégales
qui sont liées à l’appartenance dans ce pays-ci ou ce pays-là. C’est ce glissement d’un droit abstrait à l’appartenance à sa matérialisation concrète qui démontre comment le fait de se concentrer sur l’égalité formelle de statut rend
invisible l’inégalité actuelle des chances de vie liées à la citoyenneté dans des
communautés politiques spécifiques.
La réponse typique de la théorie démocratique et libérale à l’inégalité d’opportunité causée par des facteurs attribués (ascriptives) consiste à travailler fort
pour qu’« aucun enfant ne soit laissé derrière » (No Child Left Behind). Bien que
ce slogan ne se soit jamais complètement matérialisé dans aucun pays, il reflète
une aspiration à dépasser les hiérarchies sociales et les barrières économiques qui
sont causées par des circonstances moralement arbitraires ou des patterns structurels désavantageux. Il est par conséquent étonnant que la dimension distributive globale de l’appartenance par droit de naissance ait largement échappé à
l’évaluation critique. Cette pauvreté de l’analyse s’explique au moins en partie
par le fait que l’étude des lois de la citoyenneté était traditionnellement la province des recherches domestiques, souvent à l’esprit de clocher, qui ont tendance
à se préoccuper des caractéristiques particulières des normes de leur propre pays
et des procédures définissant l’appartenance et l’admission29. Le droit international, de son côté, s’est concentré principalement sur les tentatives de résoudre
le problème de l’apatridie. Cette explication souligne qu’il est mieux pour
l’individu de jouir d’un lien spécial avec une communauté donnée que de demeurer sans aucune protection étatique30. Il s’agit clairement d’un argument
puissant. Cependant, cette formulation se concentre seulement sur l’égalité
formelle de statut. Elle ne fait rien pour rectifier les inégalités corrélées avec
l’attribution de l’appartenance par droit de naissance dans « ce pays-ci ou ce
pays-là » particulier.
Qui plus est, la concentration familière sur l’égalité formelle de statut (qui exige
que tous les individus appartiennent à un État ou un autre) repose elle-même sur
une image schématique d’un monde ordonné qui contiendrait des communautés
politiques clairement définies. Cette conception du monde est décrite par Rainer Bauböck comme possédant « une qualité de simplicité et de clarté qui ressemble presque à une peinture de Mondrian. Les États sont identifiés par
différentes couleurs et séparés les uns des autres par des lignes noires (...) [Cette]
carte politique moderne marquent tous les endroits habités par des individus
comme appartenant à des territoires étatiques mutuellement exclusifs »31. Dans
un tel monde, avec ses divisions exhaustives et claires du paysage politique en
juridiction mutuellement exclusives, il semble « axiomatique que toute personne
doit posséder une citoyenneté, que tous les individus doivent appartenir à un
État »32. En se concentrant sur cette image mondrianesque de la citoyenneté, il
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devient possible de mettre l’accent sur la symétrie artificielle entre les États (représentés par un code de différentes couleurs par région sur la carte mondiale)
tout en ignorant les inégalités dans les perspectives de vie actuelles des citoyens
qui appartiennent (belong) à des unités d’appartenance (membership) radicalement différents (et qui sont pourtant formellement égaux)33.
Sur ce chapitre, les clandestins en savaient plus. Il fallait qu’ils aient une
conscience aiguë des inégalités actuelles dans les perspectives de vie pour s’embarquer pour leur voyage fatal, risquer tout, y compris leur propre vie, afin d’obtenir un meilleur avenir dans un pays plus riche et plus stable auquel ils
n’appartenaient pas légalement34. C’est dans ce contexte que les relations entre
la citoyenneté par droit de naissance et l’inégalité d’opportunité viennent au devant de la scène. Bien que les lois sur la citoyenneté existantes ne créent pas de
telles disparités, elles les perpétuent et réifient de manière dramatique les perspectives de vie différenciées en s’appuyant sur les circonstances moralement arbitraires de la naissance. En même temps, elles masquent ses conséquences
distributives cruciales en faisant appel à la présumée « naturalité » de l’appartenance fondée sur la naissance. Il n’y a cependant rien d’apolitique ou de neutre
dans ces régimes de droit de naissance35. Ils sont construits et renforcés par le
droit, ce qui avantage ceux qui ont accès au privilège de l’appartenance héritée,
et désavantage ceux qui ne l’ont pas — exactement comme les régimes héréditaires de transmission de propriété dans le passé préservaient la richesse et le
pouvoir aux mains de l’élite.
L’IMPORTANCE DE LA DIMENSION DISTRIBUTIVE GLOBALE
DE LA CITOYENNETÉ
Nous pouvons maintenant percevoir les limites (boundaries) de l’appartenance
sous un jour plus complexe : non seulement ces limites sont-elles soutenues à des
fins d’identité et d’appartenances (belonging) symbolique (comme le soutient
l’argument conventionnel), mais elles remplissent également un rôle crucial dans
la préservation de l’accès restreint à la richesse et au pouvoir accumulés de la
communauté. Ce dernier est jalousement gardé à la jonction du transfert de «
propriété » de la génération actuelle de citoyens à sa progéniture. En d’autres
mots, les mécanismes de la citoyenneté par droit de naissance fournissent une
couverture par le biais de leur présumée naturalité pour ce qui est essentiellement
une transmission majeure (et présentement non taxée) de successions d’une génération à l’autre. Notre monde est en un de rareté : quand les communautés
riches restreignent de manière systémique l’accès à l’appartenance et aux bénéfices qui en dérivent sur la base d’un système strictement héréditaire — qui ressemble à la structure de transmission de l’entaille — ceux qui en sont exclus ont
raison de se plaindre36.
Si nous souhaitons revisiter ces principes de transmission automatique et imaginer comment mieux allouer les bénéfices sociaux présentement liés à la citoyenneté dans une communauté délimitée au-delà des frontières (comme je
crois que nous devrions le faire), la première chose à faire est d’attirer l’attention sur le lien implanté entre la naissance et l’appartenance politique. Même si
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ses effets se font sentir un peu partout, ce lien a largement échappé à l’attention
aussi bien des universitaires que des cercles politiques. Une fois soumis à l’examen, ce système d’allocation ne peut plus être tenu pour acquis, ni ignoré37. Ceci
pour au moins trois raisons :
Premièrement, la portée et l’échelle de la distribution de la citoyenneté est vraiment grande : elle affecte chaque être humain sur cette terre. Bien que le sujet
de l’immigration occupe ces jours-ci beaucoup d’attention, c’est encore par attribution de droit de naissance que les individus obtiennent leur appartenance politique dans « ce pays-ci ou ce pays-là » particulier. Et en dépit de l’attention
publique accordée à ceux qui vont habiter à l’extérieur de la communauté dans
laquelle ils sont nés, ces derniers représentent moins de 3 % de la population
mondiale. Tous les autres — en l’occurrence, 97 % de la population mondiale,
ou plus de six milliards d’individus —, reçoivent le bien à vie de l’appartenance
par la loterie de la naissance et ils choisissent, ou ils sont forcés, de laisser les
choses en l’état38.
Deuxièmement, les conséquences de ce système de transfert d’appartenance sont
profondes. Elles vont bien au-delà de l’emphase habituelle dans les études de la
citoyenneté sur les questions d’identité, de diversité et de vertus civiques. Dans
un monde inégal comme le nôtre, la citoyenneté par droit de naissance fait plus
que démarquer une forme d’appartenance (belonging). Elle distribue également
les voix et les opportunités d’une manière très inégale. En identifiant légalement
la naissance, soit dans un certain territoire, soit de certains parents, comme facteur décisif dans la distribution de la précieuse propriété de l’appartenance (membership), les principes de citoyenneté actuels rendent l’appartenance aux
communautés bien-nanties inaccessible à la vaste majorité de la population mondiale. C’est de cette manière que nous pouvons penser la citoyenneté comme le
titre hérité par excellence de notre temps.
Et de quel titre hérité significatif s’agit-il ! Dans notre monde, les disparités globales sont si grandes que sous les régimes actuels de citoyenneté par droit de
naissance, « Certains sont nés pour le doux plaisir », comme le disait de manière
mémorable William Blake dans Auguries of Innocence, alors que les autres
(même s’il ne s’agit pas de leur faute, ni de leur propre responsabilité) sont « nés
pour une nuit sans fin »39. La réalité de notre monde est que la nuit sans fin est
plus répandue que le doux plaisir. Plus d’un milliard d’individus vivent avec
moins d’un dollar par jour ; 2.7 milliards vivent sans accès à des conditions sanitaires adéquates et plus de 800 millions souffrent sérieusement de malnutrition40. Ajoutez à cela le fait presque incompréhensible que huit millions mourront
chaque année, comme un auteur le remarquait de manière poignante, « parce
qu’ils sont simplement trop pauvres pour vivre »41. Ou pensez à l’atrocité choquante que nous laissons tranquillement se poursuivre à chaque jour : plus de
dix millions d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année dans les nations du monde les plus pauvres — la plupart des causes de ces morts auraient
pu être évitées42. À ceci, nous devons ajouter la prise de conscience cinglante
que, — contrairement à l’optimisme de l’histoire conventionnelle qui brise les
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barrières imposées (ascriptives) et les remplace par des mécanismes de choix et
de distribution équitable — , sous le système actuel de droit de naissance, l’accès aux biens de la citoyenneté n’est clairement pas ouvert à quiconque consent
volontairement à l’appartenance ou a un besoin extrême des bénéfices qui lui
sont associés43.
Une fois cette perspective plus critique prise en considération, avec son emphase
profonde sur les disparités globales liées à la reconnaissance aiguë de la manière dont les limites de notre appartenance sont régulées de manière serrée, la
corrélation qui existe entre la citoyenneté héritée et le bien-être général devient
impossible à ignorer. La qualité des services, la sécurité et l’étendue des libertés et des opportunités dont profitent ceux qui sont nés dans des communautés
riches sont beaucoup plus grandes, toutes choses étant égales, que les opportunités de ceux qui sont nés dans des pays plus pauvres ou moins stables44.
Quand nos lois de la citoyenneté deviennent effectivement imbriquées avec les
parts distribués dans la survie humaine à l’échelle globale — vouant certains à
une vie de confort relatif alors qu’elle condamne les autres à un combat constant
pour vaincre les menaces fondamentales de l’insécurité, la faim et la destitution
— nous ne pouvons plus accepter cette situation silencieusement. Ces perspectives de vie différenciées de manière dramatique devraient perturber non seulement la foule attentiste des universalistes moraux, mais aussi les défenseurs du
libre marché qui croient en la récompense de l’effort et la distribution des opportunités en fonction du mérite, plutôt que sur la base de la station de naissance. Le problème de l’allocation inégale et du transfert, qui a reçu beaucoup
d’attention dans le domaine de la propriété, est, de fait, encore plus extrême dans
le domaine du titre (entitlement) de citoyenneté par droit de naissance.
La troisième raison pour laquelle nous devons accorder une attention minutieuse
au casse-tête de la citoyenneté par droit de naissance est, de manière étonnante,
que nous continuons de ne pas avoir d’explication théorique cohérente du recours ininterrompue aux circonstances de la naissance dans l’attribution de l’appartenance politique. Ceci, en dépit du fait que la vaste majorité de la population
globale reçoit son appartenance politique par attribution (la portée du phénomène étudié), et des implications globales redistributives dramatiques qui résultent de ce système implanté d’allocation d’opportunités inégales (les
conséquences du droit de naissance). Si cela se trouve, la persistance de l’attribution dans le plus improbable des domaines sociaux — la définition de qui est
inclus et qui est exclus du demos (le corps des citoyens), va à l’encontre des explications démocratiques et libérales standard de la citoyenneté en tant que reflet du choix et du consentement des gouvernés45. Elle révèle également de
sérieuses lacunes dans l’argument conventionnel selon lequel nous pouvons nettement diviser le monde en pays qui se rangent aux deux bouts du spectre de
conceptualisation de l’appartenance, soit « civiques » ou « ethniques ». De manière similaire, la prédominance de l’appartenance par droit de naissance est en
tension avec la description conventionnelle de la citoyenneté comme reflet du
contrat social entre l’individu et la communauté politique, ou ce que divers au-
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teurs français ont appelé « le lien politique et juridique »46. On oppose souvent
cette vision post-Lumières à la conception plus ancienne de la citoyenneté du
droit romain en tant que statut assigné, avec les droits et les obligations qui en
découlent automatiquement comme une conséquence de la naissance et non du
choix. Plusieurs des géants de la pensée sociale et politique reprennent et réifient
cette distinction (largement fictive), selon laquelle l’allocation de la citoyenneté
dans l’État moderne fonctionne comme une affaire de choix et de consentement,
ce qui marque une importante amélioration par rapport à la définition précédente fondée sur le statut de la place de l’individu dans la communauté. Ces
thèmes triomphants sont peut-être exprimés de la manière la plus fameuse par
Le second traité de John Locke et le slogan de Henry Maine dans Ancient Law
qui décrit la transition de l’ancien monde au monde moderne comme un développement de la société et du droit « partant du statut vers le contrat »47.
Reconnaître les étonnantes similarités de forme et de fonction entre la citoyenneté par droit de naissance et la propriété héritée met en lumière une exception
frappante à la tendance moderne qui consiste à s’éloigner des statuts imputés
dans tous les autres domaines. Le mécanisme de transmission de la citoyenneté
par droit de naissance attribué, qui est toujours en vigueur aujourd’hui, ne peut
pas être écarté comme un simple accident historique, étant donné que la question de la légitimité de l’autorité politique et de la propriété est centrale dans les
traditions libérale démocratique et républicaine civique. Ce constat ahurissant
rend seulement le lien qui persiste entre l’appartenance politique et la position
à la naissance — un lien qui a été ignoré et tenu pour acquis — plus surprenant
et exige une explication cohérente de manière urgente. Corriger cette lacune est
le défi que je relève dans ce livre.
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PLACER LE NOUVEAU CADRE CONCEPTUEL D’ANALYSE
EN CONTEXTE
Ma discussion est informée par, et, en retour, cherche à enrichir, trois corpus
différents de la littérature : les études sur la citoyenneté dans les recherches politiques et légales contemporaines, les débats sur l’inégalité globale et les explications sociologiques de la disparition des frontières dans le contexte des théories
post-nationales. Cette littérature s’élève contre les changements de politiques
restrictifs actuels mis en place par la plupart des nations industrielles avancées
qui ont reformulé récemment leurs régimes de citoyenneté et d’immigration en
réponse à l’augmentation de la mobilité transfrontalière croissante et à l’insécurité globale perçues comme des menaces. En juxtaposant ces différentes lignes
d’enquête, je mets en lumière la pauvreté d’attention accordée à l’appartenance
par droit de naissance. Je soutiens également que nous avons besoin de prendre
en considération ces discours, qui se recoupent partiellement, si nous voulons
trouver un équilibre qui permet de préserver les propriétés facilitantes de la citoyenneté dans une communauté auto-gouvernée et, en même temps, de répondre de manière agressive aux injustices globales perpétrées par le système actuel
de transmission de l’appartenance par droit de naissance qui ressemble à l’entaille. Ce mode d’enquête illustre aussi les écarts et les incohérences dans chaque
corpus de littérature.
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Considérez ce qui suit : la plupart des écrits sur la citoyenneté dans les années
récentes avancent des explications nuancées des droits des minorités dans différentes sociétés, des vertus civiques de la citoyenneté, des idéaux de la démocratie délibérative et des possibilités de créer un monde sans frontières, ou du
moins avec des frontières moins poreuses. Cette quasi renaissance bienvenue
des études sur la citoyenneté a enrichi dramatiquement ce champ, mettant en lumière les nombreuses manières selon lesquelles l’appartenance politique signifie beaucoup plus que « le sens étroit de détenteur de passeport qui consiste à
avoir un lien formel légal à un État particulier »48. De manière remarquable, toutefois, on a accordé très peu d’attention au mécanisme de transfert de l’appartenance par droit de naissance et à ses effets pernicieux sur la distribution de
voix et d’opportunité à l’échelle globale.
La littérature sur l’inégalité globale, au contraire, souffre du défaut inverse. Bien
qu’elle comprenne de très riches débats quant aux effets de la globalisation sur
les inégalités à l’intérieur des pays et entre eux, les unités d’analyse elles-mêmes,
en l’occurrence les communautés d’appartenance délimitées (dans leur incarnation présente en tant qu’entités politiques souveraines dans le système interétatique) sont souvent tenues pour acquises. Par conséquent, on n’accorde aucune
attention au type de questions qui me concernent ici : comment les limites (boundaries) de l’inclusion et de l’exclusion sont-elles définies en premier lieu ?
Qu’est-ce qui les soutient ? Pourquoi dans le monde réel, les communautés continuent-elles de s’appuyer sur les circonstances moralement arbitraires de la naissance pour décider qui tombe de quel côté de la frontière de la sécurité et de la
prospérité ? En dépit de la fanfare académique des post- et trans-nationalistes
qui ont prédit avec joie la disparition des frontières régulées et l’éventuelle dévaluation de l’appartenance délimitée (bounded), la citoyenneté profite d’une
indéniable résurgence d’autorité actuellement49. Ceci rend l’étude du mécanisme
de transfert de la citoyenneté par droit de naissance — la dimension perdue de
la construction des murs formidables du droit qui établit (et ensuite protège) les
limites de l’appartenance qu’ils ont aidé à créer — encore plus pressante.
Mettre en évidence cet écart énorme entre la théorie et la pratique est une partie
de ma tâche ici, mais elle s’inscrit dans le cadre d’un projet plus large qui
consiste à fusionner l’explication critique des lois sur la citoyenneté existantes
et une exploration constructive des possibilités réelles de faire de notre monde
un meilleur endroit pour tout ses habitants. J’accomplis ceci en reformulant le
principe même du droit de naissance qui alloue actuellement l’appartenance politique sur la base d’une forme non restreinte de titre hérité. Je soutiens dans ce
livre que nous devons considérer ces deux sujets ensemble — la citoyenneté par
droit de naissance et l’inégalité globale — afin de mieux comprendre le premier
et de contrecarrer le second.
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VUE D’ENSEMBLE THÉMATIQUE
Ma discussion procède en deux étapes principales. Dans la première partie du
livre, je développe l’analogie entre la citoyenneté par droit de naissance et la
propriété héritée dans le contexte d’un monde aux prises avec de sévères inégalités de richesse et d’opportunité. Cette analogie permet de déployer des conditions trouvées dans les domaines de la propriété et de la théorie de l’héritage
dans le contexte de l’appartenance ; ce faisant, je propose un modèle qui a le potentiel d’imposer des restrictions sur la transmission illimitée et perpétuelle de
l’appartenance — avec l’objectif d’améliorer les inégalités d’opportunités les
plus évidentes perpétuées par le système de citoyenneté par droit de naissance.
Ce but informe l’idée d’une taxe sur le privilège du droit de naissance en tant
qu’obligation qui incombe aux récipiendaires d’un titre d’appartenance dans les
communautés bien-nanties d’améliorer les perspectives de vie de ceux à qui la
loterie du droit de naissance a alloué moins.
Étant donné que la citoyenneté par droit de naissance implique le transfert d’un
titre lucratif aux ressources et aux opportunités, elle invite également une
réponse légale qui atténue ces transferts intergénérationnels présentement non
taxés. Si les communautés politiques riches souhaitent continuer à conférer l’appartenance en fonction du droit de naissance, façonnant ainsi les perspectives de
vie des récipiendaires d’une manière qui ressemble conceptuellement à l’héritage des fortunes entaillées, elles doivent accepter une obligation correspondante. De cette façon, l’impératif d’aider les moins fortunés dans l’attribution de
leur citoyenneté n’est pas une affaire de charité, mais un devoir légal. Le
fondement de cette obligation est plutôt direct. Même les avides défenseurs du
droit de propriété résistent à endosser la transmission automatique d’un titre
d’une génération à une autre à perpétuité : de tels régimes d’héritage sont traités comme moralement faibles et on peut les remettre en question. Si nous prenons les contraintes existantes sur le pouvoir de transmettre la propriété à travers
l’héritage comme notre modèle pour taxer les récipiendaires par droit de naissance d’une citoyenneté héritée dans les sociétés riches, la taxe-privilège offre
une façon créative de dénaturaliser le mécanisme similaire à l’entaille qui permet actuellement la concentration sans limite de richesse et de pouvoir dans certains corps politiques. Bien que plusieurs détails aient besoin d’être précisés en
ce qui a trait au design actuel et à l’administration d’une telle taxe de droit de
naissance sur la citoyenneté par héritage dans les communautés riches, nous
pouvons envisager de distribuer ces revenus à des projets spécifiques pour améliorer les opportunités de vie des enfants dans les nations les plus pauvres du
monde — peu importe leur lieu de naissance ou leurs ancêtres (non choisis).
Dans la seconde partie du livre, je déplace le centre de l’analyse du niveau global au niveau domestique en explorant les problèmes de sur-inclusion, de sousinclusion et de légitimité démocratique, et en articulant leurs liens avec le régime
actuel de citoyenneté par droit de naissance. Comme avec la discussion de la citoyenneté et de l’inégalité globale, je débute mon exploration des déficiences
de l’appel à la naissance dans la définition de l’appartenance à la communauté
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en parcourant d’abord le domaine juridique et en le plaçant dans une perspective
historique et comparative plus large. Une évaluation critique des défenses normatives en faveur de la préservation du lien entre la naissance et l’appartenance
politique suit. Après cette critique, je développe un cadre alternatif pour définir
l’accès à la citoyenneté. Dans ce cadre, je mets l’emphase sur le sens de l’appartenance actuelle dans la communauté, par-dessus et au-delà de tout privilège
obtenu par titre hérité. J’appelle ce lien authentique le principe du jus nexi parce
que, comme le jus soli et le jus sanguinis, il illustre le sens principal de la méthode par laquelle l’appartenance politique est attribuée : par lien, union, ou relation.
Les deux volets de l’analyse adoptée dans ce livre conduisent à des résultats
inattendus. Par exemple, ils amènent au devant de la scène l’importance des capacités facilitantes (enabling) de la citoyenneté et ils mettent en évidence sa relation complexe avec la fonction de garde-frontière de l’appartenance. Et bien
que je critique férocement le mécanisme de la citoyenneté, ma conclusion n’est
pas que nous devons abolir le bien collectif de l’appartenance. Je soutiens plutôt qu’un équilibre plus productif peut (et doit) être trouvé entre la protection des
précieuses propriétés de l’appartenance et l’amélioration du bien-être de ceux qui
sont exclus de la possibilité d’accéder à de tels bénéfices uniquement en raison
de l’endroit où ils sont nés ou de leurs géniteurs. Bien qu’il n’y ait pas de solution unique qui s’applique à tous les problèmes, la taxe sur le privilège du droit
de naissance supporte la création d’un système de transfert de connaissances,
de services et d’infrastructures transnational (ou ce que nous pourrions appeler
« un filet de sécurité mondial ») conçu pour s’attaquer aux disparités moralement
injustifiables de perspectives de vie qui sont actuellement liées à la transmission perpétuelle de l’appartenance. Elle se présente comme une mesure institutionnelle concrète pour restreindre la transmission du privilège du droit de
naissance actuellement illimité. Cette idée, qui pourrait avoir une longue portée,
s’enracine dans l’emphase mise sur l’aspect distributif global de la citoyenneté
et l’analogie avec la citoyenneté50.
Il est important de prendre note que la reconceptualisation proposée de la citoyenneté en tant qu’analogue à la propriété héritée n’exige pas que l’on rejette
la prémisse en vertu de laquelle nous avons des obligations spéciales ou plus
grandes envers ceux qui sont définis comme nos concitoyens dans la communauté politique51. Cela signifie simplement que le port de telles obligations spéciales n’est pas un argument contre le fait d’avoir un devoir général parallèle de
fournir un filet de sécurité de bien-être et d’opportunité de base à ceux qui demeurent radiés de l’appartenance en raison de l’accident de la naissance52.
Comme n’importe qui s’intéressant aux affaires internationales et domestiques
le reconnaîtrait, on ne saurait trop insister sur l’importance et l’actualité des sujets discutés dans ce livre. La citoyenneté et l’immigration sont des sujets notoires dans la plupart des pays riches du monde et, de plus en plus, dans plusieurs
communautés qui envoient des émigrants. La mobilité humaine aussi bien que
des préoccupations urgentes de justice, d’égalité et de développement deviennent
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de plus en plus des enjeux globaux. Pourtant, nos lois et notre imaginaire conceptuel qui définissent qui peut avoir accès au bien de la citoyenneté sa vie durant
et en fonction de quel critère sont encore dominés par les termes quasi féodaux
de titre acquis par droit de naissance qui ne suffisent plus à la tâche; le monde
social qui a engendré ces catégories a depuis longtemps fait place à d’autres relations et d’autres valeurs. De la même manière, la réalité politique qui nous entoure a changé radicalement ces dernières années, particulièrement en termes
d’interdépendance économique toujours plus profonde et de sécurité globale.
Ces transformations laissent, évidemment, des traces sur leur chemin. Ce qui
manque, toutefois, c’est le vocabulaire approprié pour saisir et évaluer la nouvelle économie politique de la citoyenneté dans un monde encore aux prises
avec des inégalités rigides53.
Il est temps de revoir nos méthodes familières déjà éculées pour définir qui appartient à la communauté politique et sur quelle base. Une tâche tout aussi urgente est de répondre aux soucis et aux demandes de ceux qui demeurent à
l’extérieur du cercle de l’appartenance uniquement en raison de l’accident de la
naissance. Ce livre met de plus en évidence le besoin de situer le débat sur l’allocation de l’appartenance dans le contexte plus large de considération sur l’inégalité des perspectives de vie et des possibilités de fournir un filet de sécurité
globale, peu importe la communauté politique dans laquelle nous sommes nés. Une
telle enquête est particulièrement urgente étant donné les craintes croissantes que
les immigrants indésirables ne viennent surpeupler les pays riches qui semblent à
l’œuvre derrière les politiques restrictives récemment adoptées dans ce domaine.
Penser la citoyenneté en tant que forme de propriété héritée est l’une des façons
d’ouvrir la réalité limitée actuelle à un nouvel ensemble de possibilités.
Les chapitres qui suivent tentent de répondre à quelques-uns des problèmes les
plus cruciaux du droit et de la pratique de la citoyenneté aujourd’hui : dépasser
le recours aveugle aux régimes de droit de naissance, qui, au-delà de leurs conséquences distributives globales sévères (le sujet discuté dans la première partie de
ce livre), s’avèrent également de faibles prédicteurs pour définir qui appartient
actuellement au cercle des membres (la seconde partie du livre) en s’appuyant
sur les liens substantiels et réels plutôt que sur n’importe quel statut ou facteur
attribués. Je soutiens de plus qu’une fois que l’analogie entre la citoyenneté par
droit de naissance et la propriété héritée a été établie, les questions fondamentales de l’accès, du transfert et de la distribution deviennent pertinentes pour la
discussion du domaine de la citoyenneté. Bien que nos théories de la justice et
de la propriété permettent l’accumulation inégale de richesses et d’autres ressources, elles consacrent des efforts considérables afin de fournir une base justificative pour défendre de telles iniquités dans la distribution des possessions
(holdings). La reconnaissance que ces théories imposent des restrictions significatives sur les institutions sociales qui génèrent l’inégalité est encore plus importante pour les fins de notre discussion. C’est précisément ce qui manque dans
le cadre dominant de la citoyenneté par droit de naissance.
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LE CHEMIN À PARCOURIR
L’appel à l’attribution pour conférer la citoyenneté — peut-être la caractéristique la plus célèbre du paysage moderne — est au coeur de mon enquête dans
ce livre : comment est-il possible que l’appartenance politique, qui est si cruciale pour notre identité, nos droits, notre voix politique et pour nos opportunités de vie soit distribuée sur la base d’accidents de naissance ? Reliant ensemble
les champs de recherche pertinents (y compris le droit, la philosophie politique,
le design institutionnel, l’économie du développement, la citoyenneté et les
études globales, et la théorie sociale critique) ce livre présente une réponse
exhaustive, et pourtant surprenante, à cette question.
Laissons maintenant le flot des idées parler pour lui-même.
NOTES
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Traduction de Martin Provencher. Ce texte est la version française de « The Puzzle
of Birthright Citizenship », l’introduction du livre de Ayelet Shachar, The Birthright Lottery :
Citizenship and Global Inequality, Cambridge, Mass., Harvard University Press, pp.1-18,
Copyright ©2009 by the President and Fellows of Harvard College. Nous remercions
les éditeurs qui nous ont autorisés à traduire et à reproduire de manière digitale cette introduction.
Ces faits sont rapportés dans Olga de Leon v. Shih Wei Navigation (2007)
Olga de Leon v. Shih Wei Navigation (2007), p. 23.
International Organisation for Migration 2005.
Voir Cholewinski, Perruchoud, et MacDonald 2007; Dauvergne 2007, 489-507.
La liste des oeuvres qui dressent l’inventaire de ces changements est trop vaste pour être
citée. Mentionnons parmi ses auteurs majeurs Saskia Sassen, Yasemin Soysal, David Held,
Rainer Bauböck, Linda Bosniak, Iris Young, Seyla Benhabib, Peter Spiro et Will Kymlicka.
J’ai apporté ma propre contribution à ces discussions sur la citoyenneté à niveaux multiples
dans le contexe des relations entre l’individu, le groupe et l’État dans Shachar (2001).
Ford, 2001, p. 210.
L’analogie ici est avec le régime de propriété qui remonte à l’Angleterre médiévale; là, nous
trouvons l’institution (aujourd’hui discréditée) de la fee tail et de l’entail. Dans le langage
des débuts de la common law, la fee tail autorisait la transmission automatique d’une possession terrestre de la personne A à la personne B « et aux héritiers de son corps » et ainsi
de suite à travers toutes la lignée générationnelle. Je discute de ce régime de propriété particulier au chapitre 1. Sur les origines et les technicalités de la fee tail, voir Simpson 1986.
Pour une vue d’ensemble concise des statistiques concernant la fragmentation globale des
opportunités en référence à la démocratie et à la participation, à la justice économique, à la
santé et à l’éducation, aussi bien qu’à la paix et à la sécurité, voir e.g. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2002; UNICEF, The State of the World’s Children 2005.
PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2005; World Bank, World Development Report, 2006.
C’est l’argument principal avancé par Schuck et Smith (1985). Sur cette base, ils développent un modèle fondé sur le consentement qu’ils estiment plus cohérent avec la théorie
libérale. De manière plus controversée, ils appliquent ensuite ce cadre théorique pour recommander la restriction domestique de l’appartenance par naissance aux enfants de citoyens
et de résidents permanents. Pour une critique pénétrante de cette interprétation constitutionnelle, voir Neumann (1987). Ma critique du droit de naissance, d’un autre côté, milite
plutôt en faveur d’une expansion globale de la distribution des bénéfices sociaux de la
citoyenneté. Je fais la promotion d’un plus grand accès à l’appartenance en fonction de l’interdépendance et des liens authentiques actuels de chacun avec la communauté au lieu de
faire appel à la lignée sanguine ou à la territorialité.
Ce sont les chiffres internationaux officiels. Cf. GCIM 2005, Migration in an Interconnected World: New Directions for Action, Annex II; United Nations 2004, World Economic
and Social Survey 2004 : International Migration, 25; UNPFA 2006, State of World Population 2006, 6.
Une exception à cet aveuglement se trouve dans les travaux formateurs des chercheurs
comme Joseph Carens, et plus récemment, Peter Spiro. Voir, par exemple, Carens 1987a,
251-273. Mon analyse se concentre sur la valeur de la citoyenneté mais elle critique le
chemin que l’on prend pour la transmettre, alors que Carens se passionne pour la question
de l’immigration et du droit de l’État de limiter la mobilité à travers les frontières nationales.
Cela entraîne également des conclusions différentes sur les politiques, comme je le montre
aux chapitres 3 et 6. Voir également Spiro 2008. Les chercheuses féministes et critiques ont
tenté depuis longtemps de démystifier la prétendue naturalité de plusieurs institutions sociales, telles que le contrat, la propriété, le mariage et la souveraineté elle-même. Mon tra-
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vail s’inscrit dans cette tradition. Cf. par exemple, Pateman 1988; McClintock 1995; Stevens
1999; Cott 2002.
Je paraphrase ici le titre d’un livre influent édité par Archibugi, Held et Köhler en 1998.
Les soucis à propos de l’accès à l’appartenance par droit de naissance sont aggravés par le
fait que la mobilité internationale à travers les frontières n’est pas ouverte également à tous.
Comme Paul Hirst et Grahame Thompson l’observent sèchement « à l’exception d’un “club
de classe” de professionnels hautement qualifiés, internationalement mobiles (...) la masse
de la population mondiale ne peut pas se déplacer facilement ». De plus en plus, soutiennentils, « les pauvres [des pays en développement] ne sont pas bienvenus dans les pays avancés
». Voir Hirst et Thompson 1999, p. 267.
De ce point de vue, la rhétorique hyperbolique de la globalisation et la disparition des
frontières selon laquelle le bien allouée de la citoyenneté est devenu si « dilué » qu’il fait peu
de différence dans la vie de chacun demeure à mille lieues de la réalité que vit la majorité
de la population globale. Je m’appuie ici sur la terminologie qui est employée dans le livre
au tempo rapide de Peter J. Spiro (Spiro 2008).
Voir, par exemple, Joppke 2007, 37-48; Bosniak 200, 447-509.
Techniquement parlant, le régime de citoyenneté préserve des mécanismes de transfert intergénérationnels plus stricts et plus rigides que ceux autorisés aujourd’hui pour ce qui est
de la propriété héritée. Cette dernière a été assouplie pour permettre à la volonté individuelle de s’exprimer alors que la première fonctionne toujours comme un ensemble de règles
par défaut qui sont non révocables et non amendables. C’est l’État qui les régit et les fait
respecter au nom du collectif de ses membres.
Les exceptions majeures ici se trouvent dans les écrits formateurs de Peter Schuck et Rogers
Smith (Schuck et Smith 1985) et Joseph Carens. Voir Carens 1987a. Mon analyse se concentre sur la valeur de la citoyenneté, mais elle critique la voie par laquelle elle est transmise, alors que Carens s’intéresse à la question de l’immigration et au droit des États de
limiter la mobilité à travers les frontières nationales. Elle mène également à des conclusions politiques différentes comme je le montre aux chapitres 3 et 6.
Pour un excellent traitement de ces questions dans les travaux récents, voir Benhabib 2004b;
Bosniak 2006; Motomura 2006a; Cole 2000; Gibney 2004.
Voir Shachar 2007.
Eisgruber 1997, p. 59.
Pour une élaboration plus développée de cette distinction entre les fonctions de «démarcation» et de «distribution» des règles d’appartenance, voir Shachar 2001, p.49-55.
Waldron, 1985, p. 318.
Blackstone [1766], 1979, p. 2.
Blackstone [1766], 1979. Pour une discussion critique, voir Heller, 1999.
Pour une vue d’ensemble concise de cette conception, voir Munzer 2001. Cette emphase sur
la « propriété comme relations » est aussi cohérente avec les différentes tendances de la
théorie féministe qui mettent fréquemment au premier plan les relations et le fait d’être lié
(relatedness). Pour une discussion éclairante, voir Dickenson 2007. Pour un développement
du concept d’intendance en relation à la propriété culturelle des indigènes, voir Carpenter,
Katyal et Riley 2009.
Pour une exploration détaillée de ce thème, voir Kingsbury 1998.
Benhabib 2004b, p. 141.
Une cuvée de livres récents vise à rompre avec ce cadre d’étude par simple pays et présente
à la place une analyse comparative. Voir, par exemple, Hansen et Weil 2001.
Sur les risques énormes et la vulnérabilité de l’existence nue associée à l’apatridie, voir
Arendt 1968; Agamben 1998.
Voir Bauböck 1997, p. 1. Comme le souligne Bauböck, cette image westphalienne du monde
ne peut pas rendre compte de la signification politique des liens et des affiliations transnationales que plusieurs individus éprouvent maintenant envers leur (ancienne et nouvelle) patrie, ni expliquer de manière satisfaisante la réalité de la double nationalité.
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Brubaker 1992, p. 31.
Il est bien connu que certains ont soutenu que nous sommes présentement au milieu d’une
autre transformation dans laquelle le concept politique d’appartenance peut éventuellement
être lié à des niveaux d’affiliations international, supranational, transnational, postnational,
anational ou sousnational — en plus, ou à la place, de celui de l’État. Sur cette riche littérature, voir Sassen 2006 ; Bosniak 2000.
Sur la construction historique de la distinction entre les migrants légaux et illégaux, voir
Ngai 2004. Voir aussi Torpey 2000 ; Zolberg 2006.
Autrement dit, la citoyenneté par droit de naissance n’est ni un droit naturel, ni un attribut
génétique (comme le fait d’être né petit ou grand, beau ou laid, et ainsi de suite), mais plutôt
un exemple paradigmatique d’un titre (entitlement) créé par le gouvernement. Ceci concorde tout à fait avec la conception influente de Blackstone sur le droit à l’héritage non en
tant que droit « naturel, mais simplement [en tant que] droit civil ». Voir Blackstone [1766]
1979, p. 11. [Souligné par Blackstone].
Dans le domaine de la théorie de la propriété, J.Singer (2000) a fait puissamment valoir cet
argument.
Mon analyse procède ici de l’idée que le droit ne reflète pas seulement les réalités sociales
et les relations de pouvoir, mais participe également lui-même à leur constitution. Pour une
exploration relative au contexte des régimes de citoyenneté, voir Lopez 1996; Ngai 2004.
Cf. GCIM 2005, Annexe II.
Le travail récent de Joshua Cohen sur la justice globale inspire ici cet appel à Blake (J.
Cohen, 2007).
voir PNUD Rapport sur le développement humain 2004, p. 129
J. Cohen 2007, p.ix.
Voir, World Bank, Global Millenium Development Goals, Goal 4 : «Plus de dix millions
d’enfant meurent chaque année dans le monde développé, la vaste majorité de causes qui
auraient pu être évitées grâce à une combinaison de bon soin, alimentation et traitement
médical. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a baissé de cinq pour cent
depuis 1990, mais ce taux demeure élevé dans les pays en développement. Dans les pays
en développement, un enfant sur dix meurt avant son cinquième anniversaire, comparé à un
sur 143 dans les pays à hauts revenus.»
Autrement, les clandestins n’auraient jamais imaginé la possibilité de s’embarquer en bateau
afin d’effectuer leur voyage illégal et, éventuellement, fatal. Ils auraient pu simplement
passer, comme beaucoup d’autres avant eux, sous les pieds sans fers de la Statue de la Liberté sur Ellis Island, la porte d’entrée de la porte d’or, où le poème légendaire d’Emma
Lazarus a été écrit dans la pierre. Sur la mobilité transnationale non autorisée, voir Jordan
et Düvell 2002.
Voir World Bank, 2006b; World Development Indicators 2006.
Schuck et Smith 1985.
Voir Weis 1979, p. 30.
Voir Locke 1988; Maine [1861] 1986.
Voir Dobrowsky 2007, p.630. Voir aussi Bosniak 2006.
Les preuves abondent allant des lois sur l’immigration plus sévères aux procédures de naturalisation plus restrictives pour ceux qui ne sont pas encore (et peut-être qu’ils ne le seront
jamais) membres. Voir Shachar 2007; Andreas et Snyder 2000; Joppke 2005.
Dans The Laws of Peoples, John Rawls s’oppose aux principes de justice distributive globale parce que, comme il le dit, ils leur manquent une « cible et un point limite » (Rawls
119a, 115-116). On peut répondre à cette préoccupation ici en distinguant entre interprétation minimaliste et étendue de l’obligation de la taxe sur le droit de naissance. La première
peut traiter la taxe comme une correction temporaire qui expirera si (et quand) les différences draconiennes dans les perspectives de vie en fonction de la distribution nationale
ou régionale s’atténuera, alors que la seconde est moins conséquentialiste et met l’accent sur
le fondement moral pour restreindre les transferts qui ressemblent à l’en taille en tant que
façon de limiter les titres (entitlement) hérités. Je reviens sur ces questions au chapitre 3.
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Nagel 2005.
Ici je suis en accord avec les auteurs tels que Martha Nussbaum, Amartya Sen, Brian Barry,
Bhikku Parekh, Kok-Chor-Tan, Andrea Sangiovanni, et d’autres qui ont défendu de « modestes » principes cosmopolites de justice distributive et acceptés en même temps que des devoirs spéciaux ou des obligations plus élevées s’appliquent aux co-citoyens et co-résidents
dans une unité politique partagée. Pour une exposition lucide de cette position, que j’accepte
plus que je ne la défends dans ce projet, voir Caney 2005, p. 102-147.
L’explication standard soutient que la globalisation stimule la croissance et le développement mondial, mais que les liens entre la globalisation économique, la croissance
économique, l’inégalité et la pauvreté font l’objet de disputes, même parmi les experts dans
le domaine. Certains soutiennent que la globalisation économique elle-même exacerbe (au
lieu d’atténuer) les inégalités empirant ainsi le sort des pauvres les plus démunis dans
plusieurs parties du monde. Pour une vue d’ensemble concise, voir Held et KoenigArchibugi 2003. Il y a aussi un vibrant débat qui porte sur la question de savoir si ce sont
les facteurs culturels ou institutionnels qui sont les plus importants pour expliquer la croissance. Sur ces explications concurrentes, voir Rodrick 2003; Landes 1999.
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