LA Le Philosophe scythe» La Fontaine Fables livre XII 1. remarques
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LA Le Philosophe scythe» La Fontaine Fables livre XII 1. remarques
LA Le Philosophe scythe» La Fontaine Fables livre XII 1. remarques préliminaires Un texte narratif: plusieurs caractéristiques de la fable permettent de dire qu’il s’agit d’un texte narratif mise en scène des personnages Les actions dans le temps sont exprimées soit au passé simple habituel du récit, soit au présent, qui rompent avec situations du passé, soit à l’imparfait d’habitude On remarque que l’histoire évolue en plusieurs étapes Cette évolution est la fois montrée par le jeu des temps, les adverbes Les différentes formes de discours rapporté : * le texte comporte du discours qui peut être défini comme du discours indirect libre, avec les incertitudes sur l’identification. (Était-il d’homme sage) * Discours direct : il est perceptible (indices dans les vers 14-20 : présence de guillemets, de la seconde personne ou de la première personne (v. 19). Alternance des personnages et opposition de leurs points de vue : deux personnages sont réunis dans l’histoire et sont alternativement mis en scène. Le lecteur le perçoit aux différentes expressions qui les désignent : - Un Philosophe austère (y. 1), - Le scythe(v. 8, 13, 21), - Ce Scythe (y. 30) = font référence au même personnage. Le second intervenant apparait de manière alternée : -Un sage (V. 4), -l’autre r. 19). Des deux personnages, le plus actif et le mieux mis en valeur est le Scythe, qui vient et repart prend modèle et impose le sien. On remarque cependant une opposition nette entre les deux personnages. Cette opposition est exprimée à travers des termes antithétiques exprimant des façons d’être et des comportements. On peut regrouper ces demeure/beautés d’un jardin. termes : austère/tranquille, triste L’opposition touche les lieux dont sont originaires les deux hommes, leur façon de concevoir la vie, l’exagération des gestes du Scythe poussant à l’extrême l’enseignement du sage. Ces oppositions se marquent dans le rapprochement des termes mutile, ruine et profite. Elles sont reprises dans le dernier vers qui regroupe les deux idées de vie et de mort pour faire apparaître ce qu’est une vie ressemblant à la mort. Eléments d’introduction : La fable appartient au sous genre de l’apologue : à travers un récit plaisant, elle dispense au lecteur une réflexion relevant de domaines aussi variés que la religion, la politique, la morale… Héritée de l’antiquité dont elle constituait un genre mineur, elle acquiert ses lettres de noblesse avec La Fontaine auteur du XVIIème siècle pour qui le placere et docere est central qui, en s’inspirant d’Esope et de Phèdre, publie ses recueils en 1668 et 1678. Elles nous apparaissent aujourd’hui comme un condensé de la sagesse populaire. Les préceptes qui les accompagnent sont souvent devenus des proverbes ; nous avons tous appris dans notre enfance Le Lièvre et la Tortue ou Le Corbeau et le Renard et nous savons depuis que « Rien ne sert de courir/ Il faut partir à temps » ou que « Tout flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute ». L’admiration pour l’Antiquité explique que La Fontaine trouve une part de son inspiration dans des textes appartenant à des fabulistes ou à des « romanciers» antiques, eux-mêmes imprégnés des différents courants philosophiques. Il n’est donc pas étonnant qu’une réflexion portant sur le bonheur fasse référence aux stoïciens et aux épicuriens. Dans Le Philosophe scythe, l’auteur des fables met en scène la rencontre de deux personnages opposés en un court récit très animé terminé, comme de coutume, par une moralité. Situé dans une Antiquité imprécise, la scène explicite deux conceptions du bonheur et délivre une morale qui permet au lecteur de faire et de justifier son propre choix, guidé par le fabuliste. En prenant la parole en son propre nom, l’auteur expose ainsi ce qui lui semble donner un sens à la vie. le récit met en scène deux conceptions du bonheur quelle est la portée de l’enseignement proposé. Le récit d’une rencontre La fable est conçue comme le récit de la rencontre de deux personnages opposés, non seulement par leurs origines, mais aussi leurs comportements. Deux personnages opposés Ils sont présentés très tôt dans le texte. -Le premier ouvre le texte et figure, au début du vers 1, Un Philosophe; -le second, au début du vers 4, Un sage, avec une mise en valeur due à l’enjambement. =Ni l’un ni l’autre n’est identifié, mais ils sont l’un et l’autre caractérisés par des adjectifs et situés géographiquement. -Le premier personnage est signalé comme originaire de Scythie, région considérée comme rude et sauvage dans l’Antiquité : l’expression triste demeure (v. 21) confirme et explicite la notion d’austérité. -L’autre vit en Grèce. (opposition traditionnelle des lieux (pays barbare / pays civilisé) se retrouve dans l’opposition des caractérisations des personnages à l’adjectif austère (v. 1) répondent les images du jardin fleuri, qui connotent un bonheur simple et les termes satisfait et tranquille (v. 6). =Les deux personnages sont ainsi présentés d’emblée dans un système d’oppositions que souligne d’ailleurs l’énoncé des objectifs du philosophe: mener une vie plus agréable. L’opposition de nature et d’origine entre les deux personnages est renforcée par la mise en scène de leurs comportements. • Des comportements opposés L’opposition des comportements se révèle particulièrement bien dans la manière dont le premier applique les recommandations du second. Le lecteur perçoit également les différences à travers les activités du sage. - Celui-ci est présenté en train de jardiner (v. 7 à 12) : les termes jardin, beautés, arbres à fruit suggèrent un contexte édénique, heureux, serein. - La succession des verbes retranchait, émondait, ôtait suggère une diversité plaisante, des choix soulignés par ceci, cela, des hésitations, une activité réfléchie et tranquille. *En revanche, tout ce qui se rattache au philosophe, tout ce qui le concerne et permet de le voir en action, est antithétique. -Les termes qu’utilise le philosophe pour définir et caractériser, dans son intervention, les gestes du sage, ruine (v. 14), dommage (v. 16) (=termes de connotation violente, associés à l’idée de destruction et de saccage). -Les périphrases qui désignent la mort, faux du Temps (v. 17), et l’enfer, noir rivage (v. 18) (= sombres connotations). *le comportement du philosophe est caractérisé par une violence destructrice qui s’oppose au discernement du sage. -La tonalité hyperbolique de certaines expressions (à toute heure (v. 22), universel abatis (v. 24)) -l’anaphore de tout (V. 29), -la succession de négations des vers 27 et 28 =soulignent l’ampleur systématique des dégâts. -Les verbes coupe, taille, tronque, (qui reprennent ceux qui avaient été utilisés pour le sage) ont des connotations plus violentes, des sonorités plus dures, et figurent dans un contexte qui accentue leur valeur expressive. = Le passage souligne l’absence de discernement, de réflexion, l’application systématique et dogmatique (les prescriptions adressées aux amis) des conseils du sage. Le jeu des oppositions est enfin mis en relief par la structure même du récit et les modalités de la fable. Un récit court et vivant Le récit est construit comme une petite comédie de rencontre, qui suit une évolution temporelle et spatiale précise à l’intérieur d’un contexte qui, lui, n’est pas précisé. * l’entrée en scène » successive des deux personnages : *l’un vient chez l’autre, et en quatre vers, se trouvent précisés les lieux (départ et arrivée) et les circonstances (la recherche d’une vie plus agréable). *La présentation du sage, à l’imparfait, constitue un arrêt provisoire dans le récit, qui reprend au vers 8, puis laisse place à un dialogue (v. 14 à 20) exposant, sur le vif, deux points de vue opposés, l’un orienté vers la mort, l’autre orienté vers la vie. *La fin du récit souligne un changement de lieu: c’est cette fois le philosophe en action que voit le lecteur. Les modalités choisies, -récit au passé d’abord, avec insistance sur les actions, -puis récit au présent, avec la même insistance sur des actions comparables mais aggravées, -le dialogue intercalé = une grande efficacité. =Ils donnent à voir les personnages en action, les font entendre. =L’importance de ce qui est auditif et visuel confère au texte une grande vivacité, accentuée par sa brièveté et par la diversité métrique. =Cette diversité et le jeu des oppositions mettent en relief une double conception de la vie et du bonheur. Une double idéologie Si le récit met en scène deux personnages et des situations concrètes, on peut en faire une lecture métaphorique et voir, derrière chacun d’eux, une conception philosophique différente de la vie. Des références culturelles et philosophiques claires Le fabuliste met en situation deux personnages dont les origines et les dénominations sont, en quelque sorte, codées et explicitées partiellement par la moralité. le premier personnage // à un stoïcien. =Tout ce qui se rattache à lui connote en effet l’austérité et une certaine forme de violence: -choix du pays d’origine, -caractérisations, -comportement. Par son absence de nom, d’identité précise, il constitue une sorte d’archétype du destructeur de ce que la vie comporte d’agréments. De la même manière, l’autre personnage incarne les valeurs de l’épicurisme. -Le terme Grecs connote, au vers 3, une manière de vivre d’emblée plus civilisée. -Par ailleurs l’allusion au vieillard de Tarente, personnage des Géorgiques, renvoie plus précisément à la Grande Grèce (Sud de l’Italie), et à une certaine image de la civilisation méditerranéenne opposée aux brumes et à la rigueur des bords du Danube, image traditionnelle de cette région dans la littérature antique. D’un côté, brume obscurité, froid, sévérité, / de l’autre soleil et lumière, joie de vivre et bonheur. = Ces codes culturels permettent de mieux comprendre les deux conceptions mises en parallèle. Deux conceptions différentes de la vie et du bonheur Même si on ne les associe pas au stoïcisme et à l’épicurisme, comme y invite la « codification» du texte, il est facile de voir qu’il s’agit là de deux conceptions différentes de la vie, de la mort et du bonheur. La première est caractérisée par l’image de la satisfaction tranquille (v. 6): plaisirs du jardinage, qui sont autant ceux de l’esthétique, rappelée par le mot beautés (y. 7) et par le verbe corriger (y. 11) qui implique des choix et une orientation humaine imposés à la nature. =Le bonheur simple réside dans l’image d’une vie elle-même bien organisée, ce qui apparaît dans la réplique du sage : ses gestes ont pour objectif un bien plus grand, un épanouissement (v. 19-20). Par opposition, la conception développée par le scythe est rigoriste, dogmatique, intransigeante. Dans le même contexte du jardin, il s’agit d’abord d’un refus catégorique du comportement observé. Les injonctions des vers 16 et 17 (Quittez, Laissez) insistent sur une acceptation des lois de la nature et soulignent que le scythe récuse l’exemple du sage grec. =La tonalité sombre du discours, avec ses images négatives montrent une soumission que le philosophe, rentré chez lui ne respecte pas, puisqu’il finit par suivre les leçons du sage. Au bonheur tranquille de l’homme qui veut cultiver son jardin s’oppose la violence de qui, par manque de mesure, intransigeance finit par détruire l’équilibre de son environnement naturel et humain (insistance sur la destruction dans les vers 22 à 29). La leçon À observer le texte de près, le lecteur prend conscience qu’il comporte en réalité trois niveaux de lecture : -les deux personnages incarnent deux thèmes philosophiques, deux conceptions de la vie mais celles-ci ne se limitent pas à une manière de vivre mais elles font référence à une psychologie et à une morale. Le fabuliste donne les clés de cette troisième lecture et fait comprendre en même temps de quel côté il oriente ses choix. Des choix personnels visibles -Le vocabulaire choisi, -les connotations =orientent le lecteur, avant qu’il n’arrive à la moralité, et l’influencent. = tout ce qui touche second personnage présenté est connoté de manière positive. Le terme de « sage » par rapport à « philosophe » induit l’idée plus précise d’un art de vivre, d’une réflexion mise en pratique. D’autre part le vers 5 a son balancement régulier, l’anaphore du mot « homme » et la double comparaison avec les rois et avec dieux met très clairement en relief une situation enviable de bonheur, de plénitude, de perfection La comparaison est d’ailleurs confirmée et prolongée, par la comparaison du vers 6 (comme ces derniers) la moralité, en exposant la conception stoïcienne, définit, a contrario, la conception épicurienne. -La première étant présentée de manière très négative (reprise du verbe retranche insistance sur la disparition des Désirs, des passions de l’agrément), la seconde se trouve de ce fait indirectement mise en valeur Quant à la manière de comprendre l’allégorie du scythe, elle est explicitée dans la première partie de la moralité. Le lecteur comprend alors que les arbres et le jardin sont eux aussi métaphoriques, et qu’il faut les prendre dans leurs analogies avec la nature humaine, le coeur, le corps et l’âme. Les termes âme, Désirs, passions renvoient à la spiritualité et à la psychologie de l’homme, mots bon et mauvais (v. 32) ajoutent des connotations morales. Une prise de position personnelle Le point de vue du fabuliste, d’abord suggéré, exprimé de manière directe dans la deuxième partie de la moralité puisqu’il emploie le je pour signaler de quel côté va sa préférence. Ce n’est en réalité qu’une manière d’insister sur ce que le lecteur a déjà compris, et une façon de l’expliciter en donnant l’ultime clé de la fable et la leçon finale : ce sont les épicuriens qu’il faut suivre, parce qu’ils apprennent à vivre agréablement, tandis que les stoïciens font de la vie une mort anticipée. La prise de position est allégorique : on observe la force du verbe réclamer celle du dernier vers. Elle vient de la régularité des deux hémistiches, au rythme bien marqué par le nombre important de monosyllabes, et de la position des deux termes antithétiques (vivre / mort). Le vers sonne comme un proverbe, comme une vérité générale, avec une grande force critique due au présent et à la négation. CONCLUSION Philosophique et morale, la fable du philosophe scythe est un exemple particulièrement réussi de récit allégorique. La narration entrecoupée de dialogue permet une mise en scène elle-même vivante, comparable à un passage de comédie. Les personnages et leur contexte, l’intemporalité attirent l’attention sur une interprétation qui donne à choisir entre deux manières de vivre. Mais l’allégorie du jardin cache elle-même une autre signification, que donne enfin la moralité. Ce sont deux conceptions de l’homme qui ‘affrontent et deux morales. Chacun peut adopter celle qu’il préfère, mais le fabuliste accorde à la vie plaisante une importance qui vaut la peine d’être remarquée dans un siècle moraliste et janséniste. Et, au-delà de l’Antiquité, qui sert de cadre et de référence, et du siècle classique, qui est celui de l’auteur, la leçon, vaut à toute époque : elle apprend qu’une morale souriante et humaine est toujours préférable à l’intransigeance des puristes. On peut rappeler ici à quel point La Fontaine rejoint Molière dans ce choix d’un art de vivre.