Les thérapeutiques nutritionnelles à domicile
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Les thérapeutiques nutritionnelles à domicile
LES THERAPEUTIQUES NUTRITIONNELLES A DOMICILE Indications, apports, techniques, produits, surveillance et complications. Jean-Louis BORNET * La dénutrition est la maladie la plus fréquente elle est souvent associée à d’autres pathologies dont elle peut être la cause ou la conséquence. La dénutrition est toujours grave et doit être prévenue, dépistée et corrigée. L’objectif de la thérapeutique nutritionnelle est de couvrir les besoins nutritionnels (caloriques, azotés, hydro électrolytiques, vitaminiques et en oligo-éléments) de chaque patient et de corriger les déficits ou carences patents ou latents. Pour cela, il existe trois modalités thérapeutiques qui peuvent être mise en œuvre à domicile. Chaque technique doit être indiquée en fonction de l’accessibilité et de la fonctionnalité du tube digestif. Il s’agit de : - la complémentation nutritionnelle orale (CNO) - la nutrition entérale (NE) - la nutrition parentérale (NP) Ces différentes thérapeutiques nutritionnelles ne sont pas concurrentes, mais complémentaires. Elles peuvent être utilisées simultanément ou successivement chez un même patient. Pour chacune de ces techniques, il existe un cadre règlementaire permettant une prise en charge par l’assurance maladie des produits et de leur administration à domicile. I LA COMPLEMENTATION NUTRITIONNELLE ORALE Les CNO sont des préparations «industrielles» prêtes à l’emploi, de compositions constantes et précises. Ils appartiennent à la catégorie des Aliments Diététiques Destinés à des Fins Médicales (ADDFMS). La complémentation nutritionnelle orale et la technique nutritionnelle efficace, simple, peu onéreuse, entraînant peu ou pas de complication qui doit être utilisée en première intention. Les CNO doivent être pris tels des médicaments et être adaptés aux pathologies et aux goûts de chaque patient. Les CNO sont perçus de façon fondamentalement différente par le médecin (prescripteur) ou le patient (consommateur). Le prescripteur aborde les aspects médicaux et scientifiques, alors que le patient, en apprécie les qualités organoleptiques (psychosensorielles). Pour le prescripteur, le choix du CNO est défini par 8 critères : nature des protéines, densité énergétique, osmolarité, présence ou non de lactose, de gluten, de fibres, présentation commerciale, préférences aromatiques du patient. * Unité Transversale de Nutrition Clinique et Centre Agréé de Nutrition Parentérale à Domicile de l’Adulte. CHU Rangueil. mail : [email protected] En pratique, on peut classer les CNO en 4 catégories : - Hypercalorique hyperprotidique. Hypercalorique normoprotidique. Destinés aux diabétiques. Immunonutrition (indication péri-opératoire exclusive). Les CNO doivent être consommés : frais, à petites gorgées ou à la paille et à distance des repas. Contrairement à une idée largement répandue la consommation de CNO n’entraîne pas de réduction de la prise alimentaire. La prescription de CNO n’est légitime qu’après optimisation de l’alimentation orale (alimentation enrichie et en prises fractionnées) et pour une consommation effective minimum de 2 unités par jour. La prescription de CNO, qui est un acte médical, doit être accompagnée d’une évaluation répétée des rapports « bénéfice / coût » et « efficacité / coût » objectivant les efforts fournis par le patient, les bénéfices thérapeutiques obtenus et la pertinence de la prescription. Les CNO ne sont en aucun cas des substituts de repas ; ils doivent être pris entre les repas, en plus des repas. En cas d’échec de la complémentation orale, une NE ou une NP est indiquée jusqu’à ce qu’une alimentation orale (associée ou non à des CNO) efficace soit restaurée. Il faut garder en mémoire que pour un patient sans appétit, manger est un défit quotidien qui mérite tous nos encouragements. Information + compréhension + motivation = compliance = consommation. Pour le patient à domicile la prescription de CNO, qui sont inscrites à la LPP, peut, sous conditions d’indications, être prise en charge par les Caisses d’Assurances Maladies. II LA NUTRITION ENTERALE La nutrition entérale (NE) consiste à administrer, de manière passive, un mélange nutritif dans le tube digestif, par l’intermédiaire d’une sonde. Cette modalité nutritionnelle est plus physiologique que la NP, c’est la technique de nutrition de choix lorsque le tube digestif est fonctionnel et que l’alimentation orale (associée ou non aux CNO) ne permet pas couvrir les besoins nutritionnels d’un patient. Au cours des 20 dernières années, la NE a bénéficié d’améliorations technologiques considérables concernant les mélanges, la voie d’abord digestive, les modes d’administration ainsi que de l’encadrement règlementaire pour la prise en charge à domicile. La NE utilise des Aliments Diététiques Destinés à des Fins Médicales Spéciales (ADDFM.S) conditionnés en poches closes, stériles et administrées via une sonde, par gravité ou à l’aide d’un régulateur de débit. L’indication de l’accès digestif, par sonde nasodigestive (extrémité distale en site gastrique le plus souvent ou jéjunal exceptionnellement) ou par sonde de stomie (gastrotomie ou jéjunostomie) dépend de la durée prévisible du traitement. Si celui-ci est inférieur à 1 mois, indication d’une sonde nasogastrique en silicone ou en polyuréthane exclusivement et de charrière égale ou inférieure à 12. Si le traitement a une durée prévisionnelle supérieure à 1 mois la gastrotomie (per-endoscopique : GPE, radiologique : GPX ou parfois chirurgicale) est indiquée. La NE cyclique (sur quelques heures par nycthémère) est la technique de choix chez le patient ambulatoire ou à domicile. Son efficacité nutritionnelle est équivalente à la NE continue (sur l’ensemble du nycthémère) et respecte l’oralité du malade. Tous les produits de NE sont stériles et conditionnés dans des emballages souples raccordables à l’abord digestif (incompatibles avec l’administration parentérale), sans saveur, sans lactose et sans gluten. Aucun supplément ou aucun médicament ne doit être rajouté dans la poche de NE. On distingue en fonction du degré d’hydrolyse des protéines : mélanges polymériques qui contiennent des protéines entières et mélanges semi-élémentaires à base de petits peptides. Actuellement on distingue les produits standards (plus ou moins concentrés) et les produits spécifiques pour des maladies ou des situations pathologiques particulières. Les mélanges polymériques comprennent : - - - - - Les mélanges normo-énergétiques. Il apporte 1 kcal/ml et sont iso-osmolaires au plasma. Ce sont les mélanges les plus fréquemment utilisés. Leur composition est complète et équilibrée ; ils assurent, pour un apport égal supérieur à 1 500 kcal, une ration en vitamines et oligo-éléments correspondant aux recommandations nutritionnelles pour le sujet en bonne santé. Les mélanges hypo-énergétiques qui apportent 0,5 à 0,8 kcal/ml. Ils permettent un apport liquidien important sans augmenter la charge énergétique. Ils peuvent être associés à des mélanges normo-énergétiques afin d’augmenter l’apport liquidien sans augmenter la charge calorique. Les mélanges hyper-énergétiques. Ils apportent plus de calories pour la même unité de volume (de l’ordre de 1,5 kcal/ml). Leur indication est essentiellement chez des malades présentant une rétention d’hydrique d’origine cardiaque, rénale ou hépatique. Leur utilisation impose une surveillance clinique et biologique précise. Les mélanges hyper-protéiques et hyper-protéino-énergétiques dont la teneur en protéine est plus élevée (> à 20% de l’apport énergétique total) sont utilisés chez les malades agressés ou sur les sujets âgés dont les besoins protéiques sont proportionnellement plus élevés. Les mélanges enrichis en fibres alimentaires pour lesquels le rationnel d’utilisation repose sur la normalisation du transit intestinal. Les mélanges semi élémentaires : Ces mélanges nutritifs apportent des protéines sous forme de petits peptides et des lipides en grande partie sous forme de triglycérides à chaînes moyennes. Ces produits sont dépourvus de fibres alimentaires et leur osmolarité peut être supérieure à celle du plasma. Leur indication est réservée aux patients représentant une pathologie digestive sévère avec malabsorption et aux patients sévèrement agressés. Il existe des mélanges : • • • adaptés pour les porteurs de maladie de Crohn, ces mélanges sont enrichis en cytokines anti-inflammatoires. spécifiques pour les patients diabétiques, pauvres en sucres simples, lipides saturés et lipides poly-insaturés. spécifiques pour les patients présentant des escarres qui sont enrichis en micronutriments antioxydants (Arginine, Zinc, vitamines A, C et E) qui favoriseraient la cicatrisation. Les principales complications de la NE sont d’ordre mécanique : inhalation bronchique, obstruction (défaut de rinçage), migration de la sonde (défaut de fixation), érosion ou infection du site d’insertion ; ou digestifs : trouble du transit : diarrhée (débit, osmolarité, traitements associés…) ou constipation (déficit en fibre ou en hydratation…). La NE est préférable à la NP qui est moins physiologique, beaucoup plus coûteuse, dont les complications sont plus fréquentes et plus graves et dont les indications chez un malade à tube digestif fonctionnel doivent être réservées aux échecs d’une N.E. bien conduite. A domicile la prescription indissociable du mélange de nutrition entérale et de la prestation technique nécessaire à sa fourniture et à son administration, par un médecin hospitalier, permet la prise en charge par les caisses d’assurance maladie, sous conditions de prescription et de suivi. III LA NUTRITION PARENTERALE La nutrition parentérale (NP) consiste à l’apport de mélanges nutritifs par voie intraveineuse (voie veineuse centrale le plus souvent, voie veineuse périphérique exceptionnellement). La NP doit être complète et apporter les 3 macronutriments (azote, glucide, lipide), mais aussi systématiquement, électrolytes, vitamines et oligo-éléments. Ces différents composants doivent être apportés dans des proportions quantitatives et qualitatives équilibrées. Lorsque les besoins nutritionnels d’un patient sont couverts par la seule NP on parle de NP totale ou exclusive. Si ses besoins nutritionnels sont couverts par l’administration simultanée d’une alimentation orale et /ou d’une NE associée à la NP, on parle d’assistance nutritionnelle parentérale. Enfin, on peut distinguer la NP à court terme (durée inférieure à 10 à 14 jours) qui n’a pas d’indication à domicile, la NP à moyen terme d’une durée comprise entre 14 jours et 3 mois et la NP à long terme d’une durée supérieure à 3 mois. Les mélanges nutritifs : Ce sont des mélanges ternaires comportant (azote, glucide et lipide) en poches tricompartimentées (à reconstituer avant perfusion) ; chaque poche doit être obligatoirement supplémentée en vitamines et oligo-éléments avant administration. La gamme de mélanges disponibles pour la NP à domicile (NPD) est vaste et permet des apports quotidiens et par poche de 900 à 2 400 ml, de 3,6 à 13,2 g d’azote et de 520 à 2 080 kcal glucido-lipidiques. Aucune de ces poches ne contient de vitamines ni d’oligo-éléments. Dans l’idéal la voie veineuse centrale (cathéter à émergence cutanée et tunnélisé) ne doit être utilisée que pour la NPD. La pose d’un Port-A-Cath pour NPD n’est pas recommandée. L’administration cyclique nocturne sur 12 à 14 h est fortement recommandée (rinçage du cathéter par du sérum physiologique entre 2 perfusions). L’administration par pompe est obligatoire pour la NPD par voie veineuse centrale. La NPD par voie veineuse périphérique n’a pas indication à domicile. Les complications de la NP sont plus fréquentes et plus graves que celles de la NE Ce sont des complications mécaniques liées au cathéter (lors de la pos, ou de l’utilisation : rupture, occlusion…) ; des complications médicales dont la plus fréquente est l’infection liée au cathéter (prévention active par respect strict de procédures de branchements et débranchements validées) ; l’hypoglycémie, l’embolie gazeuse, la thrombose veineuse cave supérieure, les complications hépatobiliaires, les déficits en micronutriments. A domicile le cadre règlementaire de la prestation pour NPD par poches multicompartimentées n’est pas encore sorti. Toute NPD doit être prescrite par ou sous le contrôle d’un spécialiste. Pour la NPD de longue durée (supérieure à 3 mois) le recours à un centre expert est obligatoire. CONCLUSIONS Pour toute nutrition artificielle à domicile (NAD), comme pour tout traitement, une information du patient sur les objectifs, les modalités, les bénéfices escomptés et les risques de la technique est indispensable. L’efficacité et la tolérance de la NAD dépendent de la pertinence de l’indication, du choix raisonné du mélange nutritif prescrit et de la rigueur des procédures d’administration et de surveillance. Une évaluation et une surveillance répétées de l’état nutritionnel et des besoins nutritionnels sont indispensables permettant d’adapter les apports nutritionnels aux besoins, de s’assurer que les objectifs nutritionnels fixés sont atteints, de détecter les carences ou surcharges caloriques, azotées ou en micronutriments. Le concours d’une équipe de support nutritionnel, pour établissement des protocoles, des procédures et des fiches techniques, ainsi que pour la prise en charge des patients instables ou ayant des besoins nutritionnels spécifiques ou de longue durée, est un atout incontestable. Références : - Questions de nutrition clinique de l’adulte à l’usage du praticien. SFNEP, édition K’Noë, 2006 - Traité de nutrition artificielle de l’adulte. SFMEP SPRINGER-VERLAG France, Paris, 2007 - Guide de bonne pratique de nutrition artificielle à domicile. SFENP, édition K’Noë, 2005.