Avance pages APM Fait du jour

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Avance pages APM Fait du jour
Le Fait du jour
L’ « ubérisation » des
Partager un appartement, un bateau, une voiture, une place de parking : votre été sera
collaboratif ou ne le sera pas. La « Ubérisation » est en marche. Mais est-ce une bonne chose ?
C
e n’est pas une tendance. C’est une lame
de fond. La « Uber
économie », du nom de la
world company qui a dynamité le marché des taxis,
est en train de bouleverser
les codes de notre société.
On l’a vu avec les taxis, l’hôtellerie, la location de voitures, le covoiturage, et maintenant les bateaux, les outils de bricolage, la santé,
etc. Nos vacances ne vont
pas y échapper.
L’économie collaborative
née dans les années 1990
avec Ebay, est déjà solidement implantée dans notre
département. Rien que sur
Nice, Airbnb, le site qui propose à chaque particulier
de louer son appartement à
la nuit, affiche plus de 2000
références. Mais on pourrait également citer « Oudormir », « Housetrip »,
« Homelidays » ou encore
« Windu ». Un coup dur
pour l’hôtellerie. « Cette concurrence inégale nous préoccupe », confirme Michel
Tschan, président du syndicat des hôteliers. « Ces particuliers ne sont pas soumis
aux mêmes contraintes légales que nous en matière
de sécurité, d’accueil des
handicapés, etc. »
Idem dans le secteur de la
navigation de plaisance.
Des centaines de bateaux
sont déjà en location cet
été à Nice, Cannes, pour
des tarifs souvent 30% infé-
rieurs à ceux de professionnels totalement désemparés et en colère (lire par
ailleurs). Vous pouvez également partager un voyage
en voiture avec des sites
comme BlablaCar. Vous
avez du temps libre pour
bricoler pendant les vacances ? Avec « bricolib.net »,
vous trouverez des perceuses à 5 euros par jour dans
les Alpes-Maritimes !
Un capitalisme...
sans capital
Doit-on s’en réjouir totale-
ment ? Où existe-t-il une
face cachée ? C’est ce que
pense en substance Rémy
Oudghiri, directeur général
adjoint de Sociovision. Sa
société, qui étudie depuis
des années les habitudes
de consommation des Français, a publié le 7 juillet dernier une étude sur la question. « On s’aperçoit qu’un
certain nombre d’emplois de
l’économie traditionnelle disparaissent ou sont profondément menacés. » L’économie collaborative n’hésite
par ailleurs pas à s’affran-
chir de la légalité, comme
avec UberPop; à concurrencer des secteurs soumis à
des règles très strictes; à
surfer aux limites de la sécurité; et propose des emplois extrêmement précarisés.
Autre point noir, les revenus encaissés par les particuliers sont loin d’être toujours déclarés, échappant
ainsi à l’impôt.
L’économie collaborative
pousserait même, paradoxe
notable, la logique capitaliste à son paroxysme.
« L’ubérisation de l’économie, c’est le capitalisme sans
capital, souligne le chercheur et économiste, Philippe Moati, enseignant à
l’université Paris-Diderot.
Les voitures n’appartiennent
pas à Uber, les appartements
de AirBnB sont la propriété
de ses clients. C’est le comble du cynisme. D’autant que
c’est souvent une mise au
travail des individus en dehors du cadre légal. »
Cette « ubérisation » va-telle tout emporter ou simplement s’installer en
jouant des coudes auprès
des acteurs traditionnels ?
Il est trop tôt pour le dire.
« Là où c’est peut-être intéressant, c’est que cela peut donner des idées aux acteurs
traditionnels pour réviser
leur manière de faire, complète Philippe Moati. Aujourd’hui acheter un bien
neuf et ne l’utiliser que quelque fois ne va pas dans le
sens de l’histoire. D’autant
que la qualité qu’on prétend
nous vendre n’est pas toujours au rendez-vous. La société de consommation est finalement assez déceptive.
Et derrière cette révolution
des esprits, se cache aussi
l’enjeu majeur du développement durable. »
François-Xavier Leduc, 32
ans, co fondateur de
Trip&Drive, qui vient d’ouvrir une plate-forme à Nice,
croit à une complémentarité de ces deux dynamiques économiques. « Certains modèles vont mourir
car incapables de s’adapter,
analyse-t-il, mais il faut réussir à construire un modèle
économique qui intègre ces
deux pans pour pouvoir être
plus efficaces. »
Tout reste à réinventer et à
imaginer. Et c’est finalement
très enthousiasmant.
DOSSIER :
GRÉGORY LECLERC
[email protected]
Photo DR
Questions à Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de Sociovision
« Une déstabilisation de l’économie traditionnelle »
Que recouvre la
« ubérisation » de
l’économie, dont parle
votre étude ?
D’autres appellent ça
l’économie du partage. Il
y a quelques années
c’était une nouvelle
façon de voir le monde. Il
y a deux, trois ans, on ne
voyait que les aspects
positifs de cette
tendance, avec le
partage, l’échange avec
les autres. Aujourd’hui
on parle de
« ubérisation », avec
parfois une connotation
négative.
Pourquoi ?
On s’aperçoit qu’un
certain nombre d’emplois
de l’économie
traditionnelle
disparaissent ou sont
profondément menacés.
C’est très vrai dans
l’hôtellerie. On le voit
dans le domaine des
transports, comme les
taxis, la SNCF. L’enjeu de
cette étude était de
montrer qu’à côté des
effets positifs et
nouveaux, cela
questionne aussi une
série de principes,
notamment sur le droit
du travail.
Est-ce une évolution ou
une régression ?
Les deux, et c’est cela qui
est difficile. En tant que
consommateur c’est un
progrès. Vous
économisez de l’argent et
vous êtes dans des
solutions moins
polluantes. En même
temps c’est une vraie
régression du point de
vue du salarié.
La crise est-elle un
accélérateur de ce
mouvement ?
Les deux accélérateurs
sont les avancées
technologiques avec
Internet et la crise,
effectivement.
vu avec l’industrie de la
musique. Elle a été
fortement touchée par le
peer-to-peer. Les gens ne
se sentent pas coupables
de télécharger des
contenus. Mais tout est
paradoxal. Les Français
sont attachés à la
présence physique dans
les magasins. Mais quand
on leur propose des
solutions pour faire
moins la queue, aller plus
vite, ils les plébiscitent.
Vous décrivez dans votre
enquête des Français de
plus en plus impatients,
francs-tireurs ….
Il est vrai qu’ils sont
devenus plus
indépendants ces
dernières années. On l’a
Les Français sont donc
prêts à casser les codes ?
Plus particulièrement
chez les jeunes. Cette
génération a grandi dans
un contexte où beaucoup
de choses étaient
disponibles
immédiatement, sans
payer. Je ne me permets
pas de juger. Il y a des
choses extrêmement
modernes, dont on voit
mal comment on pourra
les arrêter. Mais de
l’autre cela porte en
germe une
déstabilisation, voire une
destruction de tout un
pan de l’économie. Les
hommes politiques
commencent à le réaliser.
Mais ils ont pris le train
en marche.
Quels sont les risques ?
Certains affirment que le
contrat à durée
indéterminé, c’est le
passé. Et que tout le
monde s’organisera par
tâche. C’est la version
optimiste. Tout le monde
ne peut être son propre
entrepreneur.
C’est ce que vous
appelez dans votre
enquête la freelancisation de la société
?
Exactement.
L’entrepreneuriat est
important, il faut le
favoriser. En revanche,
que la free-lancisation
devienne l’horizon de
tout un chacun cela ne
correspond pas aux
mentalités d’aujourd’hui
ni aux possibilités de
notre société. La
ubérisation ce sont des
emplois plus précaires,
morcelés.
Le Fait du jour
vacances bat son plein
Carton de l’été : la location de bateaux
C’est le nouvel eldorado du
collaboratif. Les sites de location de bateaux entre
particuliers connaissent un
boom
spectaculaire.
Click&Boat revendique
ainsi plus de 200 bateaux
dans les Alpes-Maritimes.
« Cobaturage.fr », créé par
des Toulonnais enregistrerait lui trente nouvelles inscriptions chaque jour.
Des milliers de bateaux
dorment dans les ports,
sans presque jamais sortir.
Rajoutez la pénurie de places, et tout semble réuni
pour que ce marché connaisse une croissance exponentielle. L’arme fatale,
c’est la possibilité de noter
le propriétaire, ou le locataire. Et cela rassure beaucoup les consommateurs.
De nombreux sites surfent
donc sur cette vague.
C’est Aurélian Petit, Toulonnais de 30 ans, qui a eu
l’idée de « cobaturage.fr »
lorsque ses parents se sont
séparés de leur bateau. « Si
à cette époque notre site
avait existé, mon père aurait pu se faire aider à manœuvrer son bateau pour
sortir en mer mais également recevoir un soutien financier en recevant une petite participation aux frais
de bord. »
Avec Guillaume Deloffre,
autre toulonnais, il a donc
créé cobaturage.fr en 2014.
Un site gratuit de mise en
ronde), assumant la défense des professionnels, a
opté pour une solution radicale. Il a interdit la location entre particuliers, sous
peine de perdre sa place de
port
«En ce moment
c’est l’ébullition»
Aurélian Petit et Guillaume Deloffre, co fondateurs toulonnais de « cobaturage.fr ».
(Photo DR)
relation de plaisanciers et
de particuliers. Il compte
désormais, selon ses fondateurs, 1700 inscrits et
plus de 200 trajets proposés, comme des sorties de
Hyères à Porquerolles, ou
aux îles de Lérins.
Aurélian Petit voit son site
comme un réseau communautaire. Sur les 1700 inscrits, 15 % sont des AlpesMaritimes, et près de 35%
du Var. Un joli succès qui
s’internationalise. « Cobaturage » va ouvrir ses services aux îles françaises.
Des professionnels
en colère
Ces sites qui viennent boulotter des parts de marché
agacent fortement les professionnels de la location.
« Ces bateaux loués à des
clients ne sont pas forcément tous en état de naviguer, explique Franck Winterhalter, gérant de Boat
Evasion, à Cannes. Nous,
nous sommes soumis à des
contrôles des Affaires maritimes. On me demande les
carnets d’entretien et on me
les vise. Nos révisions sont
soignées, le matériel de sécurité correspond à la législation. Mais pour un particulier ? Je trouve que le risque
encouru ne vaut pas la différence de prix. Mais aujourd’hui, les gens n’achètent plus une prestation, ils
achètent un prix. » Certains
de ses clients ont déjà fui
vers ce genre de solutions.
Franck Winterhalter craint
pour l’avenir. « A un moment donné si on loue
moins on embauchera
moins. »
Le port d’Arcachon (Gi-
« Pas de concurrence aux hôtels»
C’est le deuxième été que
Anne-Sophie Côte, 29 ans,
loue son appartement.
Quand on écoute cette
jeune Niçoise, entraîneur de
natation synchronisée, c’est
une hôtelière en herbe
qu’on entend. «Je ne loue
que pendant la saison estivale. Pas forcément à la semaine, j’ai des gens qui viennent pour deux ou trois nuits.
Ce n’est pas forcément évident car il faut être disponible
pour le ménage, les remises
de clés, etc. » Son deux pièces de 48 m2, avec cuisine
américaine, est situé à quelques pas du tramway, pas
très loin de l’avenue de la
République, quartier proche du Vieux Nice. Elle le
loue 65 euros la nuit pour
deux ou trois personnes
maximum. Les vacances ?
«Je partirai fin août. Elles seront payées par l’argent que
me rapporte le site. » Une
partie servira également à
Anne-Sophie Côte,  ans, loue son appartement
niçois de  m chez Airbnb.
(Photo G. L.)
réaliser des travaux.
La jeune niçoise avoue gagner environ 2000 euros
pour l’été. Une somme
qu’elle déclare aux impôts.
Ses locataires sont Français,
Chinois (« beaucoup »), des
Macédoniens, des Américains, des Canadiens. Pourquoi ne pas le louer dans
une agence immobilière?
«J’évite les frais. Il est vrai
qu’une agence immobilière
s’occupe de tout, mais là je
conserve ma liberté. Si une
semaine je ne veux pas le
louer parce que j’ai de la famille qui vient, c’est pratique. Je voyage aussi beaucoup avec Airbnb. Les tarifs
sont intéressants. »
Anne-Sophie sait se faire
commerciale. « Le tarif est
conseillé par le site. Moi je
suis un peu en dessous du
prix conseillé car je n’ai pas
la clim, mais on est à deux
pas de la place Garibaldi. Si
je vois qu’il y a des nuits sans
personne, je diminue les prix
pour faciliter la location. La
semaine dernière je suis
ainsi passée à 50 euros la
nuit. »
Anne Sophie voit en l’économie collaborative une solution économique. Elle pratique déjà le covoiturage.
« Les gens vont de plus en
plus se tourner vers cela.
Tant mieux. Je n’ai pas le
sentiment de faire concurrence aux hôtels. Ce ne sont
pas les mêmes prestations.
Et cela permet aux familles à
petits budgets de partir en
vacances. Ils ont la cuisine,
ils n’ont pas besoin de manger au resto midi et soir.»
Mais il pourrait reculer rapidement face à la mobilisation massive des défenseurs des libertés individuelles et des plaisanciers.
Jérémy Bismuth, 29 ans, cofondateur de « Click&boat »
ne voit pas le mal dans tout
cela. « Nous ne sommes pas
là dans une approche marchande. Quand on voit ce
que coûte un bateau, les
montants des locations encaissés par nos propriétaires sont plus là pour financer
l’entretien ou la place de
port. Personne n’est là pour
gagner de l‘argent. »
Lancé en 2013, Click&Boat
affiche près de 2000 bateaux en France et 150 000
membres. 218 dans les
Alpes-Maritimes, dont 45
rien que sur Cannes. « Nous
sommes la seule appli mobile qui permette de réserver
un bateau un mois ou dix
minutes avant. En ce moment, c’est l’ébullition », se
réjouit le cofondateur.
Click&Boat propose également des navigations avec
le propriétaire à bord.
Et il empiète même sur le
secteur de l’hôtellerie en
proposant une location à
quai. « Pendant le festival
de Cannes, par exemple, les
locataires ont pu dormir
dans le Vieux port pour 100
euros la nuit. Une solution
économique et originale »,
s’amuse Jérémy Bismuth.
Donner les clés de son bateau pour naviguer ou
juste pour dormir, la tendance de l’été.
(Photo F. C.)
Votre voiture louée
pendant vos vacances !
Avez-vous déjà laissé votre
voiture sur le parking de
l’aéroport et pris l’avion ?
Tripndrive est parti de ce
constat fait par FrançoisXavier Leduc, 32 ans, l’un
des co fondateurs du site
avec Nicolas Cosme et Arthur Keyzer. L’un est de
Paris, l’autre du Mans, le
dernier de Marseille. « Je
me suis dit que des milliers
de voitures dormaient sur
les parkings des aéroports
alors que pendant ce tempslà des loueurs travaillaient », explique François-Xavier Leduc. Tripndrive.com se fait donc fort
de louer votre voiture pendant que vous voyagez.
Pour des prix, affirme son
fondateur, quatre fois
moins chers que ceux des
loueurs.
Originalité de la formule,
vous ne payez pas le parking. Tripndrive dispose
de ses propres emplacements. « Sur chaque site, il
y a un accueil physique. On
garantit le parking gratuit
que vous puissiez louer ou
non. » Conditions : avoir
un véhicule de moins de
douze ans et moins de 180
000 km. Une vérification
de vos papiers est également faite, afin de s’assurer que le véhicule vous
appartient bien. Le rendement moyen est de 200 €
pour le propriétaire de la
voiture pour cinq jours de
location.
« TripnDrive » a ouvert une
plate-forme sur l’aéroport
de Nice il y a un mois et
demi. Une quarantaine de
propriétaires ont déjà confié leur véhicule. Le site Internet propose 19 implan-