HISTOIRE DES ARTS, Arts plastiques – 3e Thématique
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HISTOIRE DES ARTS, Arts plastiques – 3e Thématique
HISTOIRE DES ARTS, Arts plastiques – 3e Thématique : La mémoire Sujet proposé en amont de l’étude de l’œuvre : LE SOUVENIR INVISIBLE Consigne : La production en 2D ou en 3D que vous réaliserez s’appuiera sur un souvenir réel ou fictif de votre vie d’élève dans le collège. Vous choisirez de la dissimuler dans un endroit précis de l’établissement de manière à en renforcer le sens. Œuvre étudiée : Les archives de C.B. 1965-1988, de Christian Boltanski, 1989. Vue de l’installation 1 - PRESENTATION DE L’ŒUVRE Nature : Installation Période : Contemporaine (après 1960) Lieu d’exposition : Centre Georges Pompidou Titre : Les archives de C.B., 1965-1988 Matériaux employés : Boîtes en métal contenant des documents divers, lampes de bureau, fils électriques. Dimensions : 270x693x35 cm Auteur : Christian Boltanski (né en 1944 à Paris), artiste français contemporain et professeur à l’école des Beaux-Arts de Paris. Portrait de l’artiste dans son atelier 2- DESCRIPTION Les archives… est une œuvre considérée comme une installation dans la mesure où elle est composée de divers objets assemblés et installés dans l’espace d’exposition, en tenant compte des données particulières du lieu, en l ’occurrence la cloison du couloir dans lequel elle est exposée au public au Centre Pompidou. L’œuvre se compose d’un assemblage de 646 boîtes en métal vieilli, chacune contenant des documents divers (photos, notes manuscrites, dessins…). L’ensemble est surmonté par 34 lampes de bureau dont les fils électriques pendent le long de l’installation. Elle mesure au total 2m70 de hauteur, presque 7 mètres de long, et environ 35 cm de profondeur. Il s ’agit donc d’une œuvre de grande envergure, quasi-monumentale. Hormis ses dimensions, à première vue, l ’œuvre n’est pas particulièrement spectaculaire. Elle est en effet composée d’éléments banals : boîtes de métal type boîte à biscuits rouillées, et lampe de bureaux telles que l ’on peut en trouver dans les administrations. Ce qui frappe donc en premier lieu, c’est l’aspect imposant de l’œuvre, qui s’érige devant le spectateur tel un mur ; puis c’est sa facture terne et passée, comme abîmée par le temps que l’on remarque. 3 – DEDUCTION ET ANALYSE Une réflexion sur le souvenir La boîte à biscuit : Pour mieux comprendre les intentions de l’artiste, arrêtons-nous d’abord sur l’emploi de la boîte à biscuits métallique qui constitue le matériau principal de l’œuvre. Cet objet est régulièrement utilisé par l’artiste dans la conception de ses œuvres de jeunesse, pour conserver et présenter notamment des objets-souvenirs. Dès la fin des années 6O, Boltanski fabrique de manière compulsive des petits objets à partir desquels il constitue des collections. L’idée d’accumulation est donc très vite à l’œuvre dans son travail de jeune artiste. Il possède en effet une fascination pour les collections et la mémoire véhiculée par certains objets. C’est suite à cela qu’il commence à utiliser la boîte à biscuits. Quoi de mieux en effet qui puisse symboliser à la fois le monde de l’enfance, la boîte à trésor et l’idée de classement ? On peut donc comprendre la présence de la boîte comme objet symbolique. Pour Christian Boltanski, elle représente à la fois le temps qui passe - notamment dans son aspect rétro et par l’usure du métal rouillé – et la conservation du passé. L’enfance : L’une des premières œuvres dans lesquelles Boltanski utilise la boîte à biscuit est d’ailleurs constituée d’un empilage de trois de ces boîtes dans lesquelles il dissimule des mini-sculptures reproduisant en pâte à modeler des jouets de son enfance. Cette sculpture intitulée Essai de reconstitution (Trois tiroirs) est aussi conservée au Centre Pompidou. Cette fascination pour le passé et pour le souvenir d’enfance notamment, remonte à 1969, date à laquelle il réalise un petit livre intitulé Recherche et représentation de tout ce qui reste de mon enfance. A partir de là, l’artiste va tenter à travers les objets, la photographie, les textes, de retracer son enfance et de faire en quelque sorte ressusciter le passé. Il n’hésitera pas parfois à s’inventer des vies et à jouer sur le caractère fictif et mensonger de l’image et de la mise en scène. Vitrine de référence, 1971 Boîte en bois peinte s ous plexiglas et contenant : photos, cheveux, bribes de vêtements de l’artiste, échantillon de s on écri ture, pa ge de s on l i vre de l ecture, entassement de 14 boulettes de terre, un piège composé de trois objets f a i ts de morcea ux de ti s s u, fi l de fer, épi ngl es ... Un monument à la gloire de l’ordinaire : Dans Les archives… Boltanski passe à l’étape suivante : il ne s’agit plus de réfléchir sur les souvenirs d’enfance, mais à sa vie d’artiste depuis ses prémices. En effet, les boîtes contiennent plus de 1200 photos et environ 800 documents divers qu’il rassemble en vidant son atelier, occupé depuis 1965. C’est ainsi presque vingt années de création qu’il compile dans des boîtes. L’assemblage de ces documents prend alors la forme d’une collection géante de souvenirs personnels de sa vie d’artiste, comme si le quotidien d’un individu pouvait devenir le constituant principal d’une œuvre d’art. Le mur ainsi érigé par l’empilage des 646 boîtes apparaît comme un monument commémoratif… à la gloire et à la mémoire de la vie ordinaire. Le mur : S’agit-il d’un mur du silence, composés de boîte qui contiennent beaucoup mais ne révèlent rien en restant ainsi closes ? Certains verront dans la forme du mur, une référence au mur de Berlin, dont la chute en 1989 concorde avec la date de création de l’œuvre. La conservation des données personnelles de l’artiste pourrait alors rappeler la surveillance étroite dont les citoyens d’Allemagne de l’Est faisaient l’objet par la Stasi - service de police de renseignements et d’espionnage de la République démocratique allemande (RDA). L’idée d’archivage, d’une collecte de renseignements froide, brutale sur la vie des individus est renforcée par la présence des lampes de bureau inquisitrices. Les lampes de bureau : En effet, ces lampes qui éclairent froidement la paroi de l’installation, renforcent l’aspect dramatique, grave et sérieux de l’œuvre, qui pourtant, ne contient que des restes, qui plus est invisibles directement par le spectateur. La présence de la lumière rappelle les reliquaires, ces objets précieux contenant des restes de saints exposés dans les églises souvent sous la forme de coffres ou de vitrines. Ainsi Boltanski souligne la dimension solennelle et sacrée de tout acte de mémoire. L’installation est éclairée tel un monument, la nuit dans un village. Elle prendrait d’ailleurs tout son sens exposée dans un espace obscur. Ce n’est pas le cas au Centre Pompidou, mais Boltanski utilisera ce dispositif dans des productions futures. L’invisible : Finalement, tout le concept de l ’œuvre réside dans l’invisibilité du souvenir. Seul le titre indique au spectateur ce que ces boîtes contiennent, mais nul n’est obligé d’y croire, Boltanski ayant l’habitude de s’amuser à mélanger fiction et réalité dans la mise en scène de ses souvenirs. C’est avant tout le contenant – les boîtes à biscuits rouillées – et sa présentation – monumentalité du mur et éclairage – qui entraîne le spectateur vers un voyage dans le temps. La boîte éveille la curiosité, son aspect vieilli encourage d’autant plus à s’interroger sur son histoire et sur les trésors qu’elle renferme. Quant à l’éclairage et aux fils électriques laissés nonchalamment pendus le long de la paroi, ils rappellent les rangées d’archives des sous-sols des centres administratifs : mairie, police, hôpitaux… où sont consignés, classés et archivés les détails de la vie d’un individu. De la petite histoire à la grande Histoire Boltanski produira plusieurs œuvres dans sa quête de reconstitution de souvenirs personnels, avant de s’intéresser à l’Histoire avec un grand H et à la mémoire collective. Cette autre préoccupation provient, selon l’artiste, de la nécessité d’entretenir le souvenir pour rester vivant. L’Homme sans passé, sans souvenirs, ne pouvant s’inscrire dans le temps présent. Boltanski souligne ainsi la nécessité de la conservation des souvenirs du passé et plus largement de l’entretien d’une mémoire collective pour la survie de l’Histoire et de l’Homme. On peut considérer que Les archives… est une œuvre qui s’inscrit entre ces deux périodes, elle fait le lien entre les œuvres de l’artiste traitant de la petite histoire et de la mémoire individuelle, et les productions à partir des années 90 qui posent la question de la mémoire collective et de la grande Histoire - celle de tous les hommes et pas seulement d’un individu. Après cette œuvre, Christian Boltanski né l’année de la libération en 1944 d’un père juif d’origine russe et profondément marqué par la Shoah, réfléchira à la question de la conservation de la mémoire des déportés, notamment des enfants, raflés par dizaines dans les écoles et les pensionnats*. Utilisant toujours la boîte pour construire des sculptures monumentales à la manière d’autels commémoratifs, il intégrera à ces productions de grands portraits photographiques en noir et blanc, anonymes, renvoyant à la figure de l’enfance perdue, oubliée ou disparue. Aujourd’hui, au-delà des nouveaux médias qui constituent ses œuvres, tels que la photographie et le son, il a toujours recours à des objets symboliques, tels que le vêtement, autre matériau de prédilection comme trace de mémoire et symbole de la mise en présence d’une absence. *Voi r à ce propos l e très beau film de Louis Malle, Au revoir les Enfants, s orti en 1987 et disponible en D.V.D.