Scène 1 - Carpe Diem
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Scène 1 - Carpe Diem
Léa Schneider M2 Information et Communication Conception de Produits Médiatiques Ecriture de scénario « Durch Den Monsun » Jean‐Christophe Dupuis‐Rémond UE 34 Sommaire Argument et Synopsis .......................................................................................... 3 Continuité Dialoguée ............................................................................................ 4 Note d’intention ................................................................................................. 17 Point de vue méthodologique ............................................................................ 19 2 Durch Den Monsun Argument Le leader d’un parti d’extrême droite autrichien est tiraillé entre sa relation homosexuelle cachée et sa carrière politique. Synopsis Jorg, leader d’un parti d’extrême droite, prononce un discours après de bons résultats aux dernières élections. Ce discours prend place lors d’un meeting dans lequel les partisans de même que les collaborateurs de Jorg sont particulièrement enjoués. On comprend que Jorg et l’un de ses jeunes collaborateurs entretiennent une relation homosexuelle. Juste après le meeting, dans le bureau de Jorg, celui‐ci est rejoint par Stefan, le jeune collaborateur en question. Celui‐ci, se sentant quelque peu délaissé, demande à Jorg de rendre leur relation publique. Jorg commence par objecter l’existence de sa femme et de ses enfants mais la discussion est interrompue par un proche de Jorg venant lui annoncer que Heinz‐Christian est dans le bâtiment et désire le rencontrer. Heinz‐Christian est le leader d’un autre parti d’extrême‐droite duquel Jorg faisait partie avant de créer son propre mouvement. Heinz‐Christian propose à Jorg de réunifier les deux partis au vu de leurs bons résultats respectifs, afin de créer une force politique encore plus puissante. On sent Jorg intéressé mais il ne donne pas de réponse d’emblée. Un peu plus tard, Stefan tente de relancer la conversation qui avait été interrompue. La réticence de Jorg se porte vite sur son parti et sa carrière politique, puisqu’il craint que l’aveu de son homosexualité ne lui coûte son électorat. Stefan rappelle à Jorg sa présence lors des moments importants de la vie politique de son amant, et le rôle de soutien constant qu’il a joué. Ceci donne lieu à un flash‐back : en 1999, le parti de Jorg faisait partie d’une coalition menant un homme, Wolgang, au poste de chancelier. Mais l’UE avait réagi violemment à la présence de l’extrême‐droite au pouvoir. Stefan avait soutenu Jorg dans cette période difficile. Le flashback se termine et la conversation reprend. Jorg n’entend rien aux arguments de Stefan et la dispute entre les deux hommes atteint son point culminant. Jorg annonce qu’il désire privilégier avant tout son parti et sa carrière politique, qui sont l’aboutissement de sa vie. Il refuse donc la requête de son amant et décide alors de mettre un terme à leur relation. Les deux hommes se séparent, Jorg s’installe au volant de sa voiture et démarre en trombe. Pendant qu’il roule, on aperçoit des scènes de bars et de soirées arrosées où l’on comprend que Jorg va noyer son chagrin. Il continue de rouler et alors que l’écran noir du générique apparaît, on entend un bruit d’accident de voiture particulièrement violent. 3 Scène 1 INT. JOUR, GRANDE SALLE DE CONFERENCE La première scène s’ouvre sur un meeting politique. Celle-ci se déroule de nos jours : le décor et les vêtements sont modernes. Cependant, elle est tournée et jouée à la façon d’un film du début du siècle dernier, en noir et blanc. Les dialogues ne sont pas prononcés mais affichés sur des cartons noirs entre les scènes jouées. On entend cependant en fond un bruit de foule. Sur le podium, un homme d’une cinquantaine d’année, habillé d’un costume bien taillé, svelte, le teint bronzé et en bonne santé, prononce un discours en gesticulant, dans un jeu exagéré. La foule est en liesse. Au mur sont affichées des banderoles « BZO », le nom du parti. Jorg, l’homme sur le podium, remercie la foule. Jorg (Carton noir) Grâce à vous, le parti a remporté plus de 10% des voix ! Nous comptons bien avoir notre mot à dire au gouvernement ! La foule, très joyeuse, acclame les paroles de Jorg. Celui-ci continue de gesticuler. Jorg (Carton noir) Sous le IIIème Reich, l’Autriche avait une politique de l’emploi convenable ! Nous ferons tout pour en faire autant ! La foule applaudit tandis que des collaborateurs de Jorg, au pied du podium, applaudissent tout en riant d’un air complice. Sur le podium, on voit Jorg continuer son discours puis pousser le public à scander sont slogan. Jorg (Carton noir) L’Autriche aux Autrichiens ! Parmi ses collaborateurs, un jeune homme regarde amoureusement Jorg, un sourire ravi sur les lèvres. Il est fin et élancé, ses cheveux clairs coupés au ras du crâne. La foule quant à elle continue de scander. Foule (Carton noir) L’Autriche aux Autrichiens ! La foule continue d’applaudir tandis que Jorg prend congé. 4 Jorg (Carton noir) Merci ! Jorg salue et descend du podium tout en saluant la foule. Stefan, le jeune homme qui le regardait, s’empresse de se joindre à ses côtés tandis qu’il quitte la salle accompagné de certains de ses collaborateurs. A l’intérieur, la foule scande toujours. Foule (Carton noir) L’Autriche aux Autrichiens ! Scène 2 INT. JOUR, BUREAU DE JORG Un peu plus tard, dans le bureau de Jorg. Cette scène est tournée en couleur, à la façon d’un soap-opera. Les dialogues sont prononcés par les acteurs qui surjouent à la fois dans les intonations et la gestuelle. Le bureau est décoré avec goût, dans des tons saumon. Les murs sont tapissés, il y a une moquette au sol. Les meubles (un bureau, des chaises, des étagères) sont anciens. Aux fenêtres sont accrochées de lourdes tentures. Le tout donne une ambiance feutrée. Jorg est de dos, face à la fenêtre par laquelle il regarde. Stefan entre dans le bureau sans frapper et sourit en voyant Jorg. Stefan Tu as été magnifique tout à l’heure… Ils t’adorent. Jorg se retourne en souriant. Jorg C’est aussi grâce à toi… Stefan s’approche de Jorg et esquisse une embrassade. Jorg se dérobe doucement. Jorg Pas ici… Stefan se renfrogne et se tourne vers la fenêtre tandis que Jorg s’éloigne pour aller s’installer à son bureau. Il commence à écrire quelque chose puis voyant Stefan silencieux, s’arrête. 5 Jorg Quelque chose te … tracasse, Stefan ? Tu sembles bien rêveur. Stefan (se retournant) Non… Enfin, oui. Tu sais j’aimerais parfois avoir plus de… considération de ta part. Je veux dire… pour notre relation. Je suis fatigué de me cacher, de toujours attendre les moments où nous sommes seuls pour t’embrasser. Ne pourrions-nous pas rendre cette relation publique ? Jorg se crispe et se tourne instinctivement vers une photo encadrée posée sur son bureau, sur laquelle on voit une femme blonde. Stefan avance rapidement vers le bureau et rabat le cadre dessus, de façon à ce que la photo ne soit plus visible. Stefan Pas ça, non ! Ne me parle pas de ta femme. Pas ce discours-là s’il-te plait. Pas celui-là. Ca fait bien longtemps qu’elle est au courant et qu’elle l’accepte. Nous n’en sommes plus là. Elle t’aime comme une femme et moi… Notre relation est particulière. Je traverserais la mousson pour toi. Tu es l’homme de ma vie. Jorg Tu sais bien que je partage tes sentiments… Mais ce n’est pas aussi simple ! Il y a une différence entre accepter une relation cachée et le fait qu’elle soit publique ! Et les enfants ? Stefan Tes enfants m’adorent. Tu sais bien qu’ils m’adorent. Et je n’ai pas parlé de m’installer avec toi ou d’être un père de substitution pour eux. C’est uniquement de nous dont il s’agit. Et depuis le temps que tu parles de divorce… Ils seraient sûrement plus heureux si les choses étaient claires. Stefan baisse sa voix à mesure que l’on entend des pas approcher dans le couloir, et les deux hommes s’arrêtent de parler, dans l’expectative. Quelqu’un frappe à la porte. Jorg se ressaisit et adopte un sourire de façade. Jorg Entrez ! Un des collaborateurs de Jorg, déjà aperçu au meeting, entre et annonce : 6 Collaborateur Jorg… Heinz-Christian est ici. Il aimerait que vous parliez de vos… partis. Ce n’est pas une visite de courtoisie, il est là en tant que leader du FPO. Il est en salle de réunion. Jorg Voilà qui est intriguant (il se lève). Je te suis, j’ai envie de savoir ce qu’il a à dire. En partant il se tourne vers Stefan et prend un air détaché. Jorg Stefan… Je te promets de réfléchir à ta proposition. On en reparlera plus tard. Jorg sort du bureau en compagnie de l’autre homme et Stefan reste seul, perplexe. Scène 3 INT. JOUR, SALLE DE REUNION Cette scène est tournée de la même façon que la première, muette et en noir et blanc. Les dialogues eux aussi sont affichés sur des inserts noirs. Heinz-Christian, homme d’une quarantaine d’année, des yeux clairs perçants, en costume, est en train d’attendre dans une salle de réunion. Celle-ci est longue, plutôt froide, les meubles (grande table et chaises) sont modernes. Heinz-Christian est debout et arpente la pièce quand la porte de celle-ci s’ouvre. Le collaborateur de Jorg laisse entrer celui-ci, salue de la tête et s’éclipse. Une fois la porte fermée, Jorg se tourne vers Heinz-Christian les bras ouverts. Jorg (carton noir) Mon ami ! Ca fait longtemps ! Heinz-Christian s’approche de Jorg et lui dit quelque chose tout en le désignant du doigt. Heinz-Christian (carton noir) Depuis que tu nous as quittés pour fonder ton parti ! Jorg rit. 7 Jorg (carton noir) Et je ne m’en sors pas trop mal. Heinz-Christian rit aussi et dans un mouvement ample, donne une tape dans le dos de Jorg. Heinz-Christian (carton noir) C’est vrai ! Il redevient sérieux et prend le ton d’une confidence sérieuse. Heinz-Christian (carton noir) Mais nous nous en sortons bien aussi, tu as pu le voir. Et nous serions encore plus forts ensemble. Jorg prend un air exagérément étonné. Jorg (carton noir) Une réunification ? Heinz-Christian prend un air grave et adopte les mouvements d’un orateur qui tente de convaincre. Heinz-Christian (carton noir) Après tout, nous partageons toujours les mêmes idées ! Jorg laisse apparaître un sourire immense, presque carnassier. Jorg (carton noir) L’Autriche aux Autrichiens ! Heinz-Christian hoche la tête d’un air enthousiaste et ouvre les bras. Heinz-Christian (carton noir) Alors, qu’en penses-tu ? Jorg prend une pose de réflexion intense, les deux mains posées sur la table et le regard dirigé vers Heinz-Christian. Jorg (carton noir) Je dois y réfléchir. Mais je suis intéressé. 8 Heinz-Christian s’exclame d’un air heureux. Heinz-Christian (carton noir) Ach ! Les deux hommes se serrent la main (les deux mains jointes), arborant de grands sourires, tout en continuant à dire quelques mots (que l’on n’entendra pas puisque le tournage est muet). Jorg raccompagne Heinz-Christian à la porte tout en continuant à discuter. Les deux hommes sortent ensemble de la pièce et referment la porte derrière eux. Scène 4 EXT. PUIS INT. JOUR, PARKING PUIS BUREAU DE JORG Cette scène est à nouveau tournée à la manière d’un soap-opera, à la fois dans l’esthétique de l’image et dans le jeu exagéré des acteurs. Le lendemain, Jorg arrive au volant de sa voiture et se gare sur le parking au pied du bâtiment où sont installés ses bureaux. Il a l’air de particulièrement bonne humeur. A la sortie de la voiture, il dirige même son visage vers le soleil de la fin d’après-midi en souriant et fermant les yeux, posant à la façon d’une gravure de mode. Il repart d’un pas alerte, ouvre la porte et commence à monter les escaliers. Alors qu’il arrive au premier, Stefan arrive à sa hauteur. Jorg (d’une voix suave) Stefan ! Comment vas-tu ? Stefan (la mine plutôt sombre) Jorg… Tu es parti si vite hier que nous n’avons pas eu le temps de discuter… Est-ce que tu as réfléchis ? Jorg Bien sûr, bien sûr… Mais viens, montons ! (il mène Stefan dans les escaliers d’une légère poussée et continue d’une voix enjouée) Tu sais ce que Heinz-Christian m’a proposé ? Il voudrait fusionner nos partis ! Les deux hommes avancent dans leur discussion tout en continuant de monter les marches. Ils traversent ensuite un couloir et entrent dans le bureau de Jorg. 9 Stefan (qui reste préoccupé) Le BZO et la FPO ? A nouveau ensembles ? Mais tu as quitté le parti pour une raison…. Jorg (enthousiaste) Evidemment ! Pour leur montrer que je suis toujours le leader que j’étais et que je réussirai avec mon propre parti… Je l’ai fait (il ouvre la porte du bureau, laisse passer Stefan puis entre) Mais à présent il faut que nous soyons une force unie pour dépasser définitivement les conservateurs. Je pense accepter sa proposition. Stefan (plutôt choqué) Tu penses accepter ? Tu as pris cette décision seul, sans consulter personne ? Jorg (irrité) Je te rappelle que je suis encore le leader de ce parti… Et c’est à moi de prendre ce type de décisions. Ma carrière prend à nouveau l’ampleur qu’elle mérite. Je dois tout faire pour exploiter cette situation au mieux… (et, d’une expression pleine de sous-entendus) Mais ça, tu n’as pas l’air de le comprendre ! Stefan Ah… Voilà donc le problème. Ce n’est pas du tout pas par égard pour ta femme que tu ne veux pas rendre notre relation publique. Tout se ramène à ta carrière. Ta précieuse carrière… Jorg Evidemment ! Comment pouvais-tu penser que ça n’entrerait pas en compte ! Après toutes ces années pour en arriver là… Tu voudrais que je remette tout en cause maintenant ? Stefan Justement, si tu profites de ta position de force pour l’annoncer, tu ne remettrais pas tout en cause. Tu prendrais les devant. Et si quelqu’un le révélait avant toi ? Rien de tout ça n’échappe à tes ennemis politiques… Jorg (en ricanant) Bien sûr, ils sont au courant… Mais ils n’en ont jamais fait usage, alors que les occasions ont été nombreuses. Ils me craignent, ils savent qu’ils doivent compter sur ma présence sur la scène politique. Ils ne s’attaqueront pas à ma vie personnelle. Tu le sais aussi bien que moi. Mais tu voudrais que je me saborde moi-même ? Sur un coup de tête, un caprice, tu voudrais que je renonce à tout ça ? … Egoïste ! 10 Stefan, blessé, reste abasourdi debout dans la pièce. Enervé, Jorg commence à manipuler des objets et des papiers sur son bureau, puis s’arrête et s’emporte. Jorg Rends-toi compte ! Ce n’est pas seulement ma carrière qui est en jeu ici ! Ce sont les idées mêmes pour lesquelles nous nous battons… Es-tu bien certain de savoir qui est notre électorat ? Et surtout en quoi je crois ? En quoi tu es censé croire ? Nous sommes les descendants du Führer, enfin ! Qui irait faire confiance à un homme qui prend parole contre les droits homosexuels un jour et présente son amant au monde entier le lendemain ? Stefan Mais enfin Jorg… Il n’a jamais été question de renoncer à tes idées, à nos idées ! Ton programme est solide. Ce qui rassemble le peuple, c’est la lutte contre ces… (d’un air dédaigneux) migrants qui nous envahissent ! C’est la protection de notre pays, la résistance envers cette Europe qui nous dévore ! Jorg semble s’être quelque peu calmé au fur et à mesure des paroles de Stefan. Celui-ci baisse le ton et continue. Stefan D’ailleurs rappelle-toi… Tu parles de ta carrière, tu me dis égoïste… Mais qui a toujours été là pour te soutenir ? Qui était là il y a huit ans quand ces bureaucrates, ces hypocrites de l’Union Européenne ont décidé de t’attaquer ? Qui, dis moi qui a soutenu toutes tes décisions ? Jorg fixe intensément Stefan pendant plusieurs secondes et, dans un air de réflexion exagérément intense, tourne la tête vers la fenêtre pour se replonger dans ses souvenirs… Scène 5 INT. JOUR, BUREAU DE WOLFGANG La scène est tournée à la manière du début du XXème siècle, un film muet en noir et blanc. 11 1999. Jorg est dans un autre bureau, accompagné de Wolfgang, un homme d’une cinquantaine d’année à l’époque, cheveux et yeux clairs et portant des lunettes. Le bureau est moderne, plutôt neutre mais chaleureux. Les deux hommes, debout au milieu de la pièce, semblent particulièrement heureux. Ils tiennent chacun une coupe de champagne et trinquent. Jorg prend la pose d’un homme qui porte un toast. Jorg (carton noir) Wolfang, je lève ce verre en l’honneur de ton nouveau poste de chancelier ! Wolgang arbore un sourire éclatant et déclare en levant son verre : Wolfgang (carton noir) Et je lève le mien en l’honneur de notre alliance ! Les deux hommes boivent une gorgée de champagne ensemble et Jorg adopte une attitude plus sérieuse. Il prend un air de comploteur. Jorg (carton noir) Quels hommes de mon parti gouvernement ? voudrais-tu dans ton Wolgang rit et tape dans le dos de Jorg, boit une gorgée de champagne puis Wolfgang (carton noir) Nous en parlerons plus tard ! Trinquons à notre glorieux futur ! Les deux hommes lèvent à nouveau leurs verres en riant et trinquent. Un écran noir remplace la scène et sur un bruit de fond d’imprimerie, plusieurs Unes de journaux viennent s’afficher sur l’écran en tournant sur elles-mêmes, l’une après l’autre. Elles proviennent de différents pays européens et affichent des titres protestant contre l’arrivée au gouvernement autrichien du parti de Jorg. Les titres apparaissent comme suit : « Autriche : des néo-nazis au gouvernement ! » « Scandale ! » - « ‘C’est une décision démocratique’ prétend le gouvernement autrichien » - « Autriche : l’UE va sanctionner » - « Relations diplomatiques au plus bas »… Les couvertures empilées se fondent dans un écran noir pour laisser apparaître une sale de réunion où sont rassemblés Jorg, le jeune Stefan et Wolgang. La salle de réunions est plus petite que la première, mais plutôt froide elle aussi. La table 12 installée au centre de la pièce est ronde. Jorg, debout, froisse avec rage un journal et le jette à terre dans des mouvements erratiques. Jorg (carton noir) ACH ! Stefan, assis à la table de la salle, regarde Jorg d’un air inquiet mais ne dit rien. Il a un stylo en main et semble prêt à prendre des notes. Wolgang, assis lui aussi, semble plutôt calme. Wolfgang (carton noir) Ignore ces idiot, Jorg ! Ils finiront par se lasser ! Jorg se calme un peu mais reste agité. Il s’assoit à son tour à la table de réunion. Jorg (carton noir) Les sanctions sont bien réelles ! Wolgang prend un air soucieux, et écarte les bras en acquiesçant. Wolgang (carton noir) C’est vrai. Il faut prendre une décision. Un geste d’apaisement. Jorg et Wolgang se regardent longuement. Jorg semble soudain décidé et plus calme. Jorg (carton noir) Je vais quitter la direction du parti. Stefan et Wolgang prennent une attitude choquée et se reculent sur leur siège. Puis Wolgang semble se rassurer et se penche en avant. Wolgang (carton noir) Es-tu sûr de toi ? Jorg acquiesce. Jorg (carton noir) Je sais ce que j’ai à faire pour le parti. Wolgang hoche la tête dans un signe d’assentiment. Il se lève et va serrer les deux mains de Jorg. Wolgang (carton noir) Merci à toi. Je dois y aller à présent. 13 Jorg hoche la tête et raccompagne Wolgang à la porte. Il le laisse partir puis vient se rassoir aux côtés de Stefan. Stefan (carton noir) C’est une décision très courageuse. Jorg fait un geste signifiant que ce n’est pas grand-chose, sourit, et repose ses mains à plat sur la table. Jorg (carton noir) Je suis toujours gouverneur de Carinthie, c’est le plus important. Stefan pose ses mains sur celles de Jorg dans un mouvement spontané. Stefan (carton noir) Et je te soutiendrai. Tu peux compter sur moi. Jorg regarde les mains de Stefan posées sur les siennes, puis à nouveau Stefan. Les deux hommes, se fixent, yeux dans les yeux, tout en gardant les mains jointes. On comprend qu’ils tombent amoureux à cet instant. Scène 6 INT. PUIS EXT. NUIT, BUREAU DE JORG PUIS PARKING Cette scène se déroule à nouveau de nos jours, dans le bureau de Jorg. Elle est donc tournée à la façon d’un soap-opera. Stefan et Jorg sont toujours dans le bureau de celui-ci. Dehors, le jour est tombé. Jorg se tourne à nouveau vers Stefan, et le fixe, comme si il réfléchissait intensément à quelque chose. Jorg Ecoute, Stefan… Je ne renie pas les moments passés à tes côtés, ni l’aide que tu m’as apportée. Mais tu n’es pas toute ma vie. J’ai des ambitions, des principes, une carrière à poursuivre. Stefan (doucement) Je comprends, mais je… Jorg Mais quoi ? 14 Stefan J’aimerais ne pas avoir à me cacher. J’aimerais plus de considération. Je crois que je le mérite. Jorg (il soupire) Il faudra que tu cherches cette considération ailleurs si tu ne peux pas entendre raison. J’ai essayé de te convaincre mais je commence à croire que toute cette histoire était une mauvaise idée dès le départ. Mes idées et ma carrière passent d’abord par mon image, par ce que j’incarne auprès des gens… (son ton se durcit) Et tu n’entres pas dans cette image. Ca ne va pas. J’espérais ne jamais en arriver là… Le visage de Stefan se décompose. Jorg continue froidement. Jorg Tu peux continuer à travailler pour moi si tu le souhaites. Tu es mon successeur après tout… Mais n’espère plus rien de nous. Ne m’appelle plus, à moins d’un motif professionnel. N’essaie pas de renouer des liens… (il soupire lourdement) Je dois partir (il s’avance vers la porte, l’ouvre et laisse sortir Stefan dans le couloir puis le suit) Stefan Mais tu ne peux pas tout finir comme ça, d’un seul coup ? Jorg Je le peux et je le dois. Tu as jusqu’à demain pour décider de rester ou non au sein du parti (avançant le long du couloir). Rentre chez toi. Dors. Tout te semblera plus clair demain. Et peut-être qu’un jour, tu me comprendras. Les deux hommes descendent ensemble les escaliers qui mènent au pied du bâtiment, dans un lourd silence. Stefan a la mine défaite tandis que Jorg tente de conserver une apparence dure et froide. Arrivés au parking, Jorg commence à se diriger vers sa voiture tandis que Stefan fait une dernière tentative. Stefan (d’une voix faible) Tu es bien sûr de toi ? Jorg (froidement) Tu m’as poussé à faire ce choix… 15 Alors que Stefan fond en larmes, Jorg se dirige d’un pas décidé vers sa voiture sans se retourner. Il s’installe au volant et démarre en trombe, laissant Stefan seul sur le parking. On voit Jorg, de face, conduire très vite sa voiture. Son visage décidé et dur se transforme peu à peu en une expression de douleur et une larme coule sur sa joue. Alors qu’il continue de rouler, des flashs du restant de sa soirée à venir apparaissent : on aperçoit des scènes de Jorg enivré dans des bars, discuter avec des hommes dans des boîtes gays, entrecoupées d’images de son visage derrière le volant de plus en plus défait. Le vrombissement du moteur de la voiture se fait de plus en plus présent. Alors qu’apparaît l’écran noir du générique, on entend un dernier coup de frein et le bruit d’un accident violent. 16 Note d’intention Le 11 octobre 2008, Jorg Haider, leader du parti d’extrême droite autrichien BZO, se tue dans un accident de voiture alors que son parti venait de connaître un succès conséquent aux dernières élections législatives. Peu après l’accident, son jeune successeur à la tête du parti, Stefan Petzner, avoue à demi‐mots dans des déclarations à la presse qu’il était l’amant d’Haider. Ce décès pour le moins retentissant amène certaines questions sur la vie du controversé Jorg Haider. Connu pour ses prises de positions anti‐immigration, anti‐Europe, ses dérapages antisémites et pronazis, la révélation de sa liaison homosexuelle était pour le moins surprenante et en décalage avec ses idées, ses discours et son image politique. Ces événements peuvent pousser à se demander qui était réellement l’homme, entre son image publique et sa vie personnelle. Il s’agit donc ici à la fois d’exploiter ce personnage complexe, tout en mettant en avant une situation qui pourrait être qualifiée d’absurde. Pour cela, le scénario s’interroge sur ce qui a pu se passer durant les quelques jours précédant l’accident, mêlant faits réels et fictionnels. Ces interrogations sont à la fois très liées à l’actualité, puisque la mort de Haider date de seulement quelques mois, mais aussi plus générales : comment peut‐on arriver à une telle contradiction entre ses idéaux et la vie que l’on mène ? Le ton du scénario est clairement ironique, parfois absurde lui aussi. Le parti pris est de tourner en dérision à la fois la situation, mais aussi les idées extrémistes de Jorg Haider et de son parti. Le choix d’utiliser deux types de réalisation (film muet en noir et blanc à la manière du début du siècle dernier et soap‐opera) est l’une des façons de faire de ce court‐ métrage une histoire humoristique. Le but est aussi bien sûr de symboliser visuellement ces deux facettes de la personnalité de Haider. Les scènes « début XXème », qui sont les scènes politiques, renvoient évidemment aux images‐types que l’on peut avoir d’Hitler et du IIIème Reich, et qualifient le côté extrémiste d’Haider, de même que le jeu d’acteur lors de ces scènes. Les scènes « soap‐opera » renvoient à son histoire d’amour avec Stefan Petzner, à la fois exagérément romantique et dramatique. Dans les faits, les déclarations de Petzner après la mort de Jorg Haider ont été l’inspiration de ces scènes (« Il était l’homme de ma vie », « C’est la fin du monde pour nous »…). Certaines de ces phrases sont d’ailleurs réutilisées dans le scénario. Au final, le but est d’obtenir visuellement un contraste entre des scènes sombres et dure, en noir et blanc, pour le côté politique, et des scènes sirupeuses, tamisées, dans les tons roses pour l’histoire d’amour. Afin de bénéficier d’une trame crédible sur le fond, certaines scènes sont directement inspirées de faits réels de la vie politique de Jorg Haider. Ainsi, Jorg Haider a réellement rencontré Heinz‐Christian Strache quelques jours avant sa mort pour évoquer une réunification. De même, l’arrivée du BZO en même temps que Wolgang Schössel au pouvoir en 1999 a bien provoqué des sanctions au niveau européen. Ces scènes sont adaptées aux besoins du scénario, à la fois pour y inclure l’histoire d’amour entre Jorg et Stefan, mais aussi pour permettre une compréhension rapide au spectateur qui ne connaît rien des faits réels. 17 Le titre du court‐métrage, « Durch Den Monsun », a été choisi pour plusieurs raisons. D’abord, le fait d’utiliser un titre allemand renvoie aux revendications néo‐nazies du personnage principal. La signification du titre, « A travers la mousson », est un reflet de l’histoire romantique qui le lie à Stefan, et qui trouve un écho dans les paroles de celui‐ci au cours de l’un des dialogues. Finalement, « Durch Den Monsun » est le titre phare du groupe allemand Tokio Hotel, ce qui donne au film une double référence, à la fois très actuelle et humoristique, comme l’est l’histoire racontée ici. Les personnages principaux sont bien sûr tous basés sur des personnalités politiques autrichiennes existantes et devraient donc aussi leur ressembler sur le plan du caractère mais aussi physiquement. Jorg (Jorg Haider) Ambitieux, sûr de lui, il aime séduire et être le centre d’attention. Amoureux de Stefan, il cherche néanmoins avant tout à développer sa carrière politique et à promouvoir ses idées. Stefan (Stefan Petzner) Il partage les idées de son amant mais voudrait pouvoir vivre avec lui sa relation au grand jour. Plus jeune que Jorg, il est sous sa coupe à la fois professionnellement et personnellement. Heinz‐Christian (Heinz‐Christian Strache) Leader de l’ancien parti de Jorg, il a l’ambition de s’unifier avec lui à nouveau pour aller encore plus loin, tout en développant sa carrière personnelle. Wolfgang (Wolfgang Schüssel) Son but est avant tout de promouvoir sa carrière personnelle, ce qui passera par une coalition avec le parti de Jorg, malgré les risques de controverse. 18 Point de vue méthodologie Au regard du travail effectué pour écrire ce scénario, ce n’est finalement pas tant l’écriture en elle‐même qui présentait le plus de difficultés mais bien le travail de réflexion et de préparation en amont, et notamment le choix du sujet. Trouver un thème exploitable a été difficile, d’autant que je souhaitais dès le départ éviter de raconter une histoire dramatique, malgré la situation de Polti imposée. Je cherchais donc à trouver un idéal supérieur absurde, ou prêtant à l’ironie. Ce sont ici plusieurs discussions avec des proches, permettant de brasser des idées, qui m’ont permis d’aboutir au thème final. Après avoir éliminé l’idée de prendre la situation dramatique « sacrifier un proche pour un idéal supérieur » au pied de la lettre (quelqu’un tue un homme assis à côté de lui pour un basketteur), et puisque l’idée d’un personnage principal néo‐nazi et homosexuel me plaisait, j’ai décidé d’exploiter l’histoire de Jorg Haider. Dans ma première idée de scénario, l’histoire débutait et était principalement constituée de la discussion de Stefan et Jorg à l’intérieur de la voiture de celui‐ci, entrecoupée de flashbacks. Mais j’ai été assez vite bloquée sur le fait de devoir faire tenir une conversation continue sur l’ensemble du court‐métrage. Il s’est avéré finalement plus efficace d’opérer par des changements de lieux et de temps, permettant ainsi l’utilisation plus facile des deux types de réalisation qui confèrent un point de vue ironique et humoristique à la situation. Concernant le scénario en lui‐même, c’est réellement l’idée d’utiliser deux types de réalisation (à la façon d’un film muet du début XXème en noir et blanc, et à la façon d’un soap‐opera) qui m’a donné l’impulsion pour débuter l’écriture de la continuité dialoguée. En effet, il était difficile de déterminer la meilleure façon de faire pencher le scénario du côté humoristique et ironique sans en faire trop. Une autre hésitation ayant trait à la construction de l’histoire concernait la fin du scénario. Je me suis demandé jusqu’où aller dans la narration de l’accident : le faire figurer clairement et montrer Jorg mort ? Terminer sur une image de Jorg au volant sans montrer l’accident ? J’ai décidé d’adopter un compromis entre ces deux solutions en faisant figurer l’accident uniquement en bande sonore. L’ironie de l’histoire reposant aussi sur ce que nous savons de la réalité après l’accident (la révélation de la relation à la presse par Stefan Petzner), il fallait déterminer précisément où terminer l’histoire fictionnelle. Mais avant de débuter l’écriture du scénario, j’avais bien sûr effectué diverses recherches, à la fois pour connaître au mieux les personnages et pour avoir des idées de faits réels à inclure dans le déroulement de l’histoire. Ainsi, le fait de baser un scénario sur des faits d’actualité demande bien évidemment une part de connaissances en amont assez conséquente pour rendre le tout crédible. Même si la plupart de l’histoire est fictionnelle, il ne fallait pas que le scénario contienne des contre‐vérités trop grandes qui empêcherait un lecteur / spectateur d’y croire. Les recherches sur la vie des différents personnages ont été d’une part instructives (j’en ai appris plus que ce que je savais déjà par le biais d’articles de presse déjà lus ou de reportages vus) mais aussi amusantes puisqu’en suivant les avancées de l’événement de plus près, j’ai découvert que certaines sources affirment que Jorg Haider 19 s’était disputé avec son amant avant l’accident, ce que je ne savais pas avant de décider d’exploiter l’idée. Une difficulté inhérente au choix de baser une histoire sur un fait réel réside justement dans la frontière entre fiction et réalité. Je souhaitais baser le scénario sur des éléments précis, et que la partie fictionnelle soit, sur le fond, crédible. J’imagine ici une partie de la vie d’un homme qui pourrait s’être déroulée comme ça. Concernant la retranscription – évidemment arrangée – des événements réels, il s’agissait aussi de rendre les situations compréhensibles pour une personne ne connaissant rien des personnes réelles, tout en restant au maximum fidèle au déroulement des faits. Au final, l’exercice s’est avéré très intéressant tant dans sa préparation que dans l’écriture du scénario lui‐même. L’écrit n’est pas forcément le moyen que je préfère utiliser pour faire passer un message, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un travail demandant un certain investissement personnel, et qu’il faut pouvoir décrire certaines impressions ou sentiments. Etant plus à l’aise avec les images, j’ai commencé par imaginer ce à quoi je voulais que l’histoire ressemble, visuellement. Je suis donc passée par une description très factuelle de ce que j’imaginais, ce qui m’a ensuite aidée à travailler sur ce qui relevait plus de l’écriture‐même, c'est‐à‐dire les dialogues et le ressenti des personnages. Il m’a donc fallu passer par une étape plus visuelle, qui a facilité le passage par l’écrit obligatoire. Ecrit que je dois au demeurant me forcer à travailler. Dans cette optique, le fait de partir de faits réels a aussi constitué un avantage, puisqu’il s’agissait de raconter l’histoire de quelqu’un d’autre, et non la mienne à travers un personnage fictif. Il s’agit donc pour conclure d’une expérience positive, qui pourra me servir dans d’autres contextes, au‐delà de l’écriture de scénarios. 20 http://tibosoulcie.net 21