La tête Alors que son Petit Prince sort au cinéma, le réalisateur Mark

Transcription

La tête Alors que son Petit Prince sort au cinéma, le réalisateur Mark
Boussoles elles & eux
La tête
ans
les étoiles
Alors que son Petit Prince
sort au cinéma, le réalisateur
Mark Osborne explique
à l' écrivain Ingrid Astier
comment il a veillé à ne pas
trahir Saint-Exupéry tout en
racontant une nouvelle histoire.
TEXTE
Ingrid Astier PHOTO Félix Dol-Maillot
ans l'atrium de la Morgan Library
and Museum, la valise de Mark
Osborne s'arrête net. L'homme
lève les yeux au ciel - comme
toute personne imprégnée du Petit
Prince. Il admire le travail du
«magicien», l'artiste contemporain Spencer Finch qui a constellé
la verrière de couleurs pour
jouer avec la lumière. À ses pieds,
écho involontaire, sa valise et sa
myriade de pois colorés. Tout est là, dans cette tranche de vie.
Car le rayon de soleil de l'été, ce sera lui. Après le succès
de Kung Fu Panda, il a relevé le pari d'une adaptation animée
du Petit Prince de Saint-Exupéry. Le Petit Prince, par un
Américain? ! C'est oublier que le livre est né ici, à New York,
en 1943, avant que Gallimard ne le publie, de façon
posthume, en 1946. Le Petit Prince, le livre aux 150 millions
d'exemplaires vendus à travers le monde, le livre le plus traduit
après la Bible ...
Audace ou folie ? Aton Soumache, l'un des producteurs du
film, en dit : «Avec un film (et non une série), on a abordé
l'ouvrage frontalement, comme si on attaquait !'Everest ! ». Et
Mark Osborne de corriger: «L'Everest, oui, mais en tongs !
Car on n'était pas une grosse production». Il fallait hériter de
la témérité de Saint-Exupéry pour se lancer : «Aujourd'hui
encore, je continue à parler d'aventure». Au début, Mark
Osborne décline la proposition: «Impossible!» La peur de
['Everest, certes, mais surtout, l'incroyable collision avec son
histoire personnelle. «J'ai rencontré ma femme à New York,
dans une école d'art de Brooklyn. Quand j'ai voulu partir pour
le California Institute of the Arts, j'ai beaucoup hésité car nous
allions être séparés. Ma femme m'a encouragé. J'ai retrouvé
une lettre où elle citait Saint-Exupéry: "L'essentiel est invisible
pour les yeux". Puis elle m'a envoyé le livre. Je devais avoir
20 ans. Je lui ai alors écrit combien Le Petit Prince avait
changé ma vie.» Voilà pourquoi il a commencé par refuser de
l'adapter : «Je savais à quel point un livre peut vous marquer,
devenir une part de votre vie et la changer».
Mark Osborne, à la Morgan Library and Museum, New York.
Mark Osborne, at the Morgan Library & Museum, New York.
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Boussoles elles & eux
Édition originale
du Petit Prince publiée
chez Reyna! &
Hitchcock en 1943,
conservée avec le
manuscrit et les dessins
originaux à la Morgan
Library and Museum.
A first edition of The
Little Prince published
byReynal &
Hitchcock in 1943,
preserved, along with
the manuscript and
original drawings,
in the Morgan Library
&Museum.
Il met six mois à trouver l'idée. Ce sera «l'histoire d'une
histoire», un hommage au livre, et non sa réplique animée.
Mark Osborne invente un personnage de Petite Fille, qui
conjugue courage et curiosité, les deux qualités qui ouvrent à
l'héroïsme, «parce que les femmes sont trop absentes des films
d'animation». C'est elle qui bascule dans le monde du Petit
Prince, grâce à un avion de papier venu se poser sur son bureau.
L' Aviateur lui a envoyé une page illustrée du Petit Prince.
Il habite un manoir, à côté de son pavillon. Son monde est
biscornu, baroque, bariolé. Le désordre y règne en maître, car
la main du hasard sait tout bousculer. Cette Petite Fille a des
yeux ronds comme des agates. L' Aviateur lui apprend un trésor.
Alever les yeux, à observer au loin et en soi.
Osborne découvrira qu'avec ce personnage, il renoue avec
une aquarelle originale de Saint-Exupéry. L'écrivain l'avait
adressée à une femme croisée dans un train entre Oran et Alger,
qui ne lui répondait pas au téléphone : «Petite fille invisible,
je me suis inventé la petite fille ci-joint dont je vais me faire
une amie, comme du Petit Prince, et dont je vais raconter
l'histoire» . (Antoine de Saint-Exupéry, Lettres à l'inconnue).
Le Petit Prince d'Osborne, grâce à la magie de l'animation, prête
corps à cette Petite Fille. Pour séparer les mondes, le réalisateur
et son équipe ont conjugué deux techniques d'animation.
Versant monde réel, l'infographie, et pour l'univers poétique
du Petit Prince, la stop-motion, parce qu'elle «permet d'imaginer l'impossible, que les jouets prennent soudainement vie».
Un choix qui le fera voler «entre 300 et 400 fois dans un avion
durant les quatre ans et demi du projet», entre Los Angeles,
Paris, Santa Barbara, Londres, Toronto, Montréal et New York.
Interrogé sur l'origine de sa vocation, le réalisateur cite
Star Wars. A l'âge de 7 ans, il découvre le film et rêve de devenir pilote de l'espace. Ses dessins, ses jeux avec son frère Kent,
tout tourne autour de ce film et de la puissance des émotions.
A la Morgan Library, ce sont encore ces émotions qui l'ont
guidé. Face au papier si fin des aquarelles de Saint-Exupéry,
Osborne fut envahi par l'idée que ce monde délicat, éphémère,
si fragile, aurait pu être perdu. Il montre l'un des dessins, au
papier fripé : «Il avait fini dans une corbeille, avant d'être
sauvé». Au fond, son Petit Prince, aussi, lutte contre l'oubli,
parce qu'aucun rêve ne mérite d'être englouti. l
Actualité
LE PETIT PRINCE
LE PETIT PRINCE
en salle le 29 juillet.
Antoine de Saint-Exupéry, éditions Gallimard.
Laurent Bramardi et François Roussin,
éditions Glénat. Le livre du film.
LE PETIT PRINCE ET MOI
Exposition des dessins de Peter de Sève
et des animations d'Alex Juhasz réalisés pour le film .
Jusqu'au 12.09. (fermé du 20.07 au 31.08).
Arludik, 12-14, rue Saint-Louis-en-l'!le, Paris.
Tél. +33 (0)1 43 26 19 22. www.arludik.com
L'ART DU PETIT PRINCE
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