Ouvrir dans une fenêtre indépendante

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DEUX JOURNEES EXTRAORDINAIRES A L’UNIVERSITE DE PALERME SUR JULIEN
GREEN : L’ECRIVAIN DE L’EAU, DU FEU, DE L’AIR, DE LA TERRE.
Il y a désormais presque 25 ans que la S.I.E.G. Société Intérnationale d’Études Greeniennes
organise un colloque sur un thème donné de l’œuvre romanesque et théâtrale de Julien Green.
Des colloques se sont tenus en Belgique, France, Amérique, Angleterre et cette année a été,
après Macerata, encore le tour de l’Italie à Palerme.
C’est Madame Annie Brudo, Professeur à l’Université de Palerme, qui s’est occupée
d’organiser les deux journées greeniennes aves ses collaborateurs Maria Gugliotta, F. P.
Alexandre Madonia et Daniela Tononi.
Mme Carole Auroy, (Université d’Angers), Mme Annie Brudo, (Université de Palerme), Mme
Marie-Françoise Canérot, (Université de Poitiers) et M. Michael O’Dwyer (Université de
Maynooth) ont composé le Comité Scientifique.
Le titre du Colloque : « Pratiques de l’imaginaire dans l’œuvre de Julien Green (l’eau, le feu,
l’air, la terre) ».
Aux deux séances du vendredi 26 et du samedi 27 octobre a participé une nombreuse
assistance de professeurs et d’étudiants de l’Université de Palerme et de Sicile.
Après les salutations de Mme Patrizia Ardizzone qui représentait le Président de l’Université
de Palerme, de M. Mario Giacomarra doyen de la Faculté des Lettres, de Mme Laura Auteri
directrice du « Dipartimento di Scienze Filologiche e Linguistiche » et de Mme Ida Rampolla
del Tindaro, Présidente de la section italienne de l’AMOPA qui, avec l’Ambassade de France
en Italie, l’Institut Français de Palerme, et l’Université franco-italienne et italo-francese, a
donné sa contribution à l’organisation du colloque, la première session s’est ouverte sous la
présidence de Mme Carole Auroy-Mohn avec deux interventions : celle de M. Michael
O’Dwyer de l’Université de Maynouth, La symbolique spirituelle du feu dans « Moïra ». Moïra
signifie « le destin » et c’est le destin qui frappe l’âme et le cœur de Joseph Day, un jeune
étudiant obsédé par la sexualité, synonyme du péché pour lui et devenu amoureux de Moïra à
son corps défendant. L’image du feu dans ce roman reflète une structure psychologique qui
dépasse la réalité quotidienne et qui donne accès au domaine secret d’une réalité autre, inaccessible
dans le monde de tous les jours. Ensuite celle de Mme Myriam Kissel de l’Université de la
Réunion, “Fuir et s’enfuir”: la course des personnages greeniens dans « Peur bourgeoise » et
« Le Mauvais lieu ». Ces romans (Peur bourgeoise est la première version de Le Mauvais lieu)
illustrent bien les caractéristiques du personnage greenien qui fait souvent alterner des périodes de
stupéfaction, de sidération, et une agitation à la fois physique, psychologique et spirituelle. L'immobilité
intérieure, quasi autarcique, a pour corollaire le mouvement dans l'espace, moins pour le connaître que pour
le fuir et se fuir. Le corps est intensément mis à contribution, reflétant la perdition de l'être et sa recherche
constante de l’amour sensuel et de l’amour spirituel.
Après un petit coffee-break la deuxième session est présidée par Mme Daniela Fabiani de
l’Université de Macerata (Italie) et fait intervenir Mme Marie-Françoise Canérot de
l’Université de Poitiers qui parle de « De l’urgence de prendre l’air dans l’œuvre de Julien
Green ». Cette communication s’interroge sur la source réelle de la fascination exercée sur les lecteurs
par le personnage d’Adrienne Mesurat, jeune fille à l’amour inconsistant, au meurtre évanescent, aux fuites
sans lendemain, à la fin indiscernable. On l’entrevoit en suivant le schème de l’imagination aérienne que,
dans ce roman irrespirable, structure la création du personnage et en donne la clef. Adrienne n’incarne pas la
lutte désespérée de l’amour contre la solitude, de la vie contre la mort, mais de la création poétique contre
l’inertie créatrice, la poésie qui est chez Green comme chez Baudelaire, à l’image de l’air : altitude, liberté,
fécondité, pureté.
M. Alain Schaffner, professeur à la Sorbonne, intervient ensuite : L’imaginaire du monstre
dans « Léviathan ». Léviathan est la figure du Démon qui n’est vaincu par aucun homme mais
seulement par le Créateur. L’origine de ce monstre se trouve dans la Bible, dans le livre de
Job, qui l’assimile au crocodile. Léviathan c’est le reflet du chaos primordial. M. Schaffner
insiste aussi sur la différence entre monstre et monstrueux : le monstre c’est quelque chose de
restreint tandis que le monstrueux a trait plus profondément à l’humain. L’intervention se
conclut par une citation de Gabriel Marcel qui affirme que Green a inventé une nouvelle
province française bien qu’il s’agisse en fait d’une province imaginaire.
Après un excellent déjeuner les travaux ont repris avec la séance de l’après-midi dont le
Président a été Mme Marie-Françoise Canérot de l’Université de Poitiers.
Les intervenants: Mme Carole Auroy-Mohn de l’Université d’Angers: « Des abimes de
blancheur. Neige et glace dans l’œuvre romanesque de Julien Green ». Lorsque la neige et le gel
s’étendent sur l’espace romanesque de Julien Green, une tonalité étrange les accompagne souvent. Cette
étrangeté se loge dans l’émotion la plus prégnante qui accompagne la glaciation : sentiment de déréliction
dans un monde hostile, angoisse d’être soi, intuition d’une correspondance entre ces deux perditions… Mais
elle naît aussi de la réversibilité inscrite dans un symbolisme qui fait osciller de l’éblouissement au vertige,
rapprochant périlleusement l’innocence et la corruption, et elle s’infiltre ainsi dans l’acte même de l’écriture,
fascinée par la blancheur de la page comme les personnages le sont par celle de la neige.
La deuxième intervention est celle de Mme Edith Perry du lycée Antoine Watteau de
Valenciennes : « Le Visionnaire » une mise en abyme de l’imaginaire. Bachelard affirmait que
l’imagination est moins la faculté de former des images que celle de déformer les images fournies par la
perception. M.me Perry montre que dans Le Visionnaire, le récit du protagoniste, Manuel, intitulé « Ce qui
aurait pu être » recompose sur le modèle de la chimère les personnages des récits encadrants et propose en un
complexe jeu de répétitions et de variations de nouveaux scénarios de ce qui fut. Ceux-ci font effleurer un
indicible secret à la manière d’un motif dans le tapis et suscitent la curiosité du lecteur qui, à l’instar de
Charles Mauron, espère découvrir le mythe personnel du personnage romancier qu’est Manuel.
L’intervention de Mme Béatrice Didier de l’Ecole Normale Supérieure de Paris : Le
« Journal » et l’imaginaire de la musique, nous a parlé du rapport entre la littérature et la
musique dans le Journal que tient J. Green de 1972 à 1981; l’écrivain y évoque très souvent la
musique de Schumann qu’il aimait écouter chaque soir dans son bureau et où il lui semblait
entendre battre le cœur du compositeur, tandis que la musique de Bach le remplissait de
bonheur. Pour Green, la musique lui permet de revivre à plein des émotions de l’enfance et du
passé et elle lui évoque des lieux à la fois réels ou imaginaires. Rares, cependant, les références
à la musique religieuse ou d’église.
La dernière séance est présidée par M. Alain Schaffner de l’Université de Paris III. Les
intervenants: Valérie Catelain de l’Université catholique de Lille dans sa communication :
« Les paysages greeniens et l’étrange profondeur des correspondances » affirme que les
personnages greeniens sont transportés vers des lieux imaginaires et ils cherchent à
interpréter les symboles et à réorganiser les espaces. Ces correspondances ou synesthésies ou
résonances ne sont qu’un élargissement de la conscience. La beauté des paysages et de l’architecture
devient fréquemment l’écho de l’âme, expression de l’incomplétude essentielle. Surtout, la fascination de
l’Ailleurs pose de fait le rapport à l’altérité intérieure. Ouvrages autobiographiques, fiction comme essai
mettent en scène les étapes mouvementées de la lutte intériorisée éprouvant l’espace. Souvenirs et rêves
s’entrelacent au fil du moi. Toujours est-il que la recherche de l’Absolu s’y inscrit en permanence. Le
renouvellement de la poétique des images, des rythmes et des glissements de la prose poétique, essentiel,
encourage le déchiffrement des signes.
Puis Mme Maria Gugliotta de l’Université de Palerme parle des « Vertiges greeniens ». Elle
explique d’abord ce qu’est un vertige: à savoir la chute de l’homme vers le péché. Toute
l’idéologie catholique et religieuse de Green est influencée par le « vertige » et toute chute est
une nostalgie de l’ascension. Histoires de vertige, recueil de nouvelles, explore bien cette
thématique qui entraîne la violence, exercée en particulier sur les enfants, dont la pureté
exacerbe l’instinct destructeur de l’adulte.
La soirée du vendredi se conclut par un excellent dîner offert aux intervenants par la Société
Internationale d’Études Greeniennes au restaurant « Il Kambusone » situé tout près du
Théâtre Massimo.
Deux séances se sont déroulées le 27 octobre samedi tout au long de la matinée. Michael
O’Dwyer a été le Président de la première session à laquelle ont participé: Michel Dyé de
l’Université d’Avignon qui nous a présenté: Julien Green dramaturge et peintre d’une terre en
délire dans « Demain n’existe pas ». Inspiré par le tremblement de terre de Messine en 1908, Demain
n’existe pas, drame de la fatalité cosmique où la réalité terrestre apparaît comme l’incarnation d’un mystère,
s’élève progressivement à la grandeur tragique. A partir de l’image d’une terre en proie à la fureur sismique,
l’auteur construit un drame métaphysique ; de la réalité visible, il glisse vers l’invisible et se révèle poète.
L’imaginaire greenien, qui fait coïncider la fureur des éléments et le refus du religieux, lie étroitement forces
cosmiques et métaphysiques. A partir d’images de chaos, le poète dramatique crée un climat de peur chez ses
créatures mais transcendant le réel, il fait aussi, du sein d’un univers d’incroyance, jaillir une lumière.
Deuxième intervenante, Mme Daniela Fabiani de l’Université de Macerata (Italie) s’est
occupée de « Le voyage imaginaire de Ralph ou la construction identitaire de Julien Green ». La
dernière période de la création littéraire greenienne se caractérise notamment par la rédaction et la
publication de quelques contes pour enfants qui soulignent la valeur de la présence enfantine dans le
parcours artistique de notre auteur. C’est pourquoi les figures de l’imaginaire proposées dans ces contes,
liées d’ailleurs à la symbolique élémentaire, ne sont que les différentes expressions d’une quête du sacré sous
le signe duquel la nature déchirée de l’homme et de l’artiste peut se réconcilier. Les récits de quête
merveilleuse, à travers une topologie bien précise qui recrée deux espaces importants pour Green, l’espace
matériel de la maison et celui bien plus magique du Paradis, structurent et expliquent la visée herméneutique
de ces contes à l’aide d’une pratique de l’imaginaire qui amène l’écrivain, et avec lui le lecteur, à
comprendre la véritable signification de l’acte d’écriture.
Mme Daniela Tononi de l’Université de Palerme nous a parlé de : Le vol des âmes. Poïétique
du vent dans « Minuit » et « Si j’étais vous ». Grâce à sa nature invisible, à son mouvement et à son
inconsistance le vent acquière dans l’œuvre de Green la fonction de eidolo-moteur terme employé par
Chevalier pour remarquer le double aspect représentatif et efficace du symbole. En effet le vent participe à la
construction du réel onirique de l’œuvre greenienne car il est en même temps la voix du monde invisible et la
manifestation de l’inconscient. Matière intangible qui occupe l’espace entre le ciel et la terre, entre le visible
et l’invisible, à la fois un symbole onirique, cosmique, divin, démonologique et théologique dans Minuit et Si
j’étais vous le vent traduit la tension du personnage greenien entre le corps et l’esprit.
Après une petite pause, à onze heures, a eu lieu la dernière session présidée par M.me Myriam
Kissel de l’Université de la Réunion.
M. Alain Morello de l’Université Toulon-Var s’est occupé de: Une odeur de terre: La rêverie
élémentaire dans « L’Autre sommeil ». Récit d'un « adieu à l'enfance », L'Autre sommeil est à la fois le
roman de l'apprentissage du désir et celui de la révélation de la mort. Les images de l'eau et surtout de la terre
y jouent un rôle essentiel, de même que la double imagination de la chute et de l'ascension, du vertige et de
l'envol. Le roman associe l'image initiale, et essentielle, de la Seine, à celles, multiples, de la terre: jardins,
cimetière, verger, arbres... Dans les yeux de Claude, Denis croit voir « les arbres et les rivières qu'il avait
connus » (p. 822). Mais l'Autre sommeil est aussi la découverte par le romancier d'une « autre terre », d'une
« autre planète » (p. 834) qui en définitive est celle de la littérature. Comme l'a souligné Jacques Petit, Denis
parle de ses songes comme Julien Green parle de sa création romanesque.
Dernière intervention celle de Mme Annie Brudo de l’Université de Palerme qui a parlé de:
Polysémies de la mer et du fleuve dans l’œuvre de Julien Green. La mer et fleuve paraissent
dans plusieurs titres des romans de Julien Green et dominent amplement le symbolisme
imaginaire de l’écrivain. La mer, archétype menaçant mais régénérant, maintient ses
caractéristiques traditionnelles d’élément vital et cosmogonique, tandis que le fleuve,
métaphore du gouffre, s’associe plus nettement aux forces obscures et négatives de l’univers, à
la peur et à l’attraction de la mort et établit symboliquement l’étroite relation mort/sexualité.
Alimentant et soutenant la force imaginante de J. green, la mer et le fleuve traversent toute
son œuvre, établissant une vaste isotopie qui lui confère unité et homogénéité.
Voilà terminé ce magnifique colloque sur Julien Green. Un grand merci à Mme Annie Brudo
et à ses collaborateurs et rendez-vous l’année prochaine en Autriche.
Vincenzo Castellano
Officier des Palmes Académiques
Section Italienne (Agrigente)