LETTRE OUVERTE AUX ORGANISATEURS DU FORUM

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LETTRE OUVERTE AUX ORGANISATEURS DU FORUM
LETTRE OUVERTE AUX ORGANISATEURS DU FORUM
« RÉGLEMENTER LA SANTÉ MENTALE ? PAS DE CONSENSUS ! »
par Brigitte Dohmen
En 2000, j’ai fait partie du groupe d’experts désignés par la Fédération belge des
psychologues pour avaliser le projet de loi de Magda Aelvoet concernant les psychologues
cliniciens et autres. J’y représentais le courant psychanalytique, via mon association
l’APPPsy.
C’est moi qui ai tiré la sonnette d’alarme par rapport à ce projet de loi en dénonçant sa paramédicalisation du champ psy ainsi que le monopole des universités sur celui-ci. J’ai dénoncé
aussi le fait que les psychologues et les psychiatres s’appropriaient le domaine de la santé
mentale à l’exclusion de tout autre.
C’est encore moi qui ai mobilisé les associations et ai structuré cette mobilisation en créant la
plate-forme des professions en santé mentale.
C’est de nouveau moi qui, plus récemment, a créé l’Union Professionnelle des Psychologues
pour casser le monopole de la Fédération Belge des Psychologues.
Si je rappelle cela, ce n’est pas pour m’en attribuer le mérite qui m’importe peu, mais pour
souligner le fait que je connais bien le dossier pour le suivre depuis le début et que, depuis le
début, je défends la non para-médicalisation des professions psy et le fait que la formation et
la pratique de la psychothérapie ne soit pas réservée aux psychiatres et aux psychologues
universitaires (principe de l’analyse laïque).
Aussi je voudrais réagir par rapport aux mails que je vois circuler autour de ce prochain
forum. Je tiens à poser certaines questions à leurs organisateurs et à rectifier certaines
informations qui circulent.
Je ne pourrai malheureusement pas être présente lors du forum et je le regrette, mais je tiens à
exprimer dans ce courrier ce que j’y aurais dit si j’avais pu m’y rendre.
1. Les psychanalystes doivent clarifier leur positionnement : le but de la
psychanalyse est-t-il un plus-être de ses analysants ou un mieux-être de ceux-ci ?
Si la psychanalyse vise un plus-être de l’analysant, elle est une sorte de maïeutique et relève
plutôt d’une démarche philosophique de l’être. Elle n’est alors pas une psychothérapie ni une
profession de santé et n’est pas concernée par les projets de loi.
Mais elle a alors à le faire savoir clairement et à assumer ce que cela implique (par ex. pas de
remboursement de mutuelle). Dans quelle faculté doit-elle être enseignée ?, …
Si c’est votre choix, il faudra alors adapter votre terminologie. En effet, non seulement les
politiciens mais aussi le commun des mortels et la majorité des patients considèrent la
psychanalyse comme une forme de psychothérapie. Je ne pense pas que vous pourrez changer
cela. Mais vous pourriez parler de « psychanalyse authentique » par exemple.
Si la psychanalyse vise au mieux-être d’un patient, alors elle est une profession de santé et est
concernée par la proposition de loi psychothérapie, avec là aussi les conséquences que cela
implique. Parmi celles-ci, vous allez devoir co-llaborer (travailler ensemble) avec les autres
courants psychothérapeutiques.
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2. Acceptation de la castration :
Depuis le début des négociations aucun projet de loi n’a pu aboutir essentiellement du fait des
divergences de vues des psychologues du nord et du sud du pays.
En gros, le nord du pays, essentiellement représenté par la Fédération Belge des Psychologues
(FBP), voulait légiférer la psychologie clinique sans différencier la psychothérapie incluse
d’office dans la psychologie clinique. Elle faisait rentrer les psychologues dans le chapitre 1
de l’AR 78, en acceptant une mainmise des médecins sur leur profession. Elle garantissait
aussi le monopole des universités sur les formations.
Le sud du pays, représenté essentiellement par la Plate-forme des professions en santé
mentale (PF psysm) et l’APPPsy, ne voulait pas légiférer la psychologie clinique sans la
psychothérapie, afin de donner à cette dernière un statut de profession différenciée et
autonome. Il voulait un accès ouvert à la profession de psychothérapeute (principe de
l’analyse laïque), le respect de la diversité du champ et la reconnaissance des écoles hors
université. Il voulait aussi la création d’un chapitre 3 dans l’AR 78 consacré aux professions
psycho-sociales de façon à les différencier des professions médicales et paramédicales.
La FBP se présentait à l’époque comme la seule habilitée à parler parce que représentant la
majorité des psychologues. Depuis de nombreuses associations se sont fédérées, ont réussi à
se faire reconnaître et à servir d’interlocuteurs aux politiques. La présence de 2 autres
fédérations nationales de psychologues (APPPsy + UPPsy) a évidemment aidé à nuancer et à
diversifier les points de vue.
La Ministre Onkelinx a organisé différentes réunions d’abord avec les parlementaires de la
commission santé, ensuite avec des représentants néerlandophones du terrain, puis des
représentants francophones, puis tout le monde ensemble. Je signale que la psychanalyse était,
contrairement à ce que je lis dans les mails, bien représentée puisque la majorité des gens du
terrain présents du côté francophone étaient soit psychanalystes (SBP + APPPsy), soit
psychothérapeutes psychanalytiques (PF psysm + FFBPP + UPPsy).
Lors de ces réunions, il est apparu clairement qu’il fallait faire des compromis de part et
d’autres. Les universités devait accepter le fait que la psychothérapie puisse s’enseigner à des
bacheliers et hors université. La FBP devait accepter le fait qu’il fallait obligatoirement avoir
suivi une formation de psychothérapeute pour le devenir quel que soit son diplôme de base, et
que la psychothérapie serait accessible à des non psychologues.
Nous avons dû lâcher provisoirement le chapitre 3 pour donner une chance au projet
psychothérapie de passer.
Et oui, nous ne sommes malheureusement pas tout-puissants, la castration existe et il faut
pouvoir accepter de la vivre et l’assumer ! Nous avons tous fait un pas les uns vers les autres
pour trouver un compromis acceptable et nous somme largement favorisés dans ce
compromis.
3. Projet de loi ou proposition de loi :
Il a été indiqué clairement à ces réunions que Laurette Onkelinx n’allait pas déposer de projet
de loi. Elle a organisé les réunions de concertation pour leur donner une chance d’aboutir.
Mais elle cède la main aux parlementaires qui, tous ensemble, vont rédiger une proposition de
loi commune. Le texte qui circule n’est donc pas un projet de loi, ni même une proposition de
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loi. C’est juste un brouillon écrit par un juriste du cabinet Onkelinx pour servir de texte martyr
aux parlementaires. Rien de ce qui y est écrit n’est décidé. Certaines choses qui y sont écrites
ont déjà été balayées lors des réunions de concertation.
C’est en ce moment qu’un texte de proposition de loi commence à être élaboré. Tout le reste
est conjoncture et fantasmes.
Mais je peux vous garantir que nous avons reçu une écoute très positive de la part de tous les
parlementaires francophones vis-à-vis de nos remarques et de nos revendications.
Par ailleurs cette proposition restera volontairement large de façon à ne pas fermer les choses.
Celles-ci devront se discuter soit dans le conseil supérieur de la santé mentale, soit dans le
conseil supérieur de la psychothérapie. Celui-ci va avoir un pouvoir important de déterminer
comment remplir le cadre de la loi.
Nous nous réjouissons de cela parce que ce n’est pas un ministre influencé par les lobbies qui
décidera, mais les professionnels eux-mêmes.
Nous ne sommes pas naïfs et nous savons que le combat continuera là mais nous sommes
optimistes d’autant que nous allons vers plus de régionalisation et que les options des
francophones sont beaucoup plus ouvertes.
La composition de ce conseil n’est pas déterminée pour le moment et rien ne permet de dire
qu’il n’y aura qu’un seul psychanalyste pour en faire partie. Il suffit que le psychiatre, le
professeur d’université, le représentant des psychologues soient psychanalystes ou
d’orientation psychanalytique pour que nous puissions largement nous faire entendre.
Mais nous n’en sommes pas encore là.
4. Informations concernant la proposition de loi :
Je rappelle tout d’abord que celle-ci n’est pas encore écrite. Mais sur base des différentes
réunions auxquelles j’ai participé, je peux affirmer ce qui suit.
Le premier socle : le conseil des psychologues n’est pas un ordre des psychologues. C’est un
organe qui est là entre autres pour donner des avis. Un projet de loi définissant la déontologie
du psychologue a été rédigé fin 2012 et devrait être voté dans la foulée des projets actuels. Il
prévoit la création d’une instance de discipline différente du conseil des psychologues. Ce
n’est d’ailleurs pas le ministère de la santé qui a travaillé sur ce projet de loi (rédigé avec les 3
fédérations actuelles de psychologues. Là aussi j’y étais !).
Par contre, la commission belge des psychologues pourrait devenir dans l’avenir un ordre des
psychologues mais ce n’est aussi actuellement que conjoncture, on est loin d’y être.
Quant à la « définition – sur le mode comportementaliste- des séquences de troubles
isolés… », elle n’existe pas dans les projets actuels.
Ce qui est décrit comme deuxième socle est inexact. :
3) Il est acquis que la psychothérapie n’était pas réservée aux psychologues et aux médecins.
4) Il a été décidé que ceux qui ont un diplôme de bachelier dans une profession psychomédico-sociale pourraient d’office être candidat à une formation de psychothérapeute. En
fonction de leur bagage, ils devront faire une mise à niveau, non pas de 3 ans mais de
quelques cours (psychopathologie, une connaissance des différents courants
psychothérapeutiques et du travail en réseau). Il n’a pas été décidé si cette mise à niveau
devait se faire avant ou pendant la formation de psychothérapeute, à l’université ou par les
écoles elles-mêmes.
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5) Il a aussi été envisagé que d’autres parcours plus atypiques pourraient donner accès à la
formation, en statuant au cas par cas (conseil supérieur de la psychothérapie).
6) Il a été prévu que la formation de psychothérapeute aurait une durée minimale de 3 ou 4
ans (encore à déterminer). L’organisation, le contenu, le nombre d’heures ne sera pas
envisagé dans le projet. Ce sera discuté dans le conseil supérieur de la psychothérapie.
7) Dans les 4 courants reconnus actuellement (mais il est prévu qu’il peut y en avoir d’autres
par la suite), la psychanalyse n’est pas nommée, ce qui est nommé ce sont les
« psychothérapies d’orientation psychanalytique ».
8) Il a été évoqué que son diplôme initial devait être accolé au titre de psychothérapeute mais
cette proposition a été rejetée. Il sera permis mais non obligatoire de le faire. Par contre,
l’orientation devra être nommée.
9) Il y aura effectivement une procédure de reconnaissance des instituts de formations. Cette
procédure ne sera pas envisagée dans le texte de loi mais sera discutée dans le conseil
supérieur. Il n’a absolument pas été envisagé que les instituts doivent se conformer à un
cursus de type universitaire !
10) Depuis le début de ma pratique, je tiens un dossier pour chacun de mes patients. Ce sont
mes notes personnelles que je ne partage avec personne. Nous refuserons absolument qu’il en
soit autrement. Le code de déontologie du psychologue a défini très clairement la notion de
secret partagé et celui-ci est extrêmement restrictif. Les psychothérapeutes pourront
éventuellement s’en inspirer pour rédiger leur propre code. Nous avons rappelé cela aux
parlementaires.
Donc la formulation qui dit que « Si la psychanalyse entrait dans le cadre de cette loi, ce qui
est alors acquis, c’est : son entière psychothérapeutisation, la mise en forme universitaire de
sa formation, en ce y compris le « travail personnel » attendu, sa paramédicalisation, son
allégeance (et dépendance) au pouvoir médical et psychologique, sous le type
comportementaliste de l’abord du symptôme – il en va de même pour la psychothérapie.
Inenvisageable !
Paramédicalisation complète et hiérarchisée des métiers de l’âme, découpage de la
souffrance humaine et de sa prise en charge. », est pure spéculation.
Nous avons aussi lourdement insisté sur la nécessité d’un travail sur soi pour les futurs
psychothérapeutes.
5. Déliaison et liaison :
Depuis 13 ans, les projets ou propositions de loi se succèdent avec deux camps qui
s’opposent : les universités épaulées par la FBP (et derrière eux le lobby des psychiatres) et
les associations francophones de l’autre côté.
Chaque fois qu’un politique néerlandophone a eu la main, il a déposé un projet qui
correspondait à votre formulation ci-dessus. Qu’avez-vous fait ? RIEN. Vous n’avez pas
bougé.
Les rares fois où un politique francophone a eu la main ou qu’un ministre francophone a
voulu déposer un projet qui était à l’écoute de nos revendications, vous êtes sortis du bois
pour hurler au loup et tout faire pour faire capoter le projet, au mépris de tout le travail qui
était effectué par vos collègues qui pourtant s’acharnaient à défendre un positionnement
analytique.
A croire que vous ne connaissez que la déliaison !
Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge, disait Voltaire.
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6. Collaborer :
Si effectivement, vous voulez jouer sur le terrain de la psychothérapie, vous allez devoir
collaborer avec tous les autres.
Qui aura envie de vous avoir comme partenaire dans le conseil supérieur si vous restez dans
votre arrogance, dans le mépris vis-à-vis du « vil plomb » y compris de la psychothérapie
psychanalytique ?
Je pense qu’il faut que vous soyez conscients qu’il va vous falloir respecter les autres si vous
voulez être écoutés en dehors de vos cénacles. Il va vous falloir accepter les différences et ne
pas les vivre comme persécutrices.
J’espère que ces réflexions, pour choquantes qu’elles puissent vous paraître, vous feront
réfléchir.
La psychanalyse en Belgique (et arrêtez de ramener tout le temps la situation française qui
n’est pas transposable à notre culture du compromis) est à un tournant. Vous avez à décider
comment vous voulez le prendre.
Je vous souhaite une bonne réflexion, mais pour ce faire, il vaut mieux travailler sur des faits
plutôt que des fantasmes.
28 septembre 2013
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