L`encadrement juridique des grands projets d`investissement

Transcription

L`encadrement juridique des grands projets d`investissement
Séminaire IHEJ-Sciences Po « Droit, marchés et globalisation »
L'encadrement juridique des grands projets d'investissement
Synthèse des débats
22 janvier 2013
Présentation
La deuxième séance du séminaire « Droit, marchés et globalisation » co-organisé par l’Institut
des hautes études sur la justice (IHEJ), le Centre de sociologie des organisations (CSO/CNRSSciences Po) et le Centre d’études et de recherches internationales (CERI/CNRS-Sciences Po) a
été consacrée à l’encadrement juridique des grands projets d’investissement.
Les échanges internationaux (commerce et investissements directs) posent aujourd’hui
des problèmes majeurs de construction et de régulation juridique. Ceux-ci vont de la mise en
forme contractuelle des transactions, au règlement des différends et à l’application ou à
l’enforcement.
Pour les grands opérateurs internationaux se posent donc des problèmes classiques mais
toujours aigus dus au fractionnement des juridictions.
Cette séance a porté sur la structuration des grands contrats d’équipement (type pétrolier ou
armement). Y ont été abordées, en particulier, la question des clauses non-monétaires, dites
« offsets », incluses dans des contrats d'investissement : transfert et valorisation de la
technologie, effets d’entraînement pour l’économie locale, etc.
Intervenants
Jérôme Guillet, consultant en économie de l’énergie (Green Giraffe Energy Bankers), qui a
précédemment travaillé dans le domaine de l'énergie pétrolière, entre autres sur le financement
de projets gaziers ou pétroliers russes.
Christian Sylvain, président de l’ECCO (European Club for Countertrade & Offset), club mondial
représentant quinze pays et regroupant des sociétés travaillant sur les marchés publics dans le
monde.
Henry Marty-Gauquié, représentant à Paris du Groupe BEI (Banque européenne
d’investissement) pour la France et la Méditerranée.
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Etaient également présents : Jérôme Sgard, chercheur au Ceri/Sciences Po ; Antoine Garapon,
secrétaire général de l’IHEJ ; Alina Surubaru, enseignante-chercheure à l’École des Mines de
Nantes ; Emmanuel Lazega, professeur des universités à Sciences Po.
NB : ce compte-rendu n’est pas une retranscription exhaustive des propos tenus, mais une tentative
de mettre en évidence les points saillants des interventions de chacun, ainsi que des discussions qui
ont suivi.
Intervention de Jérôme Guillet
Jérôme Guillet a concentré son propos sur les projets financés par les banques. Plus précisément, il
s’est demandé pourquoi les banques intervenaient dans les grands contrats pétroliers.
Du point de vue des pétroliers tout d’abord, l’intervention des banques se justifie moins par
besoin de financement que pour se prémunir de risques politiques, et établir ainsi des relations
avec l'État (cf. Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc.). S'abriter derrière la demande des banquiers
permet d'imposer des contraintes (de tous ordres, y compris environnementales). Dans les cas
les plus difficiles, Banque mondiale, BIE, AFC ou autres banques de développement renforcent
cet aspect en intervenant comme créancier prioritaire : on élargit les enjeux du projet (le pays
voudra tenir ses engagements, pour conserver l'aide au développement). Les standards
environnementaux sont souvent instrumentalisés par les États (prétexte pour affirmer que
l'investisseur n'a pas fait ce qu'il devait) : les banques ou d'autres tiers externes peuvent avoir à
donner un avis sur ce point.
Du point de vue des banques ensuite, il s'agit de financement de projet, sur la base des revenus à
dégager et non du bilan de l'entreprise qui investit : les banques peuvent ne pas être
remboursées, d'où leur intérêt détaillé pour la structure contractuelle du projet, l'exercice
potentiel des sûretés.
Que faire dans les cas où le droit local n'est pas considéré comme étant exécutable (cas de bien
des marchés émergents) ? La situation diffère aussi selon que les revenus espérés doivent être
surtout liés à l'exportation ou à l'exploitation domestique. Les risques macro-économiques et de
change sont différents. Pour les banques, le cas le plus simple est celui de projets d'exportation,
avec des contrats souvent rédigés en droit anglais ou new - yorkais ; dans certains pays qui ne
veulent pas se considérer comme du Tiers-Monde, on choisit plutôt le droit suisse ou suédois, vu
comme neutre mais solide. Il faut aussi voir si l'on pourra saisir des revenus et donc notamment
si les revenus provenant de l'exportation sont à payer dans des banques locales ou à l'étranger.
Si l'aspect local domine, les banques peuvent prendre le risque si les acheteurs sont parapublics ;
dans le cas d'acheteurs privés, ce sont plutôt leurs filiales locales qui le prennent.
Discussion
Contrats et lois
Jérôme Sgard ajoute qu’il y a quinze ans, les premiers investissements pétroliers américains
dans l'ex-URSS considéraient que le droit local était insaisissable : on mettait alors dans le
contrat des clauses qui ailleurs auraient relevé du droit statutaire ou de la jurisprudence. Est-ce
une pratique plus générale ?
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Jérôme Guillet estime que c'est effectivement une tendance dans les PSA (accords
d'investissement cadres) : ils établissent les règles hors de la loi locale qui vont s'appliquer aux
projets. Nous ne sommes alors plus clairement dans le cadre strict du contrat : les PSA sont
souvent validés par le Parlement local et donc ont une certaine force de loi. Or certains pays ont
toujours refusé de conclure des PSA, considérant qu'ils se plaçaient hors du droit (certaines ONG
en contestent aussi le principe).
Par ailleurs, en Russie, il y a un véritable système juridique que les entreprises locales savent
très bien utiliser. De ce fait, on peut considérer que les contrats y ont une importance relative : le
projet ne se sera in fine conclu que s'il y a un intérêt stratégique à le faire avec des investisseurs
étrangers. Sinon, le contrat risque à tout moment d'être contesté.
La durée des négociations
Alina Surubaru demande dans quelle durée s’inscrivent en général ce type de négociations.
Jérôme Guillet affirme qu’elles peuvent durer de deux à dix ans, voire plus – parallèlement aux
développements techniques, longs également.
Dans certains pays (notamment l’Azerbaïdjan), il n'existe pas de droit sur certains sujets, par
exemple les règles de partage : des petites entreprises ont commencé par défricher le terrain en
négociant sur les lois. Puis sont arrivées de plus grosses entreprises qui ont engagé les
négociations sur des cas particuliers.
Prenons l’exemple d’un grand projet d’exploration sismique ayant débuté en 1996 au
Kazakhstan. Un premier accord d'investissement a été renégocié entre 1999 et 2002, mais
depuis, face aux problèmes d'exploitation, la production n'a toujours pas commencé, après 40 ou
50 Mds $ de dépenses – et le Kazakhstan demande où sont les revenus promis. Les changements
peuvent ainsi être liés au projet, mais aussi à la politique de chaque pays, élections par exemple.
Droit et rapports de force
Jérôme Sgard en déduit que le contrat ne fait alors plus que formaliser le rapport de force du
moment. Il peut donc être modifié au moindre prétexte par les deux parties. La question qui se
pose alors est celle de l'enjeu du droit : celui-ci reflète t-il une simple écriture du rapport de
force à un moment donné ?
Alors que Jérôme Guillet lui donne raison, Alina Surubaru souligne que c'est un paradoxe des
économies planifiées, où on trouve un fort usage du droit, par lequel passent aussi les jeux
politiques (cf. cas de la Roumanie). Jérôme Guillet ajoute qu’en effet, les acteurs utilisent bien les
contrats quand ils sont en leur faveur, d’où l’importance de bien les négocier.
Antoine Garapon se demande alors pourquoi certains acteurs, qui pourraient utiliser le droit
comme arme stratégique, ne le font pas. Cela s’explique selon Jérôme Guillet par des aspects de
réputation, des conséquences sur d'autres contrats. Si leur seule ressource est un champ
pétrolier, ils n'ont rien d'autre à perdre ou gagner, mais ce n'est pas toujours le cas. On rejoint
alors la problématique de la dette souveraine, ajoute Jérôme Sgard.
Jérôme Guillet rappelle toutefois que la Russie a certes fait défaut sur sa dette, mais pas sur les
livraisons de gaz, qui permettent d'obtenir des prêts bancaires et représentent finalement un
engagement plus fort que la signature de l'État.
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Mais quelles sont alors les institutions qui s'occupent de ce type de contrat ?, interroge Alina
Surubaru. Elles aussi peuvent vouloir garder la face (ce n'est pas le pays en général qui
intervient). Concernant le pétrole en particulier, précise Jérôme Guillet, la décision est très
concentrée dans les pays émergents : cinq personnes décident pour toute l'industrie, sur des
milliards, on a des négociations entre PDG et président. Le contrat est alors garanti par
l'engagement du souverain, ou surtout par l'intérêt bien compris des personnes.
On constate bien la spécificité de ces contrats dans les legal opinions des avocats lors de la
signature du contrat. En Europe, ces conclusions font environ cinq pages pour conclure que c'est
applicable, avec quelques réserves en fonction d'hypothèses précises ou d'interprétations de la
jurisprudence. Sur les contrats russes, le ratio s’inverse, avec en général cinq lignes de
conclusions et vingt-cinq pages de réserves.
Antoine Garapon souligne que ces conclusions engagent la responsabilité personnelle de
l'avocat. Mais alors, à quoi alors sert le juriste qu'on emmène pour la négociation ? interroge
Jérôme Sgard. Jérôme Guillet précise qu’il sert surtout pour le contrôle des revenus à
l'exportation, c'est un type de sûreté qui a déjà été sollicité et a fonctionné.
Intervention de Christian Sylvain
Christian Sylvain a choisi de centrer son intervention sur les marchés publics (où se jouent les
contreparties) et les contrats de plus de dix millions d'euros. Il expose les règles des marchés publics
(défense, énergie, transports et télécommunications - 20% de PIB mondial) à différentes échelles,
avant de définir les offsets.
Les règles des marchés publics
Dans le cadre de l'Union européenne, trois directives sont actuellement en cours de modification
et devraient aboutir en 2014 :
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Directive n° 2004-17 : son article 58 autorise à imposer 50 % de localisations sur le sol
européen aux constructeurs non européens : clause jamais appliquée, instaurée pour
contrebalancer le Buy American Act de 1933. Dangereuse en ce qu'elle défavorise les
constructeurs européens (qui vont ne localiser qu'à 5 % dans le pays, par exemple).
Directive n° 2004-18 : elle prévoit la même chose pour les services, mais sans l'article 58.
Directive n° 2009-81 : elle concerne la défense. L'art 18 interdit toute forme de
contrepartie économique, mais l'art. 346 les autorise si l'achat est considéré comme
souverain. Mais il vaut seulement entre membres de l'UE. Pourcentage d'ouverture des
marchés publics : 85% en Europe, 14% aux USA, 5% au Canada.
Les Accords sur les Marchés Publics (AMP) ou Government Procurement Agreement (GPA)
négociés dans le cadre du Traité de Marrakech de 1994 (OMC), ont été signés uniquement par 43
pays dont les États-Unis, l'UE et divers autres pays (Canada, Singapour, Suisse) mais par aucun
des BRICS, où va se faire l'essentiel de la croissance pendant les trente prochaines années.
L'article 16 autorise les contreparties économiques pour les « PVD », dont les pays émergents
mais n’a été utilisé jusqu’à présent que pour Israël.
Dans les BRICS et les pays du Moyen-Orient, chacun a ses lois et règles qui gèrent les marchés
publics et en général, avec beaucoup de contreparties. Exemple : la Russie achète deux Mistral,
mais en fabrique un.
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Ce qui explose depuis 2000, notamment entre PVD, ce sont les accords préférentiels bilatéraux
et multilatéraux dont la prise en compte complique les réponses aux appels d'offre. Les BRICS
n'ont pas d'intérêt à accepter les règles internationales définies par les occidentaux et leurs
exigences (en %) s'accroissent (cf. Les cellules photovoltaïques et éoliennes en Chine : on va
jusqu'à interdire aux étrangers d'y vendre des éoliennes).
Le club Ecco veut contribuer à la clarification des contreparties économiques dans les accords.
Par exemple le dernier accord signé par l’Europe avec la Colombie et le Pérou définit et interdit
les offsets, mais c'est pour l'heure le seul.
Lorsque les BRICS sont clients, il n'y a pas de protection légale pour se défendre contre les
offsets – même si Ecco y travaille, notamment auprès de la Banque mondiale qui pour l'heure
finance des contrats qui imposent parfois des offsets. C’est le cas avec le projet Gautrain en
Afrique du Sud.
Les offsets (ou "contreparties économiques" selon Bercy) sont des contrats non standards qui
exigent qu'une forme d'activité économique soit transférée du vendeur au gouvernement de
l'acheteur, comme condition pour la vente de biens et/ou services sur les marchés publics.
Ex. Alstom et TGV en Chine : la Chine demande le transfert de technologie du TGV refusé par
Alstom et c'est l’ICE de Siemens qui obtient in extremis le marché. Le cas est similaire pour la
vente de Rafales en Inde (demande de transfert de valeur ajoutée par localisation importante
des fabrications).
Les offsets sont peu évoqués par la presse, ni par les patrons, qui privilégient la mention du
chiffre d'affaires au dépend de la valeur ajoutée. On peut distinguer trois types d'offset :
-
direct : transfert de technologie ou localisation (coproduction) : création d’une base de
fournisseurs pour l’acheteur/ perte d'emplois et d'impôts chez les vendeurs (il existe
des rapports sur la question aux USA, pas en Europe).
semi-direct : coproduction dans le même domaine que le bien vendu. Cf Chine et
Airbus : les ailes et queues des Airbus, même vendus ailleurs, doivent être « made in
China ».
indirect : impliquent une création de valeur : achats, investissements, projets dans le
pays acheteur en dehors du bien vendu (préféré par un grand nombre d’entreprises
car épargne le cœur de métier). Cf. Thales investit dans des vignes en Afrique du Sud.
Plus précisément, on retrouve l'entrelacement de deux éléments dans les négociations :
-
le contrat principal : conditions générales (utilisant de plus en plus des droits en
dehors de ceux des deux parties signataires), prix, technique, délais, financement ;
clauses d'arbitrage CCI en général
le contrat offset, qui conditionne le contrat principal : dans le cas de l'offset direct ou
semi-direct, il est exprimé en % du contrat principal (30 à 100% : sous cette barre, le
vendeur est exclu de l'appel d'offres) ; entrée en vigueur simultanée ; inclut des
pénalités et une garantie bancaire (il faut donc le respecter). C'est donc un véritable
contrat bis, non pas avec le client principal, mais avec son gouvernement qui ne
négocie pas de la même manière pour le choix du droit et qui demande en général le
droit local.
Ainsi, sans un meilleur encadrement juridique, il est impossible d'agir sur le terrain : on ne peut
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que marchander, dans une insécurité juridique permanente. Les États appliquent les
réglementations offset en fonction des orientations politiques, changeantes. En outre, aucune
assurance ne couvrira un contrat offset - ou alors inclus dans le contrat principal, ce que le client
ne veut pas. Ecco propose notamment une agence européenne des marchés publics et
l'application à tous des règles des AMP et agit par des symposiums (prochainement avec
l'administration indienne) et formations.
Discussion
Emmanuel Lazega interroge le rôle des avocats d'affaires dans les négociations des marchés
publics et offsets. Leur rôle est crucial, selon Christian Sylvain, au regard de l'insécurité
juridique qui caractérise ce type de contrats, ils sont spécialisés par pays. Ils essaient de
produire les textes les plus protecteurs et les plus acceptables possibles par les clients, de
formaliser des ententes verbales possibles.
Jérôme Sgard se demande à quoi renvoie exactement le constat d'insécurité : difficulté de
négocier ? Instabilité ou confusion du droit ? Difficultés d’exécution ? Lorsqu’on signe le contrat
principal avec tout cela en parallèle, cela crée une insécurité pour le signataire, explique
Christian Sylvain. On peut être sûr de réussir son contrat principal si l’on est sûr de son produit,
mais cela ne se vérifie pas en matière d'offset. Il y a donc une insécurité intrinsèque à l'offset,
mais l'interdire, ou l'autoriser avec des règles précises (pas une règle par pays) clarifierait les
choses.
À la question d’Henry Marty-Gauqié sur le traitement fiscal des offsets en France, Christian
Sylvain précise qu’ils sont en principe détaillés dans le hors bilan, ce qui n'est pas vrai partout.
Y avait-il des offsets avec les économies planifiées, sous forme de captation par la nomenklatura,
interroge Alina Surubaru ? L'offset est vieux comme le monde, confirme Christian Sylvain... Avec
le Comecon, c'était le "contre-achat", parfois sophistiqué : en partie en argent, en partie en
équipement.
Jérôme Sgard se demande quelles sont les causes de cette augmentation des offsets dans les
marchés publics, est-ce par affaiblissement des investisseurs ou par contagion entre
demandeurs ? Sans doute par contagion, et parce que les BRICS savent qu'ils détiennent les
réserves de PIB dont les pays riches ont tant besoin, estime Christian Sylvain.
Henry Marty-Gauquié ajoute que plus généralement, les grands pays émergents n'ont aucun
intérêt à une gouvernance mondiale, donc bloquent sa rénovation, tout en justifiant leur non
respect du droit international par son obsolescence.
Intervention d'Henry Marty-Gauquié
Connaisseur du bassin méditerranéen, Henry Marty-Gauquié envisage, au-delà des contrats
proprement dits, leurs effets d'entraînement souhaités, notamment à partir du cas de
l'implantation de Renault à Tanger.
Nous sommes dans un contexte marqué par l’élévation des niveaux de vie, l’aspiration à la
démocratie, à l'amélioration des termes de l'échange et du contenu de l'économie locale ; d’autre
part, il existe des liens avec les printemps arabes où nous observons des anticipations (Maroc).
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Nous constatons une recherche de croissance plus inclusive (répartition, emploi, développement
des territoires, égalité hommes-femmes) et innovante (transfert de technologies, formation). Il y
a la volonté d'avoir de meilleures infrastructures de santé, université, transports sans avoir de
gros budgets publics. L’évolution commence au Maroc et en Tunisie, avec une mise à niveau des
entreprises, d'une culture de sous-traitance à un co-traitance sur un segment limité, mais
important, de la chaîne de valeur (cf. EADS produit à Tanger 50 % de sa connectique).
Dans ce contexte, on recourt aux investissements directs étrangers pour obtenir un essaimage
sur le territoire, ce qui se rapproche des problématiques de l'offset, mais en moins imposé. Les
externalités à transférer sont :
- des technologies :
Elles sont relativement faciles à définir : on peut fixer un prix et les inclure dans le contrat
principal : cf. Renault à Tanger s'engage vis-à-vis de sa filiale marocaine, qui a contracté avec la
SA de droit public qui gère la valorisation du territoire ; la technologie transférée est très limitée
(assemblage de pièces non produites sur place et technologie Logan périmée).
C'est plus complexe quand on veut une politique d'essaimage (très positive du point de vue des
financiers du développement), ce qui dépend du gouvernement et pas de la SA locale, c’est-àdire la formation, mais aussi la technologie et certification internationale (pour pouvoir exporter
vers les pays développés). La filiale dans le pays revend elle-même les technologies (un soussegment de chaîne de valeur) en sous-traitant à des PME. Cela ne peut pas être dans le contrat
principal, ne peut pas l'être : soit le droit local prend le relais, soit il faut faire confiance à celui à
qui on a transféré. Dans le cas de Renault, elle est actionnaire principale de sa filiale locale et n'a
transféré que des technologies amorties, donc peu de risque.
- de la formation, pour un bassin d'emploi élargi :
Pour un grand projet comme Renault Tanger, c'est dans le contrat principal. Centre de formation
professionnelle employant des cadres français d'origine marocaine, etc., qui leur permet aussi
d'avoir une main-d’œuvre adaptée (l’engagement se fait sur quinze ans). En contrepartie, le
ministère de l'Education crée d'autres centres, avec prêts de locaux et de formateurs : il s'agit là
de contrats annexes avec les autorités publiques. La définition du projet est annexée aux prêts
de la BEI (trois, dont un intermédié par l'équivalent marocain de la CDC, un à Renault France et
un à Renault Tanger en monnaie locale). Elle inclut la politique de formation, mais pas
l'essaimage de cette dernière ; mais parallèlement un autre prêt est signé avec le Maroc pour
l'extension de son plan national de formation. L'Etat marocain, à travers sa SA à Tanger, joue un
rôle crucial dans l'assemblage de ces éléments ; le projet est emblématique du rattrapage d'une
région longtemps délaissée.
- la mise en place politiques environnementales et sociales : quel type d'emploi créer,
pour qui, et comment assurer leur durabilité ?
Le problème est ici de disposer d'un corpus de normes de référence, comme celui qui existe dans
l'UE. La convergence est difficile.
Sur Renault, gros investissement, les financiers internationaux peuvent demander zéro émission
ou qu'on applique les normes européennes ; ce n'est pas possible sur l'essaimage ou des plus
petits investissements, pour lesquels un corpus de normes environnementales et sociales plus
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limité, défini par les institutions financières internationales, est appliqué. Il est davantage
imposé par ces institutions que par le client. Nous retrouvons alors ce rôle de tiers des
institutions : si la BEI ou la Banque mondiale est dans un contrat, le gouvernement n'y touchera
plus ; cela le mettrait aussi en marge des institutions bilatérales. Les ONG l'ont compris et
s'adressent souvent directement aux financeurs. Ceux-ci peuvent fournir en parallèle des
programmes d'assistance technique à la modernisation de la politique publique (cf. programme
sur le recours aux PPP).
Discussion
Offsets : les interdire ou clarifier les règles ?
Christian Sylvain remarque que ce que présente Henry Marty-Gauquié, c'est le résultat de la
diplomatie économique entre états, alors que les offsets sont issues de la vente compétitive. Avec
la BEI, nous assistons à un vrai transfert de modèle de société : le but est de construire des
marchés. Mais avec les Chinois le marché marche bien ; simplement, les Chinois sont en position
de force... y compris pour récrire le droit (cf. quand ils poursuivent Schindler pour infraction à
leur droit des brevets).
Henry Marty-Gauquié souligne qu’avec la BEI domine le multilatéralisme : on refuse tout projet
bilatéral. Elle n'intervient pas non plus sur les secteurs évoqués précédemment, où un accord
serait sans doute impossible. Il faut un minimum d'éthique partagée entre les parties.
Cependant, si on a un appel d'offres transparent, elle peut admettre ce qui s'apparenterait à un
offset : un transfert de technologie ou qu'on demande à Renault de construire une route pour
alimenter son usine. 30% de localisation prévus dans l'appel d'offre, c'est admissible, il faut
comprendre les besoins du pays. Mais il faut le dire, l'inclure dans la définition du projet.
Christian Sylvain ajoute qu’Ecco est plutôt pour l'interdiction des offsets mais serait d'accord
pour des clauses claires. Il rappelle le cas de Dassault en Inde, « short-listé », mais la négociation
commence après l'issue de l'appel d'offres, et est influencée par le calendrier électoral local.
Souvent, de la même façon, le problème est que les discussions commencent après la signature
du contrat, car on ne peut pas tout prévoir (cf. des coupures d'électricité chez un fournisseur
local imposé, au Brésil). Dans ces négociations tardives, les avocats d'affaires connaissant le
droit local (cf. variantes du droit entre régions en Chine) jouent un grand rôle.
Publié sur www.ihej.org, le 8 avril 2013
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