Conflits entre liens commerciaux et marques: leçons à tirer de

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Conflits entre liens commerciaux et marques: leçons à tirer de
Etudes et commentaires
Marque
Conflits entre liens
commerciaux et marques :
leçons à tirer de la saga
judiciaire Google
Sommaire de la décision
Les sociétés Google proposent aux annonceurs un
référencement payant leur permettant de faire afficher sur
les pages de résultats du moteur de recherche Google, des
liens hypertextes qu’elles dénomment « liens commerciaux »
et destinés à promouvoir les sites qu’ils exploitent.
C’est un service publicitaire que les sociétés Google
qualifient elles-mêmes de « publicité contextuelle », pour la
mise en œuvre duquel elles jouent un rôle actif et sont
rémunérées en fonction notamment de la fréquence de
consultation du site de l’annonceur. La nature de ce service
exclut que celles-ci soient des prestataires de stockage au
sens de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur
la confiance dans l’économie numérique, leur responsabilité
étant d’ailleurs recherchée en tant que prestataire
publicitaire.
Cette prestation s’inscrit ainsi incontestablement dans la
vie des affaires.
Dans cette opération, c’est bien Google qui fait apparaître
ces marques à l’écran de l’internaute en association avec les
produits ou services, objets de l’interrogation.
L’usage des marques en cause que Google réalise dans la
vie des affaires avec son générateur de mots-clés, constitue
une contrefaçon de ces dernières au sens des articles L. 7132 du code de la propriété intellectuelle, Google ne
contestant pas que les signes déposés au titre de marques
apparaissent tels quels dans les listes fournies par le
générateur de mots-clés.
Cour d’appel de Paris (4e ch. B)
1er février 2008
Le texte intégral de cet arrêt est disponible sur le
site www.dalloz.fr et sera intégré à la prochaine mise
à jour du CD-Rom du Recueil Dalloz.
06-13884 - Demandeur : Groupement interprofessionnel des
fabricants d’appareils d’équipement ménager (GIFAM) Défendeur: Google France (Sté) - Composition de la juridiction:
M. Girardet, prés. - Me Greffe, Me Neri, av. - Décision attaquée:
Tribunal de grande instance de Paris, 12 juill. 2006 (Rejet)
Mots-clés: MARQUE * Contrefaçon * Moteur de recherche *
Référencement * Indexation * Site internet * . - INTERNET * Site
internet * Moteur de recherche * Référencement * Indexation *
Marque * Contrefaçon
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Note d’Isabelle Gavanon
Avocat, Directeur associé, Propriété intellectuelleTechnologies de l’information, FIDAL
et Jérôme Huet
Professeur à l’Université de Paris II (PanthéonAssas), Directeur du CEJEM (Centre d’études
juridiques et économiques du multimédia)
D
epuis un certain temps, le moteur de
recherches Google est régulièrement
condamné en justice du fait qu’il met en vente comme
mots-clés, à côté de termes génériques (chaussure,
voiture, foulard...), des noms de marques déposées,
parfois même renommées (Adidas, Peugeot,
Hermès...), pour servir de « liens commerciaux »,
c’est-à-dire pour faire apparaître grâce à une marque
l’annonce du site d’un concurrent lorsque les termes
de la recherche soumise par un internaute incluent
cette marque, ce qui permet au bénéficiaire du lien
d’opérer un détournement de clientèle.
Ainsi en témoigne la décision récemment rendue
par la cour d’appel de Paris, le 1er février 2008 - dans
une affaire où le GIFAM (Groupement
interprofessionnel des fabricants d’appareils
ménagers) agissait contre le moteur de recherches qui alloue aux quelques vingt-quatre membres de ce
groupement 10 000 euros de dommages-intérêts à
chacun au titre de la contrefaçon, 1 500 euros au titre
de la publicité trompeuse ainsi que 8 000 euros à
l’ensemble des parties en vertu de l’article 700 du
code de procédure civile, ainsi que 1 000 euros pour
réparer le préjudice du GIFAM, soit une
condamnation globale d’environ 300 000 euros.
Antérieurement, Louis Vuitton, victime du procédé,
avait obtenu que le moteur de recherches soit reconnu
coupable de contrefaçon et sanctionné à hauteur de
360 000 euros de dommages-intérêts (Paris, 28 juin
2006, Sté Google c/ Société Louis Vuitton Malletier
France qui confirme la condamnation en première
instance de Google pour contrefaçon des marques
Louis Vuitton, concurrence et publicité déloyale mais
infirme cependant le jugement du TGI de Paris, 3e ch.,
du 4 février 2005 (D. 2005. Jur. 1037, note C. Hugon
en aggravant les sanctions).
Certes, les magistrats débattent du point de savoir
si l’offre de tels liens commerciaux réalise une
contrefaçon - car celle-ci suppose l’usage de la
marque dans la vie des affaires pour désigner des
produits ou services - et certaines décisions préfèrent
ne condamner Google que sur le terrain de la
Recueil Dalloz - 2008 - n° 00
© Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit
Notes
Notes
responsabilité civile, c’est-à-dire des articles 1382 et 1383 du code
civil, pour concurrence déloyale, et dans certains cas pour publicité
mensongère (V. TGI Paris, 11 oct. 2006, Citadines, D. 2006. AJ.
2668, obs. C. Manara), mais ils jugent toujours cette pratique
critiquable, ce dont témoigne également l’importance des
dommages-intérêts alloués. Pour autant, ces montants de
condamnation sont-ils de nature à modifier la pratique
commerciale de Google ?
de son service. Ainsi, la cour d’appel de Versailles a-t-elle jugé que
le moteur de recherche « ne peut se contenter de simples mises en
garde à l’attention de ses clients et qu’il lui incombe de mettre en
œuvre les moyens lui permettant de vérifier que les mots-clés
réservés par les annonceurs ne constituent pas la reproduction ou
l’imitation de marques françaises » (Versailles, 23 mars 2006,
Cnrrh, préc.).
Pour le savoir, encore faudrait-il, d’ailleurs, déterminer ce que
devrait être la conduite du moteur de recherches s’il voulait
échapper à la responsabilité qui lui est imputée.
On peut donc estimer que Google doit effectuer, en amont, les
vérifications nécessaires, par exemple en intégrant à son service
une base de données permettant de repérer, parmi les mots-clés qui
sont proposés aux clients ou qu’ils sélectionnent d’eux-mêmes,
ceux qui reprennent une marque protégée.
Pour cela, on doit partir de cette constatation, faite par de
nombreuses décisions, qu’en exploitant son service de liens
commerciaux, Google ne saurait se retrancher derrière la qualité
d’« hébergeur », telle qu’elle est définie par la directive européenne
de 2000 sur le commerce électronique (art. 14) et la loi de
2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN
(art. 6-I, 2°) (V. en ce sens, Versailles, 23 mars 2006, Cnrrh ; Paris,
28 juin 2006, Louis Vuitton, préc. ; Aix-en-Provence, 6 déc. 2007,
TWD Industries ; Paris, 1er févr. 2008, Gifam). Il ne saurait donc
prétendre qu’il n’est pas tenu d’assurer une surveillance a priori
sur les termes choisis par les internautes, et plus précisément sur
la protection juridique dont peuvent jouir certains d’entre eux. Et,
si le moteur de recherches, parce qu’il agit comme une sorte de
« régie publicitaire » (V. Aix-en-Provence, 6 déc. 2007, TWD
Industries), n’est pas un hébergeur, alors il doit mettre en œuvre
des moyens de contrôle a priori des informations qu’il exploite, en
l’occurrence un contrôle sur les termes commercialisés pour servir
de liens.
Mais, à partir de là, une distinction doit être faite entre deux
situations. Si l’on constate qu’un mot-clé reprend une marque
notoirement connue, il est radicalement impossible de l’utiliser
(art. L. 713-5 CPI, faisant jouer pour les marques notoires une
protection de la marque par la responsabilité civile). Il faut donc
identifier dans la base de donnée les marques ayant ce degré de
renommée, afin de les neutraliser comme mots-clés. En revanche,
parce que les autres marques ne bénéficient d’une protection que
dans le secteur économique où elles sont revendiquées (art.
L. 713-1 CPI, posant le principe de spécialité), il est possible
d’utiliser le terme dans un secteur différent. Une marge de
manœuvre existe et là encore, la base de données de marques
associée au service de liens commerciaux devra comporter ce
type d’information. Il s’agit finalement du travail de toute régie
publicitaire, mais la difficulté de la tâche est accrue du fait de la
quantité d’informations traitées.
Le coût de la vigilance à laquelle les tribunaux invite Google
sera-t-il moindre que celui des condamnations prononcées ? Affaire
à suivre. ■
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ÉTUDES ET COMMENTAIRES
Aussi bien les tribunaux n’entendent-ils pas l’argument de
Google selon lequel son rôle est purement passif dans la fourniture
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